Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 38 - Témoignages pour la séance du matin
TORONTO, le mercredi 4 novembre 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner la situation actuelle du régime financier du Canada (Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien).
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Sénateurs, nos premiers témoins ce matin représentent le Groupe La Mutuelle, Mutual Life Insurance Company, et nous allons entendre plus précisément Bob Astley, son président-directeur général.
Je suis très heureux de vous accueillir parmi nous. Vous avez déjà comparu à maintes reprises devant notre comité. Je vois que vous avez distribué un mémoire. Je vous demanderais de nous présenter votre exposé, après quoi nous nous ferons un plaisir de vous poser quelques questions.
M. Robert Astley, président-directeur général, La Mutuelle du Canada: C'est un grand plaisir pour moi d'être ici ce matin. J'ai à mes côtés Frank Bomben, directeur des relations gouvernementales à La Mutuelle.
Je vais commencer par faire un exposé qui va préciser les termes de notre intervention et contribuera éventuellement à orienter la discussion et à susciter un certain nombre de questions.
Je commencerai par relever que La Mutuelle a appuyé la formation de ce groupe de travail en qui elle voyait un moyen efficace de cerner le cadre qui viendrait régir l'avenir du secteur des services financiers canadiens. Nous avons en fait participé au processus de consultation, remis des mémoires au groupe de travail MacKay et rencontré en privé ses membres à deux reprises.
En règle générale, La Mutuelle est satisfaite de l'orientation du rapport et approuve les quatre thèmes autour desquels se regroupent les 124 recommandations qui y sont formulées. Aujourd'hui, je voudrais parler brièvement de certaines questions dont traitent ces recommandations.
Je vais tout d'abord m'entretenir des cinq recommandations qui devraient être mises à exécution immédiatement et ensuite de deux autres points précis qui nécessitent une étude et des discussions plus approfondies. Examinons donc rapidement pour commencer les cinq questions qui, de l'avis du Groupe La Mutuelle, exigent des mesures immédiates.
La première d'entre elles est la démutualisation. Nous avons eu l'immense plaisir de constater que le groupe de travail MacKay a résolument appuyé la démutualisation des quatre grandes mutuelles canadiennes d'assurance-vie de manière à en faire des sociétés par actions.
La Mutuelle a été la première mutuelle d'assurance-vie d'importance à faire part de son intention de demander à ses titulaires d'assurance-vie d'entériner cette démarche historique, et nous sommes prêts à répartir la propriété de la société parmi nos 900 000 titulaires de polices canadiens.
Je dois signaler que la situation de La Mutuelle est tout à fait particulière en ce sens que 99 p. 100 des titulaires admissibles de polices d'assurance sont des résidents canadiens et que les autres ont souscrit leur assurance participative à une époque où ils résidaient au Canada, étant partis éventuellement à l'étranger depuis.
Le Groupe La Mutuelle et les trois autres grandes mutuelles d'assurance-vie ont travaillé en collaboration avec le gouvernement fédéral pour contribuer à définir un cadre de travail ce qui a amené, comme vous le savez, la publication d'un projet de règlement en août. Depuis lors, La Mutuelle a tenu des consultations générales auprès de ses titulaires de polices pour les renseigner sur la démutualisation et pour répondre à nombre de préoccupations.
Nous avons répondu aux lettres et installé des lignes téléphoniques sans frais. Nous avons mis sur pied un site Web interactif et tenu 12 réunions à travers le pays, sur une période de deux semaines, à l'intention des titulaires de polices. Nous avons aussi demandé à la firme Angus Reid de faire une recherche à la fois qualitative et quantitative sur les titulaires de polices. Un sommaire des résultats de cette recherche est annexé à notre mémoire et nous en avons fourni par ailleurs des copies détaillées au BSIF.
Nous considérons qu'il est urgent que le gouvernement publie la réglementation finale et procède aux modifications législatives mineures qui sont nécessaires pour accélérer cette procédure. Cela peut et devrait être fait avant la fin de l'année 1998.
Passons maintenant à la deuxième recommandation relevant de la catégorie qui exige des mesures immédiates, en l'occurrence ce qui a trait aux régimes de propriété. De manière générale, nous appuyons le nouveau régime de propriété qui est proposé pour les institutions financières, notamment l'assouplissement de la règle des 10 p. 100 pour les sociétés dont les actions sont largement répandues dans le public, qui serait remplacée par une règle plus permissive de 20 p. 100, et l'adoption d'un régime commun pour toutes les institutions financières selon l'importance de leurs capitaux propres.
Nous sommes d'accord pour que les assureurs démutualisés soient à l'abri à la fois des prises de contrôle hostiles et des propositions de fusion pendant une courte période de transition de trois ans. En gros, cette position du rapport MacKay concorde avec le projet de règlement publié en août. Il y a cependant un élément important de cette recommandation sur lequel nous ne sommes pas d'accord, c'est la proposition d'autoriser les transactions volontaires de fusion au cours de cette période de transition.
Dans la pratique, nous considérons que les offres de fusion peuvent être aussi coercitives que les offres de prise de contrôle. Il faut que pendant une courte période les sociétés démutualisées n'aient pas à se défendre, et nous considérons que la période de trois ans qui est proposée convient.
Le troisième point concerne l'impôt sur le capital des institutions financières. Nous appuyons résolument la recommandation concernant l'abolition des taxes spéciales sur le capital des institutions financières. Les institutions financières paient 20 p. 100 de l'impôt fédéral sur le revenu et le capital des sociétés, alors qu'elles réalisent moins de 6 p. 100 des bénéfices des sociétés.
À titre d'illustration, la Confédération-Vie, lorsqu'elle s'est retrouvée en difficulté, et même après avoir été placée sous administration judiciaire, a continué à payer l'impôt sur le capital. Voilà qui montre à quel point l'imposition sur le capital peut être absurde pour une société qui ne parvient même pas à rentrer dans son argent.
Nous estimons que le régime actuel d'imposition du capital augmente le coût des produits et des services que paie le consommateur et, ce qui est tout aussi important, décourage les entreprises de se constituer un capital et augmente le coût de la levée de nouveaux fonds.
Le quatrième point que je vais évoquer très rapidement dans cette catégorie, c'est celui de l'accès au système de paiements.
Nous appuyons résolument la recommandation devant permettre aux assureurs de devenir membres du système de paiements canadien. Cette possibilité est déjà prévue en droit depuis 1992 mais, dans la pratique, on a empêché les assureurs d'y accéder pleinement en adoptant diverses mesures ne relevant pas du cadre de la Loi sur les sociétés d'assurances. Nous jugeons important que toutes les institutions financières aient accès au système de paiements pour pouvoir répondre aux besoins de plus en plus grands des consommateurs, notamment étant donné l'ampleur qu'a prise le commerce électronique.
Enfin, monsieur le président, il y a dans cette catégorie de recommandations qui exige que l'on intervienne rapidement, celle qui concerne les régimes d'assurance protégeant les consommateurs.
Nous sommes d'accord pour que la SADC et la SIAP soient mis sur un pied d'égalité parce que la garantie gouvernementale actuelle procure aux clients des institutions de dépôt un plus grand sentiment de sécurité et de confiance. Nous incitons fortement le gouvernement à intervenir rapidement au sujet des deux modèles proposés et de leurs variantes, de façon à pouvoir choisir la méthode la plus efficace.
Monsieur le président, j'aborderai maintenant rapidement deux autres questions qui, à notre avis, doivent être discutées davantage ou nécessitent d'autres consultations avant que l'on puisse prendre des mesures. La première d'entre elles est celle de la vente au détail d'assurances par l'intermédiaire des succursales bancaires.
La recommandation du groupe de travail d'étendre les pouvoirs de vente au détail d'assurances dans les succursales bancaires et de permettre l'accès aux fichiers des clients semble prématurée. Il faudra un certain temps pour que les effets positifs des changements que l'on se propose d'apporter à la SADC et au système des paiements se fassent sentir et pour que chacun soit davantage sur un pied d'égalité. En fait, ce sont là deux des grands avantages face à la concurrence qui séparent les assureurs des établissements de dépôt, sans parler de la simple taille et de la concentration sur le marché des grands établissements de dépôt, notamment les banques.
Nous sommes résolument en faveur de la recommandation du rapport MacKay s'appliquant aux régimes proposés en ce qui concerne les ventes liées coercitives, la protection de la vie privée des clients et les conditions requises pour l'agrément des intermédiaires, qui devraient être mis en place avant de donner suite à tout changement recommandé aux règles actuelles.
Enfin, sur la question générale de l'accroissement des pouvoirs du consommateur, nous appuyons la nécessité de faire en sorte que les consommateurs soient mieux informés au sujet des opérations, des produits et des services financiers et que les sociétés se comportent en citoyens responsables, se montrent transparentes et agissent au mieux des intérêts des consommateurs. Toutefois, nous ne sommes pas en faveur de dispositions législatives venant renforcer la réglementation et les mesures répressives dans ce domaine. Les mesures proposées sont lourdes, elles coûtent cher et, à mon avis, elles ne répondent pas à l'intérêt public.
Les institutions financières prennent grand soin de maintenir leur réputation auprès des consommateurs et, à notre avis, pour faire respecter les règles établies, maintenir la concurrence et encourager l'innovation sur le marché, il est préférable de recourir à l'autoréglementation et à la collaboration avec les groupements de consommateurs.
Monsieur le président, je conclurai en disant que La Mutuelle est heureuse de l'orientation du rapport MacKay. Il nous procure à tous un excellent point de référence et un guide précieux pour l'important débat d'ordre public qui s'ensuivra. Les Canadiennes et les Canadiens souhaitent un secteur des services financiers concurrentiel, innovateur, sûr et adapté à leurs besoins. Nous considérons que les recommandations du rapport MacKay méritent d'être discutées et, dans les cas que j'ai mentionnés, demandent une intervention immédiate.
Le président: Merci, monsieur Astley. Je vais vous poser une question que vous m'avez déjà entendu poser.
Au bas de la page 3 de votre rapport, vous faites état de la position historique et classique de votre secteur après l'écroulement de la Confédération-Vie. Ce n'était pas la position de votre secteur un mois avant cet écroulement, mais l'on peut lire qu'étant donné que la SIAP n'a pas accès aux crédits du gouvernement il y a, c'est l'expression que vous employez, des «inégalités qui existent actuellement au plan concurrentiel». D'ailleurs, vous parlez ensuite d'un «avantage concurrentiel considérable sur le marché» en faveur des institutions de dépôt.
Depuis que les entreprises de votre secteur ont commencé à faire ce genre d'assertion, je demande des preuves. Les réponses que l'on m'a faites ne constituent pas des preuves, et je vais les passer en revue avec vous pour que nous puissions nous débarrasser du problème.
L'ACCAP a bien voulu me faire parvenir un sondage dans lequel on a posé essentiellement la question suivante aux gens: «Si vous aviez le choix entre un produit garanti par le gouvernement fédéral et un produit garanti par une société d'assurance-vie, lequel des deux achèteriez-vous?» Étant donné la taille du gouvernement fédéral, si l'on donne le choix aux gens entre l'achat d'un réfrigérateur garanti par Maytag ou d'un réfrigérateur garanti par le gouvernement fédéral, il est probable que dans ce cas aussi ils choisiront la garantie du gouvernement fédéral.
Ce n'est pas parce que les gens choisissent un régime plutôt qu'un autre qu'il y a un avantage concurrentiel. Il faut encore que ce choix ait justement été fait en raison de cet avantage concurrentiel. Chaque fois que j'ai demandé des preuves, on n'a pas réussi à m'en fournir et en fait tous les éléments de preuve dont je dispose semblent indiquer le contraire.
Souvenez-vous que lorsque la Confédération-Vie s'est effondrée en août 1994 alors que l'on faisait les diagnostics les plus sombres à son sujet, les entreprises du secteur qui jusque-là étaient résolument opposées à toute intervention du gouvernement se sont mises à la réclamer. C'est une véritable volte-face qui s'est produite en moins de trois mois. Il n'en reste pas moins qu'au début de l'année 1995, le secteur de l'assurance avait exactement la même part du marché des REER, des CPG et d'autres produits du même type qu'avant cet effondrement.
Je comprends bien que les entreprises du secteur souhaitent avoir accès à ces fonds. C'est une demande de leur part. Je ne vois pas pourquoi elles voudraient soutenir qu'il y a un avantage concurrentiel et je pars du principe qu'il faut pour cela qu'il y ait certains éléments de preuve. Les avez-vous? Je vous promets de ne plus soulever cet argument devant d'autres entreprises de votre secteur, parce que je l'ai déjà fait avec tout le monde et je n'ai pas obtenu de réponse. Comment justifiez-vous votre affirmation?
M. Astley: Il est difficile d'établir un lien de cause à effet direct entre le comportement des consommateurs et une composante précise d'un produit ou d'un service. Nous sommes cependant convaincus, en nous fondant sur le comportement des consommateurs et sur «l'effet d'éclairage» que donne la garantie de la SADC aux banques, que les consommateurs ont tendance à s'adresser de préférence à ces établissements, notamment ceux qui n'aiment pas prendre de risques et qui recherchent des garanties absolues.
Pour autant, vais-je pouvoir le prouver en affirmant que le consommateur «A» a acheté un produit assuré par la SADC de préférence à une rente d'assurance-vie possédant des caractéristiques similaires? Nous n'avons pas la preuve qu'il en est ainsi dans «X» p. 100 des cas.
Nous savons cependant que dans certains cas des responsables de régimes d'entreprise ont choisi expressément de confier des REER de groupe à des établissements affiliés aux banques et à des régimes liés aux banques, qui sont assurés par la SADC plutôt que de recourir au régime à peu près équivalent que gèrent les sociétés d'assurances. Les exemples ne manquent pas.
Le président: Soutenez-vous dans un tel cas que la décision a été prise purement en raison de l'assurance conférée par la SADC?
M. Astley: C'est l'unique raison que l'on a déjà donnée à certaines de nos sociétés membres pour justifier que l'on choisisse un régime administré par l'établissement financier ayant accès à la garantie de la SADC pour ses placements garantis à terme.
Le président: Je pense qu'il faut dire que votre secteur est préoccupé par la question, mais que c'est bien difficile à prouver. Je ferai cependant une autre observation.
Bien évidemment, votre proposition entraîne toute une série d'autres inégalités complètement différentes, je suis sûr que vous le comprenez. Bien d'autres produits, qui sont vendus par les sociétés d'assurances, vont alors être englobés dans le régime d'assurance du gouvernement. D'autres intervenants du secteur des services financiers vont alors venir nous demander d'être englobés dans le régime de garantie du gouvernement en alléguant que nous avons désormais créé une nouvelle catégorie de produits assurés vendus par les sociétés d'assurances et que d'autres ne peuvent pas offrir.
Votre problème en sera peut-être résolu, mais je pense qu'il va en créer d'autres, de plus grande ampleur. Je pense que vous devriez au moins le comprendre.
M. Astley: Puis-je faire une autre observation, monsieur le président? Vous avez parlé de la «volte-face» qui s'est produite lors de l'écroulement de la Confédération-Vie en août 1994.
Le président: Une volte-face pour ce qui est de l'opinion des entreprises du secteur et non pas de celle des consommateurs.
M. Astley: Vous avez tout à fait raison. Si l'on remonte dans le passé, la SIAP a été mise en place en 1989, relativement peu d'années avant l'écroulement de la Confédération-Vie, et l'on ne prévoyait pas à l'époque qu'il faudrait faire des appels de fonds. Il n'y avait eu aucune faillite de société d'assurances de toute l'histoire de ce secteur, et la conjoncture économique était très bonne à l'époque.
Vous n'ignorez pas que notre pays a enregistré le plus gros marasme immobilier de son histoire au début des années 90 et que ce fut là la principale raison de la chute de la Confédération-Vie et de deux autres petites sociétés d'assurances.
Notre secteur a constaté qu'étant donné que la SIAP n'avait pas accès aux crédits du Trésor public et qu'il n'y avait aucune participation gouvernementale, le gouvernement fédéral était moins intéressé à trouver une solution à la chute de la Confédération-Vie. Ce fut en fait l'une des grandes raisons pour laquelle nous avons changé d'avis, et c'est aussi ce qu'ont ressenti les consommateurs.
Le président: Je vous remercie.
Le sénateur Austin: Monsieur Astley, êtes-vous favorable, et pensez-vous que le secteur de l'assurance serait favorable, à une assurance qui dépendrait des produits et non pas des institutions? Est-ce que cela changerait à votre avis l'analyse qui est faite dans le rapport MacKay pour ce qui est des relations entre la SIAP et la SADC?
M. Astley: Dans une certaine mesure, les garanties offertes par la SADC et par la SIAP sont d'ores et déjà axées sur les produits étant donné que seuls les dépôts présentant une certaine caractéristique et jusqu'à un certain seuil sont couverts. Dans le cas de la SIAP, les rentes, l'assurance-vie et les paiements en cas d'incapacité qui correspondent à certains paramètres sont garantis jusqu'à un certain seuil.
De ce point de vue, il y a déjà une certaine redéfinition des produits. Toutefois, c'est une institution qui fait faillite et non pas des secteurs de produits, de sorte qu'il faut qu'il n'y ait qu'un seul établissement qui soit le premier garant de la protection offerte aussi bien par la SADC que par la SIAP.
Ainsi, on pourrait envisager un système ne garantissant que les rentes garanties à terme qui s'apparentent de manière générale aux CPG et non pas les versements d'assurance-vie ou d'assurance-invalidité. Il serait cependant difficile, en cas de faillite, de n'avoir accès au Trésor public que pour cette partie des activités. Cela soulèverait des questions épineuses parce que c'est l'institution tout entière qui se retrouve en difficulté.
Le sénateur Meighen: J'ai une question ou deux à vous poser au sujet de la démutualisation.
Où en êtes-vous au sujet de la démutualisation? Depuis la publication du projet de règlement, savez-vous s'il y a des obstacles qui vous ont empêché de progresser en 1998, alors que vous nous dites qu'il est important d'agir?
M. Astley: C'est ce que j'ai compris. Il est ressorti des conversations entre les entreprises du secteur, le ministère des Finances et les responsables du BSIF qu'il reste à apporter quelques modifications techniques mineures au règlement. Ces modifications ont été proposées, elles ont fait l'objet de discussions, et je crois que pour l'essentiel elles ont été acceptées par le ministère des Finances. À ma connaissance, rien ne s'y oppose vraiment compte tenu des politiques en place.
Je pense que dans cinq ans, lorsque nous reviendrons sur l'évolution historique des services financiers au Canada comparativement à celle d'autres régimes, nous pourrons dire que la démutualisation au Canada est la meilleure au monde, si l'on en juge par la réglementation actuelle.
Elle offre un bon niveau de protection aux consommateurs. Elle évite toutes les critiques qui font état d'un traitement inapproprié dans d'autres pays et je suis sûr que le Canada pourra se féliciter du travail accompli par les quatre sociétés d'assurances dans le cadre du régime mis en place par le gouvernement fédéral. À mon avis, il n'y a aucun problème de fond qui serait susceptible de retarder cette mise en place dans le cadre normal de la procédure législative et réglementaire qui est prévue.
Le sénateur Meighen: N'est-il pas possible qu'un obstacle soit placé sur la voie de la démutualisation par un intervenant qui ne relève pas de notre contrôle? Je crois comprendre que le responsable de la réglementation du Michigan a émis quelques réserves au sujet de cette procédure. Savez-vous si l'on a tenu compte de ces réserves?
M. Astley: Je sais qu'il y a eu des discussions assez suivies entre le ministère des Finances, le BSIF et le Michigan. Je pense que ces questions peuvent être résolues et que l'on est d'ailleurs en train de le faire. Selon les renseignements dont je dispose, je m'attends à ce que les inquiétudes du Michigan soient apaisées très prochainement.
Le sénateur Meighen: Tant que ces questions ne sont pas résolues, est-il pratique de poursuivre la démutualisation?
M. Astley: La Mutuelle du Canada est dans une situation assez exceptionnelle. Comme je vous l'ai indiqué précédemment, tous nos titulaires de polices admissibles sont soit résidents canadiens, soit des personnes qui ont souscrit une assurance en vertu de la loi canadienne. Toutes nos activités aux États-Unis sont exercées par des filiales et, dans notre cas, ce type de conflit ne se pose pas.
Je sais toutefois que l'on souhaite pouvoir disposer d'une réglementation globale qui s'applique à tout le monde et je pense qu'il est très important de résoudre les questions qu'a soulevées le Michigan. J'ai lu la lettre envoyée par le commissaire du Michigan dans laquelle ce dernier soulevait un certain nombre de questions préalables sans prendre de décision définitive. Je pense que ces questions seront résolues d'une manière qui donnera toute satisfaction aux responsables du Michigan comme à ceux du Canada.
Le sénateur Meighen: En supposant que la démutualisation se fasse avant la fin de l'année, vous avez indiqué que votre société était en faveur d'une période de transition de trois ans pendant laquelle aucune prise de contrôle, amicale ou non, ne serait permise.
Vous avez mentionné que les prises de contrôle amicales peuvent être parfois aussi coercitives que celles qui ne le sont pas. Pourriez-vous nous en dire un peu plus et commenter par ailleurs la position prise par Manuvie qui est, je crois, légèrement différente de la vôtre, en ce sens qu'elle est favorable, au cours de cette période de trois ans, aux prises de contrôle amicales mais non pas aux autres.
Enfin, est-ce que vos actionnaires ne sont pas lésés dans ce cas, puisqu'on peut penser qu'une prise de contrôle augmente le prix des actions des titulaires de polices, ou des actionnaires, puisque c'est ce qu'ils deviendront?
M. Astley: Si j'oublie quelque chose, ne manquez pas de me le signaler.
J'ai soutenu qu'au cours de cette période de trois ans il convenait d'interdire aussi bien les prises de contrôle amicales que celles qui ne l'étaient pas parce qu'une opération censée être amicale peut placer les administrateurs dans une situation très difficile. Même si en théorie l'opération serait amicale, on peut très bien envisager qu'une proposition d'offre publique d'achat de toutes les actions comportant une plus-value d'un certain montant soit faite en privé aux administrateurs. Selon la situation des marchés au moment considéré et selon que l'on tient compte ou non du potentiel de la société au moment où elle est en train de se constituer, les administrateurs pourraient se retrouver dans une situation extrêmement difficile. Il leur faudrait consulter les meilleurs avocats pour savoir quelle est leur responsabilité personnelle dans ces circonstances.
Je pense que la distinction entre prise de contrôle amicale et inamicale ne joue pas dans la pratique et c'est pourquoi nous avons adopté ce point de vue. Dès le départ, nous avons considéré, à La Mutuelle, que nous n'étions pas d'accord pour que l'on refuse aux titulaires des polices, qui vont devenir des actionnaires, la possibilité de faire augmenter à terme le prix de leurs actions en tablant sur le rendement de leur entreprise, en faisant des alliances ou en fait en acceptant des offres de prise de contrôle.
À notre avis, il est raisonnable d'accorder un délai de trois ans pour que les actions atteignent leur pleine valeur et pour que la société prenne son rythme de croisière. C'est pourquoi nous avons déclaré, dès le premier jour, que nous considérions qu'à long terme, la société Mutuelle ainsi transformée ne devait pas être écartée de l'application normale des règles du marché. Notre équipe de direction a l'obligation d'augmenter la valeur des titres de nos nouveaux actionnaires.
Pour l'essentiel, il est dit dans le rapport MacKay qu'il y aura une période de transition de trois ans après quoi les règles normales viendront s'appliquer à toutes les institutions financières.
Le sénateur Meighen: J'ai maintenant une question à vous poser au sujet de l'accès au système de paiements, auquel vous êtes évidemment très favorable. Comment cela va-t-il se passer selon vous entre différents établissements?
Ainsi, lorsque vous aurez accès au système de paiements, allez-vous être placé exactement sur le même pied que tout le monde ou envisagez-vous par exemple que les banques garantissent les paiements des autres banques et les sociétés d'assurances celles des autres sociétés d'assurances?
M. Astley: Pour commencer, les participants au système de paiements doivent respecter les normes garanties et les règles de prudence établies. Je pense que John Palmer, du BSIF, ainsi que MacKay l'ont bien précisé. Toutes les sociétés d'assurances et toutes les banques sont réglementées par le BSIF, et je pense que c'est un moyen de protéger le système.
Si une société d'assurances participe au système de paiements, lorsque les opérations électroniques sont prises en charge par le système de compensation, ses obligations sont à la hauteur de toutes celles qu'elle a envers les titulaires de polices, les créanciers, etc.
Ce sont là quelques-uns des mécanismes qui nous garantissent que nos institutions financières sont bien supervisées et bien réglementées. Je ne pense pas qu'au nom de la sécurité et de la santé financière des entreprises, nous devions exiger que les sociétés d'assurances garantissent expressément toutes les autres sociétés d'assurances. Tout se fera à l'échelle de chaque établissement de façon à pouvoir garantir que le système de paiements ne court pas des risques indus.
Le sénateur Tkachuk: Avant de vous poser quelques questions sur la vente au détail d'assurance par les banques, je tiens à vous signaler que sur 131 sociétés d'assurance-vie qui exercent leurs activités au Canada, 45 sont canadiennes et 86 sont étrangères. Les sociétés canadiennes ont 208 milliards de dollars d'actif et les sociétés étrangères, 24 milliards de dollars.
J'ai déjà fait essuyer une diatribe de la part d'un président de banque m'accusant, moi et d'autres membres de ce comité, de favoriser les sociétés des États-Unis au détriment de nos banques canadiennes. Cela étant dit, je me suis inquiété au sujet de la vente d'assurance par les banques. Ce n'est pas parce que cela concurrence les sociétés d'assurances, qui savent se débrouiller, mais en raison de la confidentialité des renseignements dont disposent les banques sur leurs clients. Je considère aussi que les banques jouissent d'un avantage concurrentiel sur les entreprises de votre secteur dans le domaine des assurances multirisques.
Hier, le président de la Banque Canadienne Impériale de Commerce a déclaré que les sociétés d'assurance-vie allaient exercer des activités bancaires. Il a donné l'impression que ce serait là un changement positif et significatif, que toutes sortes d'entreprises allaient exercer des activités bancaires et que sa banque ne serait qu'une d'entre elles, parmi bien d'autres.
D'après ce que vous savez du secteur, pensez-vous que votre société va pouvoir exercer ce que l'on appelle des activités bancaires de base, accepter des dépôts et consentir des prêts?
M. Astley: Je ne m'attends pas à ce que La Mutuelle du Canada puisse concurrencer directement les banques à charte canadienne pour ce qui est des fonctions bancaires de base comme les comptes-chèques, les dépôts, les transferts d'argent et les prêts calculés en fonction des entrées et des sorties d'argent dans les comptes commerciaux.
D'un point de vue commercial, je pense que ce serait tout à fait absurde étant donné que les banques canadiennes sont très, très solides. Je ne pense pas que nous puissions les supplanter en cherchant directement à les concurrencer.
Toutefois, tous les intervenants au sein du secteur des services financiers se font concurrence sur ce que l'on appelle de manière générale «la gestion de patrimoines». Voilà pourquoi mon entreprise vend des fonds communs de placement, des rentes de retraite et toutes sortes de REER, et nous avons une société de fiducie qui est notre filiale et qui vend des certificats de placement garantis.
Nous opérons déjà dans le secteur de la gestion des patrimoines accumulés en vue de la retraite ou à d'autres fins et nous voyons là une possibilité de croissance. Pour ce qui est de l'accès au système de paiements, nous voulons pouvoir dispenser un certain nombre de services que vont vraisemblablement exiger de plus en plus les clients en matière de gestion de patrimoines. À notre époque, dominée par le commerce électronique et les virements de fonds, ces différentes activités vont de plus en plus intéresser les consommateurs.
Il est probable qu'il sera bientôt possible de payer par des moyens électroniques toutes les demandes de remboursement de frais de santé ou dentaires, directement aux particuliers ou à leurs banques. Nous pourrons éventuellement ouvrir des comptes à la société d'assurances sur lesquels les clients pourront retirer de l'argent ou payer les primes d'autres contrats d'assurance, par exemple.
C'est une explication un peu longue, mais disons que je ne m'attends pas à ce que nous concurrencions directement les banques dans les activités de base comme les dépôts et les chèques. En tant que société d'assurances, nous ne sommes pas autorisés à prendre des dépôts, mais nous sommes bien décidés à faire de la gestion de patrimoines.
Le sénateur Tkachuk: La gestion de patrimoines n'a jamais été une activité traditionnelle des banques. Elles s'y sont lancées en raison de la concurrence qui s'exerçait pour attirer l'argent. Elles avaient besoin que l'on dépose l'argent chez elles. D'autres concurrents vendaient des REER, et elles s'y sont mises.
Ce qui m'inquiète, c'est le fait qu'il y a des gens qui s'adressent à la banque pour obtenir un prêt commercial et qui doivent fournir tous les renseignements financiers les concernant pour une simple opération bancaire, sans parler des opérations exceptionnelles.
Est-ce qu'il va y avoir de nouveaux arrivants sur votre marché? Je sais que vous ne pouvez pas parler au nom de toutes les autres entreprises, mais est-ce qu'il y en a d'autres qui y pensent? Est-ce qu'en démutualisant vous voulez faire alliance avec d'autres institutions financières qui sont déjà sur le marché?
M. Astley: L'une des possibilités qui s'offre à toute mutuelle ainsi transformée serait de passer des alliances susceptibles d'être renforcées par des prises de participation croisées.
Quant aux opérateurs qui existent actuellement sur le marché, je mentionnerais ING, dont le siège social est aux Pays-Bas, et qui possède au Canada une banque, ING Direct, ainsi que des sociétés d'assurances qui vendent des assurances multirisques. Je ne sais pas quel est son plan stratégique, mais compte tenu de l'expérience qu'elle a acquise dans le monde, il est possible qu'elle entrevoit en fait la possibilité de vendre davantage de produits aux consommateurs.
Pour en revenir à votre premier point, les banques ont un avantage clé étant donné la quantité d'information dont elles disposent sur les différents clients. Ces renseignements ont été fournis dans un but donné, notamment pour obtenir un crédit, ou peuvent même être tirés de l'entrée et des sorties d'argent dans les comptes ou les cartes de crédit. Cette quantité d'information confère aux banques un énorme avantage par rapport à la concurrence.
Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que des lois interdisant les ventes coercitives ou liées puissent être instituées et soient applicables? Nous avons déjà de nombreuses lois que l'on ne peut appliquer parce que les infractions se produisent à domicile ou dans d'autres lieux privés. Si nous disposions d'une telle loi, comment déceler les infractions?
M. Astley: Le problème est bien réel, car il est difficile de réglementer les comportements individuels à la base.
J'ai déjà indiqué par le passé qu'il fallait en fait que les professionnels oeuvrent quotidiennement et sur le terrain avec les clients et leurs représentants pour régler un certain nombre de ces questions plutôt que de les aborder d'un point de vue théorique.
Il faut que tous les établissements prennent des engagements et qu'il y ait des remèdes effectifs lorsqu'une vente liée a lieu. Nous devons aussi faire un effort pour faire comprendre aux clients quels sont leurs droits et les options qui s'offrent à eux en cas de tentative de coercition.
Je conviens avec vous qu'il n'est pas facile de légiférer les comportements individuels.
Le sénateur Tkachuk: C'est aussi subjectif, ne pensez-vous pas? Je ne peux pas parler pour les autres, mais je considère que la question a une dimension psychologique et subjective. Il n'est pas facile pour quelqu'un de demander un prêt, notamment lorsqu'il en a terriblement besoin et qu'il n'est pas sûr de l'obtenir. La banque a un pouvoir extraordinaire sur la personne à laquelle elle consent un crédit.
Par conséquent, la personne qui accorde le prêt n'a pas besoin de dire quoi que ce soit. On vous présente un formulaire et on vous fait remarquer que vous n'avez pas d'assurance sur votre hypothèque. On vous demande si vous voulez l'assurer et, si vous répondez par l'affirmative, on vous demande de signer un document. Je pense que nous savons tous que c'est ainsi que ça se passe et je considère qu'il en sera de même pour l'assurance multirisques.
Je ne sais pas comment on peut l'éviter, mais si vous avez une idée, vous ou d'autres intervenants, je serais heureux de l'entendre. Je n'ai pu d'autres questions à poser.
Le sénateur Austin: J'ai relevé avec un grand intérêt la réponse que vous avez donnée au sénateur Tkachuk au sujet de votre conception de l'avenir du secteur de l'assurance-vie. Ce qu'entrevoit le rapport MacKay est bien plus ambitieux que le tableau que vous nous avez dressé ce matin. À la page 63 du rapport, on envisage que les autres établissements financiers vont devenir de plus en plus concurrentiels face aux banques sur toute une gamme de services financiers, et c'est des sociétés d'assurance-vie dont on attend le plus. Je cite le rapport:
Le groupe de travail estime que les sociétés d'assurance-vie peuvent devenir des concurrents de première force dans le secteur des services financiers canadien, en étant actives dans un plus grand nombre de domaines et en rivalisant de façon beaucoup plus intense que par le passé avec les institutions de dépôt, et notamment les banques. Il est probable que, avec le temps, certaines sociétés d'assurances deviendront les chefs de file d'importants conglomérats financiers, comme cela a été le cas dans d'autres pays.
Le rapport poursuit en ces termes:
La politique publique devrait éviter que des obstacles inutiles n'empêchent les sociétés d'assurance-vie de participer à part entière à un large segment du secteur des services financiers.
C'est parce qu'il envisage les choses ainsi que le rapport recommande un accès au système des paiements, la démutualisation et la fusion des activités de la SADC et de la SIAP.
Que pensez-vous du défi que devrait relever votre secteur pour devenir le fournisseur d'une gamme complète de produits financiers? S'agit-il d'égaler les réseaux de succursales bancaires? Dans quelle mesure les opérations bancaires effectuées par des moyens électroniques sont susceptibles d'améliorer votre compétitivité, par exemple? J'aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure ce rêve d'exercer votre concurrence dans ce secteur est réaliste et quels sont les défis qu'il vous faut relever pour que cela se produise.
M. Astley: En fait, je dirais pour commencer, sénateur, que ma société, qui est un bon exemple de ce qui se passe au sein du secteur canadien de l'assurance-vie, concurrence déjà les banques sur un certain nombre de fronts. Notamment, dans le domaine très important de la gestion de patrimoines, nous sommes très actifs dans le secteur des fonds communs de placement.
Nous détenons des quantités très significatives de fonds d'épargne et de retraite qui ont été incorporés aux rentes. Nous avons cherché à connaître notre part de l'ensemble du marché canadien de la gestion de patrimoines au cours des dernières années, et nous l'avons fixé à environ 2 p. 100, ce qui n'est pas négligeable. C'est en tenant compte de l'ensemble des différents intervenants dans ce secteur à croissance modeste.
Le plus grand défi qu'il nous faut relever, c'est de comprendre les besoins des consommateurs et d'agir en conséquence dans un secteur qui évolue rapidement. La Mutuelle du Canada a eu du succès, et c'est le deuxième assureur sur le marché canadien. Je le répète, nous avons une part significative, qui augmente modérément, du total du marché de la gestion de patrimoines au Canada.
Nous voulons un régime qui nous permette de continuer à servir les consommateurs de la même manière et de leur dispenser d'autres services utiles qu'ils sont susceptibles d'exiger. Selon le tour que prendra le secteur des services financiers, de nombreuses options s'offriront à nous, mais nous voulons néanmoins pouvoir continuer à jouer un rôle déterminant.
Est-ce que cela signifie que nous allons grossir et faire de l'ombre à certaines grandes banques? Je n'en sais rien, mais je pense que c'est là un peu trop nous demander. Est-ce que nous allons être compétitifs? Bien évidemment. Nous l'avons été par le passé et nous le resterons à l'avenir.
Nous ne recherchons pas de protection spéciale, mais nous demandons la suppression d'un certain nombre de ces disparités face à la concurrence qui se sont accumulées au fil des années. Nous sommes alors disposés à affronter directement la concurrence, à l'intérieur de nos structures et en comptant sur nos points forts traditionnels, pour le plus grand bénéfice des consommateurs canadiens.
Le sénateur Austin: Est-ce que vous envisagez d'émettre des cartes de crédit et de débit et de participer aux opérations bancaires électroniques?
M. Astley: C'est concevable. Je n'irai pas jusqu'à dire que le jour où les questions relatives au système de paiements seront résolues, nous allons dès le lendemain nous lancer dans des attaques tous azimuts dans certains de ces secteurs. Il n'en reste pas moins que nous envisagerons de tirer parti des possibilités offertes par le commerce électronique dans différents secteurs de nos activités lorsque cela nous paraît utile pour les consommateurs.
Nous ne sommes pas sûrs que les consommateurs canadiens aient besoin d'avoir davantage le choix en matière de cartes de crédit et il nous faudrait procéder à de nombreuses recherches avant de nous convaincre d'une telle utilité, mais il y a d'autres secteurs dans lesquels nous voulons en fait offrir davantage de choix aux consommateurs.
Le sénateur Austin: Je pensais plutôt à Interac qui permettrait aux clients, lorsque le système entrerait pleinement en fonction, de verser leurs primes et de toucher leurs prestations. Vous pourriez ainsi faire des opérations financières par des moyens entièrement électroniques et exploiter un système assez proche de celui qui existe pour les dépôts bancaires.
M. Astley: En effet, et vous faites là allusion à une possibilité très importante qui permettrait, par exemple, d'accéder à toute une famille de fonds communs de placement que le client possède éventuellement, dont la valeur unitaire pourrait être déterminée quotidiennement avec une possibilité d'accès immédiat au compte.
Les clients de Manuvie ont quelque 4 milliards de dollars de fonds communs de placement. À l'heure actuelle, ces fonds doivent être transférés dans un compte bancaire, puis le client doit faire un chèque et calculer à quel moment les fonds vont être crédités à ce compte. L'informatique va permettre aux clients de se servir de ces fonds pour faire un paiement de carte de crédit, un dépôt sur l'achat d'une maison ou tout autre placement. C'est un secteur plein d'avenir qui va faciliter la vie du consommateur et lui donner davantage de choix.
Le sénateur Austin: Je pense que ça mettra davantage les entreprises sur un pied d'égalité que le rapprochement entre la SADC et la SIAP. Préférez-vous que le gouvernement abaisse la garantie de l'une ou remonte celle de l'autre?
M. Astley: Les deux solutions présentent des avantages et il pourrait même y avoir des variantes qui mettraient les deux organismes sur un pied d'égalité tout en permettant d'accéder au fonds du Trésor public de manière à faciliter l'évolution du secteur.
Nous demandons instamment que ces options et ces variantes fassent très rapidement l'objet d'une étude menée par les représentants du secteur de l'assurance, du secteur des banques et du gouvernement pour que l'on décide de la voie à suivre.
Nous ne voulons pas qu'il y ait un délai d'attente de trois à cinq ans avant que des solutions soient trouvées; ce délai devrait être plutôt de 12, 15 ou 18 mois. Ce sont des questions complexes qui doivent être étudiées à fond.
Le sénateur Austin: Je suis curieux de savoir pour quelle raison le rapport MacKay ne s'est pas penché sur la question intéressante de savoir si l'on doit autoriser les grosses banques à faire l'acquisition des grosses sociétés d'assurance-vie. Toutefois, ce n'est pas à vous d'y répondre.
L'une des façons d'envisager la concurrence consiste à dire que l'on ne devrait pas autoriser les banques à acquérir les grandes sociétés d'assurances démutualisées dont les actions sont largement détenues dans le public, de manière à préserver la concurrence et à s'opposer à la concentration horizontale des différents piliers du secteur des services financiers. La politique des pouvoirs publics dépendra en fait de la possibilité pour le secteur de l'assurance-vie de concurrencer efficacement les banques.
Que pensez-vous de la possibilité pour les banques de faire l'acquisition des sociétés d'assurance-vie?
M. Astley: Je reviens aux deux grands principes que je juge importants dans tous ces débats.
Tout d'abord, il faut conserver une forte concurrence dans tout le secteur des services financiers et, en second lieu, il faut que les clients puissent bénéficier de tout l'éventail de choix selon les différents modèles.
Le rapport MacKay évoque en fait ce qui se passe dans d'autres pays où il y a eu des alliances entre les banques et les assureurs. L'un des sénateurs a d'ailleurs mentionné -- je pense que c'était vous, sénateur Austin -- que l'on pouvait prévoir que les sociétés d'assurances seraient un jour à la tête de gros conglomérats financiers.
À mon avis, compte tenu de ces deux principes liés à la concurrence et au choix du consommateur, on ne devrait pas chercher à l'intérieur de l'ensemble de la structure à séparer complètement les différents opérateurs.
En réalité, les banques ont déjà le pouvoir d'acheter des sociétés d'assurances, et les assureurs d'acheter des sociétés de fonds communs de placement et des banques. Elles en ont les moyens. Certaines banques sont un peu trop grosses pour que La Mutuelle du Canada puisse envisager d'en faire l'acquisition, mais il n'en reste pas moins, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, que nous avons effectivement une société de fiducie dans notre groupe de sociétés. Nous en avons fait usage au cours des années et je pense que différents types d'alliances sont possibles à terme.
Le sénateur Austin: Vous n'avez peut-être pas la capacité d'acheter de grosses sociétés, mais les grosses banques ont la capacité de vous acheter, et c'est là qu'est le dilemme pour les pouvoirs publics. Je sais que la réponse n'est pas évidente. Je vous remercie.
Le sénateur Kelleher: À la dernière page de votre mémoire, à la rubrique intitulée «Accroître le pouvoir du consommateur», vous déclarez:
Nous ne souscrivons pas à la vision du rapport qui propose une réglementation et des règles de conformité accrues à ce niveau. Cela s'avérerait trop onéreux pour les consommateurs et pour les sociétés, accroîtrait les frais d'administration et ne serait pas favorable à un marché caractérisé par l'évolution rapide de la concurrence et l'innovation.
Même si je suis d'accord avec cette déclaration, et si je suis évidemment contre un excès de réglementation, il est évident que le groupe de travail MacKay a estimé qu'il fallait faire quelque chose ici pour protéger le public, sinon il n'aurait pas fait cette recommandation.
Compte tenu du fait que le groupe de travail MacKay propose une méthode, en tant que patron d'une grosse société du secteur, quelle solution de rechange proposez-vous?
C'est bien beau de critiquer le rapport MacKay de ce point de vue, mais que proposez-vous pour dissiper ses craintes s'il estime qu'il faut davantage de protection?
M. Astley: Tout d'abord, je tiens à vous préciser que le secteur de l'assurance est très différent du secteur des banques. Une grande partie de nos activités sont réglementées au niveau provincial, alors que ce n'est pas le cas pour les activités bancaires.
Je le signale parce que le risque que la réglementation soit trop lourde ou fasse double emploi est bien plus élevé pour les sociétés d'assurances qu'il ne l'est pour les établissements bancaires fédéraux. Toutefois, je tiens à préciser, sénateur, que moi-même comme mes collègues du secteur de l'assurance, nous ne voyons absolument aucun inconvénient à ce que des mesures volontaires, des codes de déontologie et même des dispositions législatives, lorsque cela s'avère nécessaire, permettent d'apaiser les craintes des consommateurs dans les secteurs importants.
Ainsi, la législation provinciale exige depuis des années que l'on dispense une formation et que l'on octroie des permis aux intermédiaires, mesure à laquelle nous sommes tout à fait favorables et que nous continuons à peaufiner en collaboration avec les responsables provinciaux de la réglementation. Il y a des conseils de l'assurance et différents organismes de surveillance.
Ma crainte, si l'on adoptait des lois et des règlements dans tous ces domaines, c'est qu'elles deviennent rapidement dépassées, lourdes et trop encombrantes. Les sociétés d'assurances, et les banques aussi, je pense, se sont résolument engagées sur la voie de l'autoréglementation. Nous avons adopté des codes de déontologie concernant le respect de la confidentialité. Il y a un certain nombre de lignes de conduite qui conditionnent l'affiliation à l'ACCAP, les entreprises étant censées respecter ces lignes de conduite afin de bien se comporter vis-à-vis des consommateurs.
De manière générale, j'ai le sentiment qu'il faut limiter la réglementation et les dispositions législatives aux domaines dans lesquels la nécessité de protéger l'intérêt public est prouvée et lorsque les entreprises du secteur n'arrivent pas à s'autoréglementer. C'est ainsi que j'envisage le problème de manière générale.
C'est la confiance du consommateur qui décide finalement de notre sort et par conséquent mon entreprise, de même que nos concurrents, veut s'assurer qu'elle répond aux attentes des consommateurs. Nous estimons que nous avons tout à gagner à opérer dans le cadre d'un régime équilibré faisant appel à la réglementation et aux dispositions législatives lorsque c'est nécessaire, mais qui s'appuie avant tout sur l'autoréglementation.
Le sénateur Kelleher: À la suite de la proposition faite dans le rapport MacKay, qui de toute évidence a été faite parce que l'on avait l'impression que la protection était insuffisante, est-ce que l'on a dans votre secteur avancé une série de propositions, en plus de celles qui existent déjà, pour procéder à une autoréglementation et veiller à la protection du consommateur?
M. Astley: Dans le domaine de la protection des renseignements confidentiels, par exemple, c'est notre secteur qui a été au début des années 80 le premier au Canada à adopter des directives d'application volontaire.
Le sénateur Kelleher: Je comprends bien, mais pour répondre au rapport MacKay, dans lequel on juge manifestement que cette protection est insuffisante, est-ce que vous-même ou les entreprises de votre secteur avez fait des propositions pour apaiser ces craintes?
M. Astley: Au cours des six dernières semaines, je vous répondrai que non, que nous n'avons pas fait de telles propositions. Je vous signalerai cependant une chose, qui participe de cette évolution. Cela s'est produit début septembre, après l'annonce en mai ou juin dernier. Le Centre d'information des consommateurs, dont l'ACCAP assurait l'exploitation depuis 25 ans en mettant des lignes téléphoniques gratuites au service des consommateurs, a été rebaptisé Centre d'aide aux consommateurs. Il s'est par ailleurs agrandi car on lui a ajouté un service de protection des consommateurs chargé d'aider les consommateurs à résoudre les problèmes qu'ils n'ont pu résoudre jusqu'alors en compagnie des sociétés d'assurances.
C'est là un exemple de projet volontaire qui montre à notre avis que nous avons évolué pour venir en aide aux consommateurs dans ces domaines délicats et complexes.
Le sénateur Kelleher: Une dernière question, monsieur le président.
Je vous renvoie à la page 8 de votre rapport, à la rubrique «Règles de propriété.» J'aurais pensé qu'à ce chapitre vous alliez répondre à la recommandation du comité touchant le recours accru aux sociétés de portefeuille. Avez-vous un commentaire à faire au sujet de cette recommandation précise du rapport MacKay?
M. Astley: Oui, je ferai certainement un commentaire, monsieur le sénateur. Nous avons choisi de ne pas insister sur ce point particulier dans notre mémoire parce que nous voulions privilégier les domaines que nous jugions particulièrement importants.
Nous sommes en faveur des propositions autorisant les sociétés financières de portefeuille. Nous considérons qu'il s'agit là d'une évolution assez normale. Il y a des sociétés financières de portefeuille dans la plupart des autres pays du monde et nous considérons qu'elles ont fait la preuve de leur utilité. À l'heure actuelle, il y a des sociétés de portefeuille qui regroupent des sociétés d'assurances et des sociétés de fiducie depuis de nombreuses années et qui ont fait leurs preuves.
De manière générale, nous sommes favorables à cette recommandation. Nous avons choisi de ne pas le souligner dans nos commentaires.
Le sénateur Kroft: Je voudrais revenir au cadre général et aller dans le même sens que le sénateur Austin.
Aux pages 38 et 39 du rapport MacKay, voici ce qu'on peut lire:
Si l'on permet aux sociétés d'assurance-vie et aux fonds communs de placement du marché monétaire d'offrir des services de paiements, cela créera une nouvelle classe de concurrents redoutables pour les banques et les autres institutions de dépôts.
Puis, plus loin:
Les canaux de distribution et les institutions financières finiront par changer tellement et par devenir si intégrés [...] ce que nous appelons aujourd'hui des banques, des sociétés de fiducie, des coopératives de crédit, des sociétés d'assurances, des sociétés de fonds communs de placement ou des courtiers en valeurs mobilières pourraient bien devenir méconnaissables d'ici une dizaine d'années.
Hier, le représentant de la Banque de Commerce, M. Flood, a dit avec passion souhaiter la disparition du mot «banque» de notre vocabulaire et son remplacement à l'avenir par «institution financière».
Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant la possibilité que le public ait davantage de fonds communs de placement à acheter. Lorsque je consulte dans les pages financières la liste des fonds communs de placement disponibles, je vois que le choix ne manque pas.
Ce qui me préoccupe, ce sont les opérations bancaires de base et l'accès au crédit pour les personnes qui exploitent des entreprises, notamment des petites et moyennes entreprises. À bien des égards c'est effectivement l'objet premier du rapport MacKay, et à d'autres ça ne l'est pas alors que ça devrait l'être.
Comme le sénateur Austin, je considère qu'il y a là un tout et que les propositions qui sont faites ne le sont pas au hasard. Ce sont en fait des conditions préalables pour que les sociétés d'assurances et les autres établissements soient en état d'exercer réellement leur concurrence. Voilà quelle est la toile de fond.
Toutefois, à vous entendre, vous n'avez pas la moindre intention d'ajouter sous une forme ou une autre à la concurrence qui s'exerce dans les opérations bancaires de base, autrement dit, de contribuer à élargir les possibilités de crédits mis à la disposition des consommateurs, qu'il s'agisse des particuliers ou surtout des petites entreprises.
Vous vous réjouissez de pouvoir étendre vos activités à la gestion de patrimoines. Je ne pense pas que ce soit là un objectif du rapport MacKay qui ferait par exemple que le secteur de l'assurance vienne renforcer les possibilités de crédit qui s'offrent dans notre pays. Est-ce que mon analyse est injuste?
M. Astley: Il faudrait peut-être, sénateur, que je vous décrive rapidement les activités de placement et de prêts qui sont celles de mon entreprise. C'est peut-être par là qu'il faut commencer avant de répondre à votre question sur les prêts aux petites entreprises.
Le sénateur Kroft: Et à celles qui le sont moins.
M. Astley: Les activités de prêts que La Mutuelle du Canada estime pouvoir exercer avec profit sont très étendues. Nous investissons dans les hypothèques de maisons unifamiliales. Ma société a une part significative du financement de la construction de maisons à Toronto, à Calgary et à Vancouver et concurrence directement les banques pour ce qui est de financer les constructeurs.
Nous accordons des crédits à un large éventail de sociétés de prêts-bail, qui louent du matériel aux petites entreprises. Nous finançons les hypothèques commerciales des propriétaires dont les locaux abritent de petites, moyennes et grosses entreprises.
Je vous dirai carrément que dans le secteur très précis des prêts d'exploitation, nous n'estimons pas pouvoir concurrencer efficacement les banques à charte parce que nous n'avons pas accès aux entrées et aux sorties quotidiennes d'argent.
Certains de mes collègues actuels et de mes anciens collègues dans le secteur des banques me parlent des prêts aux petites entreprises et de la pratique qui consiste à contrôler chaque jour les fonds de roulement pour savoir si le prêt est bien géré. Je sais que c'est un domaine dans lequel La Mutuelle ne serait pas efficace. Je ne vais donc pas vous dire que nous allons participer activement à cette activité particulière de prêts aux petites et moyennes entreprises.
Nous prêtons effectivement de l'argent aux entreprises et nous les finançons de bien des manières, mais non en leur accordant des marges de crédit d'exploitation leur permettant de gérer quotidiennement leurs stocks, leurs comptes-clients et autres entrées et sorties d'argent de ce genre. Il est effectivement très peu probable que La Mutuelle exerce sa concurrence dans ce secteur.
Le sénateur Kroft: Merci. C'est la seule question que j'avais à vous poser.
Le président: Monsieur Astley, j'aimerais vous poser une dernière question. Je ne vois pas bien ce que vous voulez nous dire lorsque vous affirmez dans votre mémoire:
[...] la recommandation du groupe de travail d'étendre les pouvoirs de vente au détail d'assurance dans les succursales bancaires et de permettre l'accès aux fichiers des clients semble prématurée. Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait réexaminer les enjeux d'une telle décision et tenter de mieux comprendre les inégalités qui existent encore au plan concurrentiel par le biais d'échanges et de discussions avec les assureurs et les institutions de dépôt.
Après avoir lu ce passage à plusieurs reprises, je ne vois que trois interprétations possibles, et je voudrais que vous me disiez quelle est la bonne.
La première interprétation, c'est que votre secteur a totalement changé d'avis sur la question par rapport à la très forte opposition qu'il a toujours exprimée à ce sujet.
La deuxième interprétation possible, c'est que votre secteur trouve qu'il y a un certain nombre de bonnes choses dans le rapport MacKay et qu'il considère qu'il faut faire des compromis. Il lui faut par conséquent donner quelque chose en contrepartie de ce qu'il reçoit. Ce que vous êtes prêt à concéder, c'est la vente d'assurance par les succursales bancaires.
La troisième interprétation possible, c'est qu'en parlant de décision prématurée, en réclamant la poursuite du dialogue, et cetera, vous cherchez finalement à faire traîner les choses en longueur pour obtenir tout ce qui vous convient dans le rapport MacKay et vous apercevoir ensuite, lorsque toutes ces discussions et ce dialogue n'auront mené absolument nulle part, que vous n'avez plus rien à concéder sur la question de la vente d'assurance au détail.
Quelle est la bonne interprétation de votre attitude?
M. Astley: La première, c'est que nous aurions changé d'avis?
Le président: Oui. Selon la deuxième, ce serait un simple compromis politique. Pour obtenir ce que vous voulez, vous êtes prêt à donner quelque chose. Selon la troisième, il s'agirait d'une tactique dilatoire visant à obtenir ce que vous voulez puis à vous opposer ensuite sur ce point.
M. Astley: Monsieur le président, sans vouloir faire preuve d'esprit de contradiction, je pense que c'est une quatrième interprétation qui est la bonne.
Le président: Je suis heureux que vous puissiez nous dire exactement quelle est votre pensée. Vous savez, on ne peut parler de coïncidence lorsqu'un secteur qui s'est jusque-là résolument opposé à la vente d'assurance au détail change soudainement d'avis. Ma question, c'est pourquoi? La seule chose que je peux voir, c'est que vous estimez qu'il vous faut changer d'avis si vous voulez pouvoir profiter de tout ce qu'il y a de positif dans cette proposition.
Je vous signale en passant que j'admets les compromis et que je n'y suis pas opposé. J'essaie simplement de comprendre si c'est ce que vous pensez avoir fait.
M. Astley: Je parlerai au nom de mon entreprise. Nous avons délibérément décidé de ne pas faire de la vente d'assurance au détail par les succursales bancaires l'enjeu unique de ce débat. Nous ne voulions pas nous présenter devant votre comité, ou devant le comité de la Chambre des communes, en disant que les questions qui touchent la vente au détail d'assurance par les succursales bancaires sont les seules qui comptent dans le rapport MacKay. Il y a d'autres enjeux importants pour le consommateur ainsi que du point de vue des règles de la concurrence.
Lorsque vous dites que mon entreprise et d'autres intervenants au sein du secteur de l'assurance s'y opposaient systématiquement par le passé, c'est parce qu'elle était présentée isolément étant donné l'état de la concurrence à l'époque et l'évolution des marchés à la consommation.
J'ai déclaré que les problèmes liés aux ventes coercitives, à la confidentialité des renseignements sur les consommateurs, à la compétence et à l'agrément des intermédiaires, sont bien réels et très importants. J'ai dit qu'il fallait régler ces problèmes avant de prendre une décision ou de discuter de l'éventualité d'accorder aux banques le pouvoir de vendre de l'assurance au détail.
Il faut bien reconnaître cependant que les filiales bancaires ont exactement les mêmes pouvoirs que ma société en matière d'assurance. Les filiales bancaires qui vendent de l'assurance peuvent faire exactement ce que fait mon entreprise. Par conséquent, nous ne sommes pas opposés à ce qu'elles interviennent dans le secteur de l'assurance. Le Parlement leur en a donné le droit et nous affronterons cette concurrence comme nous affrontons tous les autres concurrents.
J'ai consciemment choisi de structurer nos commentaires et nos recommandations pour que la vente d'assurance au détail par les banques ne prenne pas toute la place, parce que nous estimons que dans l'ensemble du rapport MacKay il y a toute une série d'enjeux bien plus globaux. Cela dit, nous ne considérons pas cela comme un compromis, une chose venant en contrepartie de l'autre. Nous estimons que ces questions méritent d'être traitées de la façon que j'ai indiquée.
Le président: Je pense vous avoir bien compris. Vous nous dites que le rapport MacKay est un ensemble de propositions, que c'est un tout, qu'il y a certaines choses que vous aimez et d'autres que vous aimez moins et que vous êtes prêt à les accepter à condition que l'on règle les questions liées au consommateur. Comme je l'ai entendu dire par le sénateur Meighen lorsque vous avez donné votre réponse, c'est un compromis, auquel je ne vois aucun inconvénient. J'essayais de comprendre de quoi il en retournait.
Merci d'être venus. Nous vous en remercions.
Le président: Sénateurs, nous allons maintenant entendre M. Dunbar Russel, qui représente l'Association canadienne des institutions financières en assurances, ce qui correspond j'imagine, monsieur Dunbar, à ce que nous appelons les sociétés d'assurances bancaires. C'est bien ça?
M. Dunbar Russel, président-directeur général, Toronto-Dominion Life Insurance Company, président, Association canadienne des institutions financières en assurances: Elles font partie de nos membres.
Le président: Je comprends. Ce n'est qu'une partie de vos membres. Vous pourriez peut-être nous présenter en quelques mots votre organisation parce que si je me souviens bien, contrairement à la plupart des autres témoins que nous avons entendus, c'est la première fois en fait que vous témoignez devant notre comité.
Je crois savoir que vous allez présenter un exposé. Il est assez long. Je me demande si vous ne pourriez pas en exposer les grandes lignes pour que nous ayons le temps ensuite de vous poser des questions. Nous sommes tout disposés à prendre acte du texte complet dans notre procès-verbal, mais il serait utile, étant donné que le temps nous est compté, que nous puissions passer le plus tôt possible aux questions.
M. Russel: J'ai ici à mes côtés mes collègues M. Bernard Dorval et M. Isaac Sananes. Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité de nous avoir donné l'occasion de faire connaître notre point de vue au sujet du projet élaboré par le groupe de travail MacKay en ce qui concerne le secteur canadien des services financiers.
Je commencerai par vous dire quelques mots de l'Association canadienne des institutions financières en assurances. L'ACIFA a été créée l'année dernière pour représenter les institutions financières qui vendent de l'assurance selon différentes méthodes de distribution. Nous représentons une part substantielle du marché actuel de l'assurance et nous sommes en pleine croissance. Parmi les membres de l'ACIFA, on retrouve les principaux fournisseurs d'assurance-voyage et les deux principales entreprises de souscription directe d'assurance dans le pays. Plusieurs de nos membres font partie des dix plus grosses entreprises de souscription de nouveaux produits d'assurance-vie au Canada.
Le président: Qu'est-ce qu'une «entreprise de souscription directe d'assurance»? C'est une expression que je n'ai jamais entendue.
M. Russel: Il y a souscription directe lorsque vous recevez par courrier une offre d'assurance-vie et que vous répondez directement à la société d'assurances, sans aucun contact personnel, ou lorsque vous le faites en branchant votre ordinateur personnel.
Le président: Est-ce que cela englobe les sollicitations par téléphone?
M. Russel: Oui.
Le président: Merci. Je ne voyais pas exactement de quoi il s'agissait.
M. Russel: Nos membres sont divers et il y a des représentants des ventes au détail, des coopératives, comme les caisses Desjardins, des filiales des banques et des sociétés de fiducie dans le secteur de l'assurance ainsi que d'autres organisations. Nos membres vendent des assurances-vie, des assurances multirisques, des assurances-voyage, des assurances sur le crédit, des services de réassurance ainsi que d'autres produits. Nous vendons par l'intermédiaire de centres d'appel, de mandataires et de courtiers, d'agents de voyage, de succursales de dépôt pour les produits autorisés, du publipostage et de l'Internet.
Nous sommes à l'heure actuelle le seul organisme d'assurance dont les membres exercent tous les types d'activités. Notre diversité nous permet d'adopter une vue globale du régime réglementaire qui s'applique au marché de l'assurance. Nous avons en commun le désir de promouvoir le plus grand éventail de choix possible pour les consommateurs qui achètent de l'assurance. Tous les jours, nous créons de nouveaux emplois et nous servons de nouveaux clients au Canada. Nous avons créé près de 2 000 emplois depuis 1993. L'ACIFA représente l'avenir du secteur de l'assurance.
Notre conception du secteur est axée sur les besoins de nos clients. Nous voulons leur offrir un maximum de choix et un accès diversifié à des produits et à des services de qualité et bon marché. En plus d'avoir le choix et de bénéficier d'un bon service, nous voulons que les consommateurs soient respectés et informés. La création d'emplois dont profitent les Canadiens est le résultat logique de notre croissance et du service que nous fournissons aux clients.
Nous nous félicitons de voir que le groupe de travail a recommandé que l'on autorise les consommateurs à acheter de l'assurance par l'intermédiaire des succursales d'un établissement de dépôt et qu'ils reçoivent l'information dont ils ont besoin. Cette politique va profiter aux consommateurs sur trois plans: une baisse des frais de distribution, une amélioration du service et la possibilité, pour davantage de gens, d'avoir accès à des services d'assurance.
Étant donné que le marché est en pleine expansion, le groupe de travail a discrédité la thèse selon laquelle le renforcement de la concurrence dans le secteur de l'assurance au Canada entraînerait inévitablement d'énormes pertes d'emploi chez les courtiers et d'autres opérateurs au sein du système. Les expériences faites au Québec et dans divers pays du monde nous montrent bien que différents types de distributeurs peuvent se côtoyer et continuer à prospérer. Les activités d'assurance menées par les banques en Europe ont très peu bouleversé le marché.
Le Québec est un bon exemple. Le groupe de travail a fait observer que les agents d'assurance, les courtiers et les différentes sociétés continuent à y exercer fortement leur concurrence en dépit du fait que depuis dix ans les établissements de dépôt y vendent de l'assurance au détail. En fait, depuis dix ans que les Caisses populaires vendent de l'assurance multirisques, le nombre de courtiers d'assurance multirisque agréés au Québec est resté relativement stable, 216 courtiers agréés ayant disparu sur un total de 5 000. Parallèlement, le nombre d'emplois liés à l'assurance dans les Caisses populaires Desjardins a triplé, passant à 1 625 postes.
Notre groupe a relevé par ailleurs avec intérêt que le groupe de travail s'est expressément prononcé pour une bonne information du client dans le domaine de la commercialisation des assurances, reconnaissant que les consommateurs pourraient en retirer un grand profit d'un point de vue pratique et sur le plan de la réduction des coûts. Cela permettrait aussi d'éliminer les gaspillages, les frais et les inconvénients de la politique actuelle, qui exige que la commercialisation s'adresse à l'ensemble des clients et non pas à des catégories précises de consommateurs. En conséquence, les consommateurs reçoivent des publicités pour des produits qu'il n'est absolument pas question qu'ils achètent. C'est ainsi que l'on finit par envoyer des renseignements sur l'assurance-automobile à des gens qui n'ont pas de voiture et que des enfants reçoivent des brochures publicitaires sur des produits liés à la retraite.
L'ACIFA sait bien que la question de la confidentialité est très importante pour les consommateurs. C'est pourquoi tous nos membres ont mis en place des politiques visant à s'assurer que les renseignements sur les consommateurs, à l'image des renseignements médicaux que nous recevons lorsque nous vendons certains contrats d'assurance, sont traités avec un maximum de précaution. Nous appuyons les objectifs et le principe des recommandations du groupe de travail dans ce domaine et nous sommes tout disposés à collaborer avec les fonctionnaires du gouvernement lorsque des politiques précises seront élaborées.
Pour ce qui est des ventes liées coercitives, je n'insisterai jamais trop sur le fait que les membres de l'ACIFA n'admettent pas ces pratiques et ont mis en place des politiques visant à s'assurer qu'elles ne se produisent pas. C'est une affaire grave et elle doit être traitée comme telle. Il est cependant primordial de faire la distinction entre l'interfinancement ou le regroupement des produits, qui peuvent être profitables aux consommateurs, et les ventes liées coercitives. Le groupe de travail a confirmé que l'on ne doit pas écarter la possibilité d'acheter de multiples produits auprès d'un seul fournisseur par crainte qu'il s'agisse de ventes liées.
Nous sommes favorables à l'économie générale du projet de loi sur la confidentialité qu'étudie actuellement la Chambre des communes et qui vise à protéger les renseignements sur les consommateurs. Nous sommes aussi en faveur de la disposition s'appliquant aux ventes liées qui vient d'être incorporée à la Loi sur les banques et nous estimons qu'elle doit être étendue à d'autres branches du secteur des services financiers.
Le groupe de travail MacKay a fait ce qu'il avait à faire, il nous reste à agir. On ne peut pas attendre davantage sans risquer que le Canada soit encore plus à la traîne par rapport aux autres marchés dans le monde. Votre comité a la possibilité d'en finir avec les solutions parcellaires pour ce qui est de la vente d'assurance au détail. Il convient de s'opposer avec force à une solution qui consisterait à prendre une recommandation ici ou là. Il est temps que le Canada s'aligne sur le reste du monde. Il est temps de conférer à la population canadienne plus de possibilités de choix, un meilleur accès à l'assurance et des produits d'assurance plus compétitifs.
Le sénateur Kelleher: C'est peut-être difficile à croire, monsieur le président, mais je reste sans voix après avoir entendu cet exposé. Je ne m'attendais certainement pas à ce qu'un représentant du secteur vienne nous dire qu'il est tout à fait normal que les banques puissent vendre de l'assurance par l'intermédiaire de leurs succursales. Vous m'avez laissé pantois. Je n'ai pas vraiment de questions insidieuses à vous poser, mais je vais quand même me lancer.
Notre comité n'a pas vraiment réussi à savoir exactement pour quelle raison les sociétés d'assurances s'opposaient de manière aussi véhémente à ce que les banques puissent vendre de l'assurance par l'intermédiaire de leurs succursales, et voilà que vous venez nous dire que vous n'y voyez aucun inconvénient. À votre avis, qu'est-ce qui fait que le secteur de l'assurance s'oppose aussi résolument à ce que les banques vendent de l'assurance dans leurs succursales?
M. Russel: Je vais vous donner une première réponse et mes collègues pourront ensuite la compléter parce que les membres de notre équipe se relaient et ont chacun leur propre opinion.
Nous ne pouvons pas parler au nom des autres entreprises du secteur, mais je sais que certains ont peur qu'il y ait trop de concurrence sur le marché. Notre association en particulier ainsi que les entreprises de nos membres sont très axées sur le marché et sur les consommateurs, ce qui signifie que nous nous intéressons à ce que veut le consommateur.
Les recherches que nous avons faites nous révèlent qu'ils veulent avoir le choix. Nous faisons beaucoup de commercialisation et nous savons qu'ils veulent avoir un bon accès aux produits. Notre secteur a besoin de placer ses produits là où les consommateurs vont les rencontrer. Nous voulons plus particulièrement que les consommateurs de la classe inférieure et de la classe moyenne, qui représentent le plus gros du marché, aient la possibilité d'acheter de l'assurance, parce que les Canadiens sont sous-assurés.
Avec un meilleur accès, que ce soit par l'intermédiaire des succursales ou de la vente directe, nos membres auront la possibilité de distribuer leurs produits de manière bien plus rentable, ce qui leur permettra d'en faire bénéficier les consommateurs. Notre argumentation se fonde essentiellement sur le fait que nous nous sommes donnés comme mandat de multiplier les choix qui s'offrent aux consommateurs. Je pense qu'il vous faudra demander à certains de nos concurrents pourquoi ils insistent tellement pour que les consommateurs n'aient pas cette possibilité.
Le sénateur Kelleher: Je comprends votre argument. Il semble toutefois que nous ayons bien du mal à obtenir des réponses de la part des sociétés d'assurance multirisques. Nous ne voulons pas tirer de conclusions, même si je pense que nous en avons déjà tiré quelques-unes. Par conséquent, nous aimerions que vous nous disiez, si vous n'y voyez pas d'inconvénients, pourquoi à votre avis ils s'y opposent avec tant d'acharnement.
M. Russel: J'ai été de l'autre côté de la barrière puisque j'ai travaillé pendant 25 ans dans la branche concurrente du secteur de l'assurance avant d'occuper mon poste actuel, et je pense qu'il y a là une crainte réelle et que les gens ont peur des consolidations. Le secteur est très concurrentiel et l'on a peur que les nouveaux arrivants représentés par notre association et que les nouvelles techniques de commercialisation, y compris le recours aux succursales, vont leur faire perdre une bonne part de leur marché. C'est un problème qui se pose dans les pays qui ont ouvert leur marché. Au Royaume-Uni, en Europe et ailleurs, entre 15 et 20 p. 100 des consommateurs ont choisi de souscrire leurs assurances par les différents moyens dont nous venons de parler.
En somme, je vous répondrai qu'à mon avis ils craignent l'arrivée de nouveaux concurrents parce que cela va réduire les marges, faire diminuer les prix payés par les clients et imposer davantage de créativité sur le marché. Nous considérons que ce sont là de bonnes choses, et le consommateur devrait penser de même.
Le sénateur Kelleher: Je suis sûr que vous êtes au courant des nouvelles dispositions législatives qui viennent d'entrer en vigueur au sujet des ventes liées. Pensez-vous que ces nouvelles dispositions vont être suffisantes pour apaiser la majorité des craintes qui ont été exprimées en maintes reprises au sujet des banques, qui sont susceptibles de recourir à des ventes liées si elles se lancent dans l'assurance?
M. Bernard Dorval, vice-président exécutif, Assurances, Canada Trust, vice-président, Association canadienne des institutions financières en assurances: Je pense que dans notre bref exposé, nous avons dit clairement que notre association n'acceptait d'aucune façon les ventes liées et que nos membres avaient mis en place des mécanismes et des politiques visant à s'assurer que la chose ne se produise pas. Je considère que c'est une question très grave et nous avons dit à maintes reprises que nous sommes tout à fait disposés à oeuvrer avec les responsables de la réglementation pour contribuer à mettre en place tout ce qui est nécessaire pour leur donner satisfaction à ce sujet.
Il s'agit là d'une question complexe et il faut faire la différence entre les ventes liées et l'interfinancement. L'interfinancement profite aux consommateurs sur le plan pratique et il lui permet d'accéder à davantage de produits. Les principes fondamentaux de la commercialisation nous enseignent qu'il est toujours bon sur le plan commercial que le client achète plusieurs produits à la même entreprise. Il ne s'agit pas par là d'obliger les clients à acheter les produits de l'entreprise mais, si la commercialisation est bien faite, on s'attache le consommateur en lui vendant plusieurs produits. Par principe, personne n'a intérêt à ce qu'il y ait des ventes liées.
Le sénateur Kelleher: Je vous sais gré de cette réponse, mais je vous avais demandé de faire des commentaires et de nous donner votre avis concernant l'efficacité de la nouvelle législation qui vient d'entrer en vigueur au sujet des ventes liées. Pensez-vous qu'elle va apaiser nombre de craintes touchant les ventes liées?
M. Russel: Nous sommes en faveur de la législation actuelle. Nous estimons qu'elle sera efficace. Nous avons des craintes au sujet de l'application de cette législation aux ventes par téléphone ou aux ventes faites par des moyens électroniques lorsqu'on ne peut pas disposer d'un document divulguant l'existence d'une vente liée en présence du client. Nous estimons toutefois que l'on peut remédier au problème. La plupart de nos membres qui commercialisent directement leurs produits selon ce type de méthode enregistrent en fait toutes les conversations sur bande magnétique pour en garder trace. Nous considérons qu'il est possible de tenir informé le client au sujet des ventes liées, conformément aux dispositions du projet de loi, lorsqu'on utilise des moyens électroniques.
L'essentiel, c'est que nous fassions notre part; nous estimons que la nouvelle loi donnera des résultats. Il faut l'essayer et voir ce qui se passe. C'est une question complexe et, comme l'a dit tout à l'heure un sénateur, elle est subjective. Nous trouvons que les nouvelles dispositions législatives sont prometteuses et nous espérons qu'elles seront mieux perçues que ce qui existait par le passé.
Le sénateur Oliver: Dans votre mémoire et dans votre exposé vous avez fait des observations d'ordre général sur la confidentialité. J'aimerais que vous nous donniez davantage de détails. Vous nous dites, par exemple, que votre organisation sait que la question de la confidentialité est très importante pour les consommateurs. Je pense que de manière générale tout le monde en convient. Toutefois, vous nous dites que tous vos membres ont instauré des politiques pour s'assurer que les renseignements sur les consommateurs sont traités avec le plus grand soin. Voilà qui ne nous donne pas trop de garanties.
À l'heure actuelle, ce que recherchent avant tout les entreprises du secteur des services financiers, ce sont des mines de données les informant au sujet des clients et leur fournissant des renseignements confidentiels. Cela ressort à l'évidence des statistiques des sociétés de cartes de crédit qui vendent des produits financiers; ces entreprises connaissent non seulement le montant de l'actif et du passif des particuliers, elles connaissent aussi leur mode de vie. Les sociétés qui font de l'assurance disposent elles aussi de renseignements confidentiels sur les dossiers médicaux des particuliers. Il m'apparaît donc qu'il nous faut plus qu'une simple déclaration reconnaissant que la question de la protection des renseignements confidentiels est très importante pour les consommateurs.
Que faites-vous à ce sujet? Pouvez-vous nous dire précisément ce que vous avez fait pour vous assurer que vous n'allez pas vous servir des dossiers médicaux pour décider ou non de vendre d'autres types de produits financiers?
M. Isaac Sananes, directeur général, Canadian Premier Life Insurance: Nos membres nous garantissent qu'ils ne se servent pas des dossiers médicaux pour prendre des décisions sur des questions telles que la capacité de crédit.
Le sénateur Oliver: Comment vous le garantissent-ils? Qu'est-ce que vous faites? Quelle est la procédure que vous adoptez?
M. Sananes: Notre entreprise est un assureur qui fait de la vente directe. Au moment de l'adhésion du client, nous n'avons pas accès à son dossier médical. Nous n'avons que son nom, le numéro de sa carte de crédit, son adresse et son numéro de téléphone. Le dossier médical ne fait pas partie de notre stratégie de commercialisation.
Le sénateur Oliver: Est-ce que votre entreprise reçoit à l'occasion le dossier médical de certains de vos clients?
M. Sananes: Non, sauf lorsqu'il y a une demande de paiement.
Le sénateur Oliver: Est-ce que vous le recevez alors?
M. Sananes: Oui.
M. Russel: Nous recevons effectivement le dossier médical de certains de nos clients. Nous ne l'avons pas au départ, mais si l'affaire est suffisamment importante ou complexe, nous recevons bien le dossier médical. Il est conservé dans un autre service de la société d'assurances.
Le sénateur Oliver: Est-ce qu'il va dans un autre service à l'intérieur de votre succursale?
M. Russel: Nous avons un bureau centralisé. Nous n'avons pas de succursales disséminées dans le pays. Les renseignements sont directement envoyés aux souscripteurs professionnels, qui se penchent sur les dossiers médicaux en compagnie des experts en médecine pour déterminer dans quelle mesure on va attribuer une cote particulière ou une cote normale à telle ou telle personne, ou encore la refuser. Le dossier médical reste confidentiel. Nos politiques s'appliquant à la confidentialité sont très strictes et ces renseignements ne sont jamais utilisés ailleurs.
Le sénateur Oliver: Qui a accès au service dans lequel les dossiers médicaux sont conservés? Quelle est la procédure que vous avez mise en place pour vous assurer que tous ceux qui ne sont pas habilités à utiliser ces renseignements ne peuvent se les procurer?
M. Russel: Aux termes des politiques mises en place par notre propre organisation, seuls les souscripteurs ou les membres du groupe professionnel chargés de l'examen des demandes qui ont besoin de ces renseignements y ont accès. Personne d'autre, dans toute l'organisation, n'a accès à ces renseignements.
Le sénateur Oliver: Qui détermine si quelqu'un a besoin d'avoir accès à ces renseignements? Que se passe-t-il si un souscripteur dit en avoir besoin, mais s'en sert pour vérifier la capacité de crédit d'un client? Est-ce que vous avez des moyens de contrôle?
M. Russel: Au sein de notre établissement financier, la séparation est totale entre le service de l'assurance et les autres services. De plus, nous avons des lignes de conduite s'appliquant à l'utilisation de ces renseignements. Ainsi, nous avons besoin de la permission du client si nous voulons utiliser ces renseignements pour toute autre chose que l'établissement du contrat d'assurance. C'est une chose qui est stipulée. D'ailleurs, nous avons des clients mystérieux qui appellent notre organisation pour essayer d'obtenir ces renseignements. C'est contrôlé en permanence. Je peux d'ailleurs vous dire, moi qui suis passé du secteur de l'assurance à ce que j'appellerais la bancassurance, que les règles et les politiques suivies par les institutions financières sont bien plus strictes, si j'en crois mon expérience, que dans l'ensemble du secteur.
Le sénateur Oliver: Pour l'instant, je ne vous ai pas entendu dire grand-chose qui puisse rassurer les clients qui voudraient que leur dossier médical reste confidentiel s'ils entrent dans votre réseau.
Vous nous dites qu'il y a une séparation totale. En quoi consiste-t-elle et quelle est la protection qu'elle offre aux consommateurs?
M. Russel: Nous séparons physiquement le secteur de l'assurance des autres services de l'établissement financier. Ces documents sont sur papier; ils ne figurent pas dans l'ordinateur. Ils sont entreposés dans des locaux fermés auxquels ne peuvent accéder que quatre ou cinq personnes qui accordent effectivement les assurances.
Le sénateur Oliver: Est-ce que ces quatre ou cinq personnes doivent signer un registre lorsqu'elles entrent dans la pièce pour prendre un dossier et signer à nouveau lorsqu'elles en ressortent? Est-ce qu'elles doivent fournir les raisons pour lesquelles elles ont besoin de ces renseignements? Est-ce que vous avez prévu ce genre de sécurité?
M. Russel: Je vous avoue franchement que je ne suis pas sûr que nous ayons prévu de telles mesures de sécurité. Il y a certainement des règles qui précisent que ces quatre ou cinq personnes sont les seules à pouvoir accéder à ces renseignements. Les dossiers ne sont pas fournis aux autres personnes qui pourraient les demander, parce qu'elles ne peuvent en justifier l'usage. Notre organisation n'est pas de grande taille et je présume qu'elles n'ont probablement rien à signer. Nous avons des moyens de contrôle pour savoir où se trouvent ces dossiers.
Le sénateur Oliver: En parlant des banques et des établissements financiers qui vendent de l'assurance par l'intermédiaire de leurs succursales, vous donnez l'exemple du Québec qui vous paraît positif, mais certaines statistiques que vous citez datent de deux ans. Disposez-vous de données et de statistiques actuelles qui prouvent que les courtiers ne perdent pas leur emploi, que le système fonctionne et que le réseau de courtage n'est pas lésé?
M. Russel: Il est intéressant de relever que le groupe de travail MacKay n'a pas recueilli de statistiques auprès des caisses Desjardins, l'un de nos membres qui, bien évidemment, connaît très bien le marché du Québec. Je pense que nous disposons des statistiques les plus à jour concernant ce marché en particulier.
Nous ne prétendons pas créer des quantités d'emplois si vous ouvrez le marché. Nous cherchons simplement à dissiper le mythe répandu par d'autres intervenants, selon lequel une foule d'emplois disparaîtront si nous ouvrons le marché. Il n'y a aucun risque de ce point de vue et il est d'ailleurs probable qu'il y aura des créations d'emploi. C'est ce qui s'est passé, pas seulement au Québec, mais aussi dans les pays européens qui ont ouvert leur marché.
Nous n'avons pas de statistiques précises ailleurs qu'au Québec, mais étant donné la proximité du Québec, nous avons pensé que ce serait intéressant. D'ailleurs, lorsque nous avons comparu devant lui, M. MacKay nous a demandé de fournir éventuellement au groupe de travail des renseignements précis concernant le Québec.
Le sénateur Oliver: Vous n'avez pas de statistiques plus récentes que ces statistiques vieilles de deux ans pour appuyer votre dossier?
M. Russel: Est-ce que nos statistiques remontent à deux ans?
M. Dorval: Ce sont les statistiques les plus récentes auxquelles nous puissions avoir accès pour l'instant.
Le sénateur Oliver: Je vous pose la question, parce qu'un certain nombre de courtiers dans nombre de provinces se sont plaints du fait que les chiffres que vous donniez dataient et n'étaient pas fiables. J'espérais que vous auriez des renseignements un peu plus frais et un peu plus professionnels.
M. Russel: Je me demande d'où vous tirez cette date de 1993 ou de 1994 pour ce qui est de nos renseignements. Autant que nous puissions en juger, nos chiffres sont les plus récents. Ils ont été recueillis au cours de l'année civile pendant laquelle a siégé le groupe de travail MacKay. Je pense que d'autres essaient de discréditer nos statistiques pour faire avancer leur propre cause.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que la Banque Toronto-Dominion possède la Société d'assurance-vie Toronto-Dominion?
M. Russel: Oui, effectivement.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que Canada Trust possède Insurance of Canada Trust?
M. Russel: Oui.
Le sénateur Tkachuk: Il faut toujours qu'il y ait davantage de concurrence mais, dans le cas des banques qui vendent au détail de l'assurance, j'ai peur de l'usage que l'on fera des renseignements fournis à la banque.
Vous avez mentionné l'enquête faite par le groupe de travail MacKay, qui montre que 17 p. 100 des Canadiens à faible revenu n'ont pas d'assurance. Est-ce qu'il y a des renseignements démographiques qui se rattachent à cette enquête? S'agit-il par exemple de jeunes ou de personnes âgées? Parfois, un jeune de 22 ans est qualifié de pauvre parce que son revenu est inférieur à 12 000 $ par an, mais où est le problème? Il est jeune. Il n'a pas d'assurance ou encore ce sont ses parents qui l'assurent.
M. Dorval: Nous n'avons pas eu accès à cette recherche détaillée ou à la méthodologie employée dans ce sondage. Je pense que le groupe de travail MacKay a effectivement envisagé un élargissement de l'offre et les avantages qu'en retireraient les Canadiens à faible revenu. De notre point de vue, il est clair que certains des produits que nous avons distribués par le passé, y compris, par exemple, des assurances hypothécaires et des assurances sur prêt, ont dans bien des cas été les seuls produits d'assurance ou la seule assurance de base auxquels ont pu avoir accès les foyers canadiens parce que ces produits leur ont été présentés dans de bonnes conditions au bon moment. Je pense que la commercialisation de l'assurance au détail s'est révélée très utile pour la population canadienne.
Le sénateur Tkachuk: La moyenne des crédits assurés est de 30 000 $. Est-ce que les banques consentent des prêts de 30 000 $ aux Canadiens à faible revenu ou s'agit-il d'hypothèques de 30 000 $?
M. Dorval: C'est la moyenne qui correspond probablement à tous les types de prêts et d'hypothèques. Il peut s'agir d'une hypothèque de 100 000 $ ou d'un prêt assuré de 5 000 $, ou encore d'une hypothèque de 50 000 $ ou d'un prêt assuré de 2 000 $. Cela recouvre un certain nombre de produits.
M. Russel: Sénateur, j'ajouterai à la réponse donnée par M. Dorval que nous n'avons pas été surpris par les chiffres qui ressortent de la recherche effectuée par le groupe de travail MacKay, parce que nous avons fait nos propres recherches sur les pays qui ont ouvert leur marché. Au Canada, le taux de pénétration de l'assurance-vie est de l'ordre de 53 p. 100, alors que dans certains pays européens il se situe aux environ de 60 ou de 65 p. 100.
Nous considérons que le système actuel, qui a bien servi le Canada, commence aujourd'hui à s'adresser davantage aux gens riches. Les ventes traditionnelles effectuées en personne par les agents d'assurance vont se poursuivre, mais aujourd'hui les agents ne peuvent plus se permettre de perdre leur temps à vendre de l'assurance sur le marché des catégories faibles et moyennes de revenus. Ils doivent s'adresser au marché des catégories supérieures pour gagner leur vie. Il y a donc tout un marché qui n'est plus exploité. Dans d'autres pays, ces clients ont tendance à s'adresser aux établissements financiers pour recevoir d'autres services et on leur offre alors la possibilité de s'assurer. Il est probable que ces clients ne sont pas aussi bien servis par le système actuel que par un marché plus ouvert.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que vous nous dites par là qu'il y a sur le marché européen 17 p. 100 de pauvres de plus qui sont assurés?
M. Russel: Non. Ce que je dis, c'est qu'en Europe, 63 à 64 p. 100 de l'ensemble de la population est assurée, contre 53 p. 100 au Canada. C'est pourquoi nous n'avons pas été surpris de constater que le groupe de travail MacKay avait relevé un écart entre le nombre de personnes assurées dans les catégories de revenus faibles et moyens.
Vous avez raison. Il y a éventuellement des gens qui n'ont pas les moyens de se payer une assurance et ils font partie de ces 35 p. 100 qui ne sont pas assurés en Europe. Nous considérons qu'en raison de la réglementation actuelle, il y a un marché mal desservi au Canada à l'heure actuelle. Si nous ouvrions notre marché et si nous donnions davantage de choix aux consommateurs, ce pourcentage diminuerait.
Le fait que ce marché soit mal desservi entraîne une responsabilité sociale, ne croyez-vous pas? Si une personne meurt sans assurance et sans autre patrimoine pour faire vivre sa famille, le gouvernement doit intervenir. Nous estimons donc que l'ouverture du marché va profiter à la société tout autant qu'aux entreprises.
Le sénateur Tkachuk: Il y a davantage de gens qui achètent de l'assurance en Europe qu'au Canada. Pensez-vous que c'est parce que les banques vendent des assurances et non pas parce que les sociétés d'assurances sont dynamiques sur ce marché?
M. Russel: Oui.
M. Dorval: Je pense qu'il est bon de se demander où s'est produite la croissance sur le marché traditionnel de l'assurance au cours des dix dernières années. Les statistiques nous montrent bien que toute cette croissance est due aux produits d'épargne et de placement et non pas aux produits d'assurance. On s'en préoccupe de moins en moins. Du point de vue de la distribution traditionnelle, il est plus logique que certains produits, de préférence à l'assurance-vie, soient distribués par l'intermédiaire du réseau traditionnel de distribution. En autorisant davantage de concurrence et la vente au détail d'assurance par un plus grand nombre de réseaux, nous allons en fait augmenter l'offre de produits.
Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Oliver a soulevé un certain nombre de questions touchant la confidentialité. Je m'inquiète parce que vous parlez dans votre mémoire du recours à la commercialisation directe et vous nous dites qu'en laissant les banques vendre de l'assurance au détail on réduira les coûts et on rendra un meilleur service aux clients. Est-ce que vous laissez entendre par là que vous allez vous servir en fait des renseignements dont dispose la banque pour commercialiser directement de l'assurance par publipostage?
M. Russel: En vertu de la loi actuelle, il y a au sein de notre établissement et dans d'autres une séparation totale entre les renseignements dont dispose la banque et ceux que peut utiliser la société d'assurances. Nous avons des membres qui sont des institutions financières et d'autres qui font de la vente au détail et qui disposent de renseignements sur les clients.
Ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les renseignements généraux qui nous permettent de placer les clients dans des catégories et adapter nos offres de produits à leurs besoins particuliers. Ce sont les renseignements dont disposent normalement les agents dans les sociétés d'assurances. Nous ne sommes pas particulièrement intéressés par les dossiers médicaux et autres renseignements confidentiels.
Le sénateur Tkachuk: De quel type de renseignements généraux sur les clients parlez-vous?
M. Russel: Nous voulons savoir où vivent les gens, quel est leur code postal, leur âge, leur nom, leur adresse -- des informations de ce type. Lorsqu'on fait des offres sur le marché en fonction de cette information, on sait en retour qui répond ou non et l'on peut adapter plus efficacement les offres en fonction de ces renseignements obtenus en retour. Nous utilisons nos propres renseignements sur les consommateurs et pas nécessairement ceux dont disposent les autres établissements. Nous pouvons acheter une grande partie de ces renseignements à d'autres organismes.
Le sénateur Tkachuk: En effet. Autrement dit, est-ce que la banque va vous vendre une liste? Elle ne va peut-être pas vous la vendre, mais elle va vous fournir exactement le type de profil dont vous avez besoin. Ce sera les noms, les adresses, les numéros de téléphone éventuellement, et tout autre renseignement susceptible d'être utile que pourra vous fournir la banque, y compris éventuellement les revenus, les cotes de crédit, etc. Vous pourrez alors mieux adapter vos produits à votre marché et par conséquent économiser de l'argent. C'est bien ça?
M. Russel: Je ne pense pas que ce soit exactement ça. Vous interprétez mes paroles.
Le sénateur Tkachuk: Je sais un peu comment ça fonctionne dans ce secteur.
M. Russel: Vous semblez en savoir beaucoup plus que moi.
Le sénateur Tkachuk: C'est vous qui avez dit posséder cette information et envisager de la remettre aux banques.
M. Dorval: En fait, nous comptons effectivement utiliser ce genre de renseignements pour commercialiser de nouveaux produits si nos clients y consentent. Nous serions prêts à utiliser ce genre d'information pour commercialiser d'autres produits parce que nous y gagnerions sur deux plans. D'une part, il serait plus facile et plus économique de proposer d'autres produits à nos clients. D'autre part, il nous serait ainsi possible d'offrir les bons produits aux bons clients, et d'éviter, par exemple, de proposer des assurances voitures ou des annuités à des enfants. Mais encore une fois, il nous faudra pour cela obtenir le consentement des clients, comme l'exige notre code de conduite commerciale.
Les distributeurs classiques d'assurance ont déjà accès à des renseignements semblables et même, dans bien des cas, à beaucoup plus d'informations que celles que nous pouvons consulter quotidiennement. En effet, ces institutions disposent de toutes les données relatives à la situation fiscale, familiale et financière de leurs clients, et parfois même au contenu de leurs testaments, parce que les gens viennent les consulter pour dresser des plans financiers. Cela fait longtemps que les assureurs traditionnels se servent de ce genre d'informations pour commercialiser plus efficacement leurs autres produits. Il suffit que le client donne son consentement pour que tout le monde soit gagnant.
Le sénateur Tkachuk: Cela étant, faudrait-il mettre cette liste à la disposition des autres compagnies d'assurances? Si un client de la Banque Royale ou de la Banque Toronto-Dominion acceptait que sa liste soit vendue à d'autres, ne devrait-on pas aussi la céder aux autres compagnies d'assurances qui en feraient la demande?
M. Russel: Pourquoi pas, si le client y consent. Cependant, je crois que, dans la plupart des cas, nos clients ne donneraient pas ce genre d'autorisation.
Le sénateur Tkachuk: Cela revient-il à dire que les clients n'autoriseraient la divulgation de tels renseignements qu'à l'assureur rattaché à la banque, et pas aux autres assureurs, parce que ce serait mauvais?
M. Russel: Voulez-vous dire mauvais du point de vue du client?
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi est-ce que ce serait mauvais? Pourquoi cela serait-il négatif et non positif? J'ai l'impression que si vos assureurs peuvent avoir accès à ce genre d'informations, il faudrait les communiquer aux autres assureurs désireux d'offrir des produits concurrentiels.
M. Russel: C'est que nous sommes dans un univers concurrentiel et nous misons sur la fidélisation de nos clients. C'est pour cela que nous demandons à nos clients l'autorisation d'utiliser leur nom pour leur offrir d'autres produits et services venant de notre organisation. Si le client d'une organisation demandait qu'on communique son nom à n'importe quel autre organisme, cela voudrait sire que l'organisation en question aurait pris une décision stratégique tout à fait différente de la nôtre. Je ne peux vous en dire plus, parce que chaque compagnie applique sa stratégie.
Le sénateur Tkachuk: Seriez-vous d'accord que les renseignements sur les clients ne soient communiqués à personne, pas même aux assureurs de votre banque, sauf si les clients concernés en donnaient la permission expresse?
M. Russel: Je pense que c'est précisément notre position, autrement dit, qu'un client doit donner son consentement pour que nous utilisions sa liste.
Le sénateur Tkachuk: Est-elle secrète tant que le client ne vous dit pas que vous pouvez vous en servir?
M. Russel: Oui. Il est facile d'obtenir le consentement d'un client quand on s'entretient en privé avec lui. Toutefois, pour les ventes réalisées au téléphone ou par des moyens électroniques, nous pensons qu'il faudrait trouver une façon de confirmer le consentement du client. Il faudrait peut-être enregistrer les conversations téléphoniques pour prouver que les clients ont donné leur accord.
Le sénateur Tkachuk: Si vous m'appelez, c'est que vous avez déjà mon consentement. Ce consentement ne peut être donné au téléphone.
M. Russel: Je pourrais très bien vous appelez au hasard, même si votre nom ne se trouve sur aucune liste de clients. La vente directe ne s'appuie pas uniquement sur des techniques ni sur l'utilisation de banques de données propres à nos institutions.
Le président: Merci, messieurs. Merci d'avoir pris le temps de vous rendre à notre invitation.
Notre prochain témoin est M. Dominic D'Alessandro, président et président-directeur général de la Financière Manuvie. Il comparait devant nous à deux titres: en qualité de président et pdg de la Financière Manuvie, et comme président récemment élu de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes. Il est accompagné de M. Mark Daniels, président sortant de cette même association.
Bienvenue messieurs. Monsieur D'Alessandro, je suppose que, dans vos réponses, vous nous préciserez si les positions que vous énoncez sont celles de votre compagnie ou celles de l'industrie en général.
M. Dominic D'Alessandro, président et président-directeur général de la Financière Manuvie: Très certainement, monsieur le président.
Le président: Il est important que nous fassions la distinction. Nous avons jusqu'ici entendu quatre ou cinq présidents de compagnies d'assurances et je dois dire que votre industrie ne semble pas avoir arrêté de position commune sur la plupart des questions abordées. En effet, sur tous les points sérieux, les pdg varient d'opinion. Il n'y a rien de mal à cela, mais je pense qu'il sera important de nous préciser si vous répondez au nom de l'industrie en général ou au nom de votre compagnie.
M. D'Alessandro: J'y veillerai.
Le président: Habituellement, les secteurs que nous accueillons ont des positions monolithiques et nous nous réjouissons cette fois de voir quelques lignes de fracture. Cela ne doit pas vous faciliter la tâche, mais d'une certaine façon, cela facilite la nôtre. Quoi qu'il en soit, je vous remercie d'être venu nous rencontrer. Je vous en prie, commencez par vos remarques liminaires.
M. D'Alessandro: Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens à vous remercier au nom de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes de nous avoir permis de nous adresser à votre comité aujourd'hui et de contribuer à vos délibérations importantes. Comme vous le disiez, je suis accompagné de M. Mark Daniels, président sortant de l'association.
Dans la première partie de mes remarques liminaires, je vous parlerai en ma qualité de président élu de l'association, et donc au nom de l'industrie en général. À la fin de mon intervention, je ferai quelques remarques supplémentaires en ma qualité de président et de pdg de la Financière Manuvie.
Monsieur le président, notre association représente 84 compagnies membres, qui constituent plus de 90 p. 100 du volume d'assurances-vie de personnes transigées au Canada et nous protégeons plus de 20 millions de Canadiens et plus de 10 millions de titulaires de polices à l'étranger. En outre, notre secteur emploie directement quelque 100 000 personnes au Canada.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à l'une des périodes les plus difficiles de l'histoire du secteur des services financiers au Canada. Le gouvernement et le milieu des affaires se doivent de collaborer pour donner forme à un secteur qui est l'un des meilleurs du monde. Il importe que nous y réussissions.
Le mémoire que nous vous avons fait remettre et notre témoignage d'aujourd'hui sont le résultat d'un dialogue poussé au niveau des dirigeants de notre industrie.
Même si, comme on vous l'a dit plus tôt, mon industrie n'est pas d'accord avec toutes les recommandations contenues dans le rapport du groupe de travail, nous convenons qu'il contribue à l'évolution de notre cadre législatif et réglementaire.
Le groupe de travail a énoncé sa vision du secteur des services financiers; celle-ci s'articule autour de trois éléments: ce à quoi les clients doivent s'attendre, la structure institutionnelle qui s'impose et le genre de cadre qui conviendrait le mieux pour répondre aux attentes des clients et favoriser l'instauration d'une nouvelle structure.
Le groupe de travail a conclu que, dans son état actuel, le secteur des services financiers canadiens correspond presque à cette vision. Mais dans le même souffle, le groupe de travail a déterminé qu'il y avait encore place à l'amélioration sur bien des plans, ce dont il traite dans ses recommandations.
Comme les membres du comité le savent, l'automne dernier, notre industrie a remis cinq mémoires au groupe de travail pour présenter notre secteur et exposer notre cadre de politique publique. L'annexe 2 du mémoire de notre association dresse un aperçu de ces documents.
Ces mémoires adressés au groupe de travail présentent également une vision globale. À quelques exceptions près, le secteur que je représente et le groupe de travail partagent un même point de vue sur les mesures à prendre afin de respecter la vision énoncée.
Monsieur le président, nous partageons le point de vue du groupe de travail sur deux éléments particulièrement importants.
D'abord, le groupe de travail et nous, estimons que le marché est très concentré. L'un de nos plus grands défis publics est donc de favoriser l'arrivée d'institutions dynamiques en mesure concurrencer directement les banques.
Deuxièmement, compte tenu de leur solide position sur la scène internationale et de leur focalisation sur ce genre de marché depuis longtemps, les compagnies d'assurances deviendront, dans les années à venir, des membres de plus en plus importants et de plus en plus présents dans le secteur des services financiers canadiens. Comme le groupe de travail l'a fait remarquer, il importe pour le Canada et pour son économie, afin de répondre à ses besoins en pleine évolution, que les compagnies d'assurances puissent réussir sur ce plan.
Pour passer du général au particulier, monsieur le président, je dirais qu'une des dimensions importantes de la vision du groupe de travail touche à l'instauration d'un système de paiements ouvert et accessible, qui soit efficace et intègre sur le plan prudentiel. Cela a amené le groupe de travail à recommander d'améliorer la régie du système et d'en élargir l'accès.
Comme les membres de votre comité le savent, notre secteur réclame des changements en matière d'accès et de régie depuis plusieurs années, notamment en ce qui concerne l'émission de cartes de paiement à nos souscripteurs.
Notre industrie verse près de 100 millions de dollars par jour aux Canadiens et aux Canadiennes, directement ou en leurs noms. Il est essentiel que nous effectuions ces transferts de la façon la plus efficace et la plus pratique possible, en respectant les préférences des clients, pour que nous demeurions concurrentiels et puissions répondre à leurs besoins.
Nous ne pouvons donc qu'encourager votre comité à avaliser les recommandations du groupe de travail relativement au système des paiements et à entériner sa position à cet égard, à savoir que les changements devraient être mis en oeuvre dans les plus brefs délais possibles.
L'autre dimension importante de la vision du groupe de travail touche à la confiance des consommateurs dans le système financier et dans l'appui qu'ils lui accordent. Les mécanismes d'indemnisation des clients joueront un rôle important en la matière.
Comme vous le savez tous, les actuels mécanismes d'indemnisation des clients présentent une grave anomalie, qui tient au fait que la SADC a accès aux ressources financières de l'État, mais pas la SIAP.
Le groupe de travail a pris acte de cette anomalie en concluant qu'il est important et opportun de régler ce problème d'iniquité concurrentielle, et qu'il est également temps de mettre la SADC et la SIAP sur un pied d'égalité.
La politique devra obéir à deux principaux objectifs: réaliser à l'équité entre déposants et souscripteurs, puis renforcer la concurrence et la compétitivité. Notre industrie est tout à fait d'accord avec le groupe de travail. Nous invitons maintenant votre comité à recommander que le gouvernement agisse rapidement et adopte l'approche voulue pour que ces deux régimes soient placés sur un pied d'égalité.
Passons à la question de la distribution d'assurance par les institutions de dépôt. Monsieur le président, vous-même et les membres de votre comité, savez sans doute que la Loi sur les banques renferme des dispositions spéciales régissant les activités liées aux assurances depuis 1923. Cela confirme que l'intérêt du public est en jeu.
Les recommandations du groupe de travail dégagent quatre aspects où l'intérêt du public serait touché par le fait d'autoriser des institutions de dépôt à vendre de l'assurance. Je veux parler de la concurrence/compétitivité, de l'interdiction d'appliquer des pratiques de vente coercitive, de la protection des renseignements personnels et de la compétence des intermédiaires.
Nous sommes d'accord: il faut tenir compte de ces quatre volets qui ont une incidence sur l'intérêt du public. Toutefois, nous croyons qu'il serait possible de servir l'intérêt du public en appliquant des approches différentes de celles recommandées par le groupe de travail.
Bien sûr, le groupe de travail reconnaît l'existence de plusieurs iniquités en matière de politique et de législation qui confèrent des avantages concurrentiels déloyaux à des institutions de dépôt, par rapport à des assureurs de personnes, et il recommande d'en corriger plusieurs.
Nous croyons, cependant, que le groupe de travail n'a pas suffisamment tenu compte du fait qu'il faudra beaucoup de temps pour renforcer la concurrence et la compétitivité en adoptant les initiatives recommandées, comme celles qui touchent au système des paiements ou au nivellement des règles du jeu pour la SADC et la SIAP.
Nous pensons, par ailleurs, que le groupe de travail a surestimé la nécessité d'étendre les activités de distribution d'assurance aux institutions de dépôt, afin de favoriser la concurrence.
En effet, le cadre actuel est déjà suffisamment élargi aux institutions de dépôt en matière de distribution d'assurance, et la concurrence que se livrent plus de 130 concurrents au sein de notre secteur est déjà suffisamment intense.
Dans un récent rapport sur l'industrie, Standard & Poor's qualifiait cette concurrence de «Tooth and Nail Competition», autrement dit de concurrence bec et ongles. Dans son rapport, le groupe de travail fait lui-même remarquer que les consommateurs sont déjà bien servis par une concurrence soutenue. Il cite le prix modique des primes d'assurance versées par les Canadiens et les Canadiennes, le deuxième plus bas de huit pays industriels auxquels le groupe de travail s'est intéressé.
Notre secteur exhorte votre comité à recommander au gouvernement d'apporter des changements au système de paiements et aux mécanismes d'indemnisation des clients avant d'envisager une quelconque modification visant à accorder davantage de pouvoirs aux institutions de dépôt en matière de distribution d'assurance.
Dans la même veine, nous invitons votre comité à recommander l'application de mesures de protection de nature législative en ce qui concerne les ventes liées coercitives et l'utilisation abusive de renseignements personnels, et à veiller à ce que de solides normes de compétence soient en place avant de concéder davantage de pouvoirs aux institutions de dépôt sur le plan de la vente d'assurance au détail.
S'agissant de protection de la vie privée, le groupe de travail recommande qu'on lève l'interdiction actuelle imposée à l'utilisation de renseignements sur les clients par les institutions de dépôt désireuses de vendre leurs assurances. Ce comité voudra peut-être prendre connaissance des résultats d'une vaste enquête nationale, qui font l'objet de l'annexe 3 de notre mémoire.
Les résultats de l'étude COMPAS montrent à l'évidence:
Que les Canadiens sont massivement et globalement opposés à l'utilisation de renseignements financiers personnels par les banques pour la vente de leurs produits d'assurance-vie.
Trois à 6 p. 100 seulement de répondants jugent qu'il faudrait autoriser de telles pratiques.
L'imposition est un autre volet intéressant de la politique gouvernementale sur lequel le rapport du groupe de travail s'étend abondamment et dont nous donnons les grandes lignes dans notre mémoire sectoriel.
Une récente étude de Statistique Canada a déterminé que notre secteur a connu le taux de croissance moyen le plus élevé de toute l'industrie quant aux impôts sur les bénéfices et à l'impôt sur le capital, entre 1988 et 1994. L'ensemble des taxes et impôts ont quadruplé pour dépasser 1,8 milliard de dollars sur 10 ans, soit entre 1987 et 1997.
À l'évidence, ce genre de situation donne lieu à des gageures commerciales d'envergure, mais ses conséquences vont bien au-delà de cela. Le groupe de travail a conclu que le niveau d'imposition et la structure fiscale de notre industrie et de tout notre secteur d'activité en général, ont eu des conséquences très négatives sur le public.
En effet, l'impôt sur le capital engendre des incitatifs qui sont contraires à une saine gestion prudentielle; la position compétitive des compagnies canadiennes est affectée et les coûts pour les clients augmentent.
L'ensemble de notre industrie est parfaitement d'accord avec l'affirmation du groupe de travail sur ce plan, c'est-à-dire que l'intérêt du public est affecté par la structure fiscale et par le niveau d'imposition actuels. Nous ne pouvons donc qu'inviter votre comité à réclamer des gouvernements fédéral et provinciaux qu'ils appliquent les recommandations du groupe de travail.
Monsieur le président, le dernier chapitre de notre mémoire traite des recommandations formulées dans 14 autres domaines qui pourraient empêcher notre industrie de respecter la vision énoncée par le groupe de travail. Par souci de brièveté, je ne vous entretiendrai que des recommandations touchant aux importants changements qu'il conviendrait d'apporter au mandat ainsi qu'à la régie du Bureau du surintendant des institutions financières. Il est notamment proposé que ce mandat soit modifié pour faire porter l'accent sur la concurrence et l'innovation, et non plus seulement sur la sécurité et l'intégrité.
Le milieu de l'assurance est très inquiet de cette orientation. L'octroi de rôles additionnels pour favoriser la concurrence, l'innovation et la protection des clients pourraient amener le BSFI à se détourner des tâches essentielles qui lui incombent sur les plans de la sécurité et de l'intégrité.
Cela étant, monsieur le président, l'industrie que je représente souhaite que votre comité recommande de soumettre à des études plus poussées les changements importants qu'on envisage d'apporter au rôle et au mandat du BSFI, avant d'adopter quelque mesure que ce soit.
Voilà, monsieur le président, qui conclut ce survol de la réaction de l'ACCAP au rapport du groupe de travail, survol que j'ai donc effectué au nom de mon industrie. Je vais maintenant changer de casquette pendant quelques minutes pour vous parler de ma position de responsable de Manuvie.
Comme je le disais plus tôt, l'industrie à laquelle j'appartiens partage avec le groupe de travail une même vision claire sur ce que nous sommes. Indéniablement, conformément à cette vision, nous pourrions créer tout un éventail d'institutions financières de première classe, et je crois que nous y parviendrions.
Cependant, il faudra d'abord quelque peu modifier notre politique gouvernementale afin que cette vision devienne réalité. Outre les changements dont je viens de vous parler du point de vue de l'industrie en général, il est d'autres domaines qui, selon ma compagnie, exigent une attention immédiate, et je vais d'ailleurs vous en parler. D'abord, il y a la règle de la propriété à capital largement réparti; deuxièmement, il y a la question de la démutualisation et, troisièmement, il y a celle du traitement des fusions et des acquisitions. Tout cela aura un effet marqué sur notre capacité de donner forme à notre vision commune.
Manuvie est d'accord avec la recommandation du groupe de travail voulant que le régime de propriété à capital largement réparti -- autrement dit, la règle des 10 p. 100 -- soit indéfiniment maintenu dans le cas des grandes institutions. Cette politique a bien servi notre industrie et notre pays. Sans elle, je suis convaincu que notre secteur n'aurait pas pu évoluer aussi bien et qu'il ne serait pas devenu une industrie forte, concurrentielle, indépendante et contrôlée par des intérêts nationaux, comme c'est actuellement le cas.
Monsieur le président, les assureurs de Manuvie Canada s'inscrivent parfaitement dans la tradition des sociétés à capital largement réparti. Cependant, nous arrivons à un moment critique de notre évolution, à l'occasion de la démutualisation qui va nous amener à devenir des sociétés ouvertes.
La démutualisation nous permettra d'améliorer notre position concurrentielle, car nous pourrons mobiliser des capitaux et, ainsi, concurrencer la plupart des autres institutions financières sur un pied d'égalité. Par ailleurs, la démutualisation nous exposera entièrement à la saine discipline des marchés financiers et elle nous permettra d'améliorer notre capacité d'attraction et de rétention de cadres de qualité.
Tout aussi important, la démutualisation sera synonyme de bénéfices substantiels pour nos souscripteurs, sous la forme d'actions participatives ou d'une somme représentant la totalité de la valeur des entreprises démutualisées. Cela ne changera cependant rien à leur droit en matière de polices d'assurance.
Le groupe de travail recommande fortement la démutualisation, car elle va dans le meilleur intérêt des souscripteurs, des compagnies d'assurances et de l'avenir de tout le secteur. En fait, monsieur le président, nous estimons que la démutualisation aura également un effet positif sur l'économie canadienne. On estime qu'environ 10 milliards de dollars seront distribués à quelque deux millions de Canadiennes et de Canadiens, soit une moyenne de 7 000 $ dans le cas de Manuvie. Cette répartition du capital-actions s'avérera être un important stimulant, sans pour autant imposer de fardeau fiscal sur le gouvernement. D'ailleurs, des recettes fiscales augmenteront quand les titulaires de police réaliseront leur patrimoine nouvellement acquis.
Nous espérons que ce comité reconnaîtra l'urgence de mener à terme ce processus. Nous vous demandons d'appuyer le passage rapide des amendements législatifs nécessaires qui, d'après ce que nous ont dit des représentants du gouvernement, devraient être déposés sous peu.
La démutualisation est un phénomène mondial qui a pris naissance en Afrique du Sud, en Australie, en Angleterre et aux États-Unis. Jusqu'ici, tous les souscripteurs se sont massivement prononcés en faveur de ces démutualisations. Nous ne devrions pas faire exception au Canada.
Passons maintenant au troisième volet important, celui du traitement accordé aux fusions et aux acquisitions, traitement qui, selon moi, exige la prise de mesures immédiate.
Monsieur le président, nous nous devons de reconnaître que la modernisation de notre structure de propriété n'est qu'une première étape de la transformation de nos compagnies. Il faudra du temps pour que les marchés s'ajustent à notre nouveau statut de société publique et il nous faudra également du temps pour apporter les changements qui s'imposent à nos cultures d'entreprise.
Dans le cas de Manuvie, étant donné la qualité de nos franchises et le fort potentiel de nos entreprises dans le monde, il est un fait qu'à l'instar d'autres compagnies démutualisées, nous deviendrons, après cette opération, une cible très intéressante pour une prise de contrôle.
Le groupe de travail ayant pris acte que cette transformation exigera d'importants efforts, il a recommandé l'imposition d'une période de transition de trois ans durant laquelle aucune prise de contrôle hostile ni aucune proposition de fusion ne pourra être envisagée. Manuvie estime, cependant, que cette période de trois ans est trop courte et qu'il faudrait la porter à cinq ans. Ce délai serait beaucoup plus réaliste pour nous permettre de nous établir en tant que société publique forte et indépendante.
Le groupe de travail recommande en outre que l'interdiction imposée aux fusions ne vise pas les transactions amicales entre compagnies démutualisées. Nous estimons, pour notre part, qu'une telle interdiction limiterait de façon inutile la capacité de l'industrie à se regrouper.
Manuvie est donc d'accord avec le groupe de travail et nous recommandons instamment que les fusions entre compagnies d'assurance-vie démutualisées «consentantes» soient autorisées pendant la période de transition, quelle qu'en soit la durée. Il convient, par ailleurs, de remarquer que le groupe de travail a recommandé qu'à l'issue de la période de transition, les banques à charte puissent prendre le contrôle d'une grande compagnie d'assurance-vie démutualisée. Il est dès lors facile de prédire de telles prises de contrôle dans l'avenir.
D'aucuns pourraient soutenir que ces prises de contrôle vont à l'encontre de la vision formulée par le groupe de travail, celle d'une assurance-vie indépendante livrant une concurrence farouche aux grandes banques bien établies.
Certes, une grande réalité demeure: les banques occupent déjà une position formidablement dominante dans notre secteur et rien n'indique que cette situation doive changer dans un proche avenir.
Un peu plus tôt, j'ai insisté sur le fait qu'il fallait adopter des politiques gouvernementales favorables pour donner la chance aux assureurs-vie de s'épanouir. Je pense, entre autres, à l'accès au système des paiements, à l'appui accordé par le gouvernement aux régimes de protection des consommateurs, à l'instauration d'un régime de propriété à capital largement réparti et à la prolongation de la période de transition.
Monsieur le président, j'estime que les recommandations que nous vous avons formulées aujourd'hui pourraient, si elles étaient appliquées, grandement favoriser l'émergence d'entreprises financières de classe internationale, majoritairement contrôlée par des intérêts canadiens. J'espère que vous reconnaissez tous le bien fondé de cet objectif.
Merci de nous avoir donné l'occasion de vous faire part de notre point de vue. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur D'Alessandro pour votre exposé très complet.
Dans votre exposé en qualité de pdg de Manuvie, vous dites qu'il faut accorder la priorité absolue à des politiques gouvernementales favorisant le maintien d'une industrie indépendante de l'assurance-vie au Canada. Vous nous avez ensuite parlé des risques de prise de contrôle par les banques, après la démutualisation de vos compagnies d'assurances.
Proposez-vous que nous en revenions au régime d'avant 1992 et réinstaurions les quatre piliers? La politique que vous suggérez va tout à fait à l'encontre de l'optique voulant qu'il n'y ait pas de fusion entre entreprises appartenant à ces piliers. Cela va tout à fait à l'encontre des changements apportés en 1992 au Canada et des changements que la plupart des pays industrialisés sont en train ou ont déjà apportés.
M. D'Alessandro: Non, je ne recommande rien de tel, sénateur. Peut-être ne me suis-je pas bien expliqué.
Notre idée est fort simple. Après la démutualisation d'une compagnie comme Manuvie, il faudra lui conférer un profil sur le marché des investissements et sur les marchés institutionnels. Manuvie appartient à 700 000 personnes dans le monde entier qui ne savent pas qu'ils en sont propriétaires et qui ne sont pas en mesure d'en déterminer la valeur. Dès lors, nous serions une excellente cible pour d'autres sociétés qui voudraient faire mainmise sur notre compagnie.
Le président: Je comprends.
M. D'Alessandro: C'est pour cela que nous réclamons une période de transition pendant laquelle les compagnies récemment démutualisées auront la chance de prouver ce qu'elles valent. Nous réclamons une période de cinq ans, mais nous ne nous opposons pas, une fois ce délai passé, à ce qu'une compagnie qui n'aurait pas pris de l'envergure, qui n'aurait pas développé sa capacité ou qui ne serait pas devenue une franchise autonome, soit absorbée par une autre institution.
Le président: Eh bien, ce n'était pas clair dans votre mémoire ni dans ce que vous nous avez dit plus tôt. Pendant la période de cinq ans, personne ne pourrait acquérir de compagnie récemment démutualisée, pas même les banques. Cependant, après cette période là, les acquisitions seraient possibles.
M. D'Alessandro: Effectivement, et je prédis même que c'est ce qui se passera.
Le président: Merci beaucoup pour cette précision.
M. D'Alessandro: Je veux juste ajouter que cette période de cinq ans que nous réclamons n'est pas atypique, par rapport à ce qui a été accordé à d'autres entités démutualisées dans d'autres pays.
Le président: Merci.
Le sénateur Meighen: Pour enchaîner sur la question du sénateur Kirby... est-ce que vous avez prédit votre acquisition par une banque au terme de la période de cinq ans?
M. D'Alessandro: Je disais que...
Le sénateur Meighen: Pourquoi attendre cinq ans?
M. D'Alessandro: Permettez-moi de vous donner une réponse complète à une question grave. J'ai utilisé la première personne du pluriel pour parler de Manuvie en général. Si nous faisons correctement notre travail, nous devrions devenir l'une des institutions que j'ai décrites, une institution de classe internationale dont le Canada et les Canadiens pourront s'en enorgueillir. C'est d'ailleurs notre vision de compagnie. Nous voulons devenir une telle compagnie. Nous demandons que la politique gouvernementale nous donne la possibilité de réaliser cette vision, car nous pensons que le jeu en vaut la chandelle. Nous nous disons que vous devriez être sensible à cette vision. M. MacKay veut que nous allions dans ce sens, puisqu'il précise dans son rapport qu'il est nécessaire d'instiller une concurrence plus vigoureuse au Canada.
Cela étant posé, supposons que nous soyons tous démutualisés dans trois ans d'ici. Bien! Les banques, de leur côté, n'ont pas caché leurs intentions. Vous vous souviendrez que la Banque Royale a fait une offre d'achat à la London Life parce que -- et si vous me le permettez, je vais vous en expliquer tout de suite la raison -- elle ne pouvait acheter la Great-West ni les quatre autres grandes compagnies d'assurances qui étaient des mutuelles. Or, elles ne le seront plus dans l'avenir. Pensez-vous que l'envie des banques d'absorber des compagnies d'assurances disparaîtra? Personnellement, je ne le crois pas. Elles auront quatre compagnies dont elles pourront se porter acheteuses. Je vous ai cité l'exemple de la Banque Royale, mais il pourrait s'agir de n'importe quelle autre banque.
Notre stratégie consiste à atteindre une taille qui nous permettra éventuellement d'être autonomes, de pouvoir offrir des services aux Canadiens et d'être très concurrentiels dans le reste du monde.
Le sénateur Meighen: Et peut-être d'en absorber d'autres plutôt que d'être absorbés?
M. D'Alessandro: Peut-être. Cela s'est produit dans d'autres pays. Vous savez qu'à l'origine le groupe ING était une compagnie d'assurances, pas une banque. Il y a une compagnie d'assurances aux États-Unis qui s'appelle AIG et dont la valeur boursière est supérieure à la valeur combinée de la Citibank et de Travelers.
Le sénateur Meighen: Corrigez-moi si je me trompe, mais je vous ai entendu décrire une institution financière qui ressemble tout à fait à celle que les porte-parole du milieu bancaire nous ont décrite, c'est-à-dire une institution d'envergure internationale, de classe mondiale, offrant toute la gamme des services financiers, étant rentable, capable de se tenir sur ses deux pieds -- ici et à l'étranger -- et vendant toutes sortes de produits. Je me trompe?
M. D'Alessandro: Oui, parce que vous venez en fait de décrire une institution présentant la plupart des attributs que possèdent actuellement nos banques. N'est-ce pas?
Le sénateur Meighen: Peut-être. Je pense que les banques affirmeraient plutôt qu'elles ne sont pas suffisamment grosses; mais est-ce bien la description que vous nous avez donnée? Est-ce ainsi que vous verriez Manuvie, par exemple?
M. D'Alessandro: Comme vous le savez, j'ai travaillé longtemps dans le milieu bancaire que je connais assez bien. Je dirais qu'il est composé de bonnes institutions, donnant une bonne image du pays, et je dirais également que nous avons un secteur financier qui n'a rien à envier aux autres de par le monde. L'une des raisons qui m'a poussé à comparaître devant vous tient au fait que, selon moi, il vaut la peine de préserver le secteur financier. Comme je vous l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, il est important que tout changement qu'on apportera à ce secteur soit bien pesé, parce qu'il occupe une place spéciale dans l'économie canadienne.
Le sénateur Meighen: Je crois comprendre, mais si je vous suis bien, dites-vous qu'il serait bon pour le Canada et les Canadiens d'avoir un secteur financier composé de grosses institutions, de classe internationale, offrant des produits multiples?
M. D'Alessandro: Non, je n'ai pas parlé de distribution de produits multiples, bien qu'on doive s'attendre à une certaine convergence. Je n'ai pas dit cela, mais je ne m'opposerais pas à ce genre de description. Cela étant, je vais essayer de répondre à ce que je crois être le fond de votre question. Si votre question est: Voulons-nous devenir une banque?, je vous dirai non!. Nous voulons être une entreprise de services financiers.
Le sénateur Meighen: Mais vous avez déjà une banque.
M. D'Alessandro: C'est une banque qui est intégrée à notre groupe et qui obéit à une mission très particulière. Cependant, toutes les grandes institutions de dépôt sont des institutions de classe internationale, même celles qui évoluent dans le milieu de l'assurance. Comme vous le savez, notre profil est intéressant; nous sommes une très bonne compagnie que beaucoup de gens admirent; cependant, comme vous le savez, même si vous regroupiez toutes les compagnies d'assurances en voie de se démutualiser, vous obtiendriez une institution qui n'aurait même pas la taille de la Banque Royale.
D'aucuns pourraient soutenir que la croissance que nous devrons atteindre pour réaliser notre vision est nettement supérieure à ce que les banques devront faire pour réaliser leurs visions à elles. En fait, aucune compagnie d'assurances canadienne ne jouit d'une position comparable à celle de nos banques.
Le sénateur Meighen: Et vous voulez qu'on vous donne la possibilité de prouver que vous pouvez y parvenir.
M. D'Alessandro: Oui. Mais peut-être sommes-nous en train de consacrer trop de temps au cas de Manuvie. Nous sommes une compagnie internationale qui réalise et qui a l'intention de continuer à réaliser 65 p. 100 de son chiffre d'affaires et peut-être la même proportion de ses bénéfices, voire un peu plus, à l'étranger. Nous n'avons pas l'intention de dominer le marché de l'assurance ni celui des services financiers au Canada, bien que nous désirions y occuper une place relativement importante, puisque c'est notre pays, que c'est là que se trouve l'organisme nous réglementant et que c'est là aussi où nous recrutons nos employés. Il est important, pour nous, d'avoir une taille suffisante sur notre marché, mais nous ne sommes pas animés du désir de le dominer.
Le sénateur Meighen: J'aurais deux ou trois questions plus précises à vous poser pour terminer. Je comprends la différence entre la période de trois ans et la période de cinq ans, étant donné qu'il y a une différence entre la recommandation du groupe de travail et le règlement proposé. Je crois savoir que dans le règlement proposé il est question de deux ans, alors que le groupe de travail recommande trois ans et que vous réclamez cinq ans. Cette période de cinq a-t-elle quelque chose de magique, comparativement à quatre ans ou à six ans, par exemple?
M. D'Alessandro: Cela nous a paru être un délai raisonnable et, comme je le disais plus tôt, cette période n'est pas différente de celle que des organismes de réglementation étrangers ont imposée à leurs institutions à titre de période de transition. Notre compagnie compte des milliers d'employés. Nous sommes présents dans une bonne dizaine de pays. On n'effectue pas ce genre de changement du jour au lendemain. Comme je le disais, le lendemain de la démutualisation, nous devrons prendre contact avec 700 000 souscripteurs -- avec des personnes, et non des institutions -- qui composent l'une des plus grosses bases d'actionnaires au Canada. Le simple fait de communiquer avec eux, parce qu'ils sont répartis dans le monde entier, exigera un gros effort de notre part et il serait déraisonnable de penser que nous puissions le faire en un an ou deux. J'estime que ce n'est tout simplement pas réalisable.
Le sénateur Meighen: Je comprends. Il est ironique de constater que, de votre point de vue, les choses vont dans le mauvais sens, puisque le groupe de travail recommande trois ans et que dans l'ébauche de règlement il est question de deux ans; mais restons-en là. Je crois comprendre ce que vous voulez dire.
J'aurais une autre question à vous poser au sujet de la disposition sur le capital largement réparti. Je crois pouvoir dire que la plupart de nos témoins s'entendent sur la règle des 10 p. 100, mais quelques-uns aimeraient que cette proportion soit portée à 20 p. 100. Je paraphraserai leur raison en disant qu'à 20 p. 100 ils disposeraient d'une base d'actionnaires plus importante et plus influente qu'à 10 p. 100. Je ne suis pas comptable, mais je dirais qu'il y a plus encore, car à partir de 20 p. 100, on peut comptabiliser à la valeur de consolidation. Pouvez-vous commenter cela?
M. D'Alessandro: Oui. Pour ce qui est de l'importance des 20 p. 100 pour la comptabilisation à la valeur de consolidation, cela n'intervient que si l'investisseur est une institution devant calculer ses revenus trimestriellement. Pour les particuliers, peu importe que la participation soit de 19, de 20 ou de 21 p. 100 d'intérêt. Il s'agit d'une considération d'ordre comptable.
Personnellement, je trouve qu'il y a quelque chose de plus important que cela. Au Canada, nous avons une économie qui est déjà très concentrée, si bien qu'il est peut-être bon de fixer à 20 p. 100 la limite de propriété dans une société à capital largement réparti. Vous savez, dans bien des cas, cette proportion confère déjà le contrôle. Par exemple, je ne pense pas que la famille Ford possède plus de 20 p. 100 des actions de la compagnie, pourtant le jeune homme qui vient d'être nommé président de Ford porte bien ce nom. Cela n'empêche qu'il est certainement très brillant, mais il est fort possible qu'il doive, en partie, son poste de président de la compagnie à son nom de famille.
Vous devrez particulièrement veiller à ce que vos institutions de dépôt ne tombent pas dans les mains de n'importe qui. Cependant, l'argument voulant qu'une compagnie risque de faire des siennes en l'absence d'une participation prépondérante ne vaut plus. Même si cela a pu être le cas jadis. Les institutions qui détiennent des actions dans ces compagnies, jusqu'à concurrence de la limite de 10 p. 100 -- c'est-à-dire les investisseurs institutionnels, les analystes et les agences de notation -- sont toutes très vigilantes et appliquent des normes de performance qui sont au moins aussi exigeantes que s'il y avait un seul actionnaire détenant 20 p. 100 des actions.
Cela étant, je suis d'accord avec la recommandation du groupe de travail voulant qu'on fasse preuve de souplesse pour permettre les transactions qui ne seraient possibles que si l'on repoussait de façon temporaire la limite de concentration des actions, de 10 à 20 p. 100. Je suis d'accord avec cela.
Le sénateur Meighen: Merci. J'avais une question à poser sur l'accès au système des paiements, mais peut-être que quelqu'un le fera à ma place.
Le sénateur Kenny: Je vais un peu poursuivre dans les pas du sénateur Meighen. D'abord, pensez-vous qu'il y ait d'autres moyens d'encourager l'actionnariat canadien, autrement qu'en imposant la limite de 10 p. 100?
M. D'Alessandro: Je ne suis pas certain de bien comprendre votre question, excusez-moi.
Le sénateur Kenny: Vous dites que la règle de 10 p. 100 est une façon de garantir la propriété canadienne et j'aimerais que vous me disiez s'il y a un autre moyen d'y parvenir, outre la règle des 10 p. 100, ou si celle-ci est la seule forme de protection qu'on puisse envisager?
M. D'Alessandro: Eh bien, tout d'abord, il existe deux règles: la règle des 10 p. 100 et la règle des 25 p. 100. Si je comprends bien, on a abandonné la règle des 25 p. 100.
La règle des 10 p. 100 permet deux choses: elle ne vise pas simplement à favoriser l'avoir canadien par rapport à l'avoir étranger, elle joue également au Canada. Par exemple, rappelez-vous les mégaconglomérats qui ont eu des difficultés il y a cinq ans. Cette règle des 10 p. 100 empêche ce genre d'institutions de posséder des banques et, par conséquent, elle permet de ne pas exposer les banques au risque moral d'une confrontation avec leurs propriétaires.
Que se passerait-il si une société de portefeuille exerçait des pressions extrêmes et qu'une banque se trouve prise entre deux feux? Seriez-vous à l'aise dans ce genre de situation? Ne pensez-vous pas souhaitable de ne pas se retrouver dans ce genre de situation, de ne pas y être confronté?
Le sénateur Kenny: Il y a deux ou trois aspects liés à la règle des 10 p. 100 qui, à vous dire bien franchement, me laissent perplexe.
M. D'Alessandro: Nous n'avons pas réglé cela? La règle des 10 p. 100 ne concerne pas uniquement les avoirs étrangers, puisqu'elle touche directement à la question de la concentration.
Le sénateur Kenny: Certes. Vous l'avez déjà dit.
D'abord, je m'interroge sur le fait que la règle des 10 p. 100 n'empêche pas la propriété américaine. On pourrait avoir dix Américains possédant chacun 10 p. 100 et donc 100 p. 100 de propriétaires américains; donc, pourquoi parlez-vous de défense de la propriété canadienne?
M. D'Alessandro: Comme je l'ai dit dans mon exposé, ces règles nous ont été très utiles dans le passé. Elles nous ont notamment permis de nous assurer que l'industrie demeure canadienne. Par exemple, notre compagnie sera majoritairement détenue par des intérêts étrangers, sans qu'il y ait nécessairement un seul actionnaire ayant une participation dominante de 10 p. 100. Quand nous répartirons nos actions, nous le ferons parce que la masse...
Le sénateur Kenny: C'est parce que vous êtes présent à l'étranger.
M. D'Alessandro: Ces gens-là possèdent notre compagnie aujourd'hui, mais celle-ci n'en demeure pas moins une compagnie canadienne. Nous sommes régis par la Loi sur les compagnies d'assurances qui exige que notre siège social se trouve au Canada et que notre conseil d'administration soit à 75 p. 100 composé de résidents canadiens. Ainsi, d'un point de vue tout à fait pratique, le fait que nos actions soient détenues dans un pays plutôt que dans un autre, n'est pas un élément déterminant.
Je crois qu'il est important que le système bancaire soit contrôlé au Canada. C'est ce que je pense en tant que citoyen de ce pays. Je ne connais aucun autre pays, aussi avancé que le nôtre, à l'exception peut-être de la Nouvelle-Zélande -- mais la Nouvelle-Zélande est de la taille de Brampton, si je ne m'abuse -- où l'on permette que le système bancaire, le nerf de l'économie, soit contrôlé par des non-résidents.
Il n'y a pas si longtemps de cela, au Canada, le secteur du pétrole et du gaz nous préoccupait beaucoup, à cause de la pénurie. Vous vous rappelez?
Le sénateur Kenny: Des gens s'en inquiètent-ils aujourd'hui?
M. D'Alessandro: Je crois qu'ils le devraient.
Le sénateur Kenny: Mais est-ce qu'ils sont inquiets?
M. D'Alessandro: Je le pense. Voilà pourquoi des gens viennent dire que la règle des 10 p. 100 est une bonne règle.
Le sénateur Kenny: Mais je ne parlais pas du secteur du pétrole et du gaz.
M. D'Alessandro: Eh bien, je ne sais pas si les gens s'en inquiètent de nos jours.
Le sénateur Kenny: Non!
M. D'Alessandro: Les choses ont évolué.
Le président: Je trouve que votre question supplémentaire est très longue.
Le sénateur Kenny: Si vous me le permettez, monsieur le président, le témoin n'a pas répondu aux deux questions que j'ai posées relativement à la règle des 20 p. 100: d'abord, celle-ci améliorerait-elle la valeur des actions de sa compagnie et, deuxièmement, ne serait-il pas davantage en mesure de mieux servir ses actionnaires?
Mais comme le président est sur mon dos, passons à la question de la discipline de gestion. N'êtes-vous pas, en quelque sorte, en train de vous blinder avec la règle des 10 p. 100? Comment se fait-il que pas plus têtes ne roulent quand les compagnies sont mal administrées? Force nous est de penser que c'est à cause de la règle des 10 p. 100 qui les protège.
M. D'Alessandro: Vous venez de poser plusieurs questions. Permettez-moi de vous raconter une petite histoire. J'ai travaillé pour une compagnie qui n'appliquait pas la règle des 10 p. 100. Nous appartenions à nos souscripteurs -- 700 000 personnes dans le monde entier qui possédaient la compagnie pour avoir acheté une police d'assurance. Pourtant, leur intention n'était pas de détenir la compagnie, mais c'était la conséquence de leur achat. Cela n'a pas empêché la compagnie en question d'imposer des mesures disciplinaires à ses cadres supérieurs, de remplacé son pdg et ainsi de suite.
Il n'est pas absolument nécessaire d'avoir un actionnaire majoritaire si l'on a un bon conseil d'administration; qui plus est, au Canada, l'administration des sociétés est devenue un élément très important et les administrateurs sont beaucoup plus au fait de leurs responsabilités que les actionnaires eux-mêmes.
Je pense, de plus, que les actionnaires sont beaucoup moins timides. L'activisme des actionnaires est réel et il se porte bien chez nous. Chaque année, des groupes se font entendre. Je trouve que le système s'est réhabilité de lui-même et on ne peut plus dire que la seule façon de faire respecter la discipline consiste à avoir un actionnaire majoritaire.
Vous vouliez également savoir si le fait de disposer d'un actionnaire dominant pouvait donner lieu à une augmentation du prix des actions. Vous êtes sénateur, moi pas... mais j'ai l'impression que nous devrions nous intéresser à des considérations autres que la simple valeur au marché. Je vous avoue que je suis absolument révolté par toutes ces discussions que nous avons au sujet de la valeur du marché, comme si nous l'idolâtrions, comme si la bourse ne pouvait rien faire de mal et que nous ne pouvions pas nous tromper dans nos décisions en s'en remettant simplement aux fluctuations quotidiennes du marché.
Eh bien, examinons les faits. La valeur de Microsoft équivaut à la quasi-totalité de la valeur de la Bourse de Toronto. Si nous devions laisser au marché le soin de tout décider, nous reviendrions à lui confier les rênes du pays. Si nous nous en remettions au marché, comme certains le recommandent aujourd'hui, nous n'aurions pas de secteur bancaire canadien. La Banque Toronto-Dominion aurait été achetée en 1958 ou à l'époque où la Chase voulait mettre la main dessus. C'est pour cela qu'on en est arrivé à la règle des 10 p. 100. Sinon, tout se serait écroulé comme des dominos.
Je dis toujours à la plaisanterie aux parlementaires que si nous voulions pousser la logique jusqu'au bout, nous devrions également transférer nos propres emplois à contrat.
Le sénateur Kenny: La difficulté tient au fait que les discours qu'on entend dans les assemblées annuelles semblent porter uniquement sur le prix des actions alors que ceux qu'on entend aux comités du Sénat portent plus sur le nationalisme, pour appeler cela ainsi. J'aimerais savoir comment vous parvenez à réconcilier les deux.
M. D'Alessandro: Eh bien, je crois vous avoir prouvé, aujourd'hui, que les deux ne sont pas forcément incohérents. On peut être à la fois nationaliste et favorable à la notion de profits. Pourquoi n'y parviendriez-vous pas? Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que les profits, les bénéfices, ne doivent pas être la seule motivation des législateurs que vous êtes. Certes, qui suis-je pour venir vous dire ce que vous devez faire? Il n'en demeure pas moins que les bénéfices ne doivent pas être le seul élément moteur. Nous devons considérer d'autres facteurs.
Or, vous êtes précisément en mesure d'envisager des questions plus globales et je vous dirais qu'il est très important de se demander qui contrôle votre système financier. Comment avoir un pays si vous ne contrôlez pas votre système financier? Cela saute aux yeux.
Le sénateur Kenny: Merci beaucoup, monsieur.
Le président: Je vais poser une question supplémentaire à la question supplémentaire du sénateur Kenny.
Voilà un problème avec lequel nous nous débattons depuis longtemps. Jusqu'à quel point la règle des 10 p. 100 permet-elle d'éviter le problème des institutions à capital fermé? Vous avez fait remarquer à juste titre, monsieur D'Alessandro, que plusieurs institutions financières, surtout vers la fin des années 80 et au début des années 90, ont eu des ennuis. D'un autre côté, comme vous le savez, des institutions à capital largement réparti -- et je pense ici à la Confédération-Vie, à la CCB et à la Northland -- se sont également retrouvées en difficulté.
Ce que nous trouvons difficile -- j'allais presque dire frustrant, mais ce n'est pas vrai -- c'est que si l'on prend toutes les positions qu'on a entendues à propos de la question de la propriété, on trouvera cinq exemples prouvant que telle position est valable et cinq autres prouvant l'inverse. Finalement, n'aurais-je pas raison d'affirmer qu'il n'est pas possible de prouver quoi que ce soit, ni dans un sens ni dans un autre? Tout cela, au bout du compte, se ramène à une question de jugement.
Par exemple, nous recherchons une proportion minimale de propriété canadienne et, même si la règle des 10 p. 100 ne nous la garantit pas, c'est toujours mieux que rien. Quoi qu'il en soit, tout cela est une simple question de jugement, parce qu'aucune de ces propositions ne peut être prouvée. Pour chaque preuve, je pourrais vous donner un exemple contraire. Est-ce que je me trompe?
M. D'Alessandro: Je ne pense pas, mais je dirais que ma proposition selon laquelle mieux vaut pouvoir compter sur une pluralité de fournisseurs...
Le président: Je parlais simplement de la question de la propriété, pas de celle de la pluralité des actionnaires.
M. D'Alessandro: Mais cela revient au même. J'ai sillonné la planète et j'ai surtout voyagé en Asie, parce que notre volume d'affaires y est important. Eh bien, je peux vous dire que j'y ai été frappé par l'imbrication qui y existe entre le politique et le secteur privé. Dans un pays comme la Corée, et ce n'est un secret pour personne, cinq entreprises représentent 50 p. 100 du PIB. Est-ce mauvais? Je ne sais pas. Je me demande comment le Parlement peut être indépendant quand l'économie dépend à ce point de cinq compagnies contrôlées par cinq familles. Est-ce raisonnable? Est-ce démocratique? Peut-on parler du même genre de débat et de compromis que ce qu'on trouve ailleurs, là où il n'y a pas une telle concentration?
Personnellement, j'aurais tendance à favoriser les politiques gouvernementales destinées à diffuser le pouvoir économique, plutôt que celles qui ont pour objet de le concentrer.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Monsieur D'Alessandro, nous vous pardonnons d'avoir quitté Montréal. Je sais que vous contribuez toujours à l'économie canadienne. Je dois vous faire ce matin un commentaire que vous avez peut-être invité, à savoir que si nos hommes d'affaires parlent toujours de culture canadienne et d'économie canadienne tout en défendant nos institutions, je pense que notre pays se porte bien.
Mon intervention touche la question du système de paiements que le sénateur Meighen voulait apporter. Évidemment, votre secteur, de même que les valeurs mobilières, voudraient avoir accès au système de paiements. C'est une question qui m'intéresse énormément puisque l'on nous dit que nous avons environ 16,000 points de service à travers le pays. Il faut aussi se souvenir qu'au moment où l'on se parle, les banques ont déjà des restrictions entre elles, dans le sens qu'on ne peut faire que des retraits; on ne peut pas faire toutes les transactions. Alors, quand vous parlez d'avoir accès au système de paiements, voulez-vous avoir accès à plusieurs transactions à des transactions intercorporatives, c'est-à-dire que même si je fais affaire avec une autre société, je peux utiliser votre carte d'accès?
Enfin, ce service existe-t-il sur le plan international? Peut-on avoir accès à cette forme de service dans les pays où vous opérez, puisque vous êtes très actifs à l'extérieur du pays? Avez-vous une expérience dans ce domaine, ou le Canada constitue-t-il un exemple unique, étant le pays qui est le plus grand utilisateur des machines de paiements automatiques?
M. D'Alessandro: En ce qui concerne la dernière portion de votre question, est-ce que, dans les autres pays, les assureurs sont membres des systèmes de paiements: non, pas à ma connaissance. Dans les pays où nous opérons, cela n'est pas le cas. Cela me surprendrait beaucoup qu'il y ait des endroits où c'est possible. En ce qui concerne la première partie de votre question, si nous demandons de faire partie de l'Association des paiements du Canada, c'est que nous voulons en être membres à plein temps. Nous ne voulons pas de restrictions. Nous voulons être en position d'utiliser les mêmes pouvoirs qu'un membre en bonne et due forme.
Le sénateur Hervieux-Payette: Et, moi, pourrais-je payer ma prime mensuelle via ma carte bancaire ?
M. D'Alessandro: Absolument.
Le sénateur Hervieux-Payette: Parce qu'actuellement, sauf pour mes comptes de téléphone et d'électricité, je ne peux pas faire de paiements à ma banque, je ne peux pas faire par inter-banque des échanges via mon guichet automatique. Vous n'avez pas d'objection à ce que j'utilise la succursale ou l'appareil qui est le plus près de chez moi pour avoir accès à vos services?
M. D'Alessandro: Ce que vous demandez là, sénateur, c'est une question de technologie. Je crois que malgré les compétences qu'ont ces machines -- le fait, par exemple, de leur donner l'instruction de prélever de l'argent dans votre compte, disons de la CIBC, pour l'envoyer à votre compte ou à un compte fiduciaire de la Banque Toronto-Dominion -- , elles ont évolué seulement pour certains services ou pour certains fournisseurs. Cela n'a pas encore été développé sur une grande échelle. Je répète que nous ne demandons pas une adhésion qui nous donne une compétence limitée. Nous demandons une adhésion qui fera de nous des membres à plein temps du système des paiements.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je vous donne en exemple le consommateur. Vous comprendrez que pour notre comité, l'intérêt public veut que l'on donne l'accès aux transactions dans le domaine financier à tous les consommateurs du Canada. Donc, si l'appareil de guichet automatique de mon quartier est avec telle institution, je pense que si je veux être bon consommateur, je vais vouloir que tous mes paiements puissent s'y faire. Le consommateur devrait avoir un aussi bon accès à sa firme de société en valeurs mobilières qu'à sa compagnie d'assurance.
M. D'Alessandro: Il est certain qu'en donnant accès à tous ceux qui se qualifient comme membres, vous allez donner naissance à une innovation plus large. Qui sait où cette innovation nous mènera? Nous avons aujourd'hui un système dominé par un petit groupe qui innove, mais qui le fait à un rythme qui leur convient, qui fait leur affaire, et on ne saura jamais si ce rythme d'innovation pourrait être plus grand, plus rapide. Voyez ce qui est arrivé lorsqu'on a déréglementé le système de communications, aux États-Unis, il y a quelques années. Il y a eu une véritable explosion d'idées, de services, de fournisseurs, et le consommateur en a bénéficié. C'est un peu pour cette raison que nous disons que l'ouverture du système de paiements à des gens qualifiés comme membres sera une bonne chose. Est-ce que demain, toutes les compagnies d'assurances vont se mettre à donner des chéquiers à leurs clients? J'en doute. Je ne le sais pas. Certaines vont le faire, d'autres pas. Tout dépendra de leur stratégie, de leur position, mais je crois que ce serait une bonne chose dans l'ensemble.
Le sénateur Hervieux-Payette: À l'heure actuelle, on constate que la carte de débit est très peu utilisée, même si l'on parle de dizaines de milliers d'entreprises qui peuvent y avoir accès. Si je veux payer à ma pharmacie ou à mon supermarché et dans tous les autres commerces qui l'utilisent, il est possible pour moi de le faire. Au départ, on sait qu'avec une carte, on peut faire des paiements pour des milliers d'opérations, dans des milliers de commerces. Sur le plan technologique, c'est faisable. Le Canada a le meilleur réseau de fibre optique du monde, et je pense que notre gouvernement y est pour quelque chose puisqu'il a émis une politique qui a mis de l'avant cette possibilité.
Donc, sur le plan technologique il n'y a pas de barrière. Si je vous pose la question spécifiquement, c'est que s'il y a des gens de votre industrie qui entrent dans ce commerce, je pense que vous devrez, sur le plan concurrentiel, introduire de nouveaux services. Vous voulez modifier tout d'abord la structure de coûts, parce les coûts de la carte de débit, à mon avis, sont trop élevés et constituent une barrière à son utilisation, et, deuxièmement, d'avoir une structure de coûts concurrentiels pour l'utilisation de la carte bancaire, c'est-à-dire votre carte qui vous donnera accès au système de paiements, parce qu'il y a toujours des frais à la charge des consommateurs. Ce qui veut dire qu'on peut introduire dans cette transaction un système de concurrence qui sera à l'avantage des consommateurs. Évidemment, je veux avoir l'engagement d'une société ou d'une industrie comme la vôtre que vous allez concurrencer et que vous ne vous joindrez pas à un tout petit club qui, à l'heure actuelle, ne fait aucune concurrence au niveau des frais, mais par contre, qui amasse, via des millions de transactions, des millions de dollars en bénéfice.
M. D'Alessandro: Si je parle en tant que président de Manuvie, je dois vous dire qu'il n'est pas dans notre intention -- comme je vous l'ai dit plus tôt -- de devenir une banque au Canada. Nous sommes une société internationale; nous sommes en pleine expansion dans tous les pays où nous sommes présents, et notre stratégie veut que nous continuions cette expansion. Notre participation dans le domaine bancaire au Canada peut se produire d'ici quelques années mais, dans l'immédiat, il n'en est pas question. Peut-être y a-t-il d'autres membres de notre association qui n'ont pas une expansion internationale aussi prononcée que la nôtre qui croient qu'ils ont plus d'opportunités ou qui font une différente lecture des choses. Ceux-là, j'en suis convaincu, utiliseront ces avantages et vont, comme vous le disiez, donner des choix aux consommateurs pour éviter que se produise la situation qui existe aujourd'hui, où il n'y a pas de choix, ou cela ne bouge pas.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Je vais vous poser trois questions qui s'enchaînent logiquement avec celle posée par le sénateur Hervieux-Payette à propos de la SADC.
Comme vous le savez, un peu plus tôt cette semaine, les représentants de la SADC ont comparu devant ce comité et, à cette occasion, ils ont formulé plusieurs réserves relativement aux propositions du groupe de travail. Selon eux, ces propositions pourraient menacer la sécurité et l'intégrité du système, si l'on devait réduire le rôle de la SADC. En outre, ils nous ont déclaré que le désavantage commercial de la SIAP n'a pas de raison d'être parce qu'il concerne des annuités différées de cinq ans ou moins, représentant un tiers seulement du chiffre d'affaires annuel. Enfin, les représentants de la SADC nous ont dit craindre que la solution proposée n'augmente sensiblement les risques financiers qu'encourra le gouvernement, alors que cela ne réglera qu'une toute petite partie du problème pour l'industrie.
Pourriez-vous réagir au résumé que je viens de vous faire au sujet de la position de la SADC.
M. D'Alessandro: Je vais essayer. Je m'efforçais de vous suivre. Quand vous dites que cela ne concerne qu'un tiers de notre chiffre d'affaires, je vous dirais que c'est un tiers très important pour nous.
Quand on y pense bien, l'industrie de l'assurance s'articule essentiellement autour de deux gammes de services, l'une étant constituée par les services de protection comme l'assurance-vie entière traditionnelle -- ou assurance-décès --, et la deuxième étant constituée par les nouveaux services touchant à l'administration des investissements et du patrimoine personnel. À cause du fléchissement de la courbe démographique et d'autres facteurs, le volet protection classique par le biais de l'assurance-vie -- lequel vient immédiatement à l'esprit quand on pense à une compagnie d'assurance-vie -- n'a pas connu de croissance... il est resté stable et la seule façon de progresser sur ce plan consiste à rogner la part de marché de quelqu'un d'autre.
En revanche, le volet qui a connu une croissance phénoménale est celui qui touche à l'accumulation des richesses; donc, il est très important que notre institution puisse accéder aux mêmes protections; autrement dit, la capacité de convaincre nos clients que leur argent sera aussi bien protégé chez nous que dans une banque revêt une importance évidente.
Dans bien des cas, nos produits sont identiques à ceux des banques. Il y a convergence de proposition sur le plan des produits, parce que...
Le sénateur Oliver: Vous parlez des fonds communs de placement.
M. D'Alessandro: Exactement. D'autres, qui ont étudié cette question, se sont rendu compte que dans la mesure où nous disposerions des mêmes protections, les clients potentiels nous accorderaient le même intérêt que ce qu'ils accordent aux institutions à qui nous livrons concurrence. Et alors, qu'y a-t-il de mal à cela? Si nous voulons d'un autre secteur viable et si nous voulons maintenir la saine concurrence qui prévaut au Canada, pourquoi ne pas accorder à notre secteur les mêmes considérations que celles qu'on accorde au secteur bancaire?
Cela n'est pas dénué d'importance. Pour en venir à ce que vous disiez, sachez que cela touche à un volet important de notre entreprise, un volet qui est en pleine croissance dans notre secteur d'activité au Canada.
Le sénateur Oliver: Je trouve un peu intéressé de la part des assureurs que de réclamer, d'un côté, l'accès au système de paiements pour être en mesure de concurrencer plus directement les banques et la mise à égalité de la SADC et de la SIAP et, d'un autre côté, de refuser aux banques le droit de vendre tout de suite de l'assurance au détail dans leurs succursales. Vous voudriez que cela soit retardé. Je trouve que vous êtes pour le moins intéressés.
M. D'Alessandro: Nous avons essayé d'appuyer chacune de nos recommandations d'arguments convaincants. Nous croyons très sincèrement qu'il serait dommageable, pour nous, que les banques puissent commencer à faire de la vente d'assurance au détail, dès demain. Nous sommes loin de penser que ce genre d'opération pourrait être aussi bénin que tout le monde semble le suggérer. D'un autre côté, ce n'est pas impossible non plus. Nous disons simplement que si vous devez autoriser cela, vous devez veiller à prendre les mesures de précaution appropriées, à mettre en place la loi appropriée et à donner à ces institutions le temps de former leur personnel et ainsi de suite. C'est cela que nous disons, et nous estimons que c'est logique. Si cela paraît intéressé, c'est par pure coïncidence.
Le sénateur Oliver: Bon, prenons les choses autrement: peut-être ne devrions-nous pas autoriser les banques à vendre de l'assurance dans leurs succursales et, d'un autre côté, peut-être que nous ne devrions pas vous autoriser à accéder au système de paiements. Je vais vous dire ce qui m'amène à avancer cela -- ce n'est même pas moi qui le pense, c'est M. Rousseau de la Banque Laurentienne.
Quand il a comparu devant nous à Montréal, il nous a déclaré une chose que j'ai trouvée tout à fait convaincante; selon lui, le temps est peut-être venu pour les compagnies d'assurances de déterminer ce qu'elles sont et ce qu'elles veulent devenir. Si vous me le permettez, je vais vous lire un extrait de sa déclaration:
Il est évident que si l'objectif est d'encourager les institutions canadiennes à se regrouper et à créer de nouvelles institutions qui feront concurrence aux grandes banques canadiennes, nous devrons maintenir la différence que leur confèrent leurs pouvoirs respectifs de sorte que les premiers regroupements en encouragent d'autres. Par exemple, un assureur pourrait être davantage intéressé à se regrouper avec une banque s'il n'avait pas accès au système de paiements; une banque, elle, serait davantage désireuse de fusionner avec un assureur si elle ne pouvait pas vendre d'assurance au détail dans ses succursales.
Qu'en pensez-vous?
M. D'Alessandro: Je pense que sa conclusion est valable. Si vous fermez toutes ces possibilités, vous allez créer des appétits qui n'existaient pas avant, mais je ne pense pas que cela soit nécessaire...
Le sénateur Oliver: Vous voulez tout de même accéder au système de paiements.
M. D'Alessandro: Je connais très bien Henri-Paul, car c'est moi qui l'ai engagé pour me remplacer à la Banque Laurentienne et je connais son raisonnement.
Le sénateur Oliver: Eh bien, nous estimons que sa déclaration est très importante.
M. D'Alessandro: Certes, mais il ne prend pas acte du fait que le marché est en train de changer. C'était très bien quand nous avions encore les quatre piliers et que chacun faisait ce qu'il avait à faire de son côté: le secteur de la fiducie, les courtiers en valeurs mobilières et les banques... mais beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis. La technologie a considérablement évolué, les clients sont plus friands de certaines choses, comme des produits conceptualisés; en outre, la convergence est énorme. Allez-y! N'hésitez pas à me demander la différence entre un CPG et nos rentes différées. Je veux dire par-là que ces institutions ont évolué en réponse à tout un ensemble de forces extérieures et je trouve que cette évolution est plutôt allée dans le bon sens.
Notre secteur des services financiers au Canada n'a à envier personne dans le monde. Je le répète: j'ai sillonné la planète. J'ai vécu en Europe, j'ai vécu au Moyen-Orient et j'ai vécu aux États-Unis. Je n'ai absolument pas honte de nos services financiers canadiens, parce que nous avons fait plusieurs choses de bien. Nous avons adopté une bonne politique gouvernementale. Nous avons maintenu une concurrence vigoureuse au Canada. Nos institutions ne sont pas dirigées entièrement par des ineptes, même si elles n'étaient pas contrôlées par des actionnaires majoritaires.
Nous devons nous intéresser à ce qui est positif dans notre système et à la façon dont nous pouvons modifier celui-ci pour continuer à progresser dans l'avenir. Je ne fais qu'énoncer ce qui est évident mais nous avons suggéré, dans notre mémoire, la façon dont, selon nous, il conviendrait de modifier le système; nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de modifier en profondeur les pouvoirs des uns et des autres, contrairement à ce qui est proposé par le groupe de travail.
À la question de savoir si l'on pourrait s'accommoder de tels changements, je réponds bien sûr par l'affirmative. Cela ne nous bouterait pas hors du marché. Nous profitons simplement de cette occasion pour vous dire comment nous nous y prendrions pour protéger l'intérêt du public.
Le sénateur Oliver: Je voulais juste savoir où vous voulez aller, sur un plan philosophique, et comment vous voulez y arriver, parce que je constate une profonde différence entre ce qui est recommandé et ce que vous nous déclarez aujourd'hui.
M. D'Alessandro: Tout le monde y va de son argument; tout le monde prêche pour sa paroisse et c'est précisément ce que fait M. Henri-Paul Rousseau. Peut-être estime-t-il que cette approche pourrait fonctionner pour son institution. En revanche, je ne suggérerais pas de transformer cette approche en politique de réforme des services financiers au Canada sous prétexte que, comme il le dit, si vous ne donniez de pouvoirs à personne, nous serions contraints de fusionner entre nous. Est-ce une bonne chose? Je ne le sais pas.
Le sénateur Austin: Je suis intrigué par une des pages du document de l'Association canadienne des compagnies d'assurance de personnes à propos du groupe de travail. Je veux parler de la page 6 de l'annexe 1, qui fait l'objet de la page 47 du rapport principal.
Je pense que c'est la première fois que le comité tombe sur le chiffre de 34 854 milliards $ correspondant aux bénéfices et aux versements totaux de dividendes pour 1997. Est-il bien question de «milliards»? J'ai l'impression qu'il s'agit davantage de «millions», mais peut-être qu'on a voulu, dans la version anglaise, adopter le «billion» américain. À ma connaissance, ce chiffre n'apparaît pas dans le rapport du groupe de travail MacKay, que je n'ai pas examiné en détail. Si le vôtre est bon, il représente des bénéfices considérables pour les Canadiennes et les Canadiens.
Par ailleurs, au bas de la même page, il est dit que 91 p. 100 des sommes sont versées sous la forme d'annuités et de prestations d'incapacité aux titulaires de police, de remboursements des frais de soins de santé, de dividendes, de valeurs de rachat nettes et de dotations échues.
Je mentionne cette page, parce que je me suis dit que si vous pouviez conserver tous ces flux de trésorerie au sein du secteur de l'assurance-vie, vous auriez une bonne base de démarrage, un bon coup de pouce, pour devenir un solide concurrent dans l'industrie des services financiers en général. Est-ce que je vois bien les choses ou est-ce que je surestime la valeur de ce flux de trésorerie?
M. D'Alessandro: Il est vrai qu'il s'agit d'un flux de trésorerie qui pourrait véritablement constituer une base pour les compagnies ayant décidé de devenir concurrentielles dans le milieu des institutions de dépôt. Cela leur donnerait d'ailleurs un peu plus qu'une bonne base de départ.
Je ne veux pas induire le comité en erreur. Comme je le disais plus tôt, Manuvie n'a pas l'intention d'aller voler des clients aux banques. Étant donné toutes les autres possibilités que nous avons, ailleurs dans le monde, nous pensons que nous gaspillerions nos capitaux et nos ressources de gestion en essayant de voler la clientèle des banques.
Je répète que notre système bancaire est assez bon, que les gens qui le dirigent sont très compétentes et qu'ils ne vont pas rester sans rien faire à permettre que d'autres viennent leur voler tous leurs clients. J'ai fait le choix de ne pas agir ainsi. Cela étant, d'autres pourront vous dire que le niveau de service des banques est tellement mauvais, qu'ils pourront croire pouvoir se tailler un créneau sur ce marché. C'est comme cela sur le marché: différentes personnes ont des points de vue différents.
Le sénateur Austin: Permettez-moi de poursuivre avec mes questions, parce que je trouve que vos réponses sont lourdes de sens. Si vous avez accès au système de paiements, vous pourrez vous servir de la base financière dont je parlais, plutôt que de la transférer dans une banque, ce qui ne vous a pas empêché de nous dire que vous ne pensez pas être compétitifs dans ce domaine des services financiers.
M. D'Alessandro: Je ne devrais pas être aussi catégorique. Pour l'instant, nous n'avons pas prévu, dans notre plan stratégique, de concurrencer les institutions de dépôt, mais comme vous le savez, il y en a d'autres qui disent qu'on ne sait pas où l'on sera dans deux ans d'ici, compte tenu des nombreuses évolutions auxquelles on assiste: sur le plan des communications et dans les technologies informatiques, de même qu'avec l'Internet et les projets de commerce électronique.
Le sénateur Austin: Précisément.
M. D'Alessandro: Je serais donc personnellement très déçu, même si notre intention n'est pas de nous lancer dans ce domaine demain, qu'on nous ferme cette porte. Pourquoi ne devrais-je pas bénéficier de ce genre de souplesse? Pourquoi, après avoir eu l'occasion de devenir un participant et de concurrencer les autres sur tel ou tel marché, ne devrais-je pas être en mesure de le faire?
Je vous réponds ici au nom de Manuvie. Je sais que d'autres membres de notre association se livrent à une lecture différente de la situation, d'autres qui n'ont pas les mêmes possibilités de croissance. Disons qu'ils ne sont pas aussi diversifiés que nous.
Le sénateur Austin: Vous venez de nous faire à peu près la même réponse que M. Astley du groupe La Mutuelle, que nous venons d'entendre.
M. D'Alessandro: C'est vrai?
Le sénateur Austin: Je lui ai fait remarquer que la grande menace qui se dessine derrière le rapport du groupe de travail MacKay, c'est la concurrence. Je l'ai invité à se reporter à la page 57 de la version anglaise du rapport. Je ne vous lirai pas ce document, parce que je l'ai déjà fait, mais je peux vous résumer très brièvement mon intervention: c'est parce que le secteur de l'assurance-vie a promis de devenir un chef de file des services financiers et de se regrouper à cette fin, d'une manière ou d'une autre -- comme cela s'est fait dans d'autres pays --, qu'il a réclamé qu'on apporte des changements aux trois recommandations de politique. Cependant, ni vous ni M. Astley, même si vous souhaitez tous deux de tels changements, n'êtes prêts à faire face à la concurrence des banques. En fait, c'est une question que je vous pose.
M. D'Alessandro: Et une excellente question. À la façon dont je vois les choses, nous sommes venus vous dire que le secteur des services financiers est en train d'évoluer rapidement et qu'il subit des forces qui n'ont rien à faire avec le secteur de l'assurance; ce sont des institutions qui ont lancé des projets qui, s'ils arrivent à terme, modifieront de façon irrévocable le visage de notre industrie au Canada. Il faut donc être prudent.
Je crois que cela est très significatif en ce qui nous concerne. Nous sommes en train de nous démutualiser et notre degré de réussite dans la période qui suivra notre démutualisation déterminera si nous parviendrons ou non à réaliser nos objectifs. Comme je l'ai dit quand je vous ai parlé du point de vue de Manuvie, j'estime que, sauf si l'on nous accorde les mêmes pouvoirs qu'aux autres, nous sommes condamnés à être des morts-nés. Nous nous démutualiserons et six mois plus tard nous serons absorbés par tel ou tel groupe financier.
Je crois que M. Astley vous dit la même chose que moi. Je ne sais pas exactement comment vont les choses. C'est un pouvoir que j'aimerais avoir pour ma compagnie, parce que je ne sais pas exactement ce que la technologie peut nous apporter. Je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Qui sait? Peut-être céderons-nous tout à notre réseau asiatique pour réaliser plusieurs milliards de dollars que nous pourrions utiliser au Canada. Si nous avions ce pouvoir, qui sait ce qui se passerait. Quoi qu'il en soit, j'émettrai une critique à propos du rapport du groupe de travail: je le trouve un peu trop sanguin dans sa description et son anticipation d'une concurrence à multiplication rapide, qu'elle vienne du Canada ou de l'étranger. En fait, les étrangers ne viendront pas ici. Ceux qui n'offrent qu'une seule gamme de produits ne seront pas une concurrence très sérieuse. Les banques occupent une position dominante. Elles font bien ce qu'elles ont à faire et elles ne vont pas demeurer passives.
Vous savez, la Citibank, qu'on peut assimiler à Coca-Cola dans le domaine bancaire, est venue chez nous il y a quelques années pour ouvrir toute une série de succursales dans la région de Toronto.
Le sénateur Austin: J'aime votre comparaison.
M. D'Alessandro: Vous vous rappelez?
Le sénateur Austin: Oui.
M. D'Alessandro: Eh bien, c'est la seule banque qui soit effectivement parvenue à ouvrir des succursales un peu partout dans le monde.
Le sénateur Austin: Il y a aussi la Banque de Hongkong.
M. D'Alessandro: C'est vrai, il y a aussi la Banque de Hongkong. Excusez-moi. Mais je dirais que la Citibank est peut-être encore plus internationale que la Banque de Hongkong, parce qu'elle est partout: en Amérique du sud et en Europe. Quoi qu'il en soit, cette banque est venue s'installer chez nous, puis elle a soldé très discrètement son réseau de succursales pour rentrer chez elle, parce qu'elle ne pouvait pas faire d'argent. Cela me porte à penser que les banques canadiennes ne sont pas si mauvaises que cela.
Le sénateur Austin: Qu'est-ce qui vous fait dire que deux institutions financières pourraient mettre la main sur 67 à 70 p. 100 des services banquiers au détail?
M. D'Alessandro: J'ai parlé de cela lors de notre assemblée annuelle, de même qu'après l'annonce par la Banque Royale et la Banque de Montréal de leur intention de fusionner. J'ai prédit que d'autres institutions financières réagiraient pour se protéger.
En tant que Canadien, je ne crois pas que cela soit bon. En tant qu'homme d'affaires, si j'administrais l'une de ces institutions, je ferais exactement ce pour quoi on nous a formés dans les écoles de commerce et ce qu'on a appris dans le milieu des affaires. Je voudrais protéger mon institution. Je voudrais qu'elle prenne de l'expansion jusqu'à un point où mon marché serait assuré, où je ne risquerais plus les attaques des autres.
Ces gens-là font exactement ce qu'on peut attendre d'un homme d'affaires. On est confronté à des instincts d'animaux, et il ne faut pas s'en étonner. Votre travail consiste à veiller à l'intérêt national. Personnellement, j'estime que ce genre de mouvement ne va pas dans l'intérêt national. Si vous réclamiez des études savantes sur le sujet, vous en auriez cinq pour et cinq contre; en fin de compte, vous devriez exercer votre propre jugement.
Dans ma conclusion, je ne fais que retenir l'évidence. Je me suis demandé comment il se fait qu'à l'exception du secteur des ressources naturelles, le secteur des services financiers soit le seul ayant démontré sa capacité d'exceller, ici au Canada. Après avoir fréquenté différents secteurs dans ce milieu, j'ai conclu que cela était dû à une heureuse combinaison de facteurs. Certes, nous avons pu compter sur des gens doués, mais nous disposons également d'une saine réglementation et de bonnes politiques gouvernementales. Il est insensé d'affirmer que la SADC induit un risque moral.
Ces institutions se livrent une lutte acharnée, ce qui les maintient en alerte. Il y a des innovations. Aucune barrière n'empêche qui que ce soit de pénétrer dans notre secteur. Les caisses de crédit et les compagnies de fiducie sont venues dans notre secteur en apportant des innovations. Ce ne sont pas les grandes banques qui ont inventé les taux d'épargne quotidiens ni l'ouverture des succursales de 8 h à 20 h, ainsi que les samedis. C'est cela que nous voulons, et il faut entretenir ce genre d'environnement.
Le sénateur Austin: J'apprécie votre réponse et j'aimerais vous poser une autre question, qui a été posée plusieurs fois auparavant. Elle a trait à l'argument voulant que, tout aussi efficaces que puissent être les services offerts aux consommateurs canadiens par les industries du secteur financier, des défis d'envergure internationale nous contraignent au changement. Le secteur banquier traîne de l'arrière, surtout sur les marchés nord-américains, son plus important marché. Sauf si l'on permet les regroupements, nous allons nous retrouver avec de très petites institutions financières, non concurrentielles -- petites, d'après les normes internationales. La fusion de banques américaines et internationales s'explique, et il y a une raison pour laquelle ce phénomène crée des limites très importantes sur les marchés ainsi que des regroupements d'actifs. Nous devons donc réagir à cela.
Je sais que je vous pousse dans vos retranchements, mais vous connaissez parfaitement cette industrie et j'aimerais savoir si, à titre personnel et non en tant que porte-parole de votre compagnie, vous pourriez répondre à cette question.
M. D'Alessandro: Je trouve que l'argument du plafonnement du marché est hors de propos. Tant que nous appliquons la règle de 10 p. 100 pour que personne ne puisse prendre le contrôle de nos institutions, il importe peu qu'elles vaillent 25 ou 250 milliards de dollars. Quant au fait qu'elles sont beaucoup plus petites que les autres institutions qu'on voit naître partout dans le monde, je vous dirai deux choses.
D'abord, nous devrions tous sauter sur nos épées, parce que notre économie est plus petite que l'économie américaine. Il y a des choses qui dépendent de la taille de notre économie. Notre base se trouve ici. Il est tout à fait illogique de s'attendre à ce qu'une institution canadienne puisse être aussi grosse que la plus grosse des banques d'une économie dont la taille est dix fois supérieure à la nôtre. Ce n'est simplement pas logique.
Deuxièmement, si nous voulons vraiment être responsables en ce qui concerne les affaires de notre pays, nous devons nous réjouir qu'aucune de nos banques ne fasse partie des dix plus grosses du monde. Toutes celles qui font partie des dix premières sont mal en point. Sept des dix premières banques du monde sont japonaises. Aimeriez-vous posséder une banque japonaise? Soit dit en passant, jusqu'à quel point sont-elles présentes sur les marchés internationaux; jusqu'à quel point sont-elles novatrices; jusqu'à quel point la population japonaise est-elle bien servie par ces institutions, mais on pourrait aussi parler des Suisses?
Il faut également considérer la question de la technologie. La Citibank se vantait d'être la banque de la technologie par excellence. On disait toujours d'elle qu'elle dépensait 5 milliards de dollars sur la technologie alors que nous n'en dépensions qu'un milliard. Cependant, elle était cinq fois plus grosse et avait beaucoup plus d'employés que nous. De plus, elle comptait dans la technologie les téléphones et le coût de tous ses écrans d'ordinateur. Soit dit en passant, Citibank confie à contrat une bonne partie de sa gestion. Bank One, une banque aussi grosse que nos institutions, a confié également à contrat la totalité de son traitement des données.
En fait, la technologie est de plus en plus disponible et elle sert à de plus en plus de groupes. Il n'est pas nécessaire d'avoir la grosse tête pour se doter d'une technologie à la pointe du progrès. Les fournisseurs sont là -- dont IBM qui n'est pas le moindre. Ils sont prêts à tout faire pour vous moyennant finance.
Le sénateur Kelleher: Je vous ai écouté avec intérêt et je suis plutôt d'accord quand vous dites que le fait de s'ouvrir aux banques étrangères ne provoquera pas l'arrivée massive de banques au Canada, que cela ne favorisera pas la concurrence outre mesure. Je suppose que vous fondez ce constat sur le fait que les banques étrangères ne vont pas installer des institutions de dépôt partout au Canada et qu'elles se concentreront davantage sur les grandes villes et dans le secteur commercial. N'ai-je pas raison?
M. D'Alessandro: Vous avez tout à fait raison. J'ajouterai simplement à cela que notre marché pour les services bancaires est arrivé à maturité et que notre population augmente très rapidement.
Le sénateur Kelleher: Comme vous le savez, le rapport MacKay nous presse d'autoriser les caisses et les coopératives de crédit à se lancer dans les opérations bancaires. D'après les déclarations des représentants de ces institutions qui ont comparu devant nous, on se rend compte qu'ils envisagent cette possibilité avec enthousiasme et qu'ils l'ont intégrée dans leurs plans.
Étant donné que, si les fusions sont autorisées, il faut s'attendre à une réduction de la concurrence et qu'il y a lieu de craindre une réduction des services, surtout dans les régions rurales, étant donné également votre expérience du domaine bancaire et ce que vous nous avez dit à propos de ce que les coopératives de crédit ont fait dans le passé, pensez-vous que les coopératives parviendront à combler certains créneaux laissés vacants et à constituer des concurrents valables? Je sais, par exemple, que VanCity pense pouvoir le faire.
M. D'Alessandro: Il paraît raisonnable de penser qu'elles devraient être en mesure de fournir une certaine concurrence. Elles le font déjà maintenant et elles devraient pouvoir le faire davantage dans l'avenir. Cependant, je dirais qu'elles ont prospéré durant une période de croissance économique soutenue et qu'elles se débrouillent relativement bien dans la conjoncture actuelle. L'un des points forts de nos services financiers, c'est qu'ils ont une envergure nationale. L'équation serait différente sauf si vous pouviez avoir un regroupement de coopératives de crédit.
Le sénateur Kelleher: C'est ce qu'elles se proposent de faire.
M. D'Alessandro: Mais de la proposition à la concrétisation, il y a tout un pas. Voyez ce qui se passe avec la Caisse Desjardins, qui est une coopérative de crédit très connue au Québec. Personnellement, j'estime qu'il n'est pas sain pour les Québécois d'avoir une telle institution détenant 44 p. 100 du marché. Il n'y a pas de véritable concurrence. On se retrouve dans une situation où l'institution est tellement grosse et où elle domine tellement les affaires du corps politique, qu'elle a une influence démesurée. Voilà tout ce que j'avais à dire sur cette question.
Le sénateur Kelleher: Pensez-vous que dans l'Ouest, où il n'existe pas la même situation de domination qu'au Québec, les coopératives de crédit auraient leur place et pourraient offrir des services raisonnables et constituer une véritable concurrence, au cas où l'on autoriserait les fusions?
M. D'Alessandro: Elles pourraient offrir des services aux petites entreprises ainsi qu'au secteur de la vente au détail. Mais à part cela, je ne crois pas qu'elles seraient de véritables concurrents.
Le sénateur Kelleher: Elles ne veulent pas s'attaquer au niveau supérieur, elles sont intéressées par le bas de l'échelle.
M. D'Alessandro: Effectivement. Il faut chercher à instaurer la concurrence dans tous les segments du marché canadien. Les moyennes et les grandes entreprises doivent avoir les mêmes choix. Si cela peut permettre d'assurer les services dans certaines régions, on parviendra à une certaine concurrence. En revanche, cela ne jouera pas au niveau des nombres ni de façon aussi bénigne que le suggère le rapport.
Le président: Monsieur D'Alessandro, j'aimerais vous poser une dernière question qui porte en fait sur l'opportunité des divers changements de propriétaires.
Envisageons trois périodes. La première correspond à la démutualisation où les nouvelles compagnies à capital-actions modifient leur culture d'entreprise et s'adaptent aux nouvelles règles du jeu. La deuxième période intervient pendant les regroupements autorisés des compagnies d'assurance-vie. La troisième et dernière période est celle de l'avenir incertain, les compagnies pouvant être achetées par n'importe qui.
Les divers rapports -- c'est-à-dire l'ébauche de règlement, le rapport MacKay, l'ébauche de règlement sur la démutualisation et votre proposition -- ne font pas la distinction entre ces trois périodes. La plupart d'entre eux parle de deux périodes -- pas de trois --, et les combinaisons sont différentes.
Par exemple, dans le rapport MacKay il est question d'une période pendant laquelle il ne pourrait y avoir aucune acquisition au sein de l'industrie, sauf autorisation spéciale du ministre, après quoi n'importe qui pourrait devenir immédiatement un acheteur. Vous parlez d'une période pendant laquelle il pourrait y avoir des acquisitions au sein de l'industrie et ce n'est qu'après cela que vous seriez ouvert à des achats par d'autres.
Eh bien, s'agissant de ces trois périodes, trouveriez-vous raisonnable, en supposant qu'on réserve une période de deux ans pendant laquelle aucune acquisition ne serait possible, pas plus amicale que coercitive, afin de permettre les changements de culture nécessaires -- et tous ceux d'entre nous qui ont connu ce genre de changement de culture au sein d'une société savent que cela n'est pas facile -- après quoi vous auriez une période de deux ou trois ans pendant laquelle on permettrait les fusions au sein de l'industrie, mais pas d'achat par des éléments extérieurs; enfin, après quatre ou cinq ans, les sociétés seraient pleinement sur le marché, si je puis m'exprimer ainsi, sans aucune contrainte. Est-ce que ce genre de scénario s'échelonnant sur quatre ou cinq ans, vous paraît sensé? Je vous pose cette question, parce que vous ne parlez pas de la première période et que dans le rapport MacKay il n'est pas question de la deuxième.
M. D'Alessandro: Nous pourrions certainement nous faire au genre de scénario que vous venez de décrire. Pendant deux ans, rien ne se passerait; on laisserait le temps au changement des cultures. Viendrait ensuite une autre période pendant laquelle on assisterait au regroupement au sein de l'industrie. Par la suite, tout le monde pourrait absorber à peu près n'importe qui. Effectivement, nous pourrions accepter cette formule.
Je tiens cependant, si je vous ai bien compris, à apporter une précision: les recommandations de notre groupe de travail ne sont absolument pas contraires à celles du groupe de travail MacKay. Ce sont simplement les durées qui varient.
Je crois savoir que le rapport MacKay recommande une période parapluie de trois ans après la démutualisation; pendant cette période, toute compagnie démutualisée désirant fusionner avec une autre, par consentement mutuel, pourrait le faire. Eh bien, c'est aussi ce que nous disons.
Le président: Par ailleurs, vous faites la distinction entre fusion amicale et OPA hostile. Comme vous le savez, les sociétés sont venues nous dire que cette distinction n'existe pas vraiment. C'est un peu comme le parrain qui vous fait une offre que vous ne pouvez refuser. La question est donc la suivante: prise de contrôle amicale ou hostile? Les choses peuvent se dérouler amicalement, mais on connaît très bien l'issu. Donc, nous avons entendu des témoignages divergents quant à la mesure dans laquelle cela pourrait effectivement se produire.
M. D'Alessandro: Eh bien, je ne pense pas être d'accord avec Bob à ce sujet. D'abord, les règles sont clairement établies: il doit s'agir d'une opération amicale. Si la loi permet ce genre d'hiatus, pendant lequel tout devra se faire de façon consentante et tout devra forcément être approuvé par le pouvoir politique, comment pourrais-je m'attendre à ce que le ministre approuve mon offre à la compagnie de Bob, offre que lui-même et son conseil rejetteraient?
Le sénateur Kroft: Je veux être bien certain de la profondeur de vos réserves relativement à l'acquisition de compagnies d'assurances par les banques, après la période de cinq ans. Vous terminez votre rapport en disant qu'aucune banque à charte ne doit recevoir l'approbation ministérielle avant qu'il n'y ait eu un examen de l'intérêt du public.
Je ne veux pas vous torturer, mais quand, dans la dernière partie de vos remarques liminaires, vous avez déclaré que d'une façon générale nous avions lieu d'être satisfaits de la structure financière institutionnelle que nous avons instaurée au Canada, à quelle hauteur placiez-vous la barrière dans le processus d'approbation? D'après ce que vous avez dit, j'aurais tendance à conclure que vous rejetteriez toute période de prise de contrôle.
M. D'Alessandro: Non, et si je vous ai donné cette impression, je tiens à la corriger. Tout ce que je dis c'est qu'il est raisonnable de nous accorder une période pendant laquelle nous pourrons prouver que nous pouvons accroître la valeur de nos compagnies et devenir de véritables acteurs dans le milieu. Toutefois, si après un certain temps cela ne se produisait pas, nous serions vulnérables et pourrions être achetés par toute autre institution plus forte que la nôtre. Si nous ne parvenons pas à nous implanter solidement ou si nous ne devenons pas un bon franchisé, c'est le marché qui tranchera. Cependant, les marchés devraient évoluer en conformité avec le droit du pays. Ainsi, il faudra respecter le droit du pays disant -- et je ne vois rien de mal à la législation qui est proposée -- qu'il faut tenir un examen de l'intérêt du public parce que ces transactions financières peuvent avoir des conséquences énormes sur la population.
Au terme de la période de cinq ans, si quelqu'un veut acquérir une compagnie, il faudra nous en laisser la possibilité. Soit nous réussissons, soit nous échouons. Comme je l'ai dit dans mon rapport, je doute fort que les cinq compagnies démutualisées actuellement présentes au Canada, soit l'Industrielle Alliance, la Mutual Sun, la Canada Life et nous-mêmes, seront devenues des institutions financières de classe internationale après cinq ans. Ne pensez-vous pas?
Le marché n'est pas assez gros. Même si vous ajoutiez tous nos actifs, nous n'atteindrions même pas la taille de la Banque Royale. Je pense donc qu'il y aura un certain écrémage et des regroupements après la démutualisation. Ce phénomène d'écrémage et de regroupement pourrait donner lieu au mariage d'une compagnie d'assurances avec une autre institution financière. Nous ne recommandons pas d'interdire à jamais que les banques puissent se porter acquéreur de compagnies d'assurances. Elles devraient pouvoir le faire au terme d'une période de cinq ans, uniquement si elles peuvent prouver qu'il en va de l'intérêt du public.
Le président: Merci beaucoup de vous être rendus à notre invitation, monsieur D'Alessandro et monsieur Daniels. Votre intervention nous a été très utile.
La séance est levée.