Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 42 - Témoignages du 26 novembre 1998
OTTAWA, le jeudi 26 novembre 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 11 heures pour étudier le projet de loi C-20, modifiant la Loi sur la concurrence et d'autres lois en conséquences.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous sommes ici pour entendre le dernier groupe de témoins à propos du projet de loi C-20, qui concerne la Loi sur la concurrence. Notre premier témoin est M. Jacob Ziegel, professeur émérite à l'Université de Toronto. Plusieurs parmi vous se souviennent sans doute de M. Ziegel. Nous vous accueillons une fois encore avec plaisir, professeur. Vous connaissez la façon dont nous fonctionnons. Vu que nous sommes un peu pressés par le temps, nous apprécierions que vous condensiez vos propos liminaires. Vous avez la parole.
M. Jacob Ziegel, professeur de droit émérite, Université de Toronto: Merci, monsieur le sénateur. Je suis heureux d'être ici à nouveau. J'ai l'impression de faire un peu partie des meubles. J'espère que, comme les meubles, je servirai à quelque chose. Sénateur Kirby, j'ai préparé un court mémoire écrit. J'espère que le greffier vous en a transmis des exemplaires.
Mes propositions se trouvent résumées aux pages 2 et 3. Je me contenterai de les résumer, avant de m'étendre un peu sur le contenu. C'est un mélange de suggestions qui sont toutes d'ordre quelque peu technique. J'espère que les membres du comité sauront se montrer patients à mon égard.
En premier lieu, je suis contre le nouvel article 52.1, dans la mesure où il limite les possibilités de poursuites contre les auteurs de publicité fausse et trompeuse et d'affirmations faites sciemment et sans se soucier des conséquences. Je prétends que les dispositions actuelles de la loi devraient être conservées pour les raisons que je vais donner dans un instant.
Deuxièmement, j'appuie les nouvelles dispositions qui portent sur les infractions en matière de télémarketing et que l'on trouve dans le projet d'article 52.1, mais je recommande par ailleurs une petite modification de l'alinéa 52.1(3)d). Troisièmement, j'appuie la nouvelle approche réglementaire de la Partie VII.I figurant à l'article 22 qui concerne les pratiques commerciales trompeuses susceptibles d'examen, mais je recommande des améliorations substantielles aux dispositions rectificatives lorsqu'un comportement susceptible d'examen a été démontré.
Enfin, je préconise des mesures plus énergiques en matière d'application des lois sur les pratiques commerciales aux niveaux fédéral et provincial.
Comme le constateront les membres du comité, mes trois premières recommandations portent sur des questions quelque peu techniques mais importantes. La dernière touche l'orientation politique en général.
En ce qui concerne la première, j'explique dans mes propositions que, depuis plus de 100 ans, au Canada, en Angleterre et dans les autres juridictions de common law, le droit reconnaît le concept d'atteinte à la santé et à la sécurité du public, par quoi il faut entendre les infractions de responsabilité stricte; dans le cas du Canada, susceptibles d'une défense fondée sur l'idée que l'on a fait preuve de toute la diligence voulue. Les infractions sociales sont celles où l'objet a pour but de promouvoir la politique gouvernementale en matière de commercialisation, de santé, de sécurité et autres. Toutes les sociétés industrialisées modernes ont un grand nombre de lois de ce genre. Les lois portant sur la publicité mensongère et les pratiques commerciales trompeuses sont généralement considérées comme des lois sociales et par conséquent, les normes auxquelles elles doivent répondre en matière de poursuites sont différentes de celles qui s'appliquent aux infractions pénales explicites et plus classiques.
En ce qui a trait aux dispositions relatives à la publicité fausse et trompeuse, le droit canadien a longtemps soutenu qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention criminelle de l'accusé, mais plutôt de démontrer l'existence réelle d'éléments intrinsèques à la publicité trompeuse. L'accusé peut alors se disculper en montrant que l'infraction s'est produite bien qu'il ait fait preuve de toute la diligence voulue.
Maintenant, le nouvel article 52 se propose de changer tout cela et exige qu'à l'avenir, toute accusation de publicité trompeuse contienne un élément prouvant soit l'intention criminelle, soit l'insouciance. J'examine la question assez longuement dans mes propositions où je fais ressortir plusieurs arguments, dont l'un est qu'il s'agit d'un changement important de politique et de substance en matière d'administration de la loi. S'il doit en être ainsi, il faut que cela s'applique systématiquement aux centaines de lois sociales qui existent au niveau fédéral, sans parler des lois provinciales encore plus nombreuses. Mais ce n'est pas ce que fait cette loi. En effet, on est frappé par une contradiction dans le projet de loi C-20, du fait que tout en signalant qu'au chapitre de la publicité trompeuse, pour qu'il y ait infraction, on exige désormais la mens rea, il introduit pour la première fois le concept d'infraction en matière de télémarketing et rétablit en la matière l'ancien régime de la responsabilité stricte. Cela n'a aucun sens à mes yeux. Il me semble que l'on a donné aux rédacteurs de la loi une série d'instructions contradictoires.
Je pense qu'en soi, cela justifierait une explication et une justification. Je n'en ai entendu aucune et j'ignore également quelle peut être la raison pour laquelle on trouve une série de normes dans la Loi sur la concurrence en ce qui concerne les poursuites pénales et une autre série dans d'autres lois telles que la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur la monnaie, la Loi sur les normes de sécurité et ainsi de suite. Comprenez-moi bien, je ne propose pas que quiconque est coupable de publicité trompeuse soit poursuivi. Je ne prétends pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal à recourir aux nouveaux mécanismes énoncés dans la Partie VII.I, au contraire. Je maintiens simplement que l'on devrait conserver les dispositions actuelles, parallèlement aux nouvelles dispositions, de manière à ce que le Bureau de la concurrence puisse avoir recours à un éventail complet de solutions alternatives. Il n'est pas nécessaire de modifier les dispositions actuelles pour en ajouter de nouvelles dans la Partie VII.I.
Je note également que le nouvel article 52 présente plusieurs autres caractéristiques inacceptables. À cause de cet article, il va être difficile de mener à bien les poursuites qui seront intentées, car il n'entre pas suffisamment dans les détails. L'article 52 décrit assez clairement les divers types d'infraction portant sur la publicité trompeuse comme les ventes au-dessous du prix annoncé, les ventes à prix d'appel, les ventes par recommandation, les pseudo-preuves testimoniales, et ainsi de suite. Le nouvel article 52 a pour résultat foncier d'introduire une structure simplifiée, ce qui d'un certain point de vue, est peut-être une bonne chose. En revanche, il va aussi devenir beaucoup plus difficile de démontrer l'existence des éléments appropriés pour prouver une intention criminelle ou une certaine insouciance.
Je fais aussi remarquer qu'un type de technique particulièrement odieux appelé vente par recommandation fait régulièrement surface aux niveaux provincial et fédéral. Elle est actuellement interdite par la Loi sur la concurrence. Pour une raison ou une autre, elle a été totalement supprimée dans le projet de loi C-20. J'ignore comment cela peut se justifier, sauf peut-être que certaines provinces ont leurs propres dispositions à cet égard. Toutefois, si on prend pour référence ce que font ou ne font pas les provinces, on peut, dans ce cas, soutenir qu'un grand nombre de ces dispositions relatives à la publicité trompeuse devraient aussi ne faire l'objet que de règlements au niveau provincial. Mais cela ne s'inscrit pas dans la perspective générale du projet de loi C-20, et je ne vois donc pas pourquoi on a supprimé les ventes par recommandation dans ce texte.
En ce qui concerne les infractions en matière de télémarketing -- et je vais le souligner à nouveau, sénateur Kirby, car c'est important -- ces nouvelles infractions sont fondées sur la notion de responsabilité stricte, contrairement aux autres dispositions relatives à la publicité fausse et trompeuse proposées dans le nouvel article 52. Je suis conscient que le télémarketing se prête à beaucoup d'abus. Nous sommes tous au courant de certains des nombreux cas qui ont été rapportés, et je n'ai par conséquent aucune difficulté à appuyer ces nouvelles dispositions, compte tenu des réserves que j'ai déjà exprimées.
Toutefois, je voudrais faire une remarque à propos de l'alinéa 52.1(3)d), qui porte sur les ventes par télémarketing et les prix prohibitifs. Il y est stipulé qu'il n'y a rien de mal à vendre des produits ou des services à un prix exorbitant, du moment que leur paiement n'est pas exigé avant la livraison. J'affirme que cette réserve concernant le non-paiement avant la livraison ne manquera pas d'être utilisée comme échappatoire par d'astucieux distributeurs ou avocats, car il y a de nombreuses façons d'agencer une livraison de manière à circonscrire l'obligation stipulée dans le nouvel article. Je recommande que cette obligation soit supprimée de manière à éliminer cet éventuel échappatoire. Quoi qu'il en soit, il me semble plutôt curieux de dire qu'il n'y a aucun mal à demander un prix exorbitant tant et aussi longtemps que l'on n'en exige pas le paiement d'avance. Si les prix exorbitants sont inacceptables, ce que stipulent un grand nombre de lois provinciales, le moment du paiement ne devrait pas entrer en ligne de compte.
Passons maintenant aux nouvelles transactions susceptibles de faire l'objet d'un examen dont il est question dans la Partie VII.I; j'ai déjà mentionné que j'en appuie fortement le principe. J'ai été, il y a de nombreuses années, coauteur, avec un de mes anciens étudiants, Ron Cohen, d'un rapport du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales. Dans ce rapport, nous avons fortement préconisé la mise en place de ces mécanismes parallèles pour l'application des dispositions relatives aux pratiques de commercialisation trompeuses ou fausses.
J'entretiens néanmoins de sérieuses réserves au sujet des recours qui figurent dans la Partie VII.I car, selon moi, ils ne répondent pas suffisamment à ce que tous les analystes ont toujours recommandé à cet égard. Je parle entre autres des recommandations avancées par les groupes de travail qui ont été établis dans les années 70 et 80.
Permettez-moi d'en faire un bref survol.
Le président: Puis-je vous demander de faire court, car nous souhaitons avoir la possibilité de vous poser quelques questions?
M. Ziegel: Tout à fait. Le projet de loi C-20 contient un nombre très limité de recours dans la Partie VII.I. Ils autorisent seulement un tribunal à imposer une sanction pécuniaire, à émettre une ordonnance de cesser et de s'abstenir et à exiger la publication de l'ordonnance. Mais on ne mentionne aucunement, dans la Partie VII.I, les recours aux fins de restitution, les droits privés d'action, ni, en particulier, la possibilité de recours collectifs. Tous les rapports sur le sujet que je connais ont recommandé ces recours additionnels car ils représentent un complément essentiel aux autres recours prévus dans le projet de loi C-20.
En ce qui concerne ma dernière recommandation, même avec le projet de loi le plus parfait, si les crédits et la volonté politique nécessaires pour assurer son exécution n'existent pas, toutes ces dispositions resteront lettre morte. Heureusement, nous possédons déjà une assez vaste législation relative à la protection des consommateurs au niveau fédéral et au plan des consommateurs eux-mêmes, mais cela n'a pas donné de très bons résultats ces quinze dernières années. Au contraire, on a assisté au démantèlement systématique des mécanismes d'exécution. Les choses se sont particulièrement mal passées au niveau provincial, mais on ne peut rien dire d'extraordinaire non plus en ce qui concerne les mécanismes d'exécution au niveau fédéral.
J'exhorte, par l'intermédiaire de ce comité, les gouvernements fédéral et provinciaux à prendre la législation beaucoup plus au sérieux et à se souvenir que la mettre en application est au moins aussi important, sinon plus, que d'avoir une législation appropriée à appliquer.
Si vous me permettez de faire une observation personnelle, sénateur Kirby, je vous dirai que moi qui ai relativement fréquemment comparu devant les comités, j'ai l'impression qu'assez souvent, les témoins se sont donné beaucoup de mal pour faire des propositions. Toutefois, quand un témoin lit le rapport d'un comité, il ne trouve aucune référence aux propositions qui ont été faites, à l'argumentation qui a été développée. On a ainsi l'impression que ce qu'a déclaré un témoin n'était pas important ou que, peut-être, le comité avait d'autres priorités. Je trouve que c'est une expérience pénible. J'espère sincèrement que ce comité, quand il préparera son rapport, prendra au sérieux les propositions qui lui ont été faites, y compris, j'espère, les miennes.
Le président: Comme vous le savez, lorsque vous avez comparu devant nous pour discuter de la Loi sur la faillite, nous avons en fait pris en compte un grand nombre des points que vous aviez soulevés, bien que nous n'ayons pas procédé à toutes les modifications que vous aviez recommandées. Nous avions des avis contradictoires, si je me rappelle bien, sur un grand nombre des sujets que vous aviez abordés, mais dans notre rapport, nous avons tenu compte de vos propositions.
J'aimerais faire une remarque et ensuite, vous poser une question. Vous dites que si, à ce stade, on dépénalise les infractions réglementaires, il faut le faire de façon systématique dans toutes les lois fédérales. Je ne conteste pas cela. Ceux qui sont au courant de la façon dont on fonctionne à Ottawa savent qu'il est quasiment impossible de procéder autrement que progressivement. Aussi avisée que la chose puisse être, il semble que cela ne marche pas au niveau pratique de l'élaboration des politiques gouvernementales. Cela ne fait aucun doute. De l'avis de quelqu'un qui fonctionne dans le cadre de ce système depuis un bon bout de temps, je ne pense tout simplement pas que ce soit, de façon générale, «faisable».
Je n'aborderai pas l'aspect philosophique de la question de la réglementation. Il me semble intéressant que vous vous opposiez à l'utilisation du télémarketing, de la vente d'un produit à un prix largement supérieur à sa juste valeur marchande. Je ne vois pas comment quiconque peut véritablement calculer quelle est la juste valeur marchande de quelque chose. Quand je considère le prix auquel vous pouvez acheter n'importe quel produit donné, que ce soit dans un grand magasin de vente au détail comme Wal-Mart ou dans d'autres magasins, mon instinct me dit que la présente loi a traité cette question de manière satisfaisante, vu qu'elle évite de statuer sur ce qui est un prix largement supérieur à la juste valeur marchande. Je ne comprends pas votre objection à cet égard.
M. Ziegel: Je pense que vous m'avez mal compris. Premièrement, ma critique n'est pas centrée sur la notion de prix exorbitant, mais sur le fait que, si on prend cette notion comme point de référence, il ne faudrait pas faire le lien avec le moment du paiement. Si ce à quoi on s'oppose est qu'on demande aux consommateurs de payer des prix exorbitants, je ne vois pas comment, en l'occurrence, les victimes peuvent s'apercevoir qu'on les exploite.
Le président: Comment pouvez-vous savoir que le prix est exorbitant avant d'avoir vu le produit?
M. Ziegel: Prenons, par exemple, les pierres précieuses -- et plusieurs cas ont porté là dessus -- un non-initié n'aura pas la moindre idée de la valeur véritable de ces pierres précieuses avant d'avoir consulté des experts.
Le président: Il suffit d'aller chez un joaillier pour obtenir une évaluation.
M. Ziegel: C'est ce qui s'est effectivement produit, comme pour un grand nombre d'autres articles.
Le président: Je n'avais pas compris ce que vous avez dit.
Le sénateur Oliver: Ma question concerne la toute dernière remarque que vous avez faite au sujet des gens qui se présentent devant les comités et qui formulent des propositions; vous vous demandez ce qui leur arrive. À plusieurs reprises, au cours de votre exposé et dans votre mémoire, que j'ai lu en diagonale, vous dites qu'il y a des articles dans ce projet de loi qui, selon vous, devraient être amendés. Avez-vous apporté des projets d'amendements que nous pourrions examiner et peut-être intégrer au rapport ou qui pourraient faire l'objet de suggestions?
M. Ziegel: Comme je l'ai dit, par exemple, à propos du projet d'article 52, je le laisserais tel quel. Il n'est pas nécessaire de faire quelque changement que ce soit, car on ne force personne à intenter des poursuites. On dit simplement qu'il existe maintenant de telles dispositions. Si dans des circonstances appropriées, le Commissaire de la concurrence décide de s'en prévaloir, ces prescriptions seront à sa disposition. Il est inutile de changer quoi que ce soit. Vous ajoutez la Partie VII.I et c'est peut-être très bien. Il se peut que dans la plupart des cas, le Commissaire décide qu'il préfère procéder par voie administrative plutôt que par voie pénale. Je n'ai absolument aucune objection à cet égard. Pourquoi démanteler le mécanisme des poursuites pénales? Je ne trouve aucune raison convaincante de le faire. On ne veut pas que des poursuites pour publicité trompeuse puissent être engagées quand il n'y a pas intention criminelle. Je prétends que l'on peut faire la même critique à propos de centaines d'autres atteintes à la santé et à la sécurité du public relevant des compétences fédérales.
Les télévendeurs peuvent formuler les mêmes objections au sujet des nouvelles dispositions relatives au télémarketing. On y trouve des contradictions frappantes. Je trouve que la philosophie sous-jacente n'est tout simplement pas convaincante. Elle est également discriminatoire, car il est beaucoup plus facile de prouver l'existence d'une intention criminelle dans le cas d'un petit télévendeur que dans le cas d'un grand magasin ou d'autres entreprises. Je trouve que c'est aussi inadmissible.
Le sénateur Oliver: Dans le cadre normal du droit pénal, s'il y a une clause qui stipule que personne ne peut sciemment ni volontairement perpétrer un certain acte, cela invoque ce que l'on appelle la mens rea, l'élément mental. C'est un élément subjectif, car il faut sciemment, subjectivement faire quelque chose. L'autre élément serait l'actus rea, soit l'acte que vous posez effectivement. Ce sont les deux éléments qui constituent un crime. Pourriez-vous vous jeter un coup d'oeil au paragraphe 52.1(4)? On parle, à propos d'une poursuite intentée contre quelqu'un qui aurait violé cette disposition, de l'impression générale laissée par la communication en question, et ainsi de suite. Il est question ici de l'impression générale qu'on peut avoir d'un de ces distributeurs.
M. Ziegel: Je m'excuse, mais de quel texte parlez-vous?
Le sénateur Oliver: De la Loi sur la concurrence.
M. Ziegel: Je ne pense pas que vous fassiez allusion au projet de loi C-20. Vous parlez de la loi actuelle.
Le sénateur Oliver: Oui, effectivement. Pouvez-vous me dire si l'impression générale donnée par une communication, ainsi que par son sens littéral, sera prise en compte, et ce qu'il en découle pour la doctrine traditionnelle de la mens rea et de l'actus rea, quand il est question d'une impression générale.
M. Ziegel: Comme je l'ai dit, dans le cadre de la loi actuelle, il est bien établi, à la suite d'un grand nombre de jugements, y compris le très important jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Wholesale Travel, qu'il ne s'agit pas d'infractions où la mens rea entre en ligne de compte et que cela n'a jamais été le cas. C'est pourquoi on les qualifie d'infractions de responsabilité stricte pouvant entraîner une défense fondée sur la diligence voulue.
Le sénateur Oliver: Maintenant, en vertu de l'article 52 proposé dans le projet de loi C-20, ce sont en fait des infractions de responsabilité stricte.
M. Ziegel: Non, il n'en sera pas ainsi. C'est précisément là où le changement va être apporté. Si vous examinez le nouvel article 52 qui figure à la page 8 du projet de loi C-20, l'article 12(1) stipule: «Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement...», et c'est bien stipulé, «... donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses...»; ainsi se trouvera introduit pour la première fois dans la Loi sur la concurrence le concept d'intention criminelle ou d'insouciance. Si vous comparez cela au télémarketing trompeur dont il est question en haut de la page 11, vous vous rendrez compte que ces mots sont manifestement absents. Dans le paragraphe 52.1(3), en haut de la page 11 du projet de loi, on dit simplement: «Nul ne peut, par télémarketing, donner des indications qui sont fausses ou trompeuses.» On ne dit pas «sciemment» ni «sans se soucier des conséquences», n'est-ce pas? Je dis donc qu'il y a une contradiction patente. Selon vous, le télémarketing va être une infraction de responsabilité stricte.
Dans les autres formes de publicité fausse ou trompeuse, l'intention criminelle ou le fait de ne pas se soucier des conséquences deviendra un élément essentiel. Je trouve cela étonnant. Présumément, ceux qui se sont penchés sur le problème du télémarketing se sont rendu compte de la difficulté de démontrer une intention délictueuse et ont, par conséquent, sciemment omis d'en parler. Je ne les blâme pas. Je dis que votre philosophie n'a ni queue ni tête. Décidez dans un sens ou dans un autre. On ne devrait pas trouver deux philosophies différentes dans un même projet de loi ou dans une même loi.
Le sénateur Oliver: Recommandez-vous ou suggérez-vous un amendement?
M. Ziegel: Comme je l'ai dit, mon amendement consisterait à supprimer complètement l'article 12 et à dire simplement que les dispositions actuelles de l'article 52 de la loi traitent de manière générale des infractions criminelles liées à la publicité trompeuse et aux autres indications qui peuvent être données. Ces dispositions existent depuis de nombreuses d'années. On a accumulé toute une jurisprudence à cet égard. Sauf si vous pouvez montrer qu'il y a quelque chose d'intrinsèquement insatisfaisant dans ces dispositions, laissez-les telles quelles. Vous allez disposer de votre nouvelle Partie VII.I. Il se peut fort bien que la loi soit appliquée par le biais de la Partie VII.I. Je n'ai aucune objection à cela, mais dans la mesure où vous considérez souhaitable de continuer à disposer de recours criminels, il n'y a pas de raison de jouer avec l'alinéa 52b).
Le sénateur Tkachuk: Je voudrais vous poser une question sur le concept du télémarketing. Je pense que la définition du télémarketing aux fins de la présente loi réfère à la pratique qui consiste à utiliser des communications téléphoniques interactives pour promouvoir directement ou pour fournir, directement ou indirectement, un produit. Cela comprend-il les communications entrantes, les appels aux numéros de code 800, autrement dit, les cas où les gens sont incités à appeler un numéro par une lettre d'approche directe ou une publicité à la télévision?
Je vais vous donner un exemple. Vous recevez une lettre qui vous annonce que vous avez gagné un prix. Vous pouvez gagner un million de dollars, une voiture ou je ne sais trop quoi, vous avez bel et bien gagné quelque chose et, si vous appelez un numéro de code 900, on va vous dire quoi. Donc vous appelez le numéro en question. On vous facture 19 50 $ sur votre carte de crédit et vous vous retrouvez avec un bon de 10 $ pour acheter quelque chose. Vous n'avez pas gagné le million de dollars ni la Mercedes Benz. Est-ce du télémarketing?
M. Ziegel: Je ne suis pas expert en télémarketing. Vous me demandez en fait quelle est la signification du mot «interactif» à la ligne 2. Je suppose que si vous appelez un numéro et que vous entrez en communication avec quelqu'un à l'autre bout -- et j'insiste, je ne suis pas expert en ce domaine -- j'aurais tendance à interpréter l'expression «communications téléphoniques interactives» comme impliquant l'utilisation d'au moins deux lignes ou la transmission de deux messages aux deux bouts d'une ligne téléphonique. Autrement dit, vous ne parlez pas tout seul. J'ai quelques doutes à propos de l'utilisation du mot «interactives». Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas simplement parler de communications «téléphoniques», mais je laisse aux experts le soin de répondre. On craignait peut-être d'évoquer le cas où quelqu'un passe une commande par téléphone et prend l'initiative.
Le sénateur Tkachuk: Que faut-il penser d'une annonce publicitaire à la télévision qui affirme que vous allez vous enrichir, que vous allez gagner des millions de dollars si vous vous lancez dans l'immobilier, ce qui fait que vous téléphonez et qu'on vous envoie un livre qui vous coûte 300 $?
M. Ziegel: Ce n'est pas différent de n'importe quel autre type de publicité, mais cela soulève la question de savoir ce qu'il faut entendre par «interactif». En quoi est-ce différent? Il peut y avoir des publicités tout à fait légitimes que vous lisez dans les journaux ou sur un dépliant ou que vous entendez à la radio. Vraisemblablement, ce sur quoi on veut mettre l'accent c'est le fait que l'intérêt est suscité par le biais des télécommunications.
Le sénateur Tkachuk: Je suis en train d'essayer de voir comment cela va être interprété. Autrement dit, si je me branche sur l'Internet, s'agit-il d'un appel téléphonique? J'essaie de savoir dans quelle mesure les fonctionnaires du ministère ou ceux qui sont responsables de l'application de cette loi se prévaudront du processus judiciaire pour mettre des lignes téléphoniques sur écoute? Il ne s'agit pas simplement des télévendeurs, n'importe quelle entreprise peut utiliser un numéro 800 pour faire de la publicité qui peut s'avérer trompeuse. Disons que vous vous branchez sur l'Internet et que vous êtes en interaction avec quelqu'un qui vous dit la même chose que l'on vous dirait au téléphone, que vous allez gagner beaucoup d'argent ou que ces magnifiques pierres précieuses sont à vendre et qu'il suffit de donner votre numéro de carte de crédit. C'est une communication interactive. Vous avez composé un numéro, la seule chose c'est que personne ne vous a parlé. Néanmoins, en ce qui me concerne, il s'agit d'un appel téléphonique.
M. Ziegel: Je ne comprends pas très bien ce qui vous inquiète. Craignez-vous que la définition de télémarketing soit trop large ou trop étroite?
Le sénateur Tkachuk: C'est à vous que je pose la question. Je ne sais pas si la définition est large, car je ne suis pas avocat et ce que je cherche à savoir, c'est si par «communications téléphoniques interactives», on entend des communications où l'on parle à quelqu'un, où l'on se branche sur l'Internet, où l'on compose un numéro 800 ou n'importe quelle version des communications électroniques.
M. Ziegel: Les avocats n'ont pas le monopole de la sagesse, monsieur le sénateur.
Le sénateur Tkachuk: J'essaie de savoir ce que vous en pensez.
M. Ziegel: Je n'ai aucune compétence technique me permettant d'interpréter le mot «interactif». Je ne suis pas certain de ce qu'il ajoute à la signification des mots «communications téléphoniques». Je pense que si l'on omettait le mot «interactif», on ne changerait pas substantiellement le sens de ce que l'on vise en parlant de l'utilisation des communications téléphoniques aux fins de promouvoir des produits, et cetera.
Le président: Monsieur Ziegel, merci d'être venu.
Mesdames et messieurs les sénateurs, le témoin suivant est M. Larry Wagg représentant le Congress of Union Retirees. Monsieur Wagg, bienvenue et merci d'avoir accepté de témoigner.
M. Larry Wagg, vice-président, Congress of Union Retirees: Nous tenons à vous remercier de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité. Je ne sais pas quelle sera la portée des observations que nous allons faire ce matin. Vous savez sans doute que le Congress of Union Retirees of Canada, dont je suis le premier vice-président et dont ma collègue, Mme Mary Eady, est la représentante à Ottawa, a présenté un mémoire au comité permanent de la Chambre des communes. Nous l'avons fait conjointement avec la Fédération Nationale des Retraités et Citoyens <#00C2>gés, dont nous sommes l'affilié le plus important. Au début du mois de juin, nous avons fait du «lobbyisme», si l'on peut dire, pour comparaître devant le comité du Sénat. Ces pressions n'ont pas abouti, et nous avons donc recommencé en septembre.
Nous appuyons ce projet de loi, mais nous remettons en question certaines dispositions.
Nous avons préparé un bref mémoire, que Mme Eady va présenter, et nous répondrons ensuite à nos questions.
Mme Mary Eady, représentante à Ottawa du Congress of Union Retirees of Canada: Le Congress of Union Retirees of Canada a été créé lors d'une assemblée qui s'est tenue en 1993 à Toronto. Cette association a pour objet de créer des maillages entre divers organismes établis dans tout le Canada par des retraités qui appartenaient à des syndicats affiliés au Congrès du Travail du Canada.
Les autres objets de l'organisme sont les suivants: suivre l'évolution des tendances en matière de conventions collectives et analyser les initiatives à caractère social, économique, éducatif, législatif et politique qui risquent d'intéresser les syndiqués à la retraite et leur conjoint. Nous nous chargeons également de transmettre des requêtes aux législateurs, dans le but de faire déposer et entrer en vigueur des mesures législatives qui ont pour but d'améliorer la santé et le bien-être de tous les retraités et qui sont conformes aux politiques du Congrès du Travail du Canada.
Depuis sa fondation, le CURC a vu le nombre de ses adhérents passer à 500 000. Nous sommes persuadés que nous allons atteindre le million dans les deux prochaines années, grâce à l'affiliation de groupes établis dans toutes les régions du Canada, d'un océan à l'autre.
Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de présenter notre opinion sur le projet de loi C-20. Ce sont les articles concernant les pratiques frauduleuses de télémarketing qui nous préoccupent particulièrement. Nous souhaitons également faire valoir que l'organisme chargé d'appliquer cette loi et ses règlements afférents doit avoir le financement adéquat pour ce faire. Sans cela, à notre avis, on ne pourra pas véritablement donner un sens aux dispositions législatives, quelle que soit leur valeur intrinsèque.
Comme nous l'avons déclaré au comité permanent de l'industrie en mai dernier, nous sommes préoccupés par le fait que l'on offre de plus en plus de biens et de services par le biais de l'Internet. J'ai suivi avec intérêt votre discussion avec le témoin précédent lorsque vous avez abordé la question de savoir si la loi actuellement en vigueur peut s'appliquer à la vente des articles qui sont proposés sur l'Internet et sur la toile. Lorsque nous avons soulevé cette question au comité devant lequel nous avons comparu au mois de mai, on nous a laissé entendre que ces dispositions législatives ne couvraient pas les pratiques frauduleuses sur l'Internet. Nous avons demandé que l'on prenne cette question en considération étant donné qu'à notre avis, cette forme de marketing est celle qui s'imposera dans le futur. Cela ne sert pas à grand chose d'adopter de nouvelles lois qui portent davantage sur des pratiques passées que sur celles qui auront probablement cours à l'avenir.
On nous a informés qu'un autre groupe, au sein du gouvernement, examinait la question de l'Internet, mais selon nous, il serait plus logique qu'elle soit traitée dans le cadre du présent texte législatif.
À ce que je sache, pour utiliser l'Internet, il faut avoir recours à une ligne téléphonique, mais pas «en direct», l'usager doit passer par l'intermédiaire d'un fournisseur de services qui établit la liaison.
Comme vous pouvez le voir, je n'ai pas de connaissances techniques en ce domaine, mais je pense qu'il est important de comprendre la technologie actuelle et ce qui nous attend au tournant du chemin, afin d'assurer que la loi couvrira ce qui va se passer à l'avenir. Ayant acquis une certaine expérience au sein d'un gouvernement provincial, je sais à quel point le dépôt et l'approbation d'une nouvelle législation est un processus lent et difficile.
Enfin, je ne saurais trop insister, comme nous l'avons fait devant le comité de la Chambre des communes, sur notre désir d'être consultés, une fois les règlements élaborés, car si j'en crois mon expérience, les règlements sont la substance qui donne corps à la loi. Ils peuvent jouer un rôle crucial dans la façon dont la loi est exécutée et dont elle est comprise par les citoyens. Il est important que la population comprenne ce que la loi peut leur offrir.
M. Wagg: J'ai pris connaissance du projet de loi. Il est très difficile, pour un profane, de le comprendre. À ce que je sache, il faut qu'il y ait six plaignants avant que le tribunal accepte d'examiner une plainte déposée officiellement. On a prétendu que c'était un moyen de prévenir les accusations frivoles. S'il en est ainsi, les personnes âgées courent des risques particuliers. Faut-il qu'il y ait six plaignants différents pour déclencher le mécanisme d'application de la loi? Est-ce que ces plaintes peuvent être formulées à des mois d'intervalle?
Il faut se rappeler que de nombreuses personnes sont trop embarrassées par l'incident dont elles ont été victimes pour porter plainte. Beaucoup de personnes âgées vivent seules. Comment pouvons-nous leur apporter l'aide dont elles ont besoin? Nombre d'organismes canadiens regroupant des personnes âgées intègrent à leurs activités d'action sociale des programmes éducatifs. On devrait mettre des fonds à leur disposition pour leur permettre d'acheter de la documentation à caractère éducatif.
L'application de la loi est un autre sujet qui nous préoccupe. Comme nous l'avons dit lors des audiences du comité permanent de la Chambre des communes, à nos yeux, «un escroc restera toujours un escroc». Le hasard a voulu que nous témoignions après un avocat qui représentait la Baie et qui décriait le fait que son client, le président de cette entreprise, appelé à comparaître, s'était retrouvé au milieu de prostituées, de trafiquants de drogue, et cetera. Nous sommes toujours convaincus de la véracité de l'observation que nous avons faite à ce moment-là.
Nous craignons que l'on en vienne à prendre à la légère le mécanisme qui est prévu et qui n'est pas de nature pénale. Trop souvent, notre système judiciaire traite les délinquants d'affaires de façon différente, pour des raisons qui m'échappent. En conséquence, on permet à ce type de criminels de continuer d'évoluer dans la société et, trop souvent, de récidiver.
Nous approuvons l'article qui permet d'obtenir une autorisation judiciaire pour intercepter des communications privées en matière de complot, de trucage des offres ou de télémarketing trompeur. Pour un organisme comme le nôtre, il a été très difficile d'accepter cette disposition, à cause de ce qu'elle implique au plan des libertés civiques, mais à notre avis, le bien commun l'emporte sur ces considérations.
Le sénateur Oliver: J'ai été heureux de vous entendre parler de la nécessité de sensibiliser les gens au problème. Les témoins qui représentaient l'Association canadienne du marketing direct nous ont dit qu'un grand volet de leur activité était constitué d'initiatives à caractère éducatif. Cette association remplit son rôle sur ce chapitre en proposant des séries de séminaires, en organisant des assemblées semi-annuelles, en décernant des prix à l'industrie et en mettant au point des programmes éducatifs de niveau postsecondaire. Cet organisme participe à la sensibilisation de divers groupes, et les personnes âgées pourraient faire appel à ses services.
M. Wagg: Il y a environ un an et demi, des représentants du ministère et de l'Association canadienne du marketing direct ont tenu ce que vous appelez un «séminaire». Ils ont présenté des vidéos, et ainsi de suite. Sans aucun doute, ils essaient de sensibiliser les gens, mais je ne peux discerner aucun effet notable parmi les groupes de personnes âgées avec lesquelles nous avons des relations et ils n'ont pas de contact direct avec cet organisme de marketing. Le ministère a distribué des copies des vidéos. C'était il y a deux ans, et je ne sais pas s'il y a eu un suivi.
Le président: Monsieur Wagg, madame Eady, je vous remercie de l'aide que vous avez apportée au comité.
Sénateurs, les témoins suivants sont M. Warren Stellman et M. John Kohos, représentant Normak Business Communications de Montréal. Vous pourriez peut-être nous présenter les points saillants de votre mémoire avant que nous passions aux questions.
M. John Kohos, Normak Business Communications: En venant ici, me rendant compte que nous allions disposer d'environ dix minutes pour témoigner, je me suis promis que si jamais je trouvais un moyen de présenter des arguments convaincants en dix minutes, j'écrirais un livre sur le sujet. Peut-être est-ce ce que je vais faire sur le chemin du retour.
Mesdames et messieurs, permettez-moi de commencer en disant que nous sommes d'accord avec l'esprit du projet de loi. Néanmoins, nous sommes venus ici pour demander un amendement qui retardera la mise en oeuvre de ce projet de loi d'au moins six mois, de façon à ce qu'il puisse être examiné comme il se doit. Nous sommes venus armés de bonnes raisons à vous présenter. Nous vous avons distribué un bref mémoire. La première partie, c'est-à-dire le texte de notre présentation, fait moins de deux pages. C'est tout ce que nous avons pu préparer dans les délais qui nous ont été imposés et c'est probablement plus que je peux couvrir en dix minutes.
La deuxième partie illustre l'excellente raison que nous avons de croire que le projet de loi C-20 devrait être étudié de beaucoup plus près avant qu'on lâche les amarres. Nous estimons qu'avant d'adopter le projet de loi C-20, vous devriez prendre en considération la question de savoir qui sera chargé d'en faire appliquer les dispositions. Fondamentalement, ce sont les personnes qui seront ainsi désignées qui constitueront le système mis en place, si ce n'est pas cette Chambre, par exemple, qui assume ce rôle.
Lorsque nous aurons terminé notre présentation, nous vous laisserons une copie du texte de notre mémoire pour que vous puissiez le passer en revue.
J'espérais pouvoir vous transmettre un document avant aujourd'hui, mais nous avons eu moins de douze jours pour nous préparer. C'est seulement la semaine dernière que nous avons vu la version finale du projet de loi. En toute franchise, nous avons été quelque peu déçus et peut-être un peu décontenancés quand nous en avons pris connaissance, parce que c'est le même document qui a été présenté au comité de la Chambre des communes. Aucun changement n'y a été apporté, même si toutes sortes de gens se sont déclarés préoccupés par des questions comme l'écoute clandestine arbitraire, le caractère vague de l'énoncé, la nature discutable des pouvoirs que ce texte confère et la proposition selon laquelle une personne pourrait être considérée coupable d'un acte que pourrait commettre une autre personne à l'avenir.
J'ai eu l'occasion de parler à un député il y a deux jours, et il m'a souhaité bonne chance quand je lui ai dit que j'allais comparaître devant vous. Il m'a également donné un excellent conseil auquel j'ai eu le temps de réfléchir. Il m'a recommandé de me préparer à répondre à deux principaux arguments qui, selon lui, ont permis au projet de loi d'en arriver à l'étape où il est aujourd'hui. Le premier est le suivant: il y a parmi nous des gens qui arnaquent les grands-mères. Et le deuxième, c'est qu'il faut faire confiance au système.
Nous n'avons rien à redire en ce qui concerne les grands-mères. C'est vrai qu'il y a des gens qui les arnaquent. Nous sommes des télévendeurs de profession. Nous faisons partie de l'industrie. C'est un problème auquel nous sommes confrontés tous les jours. Nous savons que c'est vrai. D'autres autorités chargées de l'application des lois, ainsi que les gens qui ont été victimes de ce genre de pratique savent aussi qu'il en est ainsi. Nous le reconnaissons, il faut faire quelque chose. Cependant, si ce projet de loi est adopté tel qu'il est rédigé, ce n'est pas seulement de nos grands-parents qu'il va falloir s'inquiéter, mais aussi, je présume, de nos petits enfants, à cause du texte qui va avoir force de loi.
Passons maintenant au second argument, selon lequel il faut faire confiance au système. Nous accordons des pouvoirs étendus et nous faisons confiance aux gens qui vont les détenir pour savoir comment les utiliser. En réalité, nous donnons aux gens chargés d'appliquer la loi un gros bâton et un pistolet en nous disant qu'il est inutile de s'inquiéter parce qu'ils sauront quoi en faire.
Je vais vous donner quelques détails sur notre expérience passée qui expliquent pourquoi ce point a attiré notre attention et nous inquiète. Nous exploitons notre entreprise depuis à peu près dix ans et nous avons environ 15 000 clients. Nous n'avons jamais été reconnus coupables d'une activité criminelle. Nous n'avons jamais été accusés d'avoir eu des activités criminelles. Aucun jugement n'a jamais été rendu contre nous. Aucune requête en ce sens n'a jamais été présentée à un juge.
Lorsque nous nous sommes lancés en affaire, nous avons donné 5 000 $ au Bureau d'éthique commerciale de Montréal et nous avons dit aux responsables d'utiliser cette somme à leur gré s'ils estimaient qu'un problème impliquant un de nos clients n'était pas réglé à son entière satisfaction. Jusqu'ici, ils n'ont jamais eu à utiliser un sou de l'argent que nous leur avons confié. Nous avons récemment vendu une de nos entreprises à Bell. En un mot, voilà qui nous sommes.
En ce qui a trait à la question des pouvoirs étendus que l'on accorde dans le projet de loi et de la confiance que nous devrions avoir envers ceux qui en useront, permettez-moi de faire état d'une de mes expériences personnelles. Il y a quelque temps, un policier de l'Ontario est venu à Montréal et est entré dans la banque avec laquelle nous faisons affaire. Après lui avoir montré son insigne, il déclara au gérant de notre banque que nous faisions l'objet d'une enquête pour racket. Il ajouta que la banque pourrait être impliquée dans l'affaire, à titre de complice, parce que nous y étions clients. Aujourd'hui, plus d'un an plus tard, notre banque nous fait encore payer 1 000 $ par mois, en plus des frais bancaires qu'elle perçoit normalement, uniquement pour se couvrir contre les risques qu'elle pourrait courir au cas où nous ferions l'objet de ces poursuites imaginaires.
À la suite de cet incident, le même policier ontarien a rendu visite à notre banque américaine qui se trouve au Vermont, accompagné d'un représentant des forces de police locales. Ils ont tous deux montré leur insigne et ils ont fait tellement peur au gérant de la banque que non seulement il a fermé nos comptes, mais il a gardé 50 000 $ qui nous appartenaient pendant plus d'un an, juste au cas où quelque chose se matérialiserait à la suite de la visite des forces de l'ordre. Rien de la sorte ne s'est jamais passé. Aucune accusation n'a été portée et aucune enquête n'a été menée.
Le Bureau d'éthique commerciale de Montréal essaie maintenant de nous rendre les 5 000 $ dont j'ai parlé et veut nous mettre à la porte parce que le Bureau d'éthique commerciale du Canada le menace de sanctions s'il renouvelle notre adhésion. Nous n'avons rien fait. À ce qu'ils disent, ils coopèrent avec ce policier de l'Ontario dont j'ai parlé. Je ne sais pas si je dois vous donner son nom. Je soupçonne que le comité connaît le nom de la personne dont je parle et qui mène cette «descente en règle» contre les télévendeurs.
Le Bureau d'éthique commerciale du Canada coopère avec ce policier ontarien. Cet organisme ne veut prendre aucune part aux pressions dirigées contre toute activité qui pourrait être qualifiée de télémarketing.
Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de demander à ce policier pourquoi il agissait ainsi envers nous. Il m'a dit qu'il voulait que nous l'aidions à coincer quelqu'un dans l'industrie du télémarketing, quelqu'un qui, depuis, a été arrêté. Je l'ai vu à la télévision. On l'a menotté et arrêté; cela a fait beaucoup de bruit; et le gars en question a été condamné. Finalement, il a payé une amende de 20 à 30 000 $, il est rentré chez lui, il a pris une douche et il est allé à la bar-mitsva de son fils. Notre policier voulait coincer ce type et il pensait que nous pouvions l'aider. Lorsque nous avons refusé, il nous a menacés de nous faire passer pour des criminels jusqu'à ce que nous l'aidions. À mon tour, je l'ai menacé de le dénoncer et lui, de faire faire une enquête personnelle sur moi.
Le président: Pourrions-nous revenir au projet de loi, si cela ne vous dérange pas? Je comprends que pour vous, il s'agisse d'un problème important, mais nous ne sommes pas ici pour examiner des cas personnels. Si vous avez des observations particulières à faire à propos du projet de loi, je serais heureux de les entendre.
M. Kohos: Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, si je décris ce cas particulier, ce n'est pas pour défendre ma cause, mais pour démontrer la véracité de mes propos concernant les pouvoirs que l'on accorderait si ce projet de loi était adopté, la façon dont ils seront accordés et ce qu'ils permettront de faire.
On nous a dit que nous serions appelés à commenter l'argument selon lequel, parfois, il faut laisser le système fonctionner. Pour faire confiance au système et le laisser fonctionner, il faut être certain que les gens qui seront chargés d'appliquer les dispositions législatives dont nous leur confions la mise en oeuvre, qui détiendront les pouvoirs que nous leur donnons, agiront de façon responsable et de bonne foi. En réalité, il existe un risque que les mesures que nous leur demandons d'appliquer deviennent un instrument qu'ils peuvent utiliser pour exercer des pressions sur des innocents, pour punir des gens qui n'auront même pas la possibilité de se défendre dans le cadre d'un procès. C'est cela qui, en grande partie, nous préoccupe.
Nous soutenons que le projet de loi n'est pas un instrument constitutionnel. Nous ne pensons pas qu'il sera jugé acceptable. Nous ne croyons pas qu'il survivra le test Oakes qui a trois volets. Il faut d'abord que le texte en question ait un objectif honorable -- et c'est le cas du projet de loi. Nous sommes d'accord là dessus.
Cependant, il faut aussi que le texte soit bien conçu pour que cet objectif soit atteint et que, ce faisant, il y ait le moins possible d'effets secondaires. Penons un exemple élémentaire; pour des raisons qui ont à voir avec la sécurité publique, il ne faut pas crier «au feu» dans un cinéma en flammes. C'est une restriction, mais c'est une restriction raisonnable. Cela permet d'éviter la panique. Si nous réécrivions cette règle et qu'au lieu de dire qu'il ne faut pas crier «au feu» dans un cinéma, nous disions que, pour atteindre le même objectif, il ne faut pas crier du tout, ni même parler dans un cinéma où il y a foule, en présumant que ledit cinéma n'est pas en feu, non seulement nous atteindrons l'objectif que nous nous sommes fixé, mais nous irons au-delà et nous ferons fi inutilement d'autres droits, tant et si bien qu'une telle règle ne passerait pas le test avec succès.
Nous suggérons que, dans le cas qui nous occupe, le projet de loi va clairement au-delà de l'objectif que l'on veut atteindre. À notre avis, on crée ainsi une curiosité juridique qui n'a aucun équivalent dans ce pays. Selon nous, ce texte est incompatible avec les lois du Canada, et il devrait être réexaminé.
Je ne suis pas avocat et je ne fais pas beaucoup d'exposés comme celui-ci. Je me suis donné énormément de mal pour répertorier nos sujets de préoccupation et les présenter de façon organisée, et j'aimerais beaucoup pouvoir faire état de tous ceux dont je n'ai pas encore parlé.
Le sénateur Tkachuk: Donnez-moi un exemple précis de ce que vous cherchez à démontrer.
M. Kohos: Je n'en suis pas encore là. Tout ce que j'ai fait jusqu'ici, c'est vous donner des informations sur les antécédents de notre entreprise. J'ai essayé de faire un rappel de son historique et, de façon aussi créative que possible, d'établir un lien avec certaines dispositions particulières du projet de loi.
J'ai mentionné qu'un policier m'avait menacé de faire faire une enquête personnelle sur moi parce que j'avais dit que je le dénoncerais à cause de son attitude. Il m'a rappelé, effectivement, 20 minutes plus tard pour me dire que mon père, âgé de 70 ans, était un joueur invétéré, ce qui est vrai. Bien évidemment, je le savais déjà. Quoiqu'il en soit, il a mis sa menace à exécution. Nous en subissons encore les conséquences. De notre point de vue, ce serait comme si nous donnions à ce gars là un pistolet chargé et un permis pour l'utiliser.
Nous arrivons alors à la question suivante: Quels sont les systèmes dans lesquels nous pouvons avoir confiance? En vertu du projet de loi, on peut m'imposer une amende ou une peine de prison et on peut fermer mon entreprise en invoquant une infraction que je n'ai même pas commise. On peut procéder ainsi en prétendant tout simplement qu'il est possible qu'une infraction, ou un acte qui peut mener à une infraction, directement ou indirectement, soit commise à l'avenir, soit par quelqu'un dont on n'a pas besoin de révéler l'identité, soit par une personne qui ne fera jamais l'objet de poursuites. Cette loi n'exigera pas qu'il y ait un contrevenant, elle n'exigera pas qu'il y ait une victime, elle n'exigera même pas qu'un crime ait été commis, et pourtant, on y prévoit des sanctions pénales.
Un document qui, selon moi, constitue un truc pour contourner la Charte des droits et libertés, quel que soit le but qui est poursuivi, me pose un gros problème. C'est comme si quelqu'un disait: «Vous tous qui êtes innocents, vous n'avez aucun souci à vous faire. Nous savons qui est coupable. Vous nous donnez un chèque en blanc, mais nous savons qui est le coupable».
Disons que vous êtes un employé ou le directeur d'une entreprise et que vous faites quelque chose qui, en fait, est une infraction ou qui peut mener à une infraction, ou encore qu'il est possible que vous fassiez quelque chose ou que vous soyez sur le point de faire quelque chose qui pourrait être considéré comme une infraction ou mener à une infraction, alors, vous risquez d'être reconnu coupable.
Le sénateur Oliver: À quel article de la loi faites-vous allusion?
M. Kohos: C'est noté dans notre mémoire. Cela a trait aux amendements. Nous n'avons pas eu la possibilité d'examiner tout le projet de loi.
Le président: Êtes-vous membre de l'Association canadienne du marketing direct?
M. Kohos: Nous avons été membre en règle de l'Association canadienne de marketing en direct pendant un certain nombre d'années. Il n'y a jamais eu de plaintes formulées contre nous qui n'aient pas été résolues. De fait, je crois que nous sommes la seule entreprise de télémarketing qui ait été membre du Bureau d'éthique commerciale et de l'Association canadienne du marketing direct. Cependant, comme je l'ai indiqué, nous avons été obligés de quitter ces associations parce qu'elles nous ont dit qu'elles subissaient des pressions.
Le paragraphe 52.1(7) stipule que:
... dans la poursuite d'une personne morale,... il suffit d'établir que l'infraction a été commise par un employé ou un mandataire de la personne morale, que l'employé ou le mandataire soit identifié ou non.
Ensuite, au paragraphe 52.1(8), il est stipulé qu'un dirigeant est, et je cite:
... (considéré) comme (un des) coauteurs de l'infraction et encourt la peine prévue pour cette infraction, que la personne morale ait été ou non poursuivie ou déclarée coupable.
Il est donc stipulé qu'un dirigeant est considéré comme coauteur d'une infraction et encourt la peine prévue pour cette infraction au nom de son entreprise, même si cette entreprise n'a jamais été poursuivie ni déclarée coupable.
Le sénateur Oliver: Toutefois, il est stipulé au paragraphe 52.1(7):
... sauf si la personne morale établit qu'elle a fait preuve de toute la diligence voulue...
Faire preuve de toute la diligence voulue est donc un facteur.
M. Kohos: C'est acceptable.
Le sénateur Oliver: Il est possible d'invoquer pour sa défense qu'on a fait preuve de toute la diligence voulue.
J'ai deux brèves questions à vous poser. Dans le document que vous nous avez distribué, on trouve une définition du télémarketing. D'où vient cette définition? La voici: «Le télémarketing est l'utilisation systématique de communications téléphoniques vocales, interactives, en direct et en aval, pour vendre des produits ou des services directement à des personnes qui n'ont pas demandé à être ainsi sollicitées.» Qui est l'auteur de cette définition?
M. Kohos: C'est une définition que nous avons proposée, et dans le rapport, nous ajoutons que tout ce qui n'entre pas dans le cadre de cette définition revient à faire des affaires ou à simplement parler au téléphone.
Le sénateur Oliver: Vous utilisez le mot «directement», alors que dans le projet de loi C-20, on dit «directement» et «indirectement». Pourquoi n'avez-vous pas inclus le mot «indirectement»?
M. Kohos: J'ai décidé d'enlever le mot «indirectement».
Le sénateur Oliver: Vous parlez de «... vendre des produits ou des services directement...», et non «indirectement».
M. Kohos: La question qui se pose est la suivante: Qu'entendez-vous par «indirectement»? Dans quelle mesure cette action doit-elle être indirecte?
Le sénateur Oliver: Vous utilisez également l'expression «communications vocales en direct». Pouvez-vous me dire ce que cela signifie et pourquoi vous utilisez cette expression?
M. Kohos: Oui, monsieur, j'aimerais beaucoup vous expliquer cela. En essayant de donner une définition ramassée, nous ne cherchons pas à éviter quoi que ce soit. Ce que nous essayons de faire, c'est vous donner ce qui devrait être la définition de télémarketing.
Le sénateur Oliver: Pourriez-vous, s'il vous plaît, répondre à ma question concernant l'expression «communications vocales en direct». Je n'ai pas beaucoup de temps.
M. Kohos: Nous représentons une entreprise de télémarketing. Ce que nous faisons précisément, c'est ceci: nous décrochons le téléphone et nous communiquons avec une personne qui ne nous a pas demandé de le faire. La question qui nous occupe n'est pas de savoir comment nous avons obtenu cette information, le nom et le numéro de téléphone, et cetera, de cette personne. Il existe aujourd'hui beaucoup de services d'information professionnels. Nous décrochons le téléphone; nous appelons cette personne; nous lui parlons; nous lui offrons un service et nous essayons de lui expliquer pourquoi. En fait, nous essayons de la convaincre d'acheter, aujourd'hui et non demain, un produit ou un service que nous lui offrons. Nous faisons cela directement. C'est à cause de cela qu'il doit exister certaines mesures de protection. Manifestement, le comportement des gens qui font ce que nous faisons doit être contrôlé, et tel est l'objet du projet de loi.
Je possède également une entreprise d'informatique. Si quelqu'un appelle mon magasin et parle à l'un de mes techniciens et qu'ensuite, ce client prétend avoir été induit en erreur par des renseignements qui lui ont été communiqués par téléphone et qui peuvent concerner ou non quelque chose qui a été acheté dans mon magasin ou le fait d'avoir été incité à acheter quelque chose, comment pourrait-il s'agir de télémarketing? Si j'appelle une pizzeria dont le nom apparaît dans les Pages jaunes et si je commande une pizza, s'agit-il de télémarketing? Si j'envoie quelque chose à quelqu'un par télécopieur, s'agit-il de télémarketing?
Le facteur important, dans toute activité de télémarketing, c'est le fait que des pressions sont exercées. Quelqu'un que vous ne connaissez pas vous appelle au téléphone et vous presse d'agir.
Le sénateur Oliver: Vous nous avez dit que vous n'avez jamais commis d'acte criminel, que vous avez versé 5 000 $ au Bureau d'éthique commerciale de Montréal et que vous avez 15 000 clients. Que faites-vous pour ces 15 000 clients?
M. Kohos: Nous leur vendons un produit. Nous leur vendons des articles publicitaires.
Le sénateur Oliver: Qu'est-ce qui fait de ces gens-là des clients? Vous versent-ils des droits?
M. Kohos: Non. Nous les appelons au téléphone à titre de commerçant, de fournisseur de services, étant donné que nous personnalisons tous les produis que nous vendons. Nous leur faisons une offre, et ils achètent par notre intermédiaire.
M. Warren Stellman, Normak Business Communications: Nous vendons de la publicité, des produits spéciaux qui peuvent être offerts en cadeau, des articles publicitaires qui sont tous personnalisés. Notre activité est particulièrement intense à l'époque de Noël. Nous vendons des articles qui peuvent être donnés en cadeau.
M. Kohos: Nous appelons les gens au téléphone et nous essayons de retenir leur attention. Nous tentons de les persuader de nous acheter un certain article et ensuite, nous raccrochons. Nous reconnaissons que, parfois, les gens peuvent agir impulsivement et acheter quelque chose qu'à la réflexion, ils ne veulent pas vraiment. C'est cela qui porte surtout à controverse.
Quarante-huit heures plus tard, une jeune femme va rappeler le client. Son travail consiste uniquement à faire la revue de tous les détails afférents à la vente: «J'aimerais que vous me confirmiez que vous avez acheté ceci ou cela, oui ou non? Est-ce que l'inscription qui doit apparaître sur cet article est bien celle-ci? Est-ce que la façon dont votre nom s'épelle est bien celle-ci: oui ou non?» Nous passons en revue le moindre détail concernant la vente. De fait, tous nos appels sont enregistrés pour que nous puissions nous assurer que nos clients reçoivent un bon service et au cas où quelqu'un rappellerait pour nous dire que son nom n'a pas été épelé correctement.
Le président: Merci, monsieur Kohos. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de venir comparaître devant nous.
Mesdames et messieurs les sénateurs, les témoins suivants représentent l'Association du barreau canadien; il s'agit de M. Tim Kennish, membre du Bureau, Section du droit de la concurrence, et de Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit. Bienvenue.
M. J. Tim Kennish, membre du Bureau, Section du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien: C'est Mme Thomson qui va vous présenter le début de notre exposé.
Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Monsieur le président, honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien est très heureuse, comme toujours, de comparaître aujourd'hui devant le comité pour discuter du projet de loi C-20, Loi modifiant la Loi sur la concurrence. L'ABC est une association nationale qui représente plus de 34 000 juristes canadiens. Le mémoire que vous avez devant vous aujourd'hui a été préparé principalement par la Section du droit de la concurrence, en collaboration avec la Section du droit de l'information et des télécommunications.
L'ABC a pour principaux objectifs l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce contexte que nous vous présentons nos observations aujourd'hui. Vous avez reçu une copie de notre mémoire et de notre lettre d'accompagnement.
M. Kennish, qui est membre du Bureau de la Section du droit de la concurrence va vous présenter les observations de fond que nous souhaitons faire aujourd'hui.
M. Kennish: Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à faire connaître notre point de vue sur le projet de loi C-20. L'Association du Barreau canadien a été impliquée de près dans l'élaboration du présent projet de loi depuis l'époque où il n'existait que sous la forme d'idées et d'un document de travail, en passant par l'examen par un groupe de consultation, pour aboutir enfin au dépôt du projet de loi. Nous avons transmis au comité de la Chambre des communes un mémoire exhaustif, et nous avons également préparé le document que vous avez maintenant devant vous.
Aujourd'hui, je vais concentrer mes observations, formulées au nom de notre association, sur deux points, c'est-à-dire les dispositions portant sur ce que l'on appelle l'écoute électronique et sur la dénonciation. Les mémoires que nous avons présentés précédemment portaient sur toute une gamme de sujets. Nous avons joint à notre lettre copie du mémoire que nous avons présenté au comité de l'industrie. Si vous avez quelque question que ce soit à poser à propos de ce mémoire, je serais heureux d'y répondre plus tard.
Nous reconnaissons que toutes nos observations sur ces diverses dispositions ne peuvent pas être prises en compte. Nous souhaitons également souligner qu'il existe dans le projet de loi C-20 de nombreux articles que nous considérons comme des mesures très positives et constructives. Les deux sujets que je veux aborder touchent des questions à propos desquelles nous avons une opinion assez tranchée, que ce soit au point de vue du fond ou de la forme.
Commençons par la forme: en me fondant sur ce qui s'est passé jusqu'à présent, je dirais que le processus de modification de la Loi sur la concurrence est un processus de mûre réflexion. Les deux principales modifications qui ont été apportées à la loi en 1975 et en 1985 étaient l'aboutissement d'un long débat dans le cadre duquel les intérêts du public ont été bien défendus. C'est une approche qui, dans une large mesure, est aussi celle qui a été adoptée en ce qui concerne le projet de loi C-20, à quelques exceptions près, qui font l'objet de nos observations.
Les dispositions concernant l'écoute électronique modifient en fait le Code criminel en permettant d'appliquer l'autorisation d'intercepter des communications privées à trois cas liés à l'application de la Loi sur la concurrence. Il s'agit, en premier lieu, du télémarketing trompeur, en deuxième lieu, d'ententes assimilables aux complots contrevenant aux dispositions de l'article 45 de la loi et, troisièmement, d'une disposition en quelque sorte subsidiaire, celle qui porte sur le trucage des offres.
Dans le cas qui nous occupe, il n'y a pas eu de consultation approfondie. Les amendements ont été apportés au projet de loi avant qu'il soit déposé à la Chambre. Même si ces amendements ont fait l'objet de quelques discussions privées avec certaines parties prenantes, il était entendu que ces consultations resteraient confidentielles. Elles n'ont impliqué que relativement peu de gens à qui on a laissé peu de temps pour réfléchir.
Nous estimons que c'est regrettable, car il s'agit d'un mécanisme extrêmement intrusif. Dans le cadre d'une affaire jugée en 1990 par la Cour suprême du Canada, le juge La Forest a décrit ce mécanisme en disant: «Il est difficile d'imaginer qu'un État puisse avoir une activité plus dangereuse que l'écoute électronique au plan du respect de la vie privée.»
Lors du débat concernant le contenu éventuel du projet de loi C-20, on a répertorié plusieurs sujets qui risquaient particulièrement de porter à la controverse ou de soulever des problèmes. La plupart de ces sujets ont essentiellement été mis de côté pour faire l'objet d'un approfondissement ou d'autres délibérations. C'est un processus qu'il serait utile de suivre, à notre avis, à propos des dispositions portant sur les deux sujets que nous avons mentionnés; toutefois, elles sont maintenant intégrées au texte proposé.
Étant donné que la disposition concernant l'écoute électronique n'a pas fait l'objet d'un large débat, nous ne pensons pas que, dans les circonstances, il soit clair qu'elle doive être appliquée. Il semble que l'application de cette disposition s'impose principalement dans le cas du télémarketing. On reconnaît qu'il est peut-être plus légitime de l'appliquer dans ce cas, étant donné la nature de l'infraction en cause, puisqu'il s'agit de toute façon de communications téléphoniques. Toutefois, on ne sait pas ce que donnerait l'application de cette disposition sans que l'écoute électronique entre en ligne de compte. Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire au comité de l'industrie, les dispositions portant sur le télémarketing sont, en elles-mêmes, très complètes, et leur application a une très large portée.
Deuxièmement, l'article 45 de la Loi sur la concurrence, c'est-à-dire la principale disposition portant sur la notion de complot, n'est pas une règle noir et blanc que quelqu'un pourrait violer ou non. C'est une disposition d'une nature qui fait penser aux règles de bon sens, et son caractère légal dépend de plusieurs faits secondaires. Cet article pourrait couvrir de nombreuses activités, licites ou illicites.
Le projet de loi a été amendé afin de restreindre son application à quatre domaines, soit les ententes concernant les prix, la quantité ou la qualité des marchés de production et les canaux ou les méthodes de distribution. Même si l'on a ainsi cherché à restreindre le champ d'application de la loi, je pense qu'il est encore potentiellement trop large. Par exemple, on pourrait invoquer ce texte législatif pour examiner des ententes ou des discussions entre les parties intéressées concernant l'utilisation d'un système de distribution commun ou la conclusion d'accords entre concurrents qui n'entreraient pas leur secteur d'activité.
Enfin, même si le trucage des offres est en soi une infraction, si les parties qui ont collaboré pour faire une offre ou qui proposent de le faire ont informé la personne à qui l'offre est faite de leur collaboration, cela cesse d'être une infraction. C'est un autre cas où je remets en question l'usage potentiel que l'on peut faire de cette disposition. L'article 45 existe dans la loi depuis plus de 100 ans sans que l'on ait apparemment eu besoin d'en consolider la mise en application. Quant à la disposition portant sur le trucage des offres, elle existe dans la loi depuis au moins 1985. Bien des gens ont soulevé la question. Pourquoi, tout d'un coup, avons-nous besoin de telles dispositions?
Le directeur des enquêtes et des recherches a émis une ligne directrice afin d'indiquer qu'il n'utilisera ce pouvoir que dans des circonstances exceptionnelles et que lorsqu'il le fera, il se laissera guider par le principe de l'application minimale. Même s'il est réconfortant, en soi, de savoir qu'il procédera ainsi, il ne s'agit que d'une ligne directrice. Lorsqu'on parle de dispositions entraînant des sanctions pénales et d'un mécanisme intrusif, je préfère, de loin, pouvoir invoquer la règle de droit. La ligne directrice en question a été récemment publiée à nouveau. Il est manifestement plus facile, dans le domaine de l'application de la loi, de changer une politique que de modifier les lois.
Même si je n'en ai pas fait moi-même l'expérience, d'autres membres de l'association m'ont laissé entendre qu'il était relativement facile d'obtenir les autorisations voulues en matière d'écoute électronique. Dans ces cas-là, bien évidemment, il n'y a pas de préavis. Ce n'est que plus tard que l'autre partie en cause découvre qu'une ordonnance a été rendue, et il y a peu de motifs que l'on peut invoquer pour s'opposer à l'application de cette ordonnance et dire que l'autorisation n'a pas été obtenue de façon appropriée.
Même si, manifestement, des motifs doivent être invoqués -- ils sont indiqués dans le mémoire -- il ne s'agit pas d'une mesure de dernier recours. Si j'en crois mon expérience en ce qui a trait aux autres procédures prévues par la loi -- par exemple, les perquisitions et les saisies ainsi que les citations à comparaître -- il semble que les autorisations nécessaires soient également relativement faciles à obtenir.
La Commission de réforme du droit a recommandé l'intégration du principe d'application minimale à cette loi. Cette recommandation n'a pas été acceptée. Il me semble que la loi américaine qui porte sur le même domaine comporte ce genre de disposition.
Je vais maintenant passer brièvement à la disposition concernant les dénonciations. Si vous avez admis que nous puissions avoir des réserves à propos de la disposition concernant l'écoute électronique parce qu'il n'y a pas eu les consultations voulues, vous reconnaîtrez qu'étant donné que la disposition sur les dénonciations a été intégrée suite à une proposition du comité de l'industrie de la Chambre des communes, cela a interdit toute discussion à ce sujet. À notre avis, cette proposition, même si elle se fonde sans aucun doute sur de bonnes intentions, est tout à fait malavisée et risque d'entraîner l'imposition de sanctions pénales à un employeur, alors que le comportement en cause est parfaitement licite.
Pour reprendre les choses au début, lorsqu'on a demandé au juge Dubin, un homme dont les opinions sont fort respectées, s'il considérait qu'une telle disposition était souhaitable, il a répondu que ce n'était pas nécessaire. Il y a deux éléments à considérer. Premièrement, il y a le droit de tout individu de faire état de ses préoccupations au directeur sous le sceau du secret. À ce que je sache, étant donné son statut d'indicateur de police, des dispositions à cet effet sont prévues dans l'article 29 de la loi et dans la common law.
Cette disposition va au-delà de celle qui concerne la confidentialité et que l'on trouve à l'article 29 de la loi, où il est stipulé que le directeur peut divulguer à d'autres organes canadiens chargés de l'application de la loi des renseignements que, dans d'autres circonstances, il est tenu de garder secrets, lorsqu'il s'agit d'administrer ou de faire exécuter la loi. Apparemment, cela n'est pas permis en ce qui concerne la divulgation de l'identité d'un dénonciateur dans ce contexte.
Deuxièmement, cette disposition rend passibles de sanctions pénales les employeurs qui prennent des mesures de rétorsion contre un employé qui a divulgué un renseignement ou a refusé de faire quelque chose qui, à son avis, est contraire aux dispositions de la loi, lorsque l'employé en question agit de bonne foi et qu'il a des motifs raisonnables de penser qu'un problème peut se poser.
Dans son exposé, l'association fait la revue d'un certain nombre de situations où, à notre avis, l'application de ces dispositions pourrait être problématique. Cela me ramène à un point que j'ai soulevé plus tôt. Les dispositions de la loi sont complexes. Il est difficile, pour un employé, de peser le pour et le contre et par ailleurs, il peut fort bien agir de bonne foi. Il peut penser qu'il a des motifs raisonnables mais pour autant, une telle notion peut être tout à fait malavisée. Nous donnons des exemples détaillés dans notre document.
Les mêmes remarques s'appliquent aux dispositions sur la dénonciation qui entrent dans le domaine du droit civil et qui, on le reconnaît, soulèvent des questions économiques complexes. C'est la raison pour laquelle il existe un tribunal de la concurrence, un organe spécialisé qui est chargé de considérer ce genre de dossier.
En conclusion, nous suggérons de supprimer les deux dispositions qui se trouvent actuellement dans le projet de loi de façon à ce qu'elles puissent être considérées de façon plus approfondie dans le cadre de l'examen dont la loi fera régulièrement l'objet, comme l'a indiqué le directeur. Il y a plusieurs autres dispositions dont on va continuer à délibérer.
Le sénateur Meighen: Bienvenue, monsieur Kennish et madame Thomson. Il semble que nous soyons souvent confrontés au problème que posent des décisions prises présumément en catastrophe. De l'aveu de tout le monde, il y a eu des consultations de grande envergure. De fait, le projet de loi avait même été amendé, comme je peux le lire ici, lorsqu'il est mort la dernière fois au Feuilleton. Toutefois, si je comprends bien ce que vous déclarez dans votre mémoire, vous avez de sérieuses réserves sur deux points, l'écoute électronique et la dénonciation, ainsi que plusieurs autres sujets moins fondamentaux, dont vous faites état dans votre document.
Si nous n'étions pas en mesure de parvenir à nous entendre à propos des amendements que vous suggérez d'apporter, pensez-vous qu'il serait préférable de donner force de loi au texte que l'on nous propose d'adopter ou de le laisser sur une tablette?
M. Kennish: Comme je l'ai déclaré, nous pensons qu'il y a beaucoup de choses utiles dans ce projet de loi. Les amendements techniques ainsi que d'autres dispositions sont des changements positifs. En l'occurrence, la disposition portant sur l'écoute électronique est probablement l'une de celles qui ont le plus d'importance. Il est regrettable qu'elle ait été ajoutée à la dernière minute et qu'il n'y ait pas eu de consultation appropriée.
Oui, j'aimerais que le projet de loi soit adopté. En ce qui a trait à ces dispositions, nous estimons qu'elles devraient être extirpées du projet de loi et considérées de plus près. Cela ne veut pas dire qu'à notre avis, elles devraient être supprimées, purement et simplement. Nous voulons seulement souligner qu'elles n'ont pas fait l'objet, à quelque niveau que ce soit, du genre de débat qu'ont suscité la plupart des autres dispositions que l'on trouve dans la loi.
Le sénateur Meighen: Je le reconnais. En ce qui concerne l'écoute électronique, si je pouvais vous convaincre, d'un coup de baguette magique, que les autorisations seront difficiles à obtenir, est-ce que cela atténuerait vos craintes? Je pense que vous avez fait allusion à la facilité avec laquelle on peut obtenir ces autorisations.
M. Kennish: Cela fait partie des choses qui nous inquiètent. Nous nous demandons également, je pense, s'il est vraiment nécessaire de donner ainsi plus de force aux mesures d'exécution de la loi. Je suppose qu'à choisir, je dirais que la disposition qui porte sur le télémarketing est probablement une meilleure application de ce mécanisme que les autres dispositions que nous remettons en question.
Le sénateur Meighen: Juste parce que cela m'intéresse personnellement, j'aimerais vous poser une question sur l'éventuelle incompatibilité entre le sous-alinéa 52.1(3)b)(i) et l'article 206 du Code criminel. D'après ce que vous dites dans votre mémoire, il se pourrait que ces dispositions soient incompatibles. Je suppose qu'une interprétation judiciaire n'est pas nécessairement inévitable. Personnellement, mes travaux portent sur l'article 206.
M. Kennish: Vous vous y intéressez de plus près que moi.
Le sénateur Meighen: Il s'agit de la disposition qui traite des loteries et des concours. Vous dites que l'article 206 autorise les concours d'aptitude qui nécessitent une contrepartie pour participer. Je ne conteste pas cela, même s'il y en a qui ne sont pas autorisés lorsque les prix consistent en biens matériels ou marchandises. Laissons cela de côté; à votre avis, y a-t-il clairement incompatibilité ou est-ce une possibilité?
M. Kennish: Il faudrait que je me reporte à ce que nous avons déclaré dans notre mémoire. Je ne l'ai pas passé en revue récemment.
Le sénateur Meighen: J'essayais d'obtenir gratuitement votre avis en la matière.
M. Kennish: Je peux vous appeler plus tard. Je ne peux pas vous donner de réponse tout de suite.
Le sénateur Tkachuk: La définition du télémarketing m'inquiète. Il y a un lien avec les réserves que vous exprimez à propos de la dénonciation et de l'écoute électronique. J'ai posé la question au témoin qui s'est présenté avant vous. Aux fins du paragraphe 52.1(1) du projet de loi, le télémarketing est défini de la façon suivante:
Dans le présent article, «télémarketing» s'entend de la pratique de la communication téléphonique interactive pour promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l'utilisation d'un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques.
Selon le témoin précédent, le télémarketing est l'utilisation systématique de communications téléphoniques vocales interactives, en aval et en direct, pour vendre des produits ou des services directement à des personnes qui n'ont pas demandé à être sollicitées. J'ajouterais à cela que l'objet est aussi de «chercher à obtenir une réponse». À mes yeux, le télémarketing, c'est cela. Vous téléphonez à quelqu'un qui ne vous a rien demandé et vous lui offrez de lui vendre quelque chose. Vous voulez soit conclure la vente, soit obtenir une réponse. La personne en question vous donne son numéro de carte de crédit, vous vendez le produit en question et vous le lui envoyez par la poste.
Il me semble que c'est comparable à n'importe quelle conversation téléphonique. Par exemple, j'appelle Don Oliver, qui est avocat. Nous parlons de choses et d'autres lorsque Don me rappelle que je n'ai pas fait mon testament et que son cabinet s'occupe de ce genre de chose. Ce faisant, il m'a fait une proposition d'affaire par téléphone. Si l'on s'en tient à la définition, cette conversation téléphonique interactive informelle tombe immédiatement sous le coup de cette disposition de la loi.
C'est la raison pour laquelle j'ai posé une question à propos de l'Internet et des réseaux téléphoniques. On pourrait demander qu'ils soient mis sous écoute ou bien quelqu'un pourrait dénoncer Donald parce qu'il a essayé de me vendre ses services par téléphone en me proposant d'établir mon testament. En toute franchise, je trouve cela très effrayant.
M. Kennish: En ce qui a trait à cette disposition, c'est vraiment celle que nous trouvons la plus inquiétante, surtout si l'on prend en compte le fait que l'on ne peut se baser sur aucun antécédent en matière de mise en application. Quoi qu'il en soit, nous estimons que l'énoncé utilisé dans l'article portant sur le télémarketing a une telle portée qu'il est fort possible que de nombreuses activités entraîne ce genre de poursuites.
Le sénateur Tkachuk: Il va falloir que vous m'aidiez, car je ne suis pas avocat. Il me semble qu'étant donné la façon dont cette disposition est rédigée, tout bureaucrate ayant l'agressivité voulue pourrait s'attaquer à quelqu'un et trouver une bonne raison de le faire. Les dénonciations pourraient entraîner de nombreux problèmes. Il se pourrait, par exemple, que cela pousse à agir des gens qui n'aiment pas un tel ou un tel. Le caractère monopolistique des médias et les pouvoirs qu'ils détiennent posent actuellement un problème, et une enquête se révèle souvent aussi dommageable que l'infraction qui en est la cause. Par exemple, les journaux rapportent que telle ou telle entreprise fait l'objet d'une enquête. Pendant qu'elle est en cours, l'entreprise perd des clients. Elle finit par faire faillite et, six mois plus tard, on annonce que rien ne justifie les accusations qui ont été portées.
M. Kennish: C'est quelque chose de préoccupant. Le Bureau de la concurrence reconnaît que dans une certaine mesure, les pouvoirs qu'il détient peuvent causer un préjudice. Parmi les observations que nous avons faites, nous avons indiqué que nous préférerions que les recours en la matière soient énoncés dans le texte législatif et non dans des lignes directrices qui n'ont aucun caractère obligatoire et qui peuvent fort bien n'être ni réexaminées ni modifiées.
Le sénateur Angus: Cela concerne l'écoute électronique.
M. Kennish: Oui, c'est cela. On a publié des lignes directrices pour expliquer comment s'appliquent également les autres dispositions qui soulèvent les mêmes questions.
Le sénateur Tkachuk: Serait-ce une bonne idée de faire en sorte que la définition de télémarketing soit un peu plus explicite?
M. Kennish: Nous avons souligné que, si cet article ne couvre pas l'Internet, on devrait amender la définition et dire qu'il s'agit de communications téléphoniques interactives vocales et en direct.
Le sénateur Tkachuk: Cela comprend les appels aux numéros de code 800. C'est très grave. Par exemple, je reçois un appel du magasin où ma femme achète ses vêtements. La personne qui est au bout du fil me rappelle que c'est l'anniversaire de ma femme et me dit qu'il y a en magasin un article qui devrait lui plaire; que cet article ne coûte que 850 $. S'agit-il de télémarketing?
M. Kennish: Je dirais que cet appel a pour objet de promouvoir la vente d'un produit.
Le sénateur Tkachuk: Toutefois, dans cet exemple, je connais la personne qui m'appelle et je lui dis: «C'est la deuxième fois que vous m'appelez. Vous m'avez téléphoné avant notre anniversaire de mariage.» La personne qui m'appelle fait du télémarketing. Elle m'a téléphoné et elle me demande de réagir. Est-elle assujettie à tout cela?
M. Kennish: En l'occurrence, les termes qui sont utilisés sont très généraux. Je pense qu'il est possible que l'énoncé s'applique à des situations que l'on n'a pas prévues. Cela amène à penser que cette disposition doit être exécutée de façon éclairée. Étant donné les ressources dont il dispose, le Bureau de la concurrence devra, je pense, se limiter aux cas les plus graves. Néanmoins, on a lieu de s'inquiéter de l'utilisation possible de ces dispositions dans des situations où ne se posent pas les principaux problèmes auxquels on cherche à s'attaquer.
Le sénateur Tkachuk: Il y a d'autres exemples. Certaines entreprises appellent leurs clients pour essayer de leur vendre les produits d'autres entreprises. Si vous avez une carte de crédit d'Esso, on peut vous appeler et vous proposer une assurance afin de protéger votre carte. Esso fait constamment de la commercialisation croisée par téléphone, mais dans ce cas, il s'agit d'une entreprise qui appelle des gens qui lui sont connus, des gens qui ont déjà recours à ses services. Je pense que cela constitue du télémarketing. On s'attend à ce que les gens réagissent. Il me semble qu'au téléphone, il y a toutes sortes de comportements possibles à cet égard; quelqu'un essaie toujours de vendre quelque chose à quelqu'un d'autre.
M. Kennish: Je vous demanderai de bien vouloir vous rapporter à ce que l'on dit en la matière dans notre mémoire. Je ne suis pas l'auteur de cette partie du document. Le mémoire qui est joint au document que vous avez entre les mains a été transmis au comité de l'industrie. On y trouve nos observations à propos du projet de loi, ainsi que les amendements que nous suggérons d'apporter aux dispositions concernant le télémarketing.
Le sénateur Angus: J'ai lu votre lettre très attentivement, notamment en ce qui concerne les dispositions sur la dénonciation. J'ai trouvé vos observations des plus convaincantes. Étant avocat, cela m'intéresse beaucoup. Il y a deux jours, lorsque le directeur a comparu devant nous, j'ai écouté attentivement ce qu'il a dit. Il a confirmé que ces dispositions ont été introduites après coup, après l'étape de la première lecture du projet de loi; qu'effectivement, les circonstances n'avaient pas permis de discuter de ces dispositions comme on l'avait fait pour les autres. Il a parlé du juge Dubin. Il a parlé du Barreau et il a mentionné qu'il était allé à Toronto. Dois-je présumer que cela signifie qu'il est allé vous voir?
M. Kennish: Pas en ce qui concerne la disposition sur la dénonciation. À ce que je sache, cette disposition a vu le jour au comité de l'industrie. Je ne suis même pas sûr qu'elle ait été proposée par le bureau.
En ce qui a trait à la disposition sur l'écoute électronique, elle découle d'une initiative qui a été prise par le bureau, dans la foulée, je pense, d'un accord en la matière conclu entre le Canada et les États-Unis en novembre de l'année dernière. Par conséquent, c'est une disposition qui a été incluse sur le tard. Il a été décidé de l'intégrer au projet de loi. Plusieurs parties prenantes ont été consultées, mais je n'en faisais pas partie. Quoi qu'il en soit, là n'est pas la raison de mes préoccupations à ce sujet. Cette façon de procéder nous a empêchés de prendre le pouls des membres de notre profession, notamment ceux dont la pratique touche le domaine affecté par cette disposition. Nous n'avons pas pu leur demander leur avis, et d'ailleurs, nous ne l'avons pas encore fait. D'après ce qu'on nous dit, la disposition qu'on vous demande de prendre en considération ne jouit pas d'un appui unanime.
Le sénateur Angus: Je connais un avocat de Toronto, qui s'appelle M. Hunter, et qui a occupé la même fonction, je crois, que le directeur qui, à l'avenir, s'appellera le «commissaire». Je partagerais volontiers le point de vue que vous avez exprimé. Vous avez donné de très bons exemples des horribles injustices qui pourraient être commises au cas où quelqu'un, en toute innocence, n'ayant entendu qu'une partie de la conversation entre deux personnes, pense qu'il y a collusion entre elles pour fixer les prix et les dénonce.
Je crois savoir que le directeur est au courant des arguments que vous avez avancés et qu'il n'a pas exprimé de réserves à ce propos. Êtes-vous réellement aussi préoccupés que vous le dites dans votre lettre? Est-ce que, de façon générale, la Section du droit de la concurrence partage ce point de vue?
M. Kennish: Notre groupe n'a pas vraiment approfondi les choses, à part recommander que l'on prenne plus de temps pour examiner la disposition sur l'écoute électronique. En ce qui a trait à celle qui concerne les dénonciations, je ne suis pas sûr qu'il y ait divergence de vues. Comme je l'ai dit, je pense que cette disposition a pour objet d'aider des gens qui se trouvent dans une position délicate; ceux qui pensent qu'on leur a demandé de violer la loi, avec le risque d'en être tenus personnellement responsables que cela représente, ainsi que la possibilité de subir des mesures de rétorsion s'ils avisent les autorités.
Ce que nous soulignons, c'est qu'on fait de la surenchère. Les gens en question sont déjà protégés par la loi. Si on place les employeurs dans ce genre de situation, cela ne va pas faciliter leurs relations avec leurs employés.
Le sénateur Angus: Le sénateur Meighen a déclaré plus tôt que souvent, nous nous retrouvons face à des dispositions prises en catastrophe, alors que le projet de loi lui-même a fait l'objet de consultations de grande envergure. Quoi qu'il en soit, les questions que vous avez soulevées donnent beaucoup à réfléchir. Parfois, on négocie. Vous avez souligné de nombreux points. Dans votre mémoire et dans votre lettre, vous parlez des deux articles, celui qui concerne la dénonciation et l'article 47 qui, à mon avis, ont été examinés très ouvertement. Vous avez plaidé votre cause devant diverses instances, mais en ce qui concerne la dénonciation, vous avez perdu.
Ai-je raison de penser que si vous étiez obligés de faire mention d'une seule chose dans cette lettre, ce serait la question des dénonciations que vous retiendriez?
M. Kennish: Non, nous avons des réserves plus sérieuses à propos de la disposition sur l'écoute électronique.
Le sénateur Angus: Je sais que cela arrive en tête de liste dans votre lettre.
M. Kennish: Oui.
Le sénateur Oliver: Monsieur a déclaré que l'on n'a pas clairement démontré la nécessité d'avoir recours à cette disposition.
M. Kennish: À notre avis, la chose reste à prouver.
Le sénateur Angus: N'avez-vous aucune réserve à propos de l'article 66?
M. Kennish: Nous avons recommandé que, si l'article doit avoir force de loi, on le révise pour éliminer certains des problèmes qu'entraîne, selon nous, son application et faire en sorte qu'un employeur ne puisse faire l'objet de poursuites pénales s'il est raisonnablement convaincu de ne pas contrevenir à la loi.
Le sénateur Angus: Cela contribuerait beaucoup à circonscrire ce problème.
M. Kennish: Nous pensons que cela contribuerait beaucoup à le régler.
Le sénateur Kenny: Puis-je vous demander combien de temps cela prend pour prendre le pouls d'un groupe.
Le sénateur Oliver: Cela prend six mois.
Le sénateur Kenny: Il vous faut tout ce temps pour sonder les membres de votre groupe?
M. Kennish: Non. Nous avons des comités dans tous les domaines. Nous réunissons les intéressés et nous leur demandons de nous donner un avis. Nous pouvons présenter une opinion sur une question donnée en deux mois de temps, au plus. Certains dossiers exigent que nous consultions beaucoup de gens. Dans d'autres domaines, c'est beaucoup plus limité, tout dépend du sujet.
Le sénateur Kenny: Alors, un délai de deux semaines est-il raisonnable?
M. Kennish: Nous avons réussi à formuler cette opinion dans des délais très serrés. Nous estimons que l'on devrait extirper des témoignages notre opinion et celles d'autres intervenants et les reconsidérer plus attentivement.
Le sénateur Oliver: Dans la lettre datée le 18 novembre et adressée au sénateur Michael Kirby, l'Association du Barreau canadien presse le comité sénatorial permanent des banques et du commerce de recommander la suppression de l'article 47 du projet de loi C-20, article qui porte sur l'écoute électronique. Est-ce ce que vous recommandez aujourd'hui?
M. Kennish: C'est exact.
Le sénateur Oliver: En outre, en ce qui concerne les articles 66.1 et 66.2 qui traitent de la dénonciation, vous recommandez qu'ils soient supprimés du projet de loi, que le Bureau de la concurrence soit chargé de les examiner et qu'ils fassent l'objet de consultations publiques lorsqu'on envisagera à nouveau d'apporter des modifications à la Loi sur la concurrence. Est-ce exact?
M. Kennish: C'est exact.
Le sénateur Oliver: Si ces deux articles sont supprimés et si les autres dispositions du projet de loi sont adoptées, pensez-vous que le bureau aura le pouvoir voulu pour lutter contre certaines pratiques frauduleuses de télémarketing dont le magazine Maclean's a fait état et dont nous avons entendu parler ailleurs? Est-ce que le bureau aura le pouvoir et la détermination nécessaires?
M. Kennish: Vous soulevez là un aspect un peu différent de la question. L'argument que nous avançons, c'est qu'à notre connaissance, cette disposition n'a pas de nécessité. Cependant, je dis bien à notre connaissance, car je ne peux pas dire que cette disposition n'a effectivement pas de nécessité. C'est simplement que l'on n'a donné aucun motif valable, fondé sur l'expérience passée ou sur autre chose. À ce que je sache, l'écoute électronique n'est pas un mécanisme largement utilisé aux États-Unis pour lutter contre les pratiques commerciales restrictives.
Le sénateur Oliver: La dernière question que je souhaite vous poser porte sur l'expression «ligne directrice». Dans le cours de votre témoignage, vous avez dit que, personnellement, vous préfériez de loin la règle de droit. Quelle différence cela fait-il lorsqu'une disposition n'est pas intégrée dans un texte législatif et que le bureau a le pouvoir d'adopter des lignes directrices à cet égard, le cas échéant? Pouvez-vous nous expliquer cela?
M. Kennish: Les lignes directrices énoncent la politique suivie par le bureau pour faire appliquer la loi et elles peuvent être modifiées pour mettre l'accent sur la façon que l'on estime la plus appropriée d'exécuter la loi. En outre, si l'on en juge par plusieurs dispositions à propos desquelles le bureau a émis des lignes directrices, cet organe n'est pas le seul qui puisse faire exécuter la loi. La plupart des dispositions à caractère pénal peuvent donner lieu à des poursuites privées en dommages-intérêts. Dans certains cas, les simples citoyens peuvent intenter des poursuites. Par conséquent, le fait qu'il existe des lignes directrices à propos de telle ou telle disposition ne règle pas le problème définitivement, parce que certaines personnes échappent aux contraintes imposées par ces directives. C'est une chose. Deuxièmement, il est précisé que les lignes directrices n'ont aucun caractère obligatoire et qu'elles sont d'ordre général.
Le sénateur Oliver: Préféreriez-vous donc une disposition qui fait partie de la loi?
M. Kennish: Oui, notamment en ce qui concerne la disposition portant sur l'écoute électronique, car il s'agit d'un mécanisme tellement intrusif.
Le sénateur Oliver: Une dernière chose: pouvez-vous m'expliquer ce que vous voulez dire lorsque vous employez le mot «extirper»?
M. Kennish: Je veux dire enlever, supprimer du projet de loi. Je vous prie de m'excuser d'avoir utilisé ce mot quelque peu familier.
Le sénateur Oliver: Voulez-vous dire que l'on devrait laisser la question en suspens pendant une certaine période ou que l'on devrait purement et simplement supprimer la disposition?
M. Kennish: Je supprimerais cette disposition du projet de loi, je laisserais le processus législatif suivre son cours et je chargerais le Bureau de la concurrence de prendre la chose en considération lorsque la loi fera à nouveau l'objet d'une série de modifications.
Le sénateur Oliver: Serait-il suffisant de se contenter de laisser la chose en suspens jusqu'à ce que vous-mêmes et d'autres parties prenantes puissent, avec les responsables du bureau, voir si vous pouvez rédiger un énoncé plus approprié?
M. Kennish: Je pense qu'il s'agit là d'un processus quelque peu inhabituel. Ce n'est pas la façon de procéder que l'on préfère généralement, mais vous connaissez mieux le processus que moi.
Le président: Sénateurs, à la lumière des observations que nous avons pu entendre aujourd'hui de la part de plusieurs témoins, je pense que la meilleure façon de procéder serait de demander au personnel de résumer ces commentaires. Nous aurons ainsi un compte rendu que nous pourrons utiliser quand nous discuterons avec les représentants du Bureau de la concurrence. Si vous êtes d'accord, je préférerais ne pas entendre maintenant les témoins du Bureau de la concurrence. Nous pouvons leur demander de comparaître dans une semaine, et à ce moment-là, nous aurons un compte rendu de toutes les observations qui ont été faites aujourd'hui. Est-ce que cela vous convient?
Des voix: D'accord.
Le président: Je suggère que nous nous réunissions maintenant à huis clos.
La réunion se poursuit à huis clos.