Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 50 - Témoignages pour la séance du 27 avril 1999
OTTAWA, le mardi 27 avril 1999
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner la situation actuelle du régime financier du Canada (financement par actions)
Le sénateur Leo E. Kolber (président suppléant) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président suppléant: Honorables sénateurs, je prie les témoins d'excuser la faible assistance, mais il semble qu'il se passe toutes sortes de choses aujourd'hui. Nous sommes impatients d'entendre les témoignages.
Nos témoins aujourd'hui sont M. Denzil Doyle et M. John Cranston. Je suppose que les témoins ont une déclaration à faire, aussi, je laisse la parole à M. Doyle.
M. Denzil Doyle, président, Capital Alliance Ventures Inc.: Capital Alliance Ventures Inc. est un fonds de capital de risque de travailleurs qui investit dans les entreprises de haute technologie. Notre siège social se trouve dans la région d'Ottawa. Nous sommes un des fonds de capital de risque de travailleurs qui réunissent leurs fonds auprès du public. Ces souscriptions sont encouragées par des conditions fiscales assez lucratives sur lesquelles je ne m'attarderai pas ici, mais les fonds de capital de risque de travailleurs dominent plus ou moins le secteur canadien du capital de risque. Ce secteur dispose actuellement d'un actif total d'environ 10 milliards de dollars dont environ six milliards sont gérés par des fonds de capital de risque de travailleurs.
Je connais assez bien tout le domaine du financement de l'innovation au Canada et je suis ici aujourd'hui pour attirer votre attention sur ce qui me paraît être un certain nombre de lacunes dans ce processus de financement.
J'ai apporté plusieurs exemplaires d'un petit diagramme montrant le cheminement d'une entreprise allant de l'étape du concept à celle de la R-D, du développement de produits, de la production et de la distribution, avant de devenir une société ouverte. Tout ce que je viens de dire se trouve au milieu du tableau. La courbe située juste en dessous fait état des liquidités de l'entreprise qui, comme vous pouvez le constater, est tout à fait négative jusqu'à ce que l'entreprise soit rendue au stade de la production et de la distribution et devienne une société ouverte. Le bas du tableau illustre les différentes étapes du financement et donne quelques définitions.
Le secteur du capital de risque fait le suivi de ses divers investissements. Autrement dit, l'Association canadienne des sociétés d'investissement en capital de risque peut vous dire, année après année, combien de fonds ont été consacrés au financement des capitaux de lancement et combien au démarrage des jeunes entreprises, et préciser la répartition des fonds entre la première, la deuxième et la troisième étape. Au risque de brûler les étapes, je dirais que les sociétés d'investissement en capital de risque n'investissent pas beaucoup à l'étape du lancement; tout simplement parce qu'elles ne peuvent pas se permettre un tel type de financement. Je vais recommander ce que j'estime être la meilleure source de financement pour cette étape dans le spectre des investissements.
Au sommet du diagramme, vous pouvez voir une série de cases indiquant d'où provient l'argent aux différentes étapes de l'évolution d'une entreprise. La première case fait état des subventions gouvernementales. J'entends par là les subventions du PARI, le Programme d'aide à la recherche industrielle et de l'APECA. Les entreprises de haute technologie peuvent se prévaloir d'un certain nombre de subventions gouvernementales.
Je préfère parler d'entreprises de la «nouvelle économie» plutôt que d'entreprises de haute technologie, car ces dernières sont automatiquement incluses dans la catégorie des entreprises de la nouvelle économie. Si vous voulez plus de précisions, nous pourrons peut-être y revenir plus tard. Je ne veux pas limiter mes commentaires à la haute technologie. Je veux traiter de la nouvelle économie.
Par exemple, Nuala Beck, une personne qui fait autorité en matière de nouvelle économie et qui a consacré plusieurs ouvrages au sujet, fait état d'un certain nombre d'industries qui font bel et bien partie de la nouvelle économie, même si l'on ne les considère généralement pas comme des industries de la haute technologie. Par exemple, elle considère l'industrie de fabrication des carreaux de céramique comme une industrie de la nouvelle économie, car c'est un secteur qui connaît de nombreux changements. Il y a 40 ans, on n'installait des carreaux de céramique que sur les murs et sur le sol des salles de bain et tous ces carreaux mesuraient à peu près trois pouces sur trois. Or, on sait qu'aujourd'hui les gens installent de la céramique dans les vestibules, aux murs et sur le sol et dans beaucoup d'autres endroits. Elle fait remarquer que les fabricants italiens, grecs et espagnols sont actuellement en train d'envahir le marché nord-américain, parce qu'ils ont su reconnaître le changement dans la demande des consommateurs.
J'ai fait cette digression pour montrer que les entreprises de la nouvelle économie ne sont pas toutes des entreprises de haute technologie, même si ces dernières dominent malgré tout ce secteur.
Mais il est peut-être préférable de s'en tenir au bénéfice brut de l'entreprise. Le bénéfice brut d'une entreprise est la différence entre le prix de vente et le coût de production. Dans l'industrie de la haute technologie, le bénéfice brut d'un produit doit être d'au moins 55 p. 100; cela signifie que si vous vendez un produit 100 $, il est de votre intérêt de pouvoir le fabriquer pour moins de 45 $, car vous devez parallèlement investir beaucoup d'argent dans le développement de nouveaux produits, le développement de nouveaux marchés, et cetera.
À mon avis, le débat sur la productivité canadienne néglige complètement ce point. Nous déplorons notre manque de productivité. Pour ma part, je pense que nous sommes aussi productifs que n'importe qui dans ce que nous faisons. Le problème se situe au niveau de nos choix de production. Par exemple, comment pouvons-nous améliorer notre productivité dans la fabrication des poteaux de deux sur quatre?
On peut bien entendu augmenter la productivité quand on fabrique des produits de haute technologie comme Newbridge ou Nortel. Au cas où vous voudriez savoir si nous nous défendons bien dans ce domaine, j'ai avec moi un document qu'Industrie Canada a consacré en 1995 exclusivement à l'industrie de l'information et de la technologie des communications. Dans ce secteur, nos exportations se chiffraient à 19,5 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation d'environ 7,5 p. 100 par rapport à l'année précédente. Les importations, en revanche, étaient de 35,6 milliards de dollars, soit une augmentation de 16,7 p. 100. C'est là un des nombreux documents qui prouvent que le Canada est en train de perdre sa part du marché de la nouvelle économie. Notre pays n'est pas un acteur important de la nouvelle économie.
Si l'on remonte à 1972, lorsqu'on a commencé à tenir des statistiques sur le commerce des produits de haute technologie dans le monde, on s'aperçoit que le Canada servait environ 4 p. 100 de la demande du marché dans le secteur des produits de la haute technologie. Ces produits sont par exemple des interrupteurs automatiques et toutes sortes d'autres produits qui exigent un investissement de R-D supérieur à 10 p. 100. Ces produits sont généralement considérés comme des produits de haute technologie. En 1970, le Canada occupait environ 4 p. 100 du marché. De nos jours, sa part est de moins de 1,5 p. 100. Par conséquent, notre part du marché de la nouvelle économie est en train de diminuer. Il serait faux de prétendre le contraire. Un des graves problèmes que nous avons avec l'actuel gouvernement, c'est que nous manquons de statistiques fiables dans ce domaine. Personne ne croit qu'il est très important de disposer de statistiques fiables sur ce secteur, mais je ne partage pas ce point de vue.
Les sources de financement d'une jeune entreprise sont les subventions gouvernementales. J'ai parlé du PARI, mais le gouvernement propose beaucoup de subventions. Pardonnez ma franchise, mais il me semble que ces subventions sont de cruelles plaisanteries, car elles ne sont accessibles qu'aux personnes qui sont prêtes à remplir toute la paperasse nécessaire. Je ne pense pas que ce soit une bonne façon de financer l'innovation au pays. Cela pourrait faire l'objet d'une autre discussion.
Les subventions gouvernementales sont une source de financement et elles sont disponibles à toutes les étapes du spectre des innovations. Une jeune entreprise peut obtenir des crédits du PARI, mais uniquement pour la R-D. Il n'est pas possible d'obtenir des crédits pour le marketing et toutes les autres opérations qu'il faut effectuer pour démarrer une entreprise et c'est pourquoi je considère que c'est une cruelle plaisanterie.
À une extrémité du spectre, il y a le Programme Partenariat Technologie qui octroie des sommes énormes à des entreprises telles que Bombardier, Pratt et Whitney, et cetera.
Il y a une autre source de financement sur laquelle je voudrais insister aujourd'hui, il s'agit des bailleurs de fonds que l'on appelle les anges. Ce sont des personnes extrêmement bien nanties qui sont prêtes à soutenir une jeune entreprise et à lui consacrer le temps et l'effort nécessaires. Il y a ensuite les sociétés d'investissement en capital de risque que j'ai réparties en deux catégories. Les entreprises de type A qui adoptent en quelque sorte une approche pratique vis-à-vis de l'investissement et de la gestion et qui sont prêtes à intervenir assez tôt, dès que le produit est en cours de développement. Généralement, ces sociétés n'interviennent pas lorsque l'entreprise n'existe que sur le papier ou lorsqu'elle est à l'étape de la R-D.
Ensuite, il y a un autre type de société d'investissement en capital de risque qui intervient juste avant que l'entreprise soit sur le point d'être inscrite à la bourse. Il s'agit des sociétés de financement secondaire que j'ai classées ici parmi les sociétés de type B. Ensuite, il y a les banques. Il n'y a rien qui m'énerve plus que d'entendre les politiciens reprocher aux banques de ne pas financer l'innovation au pays. Il me semble que les banques n'ont rien à faire à cette extrémité du spectre. Ce sont les anges qui sont les mieux placés pour intervenir à ce point précis afin d'aider les entreprises à prendre leur envol et de présenter de meilleurs candidats aux sociétés d'investissement en capital de risque qui, à leur tour céderont plus tard le relais aux banques.
La situation est telle aujourd'hui que les entreprises moyennes de haute technologie sont si mal financées tout au long de leur évolution qu'elles ne sont jamais en mesure de présenter un bilan correct. Par conséquent, lorsqu'une entreprise se présente à une banque avec un bilan peu reluisant, elle ne sait pas comment elle sera reçue. Si la banque décide d'examiner sa situation, elle insistera pour facturer toutes sortes de frais de gestion qui sont très dommageables pour une petite entreprise. La concurrence est littéralement inexistante, alors que selon moi, si l'on modifiait les conditions de départ en permettant aux anges de constituer un meilleur produit pour les sociétés d'investissement en capital de risque et que ces dernières faisaient de même pour les banques, je crois que l'on pourrait contraindre les banques à faire quelques efforts, alors que pour le moment elles imposent leurs conditions.
Enfin, il y a les sociétés ouvertes. Comme je l'ai dit, beaucoup de sociétés d'investissement en capital de risque interviennent au tout dernier moment afin d'aider une entreprise à se transformer en société ouverte. Par la suite, c'est au tour des fonds de pension, des fonds communs de placement et d'autres fonds d'intervenir, en espérant que l'investissement sera rentable.
Malheureusement, ce n'est pas aussi simple que cela. Si l'on examine le spectre des investissements, on s'aperçoit qu'à une extrémité, tout est mort et bien mort, et qu'à l'autre extrémité, la situation est surchauffée. La première extrémité est inerte parce que les anges ont été chassés par l'imposition canadienne totalement obscène des gains en capital, alors qu'à l'autre extrémité, le système est surchauffé, si bien que la plupart des entreprises de haute technologie sont beaucoup trop surévaluées au moment de se transformer en sociétés ouvertes. La concurrence est telle entre les divers intervenants intéressés à transformer ces entreprises en sociétés ouvertes, que la plupart d'entre elles dont la valeur pourrait être estimée à 100 millions de dollars, sont évaluées à 200 millions ou 300 millions de dollars. Savez-vous ce qui arrive? Elles traversent une petite période faste à la bourse avant de retomber à leur juste place. Entre-temps, les fonds de pension et les fonds communs de placement se sont rués sur les actions de ces entreprises et sont déçus de constater que la valeur de leurs actions a diminué. Les investisseurs en déduisent que les entreprises de haute technologie ne sont pas des bons placements et ne veulent plus en entendre parler.
Le fait est que nous avons essayé, en tant qu'entreprise d'investissement en capital de risque, d'attirer les fonds de pension afin de les amener à investir au début du spectre d'investissement. Mais dès qu'il est question de haute technologie, les fonds de pension et les fonds communs de placement du Canada résistent et nous disent: «Nous ne savons pas comment faire de bons placements dans ce domaine et nous sommes certains que vous ne pouvez pas faire des placements profitables à la première extrémité du spectre lorsque nous en sommes nous-mêmes incapables à l'autre extrémité.»
Voilà quelques-unes des questions qui se posent. Maintenant, je suis sûr que vous aimeriez savoir ce qu'on peut faire pour faire intervenir les anges qui, croyez-moi, sont la solution à ce problème. Je connais suffisamment bien les premières étapes de l'investissement pour vous en parler. Personnellement, j'en ai fait beaucoup moi-même. J'ai probablement investi dans une vingtaine d'entreprises de haute technologie et notre société d'investissement en capital de risque a investi dans 17 entreprises. Je peux vous dire que c'est difficile. C'est difficile en particulier pour une société d'investissement en capital de risque parce que nous n'avons ni le temps ni l'énergie nécessaire à y consacrer. En général, à cette étape, les entreprises n'ont besoin que de petits montants. En revanche, si vous disposez de grandes quantités de capital de risque, vous devez l'investir en grosses tranches plutôt qu'en petits montants.
Les volumes de capital de risque sont actuellement à la hausse au Canada, certains pouvant atteindre 700 millions ou 800 millions de dollars. Une société d'investissement en capital de risque disposant de 800 millions de dollars ne serait pas intéressée par une jeune équipe d'entrepreneurs de l'université Carleton, par exemple, qui aurait besoin d'un investissement de 200 000 $, tout simplement parce que la société doit investir ses fonds par tranche de deux ou trois millions de dollars.
Voilà une autre question que je n'examinerai pas de plus près aujourd'hui, sinon pour dire qu'il existe au Canada de très gros fonds de capital de risque qui ne savent absolument pas comment investir dans les premières étapes et cela me fâche d'entendre des bureaucrates affirmer que nous avons suffisamment d'investissements en capital de risque au pays. C'est peut-être vrai, mais tous ces fonds sont bloqués dans d'importantes réserves de capitaux qui ne font rien d'autre que de contribuer à la surchauffe d'une extrémité du spectre alors que l'autre extrémité demeure désespérément inerte.
Comment les anges se présentent-ils? Généralement, les anges ne gardent pas leur argent à la banque. Leur argent est investi sous forme d'actions dans une société établie.
Je vais citer l'exemple de M. Terry Matthews, le président de Newbridge Corporation. C'est probablement un des plus grands anges du Canada dans le sens qu'il a lancé, avec son propre argent, de nombreuses entreprises affiliées. Lorsqu'une société commence à prendre son envol, M. Matthews amène Newbridge à investir dans cette jeune entreprise. En passant, c'est un excellent modèle. Si vous souhaitez vraiment vous pencher sur la question du financement de l'innovation, il vous faut absolument vous intéresser au modèle des filiales de Newbridge. Ce modèle pourrait s'appliquer aux sociétés canadiennes du secteur des ressources. La plupart de nos sociétés d'exploitation des ressources disposent d'énormément de liquidités, mais elles ne savent absolument pas comment exploiter la technologie. Elles devraient s'intéresser au modèle que leur fournit Newbridge.
J'aimerais maintenant revenir aux réalités de l'investissement par des anges. Si quelqu'un s'adressait à M. Matthews pour lui demander d'investir 1 million de dollars pour lui permettre de lancer son entreprise, M. Matthews devrait vendre des actions de Newbridge d'une valeur de 1,666 million de dollars et payer 666 000 $ d'impôt au gouvernement pour libérer le million de dollars nécessaire au lancement de cette nouvelle entreprise.
Aux États-Unis, la situation est légèrement différente. Les Américains ont créé la catégorie des petites entreprises admissibles. Pour être admissible, il ne suffit pas à une petite entreprise de faire partie de la nouvelle économie. Par exemple, il serait impossible de financer de cette manière une société de consultation; pour être admissible, la petite entreprise doit être une société produisant des biens et services commercialisables, généralement pour l'exportation.
Aux États-Unis, en vertu du Tax Act de 1993, le taux d'imposition sur les gains en capital provenant d'investissements dans une petite entreprise admissible est réduit de moitié. Par exemple de 28 p. 100 à 14 p. 100. Au Canada, comme je ne cesse de le répéter, le taux d'imposition général serait de 40 p. 100 pour M. Matthews ou n'importe quelle personne souhaitant libérer une partie de son capital investi afin de le placer dans une jeune entreprise.
En 1997, les Américains ont instauré un système que l'on appelle une disposition de roulement. Cette disposition permettrait à M. Matthews de transférer ses investissements en franchise d'impôt, à condition que Newbridge soit une petite entreprise admissible au moment où il a effectué le premier investissement, ce qui était le cas, bien entendu. Il pourrait donc libérer les fonds nécessaires et les transférer en franchise d'impôt dans une autre petite entreprise admissible, à condition de le faire dans un délai de 60 jours.
Aux États-Unis, cette disposition donne vraiment les coudées franches aux bailleurs de fonds. Là-bas, le phénomène se répand rapidement dans tout le système de financement de la nouvelle économie. En Californie, par exemple, il y a ce que l'on appelle la «troupe des anges» qui a été mise sur pied par un de mes amis, il y a quatre ou cinq ans. Ce groupe rassemble actuellement plus de 300 personnes.
Ces bailleurs de fonds communiquent par l'intermédiaire d'Internet. Ils transigent fréquemment entre eux. Lorsqu'un entrepreneur s'adresse à l'un de ces bailleurs de fonds et que ces derniers jugent l'affaire intéressante, l'ange communique avec son groupe et avant longtemps, l'entrepreneur est convoqué pour une entrevue et ne tarde pas à recevoir les fonds nécessaires pour lancer son entreprise.
Ce qui se passe également aux États-Unis, c'est que les bailleurs de fonds, partant du fait que les sociétés d'investissement en capital de risque existent déjà, il serait peut-être bon de s'unir pour gérer convenablement cette réserve de capitaux. Par exemple, la société Vimac de Boston se charge de la gestion de ces réserves de capitaux pour les anges. Incidemment, cette société de Boston est actuellement à Ottawa pour faire des investissements. Puisque nous ne pouvons pas avoir nos propres anges, ils viennent des États-Unis. J'ai rencontré quelques-uns de ces bailleurs de fonds à trois ou quatre reprises; ils sont absolument étonnés de la qualité du potentiel de la région d'Ottawa.
Je crois que vous conviendrez que j'ai brossé un tableau qui révèle la situation plutôt navrante du financement de l'innovation au Canada. Le prix que notre pays doit payer en raison de cette situation est terrible. Nous perdons des parts de marché dans ce segment des produits et services commercialisables qui connaît la plus forte expansion au monde.
N'importe qui peut comprendre que le fait de perdre des parts de marché dans ce segment qui connaît la plus forte expansion, est synonyme de catastrophe. Ce n'est pas un hasard si le dollar canadien vaut 60 cents américains. Ce n'est pas un hasard si nous avons un problème de productivité. Au Canada, nous faisons les choses à l'envers et cela n'a rien à voir avec l'intelligence, ni avec notre système d'éducation, ni avec nos compétences de gestion.
On dit que les Canadiens sont de mauvais gestionnaires. Je peux vous dire personnellement que j'ai dirigé une multinationale au Canada pendant 18 ans. J'avais envoyé 200 de mes employés aux États-Unis. Les Américains les ont tous gardés, parce qu'ils étaient de meilleurs gestionnaires que ceux des États-Unis. Cinq de ces employés sont devenus premiers vice-présidents dans ma filiale américaine. On voit donc que nos compétences de gestion ne sont pas mauvaises et qu'il n'y a rien à redire à notre système d'éducation. J'ai fait de mon mieux pour vous démontrer que tout le mal vient du spectre des investissements.
Le sénateur Angus: Monsieur Doyle, les points que vous avez soulevés sont très pertinents par rapport à ce que nous examinons depuis deux ou trois semaines. Vous savez peut-être que nous avons consacré toute une journée au témoignage de deux écoles de pensée opposées présentant des arguments pour et contre une union monétaire en Amérique du Nord. Au cours de ce débat, il a été question de la productivité plus que de toute autre chose, mais comme vous le savez, les arguments soulevés contre ces idées innovatrices peuvent être assez fallacieux.
Puis, en novembre, le gouverneur de la Banque du Canada est venu nous dire que les principes de base étaient bons et que tout était parfait au Canada, alors que tout ce que vous avez mentionné, monsieur Doyle, existe bel et bien. Lorsqu'il est venu témoigner en novembre, il nous a dit que notre dollar n'est pas une monnaie influencée par le prix des matières premières.
D'après ce que j'ai lu et d'après ce que vous venez de nous dire, il faut se rendre à l'évidence et accepter que nous sommes plutôt des coupeurs de bois et des porteurs d'eau que des intervenants adaptés à la nouvelle économie. Le gouvernement a tort de nier que nous ayons un problème de productivité. Le problème est d'autant plus flagrant qu'on l'examine à la lumière de la nouvelle économie plutôt qu'en fonction des anciennes conditions du marché.
Vos statistiques sont tout à fait justes lorsque vous soulignez la part du marché que nous perdons dans ces secteurs et notre incapacité à participer et à tirer profit de la nouvelle technologie dans notre secteur manufacturier. Si l'on ajoute à cela la question de l'environnement, on se retrouve avec le problème actuel.
La question des gains en capital est en plein coeur du problème. Lorsque vous avez évoqué la situation structurelle, vous avez dit que ce n'est pas parce que nous n'avons pas un bon système d'éducation ni de bonnes compétences de gestion au Canada, mais que nous ne parvenons tout simplement pas à garder les personnes compétentes ici. Le gouvernement se plaint toujours que cela nous coûtera trop et que nous ne pouvons pas nous permettre de telles largesses.
Pouvez-vous nous dire comment nous pourrions modifier à notre profit l'impôt sur les gains en capital?
M. Doyle: Pour commencer, il faudrait reproduire ici le système de roulement américain au profit des bailleurs de fonds. Si nous ne copions pas ce système, cela signifie que nous ne voulons pas véritablement nous lancer dans la nouvelle économie. La première chose à faire c'est d'envoyer quelqu'un aux États-Unis pour se renseigner sur les révisions apportées en 1997 à l'Income Tax Act au sujet des dispositions de roulement concernant les bailleurs de fonds.
Le sénateur Angus: À ce sujet, j'ai lu certains de vos écrits et certains de vos discours et je crois que vous avez des contacts au sein du gouvernement. Qu'est-ce qu'ils vous disent quand vous soulevez devant eux toutes ces questions?
M. Doyle: Je vais vous dire exactement ce que je leur dis. Je pense que le gouvernement a un problème très grave. Je n'irai pas par quatre chemins.
Le sénateur Angus: C'est exactement ce que nous voulons. Le sénateur Meighen et moi ne souhaitons pas autre chose qu'un changement de gouvernement.
M. Doyle: Je ne sais pas si vous avez lu mes plus récents commentaires à ce sujet, mais je pense qu'il faut savoir que «l'alternative unie» n'est pas une marque de commerce. Ce qu'il nous faut au Canada, c'est un parti de l'innovation. Chacun sait ce que signifie «innovation». Le Canada n'en fait pas beaucoup et je pense qu'il est temps de créer un parti de l'innovation, mais ça, c'est une autre histoire.
Qu'est-ce qu'on me répond quand je communique avec des représentants du gouvernement? Par exemple, j'ai eu de nombreuses discussions avec le ministre Manley. Quand il est arrivé au pouvoir, il m'a appelé et nous avons passé une demi-journée ensemble. Je lui ai dit que si nous voulions nous lancer dans la nouvelle économie, il nous fallait avant tout des critères de mesure. Personne ne connaît exactement la gravité de la situation au Canada. J'ai dit au ministre qu'il fallait avant tout mettre sur pied un système permettant d'évaluer la situation au Canada.
L'industrie de la haute technologie se divise en une dizaine de secteurs. Il y a le secteur de l'aérospatiale, celui des logiciels, celui de l'informatique, celui du multimédia, celui des produits pharmaceutiques, et cetera. L'OCDE observe le commerce de la haute technologie à l'échelle mondiale. Les Américains le font de leur côté. À ce sujet, les Américains ont deux systèmes différents.
Au Canada, en revanche, personne ne tient compte de la situation et personne ne veut le faire. À Statistique Canada, on nous dit: «Notre définition de la `haute technologie' est différente de celle des autres pays». Je n'en reviens pas!
Pardonnez ma franchise, mais j'ai l'impression que cela dénote un manque de responsabilité. Les fonctionnaires ne veulent pas rendre des comptes. Ils racontent n'importe quoi. Pire, ils disent à leurs ministres de reprocher aux Canadiens de ne pas faire assez de R-D.
Il y a quelques semaines, j'ai assisté à une conférence à Cleveland à laquelle participait le président de Nortel. Il y avait aussi un représentant du gouvernement qui n'a rien trouvé de mieux que de dire: «Le véritable problème au Canada, c'est que nous offrons toutes sortes de subventions et d'incitatifs fiscaux à la R-D, mais que l'industrie canadienne ne fait pas assez de R-D.» C'est de la folie. Le problème, c'est que l'industrie canadienne n'a pas besoin de faire de la R-D. Croyez-vous qu'il faille faire de la R-D pour produire des poteaux de bois? Nous n'aurons pas besoin de faire plus de R-D tant que nous n'aurons pas plus d'entreprises comme Newbridge, Corel et Jetform. Actuellement, nous en faisons peut-être déjà trop. Et nous ne pourrons pas accueillir d'autres sociétés de ce type tant que nous n'aurons pas réglé le problème de financement. Voilà mon point de vue.
Vous voulez savoir quelle est la réaction des représentants du gouvernement quand je leur dis cela? Le gouvernement élude le processus de gestion le plus fondamental, à savoir la mesure. On ne peut pas gérer quelque chose que l'on ne peut pas mesurer. Le gouvernement refuse d'évaluer notre rendement dans la nouvelle économie.
Le sénateur Angus: Dites-nous en trois mots ce qu'il dit au sujet des gains en capital.
M. Doyle: Je me suis fait poser la question une fois par un haut fonctionnaire du ministère des Finances dont je tairai le nom. Il a énuméré toutes sortes de taxes et il m'a dit: «Si vous aviez le choix de réduire les impôts sur les sociétés, les impôts sur le revenu des particuliers, les impôts en matière de santé ou les impôts sur les gains en capital, lequel choisiriez-vous?» J'ai répondu: «Sans hésiter, l'impôt sur les gains en capital.» Il m'a répondu que c'était intéressant, car ce serait probablement le plus difficile à faire accepter sur le plan politique.
Je sais que ce serait difficile à faire accepter sur le plan politique, mais tôt ou tard, les parents vont comprendre qu'il y avait véritablement un problème au Canada, lorsqu'ils s'apercevront que leurs enfants ne peuvent pas trouver d'emploi. Et l'on entend toutes sortes de commentaires sur le manque de compétences. Le Canada ne manque pas de compétences. Le problème, c'est que les sociétés sont si mal financées qu'elles ne peuvent pas se permettre d'engager des jeunes et de leur donner la formation dont ils ont besoin. Au lieu de cela, les jeunes partent directement aux États-Unis travailler pour Microsoft ou d'autres sociétés qui disposent des fonds nécessaires et qui peuvent leur donner la formation dont ils ont besoin.
Le sénateur Angus: Parmi les différents types de financement dont vous avez parlé, le premier de la liste était les subventions du gouvernement. Comme dans le cas de la R-D, je suppose qu'on vous a dit que le PARI et ce genre d'aide étaient disponibles. D'après vos commentaires, doit-on comprendre que ces subventions vont à l'encontre des buts visés et que vous ne considérez pas que c'est un bon moyen de financer le lancement des entreprises?
M. Doyle: Le PARI est un bon programme qui est géré par le Conseil national de recherches. C'est un bon programme parce qu'il est géré essentiellement par des techniciens. Malheureusement, il ne finance que la R-D et il y a beaucoup trop d'entreprises qui deviennent dépendantes de la R-D. Elles commencent par exemple par recevoir une subvention de 15 000 $ du PARI et quand l'argent est épuisé, plutôt que de commercialiser leur produit, elles sollicitent une subvention de 50 000 $ du PARI, puis 100 000 $, et cetera.
Le sénateur Angus: Vous avez parlé tout à l'heure de jeunes de l'université Carleton ou de l'Université d'Ottawa qui n'auraient besoin que de 100 000 $ ou de 200 000 $ pour réaliser leur idée et mettre sur pied une petite entreprise. J'ai cru comprendre qu'ils ne peuvent pas obtenir une subvention du gouvernement.
M. Doyle: C'est exact. Ils peuvent généralement obtenir une subvention du PARI, mais c'est une subvention de 15 000 $. En ce moment, j'aide quelqu'un à lancer une entreprise. Il a en effet obtenu une subvention de 15 000 $ du PARI. Je me suis empressé de lui dire de ne pas en demander plus. Je suis certain de trouver suffisamment d'argent parmi mes amis pour lancer son entreprise et faire une campagne de commercialisation et de publicité.
Le sénateur Angus: Est-ce que vous connaissez la liste secrète des anges canadiens?
M. Doyle: C'est un autre problème. Les anges ne veulent pas se faire connaître. Plusieurs municipalités du pays cherchent à établir une liste des bailleurs de fonds. Je leur dis que ce n'est pas une bonne façon de procéder. Les bailleurs de fonds veulent choisir eux-mêmes leurs investissements. Il faut que leurs investissements leur procurent un rendement suffisant. Malheureusement, c'est impossible quand on impose une taxe de 66 p. 100 au départ. Si je dois payer 66 000 $ chaque fois que j'en récolte 100 000 $, cela ne vaut tout simplement pas la peine.
Incidemment, cet impôt sur les gains en capital fait aussi beaucoup de tort à l'autre extrémité du spectre. Ce qui se produit, c'est que même après s'être transformée en société ouverte, une entreprise ne peut garder un niveau de capitalisation acceptable parce que c'est surtout la spéculation qui attire les investisseurs dans le secteur de la haute technologie. Les investisseurs ne sont pas là pour les dividendes. Les entreprises de haute technologie ne paient pas de dividendes. Remarquez combien le système canadien est stupide -- le taux d'imposition des gains en capital est plus élevé que le taux d'imposition des dividendes. Cela révèle à quel point nous sommes prêts pour la nouvelle économie!
Le taux d'imposition des gains en capital a une autre incidence à l'autre extrémité du spectre, puisque la plupart des entreprises ne peuvent pas constituer un marché pour les petits investisseurs. Là encore, ce problème est en lien direct avec la question des gains en capital. Si, au mois de septembre, je fais des gains en capital sur mes actions de Newbridge, je serai peut-être tenté de les vendre; d'un autre côté, le fait d'avoir à payer 40 p. 100 au gouvernement m'incitera peut-être à attendre jusqu'au mois de janvier. En janvier, les actions auront peut-être baissé et je déciderai d'attendre l'année prochaine.
L'impôt sur les gains en capital nuit à la circulation du capital d'innovation dont nous devons activer la circulation au Canada.
Le sénateur Meighen: Vous me mettez de bonne humeur, monsieur Doyle. C'est ce que j'appelle bien commencer la journée. J'ai rarement partagé aussi complètement le point de vue d'un témoin depuis que je siège au comité des banques. C'est dommage que nous soyons en minorité. Soit nous vivons dans un monde différent, soit les gens qui détiennent le pouvoir, les élus ou les autres, vivent dans un autre monde. Peut-être qu'ils ont raison, mais cela me semble aberrant.
Vous avez parlé des conséquences de l'impôt sur les gains en capital qui a pour effet d'encourager l'inertie. C'est la même chose dans le secteur des organismes de bienfaisance pour lequel, il faut le reconnaître, le ministre des Finances a accepté de réduire le traitement des gains en capital applicable aux actions des sociétés ouvertes cédées à des organismes à but non lucratif. Jusque-là, je crois que la principale objection des bureaucrates du ministère des Finances était qu'il fallait éviter d'encourager d'importants dons d'argent à des organismes religieux marginaux. Bien entendu, cette modification a eu pour effet de libérer des sommes d'argent qui étaient bloquées dans des investissements sûrs, et qu'ainsi des hôpitaux et des universités, en plus d'autres organismes de bienfaisance du pays, ont pu en bénéficier.
Si le ministre pouvait vaincre les réticences d'arrière-garde de ses fonctionnaires et changer totalement d'attitude, on pourrait peut-être combler le vide laissé par le gouvernement lorsqu'il s'est retiré de ces secteurs par souci d'économie.
De toute façon, envisagez-vous pour le gouvernement un rôle dans ce secteur? Vous avez évoqué le PARI de manière positive. Ces programmes ne font-ils pas l'objet d'excès comme ce fut le cas pour le programme de R-D créé par le ministre des Finances il y a quelques années?
Si l'on craint que les programmes soient détournés ou utilisés de manière impropre, la solution consiste à les supprimer et à laisser les gens utiliser leur argent directement en leur consentant une réduction de l'impôt sur les gains en capital.
M. Doyle: Vous avez absolument raison. C'est la même chose pour les CII, les crédits d'impôt à l'investissement que peuvent obtenir les entreprises. Il y a une dizaine d'années, nous avions les CIRS qui permettaient aux entreprises de vendre par anticipation leurs dépenses de R-D, de se financer par emprunt et ensuite de convertir leur dette. Il ne fallait pas être un génie pour s'apercevoir que tout ce programme était voué à l'échec.
Le gouvernement l'a maintenant remplacé par le programme de crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental qui permet à la petite entreprise dont je vous ai parlé, dans laquelle nous investirons probablement 100 000 $ cette année en R-D, d'être admissible à une réduction de 35 p. 100 l'année prochaine.
Cependant, ce programme a plusieurs défauts. En effet, Revenu Canada a engagé des armées de consultants pour aller vérifier sur place ces dépenses de R-D. On en arrive donc à des situations absurdes, puisque Revenu Canada a le pouvoir d'aller vérifier directement dans les ateliers ce que font les ingénieurs de l'entreprise et de dire dans certains cas: «Mais ce n'est pas vraiment de la R-D que vous faites.» À quoi, l'ingénieur répondra: «Ce n'est certainement pas le genre de recherche que j'ai effectuée quand je faisais ma maîtrise. C'est un simple travail de ferronnerie.»
En conséquence, le représentant de Revenu Canada raye complètement la demande. Pour éviter ce genre de situation, les entreprises engagent maintenant des consultants qui les préparent à la venue du vérificateur de Revenu Canada. Le résultat, c'est qu'il y a de part et d'autre des armées de consultants qui se battent pour un misérable crédit d'impôt à l'investissement. Entre-temps, nos concurrents américains créent des produits et accaparent des parts de marché dans le monde entier. Nous devons retirer le gouvernement de ce processus et laisser les particuliers investir dans le secteur.
Le sénateur Meighen: Je suis d'accord avec vous, mais nous pourrions peut-être nous pencher brièvement sur un autre aspect.
Que pensez-vous de l'apport de capitaux étrangers dans ce secteur? Qu'est-ce qu'il manque pour les attirer? D'après ce qu'on m'a dit, pour qu'un investisseur étranger intervienne, il faut qu'il soit précédé par un ou plusieurs investisseurs canadiens.
M. Doyle: Au Canada, nous avons les capitaux. Je préférerais que des capitaux canadiens investissent dans cette industrie qui est sans attache et qui a tendance à aller chercher les capitaux là où ils se trouvent. Ce ne serait pas une solution d'interdire les capitaux américains ou étrangers. Mais nous avons beaucoup de capitaux au Canada. Toutes nos sociétés d'exploitation des ressources naturelles, Enbridge, Stelco, Dofasco et les autres -- ont énormément de réserves. Actuellement, elles utilisent toutes leurs liquidités pour racheter leurs propres actions. L'idéal serait de trouver un moyen de réunir ces capitaux pour constituer des réserves de capital de risque dont la gestion serait confiée à des spécialistes. Je ne pense pas que nous ayons besoin des capitaux étrangers.
En fait, l'industrie elle-même et les associations commerciales ne voient pas d'un bon oeil la mainmise étrangère sur nos entreprises canadiennes -- et tout cela encore est lié à l'impôt sur les gains en capital; tout cela est lié au fait qu'il n'y a pas assez de liquidités sur le marché. La société MDA, MacDonald Dettwiler and Associates Ltd., était l'enfant chéri de l'industrie de la haute technologie à Vancouver. Les Canadiens ont consacré une fortune à cette entreprise en subventions de R-D, en contrats de matériel spatial, et cetera. Les contribuables canadiens ont dépensé une fortune pour faire de MDA ce qu'elle est devenue et, il y a quelques années, la société a été vendue à Orbital Sciences, une société américaine. Et si elle a été vendue, c'est parce qu'elle n'avait pas de liquidité; il n'y avait aucun potentiel pour ses actions sur le marché. Les investisseurs en capital de risque qui avaient investi dans MDA depuis 10 ou 12 ans ont commencé à réaliser qu'ils ne récupéreraient jamais leur mise puisque leurs actions n'intéressaient personne; aussi, ils ont pris contact avec quelques sociétés américaines pour leur proposer d'acheter MDA. Les acheteurs potentiels pourraient faire d'abord l'acquisition de leur avoir propre puis acheter le reste sur le marché public.
Comme vous le savez, nos entreprises canadiennes se font racheter l'une après l'autre. Cela vient tout simplement du fait qu'il n'existe pas au Canada une communauté d'investissement décidée à conserver ces entreprises.
Le sénateur Meighen: Par la suite, c'est ce qui a permis à MacDonald Dettwiler d'acheter Spar Aérospatiale qui manquait elle aussi de liquidité dans ses titres.
M. Doyle: C'est exact. Beaucoup de gens pensent que MacDonald Dettwiler est une société canadienne, mais ce n'est pas le cas.
Le sénateur Meighen: D'après des renseignements que j'ai obtenus d'un rapport du Centre canadien du marché du travail et de la productivité, les fonds de pension américains et australiens sont des intervenants beaucoup plus actifs qu'au Canada. Pourquoi les fonds de pension des travailleurs canadiens sont-ils les seuls à s'intéresser à cette industrie? S'ils étaient plus nombreux, est-ce qu'il y aurait un effet d'entraînement qui se ferait sentir jusqu'aux bailleurs de fonds? Si c'était le cas, que peut-on faire pour les encourager?
M. Doyle: Je vous ai dit pourquoi, selon moi, les fonds de pension sont réticents. C'est tout simplement parce qu'ils ne savent investir dans les entreprises de haute technologie qu'une fois qu'elles sont devenues des sociétés ouvertes. Ils se sont tous fait prendre par le prix élevé des actions au moment de l'émission initiale.
Un gestionnaire moyen de fonds de pension n'est pas intéressé par la haute technologie. Je le sais d'expérience. C'est Capital Alliance Management qui gère le fonds de pension de ma propre société de capital de risque. Nous gérons ce fonds de 40 millions de dollars qui est totalement investi, mais nous cherchons à réunir d'autres capitaux afin de les gérer dans le fonds de pension. Lorsqu'on s'adresse à eux, on se fait répondre invariablement: «Nous ne sommes pas intéressés par la haute technologie. On pourrait faire affaire avec vous si vous étiez dans la construction de centres sportifs, mais nous ne sommes pas intéressés par la haute technologie, car nous ne savons pas comment en retirer des profits.» Voilà le problème.
Le sénateur Meighen: Pourquoi les fonds des travailleurs investissent-ils dans ce secteur?
M. Doyle: Comme vous le savez probablement, le programme de fonds des travailleurs est une excroissance du Fonds de solidarité du Québec. Il y a une dizaine d'années, le gouvernement fédéral a décidé d'autoriser les syndicats à se lancer dans les investissements en capital de risque.
Notre fonds a vu le jour lorsqu'une poignée d'entre nous a décidé qu'Ottawa avait besoin d'un fonds d'investissement en capital de risque. Il n'y en a pas à Ottawa, malgré toutes les sociétés de haute technologie qu'on trouve ici; tout l'argent se trouve à Toronto et c'est un autre problème sur lequel vous voudrez peut-être vous pencher. Toronto n'a pas l'esprit d'entreprise, mais c'est là que se trouve l'argent qui cependant ne sert pas à grand-chose s'il reste inactif à Bay Street.
Nous avons décidé qu'Ottawa avait besoin d'une société d'investissement en capital de risque. Nous avons voulu nous faire parrainer par un syndicat et nous avons pris contact avec l'Association professionnelle des agents du service extérieur. La façon de procéder consiste à préparer un prospectus en vue de récolter de l'argent auprès du public.
Il me semble cependant que ce n'est pas pratique. Par exemple, j'ai 11 000 actionnaires; chaque fois que je communique avec eux, cela me coûte 20 000 $. Chaque mois, on reçoit des appels de fonctionnaires fédéraux et provinciaux qui nous demandent combien d'emplois ont été créés le mois dernier. Ce n'est pas la bonne façon de procéder. Notre société fonctionne, mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a de meilleures façons de financer les investissements en capital de risque.
Le sénateur Callbeck: Ma première question concerne le montant que les bailleurs de fonds sont autorisés à investir en capital. Au Canada, la limite est d'environ 100 000 $; aux États-Unis et dans d'autres pays, on me dit que le plafond est fixé à 50 000 $. Pour quelle raison?
M. Doyle: Je n'ai pas entendu dire qu'il y avait une réelle différence entre les plafonds canadiens et américains. Avez-vous des données que je ne connais pas?
Certains anges investisseurs sont des personnes qui peuvent tout simplement investir 25 000 $. Je connais des gens dans cette ville qui n'hésiteraient pas à faire un chèque de 25 000 $ chacun à deux étudiants de l'Université Carleton qui se présenteraient à eux en leur disant: «Nous avons conçu un nouveau multiplexeur», ou quelque chose du genre. Les bailleurs de fonds leur répondraient: «Nous allons voir ce que vous êtes capables de faire et si vous avez besoin de plus d'argent, faites-nous parvenir un plan d'entreprise et nous passerons à l'étape suivante.»
On dit que les anges n'investissent généralement pas plus de 500 000 $, mais je connais des bailleurs de fonds dans cette ville qui sont prêts à aller jusqu'à 4 et 5 millions de dollars.
Le sénateur Callbeck: C'est ce que nous a dit le professeur Allan Riding, de l'Université Carleton, lorsqu'il est venu témoigner.
Vous avez dit que la gestion ne pose aucun problème au Canada. On nous dit que les anges canadiens rejettent 97 p. 100 des propositions qui leur sont présentées et qu'ils en éliminent les trois quarts avant même d'avoir lu le plan d'entreprise. La raison la plus souvent avancée est que les candidats ne semblent pas disposer des compétences de gestion nécessaires. Est-ce que vous pensez que le Canada dispose de suffisamment de personnes qui ont les connaissances, les compétences et le savoir-faire?
M. Doyle: Nous avons suffisamment de gens qui possèdent des compétences innées qui ne demandent qu'à être développées. Voilà mon opinion. Par exemple, lorsque je fais un investissement, je fais appel généralement à trois ou quatre de mes collègues. Si un des cerveaux de Carleton vient me présenter une idée, je ne vais pas y investir personnellement. Je vais appeler quatre ou cinq de mes amis et leur demander d'investir chacun 20 000 $ ou 50 000 $. Ensuite, on constitue un conseil d'administration afin de structurer un peu la direction de cette entreprise. Si un des fondateurs n'est pas capable d'en assumer la présidence, nous pouvons parachuter notre propre président.
C'est le genre de manoeuvre qu'il faut effectuer à la première étape de l'investissement. Or, les sociétés d'investissement en capital de risque n'ont pas le temps ni le désir de faire ce genre de choses. Les anges sont les mieux équipés pour le faire. Si l'on y met l'effort nécessaire, on peut changer la situation.
Je vais vous donner un exemple à ce sujet. Ici à Ottawa, un professeur de l'Université Carleton a mis au point un nouveau type de logiciel pour la création de puces. Il s'est discrètement présenté à un investisseur d'Ottawa pour lui demander de l'aide. Cet ange lui a prodigué ses conseils. Lorsqu'il a eu besoin de plus de capitaux, l'ange s'est adressé à nous, la société d'investissement en capital de risque, et nous y avons investi 2 millions de dollars. Nous avons constitué un conseil d'administration en bonne et due forme et nous avons consacré beaucoup d'efforts à l'affaire, beaucoup plus que ne consentiraient à le faire la plupart des investisseurs en capital de risque. Cette année, cette entreprise aura un chiffre d'affaires d'à peu près 15 millions de dollars. Sa croissance double chaque année. Les compétences brutes étaient là. L'inventeur était un professeur, mais je peux vous garantir qu'il deviendra un des plus grands pdg du monde. Je suis convaincu qu'il est possible de faire un gestionnaire de n'importe qui, si la volonté est là.
Le sénateur Callbeck: Est-ce que les gouvernements devraient prendre des mesures spéciales pour développer ces compétences brutes?
M. Doyle: Vous voulez parler de la formation des gestionnaires?
Le sénateur Callbeck: Pour aider les gens à acquérir les connaissances et les compétences.
M. Doyle: Je pense que toutes les conditions sont réunies. Je suis prêt à parier avec vous que l'on pourrait lancer une cinquantaine d'entreprises à Ottawa aujourd'hui si l'on disposait d'un groupe d'investisseurs plus dynamique. Et je pense que cela vaut pour toutes les grandes villes du Canada. Nous avons déjà les cerveaux. Ce qui manque, ce sont les compétences de gestion. Cependant, il suffit de mettre les concepteurs en contact avec des vieux routiers comme moi pour leur enseigner coûte que coûte la gestion, car notre investissement est en jeu. Je pense que les gouvernements n'ont rien à faire dans ce domaine.
Le sénateur Callbeck: Et que peut-on faire pour mettre ces gens en contact? Il semble qu'il y ait de la difficulté à mettre les investisseurs en contact avec les gens qui ont les idées.
M. Doyle: Ça, c'est une toute autre question! Je pense que c'est le rôle des agents de développement économique à l'échelon municipal. Les gens qui souhaitent vraiment l'essor de la technologie au Canada sont les agents de développement économique de Cornwall, Brockville, Red Deer, et cetera. Le problème, c'est qu'ils n'ont aucun moyen à leur disposition. Si vous voulez faire quelque chose, il faudrait leur proposer un genre de programme qui leur permette d'améliorer leurs compétences pour servir d'intermédiaires entre les anges et les entrepreneurs.
Je crois qu'un ministère propose un programme destiné à préparer les villes aux investissements. Malheureusement, ce n'est pas très efficace. Le programme ne fait qu'encourager des villes comme Red Deer et Moncton à visiter Silicon Valley. C'est totalement inutile. Il est bien préférable d'apprendre aux gens à bâtir eux-mêmes leurs industries de haute technologie.
Le sénateur Callbeck: Est-ce que vous faites allusion à un programme qui s'appelle je crois le programme canadien d'investissement communautaire?
M. Doyle: C'est bien cela. Je n'y crois pas du tout.
Le sénateur Callbeck: Pensez-vous qu'il existe d'autres moyens pour le gouvernement d'améliorer la situation?
M. Doyle: Il y a deux moyens pour une collectivité de se lancer dans la nouvelle économie. La première est de l'importer. La deuxième est de la créer. À mon avis, on peut créer sa propre nouvelle économie plus rapidement et mieux en l'important. Malheureusement, le programme que vous avez cité vise uniquement l'importation. Tous ceux qui connaissent la nouvelle économie vous diront que la stratégie d'importation est un attrape-nigaud.
Le sénateur Callbeck: L'autre jour, le professeur Riding nous a dit que l'assurance-responsabilité est une des choses qui découragent les investisseurs.
M. Doyle: C'est exact.
Le sénateur Callbeck: Que peut-on faire à ce sujet?
M. Doyle: Comme je l'ai dit tout à l'heure, la première chose que je fais lorsque j'investis dans une entreprise, c'est de réunir cinq ou six de mes amis; nous formons ensuite un conseil d'administration. Cependant, dès l'instant où vous devenez administrateur d'une entreprise, les responsabilités commencent à pleuvoir. Il y en a de toutes sortes. On pourrait charger un groupe d'étude d'examiner ces responsabilités. D'autre part, il est impossible d'obtenir de l'assurance. Dans les premiers temps d'existence d'une entreprise, le conseil d'administration ne peut obtenir une assurance-responsabilité pour ses administrateurs et agents.
Pour commencer, le gouvernement doit cesser d'imposer de si nombreuses responsabilités aux administrateurs. À chaque nouveau budget, les responsabilités augmentent. Qu'il s'agisse des montants de TPS non versés ou de nouvelles dispositions environnementales, le gouvernement peut s'en prendre aux administrateurs. C'est un grave problème. Les bailleurs de fonds hésitent beaucoup à intervenir, parce qu'ils ne veulent pas endosser les responsabilités des administrateurs. Et pourtant, sans constituer un conseil d'administration officiel, il est impossible de discipliner les jeunes.
Le sénateur Kenny: Il y a dans votre exposé trois choses qui m'ont frappé. Vous avez parlé de statistiques fiables, de subventions gouvernementales et de dispositions de roulement. J'ai des questions sur ces trois points.
En ce qui a trait aux statistiques fiables, vous avez dit, en réponse aux commentaires du sénateur Angus, que c'était principalement un problème de définition. Pouvez-vous préciser?
M. Doyle: Comme je l'ai dit un peu plus tôt, l'OCDE par exemple est une autorité reconnue en matière de classification industrielle. Le Canada n'accepte pas cette classification et tient à décider lui-même de la classification d'une société que l'OCDE classe dans la catégorie des fabricants de logiciel. Pour une raison quelconque, nous avons l'impression que notre industrie de la haute technologie nécessite un autre système de classification. C'est très difficile.
Un journaliste m'a appelé l'autre jour pour me demander quel était le chiffre d'affaires total de l'industrie de la technologie. Je lui ai dit que j'étais incapable de le renseigner et que personne d'autre ne pourrait le faire.
La publication d'Industrie Canada que j'ai mentionnée plus tôt concerne uniquement le secteur de l'information, des communications et de la technologie. C'est parce qu'un de ces secteurs relève d'Industrie Canada. Il est impossible au Canada de brosser un tableau général du secteur de la haute technologie.
Le sénateur Kenny: Nous sommes membres de l'OCDE. Cette organisation fonctionne par consensus, c'est-à-dire essentiellement à l'unanimité. Vous affirmez que nous n'appliquons pas les définitions mises au point par l'OCDE.
M. Doyle: C'est exact. Nous n'essayons même pas d'en tenir compte. Autrement dit, si vous vous présentez à Statistique Canada, on vous répondra: «Dites-nous qui a besoin de ces renseignements. Dites-nous quelle société canadienne en a besoin.» Ce ne sont pas les sociétés canadiennes qui en ont besoin, ce sont les concepteurs canadiens de politiques qui devraient en avoir besoin.
Le sénateur Kenny: Pourquoi disent-ils qu'ils ne sont pas intéressés par les définitions de l'OCDE?
M. Doyle: Les Américains aussi ont leur propre définition. C'est une version plus précise que celle de l'OCDE, qui ne les intéresse pas non plus. On nous répond tout simplement que personne n'a jugé qu'il était important de vérifier le rendement du Canada dans la nouvelle économie. Je pense que c'est un problème assez grave au Canada. Si vous ne disposez pas des données nécessaires pour gérer quelque chose, c'est sûr que la gestion ne se fera pas.
Le sénateur Kenny: Je comprends.
Monsieur le président, s'il n'y a aucun représentant de Statistique Canada sur notre liste de témoins, vous devriez peut-être envisager de faire témoigner un fonctionnaire.
Passons maintenant aux subventions gouvernementales. Si j'en crois vos remarques, à l'exception du PARI, aucune autre subvention n'est utile pour le lancement d'une entreprise.
M. Doyle: À l'exception du PARI, aucune autre subvention n'est utile à l'étape du lancement.
Le sénateur Kenny: Est-ce que vous les supprimeriez toutes?
M. Doyle: Absolument. Je supprimerais toutes les subventions au secteur de la haute technologie et les remplacerais par d'importants incitatifs fiscaux. Beaucoup de mes amis dans le secteur de la haute technologie vont m'en vouloir terriblement, mais je pense qu'il est temps de passer aux choses sérieuses si l'on veut constituer cette industrie qui ne verra jamais le jour grâce aux subventions gouvernementales.
Le sénateur Kenny: Vous prenez quand même vos précautions en demandant qu'elles soient remplacées par un important allégement fiscal.
J'ai une question au sujet de la disposition de roulement. Il me semble que l'exemption serait relativement faible si la disposition de roulement était appliquée au Canada.
M. Doyle: C'est exact. Tout cela est si insidieux dans le régime d'imposition des gains en capital. D'après mes calculs, il ne produit pas tant que ça de recettes pour le pays en général et si le Canada appliquait comme les Américains certains ajustements, l'impact serait minime.
Le sénateur Kenny: Ne parlons pas de l'ensemble des gains en capital, parce que c'est un sujet trop vaste. Contentons-nous de parler de la disposition de roulement. Ce serait une assez petite partie des gains en capital.
M. Doyle: C'est exact.
Le sénateur Kenny: En termes politiques, on pourrait décrire cette disposition comme une exemption à l'impôt sur les gains en capital.
M. Doyle: Oui.
Le sénateur Kenny: Je suppose que vous communiquez avec les fonctionnaires chargés de la politique fiscale. Lorsque vous discutez avec eux, quels sont les arguments qu'ils avancent? N'importe quelle proposition fiscale a des aspects positifs et des aspects négatifs. Quels sont les aspects négatifs? Est-ce qu'elle est inéquitable? Est-ce qu'elle nuit à quelqu'un? Est-ce qu'ils estiment qu'il ne s'agit pas d'un revenu?
M. Doyle: Ils disent tout simplement que, politiquement, ce ne serait pas acceptable. Or, quand on en parle aux politiciens, ils tapent du poing sur la table en disant: «C'est à nous de décider si c'est politiquement acceptable.» Pour une raison ou une autre, le son de cloche n'est pas le même.
Je crois que les fonctionnaires essaient d'anticiper ce que les politiciens souhaitent entendre et présenter. Je crois personnellement que la disposition de roulement serait tout à fait acceptable sur le plan politique si on expliquait correctement le concept en soulignant l'incompétence du Canada en tant que nation commerciale et son incompétence dans l'économie.
Le président suppléant: Merci beaucoup monsieur Doyle. Votre exposé a été des plus éclairants.
Le prochain témoin est M. John Cranston.
M. John Cranston, président, Alberta Capital Market Foundation: Monsieur le président, je vais m'éloigner légèrement de mon exposé pour commenter ce qu'a dit ce matin M. Doyle. Je partage son point de vue à une exception près: je pense que le système d'éducation canadien est affligé d'une lacune énorme et fondamentale.
Je vous remercie de m'avoir invité à venir présenter l'Alberta Capital Market Foundation et à vous dire pourquoi nous existons et ce que nous faisons. Je serais ravi également de répondre à vos questions au sujet de la fondation ou d'autres aspects liés à la formation du capital.
Personnellement, j'ai une vingtaine d'années d'expérience dans le secteur des investissements, aussi bien en tant qu'intervenant direct dans une grande société nationale d'investissement que dans divers organismes chargés de la surveillance de l'industrie. Je suis le président fondateur de l'Alberta Capital Market Foundation. Nous sommes nouveaux dans le secteur. Je suis également membre du conseil d'administration de la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta, membre du conseil d'administration de l'Investor Learning Centre du Canada et ancien président de la Bourse de l'Alberta.
La Commission des valeurs mobilières de l'Alberta a créé l'an dernier l'Alberta Capital Market Foundation à titre d'organisme indépendant chargé d'assurer le financement de projets éducatifs destinés à améliorer le niveau de connaissances et de compétences des entrepreneurs et des investisseurs. Nous considérons le marché des capitaux comme une entreprise à volet double et nous cherchons à définir ce que nous pouvons faire relativement à chacun de ces deux aspects. La commission a tenu à ce que la fondation soit un organisme du secteur privé afin qu'elle puisse satisfaire ses intérêts dans ces domaines avec la participation du secteur privé.
Notre capital est légèrement supérieur à 1,4 million de dollars. Au départ, nous avons reçu 1 million de dollars de la commission, 200 000 $ en capital de la bourse et 200 000 $ de façon plutôt involontaire de la part d'un courtier en valeurs mobilières qui avait enfreint un certain règlement et qui a dû verser une pénalité à un organisme éducatif. La commission ne s'est pas engagée à verser d'autres fonds à la fondation. Cela ne signifie pas que nous ne recevrons plus jamais rien de la commission, mais il nous faudra faire une demande, pour des raisons juridiques et d'indépendance. Par ailleurs, nous sommes libres de solliciter des fonds auprès d'autres organisations ou sociétés.
Le conseil d'administration de la fondation est composé de représentants de la commission, de la Bourse de l'Alberta, du conseil de district albertain de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières, du ministère du Trésor du gouvernement de l'Alberta, du Barreau de l'Alberta et du secteur des entreprises et de l'éducation. Nous n'avons pas d'employés. Nous avons conclu avec la Commission des valeurs mobilières une entente administrative qui nous permet «d'emprunter» un de leurs avocats -- ce que nous faisons de plus en plus souvent --, et d'obtenir d'autres services selon nos besoins.
La fondation n'est pas limitée dans le montant d'argent qu'elle peut distribuer au cours d'une année. Avec le capital dont nous disposons, nous serions limités à environ 70 000 $ par an, mais nous ne pouvons nous permettre d'octroyer de grandes subventions. C'est pourquoi, nous avons l'intention de nous associer à différents groupes et particuliers du secteur public et du secteur privé. Nous voulons répondre aux initiatives qui nous seront présentées par ces groupes et appuyer également certaines propositions lorsque nous en voyons l'utilité. Nous avons l'intention d'attirer les propositions en promettant d'y jeter un oeil favorable.
La première subvention que nous avons accordée en est une illustration. Dans le cadre de la semaine de l'information des investisseurs qui se déroule justement cette semaine, les administrateurs de la Commission des valeurs mobilières du Canada -- je devrais peut-être l'appeler la Commission virtuelle nationale des valeurs mobilières -- a collaboré avec l'Investor Learning Centre à la rédaction d'un exposé favorisant une meilleure compréhension du risque, qui serait présenté sur des tribunes publiques partout au Canada cette semaine. En Alberta, ce sont évidemment les villes de Calgary et Edmonton qui ont été choisies, comme d'habitude. Cependant, au cours de cette réunion, j'ai demandé aux organisateurs combien il en coûterait d'organiser la présentation dans dix endroits plutôt que deux. Ils n'ont pu me répondre. Je leur ai dit: «Donnez-moi un budget et je vais m'en occuper.» C'est ce que nous avons fait et nous sommes maintenant en mesure de présenter cet exposé dans dix endroits différents tels que Peace River, Grande Prairie, Fort McMurray, Red Deer, Brooks, Medicine Hat et Lethbridge. De cette manière, l'information sera transmise à tous les Albertains et pas seulement aux habitants des grandes villes.
La fondation veut aussi s'intéresser à la façon d'étendre des programmes offerts aux entrepreneurs et aux investisseurs.
Nous avons également entrepris, en collaboration avec les deux grandes universités de l'Alberta, une enquête sur les programmes d'information et d'éducation qui sont actuellement offerts aux investisseurs et aux entrepreneurs. Tout cela se rapporte un peu aux questions évoquées par M. Doyle. Nous espérons faire un bilan, car on raconte qu'il existe beaucoup de choses, mais que les connexions font défaut. Nous espérons réaliser cette connexion, offrir une sorte de base de données sur notre site Web, examiner les besoins et pouvoir mieux juger dans quelle mesure une proposition répond à un besoin.
La fragmentation semble particulièrement réelle chez les entrepreneurs. Je vais vous raconter une anecdote qui confirmera ce que M. Doyle nous a dit un peu plus tôt ce matin. Lorsque notre fondation a été créée, j'ai reçu par téléphone, lettre, courrier électronique, et cetera, énormément de demandes d'information sur ce que nous avions l'intention de faire. Il y a quelque temps, je les ai toutes réunies. Il y avait 13 demandes d'organismes de divers paliers de gouvernement qui voulaient savoir ce que nous avions exactement l'intention de faire. Je les ai rappelés afin de vérifier exactement ce qu'ils voulaient savoir et j'ai découvert que dans la plupart des cas, ils ne savaient pas exactement eux-mêmes ce qu'ils faisaient et ils souhaitaient qu'on leur fasse des suggestions. «Nous sommes là, semblaient-ils dire. Nous avons été créés pour vous aider. D'après vous, que devrions-nous faire?» Certaines organisations sont établies depuis plusieurs années.
Je partage tout à fait le point de vue de M. Doyle. Il y a beaucoup de gens un peu partout qui n'attendent que d'intervenir. Mais ils ne communiquent pas entre eux. Ils relèvent de différents paliers de gouvernement, ce qui fait qu'il ne se passe pas grand-chose de bien.
Nous espérons faire oeuvre utile en disant: «Voilà la situation. Savez-vous que vous faites tous les trois la même chose? Vous relevez tous de paliers de gouvernement différents. Vous faites tous des dépenses, mais vous n'utilisez peut-être pas cet argent de manière très efficace.» Si nous pouvons agir en ce sens, je crois que notre contribution sera utile.
Dans un rapport pour Industrie Canada intitulé: «Les fonds d'investissement et la protection des investisseurs au Canada», Glorianne Stromberg tente, en guise de conclusion, de dire que l'éducation est peut-être la réponse aux nombreux problèmes qu'elle a soulevés. Elle a tendance à favoriser la réglementation. En tant que représentant d'un organisme de réglementation, je n'y suis pas très favorable. Je pense qu'elle est nécessaire dans certains secteurs, mais qu'il en faut le moins possible. Nous n'avons aucune hésitation à affirmer comme Mme Stromberg que l'éducation pose problème et que la simple transmission d'information ne suffit pas. Il y a une grosse lacune dans notre système d'éducation. Lorsque j'écoutais le débat un peu plus tôt, j'avais envie de poser la question suivante aux sénateurs: «Combien d'entre vous ont appris au cours de leur scolarité, en dessous du niveau de la maîtrise, ce qu'était une entreprise?» Je crois bien que l'école n'enseigne rien sur les affaires.
Au Canada, nous avons une attitude vraiment négative vis-à-vis du milieu des affaires. Pour la plus grande partie de la population, les affaires ont une connotation négative. Nous en sommes tous tributaires, mais c'est un secteur qui a mauvaise presse.
Permettez-moi de vous parler encore un peu de moi. Pendant un certain temps, j'ai été journaliste. J'ai travaillé aussi pour plusieurs établissements d'enseignement. Je connais beaucoup de gens dans ces secteurs. Ma clientèle comprend une proportion écrasante d'enseignants et de journalistes. Leur connaissance personnelle des principes fondamentaux de l'économie est pratiquement nulle. Ils n'y comprennent rien. Ce manque de connaissances engendre la suspicion, parce qu'on se méfie toujours de ce qu'on ne comprend pas. Comment peuvent-ils aider leurs étudiants, leurs lecteurs et leurs auditeurs à mieux comprendre les questions économiques qu'ils ne comprennent pas eux-mêmes? C'est un véritable problème.
Cela les amène par ailleurs à se tourner vers le gouvernement pour trouver des solutions dans des secteurs où le gouvernement n'a pas sa place. C'est une grande tentation, en particulier en matière de politique fiscale, d'encourager un secteur de l'économie au détriment des autres. Récemment en Alberta, le secteur des investissements a incité le trésorier de la province à ne pas offrir d'incitatifs fiscaux spéciaux pour la technologie. Nous lui avons dit: «Si vous les offrez, nous allons les prendre. Nous allons nous servir jusqu'au dernier sou car nous savons très bien comment nous y prendre, mais il n'est pas garanti que vous atteindrez le but que vous visez.»
Il y a quelques années, j'ai travaillé personnellement au sein d'un organisme appelé l'Alberta Stock Savings Plan. Nous étions en mesure d'offrir aux investisseurs un taux annuel de rendement composé de 13,6 p. 100 pendant deux ans, sans aucun risque, étant donné que l'entreprise est toujours restée inactive. Cependant, nous bénéficions d'un allégement fiscal de 30 p. 100, nous payions quelques dividendes sur les profits que nous réalisions sur les marchés financiers et tout le monde était content, sauf probablement le gouvernement.
Le secteur canadien des investissements est suffisamment dynamique pour tirer le maximum de profits de n'importe quel arrangement, qu'il s'agisse de recherches scientifiques ou de crédits d'impôt. Je connais quelqu'un qui a construit un hangar à bateaux pour l'industrie touristique grâce à ses crédits d'impôt. L'entreprise était admissible et c'était une affaire en or.
La fondation partage le point de vue du secteur des investissements de l'Alberta et estime qu'il ne faudrait pas offrir d'allégements fiscaux sélectifs. Le gouvernement ne sait vraiment pas discerner entre les différentes entreprises. Nous pensons que c'est le marché qui devrait choisir quelles sont les idées qui méritent son appui.
Nous estimons que l'impôt sur les gains en capital est beaucoup trop élevé de manière générale. En cela, nous partageons le point de vue de M. Doyle. Nous estimons que la loi actuelle influence la décision de l'investisseur en offrant un allégement fiscal plus grand aux personnes qui investissent dans les actions des entreprises qui ne sont pas inscrites à la bourse. Ironiquement, c'est une question que nous allons devoir confronter lorsqu'il sera question de fusionner la bourse de Vancouver, celle de l'Alberta et le marché hors bourse, avec les sociétés à faible capitalisation déjà cotées à Montréal et Toronto.
Un investisseur peut échanger des actions -- c'est volontairement que je n'utilise pas l'expression «action cotée» -- un investisseur qui échange des actions sur le marché canadien hors bourse peut se prévaloir de l'exemption pour gains en capital de 0,5 million de dollars accordée aux petites entreprises. Il peut également déduire d'un autre revenu les pertes occasionnées au cours de l'échange de ces actions. On ne peut pas bénéficier de cette exemption dans le cas des actions qui sont cotées aux bourses de l'Alberta, de Vancouver, de Toronto ou de Montréal.
M. Hess de la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta, un témoin que vous avez entendu récemment, avait mentionné au cours de son témoignage, le financement de Big Rock Breweries en Californie. Il avait précisé que le financement s'était fait là-bas parce que l'entreprise avait obtenu un meilleur prix. C'était certainement une des raisons, mais l'autre raison était qu'en concluant l'affaire en Californie, les actions étaient échangées à la NASDAQ qui n'est pas une bourse reconnue aux fins de la loi de l'impôt du Canada. Cela permettait par conséquent à l'entrepreneur de bénéficier de deux années supplémentaires de traitement fiscal favorable, étant donné que l'entreprise n'était pas cotée dans une bourse canadienne. Le système est franchement pervers.
Lorsque ma femme a jeté un coup d'oeil sur ma documentation, elle m'a demandé si le mot «pervers» était le mot juste. Je lui ai assuré que c'était le bon mot et je me suis empressé de prendre le dictionnaire pour vérifier. «Pervers» signifie détourné de sa fin. C'est exactement ce qui se passe avec beaucoup de nos incitatifs fiscaux; ils ont pour but d'offrir un avantage, mais ils n'y parviennent pas.
Ce serait merveilleux que vous reconnaissiez qu'il faut abaisser l'impôt sur les gains en capital ou même l'éliminer dans certains secteurs; mais n'allez pas plus loin. Donnez-nous des règles du jeu équitables, permettez-nous d'obtenir un rendement raisonnable sur nos investissements et laissez ensuite le marché décider. Le marché fait son travail.
Un peu plus tôt, M. Doyle nous a parlé des anges et des conditions dont ils doivent disposer pour intervenir. L'autre jour, j'ai examiné une petite entreprise pour aider quelqu'un à prendre une décision au sujet de ses investissements et nous avons conclu au bout du compte qu'après impôt, il était probablement préférable pour lui d'investir dans des valeurs sûres plutôt que de donner un coup de main à une entreprise d'entreposage, parce que cela ne lui rapporterait absolument pas plus.
Le sénateur Meighen: Même si l'entreprise s'avérait florissante?
M. Cranston: Absolument. Tout cela à cause des impôts. Comme l'a mentionné M. Doyle, les dividendes sont moins imposés que les gains en capital. Pourquoi un investisseur, un bailleur de fonds se donnerait-il la peine d'investir dans une entreprise qui présente plus de risques si cela ne lui rapporte pas plus? C'est le rendement qu'il recherche. Le régime fiscal aboutit au résultat contraire.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, j'ai des opinions très tranchées sur certaines de ces questions, mais je pense que je vais terminer ici mon exposé. Je serais très heureux de répondre à vos questions sur l'approche adoptée par Capital Market Foundation et au sujet des problèmes que nous tentons de résoudre.
Le sénateur Angus: Merci monsieur Cranston. Votre exposé a été très enrichissant. Vous pouvez rassurer votre femme au sujet du mot «pervers», puisque M. Doyle a utilisé l'adjectif «obscène» pour décrire le terrible régime d'imposition des gains en capital.
J'ai consulté le très intéressant site Web de votre fondation. Je veux m'assurer d'avoir bien compris ce que vous faites. Vous n'êtes pas des anges.
M. Cranston: Non.
Le sénateur Angus: Votre rôle n'est pas de financer les petites entreprises.
M. Cranston: Non.
Le sénateur Angus: Votre rôle est d'éduquer, un peu comme l'Institut Adam Smith.
M. Cranston: Notre rôle n'est pas directement l'éducation. Nous sommes là pour collaborer avec les personnes qui dispensent l'éducation. Nous sommes prêts à collaborer avec n'importe qui. Nous sommes même prêts à collaborer avec un organisme gouvernemental, bien que j'aie certaines réticences personnelles à ce sujet, ne voyant pas pourquoi nous devrions investir dans une entreprise qui reçoit déjà des subventions. Notre objectif premier est de collaborer avec les institutions existantes et d'offrir des capitaux de lancement aux entreprises qui se chargent de l'information.
J'aimerais par exemple voir créer à Calgary et à Edmonton ce que j'appelle des centres d'information aux entrepreneurs. Un entrepreneur pourrait s'adresser à un tel centre pour savoir comment améliorer ses compétences de gestion et comment rédiger un plan d'entreprise. Il pourrait suivre un cours de deux jours ou de deux ans. Ce centre proposerait toutes sortes de possibilités.
Il serait tout à fait possible par exemple d'indiquer aux entrepreneurs à quel endroit s'adresser pour obtenir des fonds, pour obtenir un encadrement et assembler une base de données qui permettrait aux entrepreneurs de vérifier dès le départ le bien-fondé de l'idée qu'ils veulent mettre en pratique. Ce serait un moyen d'obtenir l'avis de personnes d'expérience.
Et si l'idée de départ est bonne, que doit faire l'entrepreneur pour la mettre en pratique? Quelle est la prochaine étape? On lui dirait où s'adresser pour réunir tous les éléments nécessaires.
Le sénateur Angus: Je comprends maintenant. Il y a des demandes dans votre documentation.
M. Cranston: Les candidats pourraient venir des collèges, des universités, des entreprises privées. Il suffit que les candidats veuillent créer quelque chose. Actuellement, nous avons quatre ou cinq demandes, une provenant de personnes travaillant dans une société d'investissement, deux autres de personnes qui travaillent actuellement dans des institutions. Nous en avons une également en provenance du centre de formation des investisseurs qui propose une expérience en Alberta. Nous avons aussi la demande d'un professeur qui vient tout juste de quitter l'Université de Calgary pour monter sa propre entreprise de formation des entrepreneurs.
Le sénateur Angus: L'idée est de favoriser la réunion des différents éléments. Vous pourriez par exemple aider quelqu'un qui souhaiterait lancer un projet immobilier en Alberta mais qui ne saurait pas exactement où trouver un promoteur et comment réunir les différents éléments.
M. Cranston: Nous pourrions l'aider à constituer une base de données qui lui indiquerait où s'adresser et comment mener à bien l'entreprise.
Le sénateur Angus: Je viens du Québec, où le Régime d'épargne-actions n'a pas toujours bonne presse depuis quelques années. C'est probablement un bon régime, mais il n'a pas été utilisé de manière appropriée. J'ai tout de suite été intéressé lorsque vous avez parlé du Régime d'épargne-actions de l'Alberta, parce que je m'attendais peut-être à ce que vous en parliez comme d'une «bonne» chose, mais vous avez conclu en disant: «Ne touchez à rien d'autre; contentez-vous d'éliminer l'impôt sur les gains en capital et nous nous en tirerons très bien.»
Je suis plutôt d'accord avec vous, mais je ne suis pas convaincu que le Régime d'épargne-actions du Québec soit une mauvaise chose. Cependant, j'aimerais connaître votre point de vue sur ce genre de formule. Par exemple, je me suis souvent demandé si elle va assez loin. Disons que vous êtes incité à faire l'acquisition d'une entreprise à faible capitalisation qui a des difficultés financières. Vous réunissez les fonds, vous passez à l'action, vous bénéficiez des allégements fiscaux, mais par la suite vous devez payer l'impôt sur les gains en capital. La mise de fonds initiale n'est pas déduite lors du calcul de l'impôt sur les gains en capital, si bien que le montant final à payer est plus élevé. C'est à décourager n'importe qui.
M. Cranston: Je peux vous dire comment cela fonctionne, puisque j'ai travaillé dans ce domaine. C'est en quelque sorte le gouvernement qui prend le risque à votre place, si bien qu'il vous paraît impossible de perdre. Et pourtant, ce n'est pas le cas. De nombreuses situations de ce genre ont été analysées. Lorsque vous faites l'acquisition de l'entreprise, vous laissez le gouvernement prendre le risque à votre place. L'investissement que vous faites comporte un risque plus grand, mais ce risque est réduit en raison de l'allégement fiscal offert par le gouvernement. Vous êtes donc incité à prendre ce risque. Au bout du compte, je pense que tout cela n'a pas beaucoup de sens.
Des acheteurs devraient prendre les risques qui correspondent à leur situation et récolter les avantages qui correspondent aux risques qu'ils ont pris. Au Canada, on fait tout à l'envers. Je vais revenir à ce que j'ai dit au sujet de l'éducation. Je crois sans exagérer que le Canadien moyen pense, à la fin de ses études, que gagner de l'argent, ce n'est pas une bonne chose. Le journal d'hier mentionnait une étude qui révélait que ce que craignait le plus les Canadiens c'était la détérioration de leur situation financière. Je ne me souviens plus du nom de l'organisme qui avait fait cette enquête, mais la conclusion était qu'il faudrait renforcer le filet de sécurité sociale. Je ne suis pas de cet avis. Si les gens ont peur de leur situation, c'est parce qu'ils ne la comprennent pas. Ils ne savent pas où ils en sont et ne comprennent pas ce qu'ils doivent faire pour y remédier. Ils auraient moins peur s'ils comprenaient un peu mieux leur situation. Il faut faire quelque chose sur le plan de l'éducation et ce n'est pas au niveau de la maîtrise qu'il faut intervenir, mais sans doute dès la troisième année.
Je réalise tout à coup que vous êtes un organisme fédéral et que l'éducation est de ressort provincial. Mais, en tant que citoyen canadien, cela m'est égal, car il faut faire quelque chose à ce sujet-là.
Le sénateur Angus: Est-ce qu'on peut conclure de ce que vous dites que cette idée serait acceptable sur le plan politique? J'ai demandé à M. Doyle ce que les fonctionnaires lui répondent lorsqu'il dénonce les effets pervers et obscènes de l'impôt sur les gains en capital. La réponse est que la modification de ces dispositions concernant les gains en capital ne serait pas acceptable sur le plan politique. En revanche, l'idée serait un peu plus acceptable si l'on apprenait aux jeunes Canadiens dès la troisième année à penser qu'il n'y a pas assez de millionnaires au Canada et à être fiers de dire qu'ils feront un jour des gains en capital. Est-ce que cela résume votre pensée?
M. Cranston: Tout à fait. J'aimerais revenir à ce que j'ai dit au sujet des enseignants et des médias. Pendant plusieurs années, j'ai travaillé dans une organisation médiatique qui continue d'être financée par le gouvernement du Canada. Je réalise maintenant que mes anciens collègues devaient sans doute me prendre pour un type bizarre. Le sentiment général, c'est que ce n'est pas bien d'être millionnaire et qu'il faudrait dissuader les gens de le devenir. Au Canada, on se fait un point d'honneur à critiquer les salaires de tous les pdg. Les journaux citent à l'envi leurs salaires. On ne voit rien de tel aux États-Unis. Je ne suis pas un admirateur de tout ce qui est américain, mais pourquoi avons-nous ce complexe?
Le sénateur Angus: En effet.
M. Cranston: Cela remonte à très loin.
Le sénateur Angus: Je me souviens très bien du jour où le ministre des Finances Michael Wilson avait déclaré, presque en aparté, que le Canada avait besoin de plus de millionnaires. À partir de ce moment, il n'a cessé d'être vilipendé et ridiculisé par une autre organisation politique. Et pourtant, il me semble qu'il avait raison. Si vous allez dans un des nombreux centres de villégiature en Floride où pas seulement les riches se réfugient pour échapper à l'hiver, vous rencontrerez dans la rue plus de millionnaires qu'il y en a dans tout le Canada.
M. Cranston: Les millionnaires sont les bailleurs de fonds qui financent les entreprises, qui lancent les entreprises, qui créent des emplois. Quand on ne sait pas comment fonctionne une entreprise, on ne peut pas comprendre.
Le sénateur Angus: Il s'est produit récemment un incident qui m'a intrigué et qui m'a désolé. Je pensais que c'était une bonne idée de la part de Diane Francis de téléphoner à Paul Desmarais et de recueillir les commentaires qu'il a bien voulu faire en toute franchise et en toute bonne foi. De fait, il a dû être un peu surpris par ce coup de téléphone en plein milieu des vacances. Le jour suivant, une personne haut placée à Ottawa, qui a probablement bénéficié des largesses de M. Desmarais, n'a pas hésité à le dénigrer. La même chose est arrivée quelques jours plus tard à Jimmy Pattison.
J'estime que c'est une bonne chose de faire parler les gens qui ont réussi, mais je regrette que leurs commentaires se retournent contre eux et qu'ils soient critiqués. Je ne peux m'empêcher de me porter à leur défense.
M. Cranston: Du point de vue politique, il est dangereux que le grand public comprenne mieux les affaires. Actuellement, certaines personnes réclament des réformes fiscales ou des changements du régime fiscal. Si le grand public commençait à comprendre, ce serait le bordel, puisque tout le monde réclamerait des changements.
Le président suppléant: Je partage le point de vue du sénateur Angus et du témoin, mais ne pensez-vous pas que le problème ne se limite pas au secteur des affaires? N'y a-t-il pas au Canada une sorte de problème de culture qui fait en sorte que la réussite est méprisée? C'est vrai dans le domaine des arts. C'est vrai dans beaucoup d'entreprises. On trouve à Hollywood beaucoup d'expatriés canadiens qui réussissent extrêmement bien. Il y a probablement d'autres raisons à cela, ne serait-ce que le degré d'avancement moindre de notre industrie, mais il faut reconnaître que les Canadiens ne sont pas fiers de leurs concitoyens qui réussissent.
Le sénateur Kenny: Et la taille du marché?
Le président suppléant: Bien entendu, les gens sont attirés par un plus grand marché. Il n'y a pas de doute là-dessus.
Le sénateur Angus: Nous sanctionnons le succès.
M. Cranston: Qui sont les grands sportifs que nous admirons? Ben Johnson? Ce sont des gens qui n'ont pas tenu leurs promesses. Nous avons vénéré Gretzky, mais il a fallu qu'il aille aux États-Unis pour devenir vraiment célèbre, plus célèbre que dans son propre pays.
Le sénateur Kenny: Vous venez de l'Alberta. Il jouait à Edmonton.
M. Cranston: Oui, et on ne l'aimait pas du tout.
Le sénateur Angus: Je suis fasciné par ce que fait votre fondation et je vous félicite. J'aime ce que fait l'Institut Adam Smith qui est en quelque sorte votre équivalent dans l'est du pays, un organisme dirigé par John Dobson, qui pense la même chose que vous du fonds de croissance Formula.
Je suis ici pour répondre aux besoins d'éducation et pour tenter de calmer les esprits et rendre ces points de vue plus acceptables sur le plan politique. C'est notre plus grand défi. Nous sommes des gens qui avons payé des impôts toute notre vie et qui en sommes fiers et nous estimons que nous avons maintenant le droit de donner notre point de vue.
M. Cranston: L'Industrial Learning Centre of Canada est en train de mettre au point un programme en collaboration avec divers ministères provinciaux. Je regrette qu'il ne soit pas encore disponible. Cela fait maintenant quelques années qu'il est en préparation. Il fait appel à trois niveaux d'éducation. L'idée est de l'intégrer dans les programmes d'éducation de toutes les provinces. Le programme débuterait en troisième ou quatrième année et amènerait les élèves à découvrir leur quartier, ses magasins et comment ils fonctionnent. Le programme se poursuivrait à l'école secondaire. Mais tout cela coûte beaucoup d'argent et le programme n'est pas encore prêt.
Le sénateur Angus: On a beaucoup parlé dernièrement des limites imposées aux investissements étrangers dans certaines industries protégées au Canada. Je veux parler des secteurs de la radio et des télécommunications, des transports, des banques, et cetera. Il me semble inévitable que ces limites soient éliminées. Cela permettra aux véritables entrepreneurs d'entrer en action et peut-être que la situation se renversera. Pensez-vous que je me trompe de cible?
M. Cranston: Vous avez raison dans un sens. Cependant, nous courons un certain risque en attendant. Le traitement que nous accordons aux investissements étrangers nous rend particulièrement vulnérables aux entreprises étrangères qui pourront faire leur choix parmi les entreprises canadiennes dont elles pourront facilement prendre le contrôle, étant encouragées par la valeur supérieure de leurs actions. Nous risquons de perdre nos meilleures entreprises.
Je reviens encore à la crainte du succès ou à la façon négative de voir les choses. Vous avez classé les banques dans le secteur des industries protégées. Évitez de le leur dire, car elles ne se sentent pas très protégées. Nous devons être très prudents si nous voulons éviter que toute notre industrie soit absorbée par d'autres pays où la situation est déjà plus ouverte.
Le sénateur Angus: Lorsque j'ai utilisé le mot «protégé», je ne pensais pas à protéger les banques, mais à protéger tous les pauvres petits Canadiens qui ne veulent pas devenir millionnaires.
M. Cranston: La directrice générale des finances de la Canadian Western Bank, qui n'est pas une des grandes banques canadiennes, siège au conseil d'administration de notre fondation. Elle aime bien me dire: «Donnez-nous une chance. S'ils ne veulent pas y être, nous y serons. Si on peut faire des affaires, comptez sur nous.»
Le sénateur Meighen: Pour poursuivre, monsieur Cranston, je vous félicite pour la solution que vous proposez pour l'éducation à long terme. Un changement d'attitude est absolument nécessaire au Canada. Cependant, je ne suis pas certain que je vivrai assez longtemps pour le constater moi-même. J'aimerais certains changements avant qu'il soit trop tard. Il me semble que la seule manière de provoquer le changement serait de lui donner une impulsion politique. Quant on fait preuve de leadership, on prend un risque. Vous avez dit tout à l'heure que ce serait le bordel, ou quelque chose du genre; vous avez sans doute été moins vulgaire.
M. Cranston: Non, c'est exactement ce que j'ai dit.
Le sénateur Meighen: Est-ce que vous êtes convaincu de cela?
M. Cranston: Quand j'ai dit que ce serait le bordel, je voulais dire qu'en ce moment nous ne sommes que quelques-uns à réclamer des réductions de l'impôt sur les gains en capital et des règles du jeu plus équitables pour les entreprises.
Le sénateur Meighen: Est-ce qu'il y a des progrès? Est-ce que vos demandes sont mieux accueillies?
M. Cranston: On parle toujours de l'Alberta comme d'une exception. Je pense que le public est très réceptif en Alberta. La raison pour laquelle nous voulons toucher les petites localités, c'est que la population y est réceptive.
Le sénateur Meighen: Je comprends la situation en Alberta. Quelle est la situation à Ottawa?
M. Cranston: Pour nous les Albertains, c'est un monde différent. Peut-être que nous ne le comprenons pas assez bien. Nous espérons, grâce aux initiatives que nous prenons en Alberta, faire preuve de leadership et obtenir des résultats à court terme.
Comme vous l'avez dit, le programme d'éducation à partir de la troisième année est un programme à très long terme. C'est une entreprise de rénovation. Nous essayons d'améliorer l'édifice sur place. Nous espérons que les programmes à court terme permettront de combler les lacunes et de jeter des ponts afin d'obtenir rapidement des résultats. Nous espérons pouvoir montrer très prochainement que le PIB albertain s'est amélioré, étant donné que la création d'entreprises est à la hausse, que la situation de l'emploi, qui est déjà assez bonne, va s'améliorer, afin que les gens puissent dire: «Les Albertains doivent bien avoir raison.»
Le sénateur Meighen: Vous venez d'évoquer quelque chose qui m'a toujours fasciné. Pourquoi les gouvernements, en particulier celui d'Ottawa, hésitent-ils tant à faire des essais? Ils ont l'impression que s'ils prennent une décision, ce sera pour l'éternité. Pourtant, on peut tout changer d'un trait de plume. Est-ce qu'en Alberta les pouvoirs publics n'hésitent pas à essayer quelque chose et à changer d'avis s'ils obtiennent pas les résultats escomptés?
M. Cranston: Je pense que l'existence même de la fondation en est la preuve. Nous ne sommes pas un organe du gouvernement, nous sommes deux échelons en dessous, puisque la commission elle-même ne relève pas officiellement du gouvernement, bien qu'elle fasse rapport au trésorier qui d'ailleurs a vu d'un bon oeil la création de la fondation et l'a encouragée. Il a dit: «Si vous voulez changer quelque chose, faites-le-nous savoir.»
Le sénateur Meighen: Est-ce que vous pensez qu'il suit vos progrès ou qu'il vous laisse vous débrouiller jusqu'à ce que vous ayez obtenu des résultats?
M. Cranston: C'est pourquoi nous ne disposons que de 1,4 million de dollars. C'est tout ce que nous aurons jusqu'à ce que nous ayons fait nos preuves.
Le président: Je remercie les deux témoins pour leurs exposés. Il est intéressant de noter qu'ils ont trouvé ici un auditoire très réceptif.
Le comité ajourne ses travaux.