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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 50 - Témoignages pour la séance de l'après-midi, le 28 avril 1999


TORONTO, le mercredi 28 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 14 heures afin d'examiner la situation actuelle du régime financier du Canada (financement par actions).

Le sénateur Michel Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, notre premier témoin cet après-midi est M. Gordon Sharwood, président et chef de la direction de sa propre entreprise que nous sommes plusieurs à avoir rencontré dans le cadre de ses fonctions antérieures au fil des ans. Ce n'est pas la première fois qu'il comparaît devant nous -- et corrigez-moi si je me trompe, Gordon -- il a également témoigné devant les comités de l'industrie et des finances de la Chambre des communes sur d'autres questions. M. Sharwood était présent ce matin et a donc entendu la discussion.

Veuillez nous résumer les points saillants de votre mémoire et ensuite nous vous interrogerons. Je vous remercie de votre présence ici. Je suis heureux de vous voir.

M. Gordon Sharwood, président et chef de la direction, Sharwood and Company: J'arrive tout juste d'une réunion où j'ai fait un discours sur le Plan d'investissement communautaire du Canada, dont j'ai joint copie à mon mémoire. L'agent du PICC de North Bay m'a dit que pas un seul investisseur en capital-risque ne s'était jamais rendu au nord de la 401. Je sais que c'est une légère exagération, mais on aurait bien du mal à trouver un investissement en capital-risque à Sault Ste. Marie.

C'était la même chose à Niagara. J'aimerais vous raconter une anecdote. Développement des ressources humaines Canada a en fait financé le voyage, par hélicoptère, de tout un groupe d'investisseurs en capital-risque, y compris moi-même, pour faire la tournée de la péninsule du Niagara parce que, à une exception près, il n'y a pas un seul investissement en capital-risque dans la péninsule du Niagara depuis 25 ans. L'exception, c'est Ben Webster qui a investi dans le vignoble de Kittling Ridge. Il a fait là un investissement très heureux. On parle actuellement d'un fonds que Working Ventures lancerait dans la péninsule du Niagara.

Si je regarde la liste dont Mary a parlé, on constate que 54 des 116 transactions se sont faites au Québec. Y en a-t-il à l'extérieur de l'Ontario? En dehors du Grand Toronto? Non. La répartition et l'accès au capital sont de grandes préoccupations.

Le Canadian American Growth Accelerator Network, dont je suis le président, tente de donner accès au capital dans des endroits comme Sarnia et Sault Ste. Marie où le PICC a maintenant un bureau. Voilà ce qui stimule la croissance.

Nous savons que ça bouge à Saskatoon.

J'ai demandé à INC. Magazine quels sont les endroits où ça bouge aux États-Unis et on m'a donné une liste qui comprend Sioux Falls, Colorado Springs, Madison, Nashville, Jackson, Tucson, Boise, Idaho, Omaha, Albuquerque, Wichita et Tulsa. Comment a-t-on accès à du capital de risque dans ces endroits? J'essaie de le découvrir et lorsque je le saurai, je vous le dirai.

Je peux vous assurer que le capital de risque ne se trouve pas partout. C'est en fait très difficile à trouver. Je partage tout à fait l'avis du sénateur Kelleher. L'argent est là, mais mal réparti. Je ne contredis pas du tout ce qui a été dit ici plus tôt aujourd'hui.

Quelqu'un a déclaré que tout bon entrepreneur trouvera une bonne façon. C'est difficile si vous êtes à North Bay ou à Sudbury d'avoir accès au capital de risque qui se trouve à Toronto, surtout quand on songe qu'il y a environ 140 fonds établis à Toronto qui s'intéressent tous évidemment à conclure des transactions dans la région de Toronto.

J'ai mis au point quelque chose que j'appelle «une trousse de recherche d'investisseurs providentiels» que nous enregistrons actuellement sur un CD-ROM de façon à rendre la trousse interactive. Tout comme l'ont dit mon bon ami Denzil Doyle et d'autres, même ce matin, il y aurait certainement lieu de mettre en place un incitatif fiscal.

Je regrette que M. Geller ne soit pas ici, parce que j'aimerais bien m'en prendre à lui parce que comme l'a dit Jeff MacIntosh, mais pas avec autant de force que moi, la règle des 150 000 $ est stupide et est une infraction au Règlement.

Songez aux changements que connaît l'industrie. C'est une chose que de lancer une scierie où il vous faut 150 000, 200 000 ou 300 000 $ comme mise de fonds. Les entreprises de technologie de l'information ont besoin de 25 000 à 30 000 $. C'est illégal aux termes de la réglementation de la CVMO. Vous pouvez vous prévaloir de la déduction pour capital de démarrage. Il y a de nombreuses restrictions comme l'a dit Jeff, s'il s'agit d'investisseurs affectifs. C'est parfaitement ridicule, car j'étais derrière les recommandations du Groupe de travail sur la petite entreprise, selon qui il fallait adopter la même règle qu'aux États-Unis sur l'investisseur sophistiqué, c'est-à-dire que toute personne qui a une valeur nette de plus de 1 million de dollars et un revenu net de plus de 200 000 $ se qualifie comme investisseur sophistiqué et peut investir 15 000 $ dans un jeune qui a une idée formidable. Votre comité pourrait certainement exhorter la CVMO de changer cette règle. Je pense que c'est tout à fait ridicule. Le rapport a moisi sur la tablette deux ans et demi pendant qu'on se préoccupait de façon excessive des vendeurs de fonds mutuels et de leurs inconduites. Entre-temps, il se passe toutes sortes d'irrégularités dans le marché du capital de risque, le marché des investisseurs providentiels, mais ils ne semblent pas s'en préoccuper.

Un des problèmes quand on contourne les règles, c'est que si ça tourne mal, si vous investissez 50 000 $ dans une entreprise illégale, que vous y attirez des amis, et que ça foire, vos amis peuvent vous actionner parce que vous avez enfreint la réglementation de la Commission des valeurs mobilières. N'est-ce pas? Ce n'est pas une bonne chose.

Comme le savent les membres du comité, une des choses que nous voyons dans notre travail, c'est ce que j'appelle la perte de compétences des banques dans le marché de la moyenne entreprise. C'est très difficile. Nous traitons beaucoup avec ABN Amro, Congress Finance, GE Capital, Reservoir Capital et d'autres qui accordent 90 p. 100 des comptes-clients gouvernementaux sans tenir compte des ratios d'endettement alors que les banques sont toujours obsédées par ces ratios.

Je trouve que c'est très intéressant: je parle dans mon rapport de la nature «fongible». Quelqu'un m'a demandé ce que cela voulait dire. J'entends par là que l'endettement et les capitaux propres sont interchangeables. Je vais vous donner un exemple.

Disons qu'un client reçoit une offre d'une banque pour 75 p. 100 de comptes-clients et 40 p. 100 d'inventaire, ce dernier étant sans doute plafonné par le ratio d'endettement. Le client a également reçu une offre de Congress. Ils lui donneront 85 p. 100 de comptes-clients et 65 p. 100 d'inventaire, sans tenir compte du ratio.

Supposons que ce soit fondé sur 10 p. 100 de vos comptes-clients et 25 p. 100 de votre inventaire et supposons qu'il vous faille trouver 40 p. 100 de capitaux propres. Et disons aussi que la banque offre un taux de 1 p. 100 au-dessus du taux préférentiel. Congress offre 4 p. 100 au-dessus du taux préférentiel. C'est encore donné.

Beaucoup de gens demandent un financement par actions, mais lorsqu'on examine leur situation, on constate que ce n'est pas le cas. Nous pouvons régler leur problème grâce à l'une des quasi-banques, la nouvelle Finova, Congress ou ABN Amro.

Il est intéressant de noter la technologie qu'utilisent les quasi-banques. Lorsque vous traitez avec Congress, vous recevez une disquette qui s'installe dans votre grand livre et qui est reliée à l'agent de prêts de la banque au centre-ville de Toronto. Vous pourriez être à Winnipeg. Tous les jours, l'agent de prêts peut regarder ce qui a été déposé, versé, reçu et expédié.

Les banques canadiennes ont consacré des milliards de dollars à tenter de nous convaincre de faire nos affaires bancaires à domicile, mais lorsque vous recevez une lettre d'une banque canadienne aujourd'hui qui autorise une marge de crédit, on y dit: «Veuillez présenter un rapport avant la troisième semaine du mois après la fin du mois.» Les banques n'ont pas entendu parler de cette technologie. Cela coûte probablement 100 000 $ à préparer une disquette comme ça et le logiciel.

Le système bancaire canadien a une attitude un peu presbytérienne: tout ce qui dépasse le taux préférentiel plus deux est trop risqué et on refuse de consentir le prêt. C'est un gros problème et c'est une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas conclu beaucoup de marchés dernièrement avec les banques canadiennes.

Le président: Je peux vous poser une question? Pourquoi les banques refusent-elles, d'après vous? Parce que c'est trop risqué ou parce que si elles fixaient le taux en fonction du risque, ce serait trop gênant politiquement?

Le sénateur Angus: Vous avez été à la banque longtemps; vous le savez sûrement.

Le président: C'est pourquoi j'ai voulu poser la question.

M. Sharwood: Quand j'ai commencé à la banque, nos prêts étaient à 4 ou 5 p. 100 au-dessus du taux préférentiel. C'était en partie à cause de la Loi sur les banques de 1967; les taux d'intérêt montaient et les banques n'avaient pas le droit de demander plus de 6 p. 100. Cela remonte à cette époque.

Le sénateur Angus: Cela remonte au prêt usuraire.

M. Sharwood: Oui, les règles contre l'usure. Je ne sais pas. Quelqu'un dont je tairai le nom m'a demandé de faire une petite analyse de l'actif des quatre banques qui voulaient fusionner: 55 p. 100 de leurs dépôts en dollars canadiens étaient des prêts hypothécaires à l'habitation; 25 p. 100 de leurs dépôts étaient en cartes de crédit et en prêts personnels à 12 p. 100, comme les prêts-auto. Cela fait 80 p. 100.

Si vous examinez la composition des conseils d'administration des quatre banques et faites une estimation des besoins en crédit de ces grandes sociétés et des membres du conseil, vous n'aurez sans doute pas de mal à arriver à 10 p. 100 de leurs dépôts en dollars canadiens. Ils doivent mettre de l'argent dans ce que j'appelle le «marché Catherine Swift» ou le «marché Brien Gray» et un peu dans les PME pour les contenter, ce qui fait qu'ils n'ont plus d'argent pour les prêts du marché moyen.

Le sénateur Meighen: Nous avons déjà posé la question, et la majorité des gens nous ont dit qu'ils ne peuvent pas le faire parce que ce serait politiquement gênant lorsqu'ils se font rembourser. On dénoncerait les banques comme des ogres usuriers.

Est-ce que c'est le cas? Qu'en pensez-vous? Je me demande si Wells Fargo ne va pas changer un peu cela. Cela n'a pas l'air de la déranger de demander le taux préférentiel plus 4, 5 ou 6.

Le sénateur Kelleher: Ni la Banque fédérale de développement non plus. Elle demande le taux préférentiel plus 8.

Le sénateur Meighen: Bon argument.

M. Sharwood: Oui, en faisant de la mise en marché.

Le sénateur Angus: Pensez à ce que les banques prennent sur les cartes de crédit.

M. Sharwood: Oui, il est très difficile de s'en prendre aux bénéfices. Il a beaucoup été question ce matin de diligence raisonnable de la part de l'investisseur en capital-risque, et beaucoup de coûts de ce genre sont associés aux prêts du marché moyen. La plupart d'entre elles ne sont pas des entreprises mûres. Elles grandissent rapidement, comme ça été le cas de White Rose.

Le sénateur Kelleher: Parfois, elles ne grandissent pas si rapidement que cela.

Le sénateur Kroft: J'aurais besoin d'une définition. Pour vous, qu'est-ce que cela signifie le marché moyen? Pourriez-vous nous situer?

M. Sharwood: Oui. Pour moi, le marché moyen se situe entre 5 et 100 millions de dollars.

Le sénateur Angus: Une toute petite fourchette!

Le sénateur Meighen: Qu'est-ce qui reste?

M. Sharwood: Il faut que vous reconnaissiez tous que l'une des grandes différences entre nous et les États-Unis, c'est qu'il faut trouver le moyen d'amener ces entreprises à cette taille moyenne.

Il n'y a pas beaucoup de banques actuellement qui s'y emploient, à l'exception de la Banque Nationale, de la Banque Hongkong et de la Banque Laurentienne. Il est vrai que Tony Comper a parlé de créer une banque, mais il faut avoir les compétences nécessaires pour le faire de façon rentable et, de toute façon, vous connaissez la difficulté.

Dans les villes américaines que j'ai énumérées, il y a normalement une banque locale qui finance le créateur de l'entreprise et dont le conseil d'administration est composé d'hommes d'affaires en vue de l'endroit. Si le président de la banque estime qu'une affaire est trop grosse pour lui, il en parlera aux membres du conseil, qui ont quantité de relations.

Il se peut que quelqu'un de la First National Bank de Rochester, par exemple, connaisse quelqu'un à Boston qui puisse s'en charger. Ce n'est pas le cas de la Banque Royale de Guelph, d'abord parce que le directeur de la succursale change tous les deux ans et qu'il ne connaît personne à qui s'adresser. J'appuie à 100 p. 100 la recommandation du Groupe de travail Mackay en faveur de la création de nouvelles banques parce qu'elles vont demander des taux de ce genre et n'hésiteront pas à se doter des compétences nécessaires pour conquérir ce marché qui, à certains égards, s'apparente au marché du capital-risque.

Je n'ai pas réussi à trouver combien les 18 divisions de GE Capital prêtent au Canada. Il n'y a pas de chiffres. Je ne sais pas combien ABN Amro prête non plus. Il n'y a aucun chiffre là-dessus. Pourtant, il faudrait le savoir, c'est important.

Je regarde le Plan d'investissement communautaire du Canada et les rapports que nous avons avec des villes comme Sarnia, North Bay et Sault Ste. Marie et je constate que la solidarité est plus grande aux États-Unis qu'au Canada. On trouve ce sens communautaire qui favorise la croissance de la localité à partir de la base. Vous connaissez sans doute la théorie des grappes de Michael Porter; ces grappes existent. Une des personnes qui étaient à la réunion du comité et avec qui j'ai déjeuné revenait tout juste de Wichita et elle m'a dit que tout le monde peut décrocher un emploi là-bas parce que la ville est en plein essor et qu'il n'y a presque pas de chômage. C'est une des raisons pour lesquelles le taux de chômage est beaucoup plus bas qu'ici.

Quelqu'un a dit ce matin que l'on se tourne constamment et sans hésitation vers le marché américain du capital-risque. Je m'inscris en faux contre cette affirmation. Nous sommes en rapport étroit avec quantité de fonds américains de capital-risque, qui investissent volontiers ici. Ils en sont ravis. Ils ont fait une bonne affaire. Ils font partie de notre communauté. Ils viennent de Boston ou de New York. Il est assez difficile de les faire venir de Californie.

Le sénateur Meighen: Ils vont s'associer à vous, n'est-ce pas? Normalement, ils ne viennent pas seuls, n'est-ce pas?

M. Sharwood: Nous sommes un intermédiaire. Nous ne sommes pas un investisseur. Ils viendront volontiers tout seuls. Ils créeront leur propre syndicat d'investissement aux États-Unis.

Je suis tout à fait d'accord pour que l'on change cette règle ridicule sur le blocage des titres, comme le propose la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. À l'heure actuelle, nous -- ou plutôt deux de nos clients -- sommes en train de nous retirer de deux coquilles NASDAQ; NASDAQ n'a pas cette règle. C'est une bonne façon de sortir et, évidemment, les liquidités dans NASDAQ sont bien plus grandes que celles du marché canadien. S'il a le choix, le créateur d'entreprises canadien préférera de loin s'inscrire au NASDAQ qu'au TSE.

Le président: Qu'est-ce que vous voulez dire par coquille NASDAQ?

M. Sharwood: C'est une coquille vide, une société fictive, inscrite au NASDAQ.

Je pense que nous avons un problème. J'ai suivi avec intérêt l'échange qui a eu lieu sur les liquidités, parce que je pense que nous sommes en période de transition intéressante sur la question de savoir quel volume de transactions se fera sur Internet et s'il y a encore toujours lieu d'avoir une bourse des valeurs.

Il est incontestable que le volume de transactions sur Internet aujourd'hui au moyen du service d'investissement Ligne verte, par exemple, est énorme et menaçant. Il est excellent qu'un particulier fortuné puisse le faire, mais qu'en est-il de l'investisseur institutionnel? S'il peut faire ces opérations sur Internet, il le fera.

Les courtiers et les gros agents de change prétendent qu'on aura toujours besoin de leurs services pour déterminer si IBM ou CIBC sont de bons investissements. Peut-être ont-ils raison, mais les gros investisseurs pourraient acquérir eux-mêmes de l'expertise et envoyer au diable les rapports des maisons de courtage. Il faut se demander comment les choses peuvent évoluer à l'avenir.

J'aimerais signaler également un problème en ce qui concerne les fonds d'investissement des travailleurs. Il y a une règle selon laquelle ils ne peuvent pas investir dans des compagnies qui ont plus d'employés à l'extérieur de l'Ontario qu'à l'intérieur.

J'ai proposé une excellente affaire à Earl Storrie qui administre le meilleur fonds d'investissement des travailleurs. Il n'a pas pu investir parce que la compagnie avait plus d'employés à l'extérieur du Canada qu'à l'intérieur. Est-ce que nous voulons être une économie internationale ou pas? Cette règle est ridicule, mais c'est la règle.

Le sénateur Kroft: Est-ce que c'est une règle canadienne?

M. Sharwood: Non, c'est une règle ontarienne. Lorsqu'il s'agit d'un fonds d'investissement ontarien, il faut qu'il y ait plus d'employés en Ontario qu'à l'extérieur. Si j'ai mentionné le Canada, c'est parce qu'une compagnie qui est autorisée à fonctionner, à vendre, cela dépend de l'endroit où se trouvent ses clients, et par conséquent cela s'applique au Canada.

Le sénateur Kroft: Au Manitoba, nous savons que l'Ontario a parfois tendance à se prendre pour le Canada.

M. Sharwood: J'accepte cette critique.

Le sénateur Hervieux-Payette: La même règle existe au Québec. Si une usine marche bien au Québec, si elle veut prendre de l'expansion vers les États-Unis, elle n'a pas la possibilité d'investir là-bas.

M. Sharwood: Je terminerai par une observation qui me tient à coeur. Sénateur Kirby, la responsabilité des directeurs et des dirigeants nous pose un véritable problème à cause de la situation actuelle dans le secteur de l'entreprise. Vous en avez entendu la confirmation lors de discussions que vous avez eues avec certains entrepreneurs. La façon dont ils ont démarré leurs entreprises, alors qu'ils étaient encore étudiants, est très intéressante.

L'Association collégiale de l'entrepreneurship regroupe des membres qui démarrent une entreprise alors qu'ils sont encore au collège. Ils ont besoin de mentors. On me demande sans cesse de siéger aux conseils d'administration de compagnies juniors, mais je m'en garde bien à cause de la diligence raisonnable et de la jurisprudence. Quelqu'un m'a dit que la seule façon de se protéger est d'avoir un ordinateur sur la table du conseil, un ordinateur relié directement à Revenu Canada pour déterminer si ce qui était dû a bien été payé. Autrement, même si le vice-président aux finances vous montre des chèques, vous ne savez pas si c'est bien la somme due. Vous ne pouvez pas savoir si le chef des opérations financières vous a menti.

Le sénateur Angus: Vous êtes censé embaucher un chef des opérations financières, et non pas un avocat, pour que la diligence raisonnable s'applique.

M. Sharwood: En tout cas, c'est déjà un début.

Le sénateur Angus: Monsieur Sharwood, vos anciens camarades de Montréal me demandent de vous saluer. Ils se tournent avec envie vers cette terre du lotus qu'est l'Ontario et ils envient également vos triomphes.

C'est avec plaisir que j'ai reçu votre mémoire il y a au moins deux semaines. Lorsque nous recevons les exposés longtemps d'avance, c'est particulièrement utile, et j'ai trouvé votre mémoire excellent. Toutefois, vous ne vous y êtes pas beaucoup référé dans vos observations aujourd'hui.

M. Sharwood: Je savais que vous aviez eu le temps de le lire.

Le sénateur Angus: C'est parfait, car l'important c'est d'avoir une bonne discussion.

Vous avez dit: «J'ai décelé une certaine note d'autosatisfaction parmi ces messieurs ce matin». Est-ce que vous considérez cela comme un problème?

Il me semble que la structure fiscale du Canada pose un énorme problème de même que la responsabilité des directeurs. Ce sont les éléments les plus importants. Qu'il y ait de l'argent disponible à Toronto, Montréal ou Vancouver, la situation reste particulièrement mauvaise au Canada. Ces gens-là sont l'exception. Ne pensez-vous pas qu'ils réalisent des choses étonnantes et qu'ils pourraient peut-être nous aider à résoudre le problème?

M. Sharwood: Oui, cela m'a semblé encourageant. Tout comme Mary, je dirais qu'il y a eu un changement majeur, mais M. Lobo a vraiment mis le doigt sur le problème: la moitié du financement vient de fonds d'investissement des travailleurs et, bien sûr, une grande proportion de ces fonds vient du Québec où les travailleurs sont terriblement bien organisés, où il y a des structures par région et par industrie.

Le sénateur Angus: Vous voulez nous montrer quelque chose?

M. Sharwood: C'est un groupe d'experts américains rassemblé par Michael Porter. Ils sont experts dans différents domaines d'investissement au Québec, et le rapport annuel de la Caisse de dépôt qui vient d'être publié est particulièrement intéressant, car il montre à quel point on se spécialise au Québec.

Le sénateur Angus: Est-ce que vous parlez des experts d'une part et de l'immobilier d'autre part?

M. Sharwood: Non, je parle de différents secteurs, biomédical, technologie de l'information, télécommunications, et cetera Ils font des investissements très intéressants dans la technologie de l'information, des appareils biomédicaux et médicaux, et ils le font d'une façon beaucoup plus organisée car, comme vous avez pu le constater ce matin, nous sommes dans une période de transition, les fonds qui étaient jadis administrés par des banquiers sont de plus en plus administrés par des gens qui sont des spécialistes en la matière. À mon avis, c'est une tendance très positive.

Mary a insisté, et j'insiste moi aussi, sur le fait que Solidarité et la Caisse existent depuis tellement longtemps qu'ils ont eu le temps de former tous ces spécialistes, et d'autre part, l'infrastructure existe et les fonds régionaux sont véritablement régionaux.

Il ne faut pas nous leurrer; Don Allen avait fait une étude il y a environ quatre ans pour le compte du Fonds de solidarité. Il avait étudié la rentabilité comparative et le financement du secteur des machines-outils au Québec et en Ontario, et il s'était également intéressé au secteur de l'électronique. Les choses vont mieux au Québec car on trouve plus de capital-risque.

Le sénateur Angus: Par exemple, si j'ai bien compris, la Caisse n'investit pas seulement au Québec.

M. Sharwood: C'est exact.

Le sénateur Angus: Elle investit également aux États-Unis, en Extrême-Orient et ailleurs dans le monde, et également dans le reste du Canada, n'est-ce pas?

M. Sharwood: Absolument, oui.

Le sénateur Angus: Pourquoi la Caisse est-elle si énorme? Qu'y a-t-il d'équivalent en Ontario? Y a-t-il quelque chose? OMERS?

M. Sharwood: Que je sache, la principale source de fonds de la Caisse c'est le Régime des rentes du gouvernement du Québec.

Le sénateur Angus: Oui, alors qu'en Ontario le régime de pensions est divisé.

Le président: Le fonds de pension des enseignants?

Le sénateur Angus: Oui, il y a plusieurs fonds différents.

Ce que vous nous avez dit cet après-midi nous aurait intéressés lorsque nous étudiions le rapport Mackay. Cela nous aurait intéressés également dans le cadre de notre discussion l'autre jour sur une union monétaire possible en Amérique du Nord. Cela aurait été intéressant lorsque le gouverneur de la Banque du Canada est venu nous parler.

Vous avez mis en relief les maux et les malaises qui existent. Nous sommes au Canada, on dit que c'est la terre de l'abondance, et pourtant, notre niveau de vie, d'après l'OCDE, est passé de la troisième à la neuvième place. À mon avis, le problème réside dans la productivité des industries qui sont au sein de la nouvelle économie, et également dans la disponibilité des fonds. Êtes-vous d'accord? Pourquoi avons-nous reculé à ce point?

M. Sharwood: C'est une excellente question. Demain, je dois passer la journée entière à l'Institut C.D. Howe pour discuter de productivité. J'ai travaillé avec le professeur Don Daly qui a fait tout le travail préparatoire pour l'Accord de libre-échange. Il est parvenu à une conclusion incroyable, et on voit que depuis l'ALE, nos grosses compagnies -- les Alcan, si vous voulez -- ont plus amélioré leur productivité que General Motors, par exemple. Les compagnies américaines de moindre importance, celles qui ont moins de 50 employés, n'ont pas changé ou ont perdu un peu de terrain. Pendant ce temps, les fabricants canadiens qui ont moins de 50 employés ont connu un net recul.

Le sénateur Angus: Il y a eu un net recul. Est-ce dû à l'obsolescence?

M. Sharwood: Nous ne le savons pas et c'est pourquoi Industrie Canada a versé 100 000 $ au professeur Daly pour qu'il distribue un questionnaire type dans certaines villes ontariennes dont London, Kitchener, Windsor et St. Catharines. Nous allons poser ces questions aux gens qui ne travaillent pas dans le secteur de l'automobile afin de découvrir pourquoi leur bilan est si mauvais. Nous avions l'impression que les entreprises du secteur de l'automobile étaient trop liées à leur société mère américaine.

Le sénateur Kelleher: Dans la même veine, la faiblesse de notre dollar protège-t-elle des entreprises qui ne sont pas efficientes? Je ne sais pas comment formuler ma question, mais il me semble que nous sommes témoins d'un libre-échange inversé. La faiblesse de notre dollar fait augmenter nos exportations vers les États-Unis et nous n'importons pas autant. Je ne sais pas si j'ai raison ou si mes conclusions sont erronées.

M. Sharwood: Vous avez mis le doigt dans le mille. Il y a trois semaines, j'ai assisté à la Hamson Memorial Lecture avec Gorden Thiessen et il en a eu plein les oreilles des effets sur la productivité. Je me rappelle l'époque où le Japon allait asseoir sa domination mondiale et où le dollar américain était sous-évalué par rapport au yen. Jack Welsh, l'un des meilleurs gestionnaires qu'ait jamais eus l'Amérique du Nord, a menacé de convertir toute la comptabilité de la General Electric en yen pour qu'ils puissent rester compétitifs avec les Japonais.

Si l'on prend la situation actuelle, il ne fait aucun doute que la protection qu'apporte un dollar sous-évalué permet aux gens de s'enrichir et d'être heureux dans les limites de leur trécarré. C'est un élément qui entre en ligne de compte.

Je parle d'entreprises liées au style de vie, et l'on retrouve un peu cet élément-là. Une fois atteint les 10 millions de dollars de chiffre de ventes, quand on a acheté son chalet à Muskoka, son bateau, ses chevaux de course et sa résidence secondaire en Floride...

Le sénateur Kolber: Tout pour 10 millions de dollars?

Le sénateur Hervieux-Payette: Puis-je ajouter quelque chose à cela? Avez-vous l'impression que la fiscalité est un facteur important? Qu'en est-il des règles étranges d'amortissement qui ont encouragé les gens à garder leur vieil équipement? Si la technologie se renouvelle tous les deux ans et que l'amortissement se fait sur quatre ou cinq ans, comment renouveler l'équipement et devenir plus compétitif? Nous devons tenter de convaincre les gens aux finances de modifier les règles d'amortissement en fonction du cycle de vie de l'équipement.

D'autres entreprises, y compris des entreprises classiques, ont le même problème. Cela ne favorise pas la création d'emplois ou l'investissement. Quand les périodes d'amortissement ne sont pas bien réglées, cela réduit l'investissement et la productivité. Avez-vous constaté cela?

M. Sharwood: Cela n'empêche pas la technologie d'évoluer. Au Québec, vous avez l'un des entrepreneurs les plus novateurs au Canada, à savoir Charlie Sirois. Je ne sais pas si les règles d'amortissement l'auraient ralenti ou pas. Je ne le crois pas.

Le sénateur Kroft: Je m'intéresse à ce phénomène québécois dont vous avez parlé et au dynamisme du secteur du capital de risque. Nous nous souvenons tous deux de l'époque où la Banque fédérale de développement avait un carnet de commandes qui était le reflet de la région la plus entreprenante, la plus dynamique du pays, c'est-à-dire le Québec. C'est un phénomène fascinant. Il refait surface dans de nombreux dossiers que nous examinons. Quelles en sont les implications sur les grandes questions? Quand nous parlons de la Caisse par opposition aux autres fonds de pension, il est bien clair que vous avez un organisme plus centralisé qui est un instrument de politique publique dont les priorités sont bien établies. Le comité est de plus en plus fasciné de voir à quel point cette province sait mettre à profit l'esprit d'entreprise. C'est une constatation qui revient sans cesse. Je pense qu'il serait intéressant d'essayer de savoir pourquoi et quelles sont les implications de ce phénomène.

L'un des témoins que nous avons entendus ce matin soutenait fermement que la Banque de développement du Canada en tant qu'entité gouvernementale, était une ingérence du gouvernement sur le marché.

M. Sharwood: L'auteur de la critique n'a pas de succursale à Sudbury alors que la BDC en a une. Je pense qu'il est le Torontois typique dans sa vision du développement communautaire avec laquelle je ne suis pas d'accord.

La Colombie-Britannique a un bilan de réalisation très reluisant et a l'un des meilleurs fonds de capital de risque de travailleurs au Canada. Le gouvernement fait tout ce qu'il peut pour détruire l'économie et malgré cela, la culture entrepreneuriale est florissante. Aucun de nous ne comprend réellement pourquoi.

Hier, Don Daly et moi-même cherchions à savoir pourquoi Saskatoon connaît une telle activité. Il revient tout juste d'Irlande où l'économie tourne aussi à plein régime. Je ne suis pas convaincu que c'est exclusivement une question de fiscalité. Je partage l'avis de M. Martin là-dessus. Ce n'est pas l'explication facile à nos problèmes de productivité.

Le sénateur Kroft: J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée que la productivité est très faible dans les sociétés de taille moyenne et plus encore dans les petites entreprises.

M. Sharwood: Comme je l'ai dit plus tôt, nous serons mieux en mesure de le dire quand nous aurons terminé l'étude. Je participerai demain à une réunion sur cette question. Il ne fait aucun doute que notre niveau de vie, peu importe la façon dont nous le mesurons, s'est détérioré de façon constante ces 10 dernières années par rapport aux États-Unis. C'est un fait et même si les données de Statistique Canada ne correspondent pas à celles de John Manley ou de Paul Martin, cela n'y change rien.

M. Daly a fait une analyse de la productivité selon qu'il s'agit de grandes ou de petites entreprises et selon la propriété. Je pense que c'est plus intéressant et plus utile que des généralités au sujet de la productivité. Nous ne savons pas ce que nous allons découvrir. Les petits fabricants canadiens adoptent-ils les meilleures pratiques de fabrication? Sont-ils en mesure de financer leurs machines assistées par ordinateur? Nous ne le savons pas, mais nous aurons trouvé la réponse d'ici le mois de septembre si nous réalisons cette enquête.

Le sénateur Kelleher: Me permettez-vous de citer un commentaire très juste que vous avez fait dans votre exposé: «Ainsi, le sénateur Kelleher a absolument raison». Je vais apporter ce texte à la maison pour le montrer à mon épouse. Elle ne l'a jamais su.

Le problème ne tient pas tellement à l'offre de capitaux mais à l'accès aux capitaux et je crois que vous étiez là ce matin quand j'ai abordé cette question avec les trois premiers témoins.

Avez-vous des suggestions concrètes à nous faire afin d'améliorer l'accès aux capitaux aux entrepreneurs qui se trouvent ailleurs qu'à Montréal, Toronto et Vancouver? Que pouvons-nous faire pour améliorer l'accès?

M. Sharwood: Si vous lisez le texte de l'allocution que j'ai prononcée devant la Chambre de commerce de l'Ontario, que vous trouverez en annexe à mon mémoire, vous y verrez un court historique du Plan d'investissement communautaire du Canada. Je dois dire qu'à l'époque où je tentais de lancer ce programme, Industrie Canada n'a cessé de me mettre des bâtons dans les roues. J'ai reçu un excellent appui du président de la Chambre de commerce du Canada et il m'a aidé à le lancer. Il m'a demandé de faire un exposé sur le Plan d'investissement communautaire du Canada à la réunion annuelle de la Chambre de commerce à Québec. On m'a demandé ce que serait un bureau idéal dans le cadre du PICC. Je ne sais pas comment fonctionne celui à Sault Ste. Marie, mais le bureau idéal du PICC obtient 124 000 $ par année d'Industrie Canada et doit aller chercher les fonds de contrepartie au niveau local. Ce bureau a aussi un conseil d'administration local qui se compose de deux avocats très réputés, deux comptables très réputés et deux hommes d'affaires. Même à London, en Ontario et à Windsor, il est possible de trouver des sources des investisseurs providentiels.

Si un jeune entre dans un bureau du PICC, décrit son projet et dit qu'il lui faut 50 000 $, les membres du conseil d'administration évalueront la proposition. Ils l'aideront à rédiger un plan d'affaires. Ils trouveront un investisseur providentiel pour le lancement de l'entreprise; voilà pourquoi ils veulent la trousse de recherche d'investisseurs providentiels que nous sommes à peaufiner pour eux.

Je crois que nous devons intensifier nos efforts dans tout le Canada. Même à Toronto, ce n'est pas facile. Je travaille avec un groupe qui s'appelle Toronto Access to Capital Committee et nous sommes à créer un site Web. Nous avions déjà lancé une telle initiative, étrangement à l'instigation de John Godfrey, député de York-Est, dans le nouveau village des médias. Ce site Web vaut vraiment la peine d'être consulté car on y trouve un questionnaire qui demande ce que sont vos ambitions quand vous visitez le site Web et ce site renferme aussi la trousse de recherche d'investisseurs providentiels qui peut être commandée et que j'ai créée.

Le problème qu'il y a à trouver des investisseurs en capital-risque à Toronto, et sans doute dans toutes les grandes villes, c'est que tout se passe aux deux extrémités de la rue Queen. Les investisseurs en capital-risque ou investisseurs potentiels sont tous dans Forest Hill, Rosedale et Bridle Path. Comment faire pour les réunir? Chose étrange, c'est un problème bien plus difficile à résoudre que dans les collectivités où il y a un bureau du PICC.

Je dis cela sans partisanerie aucune bien que la plupart d'entre vous connaissent mes antécédents politiques. Quand j'ai créé ce programme, ce devait être une expérience. Le fonctionnaire d'Industrie Canada voulait ouvrir dix bureaux et nous en proposions 20. Je ne voulais pas participer au choix des emplacements.

Il importe de signaler que sept des vingt sites choisis se trouvaient en Ontario. Il y a un bureau du PICC à Canmore en Alberta. Celui de Terre-Neuve se trouve à Mount Pearl. Que puis-je dire de plus? Je crois que le problème était très réel.

J'ai rédigé un article intitulé «Will the Bank of America open a branch in Lethbridge (La Bank of America va-t-elle ouvrir une succursale à Lethbridge)?» C'est une bonne question. Nous n'avons pas décentralisé l'accès au capital et je crois que le PICC doit être élargi.

Le sénateur Meighen: Cela se rattache peut-être à ce que je souhaitais entendre. Vous dites que la BDC s'acquitte maintenant du mandat que vous souhaitiez pour elle quand vous étiez membre du conseil d'administration. Vous étiez ici quand M. Ashley nous a dit ce matin qu'à son avis la BDC déborde le cadre de son mandat et évince le secteur privé. Que répondez-vous à cela?

M. Sharwood: Ma réponse c'est que M. Ashley n'a pas de succursale à Sudbury. Voilà la réponse. Il est ici à Toronto et il n'investit qu'à Toronto. Il trouve peut-être le marché compétitif à Toronto, mais il n'est pas présent à Sudbury.

Le sénateur Angus: Ce n'est pas une critique. Ce n'est qu'une observation, n'est-ce pas? Après tout, son but c'est de faire de l'argent.

Le sénateur Meighen: Nous dites-vous que la BDC doit avoir une antenne à Sudbury?

M. Sharwood: Oui, absolument. Son commentaire n'a pas de sens s'il est pris hors contexte. Il a une vision des choses typique des gens de Toronto.

Le sénateur Meighen: Voilà la question. La BDC doit-elle être à Toronto ou doit-elle s'implanter dans les régions où il y a peu de concurrence, où ses services sont encore plus nécessaires et où elle aurait pour mandat de faire ses frais, voire de travailler à perte? C'était censé être son mandat au départ.

M. Sharwood: Repartons de la case départ. Quand le sénateur Kroft et moi-même siégions au conseil d'administration, la BDC accordait des prêts à des taux inférieurs aux taux du marché à des entreprises liées au style de vie, ce qu'elle ne fait certainement plus maintenant. Et elle dégage des bénéfices grâce aux étoiles montantes et aux futures gazelles. Voilà ce qu'elle cherche à faire. C'est la première fois que j'entends parler d'investissements à des taux substantiellement inférieurs aux taux du marché.

Le sénateur Meighen: C'est ce qu'a dit M. Ashley.

M. Sharwood: Ce n'est pas ce que j'ai constaté. C'est ce dont le sénateur Kroft et moi-même nous sommes plaints. La Banque fédérale de développement disait qu'elle prenait davantage de risques et qu'elle fixait des prix en deçà des taux du marché. Quand elle a enfin décidé de demander 18 p. 100 pour certains prêts intermédiaires, j'ai dit bravo. Elle accordait de telles avances quand les banques refusaient de le faire.

Le sénateur Meighen: Cela remonte à quelques années déjà. Quand vous étiez membre du conseil, vous connaissiez leurs pratiques en matière de prêts. Vous ai-je entendu reprocher aux banques de ne pas en faire plus dans ce domaine? Hier, M. Doyle nous a dit que les gens qui reprochent aux banques de ne pas prêter davantage se trompent totalement. Ce n'est pas l'affaire des banques. Ce n'est pas leur rôle. Êtes-vous d'avis contraire?

M. Sharwood: S'il fallait choisir entre les prêts hypothécaires ou la gestion de patrimoine, que faisait la Banque Royale? Après que le projet de fusion eut tourné court, la première chose qu'elle a faite ça été d'acquérir Connor Clark. Cela donne une très bonne idée du secteur où elle pense faire de l'argent.

Il est difficile d'en faire avec le taux préférentiel plus deux dans le marché intermédiaire puisqu'il ne s'agit pas de l'Alcan. Il ne s'agit pas de prêts américains consortiaux avec Bankers Trust à New York, et cetera Il vous faut des gens d'expérience que vous devrez très bien rémunérer.

Il est très facile de critiquer les banques et ce n'est pas ce que je cherche à faire. Je dis tout simplement qu'elles prennent des décisions parfaitement rationnelles pour elles et qu'elles affectent leurs ressources aux secteurs d'activités les plus lucratifs. À l'heure actuelle, leurs taux ne sont pas en fonction du risque. Si elles veulent faire concurrence directement à Congress en offrant le taux préférentiel plus huit, alors tant mieux pour elles. Mais ce n'est pas le choix qu'elles ont fait.

Le sénateur Meighen: Ce matin, Mme Macdonald disait que les caisses de retraite ont cessé d'acheter des titres canadiens, comme d'ailleurs les fonds de pension américains. Les fonds de pension américains se sont remis à acheter nos titres mais les fonds de pension canadiens les boudent toujours. Avez-vous une suggestion à nous faire pour les encourager à revenir ou devons-nous laisser la nature suivre son cours?

M. Sharwood: Mary a omis d'expliquer ce qui a mené à cette décision. Le problème existe au Canada depuis très longtemps. Ben Webster est allé voir Michael Wilson quand il était ministre des Finances en 1986 et a proposé un arrangement en vertu duquel pour chaque dollar investi dans une entreprise ayant moins de 35 millions de dollars d'actif, elle pourrait investir 3 $ dans des actifs étrangers.

Ils ont tous trouvé que c'était une bonne idée. Il a fallu environ un an pour que la loi soit adoptée, ce qui nous a menés à la fin de 1987. Les caisses de retraite ont ensuite mis un an à s'organiser et à trouver des gestionnaires de fonds. Nous étions alors en 1988. Il a ensuite fallu environ un an pour placer les fonds, négocier des contrats, et puis la récession est arrivée. Ils ont tous dit: «Jamais plus».

À mon avis, c'est une question de timing et, d'ailleurs, Mary et moi-même défendons auprès des gestionnaires de caisses de retraite deux points de vue différents. Les caisses de retraite américaines ont été beaucoup plus stables et investissent de façon anticyclique en ce sens qu'elles se mettent à investir plutôt au début du cycle et ralentissent par la suite. L'effet d'entraînement m'inquiète à l'heure actuelle. Les gestionnaires de fonds de pension se mettent à faire pareil à la fin du cycle et ils seront échaudés. Je note que quelques fonds de retraite américains freinent le rythme de leurs investissements actuellement parce qu'ils s'inquiètent des affaires Ebay et Amazon.com.

Je viens de lancer une société cotée en Alberta et, sans chiffre d'affaires, elle a une capitalisation boursière de 30 millions de dollars. C'est ridicule. Nous n'arrivons pas à nous expliquer ce phénomène. On ne peut l'expliquer qu'en disant qu'il s'agit d'une valeur mobilière liée à l'Internet.

Le président: Monsieur Sharwood, merci d'être venu nous rencontrer. C'est toujours bon de vous voir. Sénateurs, nous avons pris un peu de retard mais M. Latner est arrivé depuis le début de la séance et il y a eu une certaine confusion quant à l'heure exacte à laquelle il devait comparaître. Je vais inviter M. Latner à prendre place à la table.

Il est vice-président et avocat-conseil d'une société qui s'appelle XDL Capital. Monsieur Latner, vous n'avez pas à nous lire votre exposé de trois ou quatre pages. Je me demande si vous pourriez nous en présenter les points saillants après quoi nous nous ferons un plaisir de vous poser des questions. Merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer.

M. David Latner, avocat-conseil, XDL Capital: Tout d'abord, il est très difficile de prendre la parole après Gordon Sharwood.

Mes antécédents sont tout à fait différents de ceux de la plupart des gens assis au tour de cette table et ils sont certainement très différents de ceux de M. Sharwood et de la plupart des autres intervenants que vous avez entendus.

XDL est une société qui s'intéresse surtout aux entreprises qui en sont aux toutes premières étapes de leur développement. Si une société n'a pas de plan d'affaires, mais a une idée formidable, ou qu'elle a un plan d'affaires mais aucun produit, ou qu'un produit arrive à la fin du cycle de développement mais n'a pas encore généré de recettes, voilà le genre de possibilité que nous cherchons à exploiter. Nous nous intéressons de très près à l'Internet et aux services via l'Internet et au secteur des logiciels.

Nous nous intéressons habituellement à des entreprises qui n'ont aucun produit, aucune recette, aucun profit, rien du tout et nous misons sur une idée.

Nos antécédents sont un peu différents de ceux de bien des gens ici autour de cette table et de bon nombre des personnes que vous avez entendues.

Nous avons tous travaillé dans des sociétés de services et de conseils en informatique. Des quatre associés dans l'entreprise, les trois principaux associés ont tous environ 10 ans d'expérience dans le domaine du logiciel. L'un d'entre eux était chef des opérations financières d'une société qui s'appelait Alias. Il s'est joint à cette société au moment où son chiffre d'affaires était d'environ 30 millions de dollars et en tant que chef des opérations financières il l'a aidée à se développer. Alias a finalement été vendue à une société américaine pour 640 millions de dollars et elle a créé des centaines d'emplois au cours du processus.

Dennis Bennie, le primus inter pares de XDL, a mis sur pied une société en 1979 qui fabriquait des haut-parleurs. Il a développé la société en Amérique du Nord et l'a vendue.

Il a ensuite fondé une société en 1982 qui s'appelait Aviva Software. Cette société s'occupait surtout de distribuer des logiciels à grand déploiement. Il a finalement vendu cette société à Ingram, qui est le plus grand distributeur de logiciels à grand déploiement au monde, et il a cofondé une société appelée Delrina.

Delrina est passée de trois employés en 1988 à 770 employés en 1996, lorsque la société a été vendue. Quand l'entreprise a démarré, j'étais un avocat dans un cabinet privé et je me rappelle avoir prêté le bureau au président. Nous l'avons monté nous-mêmes par l'escalier, car l'immeuble n'avait pas d'ascenseur. Nous n'avions pas les moyens de nous payer des bureaux spacieux dans un immeuble avec ascenseur. C'est un art que de développer une société comme celle-là. Son chiffre d'affaires est passé de 0 à 130 millions de dollars en six ou sept ans. La majeure partie des employés travaillaient au Canada. Sur les 770 employés, 600 travaillaient au Canada.

Les gens ici ont tendance à avoir des antécédents dans le domaine financier. Ce sont des spécialistes des services de banques d'affaires ou tout simplement des banquiers prêteurs qui se retrouvent dans le monde du capital de risque. Ce ne sont pas des gens qui ont mis sur pied des entreprises à partir de zéro. Lorsqu'ils prêtent de l'argent, même comme investisseurs en capital-risque -- et c'est le cas même de Vengrowth ou de Working Ventures -- les sociétés auxquelles ils songent à prêter de l'argent sont déjà beaucoup trop grosses pour que nous y investissions. Ce sont des sociétés qui ont déjà un produit et des recettes, et idéalement, des profits.

Nous nous intéressons à des sociétés qui ne présentent plus un risque sur le plan du développement, mais uniquement sur le plan du marché. Il s'agit de savoir si je peux faire en sorte qu'elles se développent plus rapidement que les sociétés concurrentes.

Il y a une grande différence entre le financement par des investisseurs providentiels, aussi appelés anges, et le financement par des investisseurs en capital-risque car à l'heure actuelle, le montant de capital qui est nécessaire aux États-Unis en moyenne pour financer une entreprise est d'environ 7 millions de dollars américains ou 10 millions de dollars canadiens.

Les sociétés de technologie en général, mais les sociétés Internet en particulier, n'obtiennent pas suffisamment d'argent à l'étape du financement par les anges pour produire des programmes perfectionnés, accélérer les ventes, la commercialisation, le développement et l'assurance de la qualité. Les anges ne leur fournissent plus le capital nécessaire pour les amener à cette étape où elles ont en fait un produit qu'elles peuvent vendre. Par conséquent, elles ont besoin de sociétés comme XDL ou de quelqu'un comme nos collègues. Nos concurrents à Toronto sont des gens comme Mosaic ou McLean Watson. Je sais que Vern Lobo était ici ce matin ou sera ici plus tard aujourd'hui. Nous pouvons fournir des gens qui s'intéressent à ce créneau et qui ont un capital provisoire de 1 à 4 millions de dollars canadiens. Ce qui est encore plus important, c'est que nous pouvons leur offrir une expérience pratique.

Nous, les associés de XDL, avons commis tellement d'erreurs chacun de notre côté lorsque nous avons mis sur pied nos propres sociétés que nous pouvons maintenant court-circuiter le processus pour elles. Elles peuvent passer du point A au point B en six mois plutôt que de prendre les dix-huit mois qu'il nous a fallu pour y arriver, et, nous espérons pouvoir les aider à éviter bon nombre de pièges dans lesquels nous sommes tombés.

Je ne lirai pas notre mémoire car vous l'avez entre les mains. En résumé, s'il y a une chose que je tiens à dire, c'est qu'à mon avis, on ne devrait pas mettre l'accent spécifiquement sur les impôts. Il y a longtemps, dans les années 60, avec la Commission Carter, on avait cette idée selon laquelle un dollar est toujours un dollar, qu'il ne devrait y avoir qu'un seul taux d'imposition relativement peu élevé. À l'époque, on était d'avis que le régime fiscal ne devrait pas être utilisé à des fins de politique sociale, qu'on devrait plutôt donner aux gens des incitatifs à offrir davantage de capitaux pour cette étape intérimaire, davantage de vrai capital-risque.

À mon avis, étant donné l'étape à laquelle se trouve Ventures West, ils ne sont plus intéressés au capital de risque mais plutôt à la création de capital humain.

On a parlé de toutes sortes de choses dans la presse. Pattison et Charles Sirois ont dit: «Pauvre de moi. Le Canada est tellement terrible. Les taux d'imposition sont si élevés que nous ne pouvons attirer ni garder de bonnes personnes ici. Tout le monde s'en va aux États-Unis.»

Cela n'a certainement pas été notre expérience. D'après notre expérience, le Canada a une abondance de gens dans le domaine de l'ingénierie et des sciences informatiques.

J'ai la chance d'enseigner à l'Université de Waterloo au Département des sciences informatiques. Les gens là-bas sont tout aussi intelligents que les gens de n'importe où ailleurs. Il nous manque des spécialistes des ventes et du marketing. Nous n'avons pas encore de possibilités ici. Nous n'avons pas suffisamment de sociétés pour créer nos propres possibilités. Nous devons créer un programme coopératif dans les ventes, le marketing et les opérations tout comme nous l'avons fait pour les étudiants en sciences informatiques de l'Université de Waterloo. C'est ainsi que nous ferons en sorte que les gens resteront ici.

Je n'ai jamais rencontré un entrepreneur qui dise: «J'ai une idée fantastique. Je vais quitter le Canada parce que le taux d'imposition est trop élevé si je réussis.»

Les lois fiscales comportent suffisamment de méthodes qui permettent à un entrepreneur de garder la plupart de ses profits tout en ayant l'avantage de vivre au Canada. Ce n'est pas le régime fiscal qu'il faut changer. Nous devons créer des possibilités d'emplois intéressantes et raisonnablement bien rémunérées au Canada.

Même si Gordon parlait de faire en sorte que l'on puisse investir davantage d'argent partout au Canada, je ne crois pas, en vérité, que cela risque de se produire dans le domaine étroit qui nous intéresse.

Nous cherchons à créer quelque chose qui ressemble beaucoup plus à Boston ou à la Silicon Valley ou à Seattle. Il doit y avoir un certain nombre de sociétés qui se développent et qui connaissent la prospérité, et il y aura ensuite de nombreuses retombées. C'est certainement ce qui s'est passé à Ottawa avec Newbridge et c'est certainement ce qui s'est passé avec Delrina.

Grâce aux retombées de Delrina, des gens qui étaient de parfaits inconnus sont tout à coup devenus célèbres. Quiconque était associé au succès de Delrina en retirait des avantages. Tout à coup, on était considéré comme quelqu'un d'intelligent en rétrospective non pas parce qu'on avait fait quelque chose de bien ou de mal, mais tout simplement parce qu'on avait connu cette croissance et que la société avait connu le succès. Il était alors possible d'obtenir un certain type de financement pour lancer sa propre entreprise. Je connais au moins cinq ou six sociétés dites spin-off qui ont été créées à la suite du succès de Delrina. Un grand nombre de sociétés ont été créées grâce à Newbridge.

Je chercherais surtout à trouver davantage d'argent pour du vrai capital de risque, créant ainsi un environnement dans lequel il y aurait toute une panoplie d'emplois, non seulement des emplois dans le domaine de l'ingénierie. Le Canada deviendrait alors non seulement un producteur de bon code, mais aussi un producteur de bons programmes de marketing et de ventes. C'est sur ce plan que nous avons des lacunes et c'est pourquoi nous sommes extrêmement désavantagés sur le plan concurrentiel. Nous avons d'excellents ingénieurs. Cependant, il est difficile de trouver des Canadiens qui ont une formation dans ces domaines et par conséquent, nous essayons d'aller en chercher aux États-Unis. C'est la seule situation où nous avons un désavantage fiscal. Ils disent qu'ils gagnent 200 000 dollars américains, de sorte qu'il nous faut les payer 300 000 dollars américains ou plus selon le cas pour compenser le taux d'imposition qui est plus élevé au Canada.

Le sénateur Angus: Bienvenue, monsieur Latner. C'est merveilleux que vous soyez ici et d'entendre un peu l'autre côté de la médaille. Il n'y a pas deux façons de s'y prendre, on nous parle constamment des règles du jeu qui ne sont pas équitables au pays et des nombreux problèmes que cela suscite. Comme je l'ai mentionné à M. Sharwood il y a quelques instants, notre niveau de vie est passé du troisième au neuvième rang parmi les pays de l'OCDE, et nous avons bien des problèmes.

J'aimerais vous poser quelques questions, car nous devons connaître les faits avant de faire des recommandations. Vous avez parlé de l'enseignement offert à tous ces Canadiens extraordinaires à l'Université de Waterloo qui, nous dit-on, est une excellente université qu'on appelle MIT North, et c'est merveilleux pour le Canada. On nous dit cependant que Microsoft recrute environ 30 p. 100 des diplômés et que lorsqu'ils atteindront l'âge de 30 ans, tous ces jeunes brillants Canadiens auront accumulé des avoirs d'une valeur nette de 26 millions de dollars américains. Qu'en pensez-vous? À mon avis, c'est un exode des cerveaux et cela fait partie du problème réel que nous connaissons ici.

M. Latner: Absolument. Permettez-moi de dire deux choses. Tout d'abord, l'une des sociétés dans laquelle nous avons investi a été mise sur pied par un Iranien qui a immigré au Canada lorsqu'il avait environ 20 ans. Il a aujourd'hui 36 ans. Au début, il a travaillé à Delrina où il a fait ses preuves. Parce qu'il avait de l'expérience chez Delrina, il a pu aller travailler à Netscape lorsque cette dernière en était à ses tout débuts d'entreprise.

Il s'est joint à cette société qui lui promettait des options sur les actions, mais ce qui est encore plus important, c'est qu'il s'est joint à cette société car elle lui donnait l'occasion de créer un produit qui a eu beaucoup de succès et qui s'appelle Netscape Net Centre.

Cependant, deux ou trois ans plus tard, il était devenu un simple pion dans une machine relativement grande. La plupart de ses options n'avaient pas donné de bons résultats et Netscape, même si elle se porte très bien depuis, connaissait un repli. Mais il avait une vision de quelque chose qu'il voulait créer et il ne pouvait trouver de financement facilement. Il était Iranien et il n'avait pas de réseau dans la Silicon Valley. Il est revenu ici et, avec le petit coussin qu'il avait amassé et le financement que nous lui avons fourni, il a pu créer quelque chose ici. Il est donc possible de renverser l'exode des cerveaux si on offre aux gens des possibilités, si on leur permet de créer quelque chose. Cela peut donc fonctionner dans les deux sens. Voilà pour la première chose que je voulais dire.

Deuxièmement, pour ce qui est d'aller chercher ces nouvelles recrues de Waterloo, vous avez raison, un pourcentage très élevé de ces recrues vont travailler chez Microsoft. Si vous avez 22 ans et que quelqu'un vous offre 60 000 $ pour travailler à Toronto, Waterloo ou Ottawa et que quelqu'un d'autre vous offre 65 000 $ américains, ce qui est l'équivalent de 100 000 $ canadiens, et que vous êtes célibataire, que vous n'avez pas de responsabilités et que vous avez la chance d'aller travailler chez Microsoft ou Netscape, alors vous serez certainement tenté de saisir l'occasion.

La plupart des gens ne le font pas. La plupart des gens ne partent pas. Ils restent et travaillent à Nortel ou ailleurs. Ensuite, après avoir acquis un peu d'expérience, bon nombre d'entre eux voudront faire quelque chose de leur propre initiative. Si vous leur donnez l'occasion de le faire ici, avec une combinaison de rémunération et de stimulation intellectuelle, ils resteront. Aucun d'entre eux ne m'a dit qu'étant donné que son salaire après impôt n'était pas assez élevé, il allait se joindre à Microsoft. Ils me disent qu'ils partent parce qu'ils ont l'occasion de travailler sur des projets «cool». Tout ce qui est cool a beaucoup d'importance lorsque l'on a 22 ans.

C'est la même chose si vous êtes un nouveau diplômé de la Wharton Business School. Vous devez décider si vous voulez travailler dans une usine de bois d'oeuvre ou de plastique ou si vous voulez travailler dans une entreprise «cool». Vous choisirez de travailler dans une entreprise qui est «cool».

Si nous pouvons créer cet environnement «cool», ce qui est aussi facile au Canada qu'aux États-Unis, nous attirerons plus de gens.

J'aimerais éviter une situation comme celle qui existe dans le secteur cinématographique, où le régime fiscal est biaisé en faveur d'une politique sociale ou d'un groupe en particulier, tel que les promoteurs, les courtiers, les avocats et les comptables. Cela n'a pas très bien marché. Si on peut créer ce capital humain sans biaiser le régime fiscal, ce serait préférable.

Le sénateur Angus: Je vous comprends; ce que vous dites est très sensé. Mais nous n'étudions pas le style de vie des jeunes et brillants diplômés canadiens, bien que nous ayons vu les retombées, mais plutôt pourquoi les investisseurs providentiels et ceux dont la valeur nette est élevée ne sont pas encouragés à investir et à fournir les fonds nécessaires pour créer ces possibilités. À cet égard, on nous dit que l'impôt sur les gains en capital ne réduit pas les possibilités et qu'une modification importante ne serait pas une panacée, bien qu'elle permettrait de réduire grandement le problème.

Ainsi, je pense aux dispositions de roulement qui existent aux États-Unis. Dans certains secteurs nouveaux, si l'entrepreneur ou l'investisseur investit son argent dans une entreprise qui s'en tire bien, il y a une plus-value latente qui peut être encaissée, à condition qu'on la réinvestisse dans une période donnée, 20 jours ou trois mois. N'est-ce pas une bonne mesure que vous préconiseriez?

M. Latner: Absolument. Si vous voulez modifier le régime fiscal pour faire ce genre de choses, tout le monde sera d'accord. Qui ne voudrait pas davantage de revenu après impôt? En revanche, je n'ai jamais entendu parler d'un entrepreneur voulant s'installer aux Bermudes parce que les impôts y sont moins élevés.

Une entreprise qui atteint une certaine taille et qui veut étendre ses opérations à l'Europe voudra peut-être s'installer en Irlande en partie en raison du régime fiscal qui y prévaut, mais aussi en partie parce que les Irlandais sont très motivés, très instruits et multilingues et peuvent donc assurer la mise en marché des produits dans toute l'Europe.

Le sénateur Angus: C'est fascinant. Vous nous présentez le point de vue d'un entrepreneur, alors que je m'intéresse plutôt au point de vue d'un investisseur. D'après les témoignages que nous avons entendus, il semble qu'il y a un problème surtout aux toutes premières étapes dans ces secteurs novateurs du savoir. Si vous ne me croyez pas, nous pouvons vous donner des millions d'exemples d'investisseurs prêts à investir à l'étranger s'ils peuvent y obtenir un meilleur rendement net.

M. Latner: Bien sûr. Toute chose étant par ailleurs égale, les gens préféreront investir là où le rendement après impôt sera le plus élevé.

Mais pour les régimes de pension, par exemple, les impôts importent peu. C'est l'aversion pour le risque qui compte et les Canadiens redoutent les risques généralement plus que les Américains. C'est là le principal problème pour la majorité des gens, et non pas le régime fiscal.

Lorsqu'on vous demande un allégement fiscal, en fait, on vous dit: «Supprimez le risque du capital-risque en m'accordant un allégement fiscal si important que je puisse m'en tirer à bon compte même si l'entreprise fait faillite.». C'est à l'avantage des fonds de capital-risque de travailleurs. Cela, ce n'est pas du capital-risque. Je vois mal pourquoi vous privilégieriez un groupe de contribuables au détriment d'un autre.

Le sénateur Angus: Dans les fonds d'investissement et les régimes de retraite, l'argent est géré pour d'autres; ce n'est pas comme l'argent d'un particulier. C'est là le véritable capital-risque qui est nécessaire à l'étape du démarrage. Il s'agit en fait de capital-risque informel.

M. Latner: Cela n'explique pas pourquoi le Régime des enseignants le fait et le Régime des employés municipaux de l'Ontario (OMERS) ne le fait pas, par exemple.

Le sénateur Angus: En effet.

M. Latner: C'est peut-être attribuable à la rémunération des membres du Régime des enseignants en comparaison avec celle des membres d'OMERS.

Le président: C'est peut-être aussi attribuable à la composition du conseil d'administration.

Puis-je vous poser une question? Vous avez parlé de l'importance de donner aux jeunes entrepreneurs des compétences en vente, en marketing et en formation, puisqu'ils ont déjà les compétences techniques. Vous avez mentionné le Programme coopératif à Waterloo. Le gouvernement peut-il jouer un rôle à ce chapitre? J'ai l'impression que cela ne relève pas du gouvernement.

M. Latner: Peut-être pas, mais le gouvernement pourrait accorder davantage de fonds aux universités afin qu'elles puissent dispenser des programmes de haute qualité et des programmes coopératifs pour les étudiants en vente et en marketing, comme on l'a fait pour les étudiants en informatique.

Le président: À votre connaissance, ces programmes existent-ils dans les universités américaines? Autrement dit, je vous pose la question car j'ai l'impression qu'il y a une lacune, mais que cette lacune est bien moins importante aux États-Unis, où ceux qui ont une formation technique ont néanmoins de bonnes compétences en vente et en marketing.

M. Latner: Je peux comparer des villes. Je pense qu'il est tout aussi difficile de trouver ces personnes à Buffalo qu'à Toronto.

Le président: Mais pas à Boston ou à Chicago. Cela dépend donc de l'endroit.

M. Latner: C'est exact. Ces villes comptent de très nombreuses entreprises -- des centaines, peut-être même des milliers d'entreprises -- et on peut facilement faire ses preuves dans l'une d'entre elles. On peut faire ses preuves pour ensuite aller travailler dans une autre entreprise. De plus, l'échec n'est pas aussi stigmatisant qu'ici. Si vous faites faillite et que vous tentez de trouver un emploi ailleurs, ici, on se dira que vous êtes un perdant et qu'il serait risqué de vous appuyer. En Californie, vous pouvez très bien dire que vous avez acquis de l'expérience dans une entreprise quelconque qui a ensuite fait faillite, et peu importe; les faillites y ont été si nombreuses qu'elles ne sont pas considérées comme elles le sont ici.

Le président: Vous dites donc que la faillite est stigmatisante au Canada, alors qu'elle ne l'est pas aux États-Unis.

M. Latner: Je crois que c'est davantage le cas ici que là-bas.

Le sénateur Kroft: Je m'intéresse particulièrement à la mise en marché et à la promotion du produit une fois qu'il a été conçu, car d'après mon expérience, c'est d'une importance cruciale.

Soit dit en passant, Israël a longtemps souffert de ce problème. Il disposait d'un bassin énorme de technologies, mais il ne savait pas comment l'exploiter.

M. Latner: Vous avez employé le passé. Je crois que c'est toujours le cas, et c'est pourquoi un pourcentage si grand de jeunes entreprises israéliennes sont achetées par des sociétés américaines qui ont des connaissances de la vente et du marketing; ou encore les entreprises israéliennes ne gardent que la conception des produits et la vente et le marketing se font à l'étranger.

Pour ma part, je peux vous dire que XDL a investi dans une entreprise israélienne, et nous avons constaté qu'il était très difficile de la gérer de l'étranger. L'équipe de conception est restée là-bas mais les ventes et le marketing se sont installés à Boston. On est sur le point de vendre cette entreprise à une société américaine.

De même, il y a une autre entreprise de Toronto qui s'appelle Servicesoft mais qui, il y a à peine deux mois, s'appelait Valley Soft. Elle a été créée par l'ancien président de Delrina, Mark Skopinker, qui n'a rien à voir avec XDL. Il est allé en Israël après qu'on eut acheté son entreprise, y a passé quelques années, y a mis sur pied une nouvelle entreprise et a fait face à ce même problème. Il n'a pu trouver de gens ayant la culture et l'expérience de la vente et du marketing. Il y a donc encore des vestiges d'une équipe de conception en Israël, mais la majorité des opérations se trouvent à Boston et à Toronto.

Le sénateur Kroft: Je fais écho à la question du président et je vous demande à mon tour ce que nous pouvons faire. Nous savons de qui relève l'enseignement, comment se partagent les compétences, mais c'est un problème récurrent au Canada depuis longtemps et j'aimerais savoir ce que vous en pensez, car vous y avez manifestement réfléchi longuement.

M. Latner: En fait, j'y ai très peu réfléchi, car je suis sur le terrain. J'ai rarement l'occasion de réfléchir à la macro-économie, et je ne serais pas à la hauteur.

Le sénateur Kroft: Bien sûr que si.

M. Latner: J'ai lu votre biographie et je connais la mienne: je ne serais pas à la hauteur. Je suis probablement le seul investisseur en capital-risque néo-démocrate que vous rencontrerez, et je suis plutôt étatiste.

J'aime bien ce qu'on a fait au Québec. Que le Québec reste au sein du Canada ou non, la façon dont il a pu harnacher des capitaux pour répondre à ses besoins est un bon exemple pour le reste du Canada. J'ai de bonnes relations avec les membres de la communauté des investisseurs en capital-risque là-bas. Charles Sirois en est un. Sa société d'investissement en logiciel, Télésoft, est à ce niveau et nous faisons affaire avec elle régulièrement. Il y a eu des perdants et des gagnants dans le capital-risque, mais on a réussi à trouver de l'argent pour les entreprises québécoises. De même, SOFINOV et toutes les entreprises qui y sont associées ont de bonnes chances d'obtenir des fonds.

S'il y avait une façon, que ce soit par la persuasion ou par un incitatif quelconque comme celui dont vous avez parlé, ou par le biais d'une loi, de relever le pourcentage du véritable capital-risque, qu'il provienne des régimes de retraite ou d'ailleurs, ce serait formidable. Je ne quémande pas d'argent pour XDL, même si ce serait bien d'obtenir des investissements de régimes de retraite. Les sommes que nous obtenons proviennent surtout de riches entrepreneurs qui y investissent au moins 1 million de dollars; il y a aussi des institutions très entrepreneuriales -- la CIBC, Wood Gundy et First Marathon. Si on pouvait amener les régimes de pension à investir directement, bien qu'ils n'aient peut-être pas les compétences pour le faire, ou indirectement par l'entremise d'un fonds collectif ou d'un fonds axé sur les entreprises afin d'étaler le risque, ce serait merveilleux. Si on pouvait faire passer ce pourcentage de 1 p. 100 à 2 p. 100, et de 2 p. 100 à 3 p. 100, ce serait fantastique. Comment le faire, je l'ignore; vous contrôlez les leviers du pouvoir, pas nous.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'aimerais faire une remarque sur ce que vous avez dit au sujet du Québec. En écoutant les témoins de ce matin, j'avais l'impression de vivre au paradis, mais dans ce paradis, on n'investit pas dans les régions. On parle toujours de Montréal, Toronto, Vancouver et Calgary, mais si vous et votre groupe voulez aider des gens qui ont de bonnes idées, je peux vous donner une liste d'au moins 10 villes de taille moyenne au Québec.

J'étais à Matane le week-end dernier. Le taux réel de chômage dans ces villes tourne autour de 30 p. 100; il y a donc quelque chose qui m'échappe. Notre système est censé être fantastique, mais il ne crée pas d'emplois. Nous avons aussi de très bonnes universités; il y a donc une lacune quelque part qui n'a pas été décelée.

M. Latner: Manifestement, vous faites face à certains problèmes. Premièrement, pour la majorité des Québécois, l'anglais est la langue seconde et celle d'une culture étrangère. Il est extrêmement difficile pour nous de faire venir les Américains à Toronto, là où la culture est semblable. Il est certainement d'autant plus difficile de les amener à investir au Québec ou à prendre une entreprise québécoise au sérieux. Les Américains pensent que Toronto est une petite ville de province et ils ont du mal à prendre nos entreprises au sérieux; alors, j'imagine que le fardeau est doublement lourd à porter pour les Québécois.

Pour ce qui est de l'emploi, je ne sais pas. Je n'y siège pas ni ne mesure les taux, et je ne m'occupe que de la très petite part du marché que constituent les sociétés de technologie de l'information; je ne pense donc pas qu'on ait un jour une vaste répartition du capital-risque dans des endroits comme Sault Ste. Marie. On n'y a tout simplement pas, eu égard au personnel, la masse critique qu'il faut. Ce sera toujours le fait des grandes villes, et nous pourrons même nous compter heureux si cela se produit dans deux ou trois grandes villes.

M. Sharwood: Oui. Je dirais tout comme David. Je vois des centaines de plans d'entreprise par an, et dans le secteur de la technologie de l'information ce qu'il dit est parfaitement vrai. On nous présente des pages et des pages décrivant le logiciel, puis j'en tourne encore une et je vois leurs projections, habituellement sur Lotus 1, 2 et 3, et la cinquième année est calculée jusqu'au dernier point décimal en cents. Il n'y a pas de plan de vente. Il n'y a pas de plan de mise en marché. Ils n'ont vraiment aucune idée de la façon de s'y prendre. Puis nous leur disons: «Comment allez-vous arriver à ces chiffres? Savez-vous par quel moyen vous y prendre?» Il est très frustrant de constater qu'il subsiste chez ces jeunes une mentalité qui les pousse à essayer de réinventer la roue pour se précipiter aussitôt chez nous.

Du côté universitaire, nous constatons qu'en ce qui a trait à la planification on ne met pas l'accent sur l'esprit d'entreprise; il me semble que Brien Gray a déjà parlé des écoles commerciales qui se sont fait connaître pour avoir mis l'accent sur le secteur autre que celui de l'entreprise. Personne n'enseigne comment dresser un plan d'entreprise pour assurer un financement par actions. Aucun des collèges communautaires que nous connaissons -- je pense que celui de Queen's s'y met à peine -- n'enseigne comment dresser un plan d'entreprise pour recueillir un financement par actions, ce qui est bien autre chose que de dresser un plan pour s'endetter.

Un des projets que nous avons dans cette organisation CGAN que j'ai fondée consiste à persuader les universités que c'est une chose à laquelle elles devraient s'intéresser de près. Aux États-Unis, en fait, il existe un concours appelé Campus où l'on attribue des prix au meilleur plan d'entreprise visant à obtenir un financement par actions sur une base régionale. C'est un peu comme le Programme des jeunes entrepreneurs, et nous tentons d'amener les banques à le faire.

Avec un investisseur en actions, contrairement à un prêteur, il existe des ententes d'actionnaires, et quand vous concluez une entente avec un investisseur particulier ou au moment d'une première entente, il est remarquable de voir combien d'entrepreneurs sont étonnés qu'on leur pose des questions embarrassantes au sujet de leur mode de vie et de leurs habitudes personnelles, qu'il y ait des restrictions relativement aux dépenses en immobilisations et au type de voiture qu'ils conduiront. Ce sont des choses auxquelles les prêteurs n'accordent pas souvent beaucoup d'attention, mais les actionnaires tiennent à s'assurer que les entrepreneurs consacrent leurs fonds à l'entreprise.

Le président: Messieurs, merci beaucoup d'être venus témoigner cet après-midi. Votre participation a été très utile. Nous avions déjà rencontré M. Sharwood auparavant, et nous avons été ravis de vous rencontrer, monsieur Latner.

Sénateurs, j'aimerais qu'on prenne cinq minutes pour traiter du projet de loi S-18. Cela suffira. Nous entendrons les représentants de l'ancienne AMC, l'Association des manufacturiers canadiens, qui s'appelle désormais l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada.

Le sénateur Meighen: Puis-je faire une observation constructive sur le choix du nouveau nom?

Le président: Cela dit, pour qu'on en prenne note, le comité a été informé par le légiste du Sénat qu'il a examiné le projet de loi et que celui-ci est effectivement présenté sous la forme législative requise.

Monsieur Nykanen, je crois savoir que vous êtes le président intérimaire de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada.

M. Paul Nykanen: C'est exact, monsieur le président.

Le président: Sénateurs, nous sommes saisis du projet de loi. Je l'ai examiné. Ai-je raison de penser que le projet de loi a deux effets: d'abord, il change le nom de l'Association des manufacturiers canadiens, qui devient l'Association des manufacturiers et des exportateurs du Canada; deuxièmement, il apporte des changements mineurs à la formulation de vos objectifs? Est-ce sommairement l'effet du projet de loi?

M. Gary Graham, Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada: Oui.

Le président: Oui.

Le sénateur Kelleher: Excusez-moi. J'aimerais que le greffier prenne note que j'ai un conflit d'intérêts.

Le président: En tant que parrain. Vous êtes aussi membre de l'exécutif, n'est-ce pas?

Le sénateur Kelleher: Non, mais mon associé, Gary Graham, qui vient de prendre la parole, est l'ancien président.

Le président: Nous nous empressons de vous offrir nos condoléances, monsieur Graham, à ce sujet.

C'est bien, sénateur. Vous ne pouvez voter.

Le sénateur Kelleher: Je ne participerai donc pas au débat.

Le président: C'est bien. Dois-je comprendre, monsieur Graham, que c'est tout l'effet du projet de loi, ou est-ce que le projet de loi a d'autres effets que ces deux-là?

M. Graham: Le projet de loi a trois effets.

Le président: Lequel ai-je manqué?

M. Graham: Vous n'en avez pas vraiment manqué, mais vous avez décrit deux des trois effets de façon générale.

Le président: Très bien.

M. Graham: Vous aviez tout à fait raison. Spécifiquement, le projet de loi change le nom de l'organisation. C'est la première chose.

Le président: D'accord.

M. Graham: Deuxièmement, il précise le mandat pour inclure un renvoi aux services ainsi qu'aux produits.

Le président: C'est parce qu'en plus des manufacturiers on inclut maintenant les exportateurs.

M. Graham: Il nous a fallu changer de nom, et nous devions modifier le projet de loi pour changer le nom.

Le président: D'accord.

M. Graham: Nous avons donc saisi l'occasion pour apporter quelques autres changements mineurs. Troisièmement, la loi contenait une anomalie du fait qu'elle limitait la capacité de l'organisation de posséder ou de louer des propriétés de plus de 50 000 $. Cette anomalie remonte aux années 1800.

Le président: À cette époque 50 000 $ représentaient beaucoup d'argent.

M. Graham: Oui; nous avons donc supprimé cette mention.

Le sénateur Kroft: Excusez-moi si je ne comprends pas bien, mais est-ce qu'il n'y a pas toujours eu une autre organisation appelée l'Association des exportateurs canadiens?

M. Graham: Oui. Le comité sera peut-être d'accord pour que M. Nykanen prenne deux ou trois minutes pour expliquer l'historique des deux organisations et leur fusion.

Le sénateur Kroft: Je le veux bien.

M. Paul Nykanen, président intérimaire, Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada: Honorables sénateurs, l'alliance est une organisation horizontale nationale ayant une large base qui représente tous les secteurs manufacturiers et exportateurs de tout le Canada. Les sociétés membres de notre organisation assurent plus de 75 p. 100 de toute la production manufacturière au Canada. Notre mission en tant qu'organisation consiste à renforcer la compétitivité des manufacturiers canadiens et à accroître les exportations.

La fusion des deux organisations s'est faite tout naturellement. L'AMC, l'Association des manufacturiers canadiens, dont la création remontait à 127 ans, a fusionné avec l'Association des exportateurs canadiens, qui avait été fondée il y a 54 ans, et les deux étaient des organisations nationales représentant leurs secteurs respectifs.

À notre époque, compte tenu particulièrement de l'économie mondiale, la plupart des manufacturiers, ou la grande majorité d'entre eux, sont aussi des exportateurs, et avec le mandat que nous détenions nous représentions le secteur producteur de biens, et la base s'est élargie, ce qui fait que nous sommes maintenant en mesure d'offrir des services additionnels. Ce qui veut dire que nous nous étendons à l'échelle mondiale grâce à des alliances stratégiques avec des organisations similaires partout dans le monde.

Nous effectuons des missions commerciales et nous en accueillons. Nous fournissons beaucoup de formation, d'information, d'ateliers, de colloques et d'événements de ce genre sur la façon de faire des affaires dans notre pays et d'accroître la productivité d'une entreprise, entre autres choses. Voilà, en somme, ce que nous sommes.

Le sénateur Hervieux-Payette: Peut-être devrais-je connaître la réponse à cette question, mais pourquoi vous a-t-il fallu abroger les anciennes lois et vous constituer en corporation à titre de société sans but lucratif? Pourquoi devons-nous adopter une loi pour votre association, alors que d'autres associations n'ont pas recours à des projets de loi spéciaux? Trouvez-vous avantageux de maintenir ce statut spécial?

M. Graham: Oui. Je crois que le conseil exécutif y a vu un avantage et ne voulait pas renoncer aux 150 ans d'histoire de l'organisation. Elle avait été créée par une loi du Parlement, et on souhaitait maintenir cet acquis, sans compter que la loi confère certains pouvoirs spéciaux qu'on n'aurait pas pu obtenir si l'on avait simplement dissous l'association pour en créer une nouvelle.

Le sénateur Hervieux-Payette: Les deux organisations bénéficiaient-elles de ces avantages, et est-ce qu'une seule en bénéficiera désormais et pas l'autre?

M. Graham: Il n'y a qu'une organisation.

Le sénateur Hervieux-Payette: Ce qui fait que les exportateurs vont maintenant bénéficier de cette loi qui date de 124 ans.

M. Graham: Les sociétés qui étaient membres de l'Association des exportateurs n'ont pour ainsi dire plus d'association à laquelle adhérer. Ces sociétés peuvent choisir si elles le désirent d'adhérer à cette association, et il est bien certain que celle-ci souhaite représenter ces sociétés.

Le sénateur Hervieux-Payette: L'adhésion est facultative?

M. Graham: Oui.

Le sénateur Hervieux-Payette: Si vous excluez les plus gros, combien de manufacturiers compte le secteur de la petite entreprise?

M. Graham: L'association compte des milliers de membres, et un bon nombre d'entre eux ont moins de 50 employés. En fait, les petites organisations profitent davantage des services de l'association que les grandes, qui ont leur propre personnel.

Le sénateur Meighen: J'ai deux questions à poser, si vous le permettez. La première est un peu facétieuse. Je regarde votre nouveau nom et son appellation en français, Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada. Je trouve que ça sonne plutôt bien.

Le sénateur Angus: Nous n'avons pas encore adopté le projet de loi; ce n'est qu'une proposition d'un nouveau nom.

Le sénateur Meighen: Quoi qu'il en soit, quand je regarde la version anglaise, elle semble être une création pure de Bureaucratise Canada: Alliance of Manufacturers and Exporters Canada. Pourquoi cette syntaxe? Pourquoi ne pas dire «The Canadian Alliance of Manufacturers and Exporters», ou encore «The Alliance of Canadian Manufacturers and Exporters», ou «The Alliance of Manufacturers and Exporters of Canada»?

M. Graham: Si votre question est facétieuse, permettez-moi de répondre un peu de la même manière, et cela sans vouloir le moindrement manquer de respect au comité: mais est-ce qu'un chameau n'est pas un cheval conçu par un comité? Il en est de même des parties qui ont choisi ce nom, et elles ont procédé à des consultations.

Le sénateur Meighen: Mais ce n'est pas la même chose en français et en anglais.

Le sénateur Hervieux-Payette: Non, non.

Le sénateur Meighen: On dit «du Canada». Non? C'est mon français qui fait défaut?

Le sénateur Hervieux-Payette: Non, le sigle est le même. Si l'on intervertit l'ordre des lettres, vous n'obtiendrez plus AMEC.

Le sénateur Meighen: Voilà pourquoi.

Le sénateur Hervieux-Payette: En fait, c'est la même chose en français et en anglais: AMEC.

Le sénateur Meighen: Pourquoi ne pas dire «The Alliance of Manufacturers and Exporters of Canada»? On obtiendrait tout aussi bien AMEC comme sigle. Actuellement, le mot «Canada» pendouille à la fin, et ça vous rappelle Statistique Canada.

Toutefois, poursuivons et tâchons de profiter de votre passage au comité. Au cours d'une de nos séances, un témoignage m'a paru troublant parce qu'on visait à montrer qu'un bon nombre de nos exportations canadiennes étaient des exportations entre sociétés, ce qui donne l'impression que nous expédions toutes sortes de différents produits de par le monde à différents clients, quand ce n'est pas nécessairement le cas, et, deuxièmement, qu'un pourcentage exagérément élevé de nos exportations sont liées à une ou deux sources, comme le secteur automobile et la Commission canadienne du blé.

M. Graham: Je voudrais offrir un bref commentaire sur cela, et je pense bien que M. Nykanen aura quelque chose à ajouter aussi.

Un produit exporté d'une compagnie à une autre reste un produit exporté. Les fabricants d'un produit savent qu'ils ont fait le travail et en sont fiers; s'il leur arrive de l'envoyer à une usine apparentée qui l'intègre dans un produit fini pour le vendre à un client, peut-être de retour au Canada, ils n'y voient pas de problème. Ils sont contents de travailler et de produire des biens; il s'agit tout de même d'un produit exporté.

Il y a un très grand nombre de sociétés -- dont une à laquelle je pense qui se trouve à Hamilton -- qui font beaucoup d'exportation entre des compagnies, mais ce sont quand même des exportations. On produit les biens, qui sont vendus au bout du compte à des clients par l'intermédiaire de leur société mère. Peut-être que M. Nykanen voudrait ajouter quelque chose à cela.

M. Nykanen: Je crois que c'est tout à fait vrai partout dans le monde en ce moment, notamment en raison de la mondialisation des économies. Vu l'évolution des industries, beaucoup de produits sont générés à l'échelle internationale; auparavant, il y avait un grand nombre de sociétés distinctes dans des pays différents qui fabriquaient toutes les composantes d'un produit donné, en ajoutant d'autres éléments au besoin. On vise aujourd'hui des économies d'échelle, et, en raison de la concurrence mondiale féroce, il est désormais nécessaire d'acheter des composantes dans les régions les plus productives et au moindre coût.

Prenons l'exemple de l'industrie de l'automobile. Cette industrie est très forte au Canada, et les États-Unis constituent bien sûr un marché très important pour les automobiles fabriquées ici. En effet, une partie importante de notre économie dépend de nos exportations vers les États-Unis. Environ 80 p. 100 de nos exportations vont aux États-Unis; si on compare le poids de l'industrie de l'automobile aux autres secteurs de l'économie, on voit très bien que cette industrie y est pour beaucoup.

Comme M. Graham l'a mentionné, il importe peu qu'il s'agisse de transferts entre compagnies, ou autres, puisqu'il arrive souvent que les composantes sont fabriquées ici, envoyées à la société mère aux États-Unis, intégrées dans une autre composante qui revient au Canada, pour ensuite faire partie d'un véhicule qui est vendu à l'étranger. C'est comme ça que les choses se passent. La situation a donc véritablement changé.

Le sénateur Meighen: Est-ce que l'appui aux exportations s'élargit?

M. Graham: Votre question aborde un point important, et je crois que la réaction dépend de ce que la personne est davantage «col bleu» ou «col blanc».

On sait bien que la mondialisation constitue un défi pour les «gestionnaires par pays» au Canada, pour les cols blancs qui ont pu par le passé justifier leur rôle en termes de présence nationale et d'expertise nationale et de leur connaissance des questions canadiennes; or, la mondialisation les oblige à démontrer que cela constitue une valeur réelle, les sociétés favorisant généralement la centralisation des séries de produits par rapport à la gestion par pays. C'est tout simplement un fait avec lequel il faut vivre.

Si les cols blancs ont eu des difficultés, les cols bleus en ont souvent bénéficié, comme nous l'avons constaté dans de nombreuses usines de l'Ontario au cours des 10 dernières années.

Le président: Une courte question. Les membres de la nouvelle association sont-ils des sociétés à propriété canadienne, ou y a-t-il aussi des compagnies à propriété étrangère qui exercent leurs activités au Canada?

M. Nykanen: Les deux, en fait. Il y a des sociétés canadiennes qui ont été fondées au Canada et qui sont entièrement contrôlées au Canada, et nous avons aussi des filiales canadiennes de sociétés multinationales, et cetera Toutes ces sociétés peuvent être membres.

Le président: D'accord. Par exemple, les filiales canadiennes des compagnies automobiles pourraient être membres.

M. Nykanen: Oui, c'est cela.

Le président: Y a-t-il d'autres questions, honorables sénateurs? Sinon, est-ce que quelqu'un veut proposer que je fasse rapport du projet de loi?

Le sénateur Hervieux-Payette: Je propose la motion.

Le président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: Adoptée.

Le président: Merci beaucoup d'être venus, messieurs.

La séance est levée.


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