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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 52 - Témoignages du 13 mai 1999


OTTAWA, le jeudi 13 mai 1999

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner la situation actuelle du régime financier du Canada (financement par actions).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je constate que le président de la Bourse de Vancouver est parmi nous. Peut-être voudrez-vous, monsieur Johnson, nous dire ce qui se passe dans les petites bourses. Le comité, pour toutes sortes de raisons, appuie toute cette idée de petites bourses. Où en sommes-nous à cet égard après la récente annonce qui a été suivie, dans le mois, par le départ du président de la Bourse de Toronto et du président de la Commission des valeurs mobilières du Québec? Serez-vous le suivant? Pouvez-vous nous donner un aperçu de l'évolution du plan envisagé?

M. Michael E. Johnson, président et chef de la direction, Bourse de Vancouver: Nous travaillons encore à la promotion de notre programme. Nous sommes en train de voir comment il serait possible de constituer le marché national des petites bourses. Nous oeuvrerons ensuite de concert avec nos commissions pour pouvoir progresser avec l'approbation des organismes de réglementation compétents. Une fois ce stade atteint, nous pourrons aller de l'avant.

Ce sera une véritable épreuve pour le modèle de la CSA et de son utilité pour le secteur. Nous nous attendons à ce que les commissions de l'Alberta et de la Colombie-Britannique assument un rôle de leadership sur le plan des structures et des règles du marché de second rang et à ce que les commissions des autres provinces adoptent les mêmes règles.

À l'avenir, les représentants d'une entreprise cotée, comme une société minière du nord du Québec, par exemple, pourraient se présenter au bureau régional du marché de second rang à la Bourse de Montréal pour effectuer des transactions financières et obtenir les approbations nécessaires pour que l'entreprise soit cotée sur le marché de second rang. L'action en question pourrait alors être achetée et vendue partout dans le pays. Ce serait là une situation très différente de celle que nous connaissons aujourd'hui.

De plus, en cas de différend, si la société souhaite en appeler d'une décision, elle présenterait son appel à la Commission des valeurs mobilières du Québec, qui appliquerait alors les normes convenues définies par les commissions de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. Ce serait là une structure unique en son genre.

Nous nous attendons à ce qu'un grand nombre d'entreprises nationales participent à ce marché. À Vancouver, à cause des réputations qui se sont faites et des problèmes du passé, les entreprises nationales étaient relativement rares. Près de 100 p. 100 des inscriptions de valeurs mobilières et des opérations de financement et 65 p. 100 des transactions provenaient d'entreprises locales.

Les branches à courtage réduit des entreprises nationales s'occupent d'environ 30 p. 100 du reste des échanges. Cela comprend l'exécution des commandes des clients. Les entreprises nationales ne font pas de promotion active dans ce secteur. Si elles acceptaient d'y participer, elles apporteraient avec elles une partie des fonds institutionnels de Toronto et d'ailleurs, ce qui intensifierait l'activité.

Notre marché est très particulier en ce qu'il consiste à 80 p. 100 en investisseurs particuliers et à 20 p. 100 en investisseurs institutionnels. Sur ces derniers 20 p. 100, 13 p. 100 des fonds viennent d'Europe. Il y a quelques années, lorsque nous considérions que le marché était extrêmement haussier, avant Bre-X, l'investissement institutionnel représentait 35 p. 100 du total et 20 p. 100 des fonds venaient d'Europe. La participation des institutions canadiennes et américaines était considérablement moindre. Cela crée d'importantes perspectives de financement pour les petites sociétés.

Nous avons récemment développé un certain nombre de produits à Vancouver. Nous avons adopté un programme albertain de fonds communs d'immobilisations de second rang. C'est un processus très amélioré pour la formation de petites sociétés parce que nous disposons de personnes expérimentées dans la levée de capitaux d'amorçage pour des entreprises à risque. En général, les entrepreneurs ont de la difficulté à trouver du capital. En mettant en contact un jeune entrepreneur, qui n'a peut-être aucune expérience des marchés publics, avec des spécialistes du financement des entreprises à risque, on facilite le processus de l'accès au marché. La tâche de l'entrepreneur en est d'autant plus facile.

Nous avons récemment introduit un petit programme de financement qui permet à une société cotée ayant un dossier AIF à jour d'obtenir jusqu'à 1 million de dollars sur le marché dans toute période de 12 mois, tant qu'elle ne dépasse pas régulièrement 20 p. 100 de sa valeur boursière. S'il s'agit d'une émission publique, les actions sont librement échangées. Si elle est limitée à des initiés faisant partie de ce qu'on appelle le groupe des «professionnels» dans les nouvelles règles sur les conflits d'intérêts, alors la période d'attente de quatre mois s'applique, comme dans les dispositions de l'AIF.

Il existe aujourd'hui, à l'échelle provinciale, un certain nombre de produits sans précédent que nous aimerions étendre à l'ensemble du marché canadien.

Dans le cadre de cette entente, nous devons également reprendre les opérations de CDN, qui est un autre groupe d'entreprises. Aujourd'hui, cependant, pour Revenu Canada, CDN ne constitue pas une bourse publique. Les investisseurs de ces sociétés privées bénéficient de l'exemption à vie de gains en capital allant jusqu'à 500 000 $. À titre de sociétés privées, elles sont admissibles à certaines subventions à la R-D.

Comme les marchés de second rang sont importants pour le développement de l'économie canadienne, parce que c'est là que la plupart des nouveaux emplois sont créés, nous exercerons des pressions afin d'obtenir pour ces marchés le même genre de traitement que les marchés de premier rang.

Le président: Dans quel délai prévoyez-vous passer à l'échelle nationale, c'est-à-dire être en mesure de vous occuper d'émissions venant de partout dans le pays?

M. Johnson: Nous espérons obtenir l'approbation des membres d'ici la fin juin.

Le président: S'agit-il des membres de la Bourse de Vancouver?

M. Johnson: Oui, et de ceux de la Bourse de l'Alberta, parce qu'il s'agirait également d'approuver la fusion des deux bourses. Nous invitons Winnipeg, une autre petite bourse, à se joindre à nous. Nous avons signé un protocole d'entente avec les autres bourses, dans le cadre de la restructuration du marché canadien des capitaux, afin de reprendre les opérations de CDN à Toronto.

Vous avez sans doute appris, en lisant les journaux, que nous allons peut-être avoir la possibilité d'offrir des services régionaux au Québec, par l'intermédiaire des bureaux de la Bourse de Montréal.

Nous nous attendons à commencer à travailler avec la commission le 1er juin et, d'ici septembre, nous espérons avoir obtenu les approbations réglementaires qui nous permettront d'intégrer les deux bourses d'ici la mi-octobre. Tout cela se fera avant la période de suspension des opérations qui est prévue pour le début de l'an 2000. Nous exploiterons CDN, telle quelle, à partir de Toronto jusqu'en avril prochain. Nous regrouperons ensuite le tout pour avoir un seul système intégré.

Le président: Nous devions entendre d'autres témoins ce matin, mais je voulais profiter de la présence de M. Johnson. Je vous remercie beaucoup. Nous observerons vos progrès avec un grand intérêt.

Nos témoins de ce matin représentent la World Heart Corporation. Il s'agit de M. Rod Bryden et du sénateur Keon. Je vous remercie tous deux d'être venus ce matin.

Je voudrais tout d'abord dire que nous ne discuterons pas aujourd'hui de l'imposition des équipes de hockey. Ensuite, certains d'entre vous ignorent peut-être que Rod Bryden s'intéresse depuis longtemps au rôle de la politique gouvernementale dans le développement des entreprises au Canada. En fait, Rod, représentant le gouvernement fédéral, et moi-même, représentant la Nouvelle-Écosse, avons négocié l'accord de ce qui s'appelait alors le ministère de l'Expansion économique régionale, qui a permis de réaliser le projet du secteur riverain de Halifax en 1972. De toute évidence, M. Bryden s'occupe de ces questions depuis très longtemps.

Comme vous avez vraiment l'expérience de ce secteur, nous voudrions que vous nous donniez un point de vue réaliste plutôt qu'abstrait sur le rôle que la politique gouvernementale peut jouer en vue d'encourager le financement par actions des petites et moyennes entreprises.

Peut-être le sénateur Keon voudra nous dire ce qui s'est passé avant que M. Bryden et d'autres investisseurs interviennent. M. Bryden nous expliquera ensuite quels changements de la politique gouvernementale auraient facilité ou favorisé la participation des gens.

L'honorable Wilbert J. Keon: Les renseignements concernant la planification financière seront présentés par M. Bryden.

Pour l'instant, je voudrais vous présenter un bref historique de cette affaire. J'aimerais en particulier vous parler de quelques-unes des difficultés que nous avons rencontrées, des raisons pour lesquelles nous avons besoin d'un Rod Bryden et de ce que je pense que World Heart fera pour notre pays par suite des efforts conjoints de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa et de Rod Bryden.

La World Heart Corporation possède actuellement la technologie du dispositif d'assistance ventriculaire HeartSaver qui, en pratique, représente le côté gauche d'un coeur artificiel. Toutefois, beaucoup d'autres technologies coûteuses sont associées à celle-ci. À un moment donné, il y avait au total huit brevets sur le marché pour le HeartSaver. Certains des brevets les plus polyvalents portent sur du matériel pouvant transmettre, sans fil, de l'énergie et des données entre l'intérieur et l'extérieur du corps. Les données transmises peuvent ensuite être relayées n'importe où dans le monde par câble, par fibre optique ou par satellite.

C'est là une chose nouvelle et différente qui a été mise au point pour rendre possible la fabrication d'un coeur artificiel. À long terme, cette technologie pourrait être plus précieuse que le coeur lui-même une fois qu'elle aura été associée à d'autres nouvelles technologies, actuellement en cours d'élaboration.

Le concept d'un coeur artificiel existe depuis un certain temps déjà. J'ai écrit ma thèse à ce sujet à McGill en 1963 et je n'ai pas arrêté depuis de faire des recherches dans ce domaine. Le concept n'est pas nouveau. Mais il a fallu attendre que la communauté mondiale s'occupe de la recherche ou du développement nécessaire pour transformer le concept en un dispositif pratique.

Aux premiers temps de ma carrière, j'ai travaillé dans divers laboratoires et, à mon retour à Ottawa, j'ai continué à faire de la recherche dans ce domaine, à titre personnel. Toutefois, je n'ai pu entreprendre un projet de cette envergure qu'avec l'appui de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa. Je dois dire, très honnêtement, que du point de vue de la recherche, l'institut est plus grand et plus efficace que n'importe quel autre établissement du Canada.

Lorsque nous présentions des demandes de financement au Conseil de recherches médicales et au Conseil national de recherche, les responsables nous répondaient que le travail scientifique était exceptionnel, mais que nous n'avions pas les moyens de le réaliser. Nous avons dû avancer clopin-clopant pendant des années, à cause du manque de ressources.

Lorsqu'en 1982, nous avons formé un consortium avec l'Université de l'Utah et produit une proposition de 25 millions de dollars, qui a été financée conjointement par les National Institutes of Health de Washington et les organismes de financement canadiens, nous avons vraiment commencé à faire du chemin. Nous avons doublé la superficie de nos locaux de recherche à l'Institut de cardiologie et avons pu réserver un étage à la recherche sur le coeur artificiel. Nous avons recruté le Docteur Tofy Mussivand de Cleveland, qui était l'autre «chaînon manquant». Nous n'aurions pas pu réussir ce que nous avons réalisé sans la participation du Docteur Mussivand. Je regrette qu'il n'ait pas pu se joindre à nous ce matin. C'est un homme très intéressant et, à mon avis, personne au monde ne peut se comparer à lui dans le domaine de la recherche sur le coeur artificiel.

Nous avions alors quatre ou cinq concurrents. En faisant venir le Docteur Mussivand, nous avons accompli deux choses. Nous avons d'abord réussi à enrichir nos laboratoires de la présence du chercheur le plus dynamique que je connaisse dans ce domaine et nous avons en même temps neutralisé plus ou moins l'un de nos principaux concurrents, la Cleveland Clinic. Il ne restait donc plus que quatre autres concurrents dans le monde.

À l'échelle internationale, nous sommes actuellement cinq dans la course. Nous avons délibérément décidé de sauter l'étape de la technologie intermédiaire. Autrement dit, nous avons décidé de nous servir provisoirement de pompes mises au point par d'autres pour obtenir l'information nécessaire des patients, du point de vue de la recherche clinique, mais nous avons ensuite mis tous nos oeufs dans le même panier pour construire la pompe implantable ultime, c'est-à-dire le dispositif d'assistance ventriculaire HeartSaver, qui devrait, au moins pour cinq ou six ans, accaparer la plus grande partie du marché mondial.

J'ai mentionné que nous avions reçu 25 millions de dollars dans les années 80. Cela nous a permis d'aller de l'avant. Nous avons aussi obtenu des dons privés. Des sociétés américaines nous ont également financés. St. Jude Medical nous a offert 5 millions de dollars et Medtronic, 4 ou 5 autres millions. Nous avons ainsi réussi à poursuivre, mais, au début des années 90, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il nous fallait soit trouver un sauveur, comme celui que j'ai à ma droite, soit vendre notre technologie à une société américaine ou européenne. Nous devions trouver quelqu'un dans le monde des affaires et de la finance qui pouvait nous établir une structure financière nous permettant de conserver cette technologie au Canada.

Le sénateur Austin: Sénateur Keon, quand vous dites que St. Jude et d'autres vous ont donné de l'argent, sous quelle forme ces fonds ont-ils été avancés? Ont-ils acheté des parts dans votre entreprise?

Le sénateur Keon: Non.

Le sénateur Austin: Vous ne vendiez pas de parts à ce moment-là.

Le sénateur Keon: C'est exact. Permettez-moi de vous expliquer ce qui s'est passé, parce qu'il est important de le comprendre.

Dans ce genre d'entreprise, vous commencez avec votre recherche fondamentale. Les conseils subventionnaires vous financeront pendant une dizaine d'années. Vous atteignez ensuite le point où ils vous diront de trouver un partenaire industriel pour voir si le produit a une chance d'atteindre l'étape de la commercialisation. Un financement de base est fourni par les conseils subventionnaires, mais des partenaires industriels comme St. Jude voudront voir ce que vous êtes en train de mettre au point. Ils avancent de très grosses sommes et les conseils canadiens offrent des subventions de contrepartie.

L'étape suivante est difficile. Une fois que vous avez construit le produit, vous devez le sortir du laboratoire pour l'envoyer dans une usine puis sur le marché. Le capital nécessaire est considérable. Vous n'êtes plus admissible aux subventions ordinaires ou de contrepartie. Tout ce que vous pouvez faire à ce point, c'est vendre les brevets à quelqu'un qui a les moyens de les acheter.

Le sénateur Austin: Je vous comprends. À un moment donné, j'avais des actions de St. Jude. Je sais que c'est une société à but lucratif. Pourquoi vous a-t-elle donc avancé de l'argent? Elle s'occupe de matériel de chirurgie cardiaque. Comment a-t-elle pu vous offrir de l'argent sans rien demander en échange?

Le sénateur Keon: La société s'intéressait à notre produit, elle envisageait de l'acheter, mais elle l'aurait construit au Minnesota. Même si elle nous a financés à un moment donné, nous n'étions pas disposés à lui vendre tout de suite tous nos brevets.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Vous a-t-elle simplement envoyé un chèque en vous disant: «Allez-y, faites de votre mieux»? Qu'a-t-elle obtenu en échange de son argent?

M. Roderick Bryden, président et chef de la direction, World Heart Corporation: Il importe de savoir que la recherche portant sur la technologie du coeur artificiel, et notamment des dispositifs d'assistance ventriculaire, a coûté aux National Institutes of Health des États-Unis entre 400 et 500 millions de dollars pendant la décennie qui a pris fin il y a cinq ans. Les Instituts financent encore cette recherche, mais plus dans les mêmes proportions.

Un certain nombre d'entreprises, y compris Medtronic et St. Jude, ayant constaté le nombre de projets à financement public, ont décidé de ne pas lancer elles-mêmes leurs propres projets, parce qu'elles ne voulaient pas être seules parmi 35. Tous les autres étaient financés par les NIH, alors qu'elles-mêmes devraient utiliser leurs propres fonds de recherche. Au lieu de se lancer dans des projets de ce genre, ces sociétés ont préféré avancer des capitaux d'amorçage à des projets en cours, simplement pour être informées et savoir ce qui se passait, afin de pouvoir entrer dans l'arène au bon moment.

Le sénateur Kenny: Il s'agissait donc d'une subvention inconditionnelle, en contrepartie de laquelle ces sociétés n'obtenaient que de l'information?

M. Bryden: C'est exact.

Le sénateur Keon: C'est bien cela.

M. Bryden: Medtronic a fait la même chose. Baxter également.

Le sénateur Kenny: Comment en êtes-vous arrivés à la conclusion qu'il fallait prendre contact avec M. Bryden? Parlez-nous de toutes les impasses dans lesquelles vous vous êtes retrouvés en premier avant de décider d'aller voir quelqu'un comme M. Bryden.

Le sénateur Keon: Nous pouvions soit aller voir quelqu'un comme M. Bryden pour trouver le capital au Canada, bâtir une usine chez nous et commercialiser le produit à partir d'ici, soit vendre les brevets et la technologie à une entreprise étrangère. Nous n'avions que ces deux possibilités.

Le sénateur Kenny: Vous n'aviez rien d'assez précieux à offrir en garantie pour un prêt.

Le sénateur Keon: Non, nous n'avions rien qui valait la montagne d'argent dont nous avions besoin pour devenir compétitifs.

Gordon Henderson a approché M. Bryden en 1992. Il est venu, a jeté un coup d'<#0139>il, mais a été un peu intimidé au début. Il lui a fallu trois ou quatre ans pour surmonter ses appréhensions, mais il s'est finalement décidé. Tout le monde connaît la suite. Je vais le laisser en parler lui-même.

M. Bryden: Je viendrai une autre fois pour vous exposer mon point de vue sur le secteur des coeurs artificiels, à titre d'ancien avocat, d'ancien cadre du secteur de la technologie, d'ancien cadre de l'industrie du papier et d'actuel propriétaire d'un club de hockey.

L'Institut de cardiologie pouvait envisager plusieurs possibilités pour mettre au point son dispositif d'assistance ventriculaire. Tout d'abord, il pouvait atteindre le stade de la production commerciale en s'associant à une société établie d'instruments médicaux. C'était l'option qui présentait le moins de risques et la plus forte probabilité de succès. Cependant, comme la plupart des options de ce genre, c'était celle dont le taux de rendement était le moins élevé. C'était celle, par exemple, qu'avait suivie le stimulateur cardiaque. Le stimulateur avait été construit par Medtronic, même s'il avait pour la plus grande part été mis au point par le CNR. Quand Medtronic a vendu son premier stimulateur cardiaque, elle avait des recettes de 25 millions de dollars et n'était qu'une petite entreprise de Minneapolis. C'est aujourd'hui l'une des plus grandes sociétés mondiales d'instruments médicaux, ses recettes atteignant 4 milliards de dollars par an. Elle tire encore le plus gros de son revenu de la vente de stimulateurs cardiaques ou de défibrillateurs, qui ne sont qu'un type différent de rythmeur cardiaque. L'Institut de cardiologie aurait également pu imiter la mise au point et la distribution de l'insuline à partir de Toronto. Ce produit constitue la principale source de recettes de la société Eli Lilly qui, la semaine dernière, avait une valeur boursière de 74 milliards de dollars.

Le HeartSaver aurait pu être cédé sous licence à Medtronic, à St. Jude ou à Baxter. L'Institut de cardiologie se serait ainsi assuré un flux régulier de redevances et un important secteur industriel se serait développé aux États-Unis.

L'autre possibilité, que l'Institut de cardiologie a essayée, consistait à s'associer à une société établie qui ne produisait pas d'instruments médicaux et de donner à cette société un produit important pour lui permettre de s'établir sur le marché des appareils médicaux.

Cette stratégie aurait eu des chances de réussir au début des années 80 lorsqu'il y avait beaucoup d'entreprises polyvalentes et que le marché continuait à les financer. Toutefois, dans les années 90, les investisseurs ont davantage ciblé leurs placements et posaient beaucoup plus souvent la question: «Dans quel secteur êtes-vous?» L'Institut de cardiologie avait donc une entente avec CAE pour un investissement possible de 50 millions de dollars.

Le dispositif d'assistance ventriculaire serait devenu un produit clé d'un département d'instruments médicaux placé sous l'égide de CAE, sans lui appartenir. Les détails n'avaient pas été réglés, mais l'investissement aurait été de 50 millions de dollars. À ce moment, CAE a changé de direction et les nouveaux cadres étaient d'avis que les marchés de capitaux ne réagissaient favorablement ni aux entreprises simulées ni aux coeurs artificiels, même si les deux donnent des résultats extraordinaires sur papier.

La perspective de créer une nouvelle gamme de produits dans une entreprise établie n'appartenant pas au secteur des instruments médicaux est difficile à envisager. Il est difficile pour la société qui absorbe le nouveau produit d'obtenir de bons résultats sur les marchés de capitaux, même si le produit réussit bien.

Il y avait encore la possibilité d'établir une filiale contrôlée par la société de recherche de l'Institut de cardiologie ou une autre entité relevant de l'institut, d'engager des gestionnaires professionnels et de rechercher un investissement minoritaire pour assurer la commercialisation. Encore une fois, cette perspective est très difficile à envisager parce que les investisseurs minoritaires diraient alors: «Sommes-nous en affaires pour réaliser des bénéfices ou bien pour faire de bonnes actions en sauvant des vies?» Si vous êtes en affaires pour faire de bonnes actions en sauvant des vies, vous ne portez pas nécessairement les mêmes jugements que si vous êtes en affaires pour sauver des vies dans le cadre d'une entreprise commerciale. L'attachement à la qualité et au service sont les mêmes, mais la dynamique est différente. Il est plus difficile pour une société d'attirer du capital si elle est contrôlée par un organisme sans but lucratif.

La dernière option consistait à fonder une société qui prendrait en main ce qui semblait être une technologie mondiale de pointe, la coifferait d'une direction établie et reconnue et rechercherait dès le premier jour un financement par actions. C'est la proposition que j'ai faite à l'Institut de cardiologie. Il a répondu qu'il irait de l'avant si j'acceptais de m'engager moi-même. Par la suite, nous avons convenu que je m'engagerais pour quelques années et que je placerais un peu d'argent pour devenir le point de convergence autour duquel la nouvelle entité serait créée. C'est ainsi que la World Heart Corporation a vu le jour.

Puis-je prendre une minute, monsieur le président, pour décrire l'entreprise?

Le président: Oui, je vous en prie.

M. Bryden: C'est à la fois simple et spectaculaire.

L'insuffisance cardiaque est l'une des principales causes de décès dans le monde. En général, cette insuffisance découle du fait que le coeur n'arrive pas à pomper suffisamment de sang pour irriguer le corps d'une façon satisfaisante. Et, d'ordinaire, c'est le ventricule gauche qui n'arrive pas à faire son travail. Le ventricule gauche est la partie du coeur qui pompe le sang dans tout le corps.

L'insuffisance ventriculaire gauche représente plus de 75 p. 100 de l'ensemble des cas d'insuffisance cardiaque. Cette maladie est inévitablement fatale à moins d'une transplantation cardiaque aux derniers stades. Bien que le rythme de la dégradation puisse être freiné par des médicaments, ceux-ci ne peuvent pas arrêter la progression de la maladie.

Au Canada, l'année dernière, près de 44 000 personnes qui souffraient d'insuffisance cardiaque sont mortes. Les certificats de décès ne mentionnaient pas toujours l'insuffisance cardiaque, certains indiquant plutôt, comme cause de décès, une insuffisance rénale. Toute une gamme de raisons peut avoir déclencher la mort, chacune ayant résulté du fait qu'un organe n'a pas été suffisamment irrigué par le sang pendant une certaine période. La mort peut avoir découlé d'un motif autre que l'insuffisance cardiaque, mais celle-ci aurait quand même été la cause sous-jacente du décès.

L'année dernière, il y a eu au Canada 166 transplantations cardiaques. Sur les 44 000 personnes qui sont décédées, 166 auraient pu être traitées à l'aide des technologies actuelles. Le nombre de coeurs à transplanter n'est pas en hausse.

Aux États-Unis, l'année dernière, 400 000 patients auraient pu profiter d'une transplantation, mais on ne leur a trouvé que 2 300 coeurs. En Europe occidentale, les nombres sont d'environ 80 p. 100 ceux des États-Unis, mais on n'a trouvé qu'un millier de coeurs.

Même si la transplantation et les processus de traitement correspondants sont très efficaces, leur impact est en définitive extrêmement limité. C'est pour cette raison qu'il existe un important marché potentiel pour des dispositifs d'assistance ventriculaire entièrement implantables qui permettraient à ceux qui les reçoivent de reprendre une vie normale.

C'est pour cette raison que j'ai décidé de m'engager pour dix ans afin d'établir une société de calibre international basée, du moins au départ, sur cette technologie. C'est aussi grâce à cette perspective qu'il a été relativement facile de financer l'entreprise sur le marché des valeurs mobilières.

Nous avons constitué la société en avril 1996. À ce moment, le concept du HeartSaver avait fait ses preuves: il existait des prototypes qui fonctionnaient et on avait procédé à des tests sur des animaux. Un dispositif électronique d'assistance ventriculaire avait été conçu. Le dispositif se basait sur une transmission d'énergie transcutanée: un fil branché sur une pile alimente une bobine qui est placée en haut de la poitrine. Elle peut également être placée sur l'abdomen, selon ce qui convient le mieux au patient et au chirurgien. Sous la peau, se trouve une bobine semblable, mais il n'y a aucune perforation pour joindre les deux. L'énergie se transmet par induction magnétique entre les deux bobines. L'énergie passe ainsi de la pile qui se trouve à l'extérieur du corps au dispositif d'assistance ventriculaire, qui se trouve à l'intérieur. Grâce à cette technologie, la personne qui a un dispositif ainsi implanté peut aller nager, prendre une douche et reprendre donc une vie normale. Il n'y a pas de trou, pas d'incision pour alimenter le dispositif en énergie, rien qui immobilise le patient et l'expose constamment à l'infection.

Le dispositif est petit; il n'a qu'environ la moitié des dimensions de n'importe quel autre dispositif pouvant produire la même circulation sanguine. Grâce à cette réduction de la taille, le HeartSaver est implantable dans la cavité thoracique. Il a une forme permettant de le placer contre la paroi intérieure et de l'ancrer sur la cage thoracique sans qu'il gêne le fonctionnement des poumons ou du coeur.

Le coeur naturel reste à sa place. Un court tube relie le dispositif au bas du ventricule gauche et un second tube va à l'aorte. Le sang passe dans le dispositif qui le refoule dans l'aorte, permettant au patient d'avoir une circulation sanguine normale.

Comme le dispositif se trouve dans la poitrine, il n'y a aucune raison de ménager un trou pour l'air. Pour qu'un fluide puisse passer d'un compartiment à un autre, il faut établir une différence de pression entre les deux. Comme le dispositif se trouve à l'intérieur du corps, il serait à la pression du corps, comme le c<#0139>ur, et le sang ne circulerait pas. Si la personne qui le porte se couche, elle mourrait. Le sang ne s'écoulerait que sous l'effet de la gravité parce qu'aucune différence de pression n'existerait.

La seule façon d'obtenir un écart de pression est de pratiquer une ouverture sur l'extérieur pour qu'une partie du dispositif se trouve à la pression atmosphérique. Si l'appareil avait été placé n'importe où ailleurs que dans la poitrine, il aurait fallu un trou pour l'air. Tous les autres dispositifs nécessitent un trou pour l'alimentation en énergie et un autre pour l'air, les deux trous immobilisant alors le patient et l'exposant à un important risque d'infection.

Le dispositif est assez petit pour que le compartiment flexible, à déplacement volumétrique, repose contre le poumon qui, lui, se trouve à la pression atmosphérique. Voilà pourquoi nous n'avons pas besoin d'un autre trou. Il y en a déjà un par lequel on respire. La simplicité de ce modèle a modifié de façon radicale l'effet de la substitution du dispositif à l'action du c<#0139>ur.

La façon dont la société a abordé le marché comporte une caractéristique distinctive que vous ne devriez pas perdre de vue. Ce que nous avons fait pourrait constituer un modèle pour d'autres entreprises. Lorsque notre société a été constituée le 1er avril 1996, dix ans avaient déjà été consacrés à la mise au point. Nous avions déjà dépensé 30 millions de dollars sur le produit, et les services en nature, comme les installations de la clinique et les médecins qui ont travaillé au projet, nous avaient coûté 15 autres millions de dollars qui n'avaient pas été imputés sur l'investissement direct. Nous avons donc pris en main un produit riche de dix ans de recherche et d'un investissement approximatif de 45 millions de dollars. Dans les trois ans, il devait être implanté dans le premier patient. Nos besoins de financement se situaient donc au terme d'une assez longue période.

Le problème auquel l'institut avait dû faire face était que, malgré cette longue période de mise au point, il s'agissait d'une toute nouvelle société chargée de faire passer le produit au stade de la commercialisation. Autrement dit, l'entreprise, malgré sa longue histoire, était considérée comme une société débutante. Une partie de notre défi a consisté à associer la structure aux antécédents pour montrer qu'il s'agissait en fait de la onzième année d'un programme de 12 ans, plutôt que de la première année d'une nouvelle société. Nous n'aurions pas pu autrement vendre les actions d'une société naissante qui n'avait à offrir qu'un produit non homologué.

Pour le financement, nous nous sommes adressés à des «anges», si on peut appeler ainsi moi-même, Mike Cowpland et M. Cunningham. Quatre coups de téléphone nous ont permis de ramasser 1,7 million de dollars en une seule journée. Mon approche consistait à dire à mon interlocuteur que j'étais dans le coup, que Mike y était aussi et de lui demander s'il était intéressé. La personne commençait par dire d'accord, ensuite elle demandait de quoi il s'agissait. Dans cet ordre.

Nous avons donc réuni 1,7 million de dollars pour l'Institut de cardiologie, ce qui lui a permis d'accélérer le rythme de ses travaux, qui avaient ralenti. Comme le financement gouvernemental tarissait, il avait dû réduire le personnel. Pourtant, le produit était près de la phase de commercialisation et le temps devenait précieux. La plus grande partie des 1,7 million a servi à accélérer les travaux pour les faire aboutir. Le reste a permis de préparer une émission publique d'actions. Nous avons procédé à notre première émission huit mois seulement après la fondation de la société. Nous l'avons fait à Nasdaq, un petit marché de capital, afin d'obtenir 14 millions de dollars canadiens.

Toutes les actions ont été vendues à des investisseurs particuliers. Il n'y a eu qu'un seul important investisseur américain, qui avait réalisé un bon bénéfice sur des actions que je lui avais conseillées dans le passé. Il s'est souvenu de moi. Il m'a décrit les circonstances de notre rencontre. Lorsque nous avons fait notre présentation, il s'est rapidement assoupi et a dormi tout le temps qu'ont duré nos exposés. Son adjoint nous écoutait. Sa commande a été la seule que nous avons reçue du secteur des institutions. Il n'a pas du tout écouté nos arguments, mais il s'est souvenu qu'il avait gagné de l'argent en suivant mes conseils et a donc passé une commande de 500 000 $.

Le sénateur Austin: Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressés au marché de capitaux canadien? Pourquoi avez-vous choisi d'aller aux États-Unis?

M. Bryden: Pour qu'un titre soit attrayant et puisse être offert à un prix raisonnable, il doit être facile à revendre. La CDN n'est pas une bourse crédible. En pratique, il n'y a là aucune liquidité.

Pour réunir 14 ou 15 millions de dollars, à titre d'investissement initial, il aurait fallu offrir notre émission à la Bourse de Toronto. Cela ne veut pas dire que c'est un important montant pour cette bourse. Ce n'est pas le cas. Toutefois, pour que des investisseurs acceptent de placer autant d'argent dans une jeune entreprise, il faut que les actions soient cotées à la Bourse de Toronto.

La Bourse de Toronto a une exigence dont elle exempte ou est disposée à exempter certaines sociétés de produits pharmaceutiques. Vous devez disposer de liquidités suffisantes pour trois ans avant que la Bourse de Toronto n'accepte de vous inscrire. Elle agit ainsi afin d'éviter qu'une entreprise ne fasse une émission d'actions pour aboutir à la faillite un an plus tard par manque de liquidités.

Je ne voulais pas réunir de l'argent pour trois ans parce que les points de repère, dans le cas de ce produit, étaient clairs. Chaque chose se passait au moment prévu. Après moins d'un an, nous avons pu prendre une importante mesure pour réduire le risque et raccourcir le délai à attendre pour arriver au stade de la commercialisation. Ce faisant, nous augmentions la valeur de l'entreprise. Si nous pouvions poursuivre pendant une autre année, nous aurions avancé d'une autre étape, réduit encore le délai jusqu'à la commercialisation, diminué le risque et augmenté la valeur. Ainsi, j'ai financé trois ans d'activités au moyen de trois émissions à trois prix différents, plutôt que d'obtenir tout le financement dans la première année à un très bas prix. C'est pour cette raison que la Bourse de Toronto n'était pas vraiment une option à envisager.

Je n'essaie pas de critiquer le marché boursier canadien en disant qu'il y a aux États-Unis environ dix fois plus de gens, sensiblement plus riches que les Canadiens, dans les strates supérieures, de sorte que le bassin de capital dans n'importe quelle catégorie est dix fois plus grand. Autrement dit, s'il y avait dans les deux pays le même pourcentage de personnes disposées à risquer du capital dans une jeune société, elles seraient quand même dix fois plus nombreuses aux États-Unis. Ce n'est pas nécessairement que nous soyons plus prudents, c'est seulement que nous ne sommes pas aussi nombreux que les Américains.

Cette société ne présente de l'attrait que pour un étroit créneau du marché: ceux qui achètent des billets de loterie à 100 000 $, avec des chances de gagner et un rendement supérieurs à la moyenne. Ces gens sont prêts à parier qu'ils vont obtenir à peu près 20 fois leur mise ou alors qu'ils vont la perdre. Il y a aussi des gens de ce genre au Canada, mais ils sont plus nombreux aux États-Unis. Nous n'arriverons jamais à adopter des lois fédérales pour changer cette situation. C'est simplement la dynamique de la taille. Vous pourriez probablement ouvrir un bar pour fumeurs de cigares à New York et réaliser de bons bénéfices. Vous ne pourriez sûrement pas faire la même chose au Canada, parce que vous ne trouveriez tout simplement pas assez de clients pour survivre.

Ce n'est pas un problème structurel, même si la règle de trois ans de la Bourse de Toronto convient mal à une société d'instruments médicaux et probablement à d'autres aussi. Elle empêche la Bourse de Toronto d'avoir mauvaise réputation, mais elle impose inutilement des limites trop rigides. Même si nous avions pu respecter cette règle, je ne crois pas que nous aurions trouvé un bassin de capital assez grand au Canada.

Le sénateur Austin: Avez-vous eu des réactions négatives parce que c'est une société canadienne et que la fabrication se fait au Canada?

M. Bryden: Pas du tout. Les investisseurs veulent seulement savoir si la société va réussir et combien d'argent elle leur rapportera. Si vous pouviez trouver un moyen de breveter le diable, ils vous achèteraient des actions de l'enfer. Il y a bien un mouvement dit du financement éthique aux États-Unis, qui s'intéresse à cela. Toutefois, d'une façon générale, les gens agissent sur la base d'une analyse purement financière: l'entreprise est-elle légale et est-elle assez liquide? Y a-t-il une raison quelconque pour ne pas y placer de l'argent? Y a-t-il une politique nationale qui interdise l'entreprise aux États-Unis? Les autres facteurs ne comptent pas vraiment.

Peut-être les choses auraient-elles tourné autrement si nous n'avions pas appartenu aux secteurs technologiques à Ottawa. Nous avons bénéficié du fait que l'Institut de cardiologie d'Ottawa a bonne réputation. Il fait partie d'un groupe qui comprend la Cleveland Clinic et d'autres grands établissements des États-Unis. Nous avions de bonnes références. Les gens pouvaient demander des renseignements à la Cleveland Clinic, qui n'avait que des éloges pour notre travail. Nos médecins sont très connus, nous avions donc la crédibilité nécessaire. De plus, il y a des Américains qui ont réalisé de gros bénéfices à Ottawa en achetant des actions de certaines de nos sociétés de technologie lorsqu'elles étaient à leurs débuts.

Le président: Pourquoi vous a-t-il fallu attendre de 1992 jusqu'à avril 1996 pour constituer la société? Pourquoi cette attente de quatre ans? Y a-t-il un changement de la politique gouvernementale qui aurait pu raccourcir ce délai et accélérer le processus?

M. Bryden: Oui, la politique gouvernementale canadienne comporte une importante lacune, surtout dans le domaine médical. Il devrait être facile d'y remédier compte tenu de l'appui du public au financement de la recherche médicale et aussi du niveau de rendement possible.

Au Canada, l'attribution de fonds à la recherche médicale vise essentiellement la recherche fondamentale. Quand une invention commence à avoir une valeur commerciale, les subventions diminuent en même temps que la volonté d'aider l'entreprise. Si le projet est sur le point de réaliser des bénéfices, il doit être financé par des sources privées.

Dans la plupart des domaines, les pouvoirs publics robustes et indépendants des États-Unis financent très substantiellement les sociétés qui réussissent le mieux. Les Américains ont acheté l'industrie informatique par l'intermédiaire du secteur de la défense, ce qui explique que l'industrie du matériel informatique est absente dans notre pays. De même, ils sont en train d'acheter le secteur des instruments médicaux par l'intermédiaire des NIH. Les National Institutes of Health financent actuellement les essais cliniques de notre principal concurrent. Nous n'avons pas d'argent pour financer nos essais cliniques et je ne connais aucun endroit où je puisse aller en demander. Ce n'est vraiment pas la même chose aux États-Unis, où une société a un contrat avec les NIH pour ses travaux précliniques et une autre, qui s'occupe de systèmes cardiologiques, a obtenu une subvention directe non remboursable des NIH pour financer ses essais cliniques.

Ce qui a arrêté notre croissance entre 1992 et 1996, c'est que le produit était à cinq ans de l'étape des essais précliniques. Si on m'avait demandé d'investir dans un domaine financé par les NIH -- qui avaient alors distribué 400 millions de dollars aux meilleurs établissements des États-Unis -- et plus particulièrement dans un projet qui n'aurait aucune valeur commerciale avant cinq ans, j'aurais répondu que je ne savais pas quel taux d'escompte pourrait s'appliquer aux dollars à investir, parce qu'il ne s'agirait pas vraiment de dollars d'investissement.

Il y aura d'énormes retombées pour le secteur industriel canadien et pour notre système de soins de santé. Il en coûterait davantage pour garder en vie un patient dans sa dernière année qu'il n'en coûterait pour l'équiper d'un HeartSaver et lui administrer les traitements nécessaires. La personne pourrait ensuite reprendre une vie normale au lieu de mourir. Il y aurait d'énormes retombées pour le gouvernement. Toutefois, à mesure que le projet se rapproche du succès, les fonds publics diminuent. Les subventions gouvernementales s'arrêtent beaucoup trop tôt. Notre projet était immobilisé et nous étions presque prêts à vendre à une société américaine, qui aurait obtenu du financement des NIH pour procéder aux essais cliniques.

Il y a une grande lacune dans le financement des instruments médicaux au Canada. C'est l'une des raisons pour laquelle nous n'en fabriquons presque pas chez nous. Les chiffres sont insignifiants. J'espère que la World Heart Corporation va contribuer à bâtir ce secteur.

Nous venons de faire une nouvelle émission d'actions et tout est vendu. Toutefois, l'un des facteurs qui a influé sur le prix de l'émission est que lorsqu'un dollar est investi dans la World Heart Corporation, nous en dépensons une partie pour faire le travail de recherche nécessaire. Si vous placiez le même dollar chez l'un de nos concurrents aux États-Unis, ses travaux seraient financés par des subventions non remboursables des NIH. Un dollar investi dans l'une de nos actions ne vaut pas un dollar pour notre société, il ne vaut qu'environ 80 cents. Nous n'aurions pas dû avoir à payer les 20 cents restants parce qu'aux États-Unis, ils sont fournis à notre concurrent par le gouvernement, qui subventionne très fortement son industrie.

Il y a quatre mois, on nous a informés que les instruments médicaux n'étaient pas admissibles au programme Partenariat technologique Canada parce qu'il ne s'inscrivait pas dans le secteur de la biotechnologie. À notre demande, les Instituts canadiens de recherche en santé ont publié une définition disant: «Les instruments s'inscrivent dans le secteur de la biotechnologie. Ils constituent un moyen de traiter le plus complexe des organismes biotechnologiques, le corps humain.» Nous avons été exclus de ce programme.

Cela reflète le fait que notre dispositif n'est pas reconnu et que le secteur des instruments médicaux demeure ouvert. Ce sera un secteur qui connaîtra l'un des taux de croissance les plus élevés du monde. Le Canada a une chance d'être présent, mais, si nous gardons les bras croisés pendant cinq autres années, tout se retrouvera aux États-Unis, comme dans le cas de l'industrie informatique et de la plus grande partie de l'industrie aéronautique, que les Américains ont également achetée avec des fonds gouvernementaux.

Le sénateur Austin: Monsieur Bryden, comment arrivez-vous à concilier votre rôle de fiduciaire à titre de chef à la direction et d'administrateur avec le fardeau financier que cela représente de demeurer au Canada? Si la société allait s'établir aux États-Unis, vous pourriez récupérer les 20 p. 100 que vous avez mentionnés, offrir un meilleur rendement à vos actionnaires et aller plus loin avec les dollars que vous aurez réunis. Toutefois, vous-même et le sénateur Keon avez exprimé votre détermination à garder cette invention et les investissements au Canada. Pourquoi?

M. Bryden: Nous avons obtenu du financement public. Nous avons procédé à deux autres émissions, la seconde s'adressant aux institutions. Nous n'en avons pas offert du tout aux États-Unis. Après un an, une fois que nous avons surmonté un autre obstacle et accumulé suffisamment de liquidités, nous avons pu faire une deuxième émission totalisant 14 millions de dollars. Elle s'adressait uniquement aux institutions et presque entièrement aux institutions canadiennes. Nous avons également eu deux acheteurs européens.

Nous avons fait encore une autre émission, qui a pris fin mardi dernier. Il s'agissait d'une véritable transaction transfrontalière entre le Canada et les États-Unis. Nous ne nous étions pas inscrits en Europe. L'émission était destinée à 55 p. 100 aux investisseurs institutionnels et à 45 p. 100 aux investisseurs particuliers, avec une répartition de 60 à 40 entre le Canada et les États-Unis dans les deux groupes. Le marché canadien réagit bien. Il faut simplement l'aborder de la bonne manière.

Le sénateur Austin: La société est-elle cotée à la Bourse de Toronto?

M. Bryden: Oui. Lorsque nous avons déposé à la banque le produit de la vente des actions de l'année dernière, nous avions un financement suffisant pour trois ans, ce qui nous a permis de nous inscrire à la Bourse de Toronto.

Nous avons décidé de ne pas inclure une pilule empoisonnée. Il n'y a rien qui puisse prévenir un rachat, sauf de maintenir le prix assez haut pour que le rachat soit toujours trop coûteux. Les sociétés n'ont pas grandi et ne se sont pas enrichies en rachetant des biens à plus que leur valeur. Si nous savons faire valoir notre direction, notre technologie et notre taux de croissance sur le marché, les investisseurs paieront le prix pour nos actions qui, cotées séparément, vaudront ce qu'elles vaudront. Si Medtronic voulait nous racheter, elle aurait à payer double parce que les investisseurs se demanderaient pourquoi ils devraient vendre à une prime de 25 p. 100. Ils savent que, s'ils gardent les actions pendant trois mois, c'est ce pourcentage qu'ils peuvent gagner tout en conservant les actions. Si les investisseurs ont confiance dans la direction et dans la technologie et en arrivent à la commercialiser assez bien pour maintenir la valeur assez haut, alors on peut éviter un rachat jusqu'à ce que la société croisse suffisamment pour devenir trop coûteuse à acquérir.

Toutefois, si nous trébuchons, la société sera rachetée. C'est certain. Comme nous n'avons pas de pilule empoisonnée, les actionnaires savent qu'ils ont deux moyens pour gagner. Soit qu'une direction indépendante obtienne les résultats qu'ils souhaitent, soit que la société soit rachetée par une entreprise américaine subventionnée par les NIH. Jusqu'ici, cette réponse a été acceptable. Je crois que nous aurions eu beaucoup d'ennuis à assurer un financement public si nous avions inclus des pilules empoisonnées destinées à prévenir un rachat et si nous nous étions abrités derrière le drapeau canadien en imposant aux investisseurs de choisir entre le patriotisme et un bon rendement.

À long terme, je crois que nous pouvons produire le même genre de rendement au Canada. Nous allons de l'avant plutôt que d'attendre pour trouver des moyens d'obtenir des fonds gouvernementaux, parce que les retombées dans cette société particulière peuvent être très importantes. Il s'agit de recettes d'un milliard de dollars et beaucoup plus que cela encore en valeur boursière. Si vous avez la certitude d'avoir un procédé qui peut arriver à terme, alors cela n'a pas d'importance si quelqu'un est disposé à vous donner des subventions de 10 millions de dollars dans une année. Cela aurait une importance s'il n'y a pas d'autre choix que la subvention. Cela a également de l'importance pour beaucoup de sociétés qui n'ont pas la combinaison de facteurs que nous avons réunis dans World Heart, c'est-à-dire un parrain absolument extraordinaire et internationalement reconnu comme l'Institut de cardiologie et un marché qui, par lui-même, a des perspectives raisonnables de créer un équivalent canadien de Medtronic. Les investisseurs achètent nos actions parce que les retombées seront énormes. Elles seraient plus petites si le marché avait besoin de 200 millions de dollars. Il faut contrôler les coûts pour obtenir du financement parce que la valeur est modeste.

Sous différents aspects, nous sommes très particuliers, mais nous devons prendre le risque d'être la cible d'une tentative de rachat à n'importe quel moment, si le rythme auquel nous pouvons faire croître notre valeur boursière tombe en deçà du rythme que Medtronic réussirait à maintenir en absorbant simplement notre produit dans son entreprise.

Le président: Lorsque je vous ai demandé quels changements nous pourrions apporter à la politique gouvernementale, vous avez mentionné le financement de la recherche médicale lorsqu'elle est sur le point de produire une invention commercialisable. J'aimerais quitter le domaine médical pour un instant. Quelles leçons croyez-vous avoir apprises? Que feriez-vous, par exemple, si quelqu'un vous abordait aujourd'hui avec l'idée d'un nouveau logiciel ou d'une autre invention qui n'est pas un instrument, mais qui a plutôt une valeur intellectuelle? Quels changements de la politique gouvernementale seraient nécessaires pour accélérer ce processus, ou bien est-ce un processus complètement différent? Bien sûr, vous avez également de l'expérience dans d'autres domaines.

M. Bryden: Nous sommes ici au comité des banques. Certains indices montrent qu'un secteur financier qui est complètement géré par nos banques par l'intermédiaire de diverses filiales fonctionnelles -- qu'il s'agisse d'une branche de capital de risque, de courtage au détail, de courtage traditionnel, d'assurance ou de quoi que ce soit d'autre -- tend à pousser les jeunes sociétés vers le financement à risque privé, ce qui rapporte des rendements extrêmement élevés à ceux qui avancent le capital de risque.

Je crois qu'il y a une période dans la croissance des jeunes sociétés de biens intellectuels au cours de laquelle elles ont besoin de la flexibilité qui découle d'une gestion sans entrave pratiquée par leurs dirigeants, les visionnaires.

Si cela se produit, il est peu vraisemblable que les visionnaires puissent agir sans entrave si le financement vient de deux ou trois bassins de capitaux relativement importants. Les grands bassins vont nécessairement dicter des conditions assez strictes pour avancer de l'argent. Ils voudront plus de rationalité et de prévisibilité qu'il n'est sain d'en exiger aux premiers stades d'une entreprise.

Faciliter le financement public des entreprises risquées au Canada constituerait un énorme pas en avant. Ce n'est pas quelque chose que les souscripteurs aiment parce que les transactions sont petites et pas très lucratives. Il est bien sûr préférable de gagner 6 p. 100 sur 100 millions de dollars que sur 10 millions, parce que les risques et la quantité de travail sont probablement à peu près les mêmes.

Il est donc difficile de réaliser des transactions publiques. Toutefois, s'il existe un bassin de capital-risque pour l'achat d'émissions publiques de jeunes sociétés, personne n'aurait à prendre de trop grands risques. En général, les investisseurs placeraient leur argent et, s'ils n'aiment pas l'entreprise, ils pourraient trouver quelqu'un d'autre pour racheter leurs titres, peut-être à un prix décroissant. Avec le temps, un titre peut tomber à zéro, mais le risque est partagé et il y a une certaine liquidité.

Il est possible de répartir le risque sur un grand nombre de personnes plutôt que sur deux ou trois grands fonds. Cela modifie la façon de fonctionner des sociétés à capital-actions. Les visionnaires peuvent alors garder les rênes plus longtemps. Il arrive cependant un moment où la société a besoin d'une gestion structurée et d'autres qualités que les visionnaires n'ont pas nécessairement. D'ailleurs, un visionnaire intelligent reconnaîtra ce besoin et s'intégrera de bon gré dans une organisation plus structurée, ou alors il vendra la société.

À l'heure actuelle, notre bassin de capital-risque n'est pas trop petit. Il est même assez abondant, mais il a tendance à être assez cher, c'est-à-dire à exiger beaucoup d'actions en échange de l'argent offert. Les investisseurs sont également plus interventionnistes qu'il ne le faudrait pour assurer une saine croissance à de nouveaux produits et à de nouvelles idées.

Le président: Sont-ils plus interventionnistes qu'aux États-Unis?

M. Bryden: Pas plus interventionnistes que le secteur américain du capital-risque privé. Les deux secteurs sont absolument identiques. Toutefois, le capital-risque est disponible plus tôt aux États-Unis grâce aux fonds de petites capitalisations de Nasdaq. Il y a peut-être aussi des fonds régionaux que je ne connais pas.

Je participe actuellement à une société à petite capitalisation de Nasdaq qui fait du financement public aux États-Unis. Sa meilleure offre, ici au Canada, aurait été de trois millions de dollars à environ un huitième du prix par action. Nous réunirons plutôt 10 millions de dollars US à huit fois le prix par action. Nous le ferons en 90 jours, alors qu'il nous aurait fallu attendre interminablement si nous avions choisi l'autre voie.

Le sénateur Austin: Que pensez-vous des titres à vote plural ou à vote restreint? Est-il plus avantageux pour la plupart des petites entreprises de garder plus longtemps les dirigeants d'origine, ou bien cela décourage-t-il les investisseurs ou les sociétés de capital de risque?

M. Bryden: Personnellement, je n'aime pas les actions à vote plural. Il est possible de faire la distinction entre le rendement financier et le partage du pouvoir de décision d'une façon plus claire et plus franche en prévoyant des catégories d'actions. On peut avoir des actions privilégiées. La personne qui veut garder le contrôle n'obtiendrait peut-être pas un important rendement jusqu'à ce que les actionnaires de premier rang aient réalisé d'importants bénéfices.

Si vous êtes incapable de satisfaire la majorité d'un grand nombre d'investisseurs, vous ne pouvez pas conserver le contrôle de votre entreprise. Dans chacun des cas dont je suis au courant, où il a été nécessaire de recourir aux droits de vote, des tiers ont dit que l'usage du vote plural n'a servi ni les intérêts de la société ni ceux de l'investisseur.

En général, les sociétés qui ont le vote plural continuent à fonctionner dans l'harmonie et à réussir. Il y aurait autant d'harmonie et de succès sans vote plural parce que les gens ont confiance dans le chef et voteraient quand même pour lui s'ils avaient un droit de vote.

Lorsqu'une société est cotée en bourse, ses dirigeants prennent le risque de perdre le contrôle s'ils ne réussissent pas à satisfaire le public, à moins qu'ils ne se réservent des blocs d'actions leur permettant de conserver un certain contrôle.

C'est ce que nous avons fait au début dans World Heart. Entre moi-même, l'Institut de cardiologie, le Docteur Mussivand et Mike Cowpland, nous possédons moins de 50 p. 100 des actions, mais notre intérêt est assez important pour empêcher qu'un rachat puisse se faire sans notre consentement. Bien sûr, nous ne pourrons pas continuer indéfiniment parce que la société grandit, mais cela nous protège aux premiers stades.

Le sénateur Austin: Nous avons vu que les créateurs, les inventeurs de la nouvelle technologie ont besoin d'argent, mais ne veulent pas perdre le contrôle, et qu'ils choisissent donc de diviser les votes. Ils veulent dix voix pour chaque voix que les investisseurs obtiennent. Bien que, comme vous, je n'aime pas le vote plural, je veux mettre mon antipathie de côté pour voir si, en pratique, le vote plural est utile aux premiers stades d'une société.

M. Bryden: Le vote plural ne devrait pas être interdit par la loi, même s'il l'est à certains endroits. C'est un moyen qu'on devrait pouvoir utiliser aux premiers stades, peut-être dans le secteur du capital-risque privé.

Encore une fois, le vrai contrôle que des bailleurs de fonds exercent dans une jeune société ressemble à ce que les banques font lorsqu'elles prêtent de l'argent à une entreprise. Si vous avez besoin de trois dollars, elles vous en avancent deux. Si elles constatent que tout va bien, elles vont peut-être vous avancer le dernier dollar. De votre côté, vous savez que vous allez devoir revenir à la banque pour obtenir l'argent dont vous avez besoin et que la banque est aux commandes parce que vous voulez avoir ce dernier dollar.

Les bailleurs de capital-risque ne vont pas financer une société jusqu'à ce qu'elle réussisse. Ils vont plutôt la financer pour lui permettre d'avancer d'une étape. L'aspect contrôle surgit non à cause de leurs voix, mais parce que si ces bailleurs refusent de débourser davantage, la société aurait besoin de beaucoup de chance pour trouver d'autres investisseurs. Pourquoi des gens viendraient-ils mettre de l'argent dans une entreprise quand les bailleurs de fonds existants refusent d'avancer les sommes supplémentaires dont elle a besoin? Il faut donc satisfaire ceux qui sont venus en premier.

Vous devez également satisfaire le marché public. En général, il y a un prix auquel vous pouvez le faire, tant que vous publiez des rapports honnêtes. Le marché public ne pardonnera pas une déclaration trompeuse, mais il pardonnera presque n'importe quoi d'autre, d'après mon expérience. Tant que les faits sont clairs, vous pouvez en général recourir au financement public.

À ma connaissance, le maintien du contrôle par l'intermédiaire du vote plural ne fait pas tellement de différence. S'il est interdit par la Loi sur les sociétés par actions, il ne devrait pas l'être. Je ne crois pas qu'il le soit, mais il est peut-être interdit par les lois de certaines provinces.

Le sénateur Meighen: Au sujet de cette question de contrôle, certains témoins nous ont dit qu'aux États-Unis, les fondateurs de sociétés sont en général plus disposés que leurs homologues canadiens à céder une partie de leur contrôle dans le cadre d'émissions d'actions. Cela ne semble pas être le cas au Canada. À votre avis, est-ce que cela est une bonne chose ou une mauvaise chose? Est-ce dû aux dispositions de roulement qui permettent de vendre en réalisant un bénéfice sans avoir à payer d'impôt, à condition de réinvestir dans un autre placement admissible? Certains témoins nous ont dit que l'aspect négatif du roulement est qu'on favorise une industrie au détriment d'une autre, ce qui peut créer des distorsions. Bien sûr, la politique gouvernementale devrait tendre à éviter cela au Canada.

M. Bryden: Ce serait un grand pas en avant si nous pouvions modifier la règle relative aux placements admissibles. J'ai été moi-même investisseur tout en recherchant des investissements. Aux toutes premières étapes d'une entreprise, vous vous attendez à multiplier votre argent si la société réussit. Aux stades ultérieurs, la croissance peut encore se maintenir à 50 p. 100 par an. En général, la valeur boursière, une fois stabilisée, évoluera parallèlement au taux de croissance. Vous avez peut-être investi un million de dollars, qui valent maintenant 10 millions et qui croissent à un taux de 50 p. 100. C'est encore un excellent investissement.

Si vous vendez, cependant, les 10 millions de dollars n'en valent plus que 6, ou ce qui reste après l'impôt. Même si le propriétaire du capital aime prendre des risques, il a tendance à laisser son argent investi pour éviter d'avoir trop d'impôt à payer. Il a peut-être beaucoup d'autres possibilités de placement, mais il ne peut pas libérer ce capital. En fait, le flux de réinvestissement est épuisé.

Les nouvelles entreprises pourraient obtenir beaucoup plus d'argent si les investisseurs pouvaient y réinvestir les profits réalisés sur les premières étapes d'une autre société. Mais les bénéfices restent bloqués dans un fonds qui atteint la maturité et dont le rythme de croissance ralentit. Voilà le prix à assumer lorsqu'on ne paie pas l'impôt assez tôt.

Le sénateur Meighen: J'ai dit qu'aux États-Unis, on semble plus disposé à vendre les actions assez tôt, mais vous avez indirectement répondu à la question. Peut-être pourriez-vous y revenir plus tard.

Nous dites-vous que la politique gouvernementale devrait viser à étendre cette règle de roulement à tous les secteurs? Si j'avais inventé le meilleur parcmètre du monde et que j'essayais de le vendre, je ne serais pas admissible au roulement en vertu des règles américaines. Je l'aurais été si mon appareil s'inscrivait dans le secteur des technologies de l'information. Devrions-nous cibler certains secteurs ou bien étendre la règle à tous?

Dans quelle mesure l'impôt sur les gains en capital et l'ensemble de la situation fiscale découragent-ils l'investissement aux stades initiaux et intermédiaires de la croissance d'une société?

M. Bryden: Si vous changiez le pourcentage des gains de la Loto 6/49, vous constateriez probablement que les ventes resteraient les mêmes. Si le gros lot reste à plusieurs millions de dollars, les gens continueront probablement à acheter des billets malgré le changement du taux des gains.

Le sénateur Meighen: En plus, le gros lot n'est pas imposable.

M. Bryden: Cela est vrai. En ce qui concerne la recherche de capital-risque et de financement par actions, je ne suis pas du tout sûr qu'un taux d'imposition réduit des gains en capital modifierait la décision d'investir ou de ne pas investir. C'est un processus de décision différent. Vous ne savez pas au départ si vous allez doubler ou quadrupler votre argent. Si quelqu'un vous offre un multiple de quatre fois et demie grâce à un taux d'imposition réduit, est-ce que cela influera vraiment sur votre décision? Pouvez-vous même faire un calcul quelconque?

Je crois que ce serait un usage inefficace de l'argent. Je me demande vraiment si on modifierait d'une façon quelconque la disponibilité de fonds dans une catégorie de risque particulière en changeant le pourcentage du taux de rendement.

Le sénateur Kolber: Vous êtes le seul de cet avis parmi les témoins que nous avons reçus en huit jours d'audiences. Je trouve votre point de vue intéressant.

M. Bryden: Je suis convaincu que c'est vrai, parce qu'il s'agit d'une question très hypothétique. Bien sûr, je serais ravi de n'avoir aucun impôt à payer sur les bénéfices que je retire de World Heart, mais aurais-je pris des décisions différentes au sujet de mes investissements des dix dernières années si le taux d'imposition avait été différent? La réponse, c'est non parce qu'on porte un jugement sur les chances de gagner ou non. Il s'agit de multiplier son argent, pas de gagner un certain pourcentage de rendement. Je ne crois pas que le taux d'imposition modifie la nature du jugement porté.

Le sénateur Meighen: Je comprends votre point de vue, mais j'ai cru vous entendre dire que les Canadiens sont moins portés que les Américains à investir dans une société qui en est à ses premiers stades. Je ne pense pas que la seule raison réside dans la robustesse de l'économie américaine.

M. Bryden: Nous ne sommes pas nécessairement moins enclins à investir, c'est tout simplement qu'ils sont dix fois plus nombreux et qu'ils sont aussi plus riches. Leur bassin de capital a peut-être 15 fois la taille du nôtre. Dans le cas d'un investissement particulier, vous auriez 15 fois plus de gens, avec le même taux de réussite, qui seront disposés à placer de l'argent dans votre produit. Voilà pourquoi, comme je l'ai dit, vous pourrez ouvrir une boutique spécialisée à New York avec beaucoup plus de chances de succès qu'à Toronto, tout simplement parce que New York est beaucoup plus grand. Il est très possible qu'à Toronto, il y ait le même pourcentage de gens qu'à New York qui soient disposés à acheter votre marchandise, mais, en chiffres absolus, ils sont certainement moins nombreux. À ma connaissance, les Canadiens ne sont pas moins portés sur le risque que les Américains. En fait, les Canadiens sont très nombreux à acheter des billets de loterie.

Le sénateur Meighen: Pourriez-vous nous dire s'il faudrait étendre la règle du roulement à tous les secteurs ou s'il est préférable de n'en cibler que quelques-uns?

M. Bryden: Je n'ai pas d'opinion arrêtée sur cette question. Je crois qu'au Canada, une grande partie de la population active continuera à travailler dans les technologies d'arrière-garde plutôt que dans les technologies de pointe. Ces dernières sont très importantes, mais il y aura toujours plus de travailleurs au milieu et à la fin du cycle technologique qu'au début.

Si nous affectons une part disproportionnée de nos ressources aux secteurs de pointe, nous aurions des difficultés à adapter les possibilités d'emploi aux gens qui ont besoin de travail et nous financerions d'une façon excessive les secteurs dont le taux d'échec est le plus élevé. Je ne suis donc pas sûr qu'il serait sage de cibler uniquement les secteurs de pointe.

Je crois par ailleurs que nous devrions être en mesure de considérer à n'importe quel moment les principaux secteurs de croissance dans le monde. Il se trouve aujourd'hui que les deux plus grands secteurs de croissance sont les divertissements et les services de santé. C'est dans ces deux secteurs qu'ont été concentrées les plus grandes parts du revenu disponible dans le monde au cours des années 90, et la tendance se maintient. Le Canada devrait reconnaître cette situation et veiller à ce que nous ne soyons pas seulement de grands consommateurs de ces services. Nous devrions également en produire une part proportionnelle pour avoir les moyens de continuer à consommer.

D'une façon générale, nous avons tort de ne pas appuyer les industries médicales. Nous dépensons sans compter pour les services, mais nous ne faisons rien qui puisse nous aider à continuer à les payer, nous n'essayons pas de produire nous-mêmes les médicaments et les instruments médicaux dont nous devons nous servir.

Je pense en outre que nous avons tort de laisser le hockey quitter le Canada.

Le sénateur Kolber: Votre point de vue concernant l'impôt sur les gains en capital me surprend énormément. Cela me rappelle l'histoire du type qui veut jouer au poker. Ses amis lui disent que c'est un jeu malhonnête et il leur répond que c'est peut-être vrai, mais que c'est le seul jeu auquel il puisse jouer en ville.

Selon vous, les bailleurs de fonds canadiens qui ont du capital-risque à placer ont le jeu dans le sang et vont continuer à jouer même s'ils doivent payer 40 p. 100 d'impôt. Le corollaire, cependant, c'est sûrement que beaucoup de ces bailleurs de fonds quittent le pays. Vous avez dû aller à Nasdaq pour réunir votre première tranche de capital. Vos bailleurs de fonds américains n'avaient alors que 20 p. 100 d'impôt à payer. Les investisseurs canadiens, eux, doivent débourser 40 p. 100. Il y a là un grand déséquilibre.

M. Bryden: Je comprends bien que ce point de vue ne soit pas souvent exprimé de mon côté de la table, mais je vous dis que ces gens sont mordus et qu'ils vont jouer de toute façon.

Il y a toute une gamme de taux de rendement parmi lesquels les gens peuvent choisir, qu'il s'agisse de particuliers ou de groupes, comme ceux qui ont investi avec moi dans le Centre Corel et dans le club de hockey, c'est-à-dire la branche d'investissement de la Chase Manhattan Bank. Les gens peuvent opter pour un risque nul à un taux de rendement de 4,5 p. 100, ils peuvent acheter des actions de bonne qualité qui rapportent 7 p. 100 ou des actions de jeunes sociétés prévisibles qui produisent 15 p. 100. Dans cette situation, certains vont affecter une part de leurs fonds à des investissements pouvant doubler, quadrupler ou décupler leur mise.

Ces gens n'ont pas des capacités analytiques leur permettant d'évaluer si la probabilité est de deux ou de trois à un. Ils cherchent à atteindre un certain taux de rendement moyen. Ce taux moyen sera influencé par le taux d'imposition de l'endroit où ils exercent leurs activités.

Lorsqu'ils décident s'il convient ou non d'investir dans une jeune société, c'est-à-dire de placer du capital-risque pouvant rapporter cinq ou six fois la mise, ils doivent porter un jugement. À mon avis, ce jugement n'est pas influencé par la différence entre le taux d'imposition de 20 p. 100 aux États-Unis et les 36 p. 100 du Canada. Je ne crois vraiment pas que cet écart influe sensiblement sur le flux des fonds.

Dans l'ensemble, je ne pense pas qu'il manque de capital-risque au Canada. Le problème, à mon avis, c'est que nous avons un secteur structuré de capital-risque qui tend à ne pas investir dans toute une catégorie d'entreprises qui auraient pourtant besoin d'appui. S'il y avait un moyen de financer de petites transactions avec moins de risques et plus de liquidité, les gens auraient moins tendance à tout lâcher lorsqu'ils ne se sentent pas à l'aise et puis à vendre en laissant quelqu'un d'autre profiter d'un meilleur rendement. Cela modifierait d'une façon radicale la disponibilité de capital-risque dans ces catégories.

Le sénateur Keon: M. Bryden vient de dire qu'il ne manque pas de capital-risque au Canada. Cela est vrai, mais il n'en demeure pas moins que les gens qui ont fait des études médicales ou scientifiques ont d'énormes problèmes à accéder à ce capital-risque.

Tout le long de ma carrière, j'ai dû partager les subventions avec des hommes d'affaires parce que je ne savais rien du monde des affaires. J'espérais qu'ils s'occuperaient de l'aspect financier des choses parce que je n'en étais pas moi-même capable. J'ai pu survivre grâce à des gens comme M. Bryden.

Il n'y a pas de doute que beaucoup de mes pairs au Canada ont laissé de grandes découvertes et d'importantes technologies quitter le pays parce qu'ils ne savaient pas comment accéder à du capital-risque. Les gens commencent avec des subventions à la recherche fondamentale, puis passent à des subventions conjointes venant d'universités et d'établissements industriels, puis ne savent plus à qui s'adresser ensuite. Le capital-risque peut être très difficile à trouver.

Le sénateur Kroft: Lorsque vous avez fait votre première émission à Nasdaq, avez-vous eu recours à une banque d'investissement canadienne ou américaine?

M. Bryden: Nous nous sommes adressés à une banque américaine spécialisée dans les petites transactions visant le marché de détail. Nous avons également vendu une toute petite partie de l'émission au Canada. L'Institut de cardiologie est tellement connu que lorsque la rumeur concernant une émission d'actions de la World Heart Corporation a commencé à circuler, notre téléphone n'a pas dérougi à Ottawa. Les gens voulaient acheter des actions. Nous leur répondions qu'il fallait s'adresser à Nasdaq et nous leur donnions le numéro de téléphone. Cela les mettait en colère.

Nous nous sommes donc adressés aux agents de Merrill Lynch -- c'était alors Midland Walwyn -- pour leur demander s'ils voulaient s'occuper d'une toute petite transaction afin de nous permettre de vendre quelques actions au Canada. Certaines personnes se sentaient trahies parce qu'elles faisaient des dons à l'Institut de cardiologie depuis des années et qu'en dépit du fait que des actions étaient offertes, elles ne pouvaient pas en acheter. Midland a organisé pour nous une petite transaction au Canada et presque toutes les actions disponibles ont été vendues à des particuliers de la région d'Ottawa. L'émission de 10 millions de dollars US, c'est-à-dire 14 millions de dollars canadiens, a été organisée par une petite maison de courtage de New York.

Le sénateur Kroft: Même si nous nous sommes intéressés jusqu'ici aux dirigeants de cette entreprise, tant du côté scientifique que du côté financier, j'aimerais savoir combien de personnes vous employez au total dans ce projet?

M. Bryden: Il y en a environ 180, dont peut-être 95 à temps plein.

Le sénateur Kroft: J'aimerais explorer le lien entre ce projet et le potentiel de la société. Je m'intéresse également à la question de l'exode des cerveaux. Je suis fasciné par le fait que les Américains, contrairement à tous les autres, aient réussi à trouver un lien entre la science et l'entrepreneurship. Ils ont compris que ces deux mondes ne doivent pas rester isolés l'un de l'autre et qu'en les réunissant, on peut faire en sorte que deux plus deux fassent cinq ou même dix. Au Canada, nous avons traditionnellement adopté le point de vue selon lequel on ne peut pas vivre simultanément dans deux mondes.

Que faites-vous, que faudrait-il que nous fassions pour attirer des compétences et pas seulement les conserver? De toute évidence, vous avez réussi à attirer votre principal chercheur. Quel rôle cela joue-t-il lorsqu'il s'agit d'attirer ou de conserver des compétences scientifiques et techniques?

Le sénateur Keon: Vous venez d'aborder un sujet extrêmement important. World Heart réussit à garder ses compétences tout simplement parce que nous avons permis à nos joueurs de posséder des actions de la World Heart Corporation et que cela leur donne la possibilité de s'enrichir.

Nous avons recruté deux membres de la Cleveland Clinic, le Docteur Mussivand et un autre que je ne nommerai pas parce que la Cleveland Clinic a réussi à nous le reprendre. Lui aussi avait obtenu d'excellents résultats dans un autre secteur de l'Institut de cardiologie. Il s'était fait une réputation de chef de file mondial de ce secteur. Toutefois, la Cleveland Clinic a téléphoné un jour pour dire qu'elle voulait reprendre cet homme. Elle a mis sur la table une garantie de 1 million de dollars US. À ce moment, nous lui versions un salaire de 262 000 $.

Nous avons pu permettre au Docteur Mussivand d'investir dans la société, mais je ne suis pas autorisé à divulguer des détails parce que je suis le chef de la direction de l'Institut de cardiologie et que je me trouverais alors en situation de conflit d'intérêts. Nous pouvons permettre à des employés d'acheter des actions et le Docteur Mussivand en possède un bon paquet. C'est ainsi que nous le gardons au Canada.

Le sénateur Kroft: La même attitude règne-t-elle parmi vos jeunes chercheurs? Ont-ils une motivation relevant de l'entrepreneurship ou de la recherche du bénéfice et croyez-vous que cela influe, d'une façon quelconque, sur la pureté de leurs recherches scientifiques?

Le sénateur Keon: Non, pas du tout. Beaucoup de gens ont pensé que ce serait le cas, mais je ne l'ai jamais cru. Les chercheurs trouvent stimulant le fait qu'ils possèdent une partie des découvertes.

Le sénateur Kroft: Nous cherchons des moyens d'orienter la politique gouvernementale de façon à répondre aux besoins de nos jeunes scientifiques. Pouvez-vous proposer des politiques ou des concepts qui pourraient favoriser la commercialisation?

Le sénateur Keon: Il y a eu des tentatives dans ce sens ces dernières années. Je dois rendre hommage à John Manley pour le travail qu'il a fait dans ce domaine depuis qu'il est ministre de l'Industrie. Je lui en ai parlé assez souvent.

Il est important de créer un milieu dans lequel les scientifiques peuvent en quelque sorte avoir des contacts directs avec des gens comme vous-même, parce qu'ils n'ont aucune idée de la façon de trouver du capital-risque quand ils en ont besoin. Ils sont désemparés lorsqu'ils n'arrivent pas à faire progresser leurs découvertes au-delà d'un certain point et ils se trouvent alors obligés de vendre au plus offrant.

Nous devons songer à mettre en place des processus au Canada. J'y travaille depuis longtemps en essayant d'encourager le Conseil de recherches médicales à financer non seulement la science pure, mais aussi la science appliquée à la médecine et à l'industrie, de concert avec des partenaires industriels. Des gens comme M. Bryden font maintenant partie du conseil d'administration des ICRS et du Conseil de recherches médicales. Nous y arriverons petit à petit.

La finance est un monde étranger pour les jeunes scientifiques, qui n'ont aucune idée de la façon d'y accéder à moins qu'on ne crée pour eux ce milieu dont je parlais.

Il y a une quinzaine d'années, à l'Institut de cardiologie, nous avons décidé d'engager un agent d'affaires à plein temps dont la seule tâche était de parler à des gens comme M. Bryden des membres de l'institut et de leurs réalisations. Ils ont maintenant quelqu'un à qui parler. C'est ce qui nous distinguait de beaucoup d'autres établissements. C'est aussi la raison pour laquelle nous réussissons à obtenir un financement aussi énorme par rapport à notre taille.

Le sénateur Kroft: Nous nous engageons peut-être, je le crains, sur un terrain assez glissant. Je crois qu'un partenariat avec des universités, où se fait le gros de la recherche, présenterait un énorme potentiel par rapport à un partenariat avec des instituts indépendants. Cela refléterait davantage le modèle européen. Je vois toutes les possibilités qui peuvent surgir pour des coentreprises ou des interactions entre le monde industriel ou financier et les universités et instituts associés, qui stimuleraient la recherche et mettraient en contact les ressources humaines et financières.

Il y a eu, dans l'un de nos hôpitaux pour enfants, l'histoire de cette jeune femme médecin qui avait décidé au milieu de sa recherche qu'elle ne partageait plus l'enthousiasme de la société de produits pharmaceutiques pour un projet particulier. Il y a des dilemmes moraux de ce genre. Ils sont peut-être reliés à la biotechnologie parce que la recherche génétique suscite des inquiétudes.

Nous entendons parler des aspects négatifs de cette question, ce qui nous amène peut-être à nous demander si les universités peuvent, comme il se doit, demeurer des lieux de recherche pure et ne pas être perverties par le besoin de lever des fonds et de réaliser des profits. C'est un secteur stratégique qui m'intrigue. Qu'en pensez-vous?

Le sénateur Keon: Je ne crois vraiment pas que nous ayons à nous inquiéter de l'intégrité d'Oxford, de Cambridge, de Harvard, de Princeton, de Yale ou de l'UCLA. Ces universités font de la recherche depuis des années. Les universités du Canada viennent tout juste de commencer. Nous avons été gâtés au Canada parce que les gouvernements sont seuls à financer l'enseignement supérieur et la recherche, sans l'aide de partenaires industriels.

M. Bryden: On ne reconnaît peut-être pas assez la différence entre la recherche et le développement ou entre les différentes étapes de la technologie. La raison pour laquelle des entreprises comme St. Jude, Baxter, Medtronic et d'autres ont offert des sommes assez importantes à l'Institut de cardiologie au début des recherches, c'est qu'elles pensaient que l'institut pourrait produire des résultats. Elles voulaient donc être proches des travaux, savoir ce qui se passait et prendre les décisions appropriées en vue de participer à un ou plusieurs projets dès qu'ils auraient abordé l'étape du développement.

Ces entreprises n'essayaient pas d'influencer les travaux des chercheurs. Elles voulaient simplement s'assurer que le travail était fait. Si quelqu'un fait une découverte importante, alors elles entrent en action pour essayer d'en prendre possession d'une façon ou d'une autre.

Il me semble que c'est exactement là l'objet du financement de la recherche fondamentale: permettre et même favoriser une certaine liberté d'action et avancer les fonds nécessaires en s'attendant à ce que les grands efforts déployés aboutissent à des progrès significatifs. Ces progrès passent ensuite à une autre étape nécessitant des investissements ciblés. Si vous ne voulez pas que les gens portent leur attention sur les détails du produit en vue de le commercialiser, si vous préférez la recherche fondamentale, alors vous ne devriez pas vous intéresser à une société comme la World Heart Corporation. Vous devriez vous en tenir à la branche de recherche de la division des dispositifs cardiovasculaires et attendre le projet suivant. D'autres ingénieurs de notre usine vont prendre cela et en faire un produit commercialisable.

S'il y a une reconnaissance appropriée de la valeur de la recherche fondamentale, les industries qui la financent ne ressentiraient pas le besoin d'intervenir. En fait, c'est leur propre intérêt qui leur dicterait de ne pas le faire.

Le sénateur Kelleher: Monsieur Bryden, je suis intrigué par l'argument que le sénateur Keon a présenté. Selon lui, il y a suffisamment de capital-risque, mais les inventeurs et les innovateurs auraient beaucoup de difficulté à prendre contact avec les gens qui disposent de ces fonds. Je suis heureux d'entendre le sénateur Keon soulever cette question parce que c'est une chose que je propose depuis longtemps. Cela semble constituer un véritable problème.

Le sénateur Keon a-t-il des suggestions précises sur la façon dont nous pourrions aider des gens comme lui-même à obtenir des capitaux? J'ai déjà proposé qu'on organise un cours. Je ne parle pas d'une maîtrise en administration de trois ans, mais d'un petit cours pouvant permettre à ces gens d'apprendre comment accéder au capital-risque. Avez-vous des suggestions précises à formuler, sénateur Keon?

Le sénateur Keon: Un cours de ce genre pourrait être utile. On pourrait inclure dans les programmes d'études scientifiques des conférences que viendraient donner des hommes d'affaires. Cela permettrait d'établir certains contacts.

Je fais depuis un certain temps des efforts pour que des hommes d'affaires fassent partie du conseil d'administration de différents organismes scientifiques. Les scientifiques s'opposent à l'idée. Ils craignent une contamination de la science pure. Toutefois, nous ne pourrons pas devenir compétitifs à l'échelle internationale à moins de faire cela, parce que les scientifiques resteraient isolés.

Le sénateur Kelleher: J'ai remarqué en lisant les journaux ces derniers temps que le ministère du Patrimoine canadien a beaucoup d'argent à consacrer à toutes sortes de projets. Lui avez-vous présenté une demande de financement?

Le sénateur Keon: Non, je ne l'ai pas fait. Je vais cependant y penser.

Le sénateur Austin: Ayant écouté les témoins, je crois que nous devrions envisager d'inviter des représentants de deux autres sociétés, Ballard et QLT. QLT est l'entreprise du Docteur Julia Levy. Les deux essaient de faire leur chemin simultanément dans le domaine scientifique et dans le secteur des marchés de capitaux.

Comme mon collègue, le sénateur Kelleher, s'est déjà aventuré sur la voie de la plaisanterie, je vais l'y suivre. Je croyais, compte tenu des réalisations des Sénateurs d'Ottawa cette année, que vous auriez, monsieur Bryden, d'autres perspectives pour la World Heart Corporation si vous vous rapprochiez de trop près de la coupe Stanley.

M. Bryden: C'est pour cette raison que nous avons décidé de nous retirer très tôt. C'était exclusivement dans l'intérêt de la santé de nos citoyens.

Le sénateur Richard H. Kroft (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Je voudrais vous exprimer mes remerciements les plus sincères. Nous avons eu une matinée extrêmement intéressante. Nous espérons avoir l'occasion de tirer les leçons de ce que nous avons appris ici.

La séance est levée.


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