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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 12 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 20 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été déféré le projet de loi C-29, Loi portant création de l'Agence Parcs Canada et apportant des modifications corrélatives à certaines lois; et le projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi sur les parcs nationaux (création du parc national Tuktut Nogait), se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour étudier lesdits projets de loi.

Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je vous signale que notre ordre du jour est chargé ce matin.

Nous traiterons d'abord du projet de loi C-29. Je crois que vous avez sous les yeux le quatrième rapport du comité que je me propose de déposer à la Chambre cet après-midi s'il vous plaît de l'agréer.

Si je ne m'abuse, le rapport fait ressortir les préoccupations dont on nous a fait part lors de nos audiences publiques sur le projet de loi C-29, Loi portant création de l'Agence Parcs Canada. Si vous le voulez bien, prenons un instant pour nous assurer que le rapport reflète bien les conclusions que nous avons tirées à l'issue de nos audiences publiques.

Quelqu'un veut-il faire une remarque?

Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur le président, j'ai eu l'occasion de lire le rapport à l'étape de l'ébauche. Il m'est tout à fait acceptable. Je n'ai aucune remarque à faire ni aucune question à poser. C'est du beau travail.

Le président: Dans ce cas, sénateur Fitzpatrick, pourriez-vous en proposer l'adoption?

Le sénateur Fitzpatrick: Je propose l'adoption du rapport, monsieur le président.

Le président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: Je déposerai le rapport cet après-midi.

Nous comptons proposer des amendements au projet de loi qui refléteront les recommandations figurant dans le rapport. La Chambre en sera saisie cet après-midi ou demain après que nous aurons donné le préavis nécessaire. Certains d'entre nous sont convaincus que les recommandations figurant dans le rapport méritent de faire l'objet d'amendements.

Honorables sénateurs, passons maintenant à l'étude du projet de loi C-38 portant création du parc national Tuktut Nogait. Notre premier témoin d'aujourd'hui, que les membres du comité connaissent bien, est M. Kevin McNamee de la Fédération canadienne de la nature.

Monsieur McNamee, vous avez la parole.

M. Kevin McNamee, directeur de la campagne des terres non protégées, Fédération canadienne de la nature: Honorables sénateurs, je me propose de faire ressortir les points saillants du mémoire dont copie vous a été remise.

Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de vous entretenir de la création du parc national Tuktut Nogait. Je travaille depuis environ 15 ans dans le domaine de la création et de la gestion des parcs nationaux. Notre réseau de parcs nationaux est l'un des meilleurs au monde.

La Fédération canadienne de la nature est un organisme national oeuvrant dans le domaine de la protection de la nature, qui compte plus de 40 000 membres et partisans répartis dans tout le Canada, y compris dans le Nord. Le programme de préservation des terres non protégées vise l'achèvement, d'ici l'an 2000, du réseau national de parcs terrestres.

La création du parc national Tuktut Nogait constitue une étape importante dans la progression vers cet objectif auquel ont souscrit les principaux partis politiques représentés à la Chambre des communes.

La Fédération canadienne de la nature appuie l'adoption du projet de loi C-38 sous sa forme non modifiée. Le projet de loi crée finalement le parc national de Tuktut Nogait sous le régime de la Loi sur les parcs nationaux. Il met également en oeuvre l'article 3.1 de l'accord Tuktut Nogait de juin 1996 créant un parc national, lequel énonce que le gouvernement «prendra les mesures nécessaires pour ajouter le parc à l'annexe des parcs nationaux figurant dans la Loi sur les parcs nationaux». Lors de l'assemblée générale annuelle de 1998, les membres de la Fédération canadienne de la nature ont adopté à l'unanimité une résolution pressant le Sénat du Canada d'adopter le projet de loi C-38 sous sa forme présentée.

Nous exhortons également le Sénat à ne pas appuyer le projet visant à exclure 410 kilomètres carrés de ce parc national pour les raisons suivantes. Nous nous opposons d'abord à ce projet en raison de l'incidence négative possible de l'exploitation de gisements minéraux sur les aires de mise bas de la harde de caribous de Bluenose. Deuxièmement, en amputant le parc de ce territoire, on en amoindrirait la valeur écologique et récréative. Enfin, cette décision établirait un précédent qui ne manquerait pas d'avoir des conséquences pour les autres zones protégées, tant fédérales que provinciales, et notamment pour les sept parcs nationaux qui ne sont pas encore régis par la Loi sur les parcs nationaux.

J'aimerais vous parler brièvement des attributs du parc national Tuktut Nogait pour que vous en compreniez mieux l'importance.

Tuktut Nogait sera le dernier-né des parcs nationaux canadiens. Sa superficie de 16 340 kilomètres carrés le classe au cinquième rang des parcs nationaux du Canada. Le parc est situé au sud de la mer de Beaufort dans les Territoires du Nord-Ouest, dans la région désignée du règlement de la revendication foncière des Inuvialuits. Le parc préserve la région naturelle des collines de la toundra, l'une des 39 régions naturelles que Parcs Canada cherche à représenter dans son réseau de parcs.

Le parc joue un rôle essentiel dans la préservation de la diversité de la faune canadienne en protégeant la harde de caribous de Bluenose ainsi que d'autres espèces animales.

En 1992, le Service canadien de la faune a répertorié certaines des caractéristiques exceptionnelles du parc. Premièrement, la partie centrale des collines Melville n'a pas été touchée par la glaciation au cours de la dernière période glaciaire. Elle a donc servi de refuge à la faune, ce qui en fait une région unique en son genre dans la partie continentale de l'Arctique.

Deuxièmement, presque tous les petits et grands cours d'eau qui proviennent des terres hautes ont creusé de profonds canyons dans le substratum rocheux, créant ainsi des paysages spectaculaires.

Troisièmement, les collines Melville sont d'importantes aires de mise bas de la harde de caribous de Bluenose dont la protection est, selon les mots du rapport, «essentielle à la préservation de l'espèce».

Quatrièmement, le parc abrite une population importante de faucons pèlerins, une espèce menacée.

Le caractère unique de ce parc national tient également au fait que sa création a été proposée par les habitants de la région. Dans la plupart des cas, c'est le gouvernement fédéral qui désigne les régions destinées à devenir des parcs nationaux. Les représentants des Inuvialuits ont préféré l'option du parc national à deux autres options de conservation, à savoir la mise en oeuvre de mesures de protection du caribou et une réserve faunique nationale. Ils ont choisi l'option du parc national parce qu'elle permettait de prévenir le développement industriel.

La Fédération canadienne de la nature appuie la création de ce parc national depuis 1990. Nous nous sommes notamment efforcés de faire connaître son importance écologique et culturelle à la population canadienne ainsi qu'à ses dirigeants politiques et de promouvoir l'idée de soustraire le parc au développement industriel. À l'invitation des principaux intéressés, nous nous sommes rendus à Paulatuk pour participer aux célébrations marquant la signature de l'accord créant le parc en 1996. Nous avons également fait connaître notre appui au projet de loi C-38 au comité permanent du patrimoine canadien.

Avant que je vous explique pourquoi nous nous opposons à l'exclusion d'une parcelle de terrain du parc, nous tenons à préciser que nous témoignons aujourd'hui devant le comité avec une certaine inquiétude puisque notre position à ce sujet va à l'encontre de celle des dirigeants inuvialuits. Nous tenons cependant à souligner le leadership exercé par les Inuvialuits dans le domaine de la conservation et de la création de parcs nationaux.

Nous devons aux Inuvialuits l'aménagement de trois parcs nationaux représentant près de 40 000 kilomètres carrés, soit 17 p. 100 du réseau actuel des parcs nationaux canadiens. Tuktut Nogait existe avant tout parce que les habitants de Paulatuk l'ont voulu. La FCN considère l'accord créant le parc national Tuktut Nogait comme un accord modèle. Il est le fruit du consensus qui s'est dégagé des consultations individuelles menées auprès des résidents de Paulatuk, lesquels ont donné à leurs dirigeants le mandat de négocier la création d'un parc. Le parc est également le fruit de sept ans de consultations et de négociations entre les gouvernements fédéral et territorial. Les cérémonies de signature de l'accord à Paulatuk et la présentation de l'accord au World Conservation Congress en 1996 ont bien fait ressortir à quel point les habitants de Paulatuk sont fiers de leur parc.

Permettez-moi maintenant de vous entretenir du projet qui consiste à exclure une parcelle de terre du parc. En juin 1998, la Chambre des communes a rejeté un amendement au projet de loi C-38 visant à exclure environ 415 kilomètres carrés de ce parc. Cette superficie est équivalente à la taille des parcs nationaux Terra Nova, Kejimikujik ou des Lacs-Waterton.

Le projet susmentionné vise à permettre à la Darnley Bay Resources Limited de Toronto de faire de la prospection dans le parc et d'y exploiter éventuellement une mine dans le secteur clairement représenté sur la première carte, à la page 4 de notre mémoire.

La partie du parc en question représente environ 2,5 p. 100 de la superficie totale du parc. Il ne faudrait cependant pas en conclure qu'une partie aussi petite du parc ne peut présenter un grand intérêt écologique. En réalité, c'est l'inverse qui est vrai et c'est pourquoi nous nous opposons à ce projet.

Permettez-moi de vous donner certaines des raisons qui motivent l'opposition de la Fédération canadienne de la nature au projet en question.

Premièrement, le secteur visé du parc fait clairement partie des principales aires de mise bas de la harde de caribous de Bluenose. Des observations faites sur le terrain et des données recueillies par radio et par satellite confirment que le secteur a servi et sert toujours d'aire de mise bas, ou de nursery, pour la harde de caribous de Bluenose. Bien que les aires de mise bas changent quelque peu d'une année à l'autre, elles se concentrent surtout dans cette région du parc.

L'ébauche du plan de cogestion de la harde de caribous de Bluenose renferme un passage important dont la pertinence est tout à fait évidente. On y énonce ceci:

... les habitats les plus importants de l'ensemble des pâturages fréquentés par la harde de caribous de Bluenose et ceux qui sont les plus vulnérables sont les aires qu'ils fréquentent avant, pendant et après la mise bas.

Deuxièmement, la valeur de cette partie du parc repose aussi sur d'autres caractéristiques écologiques et récréatives. Ainsi, une partie de la vallée de la rivière Hornabay traverse la région visée. La perte de cette partie du parc entraînerait d'importantes conséquences néfastes puisque la rivière est le lieu de frai de l'omble chevalier et contient des falaises qui servent de lieu de nidification aux faucons pèlerins. Cette vallée constituerait aussi sans doute la principale voie d'accès au parc.

Troisièmement, la Commission géologique du Canada a informé, en 1994, les parties à l'accord créant le parc national Tuktut Nogait ainsi que les tenants de la conservation au sein de l'industrie minière qu'elle avait attribué un potentiel minier allant de modéré à élevé à l'anomalie de la baie Darnley située à l'intérieur des limites du parc, comme l'indique la carte figurant dans notre mémoire. Ressources naturelles Canada nous a informés au début de juin 1994 que cette évaluation se fondait sur de nouveaux renseignements obtenus de sociétés minières entre 1992 et 1994.

L'accord Tuktut Nogait de 1996 incluait donc délibérément une partie de l'anomalie de la baie Darnley à laquelle on avait attribué un potentiel minier allant de modéré à élevé. Je ne suis ni géologue ni spécialiste des évaluations minières. Or, lorsque je lis les rapports publiés au moment de la signature de l'accord et ceux que la Darnley Bay Resources Limited a publiés par la suite, je conclus que l'information recueillie dans le cadre du levé aéromagnétique de 1997 portant sur la baie Darnley -- sur lequel se fonde la demande visant à changer la configuration du parc -- confirme ce qu'on savait déjà en 1994, c'est-à-dire que le potentiel minier de cette partie du parc est élevé.

La modification des limites du parc national Tuktut Nogait pour permettre l'exploitation minière d'une partie de celui-ci convaincrait les promoteurs qu'il est possible d'exploiter certaines parties des parcs nationaux qui ne sont pas régis par la Loi sur les parcs nationaux. Si l'exclusion d'une partie du parc Tuktut Nogait est permise, on peut s'attendre à la présentation de demandes semblables au sujet des sept autres parcs nationaux qui ne sont pas assujettis à la Loi sur les parcs nationaux. Je fais ici allusion aux parcs nationaux Pacific Rim, Pukaskwa, Gros Morne, Prairies, Péninsule-Bruce, Wapusk et Aulavik qui représentent au total 13 p. 100 du réseau des parcs nationaux.

Permettez-moi de faire une dernière observation. Pour certains, l'alternative est la suivante: le parc national actuel ou une mine. Pour ma part, voici le message que je veux laisser au comité. L'adoption du projet de loi C-38 sous sa forme non modifiée préservera un magnifique paysage sauvage nordique ainsi que la faune qui y habite et permettra aussi la mise en oeuvre d'un programme de prospection minière dans les zones au potentiel minier prometteur.

L'anomalie de la baie Darnley est située, dans une proportion de plus de 80 p. 100, à l'extérieur du parc national. Son développement minier ne pose aucun problème. En fait, des sept emplacements présentant le potentiel minier le plus élevé mentionnés dans le levé aéromagnétique effectué en 1997 par la Darnley Bay Resources, un seul se trouve à l'intérieur du parc. Les autres sont à l'extérieur de celui-ci. Je vous signale que l'un de ces emplacements est sous-marin. Je ne pense cependant pas que nous soyons déjà en mesure de vider la mer de Beaufort.

D'après une mise à jour du levé faite le 8 janvier 1998, la Darnley Bay Resources situe le secteur minier le plus prometteur dans le centre de la région faisant l'objet du levé, laquelle se trouve à l'extérieur du parc. Cette mise à jour mentionne que le gisement pourrait se trouver à quelques mètres seulement de la surface. En outre, l'anomalie qui se trouve dans le parc n'est pas aussi magnétique que la plupart des anomalies à l'extérieur de celui-ci et est «plus profonde que les autres», c'est-à-dire qu'elle se situe à 500 ou 600 mètres de profondeur. Je ne dis pas ici que ce gisement n'est pas exploitable, mais simplement que d'après le levé de la société minière, il est plus profond que les autres.

Dans une lettre qu'elle faisait parvenir à ses actionnaires en avril 1998, la Darnley Bay Resources Limited signalait que les géophysiciens consultés ont conseillé de poursuivre la prospection minière dans deux secteurs cibles tous deux situés à l'extérieur du parc national. L'objectif de ces travaux est de cerner de huit à douze emplacements de forage. Si l'on en juge par l'information rendue publique, il serait possible d'exploiter des gisements miniers situés à l'extérieur du parc. Le parc sous sa forme actuelle et la mine projetée peuvent donc coexister.

Enfin, la société minière se propose de prélever des roches, des sédiments fluviatiles ainsi que d'autres échantillons miniers à l'intérieur des limites du parc national Tuktut Nogait. Dans une lettre rendue publique, le conseil de gestion du parc Tuktut Nogait se prononçait contre la prospection minière et le prélèvement de carottes d'échantillons à l'intérieur du parc. En outre, il recommandait que le gouvernement fédéral considère Tuktut Nogait comme un parc national créé en vertu de la loi et respecte l'engagement qu'il a pris de le protéger sous le régime de la Loi sur les parcs nationaux. En adoptant le projet de loi C-38, le gouvernement respectera cet engagement.

En conclusion, la Fédération canadienne de la nature recommande au comité sénatorial de faire rapport du projet de loi C-38 sans amendement, ce qui assurera la protection du parc national Tuktut Nogait.

Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Adams: Je suis heureux de vous revoir, monsieur McNamee. Je me rappelle avoir travaillé avec vous sur le dossier du parc de Banff. Je me souviens que nous avons parcouru en autobus un trajet fort plaisant qui nous a amenés de Calgary à Banff et au lac Louise.

Vous nous avez dit que votre organisme comptait 40 000 membres, n'est-ce pas?

M. McNamee: La Fédération canadienne de la nature compte en effet 40 000 membres et partisans. Ce chiffre comprend les personnes qui ont adhéré à notre organisme et qui participent à ses divers programmes.

Le sénateur Adams: Quel pourcentage de vos membres viennent de la région des Inuvialuits?

M. McNamee: Je ne pourrais pas vous donner de chiffre exact, mais ce pourcentage est certainement très faible.

Le sénateur Adams: Je n'ai jamais entendu parler de votre organisme dans les territoires. Que savez-vous au juste au sujet des aires de mise bas du caribou situées dans le parc?

M. McNamee: Les renseignements dont nous nous sommes servis pour préparer notre mémoire ont été recueillis au fil des ans par le Service canadien de la faune. Ils proviennent de plusieurs études sur lesquelles repose l'ébauche de plan de gestion de la harde de caribous de Bluenose qui a été soumise pour commentaires aux 14 localités qui en tirent leur subsistance. Ces renseignements proviennent donc d'études scientifiques.

En outre, les limites du parc ont été clairement choisies pour protéger les aires de mise bas de la harde de caribous de Bluenose. Les renseignements qui figurent dans notre mémoire proviennent d'études scientifiques menées et rendues publiques au fil des ans.

Le sénateur Adams: Je ne voudrais pas qu'on effraie les caribous et qu'on les amène à s'éloigner. Je sais d'expérience qu'ils resteront sur les lieux si on ne les dérange pas. Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que les caribous du Yukon migrent aussi loin? Savez-vous quel pourcentage de la harde de caribous de Bluenose migre jusque dans cette région pour mettre bas au printemps?

Je me préoccupe aussi du règlement des revendications territoriales, de la préservation des réserves pétrolières et gazières et de l'exploitation des gisements miniers.

M. McNamee: Je ne saurais vous dire exactement quel pourcentage de la harde de caribous migre jusque dans cette région, mais je sais que les biologistes sont d'avis que c'est dans la région précise qu'on voudrait exclure du parc que les caribous reviennent le plus fréquemment mettre bas. Ils ont une préférence marquée pour cette partie du parc.

Survoler ou traverser une région ne revient pas nécessairement à en modifier l'habitat. L'exploitation minière change inévitablement l'habitat. Les scientifiques ont établi que dans le sud du Canada, les activités forestières et minières notamment ont modifié l'habitat du caribou et provoqué une diminution des hardes.

Les Inuvialuits et les écologistes s'opposent aux sociétés américaines qui souhaitent faire de l'exploration pétrolière et gazière dans les aires de mise bas de la harde de caribous de la Porcupine que le Canada partage avec l'Alaska parce que les recherches menées sur plusieurs décennies ont permis d'établir que toute perturbation des aires fréquentées par les caribous pendant la mise bas et après celle-ci a une incidence négative sur la harde.

De la même façon, des études menées par le gouvernement américain sur les autres hardes de caribous vivant près de la baie Pruhoe confirment la présence dans cette région des caribous, lesquels, comme l'a un jour fait remarquer le président George Bush, «se frottent» au pipeline. Les études ont également permis d'établir que le pipeline avait eu une incidence sur la harde; elle a vieilli, n'est pas aussi vigoureuse que par le passé et a du mal à se renouveler.

Les données scientifiques recueillies au fil des décennies m'apparaissent montrer que la perturbation de l'habitat du caribou nuit à la harde de caribous, et c'est ce qui nous préoccupe.

Le président: La région que fréquentent les caribous est cependant grande, n'est-ce pas, monsieur McNamee? Soutenez-vous que certaines études montrent que la région visée présente pour eux une plus grande importance que d'autres régions?

M. McNamee: Non, je ne soutiens pas que la région qu'on propose d'exclure du parc est plus importante pour les caribous que les régions avoisinantes. Ce n'est pas l'impression que j'ai voulu donner. Les études scientifiques que nous avons consultées ne tirent pas cette conclusion. Elles établissent cependant que cette région fait partie des principales aires de mise bas pour lesquelles la harde de caribous de Bluenose montre une préférence marquée depuis des années. La limite en elle-même n'a pas d'importance particulière, mais elle se situe au beau milieu d'une région très spéciale.

Le président: Si les gens de cette région qui vont comparaître devant nous aujourd'hui et qui, si je ne m'abuse, ont participé de très près à la négociation de cet accord en 1984, disent que l'information dont ils disposent maintenant -- et dont ils ne disposaient pas alors --, leur permet d'affirmer que l'exploitation minière de cette région ne serait pas nocive pour la harde de caribous, nous faudra-t-il conclure qu'ils se trompent?

M. McNamee: Je ne veux pas laisser entendre que les parties qui sont d'accord avec l'exploitation minière de cette partie du parc se trompent. Je ne fais que faire valoir qu'on savait déjà à l'époque où les limites du parc ont été établies que cette région présentait un potentiel minier allant de modéré à élevé.

Le sénateur Butts: Si je vous comprends bien, vous dites que ce parc, créé à l'initiative des Inuvialuits, présente le même potentiel minier que celui qui était connu au moment où ses limites ont été établies et que les derniers levés ne font que confirmer les levés antérieurs. Avez-vous une idée de ce qui aurait amené les Inuvialuits à changer d'avis?

M. McNamee: Leurs représentants seront mieux à même de vous le dire. J'ai cependant ma petite idée. J'ai participé à ce qu'on a appelé «l'initiative minière de Whitehorse». Pendant 18 mois, des groupes environnementaux, les ministères des Mines des gouvernements visés, l'industrie minière, les syndicats et des organismes autochtones se sont réunis pour discuter des différents éléments qui constituaient, de l'avis de l'industrie minière, des obstacles à l'exploitation de nouvelles mines.

J'ai eu l'occasion à ce moment de rencontrer des gens très intéressants de qui j'ai beaucoup appris. Quand on veut exploiter une mine dans le Nord, il est de toute évidence très difficile d'intéresser des investisseurs au projet. Je suis convaincu que la Darnley Bay Resources veut montrer aux investisseurs qu'elle peut avoir accès à toute l'anomalie de la baie Darnley, ce qui ne ferait qu'accroître la rentabilité du projet. Les premiers levés montrent cependant que les régions présentant le potentiel minier le plus élevé sont situées à l'extérieur du parc.

Nous savons la vitesse à laquelle circulent les capitaux aujourd'hui et on veut peut-être ainsi assurer les investisseurs de la rentabilité du projet.

Je vous signale qu'il ne s'agit cependant que de pures spéculations de ma part.

Il est aussi bien évident qu'il faut créer des emplois dans le Nord. C'est d'ailleurs une nécessité. Le projet présente donc un très grand intérêt pour les habitants de la région.

Le sénateur Butts: Le parc ne créera-t-il pas des emplois dans le Nord?

M. McNamee: C'est certainement ce qui est prévu. Je sais que le secrétaire d'État aux parcs a informé le comité permanent du patrimoine canadien qu'il comptait réserver 10 millions de dollars à ce parc. J'espère que vous demanderez au secrétaire de respecter cet engagement. Le parc créera certainement des emplois pour les habitants de la région. Reste à voir combien il en créera. Je crois que les emplois créés ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Pour ce qui est des emplois que pourrait créer une mine, il faudra encore attendre plusieurs années avant de savoir si une mine sera exploitée, si le prix des produits de base augmentera et si le dumping sur le marché de métaux en provenance d'autres pays ne compromettra pas la capacité du Canada à exploiter les ressources minières de cette région.

Le sénateur Butts: S'agit-il ici de pétrole, de gaz et de diamants comme certaines personnes l'ont laissé entendre ou s'agit-il plutôt de minéraux? À la baie Voisey, on ne semble pas trop s'intéresser à l'exploitation des minéraux.

M. McNamee: Il s'agit de minéraux.

Le sénateur Butts: Cela doit faire une différence.

Le sénateur Gustafson: Je suis un agriculteur du sud de la Saskatchewan où les caribous broutent dans les champs de blé. J'ai vécu toute ma vie dans le sud de cette région et je n'en avais jamais vu. La loi interdit aux agriculteurs de leur toucher et nous avons appris à vivre avec eux. Mon fils a eu leur visite chez lui et j'ai pensé, aux traces qu'ils avaient laissées, que c'étaient des chevaux.

Les cerfs posent le même problème. Lorsque les hivers sont difficiles, les hardes de cerfs comptent jusqu'à 500 têtes. Les agriculteurs leur donnent des céréales et du foin.

Ma question fait suite à celle du sénateur Adams. L'exploitation réglementée d'une mine nuirait-elle vraiment à cette harde?

M. McNamee: Notre mémoire vous renseigne à ce sujet. L'ébauche de plan de gestion du caribou précise qu'il est difficile d'établir exactement l'impact qu'aurait le développement industriel sur la harde de caribous de Bluenose. Voici ce qu'énonce l'ébauche de plan de gestion:

les conséquences possibles de la perturbation de l'habitat des caribous et de leurs pâturages par des activités humaines comme la prospection pétrolière et gazière et l'exploration et l'extraction minières sont inconnues.

L'ébauche de plan établit cependant que les aires de mise bas sont les aires les plus vulnérables aux perturbations et que les études menées sur d'autres hardes de caribous le confirment. On se préoccupe beaucoup aussi de l'effet de l'exploitation d'une mine de diamants dans cette région sur la harde de caribous de Bathurst. De nombreux scientifiques sont d'avis que nous devrions faire preuve de grande prudence dans ces régions puisque ce sont celles qui peuvent le moins tolérer les perturbations. L'état actuel de nos connaissances ne nous permet cependant pas d'établir quelle sera l'ampleur exacte du problème.

Je ne pense pas qu'on puisse comparer l'habitat du cerf ici à l'habitat du caribou dans le Nord. Les caribous retournent clairement au même endroit pour mettre bas dans le Nord. Il est bien connu qu'on trouve des cerfs un peu partout et que ces animaux peuvent s'adapter à des habitats qui ne sont pas leur habitat naturel. Nous savons qu'on trouve des cerfs dans plusieurs parcs nationaux du Canada où l'on ne devrait pas en trouver. On limite la population de cerfs au parc national de la Pointe-Pelée et on compte aussi le faire dans le parc-réserve national Gwaii Haanas en raison du tort qu'ils causent à l'habitat naturel. Ils détruisent cet habitat. Ils entraînent la disparition de certaines espèces menacées d'extinction au parc national de la Pointe-Pelée.

On ne peut pas conclure que si les cerfs peuvent survivre dans un habitat qui a été perturbé, les caribous feraient de même. Cette comparaison n'est pas possible.

Le président: Pouvez-vous nous donner des exemples de cas, monsieur McNamee, où la prospection ou le développement ont été préjudiciables à une harde de caribous ou s'agit-il simplement de conjectures? Ces conjectures sont peut-être justes, mais avez-vous des exemples de cas précis à nous donner?

M. McNamee: Les études menées sur la harde de caribous de l'Alaska qui se trouve dans la région de la baie Pruhoe établissent qu'il y a eu diminution de la harde. Je me ferai un plaisir de vous les transmettre.

Le caribou est considéré au Manitoba comme une espèce vulnérable. On se préoccupe du sort des caribous au Manitoba près des opérations forestières et des mines. Des études scientifiques établissent clairement que le développement industriel a eu une incidence négative sur les hardes de caribous à plusieurs endroits au Canada. Les biologistes qui s'intéressent aux caribous participent à des conférences et les biologistes américains et canadiens se réunissent habituellement une fois l'an pour discuter du lien entre le développement et la diminution des hardes de caribous.

Le président: Nous vous saurions gré de nous envoyer ces études. Elles nous seraient utiles.

Le sénateur Adams: Quelles sont les préoccupations exprimées par les organismes qui participent à ces conférences? Ils s'inquiètent évidemment du sort du caribou, mais s'inquiètent-ils autant du sort des localités du Manitoba et de la Saskatchewan?

M. McNamee: Notre organisme n'a pas étudié cette question. Nous avons examiné plusieurs études et nous nous sommes entretenus avec ceux qui se préoccupent de l'incidence du développement industriel sur les hardes de caribous, et notamment sur leurs aires de mise bas et leurs pâturages d'hivernage. La même préoccupation existe dans tout le Canada, y compris à Terre-Neuve où l'on s'inquiète de l'incidence du changement du paysage sur les hardes de caribous.

Le comité souhaitera peut-être se pencher sur cette question. C'est comme si Dieu avait voulu se moquer de nous. Il a enfoui les ressources minières dans les régions que fréquentent les caribous et il nous a ensuite donné l'idée d'y créer nos parcs nationaux. L'exploitation minière, la protection des aires de mise bas du caribou ainsi que la protection des réserves naturelles semblent presque inconciliables. Je crois que l'industrie minière pense que notre objectif avoué est de s'opposer à l'exploitation des ressources. Je peux vous assurer que ce n'est pas le cas. Nous voulons simplement faire profiter le comité de l'information recueillie au cours des dix dernières années.

Le sénateur Adams: Dans toutes les localités au Keewatin, au Manitoba, en Saskatchewan et dans les Territoires du Nord-Ouest, il y a des représentants d'organismes qui évaluent les comportements migratoires des hardes de caribous. Je n'ai jamais entendu l'un d'eux dire qu'il voulait protéger les hardes contre les sociétés minières ou forestières.

Je m'interroge au sujet de la harde de caribous de Bluenose qui migre au parc Tuktut Nogait. La harde doit traverser le fleuve Mackenzie en mars lorsqu'elle se dirige vers le nouveau parc. La saison de mise bas débute aux alentours de la première semaine de mai et la harde commence alors sa migration. Comment traverse-t-elle le fleuve Mackenzie?

M. McNamee: Notre fédération s'intéresse particulièrement à l'incidence du changement proposé et de l'exploitation éventuelle d'une mine sur les aires de mise à bas situées à l'intérieur du parc. Nous n'avons pas étudié la question de la migration.

Il faut aborder la question du développement minier dans cette région avec prudence. Comme je l'ai mentionné, l'anomalie est exploitable dans une proportion de 80 p. 100. Je suppose que les caribous se retrouvent à un moment de l'année dans cette région. Nous devons nous inquiéter des migrations, mais nous attirons surtout l'attention du comité sur la perturbation des aires de mise à bas.

Le sénateur Adams: Pour retourner au Yukon, les caribous doivent attendre jusqu'en septembre ou décembre. Je ne pense pas que les hardes peuvent seulement mettre à bas dans le parc Tuktut Nogait. Ils peuvent le faire au Yukon et ne pas se diriger vers l'Est.

M. McNamee: Compte tenu de vos antécédents, il est évident que vous en savez plus long au sujet des caribous que moi. Lorsque nous avons voyagé ensemble, vous m'avez dit que vous retourniez dans votre région chaque année. Nous soutenons qu'il ne faut pas perturber les aires de mise à bas. Même si l'on perturbe l'habitat en l'absence du caribou, on le perturbe néanmoins. On change la végétation ainsi que tout ce qui attire le caribou dans cette région. Si les caribous retournent dans cette région pour mettre bas et que leur habitat a changé, ils manqueront de nourriture.

La préoccupation est la même en ce qui concerne la harde de caribous de la Porcupine. Ces caribous parcourent de grandes distances pour aller chercher la nourriture qui convient aux faons. Le vent éloigne des faons les mouches et les moustiques qui peuvent leur nuire. Les aires de mise bas présentent les conditions voulues tant au point de vue nutritif qu'au point de vue de la protection des faons. Il faut s'assurer de les préserver.

Le président: Monsieur McNamee, je pensais vous avoir entendu dire que les aires de mise bas étaient réparties dans tout le parc et pas seulement dans cette région.

M. McNamee: C'est effectivement ce que j'ai dit. Je ne parle pas de cette région précise.

Le président: La région qui est l'habitat du caribou s'étend sur des milliers de kilomètres carrés. Les aires de mise bas peuvent se trouver n'importe où à l'intérieur de ces milliers d'acres carrés et pas seulement dans la région visée. Vous ai-je mal compris?

M. McNamee: Non. Comme la carte l'indique clairement, c'est la région où retournent les caribous.

Le président: C'est la région de mise bas?

M. McNamee: Pas la petite partie qu'on se propose d'exclure du parc, mais la partie plus grande.

Le président: Les aires de mise bas se trouvent dans cette partie plus grande?

M. McNamee: Oui. Cette ligne a été tirée sur une carte provenant de l'ébauche de plan de gestion de la harde de caribous de Bluenose.

Le président: Les membres du comité ont une carte en couleur qui montre l'emplacement du parc. Ce qu'on appelle les «principales aires de mise bas» se trouvent dans cette grande partie bleue. À l'intérieur de cette région se trouve la zone qu'on se propose d'exclure du parc.

Si je comprends bien, les aires de mise bas sont susceptibles de se trouver dans toute cette région. Les caribous ne mettent pas bas seulement dans cette petite région.

M. McNamee: C'est juste.

Le président: Je crois que ce que le sénateur Adams essaie de savoir -- et c'est aussi ce que j'essaie de comprendre -- c'est pourquoi les caribous ne mettraient-ils pas bas ailleurs? Je ne cherche pas la confrontation, j'essaie simplement de comprendre.

M. McNamee: C'est une bonne question à laquelle un biologiste qui a étudié la harde serait mieux à même de répondre. La difficulté réside dans le fait que ce sont des biologistes gouvernementaux qui ont mené la plupart de ces études. Vous comprendrez qu'il est difficile de leur demander ce qu'il en est.

Il est tout à fait possible que les caribous ne mettent pas bas dans cette partie du parc. Nous craignons cependant que l'exploitation éventuelle d'une mine ait des conséquences négatives pour les caribous. Je reviens encore une fois au plan qui précise clairement que ces secteurs sont plus vulnérables que les autres. Il est tout à fait possible que les caribous aillent ailleurs.

Dans notre mémoire, nous demandons également au comité de tenir compte d'autres facteurs et des conséquences qu'aura, au chapitre des politiques, la modification des limites d'un parc national pour permettre des activités minières. Il faut aussi songer à la façon dont le Congrès américain interpréterait cette décision. La fédération, le Canada, les Inuvialuits et d'autres parties intéressées s'inquiètent beaucoup du fait que le Congrès américain est sur le point de permettre la prospection pétrolière et gazière en Alaska dans les aires de mise bas de la harde de caribous de la Porcupine.

Je signale au comité que le Congrès américain, et en particulier les sénateurs de l'Alaska, surveillent de près les décisions prises par le Canada en matière de conservation. Ils aimeraient trouver des exemples de cas où le Canada permet l'exploitation des aires de mise bas des hardes de caribous. La proposition d'exclure un certain secteur du parc soulève des enjeux internationaux en matière de politique et de concertation. Il convient de comprendre les conséquences de cette proposition à l'échelle régionale, nationale et internationale. Je vous demande donc de tenir compte de tous ces facteurs.

Si ma réponse n'est pas suffisamment précise, je vous demande de prendre en considération les autres facteurs que je viens de soulever.

Le sénateur Hays: Le débat porte vraiment sur la question de savoir comment protéger les espèces migratoires dans les secteurs vulnérables. Pourquoi pensons-nous que le fait de créer un parc suffise? Autrement dit, si une mine doit être exploitée dans ce secteur et que Dieu, dont nous ne comprenons pas toujours les desseins, a fait en sorte que le secteur le plus vulnérable soit le secteur le plus près de la surface ou celui présentant le plus de potentiel minier, nous ne pouvons pas simplement compter sur un parc pour assurer la pérennité des hardes de caribous de Bluenose, de la Porcupine, de Bathurst et des autres espèces de caribous migratoires.

L'importance que nous attachons, au Canada, à la protection écologique des terres pour lesquelles les gouvernements doivent rendre des comptes au Parlement risque d'avoir des conséquences futures à l'échelle internationale selon l'exemple que nous donnons ainsi aux États-Unis et au reste du monde.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi les limites de ce parc revêtent autant d'importance? Pensez-vous que le processus d'évaluation de l'impact environnemental et les autres mesures réglementaires actuellement en place permettront d'assurer à long terme la protection des espèces migratoires comme les caribous de Bluenose?

M. McNamee: C'est une bonne question, sénateur Hays. J'aimerais d'abord faire remarquer que nous ne pensons pas que la création d'un parc national soit la seule façon de protéger les habitats vulnérables. Nous ne pourrions d'ailleurs pas recourir chaque fois à cette solution pour protéger l'environnement ou un mode de vie.

Je vous signale cependant que l'idée de la création du parc tire son origine du plan de conservation de Paulatuk. Les habitants de la localité ont consciemment choisi l'option du parc national pour protéger la harde de caribous de Bluenose plutôt que l'option d'une aire de protection de la faune où le ministre aurait pu permettre que les activités d'exploitation minière priment sur la protection des caribous. La décision de procéder de cette façon revient aux auteurs du plan de conservation.

La boîte à outils dont nous disposons pour protéger l'environnement est bien garnie. Il faut utiliser toute la gamme des outils qui s'offrent à nous dans ce domaine.

Vous m'avez demandé ce que je pensais des évaluations environnementales. La Fédération canadienne de la nature a participé récemment à deux évaluations environnementales portant sur l'exploitation de mines. Il s'agit des mines BHP et Cheviot. Je n'ai pas à vous dire que nous n'avons pas été très impressionnés par le processus suivi dans le cas de la mine BHP étant donné que la recommandation la plus concrète de la commission d'évaluation environnementale a été de modifier le Code criminel afin qu'il soit possible de poursuivre plus facilement ceux qui voleraient des diamants trouvés sur les lieux.

Cet exemple ne nous donne pas beaucoup confiance dans les évaluations environnementales. En fait, nous avons eu, dans ce cas, à réclamer que le gouvernement fédéral adopte une stratégie protégeant les habitats vulnérables. Pour ce qui est de la mine Cheviot, la loi précisait clairement que la commission d'évaluation environnementale devait tenir compte de l'incidence cumulative des diverses activités menées dans les environs de la mine. Nous soutenons maintenant devant les tribunaux qu'elle ne l'a pas fait.

Je m'empresse d'ajouter -- ce que vous confirmeront les représentants des Inuvialuits -- que l'accord préliminaire ainsi que l'accord final sur le secteur des Inuvialuits comportent un rigoureux processus d'évaluation environnementale. Ce genre de processus nous inspire davantage confiance. Nous espérons qu'on suivra ce processus pour étudier les conséquences des activités d'exploitation à l'extérieur des limites du parc national.

Nous aimerions également qu'on ait recours à d'autres outils de protection environnementale qui nous inspirent une certaine confiance. La réglementation ne vaut que ce que vaut le responsable, le ministre ou le gouvernement du moment. Le bilan n'est pas toujours très rassurant. La création d'un parc national du type de ceux qui ont été créés récemment constitue une solution plus fiable en matière de protection de l'environnement et peut servir de modèle.

Le sénateur Hays: Vous avez une opinion mitigée de l'efficacité du processus réglementaire prévu pour protéger la harde de caribous de Bluenose.

Je présume que vous convenez cependant que ce n'est pas nécessairement la création du parc qui protégera le plus adéquatement cette harde de caribous, mais plutôt les autres mesures qui doivent être mises en oeuvre à cette fin dans ce parc ou dans tout autre.

M. McNamee: Je ne sais pas si je partage ce point de vue. Je serais plutôt favorable à l'adoption d'un train de mesures. Le parc national d'Ivvavik et le refuge national de la faune de l'Arctique en Alaska contribuent à protéger les aires de mise bas de la harde de caribous de la Porcupine. Bon nombre de gens pensent que la façon de protéger ces espèces est de créer des aires protégées. Le Canada a choisi de créer un parc national dans cette région et ce, je le répète, à la demande des Inuvialuits. Le parc national est l'option pour laquelle ils ont opté.

Le sénateur Hays: Pour revenir à votre analogie avec la boîte à outils, si vous ne disposiez que d'un outil, choisiriez-vous l'outil de la création d'un parc ou celui du processus réglementaire pour assurer la protection globale des espèces migratoires? D'après vous, quel est l'outil le plus précieux de la boîte à outils?

M. McNamee: Je n'écarterais aucun outil. J'estime qu'il faut avoir recours à plusieurs d'entre eux.

Le sénateur Hays: Ne poussons pas plus loin.

M. McNamee: Je ne vais pas choisir un outil plutôt qu'un autre, sénateur, parce que nous avons établi qu'on ne devrait pas permettre l'exploitation des habitats vulnérables et qu'il nous faut prendre les mesures voulues à cette fin.

Le sénateur Hays: J'ai une deuxième question qui porte sur la participation de la collectivité au processus. Le fait d'avoir fait participer la collectivité locale à la création du parc constitue une initiative positive de la part de Parcs Canada, initiative relativement nouvelle. J'aimerais savoir quelle sera la contribution de la collectivité à la gestion du parc et quel a été son apport à la délimitation de ses frontières ainsi qu'à sa création. S'agit-il d'une nouvelle stratégie? Est-elle positive? Comment recommanderiez-vous qu'on procède à l'avenir quand il s'agira de décider si l'on doit permettre des activités de développement dans les parcs?

M. McNamee: Vous me demandez ce que je pense du processus de création de ce parc et d'autres parcs nationaux?

Le sénateur Hays: Oui. Si je ne m'abuse, il est rare qu'on décide de créer un parc à la demande d'une collectivité. La décision de créer un parc est habituellement une décision administrative qui repose sur l'importance écologique ou culturelle d'une région donnée.

Vous avez souligné la participation de la collectivité à la création du parc. Vous avez également dit que la collectivité prendrait part à sa gestion. Pensez-vous qu'il s'agit d'une initiative positive et quelles seront les conséquences éventuelles de ce processus sur la création et la gestion de parcs futurs?

M. McNamee: Je présente une communication jeudi à l'Université Trent et je consacrerai alors plusieurs heures à cette question.

Le sénateur Hays: Je retire ma question.

M. McNamee: Dès le départ, certains parcs comme le parc Prince Albert ont été créés à la demande de résidents de l'endroit. Le parc Waterton est sans doute le cas du premier parc qui a été créé par le gouvernement fédéral à la demande des agriculteurs locaux. D'autres parcs ont aussi été créés de cette façon.

À l'époque contemporaine, soit au cours des trois ou quatre dernières décennies, c'est l'exemple de la collectivité de Paulatuk qui vient immédiatement à l'esprit étant donné surtout que dans les années 60, le gouvernement fédéral a décidé d'adopter une approche scientifique à la création des aires devant être préservées. Je souligne que dans cette région naturelle, le projet initial de parc national a été abandonné en partie en raison des préoccupations exprimées par la collectivité locale et aussi à cause de son potentiel minier élevé. Le projet de créer un autre parc national a également été abandonné en raison du potentiel minier des terres visées.

Le processus suivi pour créer le parc qui nous intéresse est un bon exemple de processus positif. Si les collectivités considèrent les parcs nationaux et les aires protégées comme une façon de préserver l'environnement, ce ne peut qu'être positif, même si le débat actuel ne va pas tout à fait dans ce sens.

Je me permets également de souligner que le gouvernement fédéral a complètement modifié l'approche qu'il avait adoptée à la fin des années 60 et au début des années 70 et qui consistait à exproprier des terres et à imposer l'idée d'un parc national aux résidents locaux. Comme je suis de près le processus, je peux vous assurer que Parcs Canada ne propose plus jamais de créer un parc sans l'accord de la collectivité, des Premières nations et des gouvernements provinciaux et territoriaux.

Les frontières du parc n'ont pas été établies par Parcs Canada seulement, mais en accord avec toutes les parties visées.

Le sénateur Buchanan: Monsieur le président, il s'agit d'une affaire importante et la région à l'étude est assez éloignée de la Nouvelle-Écosse. Les gens de la Nouvelle-Écosse nous en voudraient cependant, au sénateur Butts et à moi, si nous ne posions pas les questions suivantes: quand a-t-on importé de la Nouvelle-Écosse la harde de caribous de Bluenose et combien cela a-t-il coûté?

M. McNamee: Je ne suis pas la personne qui est la mieux placée pour répondre à cette question. Je suis allé en Nouvelle-Écosse à plusieurs reprises, et je n'y ai jamais vu de caribous.

Avant de terminer, j'aimerais dire que ce comité mène une étude très poussée de la question et que je ne me souviens pas que des parlementaires m'aient jamais posé d'aussi bonnes questions. Nous avons essayé d'y répondre et de vous fournir des renseignements que vous pourrez approfondir avec vos autres témoins. Je vous remercie de l'occasion qui nous a été donnée de vous présenter notre point de vue. Nous veillerons à vous envoyer les études dont nous avons parlé.

Le président: Le comité aime toujours entendre votre témoignage, monsieur McNamee. Nous vous remercions de votre dévouement continu à la cause de la protection de l'environnement.

Les témoins suivants représentent la Inuvialuit Regional Corporation. Il s'agit de Mme Nellie Cournoyea, présidente- directrice générale, et de M. Ruben Green, président de la Paulatuk Community Corporation.

Nous vous souhaitons la bienvenue. Veuillez commencer.

Mme Nellie J. Cournoyea, présidente-directrice générale, Inuvialuit Regional Corporation: Honorables sénateurs, c'est avec honneur et humilité que nous comparaissons devant vous aujourd'hui et que nous vous remercions de l'attention que vous portez à nos préoccupations.

Je suis présidente et directrice générale de l'Inuvialuit Regional Corporation. Cette société s'occupe de la revendication territoriale dans la région désignée du règlement de la revendication foncière des Inuvialuits. M. Ruben Green est président de la Paulatuk Community Corporation et il représente au sein du conseil d'administration de la société les habitants de Paulatuk et les intérêts de tous les Inuvialuits.

Lorsque je suis née, Inuvik n'existait pas. Ma famille tirait sa subsistance de la terre et je pratique au meilleur de mes habiletés les activités traditionnelles de mon peuple. M. Ruben Green est un chasseur bien connu qui vit de l'activité de la chasse et qui pratique aussi les activités traditionnelles de notre peuple. M. Green a six jeunes enfants. Sa femme et lui sont très minces et leurs enfants encore plus minces. Il est très difficile pour les familles de boucler leur budget compte tenu du coût élevé de la vie dans le Nord et des changements économiques auxquels fait face notre région. Nous tâchons de notre mieux de représenter nos intérêts et ceux des collectivités dont nous sommes issus.

Je vous remercie de nous offrir cette occasion de vous parler et de soulever une question d'une très grande importance pour les Inuvialuits. J'espère que le Sénat saisira l'occasion d'intervenir dans l'étude du projet de loi C-38 afin d'empêcher une grave erreur de la part du gouvernement. Autrement, un précédent dommageable sera créé pour tous les parcs en cogestion et il réduira profondément le rôle que jouent les Inuvialuits dans la prise de décisions qui touchent nos terres traditionnelles.

Les détails de notre désaccord sur le projet de loi C-38 et les raisons qui nous poussent à demander une légère modification de la limite ouest du parc dans sa forme proposée ont été longuement expliqués dans les présentations que nous avons faites au gouvernement fédéral et au comité de la Chambre. Ces présentations vous ont été remises. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité sur ces points.

En termes simples, les signataires inuvialuit d'un accord de projet de parc en cogestion demandent que la limite ouest soit modifiée pour en retirer un modeste secteur d'environ 100 000 acres, soit 2,5 p. 100. Cette requête est conforme à l'article 22.1 de l'accord du parc de Tuktut Nogait de 1996, qui permet à toute partie à l'accord de demander un examen. De fait, la demande est appuyée par cinq des six signataires de l'accord, dont le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

La demande se fonde sur de nouveaux renseignements sur les ressources minérales obtenus depuis octobre 1997, qui révèlent l'existence de plusieurs excellentes cibles d'exploration, dont l'une est située juste à la limite ouest du parc proposé. Notre demande est basée sur des discussions longues et sérieuses à Paulatuk et dans la région désignée du règlement de la revendication foncière des Inuvialuits. La zone demandée se trouve du côté ouest du parc. La nouvelle limite a été tracée par les gens qui connaissent le mieux cette zone et sa faune, les membres du comité des chasseurs de Paulatuk, de façon à préserver les caractéristiques délicates, sur le plan environnemental, du parc proposé, en particulier les chutes LaRoncière et les aires de reproduction les plus utilisées du parc.

Les signataires inuvialuit croient que la zone peut être retirée du parc proposé sans nuire à la conservation du parc. Nous croyons maintenant que l'équilibre des intérêts justifie cette modification de la limite. La limite ouest proposée dans le projet de loi C-38 empêchera le développement économique à long terme dans une mesure qui est hors de proportion avec le petit degré de protection supplémentaire que le statut de parc peut offrir à ce segment de territoire. Les institutions et les procédés de protection de l'environnement qui ont été établis aux termes de la Convention définitive des Inuvialuits (CDI) s'appliqueront en entier à ce segment et assureront que toute activité, minérale ou autre, ne pourra être menée que si elle est conforme à la viabilité à long terme des terres et de la faune.

Le projet de loi est un document législatif apparemment simple. Il faut toutefois comprendre que ce projet de loi est fondé sur un accord conclu entre les signataires inuvialuit et les gouvernements du Canada et des Territoires du Nord-Ouest, fait qui n'y est même pas mentionné. Sans l'accord du parc de Tuktut Nogait de 1996, il n'y aurait pas de parc.

De plus, l'accord du parc prévoit que Tuktut Nogait sera un parc géré conjointement par le gouvernement fédéral et les Inuvialuits. Le principe de la cogestion des parcs est nouveau au Canada et, pour cette raison, le projet de loi C-38 établira des précédents dans la mise en oeuvre des principes de cogestion.

Dans sa forme actuelle, ce précédent est mauvais car le projet de loi C-38 actuel supplante l'intérêt des Inuvialuits et fait fi de la pratique acceptée qui oblige à obtenir le plein consentement des peuples autochtones avant d'établir un parc sur leurs terres traditionnelles.

Il y a beaucoup d'exemples dans les Territoires du Nord-Ouest où l'on a retardé l'établissement de parcs pendant nombre d'années afin d'obtenir le consentement des peuples autochtones. C'est le cas, par exemple, du parc proposé sur la ramification est du Grand lac des Esclaves et même les segments du parc Tuktut Nogait situés dans les régions désignées du règlement de la revendication foncière du Sahtu et du Nunavut.

Pourquoi donc exerce-t-on une telle pression pour faire adopter ce projet de loi malgré la forte opposition des Inuvialuits?

Nous avons huit objections au projet de loi C-38 dans sa forme actuelle. Premièrement, de nouveaux renseignements sur les ressources minérales, obtenus à la suite d'un levé aéromagnétique effectué en octobre 1977, révèlent pour la première fois l'existence de plusieurs cibles prometteuses de prospection, dont l'une est située dans les limites du parc proposé. À l'époque des négociations pour le parc, des rapports du gouvernement indiquaient que les minéraux se trouvaient en profondeur et à l'extérieur des limites du parc. Cela est clairement indiqué dans le dossier public 2389 de la CGC de 1994, figure 11. Les nouvelles données révèlent également que les cibles sont plus près de la surface et donc plus économiques qu'on ne le croyait.

Dans une lettre récente qu'elle adressait à ce comité, la société Falconbridge Mining Ltd. disait être arrivée à la même conclusion. Si cette information avait été connue au moment des négociations pour le parc, la position des Inuvialuits aurait été fort différente. Nous ne demandons pas de déviation de la politique des parcs lorsque nous voulons que les renseignements actuels sur les ressources minérales soient pleinement pris en compte. La politique des minéraux et des métaux du Canada, le Whitehorse Mining Leadership Accord et la NWT Protected Areas Strategy demandent chacun l'utilisation de données judicieuses et actuelles sur les ressources minérales lorsque des décisions dans les zones protégées sont prises. Il s'agit également d'une exigence du Plan de conservation de Paulatuk de 1990 qui était le fondement de l'accord du parc de Tuktut Nogait.

Deuxièmement, le territoire de Tuktut Nogait est vaste -- 16 340 kilomètres carrés -- soit trois fois la superficie de l'Île-du-Prince-Édouard. Toutes ces terres sont situées dans la région désignée du règlement de la revendication foncière des Inuvialuits. La Convention définitive des Inuvialuits, que le Canada a signée et qui est reconnue par la Constitution, établit comme objectif central l'engagement complet et significatif des Inuvialuits dans l'économie du Nord et de la région aux termes du paragraphe 1b) de la CDI. Cet objectif se retrouve également au centre de l'initiative «Rassembler les forces» du gouvernement.

En l'occurrence, bien que les Inuvialuits aient en fait participé aux discussions entourant l'accord du parc, nous nous retrouvons maintenant écartés. On nous dit que la clause d'examen n'est pas disponible pour nous. Pourtant, après un long examen de notre part, nous estimons que la modification des limites est dans les meilleurs intérêts à long terme de la région. Nous avons également les moyens, par les institutions de la CDI, d'assurer que si un aménagement est un jour proposé, il ne sera entrepris que s'il satisfait aux besoins de l'environnement naturel et des gens de la région.

Troisièmement, l'accord du parc de Tuktut Nogait stipule qu'il s'agira d'un parc en cogestion assujetti à la Convention définitive des Inuvialuits. Aux termes de l'article 22.1, la demande des signataires inuvialuit de revoir l'accord du parc de 1996 demeure en suspens. Malgré l'appui de cinq des six signataires en vue d'un examen de la limite ouest, le gouvernement fédéral a refusé notre demande et accélère l'adoption de la loi pour empêcher tout nouvel examen de la limite.

Le principe de la cogestion est suffisant par lui-même pour que la demande de cinq des six signataires de l'accord de cogestion du parc soit accordée.

Quatrièmement, à l'époque des négociations pour le parc, les Inuvialuits étaient au courant que la zone de la baie Darnly à l'ouest du parc renfermait un potentiel encore inconnu de ressources minérales.

Certains d'entre nous craignaient que si de nouveaux renseignements indiquaient des perspectives minérales encore meilleures, la limite ouest devienne un obstacle à d'autres activités économiques. Toutefois, les négociateurs inuvialuit se sont fait dire spécifiquement par Parcs Canada que l'article 22.1 permettrait de revoir la question de la limite ouest si de nouveaux renseignements sur les ressources minérales étaient obtenus.

Devant cette assurance, les négociateurs inuvialuit ont convaincu une société d'exploration minière d'abandonner les permis de prospection sur 472 461 acres de territoire de la Couronne dans le parc proposé, ce qu'elle a fait volontairement et sans indemnisation. La zone que les Inuvialuits demandent maintenant représente environ un cinquième de ce secteur, soit à peu près 100 000 acres ou 2,5 p. 100 de la région proposée pour le parc dans le projet de loi C-38.

Répétons-le, si les Inuvialuits n'avaient pas cru que la clause d'examen serait suffisante, notre décision aurait été différente quant à la limite ouest.

Cinquièmement, cette tromperie a eu pour conséquence une expropriation sans rémunération, l'élimination d'occasions économiques pour les Inuvialuits et l'appropriation de droits d'exploration minière sans compensation. De fait, la Couronne a obtenu 472 461 acres de permis de prospection en règle, sans frais, en présentant de fausses garanties.

Sixièmement, à l'époque des négociations pour le parc, il y a trois ans, on nous avait dit que les régions de Sahtu et de Nunavut contribueraient d'immenses territoires dans les parties est et sud du parc de Tuktut Nogait. Ces ajouts auraient porté la superficie du parc à 28 000 kilomètres carrés. Par comparaison, le segment que les Inuvialuits demandent de retirer est d'environ 400 kilomètres carrés.

La question de ces ajouts n'a pas encore été réglée. Il nous semble que si des questions relatives à des ajouts aussi vastes sont laissées en suspens, il n'est pas nécessaire de tracer dans la loi une limite ouest aussi litigieuse. Si les limites sud et est du parc proposé sont encore incertaines, il ne devrait pas alors y avoir d'objection au réexamen de la limite ouest.

Septièmement, quelques personnes favorables à l'adoption immédiate du projet de loi C-38 prétendent que le parc Tuktut Nogait est à la fois nécessaire et suffisant pour la protection du caribou et laissent entendre que toute modification représentera un danger pour la harde. Nous traitons en profondeur de ces questions dans les documents que nous vous avons remis, et nous sommes toujours du même avis.

Notre engagement à l'égard du caribou et de la protection de la faune a déjà été démontré par le fait que nous avons mis de côté 29 p. 100 du territoire de la région pour les parcs et les zones protégées, y compris de vastes superficies spécifiquement pour le caribou de la côte arctique Ouest: le parc national Ivvavik pour la harde de caribous de la Porcupine, le parc national Aulavik pour la harde de caribous de Peary, et maintenant le parc national Tuktut Nogait pour le Bluenose. Aucun autre groupe de Canadiens n'a fait autant pour protéger les caribous que les Inuvialuits, à un prix considérable compte tenu des possibilités économiques perdues.

Huitièmement, de nouveaux renseignements obtenus sur la harde de caribous de Bluenose modifient en profondeur le fondement de l'accord du parc et, du même coup, le présent projet de loi. L'un des objectifs de l'accord du parc porte sur la protection de la harde de Bluenose. Les preuves scientifiques diffusées cet été confirment cependant ce que les Inuvialuits savaient déjà depuis quelque temps: la harde de caribous de Bluenose, qui prend son nom du lac Bluenose, se reproduit et se déplace uniquement sur les terres à l'est du parc Tuktut Nogait, dans le Nunavut. De fait, le lac Bluenose n'est même pas dans les limites du parc proposé. Les données scientifiques confirment maintenant que le troupeau se compose en réalité de deux hardes distinctes, dont les habitudes de migration et d'habitat sont fort différentes.

Cette information justifie à elle seule l'examen de l'accord du parc de Tuktut Nogait. Elle montre aussi à quel point il peut être inapproprié de protéger les caribous uniquement en comptant sur des zones protégées. Le caribou modifie souvent ses habitudes d'alimentation et de reproduction. Que se produit-il si un parc national est établi pour protéger une zone particulière qui était favorisée pour la reproduction et que, pour quelque raison, le caribou choisit pendant quelques saisons une zone située à de nombreux kilomètres dans un autre secteur?

La protection du caribou est extrêmement importante. Nous croyons qu'elle est trop importante pour laisser des généralisations et la désinformation sur les aires et les habitudes du troupeau se substituer à des décisions et à une planification rationnelles en matière de conservation.

Au lieu de considérer que cette question de fond revêt une grande importance pour le peuple inuvialuit, le gouvernement agit à court terme pour des motifs politiques. Les engagements signés avec les autochtones pâlissent par comparaison aux menaces proférées par les environnementalistes du Sud. En outre, le gouvernement a eu la témérité d'opposer à notre demande la préoccupation entourant la harde de caribous de la Porcupine, même si, dans le cadre de l'engagement de réserver des terres pour le parc Ivvavik, les Inuvialuits ont fait davantage pour protéger cette harde que tout autre groupe de Canadiens.

Je m'inquiète que des décisions ayant de telles conséquences pour les Inuvialuits soient prises par des personnes qui connaissent si peu nos réalités. Vous ne devez pas oublier que notre peuple a déjà souffert des décisions prises «pour notre bien». Ces attitudes coûtent déjà à notre peuple un mode de vie; dans la génération de ma mère et de mon père, les familles tiraient encore une bonne subsistance de la terre grâce à la traite des fourrures. La destruction de l'industrie de la fourrure a détruit un mode de vie terrestre et, ne laissant aucune autre option que celle de la dépendance à l'endroit du gouvernement, elle a compromis la survie de notre société et de notre culture.

Les décisions de réserver de vastes zones de territoire peuvent faire plaisir à certains Canadiens du Sud, qui réagissent aux pressions exercées par des organisations environnementales bien financées et peu susceptibles de se risquer à essayer de passer un hiver sur la côte de l'Arctique.

Bien que nous soyons ici aujourd'hui au nom des Inuvialuits, nous ne défendons pas nos intérêts à l'encontre de ceux d'autres Canadiens. J'ai passé de nombreuses années au service du public, dans divers postes, et enfin, comme premier ministre des Territoires du Nord-Ouest. Je ne crois pas que le bon intérêt public favorise un groupe au détriment d'un autre. Je ne crois pas que les Canadiens sont servis par une mauvaise politique gouvernementale, si agréable et facile que puisse être la décision. Tous les Canadiens méritent une politique et un processus décisionnel judicieux et responsables.

Nous croyons que cette situation illustre les fautes très graves commises dans le processus décisionnel de ce gouvernement sur les zones protégées, fautes quant au contenu des décisions et quant aux procédés qui ont permis d'obtenir les terres. Pour ce gouvernement, la fin justifie les moyens: obtenir de nouveaux parcs justifie la violation de politiques établies et revient à exproprier des terres sans indemniser leurs propriétaires, à négocier des accords de mauvaise foi et même à violer l'esprit d'ententes de revendication territoriale protégées par la Constitution.

Nous nous opposons à cette façon de procéder. Les Inuvialuits méritent et demandent le respect et un véritable rôle dans les décisions touchant notre territoire et notre vie. Tous les Canadiens méritent un processus sur les zones protégées qui soit meilleur, plus honnête et plus responsable.

Ces audiences seraient-elles différentes si nous étions les Hôtels Canadien Pacifique et que la région en question était le parc national de Banff? Malheureusement, la réponse sera affirmative si le Sénat refuse d'intervenir.

Nous vous demandons d'apporter les correctifs suivants au projet de loi C-38: modifiez le projet de loi C-38 afin de changer la limite ouest du parc proposé, tel que demandé dans la requête du 19 février 1998 de l'Inuvialuit Regional Corporation qui figure à la pièce jointe 1, ou suspendez l'étude du projet de loi C-38 jusqu'à ce que les limites définitives à l'ouest et que trois exigences soient satisfaites.

Voici ces trois exigences: un examen complet par tous les signataires conformément à l'article 22.1 de l'accord du parc de Tuktut Nogait afin de régler la demande de changement de la limite ouest présentée par les Inuvialuits; la conclusion d'un accord de parc en cogestion avec le Sahtu sur la limite sud appropriée du parc proposé; et un examen des conséquences des nouvelles preuves scientifiques sur l'existence de deux hardes distinctes pour les régimes appropriés de protection, et un examen de la limite est approprié du parc proposé ainsi que la conclusion d'un accord de parc en cogestion avec le Nunavut sur la protection de la harde de caribous du lac Bluenose.

Jusqu'à ce que ces limites aient été examinées complètement et définitivement, il est impossible pour quiconque d'évaluer les compromis entre la protection de l'environnement, le potentiel économique et le bien-être social et culturel. Sans cette évaluation, il est prématuré de demander au Parlement de juger de l'équilibre des intérêts.

Les Inuvialuits ont fait davantage pour les zones protégées qui représentent 29 p. 100 de notre base territoriale et pour protéger les hardes de caribous de l'Arctique que tout autre groupe de Canadiens. Nous demandons un modeste changement au parc proposé afin de ne pas exclure certaines options économiques et de servir les intérêts de la population de notre région, selon la lettre et l'esprit de la Convention définitive des Inuvialuits.

Les Inuvialuits ont été le premier peuple autochtone du Nord à négocier et à conclure une entente de revendication territoriale complète avec le Canada. Nous avons travaillé fort au cours des années pour établir une relation coopérative et constructive avec le gouvernement du Canada. Nous n'avons demandé que notre dû en vertu de la CDI. Je trouve très troublant que nous soyons obligés, après si longtemps, de combattre constamment pour obliger le gouvernement fédéral à honorer ses engagements. Notre région est petite puisqu'elle ne compte qu'environ 7 500 âmes. Nous n'avons pas de ressources à gaspiller en batailles juridiques et en requêtes comme celle-ci: nous demandons simplement que le gouvernement fédéral respecte les engagements qu'il a pris dans la convention définitive des Inuvialuits et dans l'accord du parc de Tuktut Nogait.

Je vous remercie de votre attention. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions. Nous sommes accompagnés de représentants de la société Falconbridge auxquels les membres du comité pourront peut-être poser des questions au sujet des nouveaux renseignements miniers dont j'ai parlé.

Le président: Je vous remercie de nous avoir présenté un mémoire aussi bien pensé. Nous l'avons trouvé fort instructif.

Le sénateur Adams: Le sénateur Butts a présenté le projet de loi C-38 avant la levée des travaux parlementaires en juin dernier. Le projet nous a été renvoyé à l'automne. Je suis heureux, Madame Cournoyea, que vous puissiez nous expliquer vos réserves au sujet du projet de loi C-38. Au moment du dépôt du projet de loi au Sénat en juin dernier, nous n'étions pas au courant des préoccupations de votre peuple en ce qui touche le parc Tuktut Nogait.

Au cours des trois dernières années, vous avez travaillé avec la collectivité de Tuktut à établir les limites du nouveau parc. Dans quelle mesure le gouvernement a-t-il tenu compte des recommandations des Inuvialuits à cet égard? Vous avez à cette époque fait part de vos préoccupations au sujet des limites du parc. Vous avez étudié à fond la question depuis le règlement de la revendication territoriale en 1988. Les fonctionnaires d'Ottawa ont-ils tenu compte de ce que vous leur avez dit au sujet des secteurs à inclure dans le parc ou à en exclure ainsi que de la possibilité de travaux d'exploration pétrolière futurs?

Mme Cournoyea: Pour ce qui est de la Convention définitive des Inuvialuits, je ne sais pas si c'est parce que notre peuple a été le premier à conclure un accord de ce genre ou si c'est parce que nous vivons dans une région qui accueille peu de visiteurs, mais je pense que le gouvernement du Canada ne nous prête plus beaucoup d'attention depuis que les activités d'exploration pétrolière et gazière ont cessé dans notre région.

Nous avons demandé au gouvernement de modifier le projet de loi avant son dépôt à la Chambre des communes. Le 12 avril dernier, nous avons fait part de nos préoccupations à ce sujet au ministre Mitchell lors d'un dîner. Le ministre s'est engagé à ce moment à étudier la question. Nous n'avons presque plus entendu parler du sujet. De fait, la prochaine chose que nous avons sue -- et c'était deux ou trois semaines plus tard --, c'était que le projet de loi avait été déposé à la Chambre des communes. Nous n'en avions même pas été informés. Personne ne nous avait prévenus. Le projet de loi avait déjà franchi l'étape de la deuxième lecture lorsque nous l'avons appris par l'Internet.

Le sénateur Adams: Le comité de la Chambre des communes vous a-t-il appris que le projet de loi avait été déposé?

Mme Cournoyea: Nous avons par la suite présenté nos doléances au comité de la Chambre des communes. Nous avons rencontré les mêmes personnes. Nous nous sommes rendu compte que la Chambre des communes ne voulait pas nous entendre. On nous a traités comme des importuns. Nous demandions simplement à savoir pourquoi le gouvernement reniait son engagement. Personne n'a voulu discuter du fait que l'accord comporte une disposition d'examen. Elle y a été incluse spécifiquement parce que nous avons exprimé des préoccupations au sujet de la petite parcelle du parc dont nous discutons maintenant.

Nous estimions avoir beaucoup fait pour convaincre la société minière de céder sans indemnisation les permis d'exploitation s'appliquant à une vaste région. Si nous nous en étions tenus à cela, nous aurions au moins été indemnisés, mais nous avons convaincu la société qu'il y avait une meilleure façon de procéder. La disposition d'examen a été spécifiquement incluse dans l'accord à cette fin, mais personne ne veut maintenant en discuter. C'est comme si elle n'existait pas.

Le sénateur Adams: Monsieur Green, vous avez établi les limites du nouveau parc. L'avez-vous fait en collaboration avec les fonctionnaires d'Ottawa ou avec la collectivité locale? À cette époque, le gouvernement fédéral proposait la création d'un parc Tuktut Nogait. Les résidants de Paulatuk et vous-même avez-vous participé aux discussions?

M. Ruben Green, président, Paulatuk Regional Corporation: Nous, les gens de Paulatuk, avons signé l'accord en 1996. Après la signature de l'accord, nous avons reçu les résultats d'un levé aéromagnétique fait par la société Darnley Bay Resources en 1997. Le rapport contenait de nouveaux renseignements miniers. En 1996, au moment de la signature de l'accord, nous ne disposions pas de ces renseignements. Nous nous sommes toujours reportés à l'étude de la Commission géologique du Canada datant de 1994 qui concluait que le potentiel minier de la région allait de faible à modéré. Les Inuvialuits qui vivent à Paulatuk ont discuté de la décision et ont convenu de demander un changement à l'accord. C'est ce que les Inuvialuits veulent. Nous sommes ici pour vous faire part du désir des Inuvialuits de Paulatuk.

Le sénateur Adams: Sait-on si les Inuvialuits ont des préoccupations au sujet des activités d'exploration future dans la région où le gouvernement souhaite créer un autre parc? Les fonctionnaires de Parcs Canada -- c'est-à-dire ceux qui travaillent à Ottawa -- se préoccupent-ils du sort des Inuvialuits? Comme Mme Cournoyea l'a dit, un accord a été conclu. Avez-vous des réserves au sujet des limites du parc national Tuktut Nogait? Quelle devrait en être la taille à votre avis?

Un accord sur les terres a été conclu avec le Canada et c'est à ce moment qu'on a commencé à songer à créer un parc. J'aimerais savoir quelle devrait en être la taille. Devrait-il être plus petit? Devrait-il être plus gros?

Mme Cournoyea: La question de la taille du parc a suscité un long débat. Parcs Canada était au courant de la situation relative à cette partie du parc et a soutenu que les parties à l'accord avaient convenu des limites du parc. Nous ignorons si Parcs Canada fera preuve d'ouverture à ce sujet dans l'avenir. Au moment de la signature de l'accord, on estimait que la région présentait un potentiel minier assez faible et que les gisements étant d'ailleurs très profonds, il ne serait pas question avant longtemps de les exploiter. C'est à ce moment que la collectivité de Paulatuk a insisté pour que l'accord comprenne une disposition d'examen pour le cas où l'on se serait trompé à cet égard. La disposition a été intégrée à l'accord avant qu'un levé aéromagnétique soit fait.

Parcs Canada pensait que les gisements étaient très profonds. La société Paulatuk a demandé qu'une disposition d'examen soit prévue dans l'accord pour qu'il soit possible de le modifier au besoin. Tout le monde s'entend maintenant pour dire, sauf Parcs Canada, qu'il convient de modifier l'accord.

Le sénateur Adams: Vous réclamez le retrait du parc de 100 000 acres, ce qui représente 2,5 p. 100 de la superficie totale. Les caribous fréquentent-ils vraiment cette partie du parc à l'heure actuelle?

M. Green: Certaines études scientifiques ont été menées dans le parc national Tuktut Nogait. Elles ne tenaient cependant pas compte du savoir traditionnel des aînés inuvialuit. Les aînés sont les gardiens du savoir traditionnel. Nous sommes les résidents de Paulatuk. Nous tirons notre subsistance de la terre. Nous savons quand a lieu la migration des caribous ainsi que celle des oies et de l'omble chevalier.

Les scientifiques n'ont jamais tenu compte du savoir traditionnel au sujet des principales aires de mise bas. Ils en établissent l'emplacement au moyen de radios-émetteurs. Je ne sais pas exactement comment on s'y prend, mais on installe un radio-émetteur autour du cou du caribou et on suit ses déplacements pendant cinq ans au moyen d'un satellite. Qu'entend-on par «principales aires de mise bas»?

Vous et moi savons que lorsque les caribous migrent, ils ne le font pas en masse. La harde de Bluenose compte entre 120 000 et 150 000 animaux. Nous n'avons jamais vu autant de caribous dans les principales aires de mise bas. Les caribous migrent en petits groupes. Ils se déplacent peut-être en groupes de six, de dix ou de vingt, mais jamais en groupes de 10 000. Prenons toute la harde de caribous de Bluenose. Nous ne l'avons jamais vue au complet.

Je répète qu'il faut attacher de l'importance au savoir traditionnel des résidents de l'endroit. Nous savons quand se fait la migration des caribous et des oies sauvages. Nous vous rappelons que les zones protégées constituent 29 p. 100 de notre région et nous vous renvoyons à l'accord relatif à la région désignée du règlement de la revendication territoriale.

Mme Cournoyea: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. C'est en toute humilité que je m'adresse à vous parce que vous en savez sans doute davantage que moi sur cette question. On a répandu le mythe que les caribous se dirigent tous vers le même secteur. Ce n'est pas du tout le cas. Certains caribous se détachent de la harde. Ils se dispersent.

Ils se retrouvent dans un certain secteur pendant une période de sept semaines. Cette année, nous ne savons pas trop où ils sont allés parce qu'ils ne sont pas venus dans ce secteur. Comme le temps a été très mauvais, ils sont peut-être allés à l'est ou à l'ouest ou jusqu'au Cap Bathurst. Ce qui se passe pendant ces sept semaines revêt une grande importance pour la reproduction des caribous et la survie des faons. Pendant le reste de l'année, les gens se promènent dans ce secteur et parcourent cette partie du parc en motoneige.

Qu'un parc se trouve à cet endroit ou non importerait peu. L'accord final tiendrait compte des déplacements des caribous et nous respecterions les conditions qu'il contiendrait.

Il n'est pas tout à fait vrai de dire que les Inuvialuits ont demandé à ce que certaines régions deviennent des parcs nationaux par amour pour les parcs nationaux. C'est plutôt ce que le gouvernement leur a offert, mais c'est ce que le gouvernement voudrait faire croire maintenant.

L'accord de cogestion, le premier accord de ce genre, a été négocié avec le gouvernement. Cet accord reconnaît les droits de chasse et de pêche de notre peuple.

Ce que le gouvernement a offert aux Inuvialuits est un accord modifié de gestion. Les caribous ne demeurent pas dans le parc. Ils iront peut-être ailleurs l'an prochain. On suit toujours leurs déplacements. Il ne serait pas dans l'intérêt des Inuvialuits de compromettre la viabilité de la harde de caribous puisque la majorité d'entre eux en tirent leur subsistance. Les statistiques le démontrent d'ailleurs.

Le sénateur Adams: La Fédération canadienne de la nature soutient que la région visée revêt une grande importance pour le caribou. Cette organisation compte 40 000 membres. Êtes-vous membres de cet organisme?

Mme Cournoyea: Je ne sais pas si j'en suis membre, mais je commande les publications de la fédération parce que je veux me tenir au courant de ses activités. M. McNamee a dit qu'il comptait peut-être parmi les membres de l'association ceux qui sont abonnés à sa publication.

Le défi est de trouver un juste équilibre entre les intérêts économiques des résidents de l'endroit et la viabilité de la harde de caribous. À notre humble avis et compte tenu du savoir traditionnel de notre peuple, la modification des limites du parc ne nuira nullement à la harde de caribous. Nous continuerons de jouir de tous les pouvoirs voulus pour assurer la protection du caribou aux termes de l'accord final. Certains pensent que cet accord n'existe pas, mais je peux vous assurer qu'il a été signé et qu'il s'agit bien d'un document juridique. Nous continuerons de participer aux discussions, qu'elles portent sur les caribous, les baleines ou sur quoi que ce soit d'autre. Il nous incombe d'ailleurs de le faire.

Nous devons cependant également nous préoccuper du grand nombre de jeunes de notre société qui chercheront dans quelque temps un emploi. Il s'agit de trouver le juste équilibre. Voilà pourquoi l'accord comporte une disposition d'examen. Il est difficile de comprendre le débat lorsque tous les signataires ont signé un accord contenant une clause d'examen dont personne ne veut parler. Je suis convaincue que le témoin suivant dira que la disposition d'examen ne signifie pas ce qu'elle signifie. Dans ce cas-là, pourquoi existe-t-elle?

Nous prenons nos responsabilités au sérieux. Je suis fière des mesures de protection de la faune qui ont été prises à l'issue de l'accord. Notre peuple s'est taillé une réputation internationale pour avoir contribué aux travaux portant sur les baleines et les ours polaires ou pour avoir collaboré avec les Inuits de l'Alaska. Notre revendication territoriale comporte des dispositions portant sur la protection de l'environnement et de la faune. Je ne pense pas que qui que ce soit d'autre puisse prétendre avoir fait autant que mon peuple à cet égard. M. McNamee l'a aussi reconnu. Nous estimons devoir essayer de trouver un juste équilibre entre la protection de l'environnement et les intérêts des gens que nous représentons.

Le sénateur Butts: Madame Cournoyea, je connais très mal le Nord. Je n'y suis malheureusement allée qu'une seule fois. J'essaie cependant d'en apprendre davantage sur cette région du pays et j'espère que vous m'y aiderez.

Vous avez dit que le dernier levé a révélé de nouveaux renseignements. J'ai cru comprendre qu'il avait simplement permis d'établir que les minéraux se trouvaient plus près de la surface qu'on ne le croyait. Si je ne m'abuse, sept filons seraient intéressants. Les six filons situés à l'extérieur des limites du parc pourraient aussi se trouver à la surface.

Quoi d'autre a changé depuis la signature de l'accord?

Mme Cournoyea: Un seul filon demeurait à l'intérieur des limites du parc proposé. Si vous voulez plus de précisions, vous pourriez peut-être poser la question au représentant de la société Falconbridge qui est ici présent.

Le président: J'ai discuté de la question avec la Falconbridge et elle s'est dit être prête à témoigner devant le comité.

Le sénateur Butts: Ce n'est qu'un point mineur.

Le président: Voulez-vous poser une question à un représentant de Falconbridge?

Mme Cournoyea: Si vous voulez des précisions d'ordre technique, ils seraient mieux placés pour vous les fournir.

Le président: J'ai parlé avec les représentants de la Falconbridge. Le comité voudra peut-être leur demander de comparaître. C'est une possibilité.

Le sénateur Butts: Je faisais remarquer que j'ai lu les rapports. Il y aurait sept filons prometteurs. Six d'entre eux sont situés à l'extérieur des limites du parc. Selon le nouveau levé, les filons pourraient être plus près de la surface qu'on le croyait. Je faisais simplement valoir que les six filons à l'extérieur du parc se trouvent peut-être aussi près de la surface que celui qui se trouve à l'intérieur. Je ne vois à toutes fins utiles rien de vraiment nouveau dans le dernier levé.

En outre, l'article 22 de l'accord prévoit que tous les signataires de l'accord doivent s'entendre pour qu'il y ait examen de l'accord. Si l'une de ces parties n'en voit pas l'utilité, pourquoi s'agirait-il d'une tromperie?

Mme Cournoyea: La tromperie tient au fait qu'au moment de la signature de l'accord, le gouvernement a donné l'impression que toutes les parties consentiraient à l'examen de l'accord si de nouveaux renseignements devaient surgir. La seule partie qui s'oppose à l'examen de l'accord est celle qui a gagné quelque chose en incluant la partie visée dans le parc, soit Parcs Canada.

Le sénateur Butts: Il s'agit d'un des signataires de l'accord.

Le président: Pourriez-vous nous lire cet article, sénateur?

Le sénateur Butts: Je ne l'ai pas sous les yeux.

Le président: Nous n'avons pas vu l'article relatif à l'examen.

Le sénateur Butts: L'article 22 est de nature générale et figure au bas de tous les accords auxquels Parcs Canada est partie. Il énonce simplement que l'accord peut faire l'objet d'un examen si toutes les parties à l'accord y consentent. Il n'y est nullement fait question des limites du parc.

Le président: J'aimerais préciser pour le compte rendu que nous avons maintenant cet article. Il en a été beaucoup question. L'article 22.1 énonce ce qui suit:

Toute partie à l'accord peut demander que l'accord soit en partie ou en entier revu par les parties à l'accord. Si les parties y consentent, l'examen aura lieu dans les 90 jours suivant la demande présentée à cette fin.

Le libellé de cet article laisse fort à désirer. On pourrait comprendre que n'importe quelle partie à l'accord peut demander un examen de l'accord et que si toutes les parties y consentent, cet examen aura lieu dans les 90 jours suivants, mais que si une partie s'y oppose, l'examen pourrait avoir lieu dans les 120 jours suivants. Cet article me semble à première vue ambigu, mais je parle maintenant en avocat.

Le sénateur Butts: L'article ne mentionne cependant pas les limites du parc. Il précise par ailleurs que toutes les parties doivent consentir à l'examen.

Le président: Je ne suis pas sûr que ce soit l'interprétation juste, sénateur Butts. Comment interprétez-vous cet article, madame Cournoyea?

Mme Cournoyea: Le seul point qui a suscité un long débat concernait l'opportunité d'inclure cet article ou non dans l'accord. Il faudrait se reporter aux procès-verbaux de ces réunions, mais je crois qu'ils montreraient clairement que cette préoccupation était bien réelle.

Le sénateur Butts: C'est peut-être le cas, mais l'accord ne le reflète pas.

Mme Cournoyea: Bien au contraire.

Le président: J'ai l'impression qu'il s'agit d'une question d'interprétation juridique. Je comprends la façon dont vous interprétez l'article, mais je pense qu'on pourrait l'interpréter autrement.

Le sénateur Butts: Je ne pense pas qu'on puisse vraiment parler de tromperie. Si l'une des six parties à l'accord ne donne pas son consentement à l'examen de l'accord, cet accord ne peut pas avoir lieu. C'est très clair.

Le principe de la cogestion s'applique à la gestion du parc et non à l'établissement de ses limites. J'ignore pourquoi vous insistez sur le fait qu'il y a eu violation de l'accord de cogestion. Le parc continuera à être cogéré. La cogestion suit l'étape de la création du parc.

Mme Cournoyea: La cogestion suppose que les parties se font confiance. La confiance est le principe à la base de la cogestion. Les gens pensaient avoir conclu un accord, mais on ne s'entend plus maintenant sur l'interprétation qu'il faut lui donner. Toutes les parties à la table des négociations comprenaient le contenu de l'accord. L'article est peut-être vague, et je m'en excuse auprès de vous, mais chacun savait ce dont il s'agissait. Lorsqu'un problème comme celui-ci surgit, la confiance dans la cogestion est ébranlée. Si l'un des principaux signataires de l'accord s'oppose à l'examen de celui-ci, quelle confiance les gens de Paulatuk peuvent-ils avoir dans l'accord?

Paulatuk est une toute petite localité qui est très difficile d'accès. On doit noliser un avion à partir d'Inuvik pour s'y rendre. Très peu de gens visitent cette localité. Je comprends que lorsqu'on n'est jamais allé dans cette région, on a du mal à comprendre combien il est difficile de faire valoir ses intérêts. Les résidents de l'endroit ne peuvent pas simplement prendre l'avion et venir à Ottawa faire part au ministre de leurs doléances.

Il n'y a pas d'employés de Parcs Canada à Paulatuk, mais il y en a à Inuvik. La majorité des employés de Parcs Canada sont au Manitoba.

Le sénateur Butts: J'ai cru comprendre qu'on construisait actuellement un bureau à Paulatuk pour les employés de Parcs Canada.

Mme Cournoyea: Cet immeuble a déjà été construit dans le parc Aulavik, mais il est vide.

Le sénateur Butts: Avez-vous signé l'accord?

Mme Cournoyea: Oui, madame.

Et je l'ai signé à la lumière de ce que je viens de vous expliquer.

Le sénateur Butts: Pensiez-vous que toutes les parties devaient consentir à l'examen de l'accord pour qu'on puisse y apporter un changement?

Mme Cournoyea: J'étais convaincue que les signataires de l'accord comprenaient la situation et qu'il serait possible d'en arriver à un consensus parce que l'accord repose sur le principe de la cogestion.

Le sénateur Butts: Puisque vous avez signé l'accord, qu'est-ce qui vous a décidée à ne pas honorer votre signature?

Mme Cournoyea: J'honore ma signature en demandant aux honorables sénateurs d'exhorter Parcs Canada à honorer la sienne en cessant de s'opposer à un examen que réclament les cinq autres signataires à l'accord.

Le sénateur Butts: L'accord prévoit que les six parties doivent consentir à l'examen. Parcs Canada n'a pas renié sa parole. C'est tout ce que je voulais faire valoir.

Permettez-moi de vous poser une question précise. S'il est impossible d'exploiter une mine à l'entrée même du parc --, et comme tout le monde le sait, une mine a tendance à s'étendre --, vous optez pour la mine plutôt que le parc, n'est-ce pas?

Mme Cournoyea: Ce parc est très grand. Personne ne demande à ce qu'on l'élimine. Nous demandons simplement d'exclure de la superficie du parc moins de 2,2 p. 100 des terres.

Le sénateur Butts: J'aimerais que ce soit aussi simple, mais je ne pense pas que ce le soit. Nous savons à quel point les mines causent des dégâts environnementaux. Si un parc doit créer autant d'emplois qu'une mine, je ne comprends pas ce qui justifierait votre choix.

Mme Cournoyea: La plupart des parcs emploient une, deux ou trois personnes. Nous ne nous attendons pas à ce qu'il en soit autrement avec ce parc.

Le sénateur Butts: Ne pensez-vous pas que la somme de 10 millions de dollars est une somme importante à dépenser pour créer deux ou trois emplois?

Mme Cournoyea: On peut entrer au parc de partout.

Le sénateur Butts: En avion ou en bateau.

Mme Cournoyea: La plupart des gens qui visitent le parc maintenant -- et il y en a eu trois l'an dernier -- s'y rendent par avion. Un premier avion les laisse en amont de la rivière et un autre avion les reprend une fois qu'ils l'ont descendue.

Le sénateur Butts: Faut-il conclure que nous n'avons pas vraiment besoin de ce parc?

Mme Cournoyea: C'est pour l'avenir.

Le président: Je ne pense pas que ce soit l'avis de nos témoins.

Le sénateur Butts: Si seulement deux ou trois personnes visitent le parc par année, que puis-je conclure d'autre?

Mme Cournoyea: Nous espérons que vous le visiterez.

Le sénateur Chalifoux: Monsieur le président, Mme Cournoyea a fait un long trajet pour témoigner devant le comité. Il est vrai qu'il faut beaucoup de temps pour se rendre à Ottawa à partir de votre lieu de résidence. J'y suis déjà allée.

Monsieur Green, les aînés ont-ils participé aux négociations en vue de la signature de l'accord?

M. Green: Un seul aîné investi du savoir traditionnel y a participé. Le comité des aînés n'était pas présent aux négociations.

Le sénateur Chalifoux: À titre d'autochtone, je sais combien il est difficile de trouver de l'emploi dans le Nord et quelles sont les retombées économiques des emplois.

Quel type de développement économique entraînerait l'exploitation d'une mine dans votre collectivité et comment vous y adapteriez-vous? Votre famille compte six enfants. En quoi l'exclusion de cette partie du parc vous empêcherait-elle de vous adonner à la chasse et de subvenir ainsi aux besoins de votre famille?

M. Green: J'ai une grande famille et nous tirons notre subsistance de la terre. Nous nous nourrissons de caribous et d'oies. Si notre demande est agréée, je ne m'attends pas à ce que cela ait une incidence quelconque sur mes activités de chasse puisque toute activité de mise en valeur des ressources devrait être approuvée par le comité d'évaluation de l'impact environnemental. Je suis convaincu que nous pouvons gérer tous les aspects de l'exploitation des ressources, compte tenu des mécanismes prévus dans la Convention définitive des Inuvialuits.

Le sénateur Chalifoux: Au moment de la signature de l'entente de cogestion, pensiez-vous que cette entente visait non seulement la gestion du parc, mais aussi la création de celui-ci?

M. Green: Oui, c'est juste. Nous avons à un moment posé la question suivante aux représentants de Parcs Canada: qu'adviendra-t-il si nos priorités, ou celles de nos enfants dans 20 ans, changent? Ils nous ont répondu que l'article 22.1 s'appliquerait alors.

Le sénateur Chalifoux: C'est ce que les représentants de Parcs Canada vous ont dit?

M. Green: C'est juste. Ils nous ont dit que cela irait de soi et que l'article 22.1 s'appliquerait alors. Or, ce ne semble apparemment pas être le cas puisque cinq des six signataires à l'accord, soit la Paulatuk Community Corporation que je représente, la Inuvialuit Regional Corporation que Mme Cournoyea représente, le Inuvialuit Game Council, le comité des chasseurs et des trappeurs de Paulatuk ainsi que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest réclament tous l'examen de l'accord.

Je suis touché de voir que les gens veulent s'occuper de nous pauvres bougres qui vivons dans la région du Nord qu'est l'Inuvialuit. Je suis touché, mais nous n'avons pas besoin que quelqu'un s'occupe de nous.

La majorité des résidents de notre collectivité vit de l'aide sociale. Notre collectivité compte beaucoup de jeunes. Quant aux 10 millions de dollars que Parcs Canada va investir dans notre région, je me permets de faire remarquer que Parcs Canada n'emploie que deux personnes à Paulatuk.

Le président: Monsieur Green, j'ai exercé le droit pendant 25 ans. Rien n'est plus clair qu'une disposition disant que toute partie à un accord peut demander qu'il fasse l'objet d'un examen en partie ou en entier. Je ne peux pas croire que toutes les parties à l'accord doivent donner leur consentement à l'examen. J'aimerais que quelqu'un qui interprète autrement cet article vienne nous expliquer son point de vue.

M. Green: C'est aussi ce que nous croyons. Les représentants de Parcs Canada nous ont assurés que l'article 22.1 s'appliquerait si nos priorités changeaient.

Les Inuvialuits de Paulatuk ont demandé que l'accord soit modifié.

Le sénateur Hays: Monsieur le président, je serai bref. Nous devrions peut-être entendre les représentants de la Falconbridge.

On demande au Sénat de retarder l'adoption du projet de loi C-38 pour qu'on puisse se pencher sur la cogestion de même que sur la limite est. Je n'aborderai pas pour l'instant ces questions parce que le secrétaire d'État attend pour comparaître devant le comité. J'aimerais cependant faire une brève remarque sur les échéances et la raison qui amène nos témoins à demander qu'on modifie la limite ouest du parc en raison du potentiel minier de la région visée.

Je comprends mal. Qu'est-ce qui a changé? Qu'est-ce qui motive la demande d'examen? J'aimerais le savoir avant que nous n'entendions le secrétaire d'État aux Parcs, M. Mitchell.

Voudriez-vous nous expliquer pourquoi vous demandez que la limite est du parc soit modifiée?

Mme Cournoyea: Le levé aéromagnétique a été fait à l'automne 1997. Comme je l'ai dit, il vaudrait mieux que les représentants de la Falconbridge répondent à la question puisqu'ils connaissent cet aspect du dossier beaucoup mieux que moi.

Nous avons toujours su que le potentiel minier du secteur était prometteur, mais nous croyions qu'il ne serait pas rentable de l'exploiter. Il a été question d'exclure ce secteur du parc, mais les habitants de Paulatuk ont pensé que l'article 22.1 s'appliquerait si la situation changeait. Le levé aéromagnétique de 1997, effectué avec les moyens technologiques de pointe, a révélé que l'anomalie était très près de la surface et qu'elle pouvait être exploitée de façon rentable.

Nous ignorons combien de temps il faudra pour construire une mine ou même si une mine viendra jamais à être exploitée. Nous demandons simplement qu'on nous permette d'étudier les options de développement économique qui s'offrent aux Inuvialuits, compte tenu que ces occasions sont très rares.

Le sénateur Hays: Comme c'est peut-être la dernière fois que vous comparaissez devant nous, nous aimerions que vous nous expliquiez brièvement pourquoi le Sénat devrait retarder l'adoption du projet de loi en raison du problème que pose la limite est.

Mme Cournoyea: Parcs Canada prévoyait que le parc comporterait une partie à l'est qui fait maintenant partie du Nunavut ainsi qu'une partie au sud appartenant au Sahtu. Nous sommes cependant les seuls à avoir accepté de réserver des terres pour le parc.

Le sénateur Hays: D'autres parties intéressées ne pensaient donc pas comme les Inuvialuits que la limite est du parc devrait être plus loin?

Mme Cournoyea: Si ces parties avaient participé aux négociations avec Parcs Canada, je suis sûre que les Inuvialuits auraient opté pour un parc plus petit, mais je crois que Parcs Canada voulait un parc plus spectaculaire.

Le président: Je crains que nous devions passer à l'audition du témoin suivant même si j'aurais aussi quelques questions supplémentaires à poser. Je vous remercie d'être venus de si loin pour comparaître devant le comité. Vous avez certainement attiré mon attention et celle d'autres sénateurs sur certains éléments de l'accord qui nous étaient inconnus.

Mme Cournoyea: Je vous remercie beaucoup. Nous vous savons gré de nous avoir donné l'occasion de vous présenter notre point de vue. Je sais que nous vous demandons beaucoup, mais nous vous serions fort reconnaissants d'étudier sérieusement notre demande.

Le président: Je vous assure que nous le ferons.

Chers collègues, nous avons le privilège d'accueillir maintenant le secrétaire d'État aux Parcs, l'honorable Andy Mitchell.

Bienvenue, monsieur Mitchell. Nous nous réjouissons de vous entendre. On m'informe que vous êtes accompagné de M. Bruce Amos, directeur général des parcs nationaux.

Bienvenue, monsieur Amos. Nous vous écoutons.

Veuillez commencer.

L'honorable Andy Mitchell, c.p., député, secrétaire d'État (Parcs): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux de pouvoir vous entretenir du projet de loi C-38, Loi portant création du parc Tuktut Nogait.

L'adoption de ce projet de loi marquera un jalon important dans l'achèvement du réseau des parcs nationaux prévu pour le début du nouveau millénaire.

Le réseau des parcs nationaux est l'un des plus grands trésors du Canada, un trésor que chérissent les Canadiens. Mes fonctions de secrétaire d'État aux Parcs m'ont amené à voyager dans tout le Canada. Les Canadiens de tous les milieux m'ont assuré qu'ils attachaient une priorité élevée à la protection de nos plus beaux paysages. Ils s'attendent à ce que le gouvernement veille à bien gérer et protéger cette partie de notre patrimoine national pour que nous-mêmes, mais aussi beaucoup de générations futures puissent continuer d'en jouir.

Monsieur le président, comme particuliers, comme gouvernement et comme Canadiens, nous ne pouvons permettre que notre patrimoine naturel soit exploité sans tenir compte des intérêts des générations futures. La responsabilité de protéger ce patrimoine revient à tous et je compte pour ma part m'acquitter de la responsabilité qui m'a été confiée de représenter les intérêts de tous les Canadiens.

Je me réjouis que le projet de loi C-38 ait été adopté sans amendement par la Chambre des communes le 12 juin 1998.

Je sais, honorables sénateurs, que les plus beaux paysages du Canada vous tiennent aussi à coeur et que vous attachez une grande importance à nos parcs nationaux qui n'ont pas leur pareil au monde.

Nous savons également que la création de ce parc particulier a suscité une certaine controverse. Je compte aujourd'hui discuter avec vous d'un certain nombre des inquiétudes exprimées à ce sujet.

J'aimerais d'abord vous entretenir du rôle écologique important du parc national Tuktut Nogait.

Deuxièmement, j'aimerais vous dire quelques mots au sujet du processus qui a mené à la création du parc et des décisions qui ont été prises relativement à ce parc, processus que, soit dit en passant, monsieur le président, j'estime avoir été inclusif et transparent.

Troisièmement, j'aimerais vous expliquer comment Parcs Canada et l'accord créant ce parc oeuvreront à améliorer la situation économique des résidents de la région.

Enfin, je veux prendre un instant pour vous convaincre de la nécessité de protéger l'intégrité de nos parcs nationaux.

Monsieur le président, l'un des motifs principaux qui sous-tend la création du parc national Tuktut Nogait est de protéger les aires de mise bas de la harde de caribous de Bluenose. Comme la plupart d'entre vous le savent, le gouvernement a depuis longtemps pour politique de prendre les mesures nécessaires pour protéger les caribous de l'Arctique. Ceux qui réclament la modification des limites du parc soutiennent que l'exclusion du secteur visé n'aurait pas une grande incidence sur les aires de mise bas. Les données scientifiques qui m'ont été fournies indiquent le contraire. De fait, dans la plupart des années pour lesquelles des observations ont été faites, et notamment en 1978, 1979, 1983, 1986, 1987 et 1988, on a constaté la présence de caribous pendant la période de reproduction dans le secteur qu'on voudrait voir exclu du parc national. Au cours des deux dernières années, les études menées grâce au collier permettant de suivre les caribous par satellite montrent que les principales aires de mise bas sont bien celles qui figurent sur les cartes qui vous ont été montrées.

Le secteur dont on réclame l'exclusion du parc est bien situé dans les principales aires de mise bas comme le confirment les biologistes de la faune expérimentés qui ont travaillé de concert avec les résidents des 12 localités qui tirent leur subsistance de la harde. Il ne fait aucun doute que la politique sur laquelle repose la protection de la harde de caribous de Bluenose ne peut être efficace que si l'on préserve les limites du parc établies en 1996.

En outre, la protection du caribou revêt des conséquences internationales. Depuis des années, le premier ministre presse le gouvernement des États-Unis de protéger les aires de mise bas de la harde de caribous de la Porcupine en Alaska. Je suis fermement convaincu que nous ne pouvons pas nous écarter de cette politique si nous voulons voir les Américains acquiescer à notre demande et protéger les hardes de caribous qui relèvent de leur compétence.

En outre, la création du parc protégera d'autres animaux de la faune et notamment les boeufs musqués, les ours grizzlis, les loups et le faucon pèlerin, une espèce en voie de disparition.

Je m'en voudrais de ne pas mentionner la beauté naturelle et les paysages que nous essayons de préserver en créant le parc national dans la région naturelle 15. Ce parc vise à protéger le paysage de la toundra et les rivières arctiques qui coulent dans de profonds canyons, et notamment les spectaculaires chutes La Roncière.

Je sais que les Inuvialuits partagent notre désir de protéger cette région spéciale ainsi que l'habitat vulnérable de la harde de caribous de Bluenose. En 1989, ils étaient d'avis que la création d'un parc national constituerait une façon de protéger la harde. En 1994, ils ont insisté pour que la société minière renonce à ses permis de prospection dans la région où l'on se proposait de créer un parc et ils sont au nombre des parties qui se sont prononcées pour la création de ce parc en participant aux négociations qui ont abouti à la signature de l'accord de 1996.

Parlons maintenant du processus qui a mené à la création du parc. Je tiens à assurer les membres du comité que ce processus a été inclusif, complet et transparent. Je tiens aussi à vous assurer que toutes les demandes et que tous les renseignements pertinents ont été étudiés, évalués et pris en compte dans l'intérêt de toutes les parties en cause.

Comme je l'ai dit plus tôt, ce sont les Inuvialuits eux-mêmes qui ont d'abord eu l'idée de créer un parc national dans cette région. Cette idée a été avancée en 1989 dans le plan de conservation de la collectivité de Paulatuk. Les résidents de Paulatuk ont demandé à Parcs Canada que le gouvernement du Canada protège leur région en y créant un parc national. Plusieurs années de consultations et des études approfondies ont précédé la création du parc. Les moyens voulus ont été pris pour assurer la participation du public au processus qui a finalement abouti à un accord convenant à toutes les parties intéressées.

Au cours de ce processus, les parties ont été mises au courant qu'il existait dans la région une anomalie géologique dont le potentiel variait de moyen à élevé. Les parties en ont d'ailleurs été informées presque dès le départ. En 1994, dans le cadre du processus de création du parc, la Darnley Bay Resources Limited, la société minière qui détient les droits miniers dans cette région, à la demande des Inuvialuits eux-mêmes, a volontairement renoncé à ses permis de prospection dans la région où l'on se proposait de créer un parc. Je tiens à préciser que la société a renoncé à ses permis non pas parce qu'elle pensait ne pas pouvoir exploiter le potentiel minier de la région, mais parce qu'elle a jugé que c'était ce qu'il convenait de faire. Voici ce qu'écrivait d'ailleurs à ce sujet le président de la société du moment, M. La Prairie:

Je suis convaincu que cette mesure s'impose pour préserver «la grande beauté des paysages naturels» de Tuktut Nogait et aussi pour assurer le succès du règlement de la revendication foncière des Inuvialuits.

Il poursuivait en ces termes:

Je comprends maintenant l'importance d'un projet comme le vôtre qui, espérons-le, permettra de protéger les importantes caractéristiques propres à cette partie du Canada.

À mon avis, la Darnley Bay Resources Limited a agi de bonne foi. Sa décision reposait sur la conviction qu'il est nécessaire de gérer nos ressources naturelles de manière à protéger notre patrimoine naturel.

Le parc a été créé non pas parce que les terres sur lesquelles il s'étend ne présentaient aucun intérêt, mais plutôt parce qu'on a accordé la priorité au principe de la préservation et de la protection de l'environnement.

En 1996, six parties ont signé un accord qui prévoyait la création du parc, la mise sur pied d'un conseil de gestion de ce parc ainsi que les limites du parc lui-même. Le dernier élément du processus consistait à officialiser la création du parc en modifiant la Loi nationale sur les parcs.

J'attire votre attention sur le fait que l'accord crée un conseil de gestion du parc composé de cinq membres. Le ministre fédéral nomme deux de ces membres seulement, dont l'un sur recommandation du gouvernement territorial. Les parties inuvialuit à l'accord nomment deux autres membres et le cinquième membre du conseil, qui en devient le président, est nommé en accord avec tous les intéressés.

Les membres du conseil ont déjà été nommés. Trois d'entre eux sont des Inuvialuits, dont deux résident à Paulatuk. Le conseil remplit son mandat qui est de conseiller le gouvernement sur la planification et l'exploitation du parc.

L'accord signé en 1996 comporte un article qui permet l'examen de l'accord. Cet article -- dont j'ai copie ici -- n'énonce cependant pas que cet examen aura lieu à la demande d'une des parties à l'accord, mais plutôt lorsque toutes les parties y consentiront. L'article 22.1 prévoit que toute partie à l'accord peut demander l'examen en partie ou en entier de l'accord. Comme vous le savez, monsieur le président, une partie l'a fait. L'article poursuit en disant que l'examen aura lieu dans les 90 jours suivant la requête si toutes les parties y consentent.

On a laissé entendre que cet article avait été inclus dans l'accord à la demande expresse des Inuvialuits en raison de leurs préoccupations au sujet du potentiel minier de la partie située à la limite ouest du parc. Or, les négociateurs de l'accord n'interpréteraient pas de cette façon ce qui s'est produit autour de la table de négociations. Ils ont confirmé que durant les sept années de consultations et de négociations, aucun membre de l'équipe de négociation fédérale n'a fait valoir que le but de l'article 22 était de permettre de modifier au besoin les limites du parc à des fins de prospection ou de développement minier. J'attire votre attention sur le fait que cet article est un article type qui se retrouve dans tous les accords modernes portant création de parcs.

Je suis sûr, monsieur le président, que le comité est au courant du dépôt d'une demande de modification des limites du parc fondée sur le potentiel minier d'une partie de celui-ci. Les partisans de cette modification soutiennent que cette demande repose sur de nouveaux renseignements.

J'aimerais dissiper tout doute à ce sujet. On a toujours su que le potentiel minier de ce secteur du parc allait être de modéré à élevé. Ce renseignement est connu depuis le début du processus. Même si certains laissent entendre que les réserves minières seraient plus près de la surface qu'on ne le croyait, rien ne permet encore de le confirmer et on ne pourra peut-être d'ailleurs le confirmer qu'en menant d'autres travaux de prospection.

J'attire votre attention sur une lettre du ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord datée de 1997 qui autorise la Darnley Bay Resources Limited à effectuer des recherches dans le secteur. J'aimerais vous lire un extrait de cette lettre afin de dissiper tout malentendu. Il s'agit de la lettre autorisant les travaux effectués en 1997. Voici ce qu'on y lit:

Nous signalons à la société Darnley Bay qu'il n'est pas envisagé de modifier les limites du parc national proposé. Par conséquent, toute activité d'exploration minière menée à l'intérieur des limites du parc par la société Darnley Bay ou toute autre société minière doit avoir pour objet de recueillir des données scientifiques permettant de mieux connaître la géologie de la région et non à établir le potentiel minier des différents secteurs du parc.

Nous n'avons pas rejeté à la hâte ni sans réflexion la demande que nous avons reçue. J'ai personnellement rencontré Mme Nellie Cournoyea, présidente de la Inuvialuit Regional Corporation, ainsi que le ministre des Ressources, de la Faune et du Développement économique du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. J'ai aussi rencontré mes fonctionnaires ainsi que d'autres parties intéressées. Nous avons convenu de ne pas modifier les limites du parc établies dans l'accord de 1996, en grande partie parce que nous ne croyons pas que les circonstances aient beaucoup changé depuis lors et parce que nous sommes absolument convaincus de l'importance de protéger l'intégrité de notre réseau de parcs nationaux.

Parlons maintenant un instant de la question du développement économique. J'aimerais préciser clairement que l'un des objectifs prioritaires, non seulement de Parcs Canada, mais aussi du gouvernement du Canada, est d'élargir les perspectives économiques de tous les Canadiens, y compris de ceux du Nord, et en particulier celles des autochtones qui vivent dans des localités comme Paulatuk. Toute allégation voulant que nous ne souhaitions pas favoriser le développement économique des Inuvialuits n'est pas étayée par les faits.

Je vous signale que 80 p. 100 de l'anomalie minière visée se situe à l'extérieur des limites du parc où il est tout à fait possible de l'exploiter. De fait, la société Darnley Bay continue de rassembler des capitaux pour mettre en oeuvre son projet dans cette région et poursuit ses activités de prospection et de développement à l'extérieur des limites du parc.

Le parc créera des emplois permanents et saisonniers à long terme. Ce ne sera pas une panacée. Il ne réglera pas tous les problèmes économiques de la région. Il s'agit cependant d'un pas dans la bonne direction. Au cours de la seule année financière en cours, Parcs Canada affectera environ 200 000 $ au titre des dépenses en personnel, 260 000 $ au titre de l'achat de biens et de services dans la région et 450 000 $ au titre des immobilisations. De fait, nous comptons dépenser plus de 10 millions de dollars dans la région au cours des dix prochaines années.

Dans le cadre des engagements que nous avons pris à l'égard de la région, le conseil de gestion du parc collabore avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et Parcs Canada à l'établissement d'un plan de développement communautaire pour Paulatuk. Le conseil a aussi entrepris d'élaborer des lignes directrices provisoires pour la gestion du parc. Le 1er mai 1998, Parcs Canada a signé un protocole d'entente qui l'engage à retenir les services d'entreprises inuvialuit pour construire le bureau du parc national Tuktut Nogait ainsi que la résidence du gardien principal du parc à Paulatuk. Parcs Canada a accordé un contrat de 220 000 $ à une entreprise locale de Paulatuk et les travaux sont maintenant presque terminés.

Par ailleurs, nous collaborons étroitement avec les Inuvialuits dans le domaine de la création d'emplois. Parcs Canada a organisé une foire professionnelle à Paulatuk ce printemps dans le but de poursuivre pour une deuxième année ses efforts de recrutement dans la région, de manière à donner de l'emploi aux gens de l'endroit. Des représentants inuvialuit ont siégé aux comités de sélection qui ont choisi les trois titulaires des postes d'employés de parc ainsi que le titulaire du poste d'agent de gestion des ressources culturelles au bureau de district de l'Arctique de l'Ouest, à Inuvik. Parcs Canada et la Inuvialuit Regional Corporation collaborent à l'établissement d'une stratégie d'emploi commune. J'ai appris avec plaisir que le 8 juillet de cette année, Mme Cournoyea a écrit à Parcs Canada pour remercier ses représentants d'avoir participé à la rédaction de ce document. Mme Cournoyea écrivait ceci dans cette lettre: «... il ne semble exister aucun point litigieux important ni entrave qui pourrait compromettre l'achèvement et l'acceptation rapide de cette stratégie par les deux parties».

Enfin, j'aimerais aborder la question de la protection de l'intégrité de nos parcs nationaux. De nombreuses personnes ont fait valoir que le fait d'étudier la proposition de modification des limites du parc n'entraînait aucun risque dans la mesure où une loi fixant officiellement les limites du parc n'avait pas encore été adoptée. J'insiste sur le fait que ce risque est bien réel. Le problème qui se pose actuellement en ce qui touche le parc Tuktut Nogait pourrait également se poser à l'égard d'autres parcs nationaux qui ne sont pas non plus encore protégés par la Loi nationale sur les parcs, mais qui ont fait l'objet d'accords. Toute modification des limites sur lesquelles les parties se sont entendues pourrait compromettre les autres accords de ce genre.

En effet, des pressions pourraient être exercées pour qu'on modifie les limites de régions que les Canadiens considèrent depuis longtemps comme des parcs nationaux, c'est-à-dire Pacific Rim, Gros Morne, Pukaskwa, Grasslands, Aulavik, Wapuska et Péninsule-Bruce. La semaine dernière, le sénateur Cochrane a insisté sur la nécessité de protéger Gros Morne. La modification des limites du parc proposé compromettrait l'intégrité de ces autres parcs.

Il est absolument essentiel que nous protégions l'intégrité de nos parcs nationaux et que nous ne portions pas atteinte aux accords créant ces parcs. Notre société fait un choix en décidant de protéger ces endroits spéciaux. Nous ne décidons pas d'en faire des parcs parce que nous pensons qu'ils ne peuvent servir à rien d'autre et nous sommes conscients des sacrifices que cela suppose. Si nous en faisons des parcs, c'est que nous croyons, comme Canadiens, qu'il importe de les protéger dans l'intérêt des générations futures.

Voilà pourquoi nous créons des parcs nationaux et pourquoi le Sénat est aujourd'hui saisi de ce projet de loi. Je demande que le comité informe le Sénat qu'il donne son accord au projet de loi. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Le président: J'aimerais d'abord vous demander copie des lettres dont vous nous avez lu un extrait.

Le sénateur Adams: Monsieur le ministre, depuis quand êtes-vous responsable de Parcs Canada?

M. Mitchell: Depuis environ 15 mois.

Le sénateur Adams: Êtes-vous allé au parc-réserve national Tuktut Nogait?

M. Mitchell: Non. Je n'ai pas vu le parc.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé des autres parcs au Canada, mais vous savez que celui-ci sera différent. Les autres parcs que vous gérez maintenant accueillent des visiteurs. Le gouvernement tire des recettes des droits d'entrée. Dans le cas de ce nouveau parc, le gouvernement va cependant dépenser 10 millions de dollars pour créer deux emplois. Entre-temps, l'adoption du projet de loi C-38 mettra fin aux activités d'exploration minière. Cela vous préoccupe-t-il?

M. Mitchell: L'idée de créer un parc national dans cette région n'est pas née toute seule. Ce parc a été créé à l'initiative des résidents locaux. Ce sont eux qui se sont adressés à Parcs Canada et qui ont fait valoir que la création d'un parc national constituerait une bonne façon de protéger cette région. Les parties ont convenu des limites du parc, de son mode de gestion ainsi que des moyens d'en tirer les plus grands avantages économiques possibles à l'issue de consultations et de négociations qui ont duré sept ans. En 1996, les parties ont volontairement conclu un accord. Il était prévu que le Sénat et la Chambre des communes officialiseraient l'accord par voie législative.

Ce ne sont pas des gens du Sud qui ont décidé tout à coup de tirer des lignes à tout hasard sur une carte et de soustraire cette région au développement. Le processus qui a été suivi a été long et transparent et les résidents locaux ont participé activement aux négociations en vue de la création du parc.

Le sénateur Adams: Les 40 000 membres de la Fédération canadienne de la nature ont-ils exercé une influence sur la création du parc?

M. Mitchell: Je crois que la vaste majorité des Canadiens -- qu'ils soient autochtones, non-autochtones ou membres des Premières nations -- croient au principe voulant qu'il importe de protéger le caractère spécial de certains endroits et pensent que l'une des façons d'atteindre cet objectif est d'en faire des parcs nationaux.

Il est important, voire essentiel, que tous les intervenants collaborent au processus. Voilà pourquoi des négociations et des discussions ont eu lieu avec les résidents locaux entre 1989 et 1996.

Si vous me demandez, sénateurs, s'il convient de protéger certaines parties du pays en les assujettissant à la Loi sur les parcs nationaux et en y interdisant l'exploitation des ressources naturelles, je répondrai par l'affirmative.

Le sénateur Adams: Comme vous le savez, l'issue des revendications territoriales en inquiète certains dans cette région. Je suis sûr que vous connaissez l'accord du Sahtu et que vous savez aussi que les caribous fréquentent le secteur près de la mine de cuivre et que les gens du Nunavut qui vivent près de là chassent ces caribous. À qui songez-vous lorsque vous parlez des parties à l'accord?

M. Mitchell: Six parties ont signé l'accord. Quatre d'entre elles sont des organismes inuvialuit. Les deux autres sont le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement fédéral. Je répète qu'il y a six parties à l'accord.

Le sénateur Adams: D'après cet accord, toute revendication territoriale qui serait réglée dans l'avenir -- ce qui pourrait comprendre l'accord du Sahtu et l'accord de l'Inuvialuit -- devrait comporter une disposition relative aux redevances et aux droits miniers futurs, n'est-ce pas?

M. Mitchell: Je crois comprendre que c'est effectivement le cas. Parcs Canada a pour politique de permettre les activités traditionnelles sur les terres ancestrales, même si on en fait des parcs nationaux. Le potentiel minier des terres situées à l'extérieur du parc est prometteur. Les sociétés minières s'intéressent à ces terres. Les Inuvialuits collaborent avec ces sociétés à évaluer les ressources minières.

Une question de principe se pose ici: pense-t-on qu'il convient de préserver notre patrimoine naturel à l'intention des générations futures ou croit-on qu'il vaut mieux permettre qu'on les exploite et advienne que pourra?

Je crois fermement qu'il importe de protéger certaines régions du pays en en faisant des parcs nationaux et qu'il faut le faire à l'issue de consultations avec les parties visées et aux termes d'accords conclus avec elles. C'est exactement la façon dont nous avons procédé pour la création de ce parc en 1996.

Le sénateur Adams: Vous occupez votre poste depuis 15 mois. Que savez-vous au juste de la migration annuelle des caribous?

M. Mitchell: Je ne suis pas un scientifique, sénateur. Je me fie aux données scientifiques qui me sont fournies.

Je comprends votre préoccupation. Vous avez raison. Je ne viens pas de cette collectivité. Je n'y ai jamais vécu.

Le sénateur Adams: Voilà pourquoi je vous pose la question.

M. Mitchell: C'est la raison, sénateur, pour laquelle on ne crée pas au hasard un parc national sans consulter qui que ce soit. Nous avons discuté de la question pendant sept ans avec les résidents locaux et les négociations ont abouti à la signature d'un accord auquel ils ont souscrit volontairement.

Dans le cas qui nous intéresse -- qui se distingue un peu des autres --, l'idée de créer un parc national a été lancée par la collectivité elle-même. Les gens du Sud ne sont pas allés dans ce cas-ci dire aux gens du Nord comment les choses allaient se passer. Je comprends votre préoccupation à cet égard. Ce n'est cependant pas ce qui s'est produit.

Le sénateur Adams: Vous avez établi les limites du parc qui s'étend sur quelque 100 000 acres carrés et vous refusez maintenant d'en exclure une petite partie. Les caribous ne retournent pas nécessairement au même parc chaque année, mais ils peuvent revenir près du parc. Parcs Canada n'emploiera que deux personnes dans ce parc, et dépensera 10 millions de dollars pour le faire, mais on refuse à la société minière d'exploiter une mine qui ne nuira en rien aux caribous.

Je suis allé dans la région et j'ai vu les hardes de caribous. Les caribous vont où bon leur semble et peu leur importe d'y rencontrer des gens. Ils s'approchent même très près d'eux. Pensez-vous que les caribous quitteront cette région si on y exploite une mine?

M. Mitchell: Tout ce que vous dites est bien vrai, sénateur.

Le sénateur Adams: Je sais. J'ai vécu dans cette région.

M. Mitchell: Tout cela était également vrai en 1996 et les parties, y compris la collectivité locale, ont signé l'accord. En 1996, les résidents de l'endroit auraient pu dire que l'accord proposé ne leur convenait pas et qu'ils ne voulaient pas d'un parc. Ils auraient pu simplement refuser de signer l'accord. Ils en avaient la possibilité. Personne ne leur a tordu le bras. Ils l'ont signé de plein gré.

C'est la collectivité locale qui a demandé à la Darnley Bay de renoncer à ses droits miniers. Ce n'est pas nous qui l'avons fait. La société minière a dit qu'elle comprenait les préoccupations des résidents locaux et elle a acquiescé à leur demande. Voilà ce qui s'est produit.

Environ 80 p. 100 des ressources minières de la région sont situées à l'extérieur du parc où elles pourront être exploitées dans l'intérêt économique des résidents locaux.

Le président: Je me permets de signaler, monsieur Mitchell, que les choses ne se présentent pas tout à fait de cette façon. L'accord prévoit qu'une partie peut demander que l'accord soit revu en partie ou en entier. C'est tout.

M. Mitchell: Sauf le respect que je vous dois, sénateur, vous devez lire l'article en entier.

Le président: Je l'ai fait. L'autre partie de l'article prévoit un délai de 90 jours. Je veux simplement vous signaler qu'on peut interpréter cet article autrement comme nous l'a expliqué aujourd'hui Mme Cournoyea. J'interprète d'ailleurs cet article davantage comme elle que comme vous.

Le sénateur Chalifoux: Dans votre déclaration préliminaire, vous nous avez parlé de la survie du caribou, de l'aigle et des terres. J'ai du mal à accepter que vous ne nous ayez pas parlé de la survie des gens. Le taux de chômage dans cette région est de 95 p. 100. Le taux de suicide y est dix fois plus élevé que dans le Sud. La liste des problèmes qui se posent dans cette région est longue et je suis sûr que vous en êtes conscient.

Vous avez parlé de création d'emplois. Vous avez tenu une foire professionnelle. Avez-vous offert une formation sur les lieux aux résidents de l'endroit ou doivent-ils venir acquérir cette formation dans le Sud où ils risquent alors de rester? Votre ministère ou vous-même y avez-vous songé?

M. Mitchell: La question de la formation ne relève pas de mon ministère. Le gouvernement s'intéresse cependant activement à la façon de favoriser le développement économique du Nord et est conscient de la nécessité de créer des emplois pour les résidents de cette région. Mon collègue, le ministre des Affaires indiennes, dont relèvent essentiellement ces dossiers, cherche activement des moyens d'atteindre ces objectifs.

Je vous rappelle que personne n'est allé dans le Nord dans le but de soustraire certaines terres aux activités de développement économique. Les parties intéressées ont convenu en 1996 de réserver une partie de ces terres, une partie d'ailleurs relativement petite, pour qu'elles servent non seulement aux fins économiques que vous avez mentionnées, mais aussi à des fins de préservation et de protection.

Dans le réseau des parcs nationaux, en particulier dans les parcs situés dans le Nord, nous essayons de trouver un juste équilibre entre la protection et la préservation et le développement économique. Quatre-vingt pour cent des ressources minières se trouvent à l'extérieur du parc. Lorsque nous créons un parc, nous veillons à permettre une activité économique aussi poussée que possible.

Je ne soutiens pas que l'aménagement d'un parc est une panacée et crée beaucoup d'emplois. Nous tâchons cependant de veiller à ce que l'activité économique qui est générée profite aux résidents locaux.

Le sénateur Chalifoux: On ne parle ni l'anglais ni le français dans le Nord. Beaucoup de mots anglais et français n'ont pas d'équivalents dans les langues du Nord. Les Inuvialuits ont demandé à ce que l'accord contienne une disposition aux termes de laquelle il serait possible de revoir l'accord, ce que notre président vous a également mentionné.

Tout est question d'interprétation. Vous avez interprété la disposition d'une façon et la collectivité l'a interprétée autrement. Votre ministère a-t-il consulté les résidents du Nord au sujet de ce différend touchant les limites du parc ou a-t-il négocié avec eux?

M. Mitchell: Certainement. J'ai rencontré en février Mme Cournoyea et le ministre des Territoires du Nord-Ouest à Yellowknife et nous en avons discuté.

Plusieurs questions sont en cause. Il y a d'abord cette disposition. Le président et moi ne l'interprétons pas de la même façon. Mme Cournoyea a sa propre interprétation. Les représentants du gouvernement fédéral ont clairement indiqué lors de ces négociations que la raison d'être de cette disposition n'était pas de permettre l'exploitation minière d'une certaine partie du parc. Si tel avait été le cas, l'article l'aurait précisé.

J'attire aussi votre attention sur le fait que cette disposition se trouve dans tous les accords modernes portant sur les parcs. Elle n'est pas propre à ce projet de loi. Lorsqu'on soutient que cet article qui se retrouve dans d'autres accords a été inclus dans l'accord en question pour une raison bien particulière, je ne peux que conclure qu'il nous reste à démêler encore beaucoup d'éléments.

Le sénateur Chalifoux: Comme les Inuvialuits voulaient des emplois, ils ont opté pour un parc et Parcs Canada était alors prêt à changer les limites du parc pendant les négociations. Pourquoi n'est-il pas prêt à le faire maintenant?

M. Mitchell: Quand nous des négocions en vue de créer un parc, il arrive parfois qu'on modifie les limites proposées. Les discussions et les négociations visent à trouver un terrain d'entente. On ne peut pas comparer l'accord relatif à la création du parc à la demande d'exclusion. La façon normale de procéder est d'exclure une grande partie des terres et d'établir ensuite, à l'issue de négociations, quelle sera la superficie du parc.

Entre le début et la fin du processus, de nombreux changements peuvent être apportés. Une fois que les limites d'un parc national ont été établies, nous ne commençons pas à les modifier pour permettre des activités économiques à l'intérieur du parc. Le parc national Tuktut Nogait n'est pas le seul parc en cause. Voulons-nous exclure du parc Gros Morne certaines parties du parc et y autoriser des activités d'exploitation forestière? Voulons-nous permettre la même chose au parc Pacific Rim? Voulons-nous autoriser l'exploration gazière dans le parc national de Grasslands? Voilà la question.

Si nous permettons de modifier les limites du parc -- nous sommes parvenus au même stade pour sept autres parcs -- et que nous autorisons à une société minière à exploiter une certaine partie du parc, comment pourrons-nous empêcher une société forestière, une société d'exploration pétrolière et gazière et une autre société minière de mener des activités dans d'autres parcs?

Le sénateur Chalifoux: Vous ne voulez pas créer un précédent.

M. Mitchell: C'est juste.

Le président: Nous sommes saisis d'un projet de loi, monsieur le ministre, qui fixe les limites du parc. Les limites des autres parcs ont été établies par voie législative, n'est-ce pas?

M. Mitchell: Non.

Ces parcs ont été créés à l'issue d'un accord et leurs limites seront officialisées lorsque nous modifierons la Loi sur les parcs nationaux.

Le président: Dans tous les cas que vous avez mentionnés, faut-il comprendre que les limites des parcs n'ont pas été établies dans une loi?

M. Mitchell: Non, elles ne l'ont pas été.

Le président: Ont-elles été établies par règlement ou par autre texte réglementaire?

M. Mitchell: Les limites de ces parcs ont été établies aux termes d'un accord relatif à leur création. La même chose vaut pour ce parc.

Le président: Vous nous demandez donc d'officialiser par voie législative les limites d'un parc. Ne convient-il donc pas que le comité entende les diverses parties à l'accord pour savoir si ces limites se justifient? C'est sûrement notre rôle.

M. Mitchell: Sénateur, le même processus a été suivi à l'époque moderne pour la création de tous les parcs nationaux. Dans chaque cas, la question de la création du parc national a été soumise à l'approbation des parlementaires.

Comme il s'agit de modifier la loi, il faut évidemment donner une description juridique du parc. Voilà pourquoi on y fixe des limites. Ce que nous n'avons cependant jamais fait -- ce qui ne signifie pas que nous n'avons pas les pouvoirs voulus à cette fin -- est de modifier les limites d'un parc après que ces limites ont fait l'objet d'un accord.

Nous essayons de préserver l'intégrité des parcs nationaux. La question que nous soulevons est légitime, sénateur. Si l'on modifie les limites de ce parc pour permettre l'exploitation de son potentiel minier, comment devrons-nous accueillir les requêtes qui nous seront adressées par d'autres sociétés voulant exploiter les ressources naturelles des sept autres parcs dont je vous ai parlé? Comment devrons-nous réagir si des sociétés forestières ou des sociétés pétrolières ou gazières nous disent qu'il serait maintenant rentable d'exploiter les ressources naturelles qui se trouvent dans ces parcs?

Le président: Il faudra procéder au cas par cas.

Le sénateur Hays: Vous savez que certains d'entre nous, en particulier ceux qui appartiennent au parti ministériel, souhaitent appuyer l'adoption du projet de loi. Comme certaines personnes, et notamment des personnes d'origine autochtone, ont exprimé des réserves au sujet de ce projet de loi, cela nous a amenés à l'étudier soigneusement.

Pourriez-vous nous donner plus de précisions sur les questions qui ont déjà été soulevées? Il est louable que Parcs Canada cherche à faire participer les collectivités visées au développement des parcs et à leur gestion. Vous avez soulevé la question de l'intégrité du réseau et de l'incidence que pourrait avoir la modification des limites de ce parc sur d'autres parcs.

Si Parcs Canada compte suivre le même processus pour la création de ces parcs et y faire participer les collectivités visées, il est possible que l'établissement des limites de ces parcs pose aussi des difficultés. Vous avez dit que les limites de ces parcs n'étaient pas encore fixées en raison des préoccupations exprimées à cet égard par divers intervenants, dont les collectivités autochtones. Certaines collectivités autochtones n'ont pas donné leur accord aux limites proposées. Peut-être que je ne rends pas justice aux collectivités autochtones, mais j'ai l'impression que les négociations ne se font pas entre égaux. C'est plutôt comme si le Canada négociait avec un pays moins développé et moins avancé.

Si toutes les parties à un accord conviennent que celui-ci doit être renégocié, il n'est pas nécessaire d'invoquer un quelconque article de l'accord pour y arriver. Comme le président l'a fait remarquer, la demande de la collectivité est légitime. Le Parlement est maintenant saisi de ce projet de loi. Compte non tenu du fait que les parties ne sont pas unanimes, je crois qu'il convient que les collectivités autochtones défendent leur cause comme elles l'ont fait. Peut-être devrait-on revoir l'article qui figure dans tous les accords conclus par Parcs Canada. Il est inutile de préciser qu'il faut obtenir le consentement de toutes les parties pour rouvrir un accord. Si toutes les parties consentent à ce qu'un accord soit renégocié, toutes les dispositions sur lesquelles elles se sont précédemment entendues peuvent être revues.

J'aimerais que vous nous donniez quelques précisions supplémentaires sur la question de l'intégrité des limites du parc et sur vos rapports futurs avec les intervenants.

M. Mitchell: Vous avez soulevé plusieurs questions, et j'essaierai de vous donner des précisions sur quelques-unes d'entre elles.

Les parties à l'accord se sont entendues sur les limites du parc après sept ans de discussions, de négociations et de consultations. Personne n'a forcé la main à qui que ce soit.

J'ai eu des rapports avec les négociateurs inuvialuit. Je crois qu'il n'y a pas de meilleurs négociateurs. Ils étaient à l'époque en mesure de faire valoir leur point de vue comme ils l'ont fait aujourd'hui. Le processus a duré sept ans. À l'issue de ce processus, les parties ont conclu un accord portant sur la création et la gestion du parc. Il ne reste qu'à officialiser l'accord par voie législative.

Quant à la disposition relative à l'examen de l'accord, je vous signale qu'il existe des accords qu'on ne peut pas modifier. Quoi qu'il arrive, ces accords ne sont pas renégociables. C'est aussi simple que cela. Cet accord peut être modifié si toutes les parties y consentent. Voilà ce qui est prévu dans l'accord. Or, toutes les parties visées ne consentent pas dans ce cas-ci à ce que l'accord soit modifié.

J'ignore si j'ai répondu à votre question.

Le sénateur Hays: Puisque vous insistez pour ne pas revoir les limites qui ont été fixées dans le cas de ce parc, vous sera-t-il plus difficile de négocier des accords portant sur d'autres parcs? Je pose cette question parce qu'à mon avis, il convient que Parcs Canada fasse participer les collectivités visées aux négociations touchant la création de parcs et tienne compte de leur point de vue.

La raison pour laquelle nous consacrons autant de temps maintenant à cette question est que sept ans après que les négociations ont eu lieu et après la signature en 1996 d'un accord, une société minière a survolé le parc en 1997 et a constaté que le potentiel minier d'une partie du parc semblait prometteur. En 1998, lorsque le Parlement est sur le point d'adopter le projet de loi, la collectivité visée demande qu'on modifie la limite ouest du parc.

Peut-être que la question de l'intégrité du parc se pose parce qu'il est trop tard pour en modifier les limites. Ces limites finiront par être fixées et je vous demande si votre insistance aujourd'hui à ne pas modifier les limites de ce parc vous facilitera la tâche dans l'avenir ou vous la compliquera. Vous pensez qu'elle vous la facilitera, mais je me demande si ce ne sera pas le contraire. Je ne m'attends pas à ce que vous partagiez mon avis, mais c'est l'impression que j'ai.

M. Mitchell: Il sera plus facile d'officialiser par voie législative les accords qui ont déjà été conclus. Vous songez peut-être à des parcs dont la création n'a pas encore été envisagée. L'adoption de ce projet de loi montrera aux parties à un accord que les limites établies sont définitives. Cela amènera les négociateurs à faire preuve d'encore plus de prudence, ce qui est une bonne chose.

Le potentiel minier de la région n'a pas été découvert en 1997. On savait déjà en 1989, au moment où les discussions ont été entamées, que cette région présentait un potentiel minier allant de modéré à élevé. Les parties n'ont pas décidé de créer un parc dans une région qui ne présentait aucun intérêt minier. Ce n'est pas le cas. Il s'agit d'un territoire où une société minière possédait déjà certains droits miniers. Le levé avait établi que le potentiel minier de ce territoire allait de modéré à élevé. Les parties à l'accord le savaient.

Le MAIDN a autorisé le levé qui a été effectué en 1997 sous réserve qu'il ne devait pas donner lieu à une modification des limites du parc. Ce levé devait servir à des fins scientifiques et non pas à des fins d'exploitation minière. Nous ne faisons donc pas face à une situation tout à fait nouvelle. Quelques nouveaux éléments seulement sont apparus. Il semblerait que les minéraux soient situés plus près de la surface que ce qu'on croyait d'abord. Le potentiel minier de la région était cependant connu en 1994 lorsqu'on a demandé à la Darnley Bay de renoncer à ses droits.

Monsieur le président, comme vous l'avez fait remarquer, le projet de loi vise sept parcs. S'il est adopté, les accords relatifs à la création de ces parcs seront officialisés. Dans les faits, les deux Chambres du Parlement peuvent modifier les limites d'un parc existant. Je ne pense pas que nous le ferions. Quelles en seraient les conséquences? Qu'adviendrait-il si l'on découvrait des gisements minéraux pouvant être exploités de façon rentable dans le parc national de Banff ou le parc national de Jasper? Accepterions-nous de permettre l'exploitation des ressources naturelles de petites parties de ces deux parcs?

Le réseau des parcs nationaux représente de 2 à 3 p. 100 de la superficie du Canada. Il ne s'agit pas d'empêcher le développement économique dans de vastes parties du Canada. Nous voulons simplement constituer un réseau national de parcs qui soit représentatif de l'ensemble des régions spéciales du Canada.

Le président: Je veux être sûr d'être bien compris. Comme tous les autres membres du comité, je tiens à la création d'un réseau de parcs nationaux ainsi qu'à sa préservation. Nous devons cependant tenir compte du fait que ce parc est situé dans une région très éloignée et que cinq des six signataires à l'accord veulent maintenant qu'on envisage d'y permettre des activités de développement économique. Tout ce qui semble pour l'instant s'y opposer est que ces activités risqueraient d'avoir une incidence sur les déplacements des hardes de caribous, ce qui est loin d'être sûr. J'aimerais obtenir plus de précisions à ce sujet. Les comparaisons que vous faites sont boiteuses en raison de la nature de ce parc. Je ne propose pas du tout qu'on permette toutes sortes d'activités d'exploration dans nos parcs. Nous voudrions éviter que certains désastres ne se reproduisent.

Le sénateur Fitzpatrick: Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Mitchell. J'aimerais savoir si on a essayé d'établir la valeur potentielle des minéraux en question, le nombre d'emplois que les activités d'exploitation minière pourraient créer ainsi que l'apport possible de ces activités à l'économie de la région.

J'aimerais aussi savoir s'il n'est pas possible qu'il y ait des restrictions à l'exploitation des gisements miniers qui se trouveraient à l'extérieur des limites du parc.

M. Mitchell: Si je ne m'abuse, aucune loi ne permet l'établissement de zones tampons autour des parcs nationaux. Je sais qu'on se demande s'il ne devrait pas y en avoir, quelle devrait être leur étendue le cas échéant et quel type d'activités on devrait y permettre.

Je ne pense pas qu'on pourrait vraiment faire une analyse des avantages économiques du développement de cette partie du parc. Si je ne m'abuse -- et je ne suis pas un spécialiste des questions minières -- il s'agirait maintenant d'établir le potentiel minier de cette région. Tant qu'il n'y a pas de façon d'établir l'importance de la réserve de minerai, il est très difficile d'évaluer quelles seraient les retombées économiques d'une mine, d'autant plus qu'on ne sait pas si cette mine serait exploitée dans 10, 25 ou 50 ans. J'ignore s'il serait possible d'évaluer ces retombées.

Je sais cependant qu'au moment de la signature de l'accord, les parties étaient conscientes que le potentiel minier de la région allait de modéré à élevé.

Le sénateur Fitzpatrick: Vous savez je pense que j'ai travaillé dans l'industrie minière. Lorsque j'entends dire qu'une région a un potentiel minier allant de modéré à élevé, cela attire mon attention parce que ce genre de renseignements revêt habituellement de l'importance dans l'industrie.

Je me demande pourquoi on n'a pas vraiment essayé d'évaluer l'importance du filon. Je sais évidemment qu'il faudrait pour cela faire des forages et des levés exploratoires. Un potentiel minier élevé a un sens pour l'industrie minière et j'aimerais savoir ce qu'on a fait pour établir ce que cela aurait pu signifier pour cette région.

M. Mitchell: Je ne peux pas répondre de façon précise à cette question, sénateur. Je ne peux qu'y répondre de façon générale. En 1994, on savait déjà que le potentiel minier de la région allait de modéré à élevé. Il a aussi été décidé de créer un parc pour protéger les aires de mise bas du caribou.

Une décision a été prise. Puisqu'il était question de créer un parc pour protéger les aires de mise bas du caribou, les Inuvialuits ont demandé à la société minière de renoncer à ses droits miniers, ce que la société a fait. À partir de ce moment, le potentiel minier n'importait plus. La société a volontairement renoncé à ses droits miniers non pas parce qu'elle pensait que la région ne présentait aucun intérêt au point de vue minier, mais en raison des principes sur lesquels reposent la préservation et la protection du milieu. Il a été décidé de suivre ces principes. Il a été décidé de ne pas exploiter l'anomalie dans le secteur qui devait devenir un parc national.

Il ne faut pas en déduire que l'anomalie ne sera pas exploitée. Si je ne m'abuse, cinq des six sites présentant un potentiel minier élevé sont situés à l'extérieur des limites du parc. Par conséquent, il est encore possible de tirer des avantages économiques de ce potentiel.

Le sénateur Butts: Peut-être allez-vous trouver que j'insiste trop sur cette question qui a été soulevée à plusieurs reprises, mais je crois que le coeur du problème tient au fait que les témoins nous ont dit que la seconde étude avait révélé des faits nouveaux. Je pense avoir entendu un des témoins nous dire qu'on croyait au début que le potentiel minier allait de faible à modéré.

Si les deux études ont établi que le potentiel minier était de modéré à élevé et que tout ce que la seconde étude a permis d'établir de nouveau est que les filons étaient moins profonds qu'on le croyait, est-il alors admis que la situation n'a pas changé? Je crois que c'est le coeur du problème.

M. Mitchell: Je vais vous lire un extrait du levé géologique portant le numéro de dossier Canada 2789 qui concerne le secteur dont il est question et qui a été effectué en 1994. Il s'agit d'un document public. Il y est dit que l'anomalie gravitationnelle et magnétique de la Darnley Bay va de modérée à élevée.

M. Hays: Le levé vise-t-il la région en question?

M. Mitchell: Il y est question de l'anomalie gravitationnelle et magnétique de la Darnley Bay. L'endroit indiqué figure sur la carte. Il s'agit d'un document public. Nous veillerons à vous en transmettre un exemplaire.

Le président: Nous vous en serions reconnaissants. En conclusion, la Inuvialuit Regional Corporation nous a dit ce matin que les limites est et sud du parc Tuktut Nogait n'avaient pas encore été fixées. Est-ce vrai?

M. Mitchell: Pas exactement, monsieur le président. Permettez-moi de vous expliquer ce qu'il en est. La situation qui existe à l'heure actuelle est exactement la même que celle qui existait en 1996 lors de la signature de l'accord. Nous avions alors prévu que le parc serait élargi à un moment donné. Lorsque les négociations avec le Nunavut et les Dénés du Sahtu seront terminées, il y aura trois parcs. Nous poursuivons les discussions avec ces parties.

J'aimerais préciser que la situation à l'égard des négociations avec ces deux groupes dont l'accord est nécessaire pour élargir le parc, est exactement la situation qui prévalait au moment de la signature de l'accord en 1996. Rien n'a changé à cet égard.

Comme nous avons conclu un accord avec un groupe, les limites de cette partie du parc sont établies. Les limites des autres extrémités du parc seront établies lorsque nous aurons conclu un accord avec les deux autres groupes visés. Nous suivrons le même processus. Rien n'a changé.

Le président: Il demeure que deux des limites de ce parc, les limites est et sud, n'ont pas encore été fixées.

M. Mitchell: Ce n'est pas la bonne façon de présenter les choses, monsieur le président. Le parc qui sera créé est le parc qui est décrit dans l'accord que nous avons conclu avec les Inuvialuits.

Si les négociations que nous avons entamées avec les deux autres groupes dont je vous ai parlé aboutissent, le parc sera peut-être élargi. Nous ne modifierons pas les limites du parc qui aura été créé; nous ne ferons qu'y ajouter une partie. Ce n'est pas inhabituel. Je pense que c'est la façon dont on a élargi le parc Kejimikujik en Nouvelle-Écosse. Les limites de ce parc n'ont pas été modifiées.

Si le cadre législatif est toujours le même dans l'avenir, nous devrons présenter un amendement législatif pour ajouter ce territoire au parc. L'amendement ne visera pas à en modifier les limites.

Le président: On nous a dit aujourd'hui que personne n'avait informé les Inuvialuits de la région du dépôt du projet de loi et que ce n'est que par l'Internet qu'ils ont appris la nouvelle. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Mitchell: Après avoir rencontré Mme Cournoyea et le ministre, je lui ai écrit une lettre le 25 mars avant le dépôt du projet de loi. Dans le dernier paragraphe de cette lettre, je l'informe que nous comptons présenter rapidement à la Chambre des communes le projet de loi créant officiellement le parc national.

J'ajouterai que la presse m'a posé des questions au sujet du contenu de cette lettre. J'ai refusé de répondre à ces questions parce que les destinataires de la lettre ne l'avaient pas encore reçue. Je voulais leur permettre de faire les remarques qu'ils jugeaient opportunes.

J'ai écrit à Mme Cournoyea pour lui dire que j'avais tenu compte des arguments qu'elle m'avait présentés lors de notre réunion et je lui ai expliqué ce qui motivait ma décision. Je lui ai indiqué que le projet de loi allait être déposé à la Chambre.

Comme je l'ai dit, lorsque les journalistes m'ont posé des questions au sujet de cette lettre, je leur ai dit de s'adresser à ses destinataires. Je voulais leur donner l'occasion d'en prendre d'abord connaissance.

Le président: Pouvez-vous déposer la lettre auprès du comité?

M. Mitchell: Volontiers.

Le président: Enfin, vous avez dit que des biologistes et des spécialistes de la faune avaient étudié la question des aires de mise bas du caribou. Pourriez-vous nous donner le nom de ces personnes? J'aimerais beaucoup les inviter à comparaître devant le comité. Pourriez-vous nous dire le nom de la personne qui vous a conseillé sur cette question?

M. Mitchell: J'obtiendrai le nom de cette personne pour vous. Il s'agit d'un fonctionnaire du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

Le président: C'est la personne qui vous a conseillé sur cette question?

M. Mitchell: Il s'agit du biologiste de la faune en chef dont relève cette région.

Le sénateur Buchanan: J'ai peut-être raté ce renseignement, mais quelle est la position du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest sur la modification des limites du parc?

M. Mitchell: Voici ce que je pense être sa position. Une recherche effectuée dans nos dossiers montre que nous n'avons pas reçu de demande officielle du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest en vue de la modification des limites du parc. Je dois cependant reconnaître qu'il a appuyé la demande des groupes inuvialuit. Je complique donc sans doute les choses. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a fait connaître publiquement sa position.

Le président: Je vous remercie d'avoir bien voulu comparaître devant le comité aujourd'hui. Il s'agit d'un sujet très important et je vous assure que nous sommes tous en faveur de la création du parc. Comme vous avez pu le constater, un aspect de cette question nous préoccupe.

M. Mitchell: J'aime toujours rencontrer mes collègues du Sénat.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

La séance est levée.


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