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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-38, modifiant la Loi sur les parcs nationaux (création du parc Tuktut Nogait), se réunit aujourd'hui à 9 heures pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous reprenons l'étude du projet de loi C-38, modifiant la Loi sur les parcs nationaux pour la création du parc Tuktut Nogait, dans l'Arctique de l'Ouest.

Cette audience a pour but d'examiner le retrait de certaines parcelles de terrain du parc national à la suite des renseignements que nous avons reçus au sujet des possibilités d'exploitation minière dans une petite zone située dans les limites du parc. Nous avons l'intention d'obtenir des renseignements plus précis à ce sujet en écoutant les représentants de la société Falconbridge Limited qui témoignent ce matin. Plus tard, nous entendrons parler des déplacements des caribous Bluenose et nous apprendrons si leur lieu de mise bas se trouve dans cette zone.

Je donne la parole à M. Dennis Prince.

M. Dennis Prince, directeur des projets d'exploration, Falconbridge Limited: Honorables sénateurs, je suis honoré d'avoir l'occasion de vous parler. Je suis géologue et je suis au service de la Falconbridge Limited depuis 30 ans. Je suis responsable de tous les projets locaux dans le monde.

Mardi dernier, M. McNamee et Mme Cournoyea ont parlé du travail accompli par l'Initiative minière de Whitehorse. J'ai participé aux travaux du comité d'accès aux terres de l'Initiative minière de Whitehorse avec d'autres représentants de l'industrie minière, ainsi que des représentants de plusieurs organismes écologiques, des Premières nations, des milieux syndicaux et des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.

Je suis également vice-président de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs. S'il plaît à Dieu, j'en deviendrai le président en l'an 2000. Les problèmes d'accès aux terres revêtent beaucoup d'importance pour l'ACPE. Nos membres les ont toujours considérés comme une priorité absolue.

Nous comparaissons devant vous aujourd'hui à la demande des Inuvialuit, pour vous permettre d'avoir l'avis d'experts dans le secteur de la prospection minière et pour répondre à vous éventuelles questions concernant des renseignements d'ordre technique.

La société Falconbridge a signé une entente avec Darnley Bay Resources Limited il y a un mois, pour acquérir une option de participation à son projet d'exploration.

Nous avons rencontré les représentants de la Inuvialuit Regional Corporation il y a deux semaines pour nous présenter. Nous avons appris que l'IRC vous demandait de revoir l'entente concernant le parc et d'exclure de la limite ouest du futur parc national Tuktut Nogait une zone présentant un fort potentiel minier, avant de fixer les limites du parc.

Mme Nellie Cournoyea nous a demandé de vous écrire une lettre pour appuyer cette demande et d'assister à l'audience de mardi dernier afin de répondre aux questions d'ordre technique sur le potentiel minier de la zone en question.

Je passe maintenant la parole à M. James Robertson.

M. James Robertson, directeur de l'exploration, ouest de l'Amérique du Nord, Falconbridge Limited: Honorables sénateurs, je suis géologue pour Falconbridge. Je suis également président du comité de liaison sur la prospection minière du Manitoba.

Nous travaillons en étroite collaboration avec le Fonds mondial pour la nature et le gouvernement du Manitoba afin de choisir des zones destinées à devenir de nouveaux parcs nationaux dans le cadre de la campagne concernant les espèces menacées d'extinction du Fonds mondial pour la nature. Nous essayons de procéder par voie de consensus et nous efforçons de trouver des solutions satisfaisantes pour toutes les parties concernées. Nous essayons de choisir des zones représentant des paysages uniques tout en essayant d'éviter les zones riches en potentiel minéralogique. Nous avons fait des progrès très encourageants jusqu'à présent.

Je suis également membre d'un comité chargé d'examiner la faisabilité de l'aire de conservation marine du lac Supérieur, avec le concours de Parcs Canada et du Fonds mondial pour la nature. Ils ont demandé à la Falconbridge d'appuyer l'étude et nous avons accepté. Parcs Canada m'a demandé de faire partie du comité et j'ai accepté.

La Falconbridge a participé à de nombreuses initiatives visant à protéger la faune. Notre bureau de Winnipeg a parrainé la création du Centre de traitement des données sur la conservation du Manitoba. Nous avons appuyé activement le projet de réintroduction des faucons pèlerins au Manitoba et en Ontario.

Nous comptons vous fournir trois types de renseignements: nous allons vous parler de la Falconbridge et vous expliquer pourquoi nous avons décidé d'investir dans le projet d'exploration de l'anomalie de la baie Darnley; nous vous dirons ensuite pourquoi les résultats du levé aéromagnétique effectué l'année dernière indiquent que le potentiel minéralogique de cette anomalie est beaucoup plus élevé que prévu. Nous vous donnerons ensuite les raisons pour lesquelles il importe d'exclure du parc la zone sud-est de l'anomalie.

La Falconbridge est le deuxième producteur de nickel du monde occidental. Elle est le troisième producteur de cobalt et un des dix principaux producteurs de cuivre. Notre société a été fondée en 1928. La Falconbridge fait de la prospection et de l'exploitation minière; elle transforme et commercialise des métaux partout dans le monde.

Elle exploite cinq mines de nickel à Sudbury, la mine cuivre-zinc Kidd Creek à Timmins, la nouvelle mine de nickel Raglan dans le nord du Québec, une raffinerie de nickel en Norvège, des sites de latérite de nickel en République dominicaine et la gigantesque mine de cuivre Collahuasi, dans le nord du Chili.

Bien que nous soyons actuellement à un creux du cycle du marché des métaux, la Falconbridge estime que les perspectives à long terme sont excellentes en ce qui concerne le nickel. Il faudra découvrir de nouveaux gisements de nickel régulièrement pour pouvoir répondre à la demande mondiale future. La prospection, la découverte et la mise en exploitation de nouvelles mines prennent des années. Par conséquent, la Falconbridge continue de faire de la prospection dans toutes les régions du monde présentant le plus de potentiel en ce qui concerne ce métal.

Les gisements de nickel renferment en outre généralement d'importantes proportions de métaux du type cuivre, cobalt et platine. En plus de la prospection que nous faisons à proximité de nos mines actuelles de Sudbury et de Raglan, nous avons également des projets d'exploration au Manitoba, au Québec, au Labrador, au Groenland, au Zimbabwe, en Afrique du Sud et nous sommes en train d'ouvrir un bureau en Australie.

Nous avons un projet avancé d'exploitation de dépôts de latérite de nickel en Côte-d'Ivoire (Afrique Occidentale) et nous venons de signer une entente avec le peuple Kanak de la Nouvelle-Calédonie -- peuple autochtone occupant la région nord de l'île -- concernant la création d'une usine de ferronickel pour le traitement conjoint du nickel extrait des gisements de cette région.

Si nous sommes très actifs à l'échelle internationale, nous sommes toujours convaincus du potentiel minéralogique élevé du Canada. Nous dépensons 70 p. 100 de notre budget de prospection au Canada. Le Canada était le principal producteur de nickel du monde mais nous avons progressivement perdu notre première place. La Falconbridge cherche de nouveaux débouchés au Canada. Pour l'instant, la seule cible qu'elle ait choisie dans les Territoires du Nord-Ouest est l'anomalie de la baie Darnley.

Pendant plusieurs années, la Falconbridge a suivi de près les progrès des travaux d'exploration de Darnley Bay Resources Limited sur l'anomalie de la baie Darnley. C'est la plus importante anomalie gravitationnelle isolée d'Amérique du Nord à laquelle sont associées plusieurs fortes anomalies magnétiques. Son caractère géophysique est analogue aux anomalies situées dans certaines des plus importantes ceintures minérales du monde, comme le bassin de Sudbury. En fait, l'anomalie gravitationnelle de la baie Darnley est quatre fois plus importante que cette dernière. Il s'agit fort probablement d'une très forte intrusion de roche mafique dans l'écorce terrestre. Cette roche provient du manteau terrestre où elle se trouvait sous forme de magma. De fortes intrusions comme celle-ci sont parfois riches en métaux du type nickel, cuivre, cobalt et platine.

La Falconbridge avait déjà examiné les données sur l'anomalie en question. Nous avions lu le rapport publié en 1994 par la Commission géologique du Canada et avions accepté ses conclusions. Si nous n'avions pas décidé d'aller plus loin, c'est toutefois parce que nous estimions que les cibles étaient probablement à plusieurs kilomètres de profondeur -- je crois que d'autres entreprises intéressées étaient également de cet avis -- et que la prospection n'était par conséquent pas faisable. Qu'est-ce qui nous a fait changer d'avis?

L'été dernier, nous avons réexaminé le projet à la lumière des nouvelles données recueillies et avons trouvé les résultats très encourageants. Nous avons alors décidé de négocier une participation au projet avec Darnley Bay Resources. Nous avons signé une entente avec elle le 29 septembre. Cette entente nous donne l'option de participer au projet.

Voici les quatre nouveaux facteurs qui ont amené la Falconbridge à participer à ce projet.

Le premier est l'accessibilité des cibles. En octobre 1997, un levé aéromagnétique à haute résolution a été effectué au-dessus de l'anomalie. Il s'agissait d'un levé d'avant-garde qui a fait considérablement progresser le projet pour deux raisons. Il a d'abord permis d'identifier plusieurs fortes anomalies magnétiques coïncidant avec l'anomalie gravitationnelle qui constituent des cibles d'exploration intéressantes. Il semble également que ces anomalies magnétiques constituent des cibles beaucoup moins profondes qu'on ne le pensait. Bien que les travaux précédents indiquaient que les cibles se trouvaient probablement à plusieurs kilomètres de profondeur et que leur exploitation ou leur exploration n'étaient par conséquent pas rentables, les nouveaux résultats indiquent clairement que certaines des cibles semblent être situées entre 400 et 1 000 mètres de profondeur. À titre d'indication, les gisements exploités actuellement à Sudbury sont à plus de 2 000 mètres de profondeur. L'anomalie de la baie Darnley est incontestablement à une profondeur relativement faible.

Le deuxième facteur est lié aux nouveaux modèles sur la genèse des gisements de nickel. On a appris de nouveaux renseignements au sujet du gisement de nickel Norilsk-Talnahk, en Russie. C'est le gisement de nickel et de platine le plus riche du monde. Nos connaissances se sont également considérablement enrichies à la suite des travaux captivants qui ont été faits sur le gisement de nickel de Voisey Bay, au Labrador, qui est différent des autres gisements. Ces modèles indiquent que les gisements de nickel ne sont pas confinés aux endroits où se manifestent des intrusions de magna mais qu'ils peuvent être également associés à des chambres et à des filons secondaires de magma qui peuvent être situés au-dessus ou au-dessous, voire à l'extérieure de l'intrusion. Par conséquent, à ce stade-ci, on ne peut prédire quelle est la meilleure zone de l'anomalie de la baie Darnley. Pour le savoir, il faudra effectuer beaucoup d'autres travaux.

Le troisième facteur est notre expérience dans l'exploitation du nickel dans l'Arctique. En décembre 1997, la Falconbridge a commencé à exploiter le gisement de nickel de la mine Raglan, située dans la zone subarctique de l'Ungava (nord du Québec) et dans le détroit d'Hudson. Cette mine produit 20 000 tonnes de nickel par année et on en prévoit l'expansion. La mine Raglan prouve que les nouvelles percées technologiques ont amélioré la rentabilité de l'exploitation minière des gisements de nickel dans l'Arctique canadien.

La collaboration et l'aide des Inuits de la région ont également rendu ce projet possible. Nous nous sommes engagés dès le début à consulter les collectivités locales et à tenir compte de leurs préoccupations de façon systématique. La Falconbridge est une des premières compagnies minières à avoir obtenu la collaboration des Inuits dans le cadre d'une entente concernant le partage des avantages. Dans le cadre de l'entente sur la mine Raglan que nous avons conclue avec Makivik, les Inuits de la région partagent une partie des bénéfices de la mine. Ils ont des droits de priorité en ce qui concerne la fourniture de services à contrat. Ils reçoivent une formation professionnelle et ont la priorité pour les emplois. À l'heure actuelle, la mine emploie 350 travailleurs dont 75 sont des Inuits de la région. La collaboration a été excellente.

Le quatrième facteur est les récentes percées technologiques dans le domaine de l'exploration. À l'heure actuelle, une nouvelle percée technologique de pointe en géophysique d'exploration, comme l'interprétation en trois dimensions et la déconvolution -- ne me demandez pas d'expliquer ce que c'est -- permettent d'estimer la profondeur des cibles magnétiques. Les levés électromagnétiques effectués dans les trous de forage permettent de déceler des corps minéralisés situés à une certaine distance de ces trous. Ces levés consistent à faire descendre une sonde géophysique dans les trous de forage. Par ailleurs, de nombreux progrès ont été réalisés dans le traitement informatique des données géophysiques, ce qui améliore considérablement l'interprétation des composantes géologiques sous-jacentes, en trois dimensions. Nous estimons que ces techniques nous aideront à déterminer quelles sont les meilleures cibles et à les exploiter en perturbant le moins l'environnement.

Nous vous signalons également qu'un certain nombre d'évaluations minérales ont été effectuées au sujet de la région de la baie Darnley, tel qu'indiqué dans le rapport de 1994 de la CGC. À chaque évaluation, grâce aux renseignements supplémentaires recueillis, le potentiel minéralogique augmentait. À la suite des résultats des derniers levés aéroportés, le potentiel s'est encore accru davantage, même si aucun forage n'a été effectué dans l'anomalie jusqu'à présent.

Nous prévoyons faire des analyses géophysiques et forer plusieurs trous l'année prochaine. Nous aurons alors une idée beaucoup plus précise du potentiel minéralogique.

Ce projet n'en est qu'à ses débuts et il exigera des travaux beaucoup plus considérables au cours des prochaines années. Nous croyons qu'il a toutes les chances de mettre au jour de vastes gisements de métaux du type nickel, cuivre, cobalt et platine. Il convient de signaler que le rapport que la CGC avait établi en 1994 reposait sur des données remontant à une vingtaine d'années. Il était fondé sur un levé aéromagnétique effectué en 1973, sur des bandes espacées de 2 000 pieds.

Les nouvelles données ont évidemment été recueillies grâce à des levés effectués à plus basse altitude et à intervalles moins espacés; il s'agit de levés à beaucoup plus haute résolution, faits avec des moyens technologiques beaucoup plus avant-gardistes. En outre, la CGC n'était pas parvenue à faire une évaluation suffisante du potentiel diamantifère. Le nouveau levé indique plusieurs cibles en bull's eye qui pourraient très bien être du type kimberlite, susceptibles de contenir des diamants. On ne l'a pas encore vérifié.

M. Prince: Je voudrais vous expliquer pourquoi les résultats des nouveaux levés aéromagnétiques ont considérablement accru le potentiel minéral. La Falconbridge n'a décidé que depuis peu de participer à ce projet pour la principale raison que ces nouvelles données sont tellement intéressantes qu'elles nous ont incités à changer d'avis. Nous ne prenons pas ce genre de décision à la légère étant donné que les frais d'exploration sont énormes. Nous choisissons nos cibles d'exploration avec beaucoup de soin.

Pour l'instant, l'anomalie de la baie Darnley est notre seule cible d'exploration dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Nous estimons qu'il faudra plusieurs millions de dollars pour explorer cette anomalie et plusieurs années pour savoir s'il s'agit d'un gisement rentable. Pour vous donner un point de comparaison, je vous signale que, dans le cas de notre gisement Raglan entré en exploitation en décembre 1997, il a fallu une trentaine d'années. Cela vous donne une idée de la durée des travaux d'exploration.

Au cours de l'audience de mardi dernier, on s'est surtout demandé si les résultats des nouveaux levés aéromagnétiques apportaient des renseignements supplémentaires importants. Je vous assure qu'ils revêtent une importance capitale pour la Falconbridge. Ils étaient de toute façon suffisamment intéressants pour nous faire changer d'avis et nous inciter à poursuivre l'exploration dans le cadre de ce projet; c'est ce qui nous a poussés à nous mettre en rapport avec Darnley Bay Resources pour y participer.

L'autre sujet dont je souhaite vous parler sont les raisons pour lesquelles il importe d'exclure du parc la partie sud-est de l'anomalie. Bien que, dans toutes les régions du monde, les principales ceintures minérales soient généralement associées à de fortes anomalies gravitationnelles et magnétiques comme celle de la baie Darnley, les gisements de nickel ne se trouvent que dans de très petites parties de ces anomalies. Si un gisement rentable est découvert à la baie Darnley, il est probable qu'il n'occupe qu'une très petite partie de l'anomalie. Il est même possible d'y trouver plusieurs gisements sans que la plus grosse partie de l'anomalie soit minéralisée. C'est un peu la même chose que chercher une aiguille dans une botte de foin.

Même s'il est logique de faire d'abord des vérifications sur les cibles les plus riches et les moins profondes, il n'est pas possible pour l'instant de déterminer quelle zone est effectivement minéralisée. Il est possible que les cibles magnétiques du parc soient assorties de gisements métallifères associés et que les autres cibles situées à l'extérieur du parc ne contiennent rien, ou le contraire. Par conséquent, il est important que l'exploration porte sur toute la superficie de l'anomalie. Après avoir dépensé des millions de dollars pour explorer les cibles, il serait humiliant de découvrir plus tard que la meilleure zone se trouve dans le parc.

En bref, la Falconbridge a décidé de participer au projet de la baie Darnley parce que nous estimons qu'il pourrait contenir des gisements de nickel, de cuivre, de cobalt et de platine à haute teneur. Les résultats du levé aéromagnétique effectué l'année dernière ont accru considérablement le potentiel de l'anomalie pour deux raisons. Ce levé a permis d'identifier d'une part plusieurs bonnes cibles d'exploration et, surtout, il indique que certaines des anomalies magnétiques sont beaucoup moins profondes qu'on ne le pensait précédemment. Ces nouveaux renseignements ont influencé notre décision de façon radicale.

Étant donné que la présence de gisements peut se manifester dans n'importe laquelle des zones cibles d'exploration voire dans une seule de ces zones, il importe que toute l'anomalie soit accessible pour les travaux d'exploration.

Par conséquent, la Falconbridge vous demande respectueusement d'examiner sérieusement la requête des Inuvialuit, à savoir de modifier la limite ouest du futur parc afin d'exclure la zone qui présente un potentiel minéralogique élevé, c'est-à-dire la zone sud-est de la baie Darnley. Il est indispensable de le faire avant la création du parc.

La Falconbridge est fermement convaincue de la nécessité de préserver les paysages et la faune uniques du Canada tout en exploitant les zones à potentiel minéralogique élevé, car c'est essentiel pour la prospérité de notre pays. Nous sommes convaincus qu'il n'est pas nécessaire de faire un choix entre les deux. Nous pouvons préserver les deux en étant prudents. Pour y arriver, il faut que les divers intervenants se réunissent et s'écoutent mutuellement dans le respect et la compréhension. Nous estimons que ce n'est pas par la confrontation mais par la réalisation d'un consensus à la suite de discussions que l'on obtiendra les meilleurs résultats.

Si vous décidez de revoir les limites du parc national Tuktut Nogait, nous serions heureux de collaborer. Nous proposons à Kevin McNamee de la Fédération canadienne de la nature et à Parcs Canada de collaborer avec les Inuvialuit pour trouver une solution qui serve les intérêts de tous les Canadiens.

Nous croyons que dans le cas du parc Tuktut Nogait, il est possible de trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties. En modifiant légèrement les limites du parc, on créerait un très vaste parc national pour protéger les lieux de mise bas du caribou Bluenose tout en préservant une zone présentant un potentiel minéralogique élevé qui pourrait avoir des retombées économiques intéressantes pour les Inuvialuit et pour tous les Canadiens. Nous nous préoccupons de la faune et nous estimons que l'exploitation minière est possible sans nuire à l'intégrité de l'habitat faunique. Il est possible de concilier les deux.

Le sénateur Hays: Nous n'essaierons pas de demander des explications détaillées sur la différence entre les levés qui ont été effectués en 1973 et ceux qui ont été faits en 1997, c'est-à-dire les seuls levés qui aient été effectués. Vous pourriez peut-être toutefois nous donner quelques précisions à ce sujet et faire des commentaires sur les déclarations du secrétaire d'État aux Parcs qui nous a dit que, lorsque la permission de faire un levé a été accordée pour cette zone, c'était à la condition expresse que ce soit dans un autre but que de faire modifier les limites du parc.

M. Robertson: J'ai apporté un exemplaire du rapport de la firme Paterson, Grant & Watson Limited sur le projet de la baie Darnley. Il indique les résultats du levé qui a été fait au mois d'octobre. Ceux-ci ont été comparés à ceux du levé qui avait été fait en 1973 par la Commission géologique du Canada. Les levés de la CGC permettent d'interpréter assez bien la nature géologique globale d'une zone mais ne sont pas très utiles pour la prospection minière. Les bandes sont espacées de deux kilomètres, ce qui est beaucoup. Le levé de 1997 a été fait sur des bandes espacées de 800 mètres. Le levé de la CGC a été fait à une altitude de 2 000 pieds tandis que celui de l'année dernière a été effectué à une altitude de 490 pieds. De nombreux progrès ont été réalisés au cours des 25 dernières années dans toutes les branches de la géophysique, mais surtout en aéromagnétique.

En bref, le gradient vertical examine la signature magnétique du sol non seulement en ligne droite mais aussi à deux niveaux et indique les différences. On utilise également un système d'orientation géographique (GPS) qui fournit des données beaucoup plus précises sur les anomalies. Les données sont très différentes. Les nouvelles sont à beaucoup plus forte résolution et sont beaucoup plus utiles pour la prospection.

Nous ne nous intéressons pas uniquement aux données magnétiques. Nous nous intéressons également aux données gravitationnelles et il reste encore beaucoup de travail à faire à ce sujet. Jusqu'à présent, les données les plus utiles sont toutefois celles qui proviennent du levé aéromagnétique effectué en octobre.

Le sénateur Hays: Si j'ai bien compris, la permission de faire ces travaux d'exploration a été accordée à condition que leur but ne soit pas d'essayer de faire modifier les limites du parc.

M. Prince: Nous ne participions pas au projet à ce moment-là. Les dispositions nécessaires avaient été prises par Darnley Bay Resources, la petite entreprise avec laquelle nous avons conclu une entente et par conséquent, nous ne pouvons pas faire de commentaires à ce sujet. Vous pourriez peut-être lui poser la question.

Tout renseignement obtenu à la suite d'un levé de ce genre permet incontestablement d'avoir une idée plus précise des zones qu'il convient de cibler pour l'exploration. On pourrait les comparer aux levés par satellite que l'on fait à l'heure actuelle. On utiliserait le même genre de renseignements.

Le sénateur Hays: La différence est que les autres parties aux négociations, autrement dit les intervenants, sont désormais motivées principalement par vous. Je parle de Darnley Bay Resources dont je ne vois aucun représentant ici. Étant donné que je ne peux pas lui poser la question, je ne sais pas très bien ce que dirait cette compagnie.

M. Robertson: Il y a un représentant de Darnley Bay Resources ici.

Le sénateur Hays: Est-il vrai que le changement de position au sujet des limites du parc est inspiré par votre participation?

M. Prince: Non. Nous avons commencé à participer sur le tard. Bien que nous suivions le projet depuis longtemps, nous avons été un peu surpris par la progression du processus de création du parc. Il y a environ un mois, les Inuvialuit nous ont demandé de venir vous faire un exposé technique pour appuyer leur requête.

L'idéal serait que toute l'anomalie soit accessible pour la prospection. Si les Canadiens décident toutefois qu'une partie restera dans le parc, cela ne nous empêchera pas de mettre en oeuvre notre programme d'exploration pour les autres parties de l'anomalie.

Le sénateur Hays: Ce n'est qu'une petite partie qui se trouve dans les futures limites du parc. Quels sont les résultats du levé au sujet des autres parties de l'anomalie? Sont-ils bons ou mauvais? Sont-ils aussi encourageants ou plus?

M. Robertson: Pour l'instant, il est difficile de dire qu'une de ces anomalies est plus intéressante qu'une autre. Il est logique de s'intéresser d'abord aux cibles les moins profondes dont le potentiel est le plus élevé. Les premières cibles de forage seraient probablement situées à proximité du centre de cette anomalie.

Quand on fait de la prospection et que l'on évalue chaque cible, on ne sait pas exactement quelle est la meilleure. Il est difficile de dire pour l'instant quelle est la meilleure cible.

Le sénateur Hays: Vous avez dit que les données obtenues à la suite du levé de 1997 étaient plus intéressantes que les précédentes. Est-ce vrai pour toute la zone, c'est-à-dire pas seulement pour la partie qui se trouve dans le parc?

M. Robertson: C'est exact, c'est vrai pour toute l'anomalie.

Le sénateur Hays: Je suis heureux d'apprendre que votre participation n'est pas assujettie à la condition que les limites du parc soient modifiées. Comme vous le savez, d'autres considérations entrent en ligne de compte dans la délimitation du parc.

Le président: J'ai sous les yeux une lettre de Darnley Bay Resources Limited datée du 1er février 1995, qui m'a été communiquée par le secrétaire d'État aux Parcs. Je suis sûr que vous êtes au courant de cette lettre.

Le président de la compagnie y explique que celle-ci est disposée à renoncer aux permis de prospection minéralogique dans la zone que l'on prévoit inclure dans le parc. Il affirme qu'il se préoccupe beaucoup de l'environnement entre autres choses. Je voudrais que vous nous disiez ce que vous en pensez.

M. Prince: Cela me met mal à l'aise. Nous ne participions pas encore à ce moment-là et ce n'est pas nous qui avons écrit cette lettre. D'après ce que nous a dit Darnley Bay, je crois savoir que cette société avait convenu avec les Inuvialuit que l'article 22 de la convention prévoyait la cogestion du parc. Elle estimait à ce moment-là que ce n'était pas très grave de renoncer à ces permis et que les limites du parc finiraient par être modifiées.

C'est ce que j'ai cru comprendre. À part cela, je ne peux pas faire de commentaires sur la position de la compagnie.

M. Robertson: J'ajouterais que cette lettre a été écrite avant que l'on n'effectue le levé aéromagnétique.

Le sénateur Hays: Vous étiez au courant de la nature de l'entente en tout temps. Par conséquent, vous n'êtes pas étonnés par les tentatives qui sont faites pour essayer de la modifier. L'article 22 est une autre affaire dont je ne veux pas discuter parce que les autres intervenants et Parcs Canada sont concernés. Avez-vous toujours été au courant des limites du parc?

M. Prince: Pas tout à fait. Nous sommes un très petit groupe. Nous ne pouvons pas suivre de très près tout ce qui se passe. Nous ne nous sommes intéressés aux détails que lorsque nous avons commencé à négocier l'entente définitive avec Darnley Bay Resources.

Le sénateur Hays: Je présume par conséquent que la compagnie ne vous a pas mis au courant du contenu de cette lettre.

M. Prince: Nous ne l'avons vue qu'après qu'on nous ait demandé de participer à ces audiences.

Le sénateur Hays: Je suis certain que Darnley Bay Resources Limited ne vous communique pas certains renseignements, surtout en ce qui concerne la possibilité que cet endroit soit inclus dans le parc. Cela arrive probablement de temps en temps.

M. Prince: L'ancien levé indiquait que les cibles se trouvaient à une trop grande profondeur. Par conséquent, nous n'y avons pas accordé beaucoup d'attention. Cependant, les nouvelles données nous ont sensibilisés davantage et nous ont permis de mieux comprendre la nature des lieux.

À l'avenir, vous feriez mieux d'examiner soigneusement des questions de détail comme celle-là.

M. Prince: C'est ce que nous avons fait lorsque nous avons signé l'entente avec Darnley Bay.

Le président: Vous avez maintenant renoncé aux permis. Par conséquent, vous n'avez pas le droit de faire de la prospection dans cette zone. Est-ce bien cela?

M. Prince: Darnley Bay n'a pas de permis.

Le président: Vous non plus.

M. Prince: Nous n'en avons pas.

Le président: Aucun permis ne sera accordé pour cette zone, mais bien pour celles situées en dehors des limites du parc. Est-ce exact?

M. Prince: C'est exact.

Le président: Quelle que soit notre décision à ce sujet, vous devriez malgré tout faire une demande de permis au gouvernement fédéral pour pouvoir faire de la prospection dans cette région. Est-ce bien cela?

M. Prince: C'est cela.

Le président: Le ministère pourrait refuser d'octroyer ces permis?

M. Prince: Oui et c'est précisément ce qui nous incite à nous poser la question suivante: quel est le lien entre le gouvernement fédéral et les terres des Inuvialuit? Le tout est de savoir de qui relèvent ces terres.

Le président: N'est-ce pas le gouvernement fédéral qui octroie les permis?

M. Prince: Pour le moment, c'est effectivement le gouvernement fédéral qui octroie les permis mais avec l'accord des Inuvialuit.

Le président: Même si l'on modifiait les limites comme vous et Mme Cournoyea le demandez, cela ne voudrait pas dire que ce serait réglé. Il vous faudrait encore obtenir les permis.

M. Prince: C'est vrai. Ils imposent toutes sortes de conditions sur la façon d'effectuer les travaux de prospection. Ces conditions sont établies à la fois par les Inuvialuit et par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Cochrane: Le secrétaire d'État aux Parcs nous a dit la semaine dernière que 80 p. 100 des gisements minéralogiques de la région se trouvent à l'extérieur des limites du parc; est-ce exact?

M. Prince: Nous ne savons pas s'il y a des gisements minéralogiques à cet endroit. Tout ce que nous savons, c'est que 80 p. 100 de l'anomalie se trouve à l'extérieur du parc.

Le sénateur Cochrane: Si les droits miniers pour la zone du parc que vous revendiquez étaient transférés aux Inuvialuit qui ont accepté en 1996 d'inclure cette zone dans le parc et si cette entente est renégociée de façon à l'en exclure, est-ce vous ou les Inuvialuit qui détiendrez les droits miniers?

M. Prince: Je crois que ce sont les Inuvialuit, mais ce n'est pas mon domaine.

M. Robertson: Les Inuvialuit ont demandé que les permis leur soient octroyés personnellement.

Le sénateur Cochrane: Ils veulent que cette zone du parc soit exclue contrairement à l'entente initiale qui avait été acceptée par Parcs Canada.

M. Robertson: Voici ce dont il s'agit. Voici l'anomalie gravitationnelle. Les meilleures cibles magnétiques décelées à la suite du levé aéromagnétique de 1997 sont indiquées en vert. C'est la partie qui se trouve dans le parc. Nous vous demandons de l'en exclure. Des permis avaient été octroyés à Darnley Bay pour cette zone, mais ils ont été retirés à la demande des Inuvialuit. Ceux-ci ont demandé que si cette zone était exclue du parc, ces permis leur soient octroyés personnellement. Nous souhaitons que cette zone soit comprise dans notre entente et que Darnley Bay Resources puisse y faire de la prospection. Il est très possible que cela devienne une coentreprise tripartite entre Darnley Bay, Falconbridge et les Inuvialuit.

Le sénateur Cochrane: Le levé indiquait que les droits miniers -- comme vous l'avez d'ailleurs bien précisé ce matin -- portaient sur une zone plus proche de la surface. Est-ce la seule raison pour laquelle vous avez décidé d'essayer de faire exclure cette zone du parc ou tenez-vous compte d'autres facteurs comme les nouvelles technologies qui sont devenues accessibles?

M. Prince: C'est parfaitement exact. Nous pouvons maintenant avoir recours à de nouvelles techniques pour essayer d'explorer, des techniques que l'on n'aurait pas pu imaginer autrefois. Nous n'aurions pas été capables de faire cela autrefois. Les renseignements obtenus à la suite de ces levés indiquent que les zones sont plus proches de la surface et certains autres éléments indiquent que certaines zones pourraient être plus riches que d'autres. On peut par exemple examiner ces caractéristiques et y découvrir des structures qui pourraient indiquer la présence de failles susceptibles de contenir des corps minéralisés sur une grande profondeur. C'est le genre de schéma qui apparaît lorsqu'on obtient des informations plus précises comme celle-là. La différence entre les deux types de levés est comparable à celle qui existe entre les ombres que l'on projette sur un mur à l'aide d'une lampe de poche et le cinéma moderne. C'est le genre de différence au niveau de la résolution qui aide à avoir une meilleure idée de la configuration du sol.

Le sénateur Cochrane: Combien de personnes comptez-vous engager si vous recevez le feu vert pour ce projet?

M. Prince: Le nombre augmente à mesure que les travaux de prospection progressent. Au début, il est possible de mener un programme de prospection avec un très petit nombre de personnes. On envoie généralement sur place un seul géologue qui parcourt le terrain et fait un relevé des roches. La superficie de terrain à laquelle on s'intéresse diminue à mesure que le programme progresse. On examine une zone de plus près mais un plus grand nombre de personnes participent aux travaux. On commence à faire des levés géophysiques pour lesquels plusieurs personnes munies d'instruments géophysiques parcourent le terrain.

Le sénateur Cochrane: C'est davantage la participation de la population locale qui m'intéresse.

M. Prince: Nous essayons d'engager beaucoup de personnes sur place. Nous avons intérêt à le faire, étant donné que les frais de transport des travailleurs par avion sont exorbitants.

M. Robertson: J'ai signalé que 350 personnes travaillaient à la mine Raglan. Nous faisons de notre mieux pour former et engager le plus grand nombre possible d'Inuits de la région. Pour l'instant, il y en a 75 qui travaillent à la mine et nous espérons en engager davantage. La Falconbridge a pour principe d'essayer d'engager le plus grand nombre possible de travailleurs sur place, où que ce soit dans le monde. Ce que nous avons fait en République dominicaine est un bel exemple. Pendant la phase de développement du projet, nous avons commencé avec beaucoup de Canadiens. Nous avons eu recours à nos géologues et à nos ingénieurs. Nous avons toutefois formé progressivement des habitants de la région. Je crois que maintenant, à part un Canadien, tous les employés sont des Dominicains. Le président de cette mine est dominicain. C'est notre objectif.

Le sénateur Cochrane: Si vous n'arrivez pas à obtenir cette parcelle de terre, comptez-vous consacrer vos ressources à la création d'emplois dans un autre endroit? Y a-t-il au Canada un autre lieu où vous êtes prêts à commencer les travaux?

M. Robertson: Nous ne renoncerons pas à ce projet pour la cause. Il nous resterait une grande superficie pour nos travaux de prospection. Nous avons toutefois toujours plus de projets qui nous intéressent que d'argent pour la prospection. Les budgets sont toujours limités. Nous avons des projets en cours au Manitoba, au Labrador, au Québec, au Groenland et dans un certain nombre d'autres pays du monde.

Le sénateur Cochrane: Celui-ci constitue-t-il une priorité pour vous?

M. Robertson: C'est notre cible prioritaire pour l'instant dans les Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Cochrane: Pourquoi?

M. Robertson: À cause de la forte anomalie gravitationnelle. Il semble s'agir d'un bull's eye qui correspond probablement à une intrusion mafique importante susceptible de contenir des métaux. Nous estimons que c'est une des meilleures cibles qui soit à l'heure actuelle dans les Territoires du Nord-Ouest.

M. Prince: Quand on découvre des anomalies comme celle-ci, où que ce soit dans le monde, on peut probablement compter sur elles. La découverte d'une anomalie comme celle-ci encourage beaucoup à passer aux étapes suivantes.

Le sénateur Cochrane: Est-elle semblable à celle qui a été découverte à Voisey Bay?

M. Prince: Oui. Celle-ci est nettement meilleure du point de vue de la prospection géophysique. À Voisey Bay, il s'agit d'une grosse masse mais le dépôt ne se trouve pas sur cette masse. Il se trouve sur le côté. Il y a une vingtaine d'années, on aurait examiné le milieu de la masse et on n'aurait pas regardé à côté et l'on serait par conséquent passé à côté du gisement.

Le sénateur Adams: Monsieur Robertson, vous avez signalé que vous faisiez partie d'un comité où siègent des représentants de Parcs Canada. Avez-vous participé aux travaux qui ont abouti au projet de création du parc national Tuktut Nogait? Leur avez-vous donné des renseignements sur les perspectives d'exploitation minière ou s'agit-il de quelque chose de différent?

M. Robertson: Voulez-vous parler de ma collaboration passée avec Parcs Canada dans d'autres domaines?

Le sénateur Adams: Ne participiez-vous pas au lancement du projet de création d'un parc?

M. Robertson: Non.

Le sénateur Adams: Il me semble qu'au début, certains organismes locaux n'avaient pas beaucoup de renseignements sur la superficie du parc ni sur d'autres aspects du projet. Je ne sais pas si Parcs Canada a donné toutes les explications voulues aux habitants de la région. Le caribou ne sera pas là éternellement alors que cette roche qui contient du nickel peut rester là à jamais si on n'y fait pas d'exploitation minière.

Dans quelle mesure avez-vous étudié les déplacements du troupeau? J'ai chassé dans cette région et je sais que les troupeaux de caribous qui fréquentent la région depuis des milliers d'années se sont déplacés à cause des activités humaines. Je crains que si nous ne prenons pas la bonne décision en ce qui concerne le parc, nous risquons de faire du tort aux indigènes. Les emplois créés par la mine disparaîtront un jour et le caribou aura peut-être disparu de la région d'ici 15 ou 20 ans. C'est ce qui me préoccupe. Vous êtes peut-être plus au courant de la situation que moi. Vous avez envoyé des géologues dans la région. Je crains que le caribou ne s'en aille ailleurs.

M. Prince: Vous exposez un problème qui est universel dans les domaines de la biologie et de la géologie. Les renseignements que l'on possède sur le caribou et sur les gisements minéralogiques sont de plus en plus précis mais on n'est jamais tout à fait certain de ce qui arrivera. Notre objectif devrait être d'essayer d'obtenir le plus de renseignements possibles pour nous permettre d'avoir plusieurs options. Nous ne tenons pas à nuire aux caribous et par conséquent nous essayons de faire preuve de la plus grande souplesse possible. Nous faisons de notre mieux pour procéder d'une façon qui nous aide à atteindre nos objectifs.

Le sénateur Adams: Quelle est la superficie de la zone que vous voulez exploiter?

M. Prince: Une zone minière est généralement de la superficie d'un terrain de stationnement de supermarché.

M. Robertson: Si l'on découvre un gisement, il s'agira probablement d'une exploitation souterraine et d'une zone relativement petite.

Le sénateur Adams: Voulez-vous dire qu'il s'agira d'une exploitation souterraine et pas d'une mine à ciel ouvert?

M. Robertson: Oui.

Le sénateur Adams: Je ne connais pas la Convention définitive des Inuvialuit mais l'Accord du Nunavut permet à la municipalité de faire ce qu'elle veut d'une zone de jusqu'à 25 kilomètres se trouvant dans la région pour les projets futurs, notamment pour l'exploitation minière. Si les projets concernant le parc se concrétisaient, peu de personnes le traverseraient. Avez-vous rencontré les habitants de l'endroit, c'est-à-dire les Paulatuk, qui sont préoccupés au sujet de la région et des perspectives d'exploitation minière?

M. Prince: Nous ne les avons pas rencontrés mais nous comptons le faire dès que possible. Nous sommes allés à Inuvik la semaine dernière et nous comptons aller à Paulatuk dès que possible.

Le sénateur Adams: Je ne sais pas combien de kilomètres il y a entre la localité et le parc national Tuktut Nogait. Savez-vous à quelle distance l'endroit prévu se trouve de la localité?

M. Prince: La localité devrait se trouver à environ 60 kilomètres de la partie la plus éloignée de l'anomalie. Une assez grande partie de l'anomalie se trouve à proximité de Paulatuk.

M. Robertson: Darnley Bay Resources a eu de nombreux entretiens avec les habitants de la région. Je crois qu'un assez grand nombre d'entre eux sont en faveur de travaux de prospection.

Le sénateur Adams: Prévoyez-vous des problèmes à cause de la faible profondeur de l'eau en été, par rapport à la taille des navires qui doivent emprunter cette voie d'eau? À certains endroits, cela pose un problème pour les navires. L'eau n'est pas assez profonde pour eux.

M. Prince: Il faudrait probablement utiliser des péniches pour assurer le transport en eau peu profonde. Les voies de transport ont influencé notre décision sur la mine Raglan. Nous avons établi avec les Inuits un programme pour nos navires, afin d'éviter qu'ils ne perturbent leurs activités. Nous avons par conséquent consulté la collectivité locale.

Le sénateur Adams: Vous avez dit que vous employez 75 personnes de la région. L'entente avec la station de télévision locale a été efficace. Le fait qu'elle ait collaboré entièrement avec la collectivité en assurant la formation des travailleurs m'a intéressé. Vous avez fait de l'excellent travail là-bas. Il faut un certain temps pour mettre ce genre de projet en route mais j'espère que vous pourrez faire la même chose sous peu.

Je comprends les préoccupations que l'on peut avoir au sujet du caribou. Compte tenu des nouvelles technologies que l'on utilise à l'heure actuelle, j'ai des inquiétudes au sujet des habitants de la région, les Paulatuk.

Le sénateur Buchanan: Si je comprends bien, la zone en question ne représente que 2 ou 3 p. 100 de la superficie totale du parc. Ce n'est pas beaucoup.

M. Robertson: Elle représente deux pour cent et demi de la superficie totale du parc.

Le sénateur Buchanan: Quelle est la position du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest? Si je comprends bien, il ne fait aucune opposition. En fait, il serait d'accord que cette petite zone soit exclue du parc; est-ce bien cela?

M. Robertson: Oui, c'est ce que nous avons entendu dire.

Le sénateur Buchanan: Le nombre d'habitants n'est pas très élevé dans la région de Paulatuk. Je crois toutefois savoir que le taux de chômage y est énorme, à savoir de 60 à 80 p. 100.

M. Robertson: J'ai entendu dire qu'il est de 80 p. 100.

Le sénateur Buchanan: C'est exact.

Compte tenu de toutes ces considérations, quelle serait la durée d'exploitation d'une mine souterraine? Pendant combien d'années y aurait-il de l'emploi dans les mines de cette région?

M. Prince: Il est un fait connu que les mines ne durent pas éternellement.

Le sénateur Buchanan: Nous l'avons vu au Cap-Breton. J'en ai fait l'expérience pendant de longues années. Il y a divers types de mines.

M. Prince: C'est vrai, mais il y a certains points communs pour ce qui est de leur durée. Celle-ci dépend en grande partie de l'envergure du gisement. Étant donné que les prix des métaux subissent des fluctuations cycliques, il faut trouver un gisement assez vaste et assez riche pour pouvoir tenir le coup au creux du cycle, où l'on se trouve d'ailleurs actuellement. Notre objectif est d'essayer de trouver des gisements de niveau international. Ceux-ci sont généralement exploitables pendant une cinquantaine d'années au moins. Par contre, le type de gisements que l'on exploite généralement au Canada fournissent de l'emploi pour une dizaine d'années environ.

Il faut songer aux avantages que peut retirer la collectivité de cette occasion qui s'offre à elle. Il n'y a pas que les avantages immédiats. Il faut voir également les avantages à long terme de la collaboration avec la population locale. Diverses compétences sont nécessaires dans l'industrie minière. Il faut des comptables, des avocats, des chauffeurs de camions et toute une série de travailleurs qualifiés. Si l'on décide de former les gens grâce à cette mine, les compétences acquises pourront être utiles pour d'autres possibilités d'emploi. Nous envisageons la situation dans ce genre de perspective globale.

Le sénateur Buchanan: Il s'agit cette fois d'une région où le taux de chômage est élevé. Les avantages économiques ne sont pas énormes pour l'instant et par conséquent, il faut envisager les avantages économiques de ce projet à moyen et à long terme sur le plan de l'emploi -- c'est-à-dire des emplois directs, des emplois indirects et des avantages économiques.

M. Prince: On espère que ce sera le cas. Nous n'avons aucune garantie de découvrir un gisement. Nous nous efforçons d'obtenir les compétences voulues à l'étape de la prospection. Nous nous engageons à commencer par la formation. Par exemple, Darnley Bay Resources Limited voudrait commencer à faire de la formation sur place pour les levés géophysiques.

Le sénateur Buchanan: Étant donné que la harde de caribous Bluenose est un troupeau migrateur, l'exclusion de cette petite zone du parc ne présenterait probablement aucun danger pour elle. Même si la harde était dans cette zone, j'ai l'impression que l'on prévoirait des mesures de protection pour s'assurer qu'il n'y ait aucun danger pour elle. Est-ce exact?

M. Prince: Quand on fait de la prospection, il faut observer tous les règlements établis par les Canadiens en ce qui concerne les permis d'utilisation des terres. Ils contiennent parfois des dispositions passablement strictes sur la façon de procéder, tant en ce qui concerne le passage d'un petit ruisseau avec du matériel que l'exploitation proprement dite.

Le sénateur Buchanan: Même si cette région est exclue du parc, il existe des mesures de protection.

M. Prince: Et même beaucoup. Nous devons respecter également les conditions imposées par les Inuvialuit. C'est un travail de collaboration et nous espérons pouvoir y arriver.

Le sénateur Fitzpatrick: Je m'excuse d'être arrivé en retard. Je suis certain que vous avez déjà parlé de bien des choses.

Pouvez-vous me dire quelle est la superficie dont vous demandez l'exclusion? J'ai entendu dire que c'était environ 2,5 p. 100 du territoire proposé pour le parc.

Je voudrais aussi savoir si ces nouveaux résultats proviennent d'un nouveau levé aéroporté qui a été réalisé ou de l'interprétation de données recueillies précédemment.

Quelle devrait être la prochaine étape de votre prospection dans la région?

Comment cette anomalie qui figure dans le territoire se compare-t-elle aux autres zones avec anomalies que vous avez?

M. Robertson: Nous nous en sommes mêlés surtout parce que nous étions convaincus que ces fortes anomalies magnétiques feraient de bonnes cibles d'exploration. Elles étaient très peu profondes. Certaines autres anomalies dans la même région sont plus fortes et plus proches de la surface, mais nous ignorons quelles sont les meilleures. Tant qu'on n'aura pas fait d'exploration, on ne pourra pas savoir comment cette région du parc se compare aux autres. On ne peut jamais savoir avant d'avoir fait des levés détaillés au sol et du forage.

Si tout va bien, on prévoit faire certains levés géophysiques au sol l'été prochain. Jusqu'à présent, il n'y a eu que de la prospection aéroportée. Les levés détaillés au sol ne seront pas que magnétiques, mais aussi électromagnétiques pour trouver des conducteurs. Les conducteurs d'électricité ou les gisements comme le nickel apparaissent comme des conducteurs électromagnétiques. Si on trouve des conducteurs électromagnétiques, on espère pouvoir sonder aux cinq endroits. Si on peut avoir accès au territoire dans le parc, ça fera six.

On pourra faire les levés au sol, les levés électromagnétiques, en mai, puis choisir les meilleures cibles où forer. L'été prochain, on veut faire plusieurs sondages, en tout 5 000 mètres de forage. Ensuite, on verra. On pourra continuer à faire des levés au sol ou d'autres sondages. En définitive, ça pourrait prendre beaucoup de sondages. La prospection pourrait durer plusieurs années.

Le sénateur Butts: Vous avez dit dans vos remarques liminaires que vous, ou les Inuvialuit, vous vouliez que ce soit réglé avant de fixer les limites du parc. Nous avions cru comprendre que les limites avaient été fixées, convenues, signées en 1996. Nous ne serions pas là si les limites n'avaient pas déjà été établies.

M. Prince: Bien entendu, c'est une question litigieuse.

Le sénateur Butts: Pourriez-vous préciser à partir de quel moment vous vous en êtes mêlés?

M. Prince: Oui. La Darnley Bay Resources a communiqué avec nous il y a environ cinq ans pour nous proposer de participer à ce projet. À l'époque, les renseignements disponibles donnaient à penser que ce n'était pas rentable et c'est pourquoi nous n'avons pas donné suite. Notre nouvelle participation date d'il y a un mois seulement.

Vous soulevez une question fondamentale. Je n'ai rien à dire au sujet des rapports entre Parcs Canada et les Inuvialuit eux-mêmes puisque je n'étais pas là. Cependant, je suis au courant de la démarche suivie par le gouvernement fédéral pour classer ces zones selon leur potentiel minier. C'est une démarche assez difficile à comprendre même pour moi, un géologue. J'imagine aisément comment les gens de Paulatuk se sont sentis quand ils ont entendu les mots «potentiel minier» dans les exposés. Il a dû y avoir beaucoup de confusion.

Leur système comporte une échelle ordinale très grossière de sept catégories environ. Cette zone est montée du dernier échelon au cinquième niveau le plus élevé. Pour aller plus haut, il faut avoir une carotte avec de la minéralisation ou quelque chose à la surface.

En l'occurrence, notre cible est assez profonde. Techniquement parlant, elle ne peut pas atteindre un niveau supérieur de l'échelle sans qu'on fasse d'autres travaux. Habituellement, le gouvernement fédéral n'aime pas ce genre d'étude parce qu'il n'a pas le budget nécessaire.

Le sénateur Butts: Je veux seulement savoir comment les choses se sont passées.

En lisant les témoignages présentés au comité de la Chambre des communes, j'ai appris que les Inuvialuit possédaient 1,7 p. 100 de Darnley Resources. Quelle est cette proportion aujourd'hui? Le savez-vous?

M. Prince: Je l'ignore.

Le sénateur Butts: Quels sont vos liens avec Darnley Bay?

M. Prince: Nous avons signé avec Darnley Bay une entente qui nous commande d'acheter bientôt dans leur entreprise une participation d'environ 250 000 $. Cet argent servira ensuite à financer la coentreprise avec les Inuvialuit.

Le sénateur Butts: Darnley Bay est encore là; vous êtes le seul à traiter cette question aujourd'hui?

M. Prince: Oui.

Le sénateur Butts: On devrait peut-être entendre les représentants de Darnley Bay.

M. Prince: Je pense que ce serait une bonne idée.

Le sénateur Butts: Je crois qu'il est important de comprendre que les Inuvialuit possèdent une partie de Darnley Bay. D'ailleurs, il semble que, d'après une entente, il soit possible de prendre une participation de 35 p. 100 dans le projet. Est-ce que cela aura un effet sur votre participation à vous?

M. Prince: Nous serons ravis de les avoir comme partenaires. Au point de vue développement économique, c'est constructif que des gens de la place s'impliquent dans de tels projets. Nous avons constaté ailleurs dans le monde que, quand un étranger essaie d'imposer quelque chose aux gens, ça ne marche pas. Il faut que du monde de l'endroit s'en occupe. Nous en serions heureux.

Le sénateur Butts: Savez-vous si la Darnley Bay a participé à cette nouvelle initiative visant à modifier les limites du parc qu'elle avait acceptées et pour lesquelles elle a renoncé à ses droits?

M. Prince: Je ne connais pas toute l'histoire. Je préférerais que vous posiez la question aux représentants des Inuvialuit ou de la Darnley Bay.

Le sénateur Butts: Avez-vous accepté de participer à la condition que toute l'anomalie soit exclue du parc?

M. Prince: Non.

Le sénateur Butts: Ça m'aide un peu.

Le lendemain du jour où notre comité a entendu d'autres témoignages, j'ai lu un article du Globe and Mail disant que la Falconbridge allait sans aucun doute continuer d'examiner les possibilités minières de la soi-disant anomalie Darnley Bay, mais que selon des dirigeants de l'entreprise, il était essentiel d'avoir accès au territoire faisant partie du parc.

M. Prince: C'est essentiel au sens où on ne sait pas encore quel est le meilleur endroit pour trouver des gisements dans cette anomalie, s'il y en a.

Le sénateur Butts: Savez-vous lesquelles des sept zones sont les meilleures ou les plus proches de la surface? Comment celles dans le parc se comparent-elles aux autres?

M. Prince: Très franchement, nous l'ignorons. Nous nous doutons bien de certaines choses, mais notre science n'est pas encore assez exacte pour nous permettre de le savoir avec certitude. Nous n'en sommes pas encore là.

Plus on a de données, moins on risque de se tromper en décidant des exclusions. Cependant, nous n'en sommes pas encore là.

M. Robertson: Il faut commencer par faire les levés au sol.

Le sénateur Butts: Ce même article du Globe and Mail après la dernière séance déclarait que:

[...] pour déterminer si la quantité de métaux est suffisante pour soutenir un projet minier rentable, la Falconbridge a besoin d'avoir accès à tout le territoire [...] De nouvelles découvertes d'une minéralisation comparable donnent à penser que le gisement se trouve à côté des anomalies [...]

M. Prince: C'est l'interprétation du journaliste.

Le sénateur Butts: Il prétend citer un porte-parole de Falconbridge.

M. Prince: Le porte-parole, c'était moi.

Le sénateur Butts: Vous a-t-on mal cité?

M. Prince: Je ne dirais pas ça. C'est un sujet complexe que quelqu'un peut difficilement absorber en quelques minutes.

Le sénateur Butts: J'ai en main le prospectus de la phase deux du projet, qui était disponible le 27 juillet 1998. L'important là-dedans, c'est un endroit appelé «zone C».

M. Prince: C'est le prospectus de la Darnley Bay?

Le sénateur Butts: Oui. La zone C se trouve en partie dans le parc et en dehors de l'anomalie. Elle traverse le parc et descend le long de la vallée de la rivière Hornaday. Ça tend à confirmer qu'on a donné au journaliste du Globe and Mail l'impression que vous ne savez pas jusqu'où vous allez vous rendre dans le parc.

M. Prince: Cette ligne rouge trace le contour de l'anomalie de la pesanteur.

Le sénateur Butts: Je sais, mais voici la carte du prospectus pour la phase deux du projet.

M. Prince: C'est exact.

Le sénateur Butts: Si on passe à la phase deux, on ne sait pas jusqu'où vous aurez besoin d'aller dans le parc.

M. Prince: Au-delà d'une certaine limite, on est certain qu'il ne pourra pas y avoir de gisements. Quant à savoir où se trouve cette limite, voilà la question. Est-ce que ce sera un kilomètre ou deux passé cette ligne rouge par exemple?

Le sénateur Butts: Ou 200.

M. Prince: Si c'est 200, je pense que la nature aura réussi quelque chose de vraiment spectaculaire.

Le sénateur Gustafson: Sept endroits névralgiques sont indiqués, puis il y en a un à 2,5 p. 100. Est-il impossible pour une société minière d'obtenir un permis pour faire des travaux dans un parc?

M. Prince: Non, pas du tout.

Le sénateur Gustafson: Est-ce pour des raisons monétaires qu'il est important d'exclure cette zone du parc? Si vous êtes obligés de vous procurer un permis pour faire des travaux dans le parc, est-ce que le gouvernement fédéral touchera plus d'argent que si le gisement se trouvait en dehors du parc?

M. Robertson: Une société minière ne peut pas obtenir un permis pour faire des travaux dans un parc national. La prospection et l'exploitation minières sont interdites dans les parcs.

Le sénateur Gustafson: Ça m'éclaire.

Les droits fonciers appartiennent à Darnley Bay Resources en dehors du territoire du parc.

M. Prince: La Darnley Bay Resources obtient des permis pour faire des travaux en dehors du parc. Il y a aussi des terrains qui appartiennent aux Inuvialuit en vertu du règlement conclu avec le gouvernement fédéral. Il y a deux catégories de terrains.

Le président: Je vous remercie de nous avoir fait part de votre point de vue ce matin. Nous convoquerons peut-être des représentants de la Darnley Bay Resources comme témoins afin de mieux comprendre le sujet.

Sénateurs, nous avons le plaisir d'accueillir M. John Nagy, un biologiste de la faune qui connaît très bien les déplacements des caribous dans la région qui nous intéresse. Il travaille là-bas depuis huit ans.

Monsieur Nagy, votre témoignage est important pour nous. Veuillez nous exposer votre opinion.

M. John Nagy, biologiste de la faune, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest: Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de vous présenter certains des renseignements que mes collègues et moi avons recueillis sur le troupeau de caribous Bluenose. Je suis le surveillant de la gestion de la faune dans la région d'Inuvik pour le ministère des Ressources, de la Faune et du Développement économique du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Je travaille et je vis dans la région depuis huit ans et demi. En plus de diriger une équipe de biologistes et de techniciens, je fais de la recherche reliée à la gestion de la faune sur le troupeau de caribous Bluenose, sur les caribous de Peary et autres dans les îles de l'Arctique, et sur le boeuf musqué.

Je participe activement à la cogestion des ressources fauniques de la région en tenant régulièrement des réunions avec les organisations de chasseurs et de trappeurs de l'endroit. Je suis membre du Conseil consultatif de la gestion de la faune des Territoires du Nord-Ouest. Le Conseil s'occupe des questions de gestion de la faune dans la région visée par la convention des Inuvialuit. Je suis également membre du Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine et membre substitut du Conseil des ressources renouvelables Gwich'in et du International Porcupine Caribou Board. Je représente aussi le Canada à la Commission de gestion du parc Tuktut Nogait.

J'ai pris l'initiative de travailler de concert avec les organisations communautaires de chasseurs et de trappeurs, les commissions de cogestion et les autres organismes gouvernementaux de la région pour établir des plans de cogestion d'un certain nombre de populations fauniques, y compris l'avant-plan de cogestion du troupeau de caribous Bluenose.

La recherche effectuée pour recueillir les données que je vous présente aujourd'hui a été financée conjointement par les commissions de cogestion de la faune pour les régions visées par les accords de règlement des revendications territoriales des Inuvialuit, des Gwich'in, du Sahtu et du Nunavut. Des biologistes de ces régions, du Yukon et de Parcs Canada ont collaboré à la recherche.

Les caribous Bluenose sont des caribous de la toundra. En 1992, le troupeau comptait quelque 122 000 animaux. En ce moment, nous ignorons leur nombre. Autrement dit, nous ne savons pas s'il augmente, s'il diminue ou s'il reste le même. Cependant, nous prévoyons faire une enquête à l'été 1999 ou 2000 pour le savoir.

Le territoire du troupeau de caribous Bluenose se trouve dans le nord-ouest des Territoires du Nord-Ouest. Vous avez probablement entendu parler de la harde de la Porcupine qui migre entre l'Alaska, le nord du Yukon et l'extrême-ouest des Territoires du Nord-Ouest, à l'ouest du delta du Mackenzie. Le territoire de la harde de caribous de la Porcupine ne chevauche pas celui du troupeau Bluenose.

La harde de caribous Bluenose migre sur une partie des territoires visés par les accords de revendications territoriales des Inuvialuit, des Gwich'in, du Sahtu et du Nunavut. Elle est chassée par les habitants de 12 localités du continent. Chaque année, entre 5 000 et 6 000 caribous sont tués. Environ 90 p. 100 de ces bêtes sont abattues par des gens qui chassent pour leur subsistance. Comme le nombre de caribous dans certaines îles de l'Arctique n'a jamais été aussi bas qu'en ce moment, les troupeaux du continent deviendront une source de viande de plus en plus importante pour certaines des localités de l'archipel Arctique.

En 1994, nous avons rassemblé toutes les données disponibles sur la répartition du troupeau pour établir une carte à partir d'un système d'information géographique informatisé. Les cartes établies pour les périodes de mise bas, d'accouplement et d'hivernage donnent à penser qu'il y aurait en fait plusieurs troupeaux dans la région considérée comme le territoire de la harde de caribous Bluenose. Pendant l'hiver 1995-1996, nous avons entrepris la localisation par satellite et l'analyse de l'ADN pour découvrir s'il y avait effectivement plus d'un troupeau dans la région.

En mars 1996, nous avons mis des colliers émetteurs à 15 femelles adultes, dont cinq près de Kugluktuk -- autrefois Coppermine --, cinq près de Coleville Lake et cinq près d'Inuvik. Nous avons maintenant des données sur deux années et demie de déplacements de ces animaux.

Cette carte indique le déplacement des femelles localisées par satellite entre mars 1996 et mars 1997. Les lignes rouges indiquent les déplacements des caribous auxquels on a mis un collier près de Kugluktuk; les lignes bleues, ce sont les caribous qui ont reçu un collier près d'Inuvik et les lignes vertes, ceux qui étaient près de Coleville Lake dans le Sahtu. La ligne noire correspond aux limites du parc Tuktut Nogait, y compris les parties proposées pour le règlement des revendications territoriales du Sahtu et du Nunavut.

La carte suivante montre le déplacement des femelles localisées par satellite entre mars 1997 et mars 1998. Le schéma des déplacements de ces femelles est semblable à celui observé au cours de la première année.

La carte suivante montre le déplacement des femelles localisées par satellite de mars à septembre 1998. Le schéma des déplacements de ces animaux est semblable à celui observé la première et la deuxième année.

L'analyse de la localisation par satellite étaye l'hypothèse qu'il y a au moins deux troupeaux différents. Les caribous de la harde Bluenose-Est mettent bas près des sources des rivières Rae et Richardson, à l'est du lac Bluenose. Ils s'accouplent au nord-est du Grand lac de l'Ours et passent l'hiver le long des rives nord, est et sud du lac.

Les caribous de la harde Bluenose-Ouest mettent bas dans la partie ouest des collines Melville, dans le territoire du parc ou au cap Bathurst. Ils s'accouplent dans la région de la rivière Anderson et passent l'hiver entre la péninsule de Tuktoyaktuk et, au sud, la source de la rivière Anderson.

Au cours des hivers 1996-1997 et 1997-1998, nous avons prélevé des échantillons de viande des caribous Bluenose abattus par des chasseurs à Kugluktuk, Paulatuk, Inuvik, Tuktoyaktuk, Fort Good Hope et Deline. Nous avons aussi prélevé des échantillons des caribous de la Porcupine abattus par des chasseurs le long de la route de Dempster.

L'ADN de ces échantillons a été analysée au laboratoire du Dr Curtis Strobeck à l'Université de l'Alberta pour déterminer si les caribous Bluenose-Est, Bluenose-Ouest et ceux de la Porcupine étaient génétiquement apparentés. L'analyse a révélé que ces trois groupes de caribous étaient génétiquement différents.

Les femelles pleines perdent leurs bois peu de temps après la mise bas. Ces bois sont une source d'ADN.

En 1998, nous avons récupéré des bois récemment perdus dans les aires de mise bas à l'est et à l'ouest du lac Bluenose pour confirmer que les deux groupes étaient génétiquement différents. Le laboratoire du Dr Strobeck est en train d'analyser ces échantillons.

Les femelles arrivent dans les aires de mise bas entre la mi-mai et la fin-mai. Elles sont alors à l'extrémité ou presque de leur cycle d'énergie annuel et peuvent être en mauvaise santé. La plupart des femelles mettent bas pendant les deux premières semaines de juin. Certaines peuvent mettre bas plus tôt et d'autres, plus tard.

Les femelles choisissent habituellement des endroits où il n'y a pas de neige et où la végétation reverdit tôt. Elles comptent sur les bourgeons de plantes nutritives et de qualité pour refaire leur plein d'énergie et produire du lait pour leurs nouveaux-nés.

Les femelles qui sont dérangées pendant la mise bas peuvent blesser ou abandonner leur petit. D'habitude, ces petits blessés ou abandonnés meurent. La lactation normale des femelles peut être perturbée si elles sont dérangées à plusieurs reprises. Il en résulte une baisse de la production laitière et du taux de survie des petits.

Au cours des huit à dix jours suivant la mise bas, les femelles forment de grands groupes d'après la mise bas. Si ces groupes sont dérangés, il peut s'ensuivre une panique pouvant entraîner des blessures aux petits et leur abandon. Là encore, les petits blessés ou abandonnés meurent habituellement.

Nous avons établi les territoires occupés par le troupeau avant, pendant et après la mise bas en superposant les données recueillies sur la répartition au cours de dix enquêtes effectuées entre 1974 et 1988.

Cette carte montre le territoire avant, pendant et après la mise bas, qui a été défini grâce à ces données antérieures. La ligne rouge indique les limites du parc y compris, je le répète, les régions proposées pour le Sahtu et le Nunavut. Les zones bleu foncé sont celles où le caribou a été aperçu au cours de l'une des dix enquêtes. Les zones vertes sont celles où les caribous ont été aperçus au cours de cinq des dix enquêtes. Les zones rouges sont celles où les caribous ont été aperçus lors des dix enquêtes.

Il importe de remarquer que les caribous n'ont pas été aperçus chaque année où il y a eu une enquête dans toutes les régions connues comme des aires avant, pendant et après la mise bas. La répartition des caribous durant cette période peut varier d'une année à l'autre ou sur plusieurs années. Toutefois, des caribous ont été observés dans certaines parties des aires connues à chaque année ou presque au moment des enquêtes. La plupart de ces aires se trouvent dans le parc.

On a retenu comme territoire principal durant cette période l'endroit où des caribous étaient aperçus lors d'au moins 40 p. 100 des enquêtes effectuées entre 1974 et 1988. Ce territoire comprend les zones bleu pâle, vertes, vert foncé, jaunes et rouges. Environ 75 p. 100 du territoire principal se situe dans le parc Tuktut Nogait. Certaines années, on a vu des caribous qui mettaient bas en dehors du parc.

La carte suivante montre les endroits où se trouvaient les femelles localisées par satellite avant, pendant et après la mise bas en 1996, 1997 et 1998. Les points rouges indiquent les aires utilisées par la harde Bluenose-Est. Les points bleus et verts sont celles utilisées par les caribous Bluenose-Ouest. La zone grise montre le territoire qu'on leur connaissait avant de procéder à la localisation par satellite. Donc, nous apprenons de nouvelles choses sur les déplacements et la répartition des caribous dans cette région.

Les caribous Bluenose-Ouest utilisent des aires à l'ouest du parc Tuktut Nogait et dans le parc même pendant cette période. On voit ces caribous dans le parc et sur le territoire avoisinant.

Les journées chaudes et sans vent du début de l'été, les caribous se regroupent pour se protéger contre les piqûres d'insectes, surtout des maringouins. Les journées plus fraîches et plus venteuses, ils se dispersent. C'est habituellement à ce moment-là qu'on fait de la photogrammétrie pour estimer le nombre d'animaux dans le troupeau.

Les journées chaudes et sans vent, presque toute la harde se retrouve en 15 à 20 groupes. Nous les localisons, les photographions puis comptons le nombre de caribous dans les photos. Le groupe le plus nombreux que nous ayons photographié jusqu'à présent comptait quelque 10 000 animaux.

Pendant cette période, les caribous sont moins sensibles. Les petits peuvent se déplacer facilement et la nourriture est plus abondante.

La carte suivante montre le territoire occupé par le troupeau au début de l'été, tel qu'on l'a défini à partir des données antérieures. La ligne rouge indique les limites du parc. Les zones bleu foncé sont celles où l'on a aperçu des caribous au cours d'une des neuf enquêtes. Les zones vert foncé sont celles où des caribous ont été aperçus au cours de cinq des neuf enquêtes. Les zones rouges sont celles où des caribous ont été aperçus à chaque enquête.

Presque tous les renseignements dont on dispose pour cette période visent la harde Bluenose-Ouest. On a fait très peu de recherches à l'est du lac Bluenose pendant cette période.

Les territoires les plus fréquentés par les caribous Bluenose-Ouest se trouvent dans la partie ouest du parc, le long de la côte au sud de Paulatuk et au cap Bathurst.

La carte suivante montre les aires qu'ont utilisées les femelles localisées par satellite au début de l'été 1996, 1997 et 1998. Les points rouges montrent les endroits utilisés par les caribous Bluenose-Est. Les points bleus et verts sont les régions fréquentées par les caribous Bluenose-Ouest. La zone grise correspond au territoire connu avant la localisation par satellite. Pendant cette période, les caribous Bluenose-Ouest ont fréquenté des territoires dans le parc Tuktut Nogait et à l'ouest du parc.

Certains croient que les caribous ne mettent plus bas dans le parc. C'est peut-être parce que, depuis quelques années, la migration printanière des caribous près de Paulatuk a été plus tardive que d'habitude et qu'on a vu moins de caribous. C'est peut-être parce que le trajet emprunté pour la migration printanière par presque tout le troupeau s'est éloigné de Paulatuk. Selon les données de la localisation par satellite, depuis trois ans, la plupart des femelles portant un collier émetteur migrent vers les aires de mise bas à partir de régions au sud et au sud-ouest. Par conséquent, les gens de Paulatuk ne peuvent pas les voir. Je pense qu'avant, les caribous passaient près de Paulatuk pour se rendre aux aires de mise bas. Depuis les trois dernières années au moins, les caribous viennent du sud et du sud-ouest et ne passent pas près de cette localité. Cela pourrait expliquer pourquoi les gens croient que les caribous ne mettent plus bas dans le parc.

Cette carte montre le territoire dont on propose l'exclusion du parc parce qu'il est fréquenté par le troupeau avant, pendant et après la mise bas. La ligne rouge correspond aux limites du parc. La ligne mauve -- j'espère que vous pouvez la voir -- correspond au territoire dont on propose l'exclusion. Nous savons que les caribous ont utilisé des parties de ce territoire avant, pendant et après la mise bas, cinq à sept des dix années où il y a eu une enquête. Ce sont les parties en vert, vert foncé et jaune. Au cours de 1997 et 1998, les femelles localisées par satellite ont aussi fréquenté ce territoire.

La superficie dont on propose l'exclusion est importante parce qu'elle se trouve dans le territoire fréquenté par le troupeau avant, pendant et après la mise bas. Les caribous qui utilisent ce territoire et leur habitat devraient avoir droit à une certaine protection.

Le ministère des Ressources, de la Faune et du Développement économique a pris l'initiative de travailler de concert avec les habitants des localités, les commissions de cogestion et les autres organismes gouvernementaux pour trouver des moyens de protéger les caribous et leur habitat dans toutes les aires de mise bas dans les Territoires du Nord-Ouest.

Le président: Votre exposé était fascinant. Je n'étais pas conscient qu'il se passait de telles choses dans le monde. Je vous remercie beaucoup de nous en avoir parlé.

Le sénateur Adams: Voulez-vous dire que 75 p. 100 des mises bas ont lieu dans le parc Tuktut Nogait?

M. Nagy: Soixante-quinze pour cent des principales aires de mise bas se trouvent dans le parc.

Le sénateur Adams: Il y a combien d'années que cette étude dure?

M. Nagy: Les recherches sur le troupeau de caribous Bluenose ont commencé dans les années 40. Les données disponibles qui ont servi à établir les cartes remontent à 1974. Les informations que nous vous avons présentées comprennent des données recueillies depuis 1974.

Le sénateur Adams: Selon certaines de vos données, la harde compterait 122 000 caribous. On ne sait pas si ce nombre augmente ou diminue. Les habitants de ces localités chassaient énormément le caribou à une époque. Toutefois, la vie a changé dans ces localités et je me demande si le nombre de caribous va augmenter ou diminuer. À certains endroits, le caribou a été exterminé. Ailleurs, par exemple dans le sud de l'île de Baffin, il y a maintenant surpopulation de caribous alors qu'il y en avait très peu il y a 40 ans. Il faut en tuer entre 2 000 et 3 000 chaque année.

C'est ça la nature. Elle a ses propres lois. Je crains que si on adopte le projet de loi C-38 et que l'exploitation minière est autorisée, ce soit préjudiciable pour les zones de migration ou de mise bas des caribous.

J'ai une deuxième question. On sait que la mise bas est parfois dérangée par les loups. On va chaque année s'assurer qu'il n'y a pas de loups dans les environs pendant la saison de la mise bas. Y a-t-il eu beaucoup de recherches sur les loups qui dérangeraient les caribous pendant la période de mise bas?

M. Nagy: Les recherches effectuées sur le sujet ces dernières années ont été très intéressantes pour moi. Depuis quelques années, nous essayons de terminer un recensement photographique de la harde. On croyait que les caribous sur le territoire entre Inuvik et Coppermine et, au sud, jusqu'au Grand lac de l'Ours faisaient tous partie du même troupeau et qu'un grand nombre d'animaux nous échappaient tout simplement. Grâce à ce travail, on a compris pourquoi on avait tant de mal à les compter. Ça nous a aidés à faire un meilleur recensement démographique, à mieux estimer le nombre de caribous.

Pour ce qui est d'apprécier les conséquences possibles, sur l'habitat, de la mise en valeur de cette région, on n'a pas assez de renseignements pour le faire. Il faut savoir que les aires de mise bas ne sont pas toutes pareilles. On entend beaucoup parler du territoire que fréquente la harde de caribous de la Porcupine, mais cette aire de mise bas-ci est bien différente. Pour arriver à évaluer la situation, nous travaillons avec les biologistes de Parcs Canada à l'établissement de la carte des habitats de cette région afin de déterminer la qualité de l'habitat dans les aires de mise bas et la raison pour laquelle les caribous choisissent certains endroits en particulier. Quand nous le saurons, nous serons en mesure de prévoir ce qui arrivera ou d'adopter des mesures pour que les caribous ne soient pas dérangés ni touchés de quelque façon que ce soit dans cette région.

J'ai discuté avec les gens de Paulatuk et je n'ai jamais entendu parler d'une grande quantité de loups. À mon avis, les caribous ont tendance à choisir des aires de mise bas où il y a moins de prédateurs. Nous savons qu'il y a un certain nombre de loups autour des zones d'hivernage, mais je crois que les caribous ont tendance à choisir des endroits où il y a moins de prédateurs.

Le sénateur Adams: La nourriture coûte très cher dans cette région. Les gens chassent parce qu'ils ont besoin de la viande de caribou. Savez-vous si la chasse décroît d'année en année? Vous dites qu'entre 5 000 et 10 000 caribous sont tués chaque année par les gens de la place; c'est vrai?

M. Nagy: Pour le troupeau de caribous initialement appelé Bluenose, entre 5 000 et 6 000 étaient abattus chaque année, d'après les données que nous avons synthétisées en 1992. Une étude de la chasse se poursuit dans le territoire des Inuvialuit et des Gwich'in, dans le Sahtu et le Nunavut. Cette année, on espère réussir à avoir accès à toutes les informations pour obtenir des chiffres à jour.

De 1 500 à 1 800 environ des 5 000 à 6 000 caribous abattus sont tués par des gens de Coppermine ou Kugluktuk. Dans les localités à l'ouest, de 4 000 à 4 500 bêtes sont abattues annuellement. Vous savez que les caribous n'empruntent pas nécessairement le même trajet migratoire au printemps et à l'automne. Les gens de certaines localités peuvent ne pas voir de caribous une année et être obligés d'aller plus loin pour les chasser. Certaines années, ils ont beaucoup de chance. Les caribous passent près et les chasseurs les trouvent facilement.

Le sénateur Adams: Vous dites qu'entre 25 000 et 30 000 petits naissent chaque année; pourrait-il y en avoir plus?

M. Nagy: On estime que 40 000 petits approximativement naissent dans la région: de 5 000 à 6 000 au cap Bathurst et le reste sur les territoires aux sources des rivières Rae et Richardson. Un troupeau de 122 000 caribous ne se compose pas uniquement de femelles; environ le tiers sont des mâles. Il y a des petits de un an et de jeunes animaux, ainsi que des femelles adultes qui se reproduisent.

Le sénateur Adams: Est-ce que les femelles peuvent avoir des petits avant l'âge de deux ans?

M. Nagy: Dans un bon territoire, il semble que les femelles de un an soient en bonne santé et capables de se reproduire. Dans les territoires moyens ou de piètre qualité, il faut habituellement attendre deux ans.

Le sénateur Butts: À votre avis, est-ce que le territoire qu'on propose d'exclure du parc est important pour les femelles et leurs petits ou est-ce que ça n'a plus d'importance?

M. Nagy: Je peux vous dire que ce territoire se situe à l'intérieur d'une aire de mise bas principale; elle est donc importante. L'un des critères servant à apprécier l'importance d'une région, c'est la fréquence d'utilisation. Or, on sait que cet endroit est utilisé assez fréquemment par les caribous pendant cette période.

Nous ignorons l'importance relative du territoire par rapport à toute l'aire principale de mise bas et à l'ensemble de la région. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on commence à établir des cartes des habitats et à déterminer lesquels sont les meilleurs. Ça nous donnera une meilleure idée des endroits qui sont d'une importance critique, plus importants ou moins importants. À l'heure actuelle, je ne saurais vous dire si un lieu en particulier est le plus important ni s'il est plus important que d'autres endroits à l'intérieur de l'aire principale.

Le sénateur Butts: D'après votre expérience, est-ce que la création d'un parc national est le meilleur moyen de protéger un habitat critique pour les caribous?

M. Nagy: Ça dépend de la situation. La création d'une réserve faunique nationale est un moyen, mais il y en a d'autres. Il y a plusieurs possibilités, par exemple des mesures de protection pendant les saisons importantes. De telles mesures ont été mises en application pour la harde des caribous de Peary.

Le sénateur Butts: Vous êtes membre de la commission de gestion du parc, n'est-ce pas?

M. Nagy: C'est exact.

Le sénateur Butts: Est-ce que les autochtones ont participé à l'élaboration du plan de cogestion? Est-ce que toutes les localités ont participé? Est-ce que vous tenez compte du patrimoine de ces gens?

M. Nagy: Voulez-vous parler du plan de cogestion pour le troupeau de caribous Bluenose?

Le sénateur Butts: Oui.

M. Nagy: Oui, j'ai participé à cette démarche. C'est moi qui en ai pris l'initiative en 1994. La première étape consistait à synthétiser tous les renseignements disponibles sur la harde de caribous Bluenose. On a produit un exposé qui a été présenté à chacun des comités de chasseurs et de trappeurs des 12 localités continentales. On a convoqué une réunion avec eux et on a soulevé les questions qu'on jugeait importantes. Eux ont soulevé les questions qui étaient importantes pour eux. Toutes les informations ont été rassemblées.

Un an plus tard, on est retourné dans les localités et, cette fois, on était accompagné de représentants de chacun des comités paritaires. Il y avait quelqu'un du Conseil de gestion de la faune du Nunavut, du Conseil des ressources renouvelables du Sahtu, du Conseil des ressources renouvelables Gwich'in et du Conseil consultatif de la gestion de la faune. Nous avons amené ces représentants dans chacune des localités afin qu'ils aient une idée des préoccupations. Comme ça, les Inuvialuit ont pu comprendre les inquiétudes du Sahtu au sujet du troupeau de caribous Bluenose. On a présenté un exposé des préoccupations et des questions soulevées par toutes les communautés et par nous.

À partir de ces informations, on a rédigé une ébauche de plan de cogestion énumérant nos préoccupations à nous et celles des localités. Le plan énumérait aussi des solutions et mesures précises pour régler ces problèmes. On a prévu un échéancier de cinq ans et identifié les gens qui devaient régler les problèmes. On a beau produire un plan, si personne n'accepte de le mettre en application, il va moisir sur une tablette.

Dans le plan, des tâches sont assignées aux commissions de cogestion, aux comités de chasseurs et de pêcheurs, aux conseils des ressources renouvelables, à Parcs Canada, à notre gouvernement, au Service canadien de la faune, et cetera. Le plan a pour objet la production d'un rapport annuel sur les activités réalisées dans l'année afin que les résidents de la région sachent ce qui se passe.

Le plan est élaboré de façon communautaire. On a longuement consulté les gens des localités. Pour ce qui est de la recherche dans la région, grâce à la commission de cogestion, on consulte tout le monde, chacune des localités touchées et les organisations de chasseurs et de trappeurs, pour obtenir leur approbation essentielle à l'obtention d'un permis de recherche. Quand je fais de la recherche sur le troupeau de caribous Bluenose dans la région, j'ai besoin de l'appui des 12 localités qui les chassent avant de pouvoir me mettre au travail. Il faut aussi faire rapport aux localités et aux commissions de cogestion des résultats de notre recherche.

Le sénateur Butts: Étant donné votre expérience et vos recherches, êtes-vous capable de prévoir les conséquences préjudiciables possibles de l'exploration et de l'extraction minières sur la harde de caribous et son territoire?

M. Nagy: C'est une question épineuse. J'ai aussi fait partie pendant huit ans du comité d'étude des répercussions environnementales pour le territoire revendiqué par les Inuvialuit. Si l'on veut minimiser les répercussions sur les caribous et leur habitat, on peut prévoir les activités pour les périodes durant lesquelles les caribous ne sont pas dans la région. Par exemple, si l'exploration était faite l'hiver au moment où les caribous sont ailleurs, le troupeau ne serait absolument pas touché.

Si l'on veut vraiment apprécier l'effet de l'extraction, il faut savoir où elle va se faire, quelles infrastructures elle nécessitera et quelle est la vulnérabilité relative de la région visée. Tant qu'on n'a pas tous ces renseignements, il est difficile de déterminer quel effet ça peut avoir.

Le sénateur Butts: C'est difficile de le savoir à l'avance?

M. Nagy: C'est une question difficile. En 1980, il se faisait beaucoup de prospection pétrolière. Pourtant, les caribous ne sont jamais partis. Ils sont encore là.

Le sénateur Butts: Il n'est pas question de prospection, mais d'exploitation minière. Il y aura une infrastructure -- c'est-à-dire des routes, des avions, et cetera.

M. Nagy: Il est question d'installations minières et de centres commerciaux. C'est ce que j'ai entendu ce matin.

Le président: La saison de mise bas est brève. Elle ne dure qu'un mois. Comme on craint l'exploration ou l'exploitation minières dans les aires de mise bas, si la compagnie était obligée d'interrompre ses activités durant la saison de mise bas, est-ce que ce serait moins préoccupant?

M. Nagy: Vous voulez dire pour l'exploration?

Le président: Non, pour la santé et la survie du troupeau. S'il y avait un règlement interdisant expressément toute activité minière durant la saison de mise bas, est-ce que ça dissiperait vos craintes pour les aires de mise bas, si les limites étaient modifiées?

M. Nagy: Je ne sais pas. En fait, une mine a besoin d'une certaine infrastructure pour être exploitée. Voulez-vous dire que tout le système s'arrêterait pendant un mois?

Le président: Oui, étant donné les déplacements considérables de ces troupeaux. Ils vont traverser cette région à l'extérieur du parc où il y aura de l'exploitation minière. Il est évident que l'exploitation minière se fera dans une région par où passent ces troupeaux, comme vous nous l'avez montré.

Quand le ministre a comparu devant nous, il craignait que ce soit la principale aire de mise bas. S'il n'y avait aucune activité dans la région durant la saison de la mise bas, ce serait beaucoup moins inquiétant. Êtes-vous d'accord pour le moment?

M. Nagy: Ce serait effectivement un facteur atténuant.

Le sénateur Hays: On a déjà répondu à la plupart de mes questions. Dans votre mémoire écrit, vous dites que les caribous utilisent la région et qu'il faudrait accorder une certaine protection à leur habitat. Pouvez-vous répondre avec plus de précision à cette question du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest qui privilégie la modification des limites du parc? Pouvez-vous dire précisément ce que notre comité devrait répondre à la proposition de modifier les limites du parc? Vous pouvez refuser toute modification si vous voulez, mais pouvez-vous répondre à la question différemment?

M. Nagy: Pour le moment, je dois répondre «non» -- pas pour des raisons politiques, mais simplement parce que nous ne possédons pas tous les renseignements nécessaires pour faire des recommandations sur l'importance de cette parcelle pendant la période de mise bas des caribous.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous sommes en train de recueillir des données sur la répartition des lieux de mise bas et sur l'importance relative des différentes aires.

Le sénateur Hays: Je n'avais pas réalisé que ce parc se trouvait à la jonction d'autres subdivisions des Territoires du Nord-Ouest, à savoir le Nunavut et le Sahtu, et que les limites sud et est longeaient ces territoires. Est-ce parce que, dans ces régions, on ne s'est pas entendu sur un agrandissement du parc alors que les Inuvialuit, eux, ont accepté? Êtes-vous au courant?

M. Nagy: Il vaudrait mieux poser la question aux représentants de Parcs Canada. Les divers accords sur les revendications territoriales n'en sont pas tous au même stade de mise en application. On a peut-être l'intention de donner suite, mais il y a d'autres affaires à régler. On a récemment signé l'accord sur l'établissement des structures dans les régions visées par une revendication territoriale.

Le sénateur Hays: Est-il possible que Parc Canada craigne de ne pas arriver à obtenir un accord si celui-ci est rejeté par le comité? Autrement dit, pour les mêmes raisons qui compliquent la conclusion d'un accord pour le Sahtu et le Nunavut, si cet accord était remis en question, est-ce qu'on pourrait avoir de la difficulté à recommencer?

M. Nagy: Peut-être pas directement, mais il ne faut pas oublier que les caribous mettent bas en dehors du parc. Ça, nous le savons. Il faudra donc adopter des mesures de protection pour ces terrains, même s'ils sont en dehors du Tuktut Nogait et des Territoires du Nord-Ouest, et même si les aires au Nunavut et au Sahtu ne font pas partie du parc. Il faut quand même chercher à établir des mesures de protection pour les caribous.

Le sénateur Cochrane: Monsieur Nagy, si je comprends bien, vous êtes ici à titre de représentant du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest?

M. Nagy: Oui.

Le sénateur Cochrane: Est-ce que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest touchera des redevances sur l'exploitation minière? Avez-vous une prévision des recettes qu'on devrait tirer du projet d'exploitation minière s'il se concrétise?

M. Nagy: Je ne peux pas vous répondre. Toutefois, je crois que notre ministre comparaîtra devant le comité la semaine prochaine. Vous devriez lui poser la question.

Le président: En effet. Le ministre sera ici mardi prochain et vous aurez alors l'occasion de lui poser la question, sénateur Cochrane.

Le sénateur Adams: Seulement quelque 15 caribous portent un collier émetteur. Les colliers n'indiquent pas comment les caribous se sont regroupés. En moyenne, ils se regroupent par 10 ou 20 seulement et quelquefois même, ils ne sont que cinq. Je veux m'assurer que le comité a compris que ces 122 000 caribous dont il a été question n'empruntent pas tous les mêmes itinéraires. Ils sont dispersés sur un territoire très étendu. Tout ce qu'on apprend des colliers émetteurs, c'est que le caribou se trouve sur le territoire du parc.

Y a-t-il longtemps que vous avez compté les caribous? Parfois, au printemps par exemple, on a besoin d'un avion ou d'un hélicoptère pour les compter. Je veux être certain que les membres du comité ont bien compris que ces 122 000 caribous ne sont pas toujours ensemble. Ils sont éparpillés sur tout le territoire. Vous n'avez obtenu des données que des 15 caribous qui portaient un collier.

M. Nagy: Vous avez tout à fait raison. Quand on leur met un collier, on présume que ces animaux ont un itinéraire correspondant au déplacement général des hardes de caribous pendant une période donnée. Nous faisons aussi des enquêtes en juin pour localiser les femelles portant un collier afin de vérifier si elles ont mis bas et d'examiner la répartition générale pendant cette période. Nous savons si, à un endroit donné, il n'y a qu'un caribou avec un collier ou plusieurs. Ces enquêtes nous ont essentiellement permis d'apprendre que des caribous mettaient bas dans les régions représentées par des points de couleur.

Le sénateur Hays: Le groupe de l'est a l'air homogène, pas celui de l'ouest. Vous avez mis des colliers à deux groupes alors qu'ils semblent n'en former qu'un. Est-ce que je me trompe?

M. Nagy: C'est une bonne question. Nous essayons aussi d'y répondre. Si nous admettons l'opinion traditionnelle voulant que les caribous soient fidèles à leurs aires de mise bas, alors il y a deux aires de mise bas pour ce groupe de l'ouest. Je vais mettre d'autres colliers émetteurs cet hiver pour pouvoir répondre à cette question. Nous avons aussi des échantillons de bois prélevés au cap Bathurst et dans l'ouest. Nous allons comparer le matériel génétique.

Le sénateur Hays: D'après la carte, le groupe de l'ouest se concentre dans le parc au moment de la mise bas, y compris dans la région en cause, n'est-ce pas?

M. Nagy: Oui.

Le président: Est-ce qu'on les appelle caribous Bluenose parce qu'ils ont le nez bleu ou parce qu'ils sont autour du lac Bluenose? Y a-t-il d'autres raisons?

M. Nagy: On m'a raconté que l'un des biologistes qui faisaient des recherches sur les caribous dans les années 50 ou 60 s'est posé sur un grand lac. Comme il était de la Nouvelle-Écosse, il a baptisé ce lac du nom d'une goélette célèbre.

Le président: Ils sont partout.

M. Nagy: Comme le troupeau mettait bas dans cette région, on lui a donné le nom de caribou Bluenose.

Le président: Au nom du comité, je vous remercie. Votre témoignage a été des plus intéressants. Nous vous souhaitons du succès dans vos futures entreprises et nous vous remercions d'être venu aujourd'hui.

Puis-je avoir la permission des membres pour déposer au Sénat notre rapport d'enquête résultant de notre voyage à Washington?

Des voix: D'accord.

Le président: Merci.

La séance est levée.


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