Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 20 - Témoignages du 24 août 1999 (séance du matin)
OTTAWA, le mardi 24 août 1999
Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-32, Loi visant la prévention de la pollution et la protection de l'environnement et de la santé humaine en vue de contribuer au développement durable, se réunit ce jour à 9 h 08 en vue d'examiner le projet de loi.
Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-32. Nous nous sommes, bien sûr, réunis pendant deux jours avant le congé de l'été, et nous accueillons ici encore aujourd'hui des témoins, qui représentent le ministère, dans le cadre de notre examen du projet de loi.
Il me faut également mentionner que nous avons reçu une communication renfermant des réponses à des questions antérieures et, si j'ai bien compris, il y a un certain nombre de questions préliminaires qui vont être soulevées.
Le sénateur Spivak: Monsieur le président, je n'ai pas vu la communication car celle-ci est arrivée hier alors que j'étais en route. Pourrions-nous passer en revue les réponses à certaines des questions qui avaient été soulevées? Par ailleurs, certaines questions, soulevées par moi-même et par d'autres, restent sans réponse. D'autre part, j'ai une nouvelle fois passé en revue le projet de loi et je constate qu'il reste de nombreux aspects qui n'ont pas fait l'objet d'un examen approfondi. Nous pourrions peut-être revenir en arrière et examiner certains de ces aspects qui n'ont pas été couverts.
Je demande pardon pour tout cela, mais je dois dire qu'on nous demande d'effectuer en un très court laps de temps ce qui aura demandé quatre ans et huit mois à l'autre chambre. Quoi qu'il en soit, j'ai noté les questions, si c'est de cette façon que nous allons procéder. Je sais que lorsque nous nous sommes arrêtés, nous commencions tout juste à examiner la Partie 4, et j'ai en tête encore d'autres questions.
Allez-vous nous autoriser à remonter en arrière? Comment voulez-vous procéder?
Le président: Y a-t-il des observations sur ce dont vient de parler le sénateur Spivak?
Le sénateur Taylor: Remonter à ce qui s'est passé au milieu des audiences me pose quelques problèmes. Il me semble que nous devrions peut-être aller jusqu'au bout avec les témoins pour ensuite passer en revue les questions. En d'autres termes, je ne pense pas que le projet de loi ait été construit de telle façon que chacun de ses éléments soit indépendant des autres. Il y a des liens entre les éléments qui viennent à la fin et ceux qui viennent au début. Je préférerais que l'on passe en revue le projet de loi dans son entier, en posant des questions au fur et à mesure, pour ensuite revoir le tout à la fin.
Le sénateur Spivak: Il y a des concepts de base dans le préambule, qui donnent le ton au projet de loi, et j'ai, par exemple, deux questions portant sur le préambule.
Le sénateur Taylor: Ne serait-il pas plus facile d'avoir un débat sur le préambule une fois que nous aurons réglé tout le reste?
Le sénateur Spivak: Il n'est pas question d'avoir un débat. Il est question de mieux comprendre. Je devrai me plier à la volonté de la majorité des députés ici réunis, mais il me faut répéter qu'on nous a demandé de faire en l'espace de dix jours ce qui a occupé pendant huit mois l'autre chambre, et je veux parler ici de l'étude article par article. Êtes-vous en train de proposer que nous refassions une nouvelle fois, à la fin, l'étude article par article du projet de loi? Il s'agit ici d'un projet de loi très volumineux et complexe. Il n'est pas comparable aux autres projets de loi que nous avons déjà eu l'occasion d'examiner ici. Il importe d'examiner très attentivement chacun des articles.
Le président: Il me semble qu'il serait approprié de procéder de la sorte, si, de l'avis des sénateurs, il demeure des questions relatives à l'interprétation, aux aspects couverts par le préambule, etc., car il y a tellement de recoupements entre les différentes questions abordées dans le projet de loi qu'il importe de comprendre les termes qui sont employés d'un bout à l'autre du texte. Nous pourrions commencer par là. Il me semble, pour être juste, que nous devons avancer. Cependant, s'il y a des aspects que vous aimeriez mieux comprendre, il serait sans doute utile pour tous les membres du comité qu'on s'y penche.
Quant aux réponses, nous devrions peut-être commencer par les lire, sénateur Spivak, et nous verrons alors si nous avons ou non des questions à poser. Je viens tout juste, moi aussi, de recevoir la liasse. Nous pourrions peut-être attendre un peu, avant d'y réagir, que les membres du comité aient eu l'occasion de lire le document en entier. S'ils ont alors des questions, ils pourront les poser. Cela leur sera possible car nous entendons aujourd'hui et demain après-midi les mêmes témoins.
Si vous avez des questions préliminaires visant à obtenir des éclaircissements, veuillez les poser, je vous prie, après quoi nous pourrons passer à la Partie 4.
Le sénateur Spivak: Monsieur le président, j'ai deux questions portant sur le préambule. Je soulève ces questions car nous avons reçu un document faisant ressortir les différences entre le libellé adopté par le comité et celui adopté par la Chambre des communes à l'étape du rapport. Il n'est pas habituel qu'après un tel travail effectué par un comité le libellé change à l'étape du rapport. Je pense qu'il est très important de comprendre cela.
La première question que j'aimerais soulever concerne le sixième attendu, portant sur l'efficience. J'ai eu l'occasion de discuter avec des gens de la Bibliothèque du Parlement et avec d'autres linguistes. Je comprends pourquoi, dans cet attendu, on lit ici «cost-effective» en anglais et «mesures effectives» en français. Je sais que ce sont là les termes employés dans la Déclaration de Rio. Je sais que le gouvernement a choisi cette définition particulière. Il existe de nombreuses autres conventions internationales et versions différentes, mais je ne vais pas les passer en revue ici maintenant. Je suis certaine que vous les connaissez aussi bien que moi, mais l'important ici est que «cost-effective» et «mesures effectives» ne signifient pas la même chose.
L'on aurait pu procéder de bien des façons. Ces expressions ont peut-être été empruntées à la Déclaration de Rio, mais le projet de loi devra être administré ici au Canada, et il se pourrait que les tribunaux aient à l'interpréter, et s'il n'y a pas de définition de l'expression «cost-effective» et s'il y a dans la version française une expression qui n'a pas le même sens, alors comment faire pour expliquer cela? Ne pensez-vous pas qu'il s'agisse ici d'une erreur monumentale dans le projet de loi? Manifestement pas, mais je pose néanmoins la question. Tout cela est répété de nouveau lorsqu'il est question des obligations d'exécution, alors cela ne se limite pas tout simplement au préambule et aux articles sous la rubrique «Définitions et interprétation». Le même problème se pose à l'alinéa 2(1)a), traitant des obligations d'exécution.
M. Harvey Lerer, directeur général, Bureau de la loi canadienne sur la protection de l'environnement, ministère de l'Environnement: Oui, tout à fait. Comme l'a souligné le sénateur, le projet de loi reprend la terminologie employée dans la définition de Rio du principe de la prudence. Il s'agit d'une définition qui a le poids d'une entente internationale. Je pense que quelque 178 pays ont signé la convention et entériné la définition de Rio. L'engagement du gouvernement à l'égard de la Déclaration de Rio a été clair dès la réponse du gouvernement au rapport initial du comité permanent chargé d'examiner le projet de loi et a été reconfirmé dans les changements qui ont été apportés au libellé. L'objet de la définition de Rio, qui apparaît dans le préambule et, comme l'indiquait le sénateur, dans les obligations d'exécution, est que les mesures nécessaires soient prises quelle que soit l'incertitude scientifique pouvant entourer la détermination de l'existence d'un problème.
En ce qui concerne le libellé, il s'agit des expressions, en anglais et en français, qui ont été ratifiées par les 178 pays ayant participé au Sommet de Rio.
Le sénateur Spivak: J'ai admis cela. Vous n'avez pas répondu à ma question. Je sais que le libellé est exactement le même. Il existe de nombreuses autres conventions internationales qui ne renferment pas l'expression «cost-effective», mais l'important ici est que l'emploi des mots «cost-effective» pourraient limiter la marge de manoeuvre. Il s'agit manifestement d'une limite quant à ce qui peut être fait. C'est une contrainte. Il n'en est donné aucune définition dans le projet de loi.
Le projet de loi devra être administré et appliqué au Canada, et les expressions utilisées dans les versions anglaise et française sont totalement différentes. Je pourrai vous fournir les notes que j'ai reçues. Ces expressions ont des sens différents. En fait, si vous vouliez exprimez exactement la même chose en français, il vous faudrait dire «efficient en termes de coûts» ou «efficace par rapport aux coûts». Le sens serait alors exactement le même. Mais ce n'est pas le cas ici. Il n'y a aucune définition de «cost-effective». Dans la Déclaration de Rio, ce sont les pays scandinaves qui pensaient qu'avec l'emploi de l'expression «cost-effective», si une dégradation était irréversible, alors il serait toujours «cost-effective» de suivre le principe de la prudence. Je suis certaine que vous êtes au courant de cela. C'était un compromis. Il s'agissait d'un forum international, mais le projet de loi, s'il est adopté, devra être appliqué ici au Canada, et les mots sont différents.
Vous n'avez pas parlé de cela. Ce n'est pas l'aspect international mais bien l'aspect canadien qui me préoccupe.
M. Lerer: Permettez-moi tout d'abord de réagir à votre observation concernant l'absence d'une définition de l'expression «cost-effective». Cela avait été discuté à l'autre endroit. Il y a, je pense, eu une motion déposée par un député libéral membre du comité qui était préoccupé par cela et qui avait lui aussi songé à l'inclusion dans le projet de loi d'une définition de «cost-effective». Après y avoir réfléchi pendant quelque temps, le député a déposé une motion qui a été acceptée par le comité puis par la Chambre.
C'est ainsi que des éléments descriptifs figurent à l'article 2(1.1) du projet de loi, à la page 5. Ces paragraphes ont pour objet de décrire les considérations liées aux coûts et aux avantages dont doit tenir compte le gouvernement dans la prise de toute mesure.
On a également discuté de «limitation». La résolution retenue à l'autre endroit était de soumettre un amendement au comité permanent.
En ce qui concerne le libellé, une décision politique a été prise par le gouvernement: celle de s'engager à reprendre fidèlement les expressions contenues dans la Déclaration de Rio. Soit dit en passant, ces expressions sont reprises dans de nombreuses autres ententes internationales. Dans le projet de loi qui nous occupe ici, le gouvernement a repris fidèlement les expressions utilisées dans le texte de la Déclaration de Rio.
Le président: J'ai de la difficulté avec votre réponse. Le projet de loi original en français renfermait la bonne terminologie. Je ne suis pas bilingue, mais le sens est évident lorsqu'on dit «mesures efficientes». Le sénateur Spivak a fait état de cette expression qui figurait dans le projet de loi original. Dans le projet de loi modifié, les termes employés ne sont pas les bons. Je ne comprends pas pourquoi vous ne voudriez pas un libellé uniforme? Cela n'éviterait-il pas l'ambiguïté, qui pourrait poser des problèmes plus tard?
M. Lerer: J'ai répondu de mon mieux, sénateur. Le gouvernement s'est engagé à reprendre fidèlement les expressions employées dans la définition de Rio du principe de la prudence.
Le président: Votre ministère devra appliquer le projet de loi. Êtes-vous heureux d'avoir en français une expression différente de celle utilisée en anglais? Cela ne vous posera-t-il pas de graves problèmes?
M. Lerer: Non, nous ne le pensons pas, monsieur.
Le président: Si un francophone vient vous voir et argue que le projet de loi exige l'efficience et non pas l'efficacité, alors cela ne posera-t-il pas de problèmes pour le ministère? Je regrette, mais je ne voudrais pas être à votre place. Peut-être que votre conseiller juridique pourra vous aider. Avez-vous une réponse?
M. Duncan Cameron, conseiller juridique, ministère de la Justice: Je n'ai rien à ajouter, monsieur le président.
Le président: C'est là la position du ministère? Vous n'avez pas d'autres éléments de réponse à donner?
M. Lerer: C'est exact, monsieur.
Le sénateur Spivak: Il y a encore une autre question fondamentale découlant du préambule. Vous dites que cette expression «cost-effective» n'est pas une limitation.
Le président: Pendant qu'on y est, avez-vous une définition de «cost-effective»?
M. Lerer: Il n'y a dans le projet de loi aucune définition de «cost-effective», sénateur.
Le président: Cette absence de définition vous pose-t-elle des problèmes, du point de vue interprétation, dans le contexte de l'exercice de vos responsabilités?
M. Lerer: Non, sénateur. Quant à l'établissement de règlements, il y a une politique en matière de réglementation qui nous guide au cas par cas. La considération de mesures «cost-effective» est analysée. Nous faisons une description dans les documents et les réponses qui ont été fournis au comité. Il s'agit d'une décision prise par le gouverneur en conseil sur la recommandation des ministres relativement aux mesures de contrôle. Il existe une politique en matière de réglementation qui s'applique partout au gouvernement et qui nous guide dans cette analyse.
Le président: Si une personne menant des affaires au sein de l'industrie lit ce texte et veut savoir ce que l'on entend par «cost-effective», à qui s'adresse-t-elle?
M. Lerer: Pour savoir ce qui est entendu par «cost-effective», il faudrait passer en revue les considérations qui sont esquissées dans le projet de loi. Je vous en ai indiqué certaines. Par ailleurs, il faudrait se reporter à la politique en matière de réglementation du gouvernement du Canada, qui est disponible auprès du Conseil du Trésor ou auprès de nous. Il existe une politique de réglementation qui donne le cadre à suivre dans l'analyse des coûts et avantages lorsqu'il est question de soumettre au gouverneur en conseil une recommandation liée à des coûts et à des avantages. Cette politique est à la disposition de tous.
Le président: L'avez-vous ici avec vous? Pourriez-vous nous la montrer?
M. Lerer: Je pense que nous en avons une copie avec nous, sénateur.
Le président: Veuillez nous la fournir, je vous prie.
Le sénateur Kenny: Au sujet de la même question, l'expression «cost-effective» a déjà fait l'objet de discussion dans le contexte d'autres projets de loi. La Loi sur les carburants de remplacement la contient. Le comité doit bien voir qu'il ne s'agit pas de quelque chose révolutionnaire qui va être enchâssé dans la loi. Mon impression est que ce n'est pas inhabituel. On donne la capacité au gouverneur en conseil de déterminer de temps à autre ce qui est «cost-effective». En acceptant cet article, nous acceptons en fait que le gouverneur en conseil puisse vouloir modifier de temps à autre, comme bon lui semble, le sens de «cost-effective». C'est là le principe ou la question dont nous discutons ici.
D'après mon interprétation du libellé, nous déléguons en gros cette responsabilité au gouverneur en conseil en acceptant cet article dans son libellé actuel. Ce que je viens de dire n'a pas été exprimé sous forme de question, mais il aurait peut-être fallu que j'y mette un point d'interrogation à la fin afin d'être bien certain de comprendre la tournure de la conversation que nous sommes en train d'avoir.
M. Lerer: Oui, sénateur. C'est précisément cela. Le gouverneur en conseil décide des règlements, y compris de l'analyse connexe, sur la recommandation des ministres. Si vous demandez si les différentes considérations peuvent varier au cas par cas ou dans le temps, alors la réponse est oui.
Le sénateur Kenny: Le comité est aux prises avec un choix. Nous pouvons convenir qu'il est approprié que ce pouvoir revienne au gouverneur en conseil ou bien nous pouvons choisir de ne pas déléguer ce pouvoir mais plutôt de chercher à faire inscrire quelque chose dans la loi.
Le président: La notion de «cost-effectiveness» doit-elle même être incluse ici? C'est là l'autre partie de la question.
Le sénateur Kenny: C'est là une autre question pertinente.
Le sénateur Spivak: La troisième question est celle de savoir quelle version sera appliquée par le Ministère. «Mesures effectives» ne veut pas dire la même chose que «cost-effective measures». C'est là ce que voulait faire ressortir le président.
Le sénateur Kenny: Bien franchement, j'ai moins de difficulté avec cette question-là car il faudra ici encore s'en remettre aux règlements. Les mots choisis, quels qu'ils soient, renverront les gens aux règlements sur lesquels se prononcera le gouverneur en conseil.
Le sénateur Spivak: Il faudrait qu'il soit clair que les règlements vont suivre.
Le sénateur Kenny: J'entends ce que vous dites. D'après ce que j'ai compris, les deux expressions amèneront les responsables à se reporter aux règlements établis par le gouverneur en conseil. Est-ce bien cela?
M. Lerer: C'est cela.
Le sénateur Kenny: D'une façon ou d'une autre, vous serez ramené au même ensemble de règlements. Quant à savoir si vous aimeriez que ce pouvoir revienne au gouverneur en conseil, c'est là tout à fait autre chose.
Le sénateur Taylor: Cela fait de nombreuses années que j'interviens dans des industries qui ont certaines activités polluantes. L'expression «cost-effectiveness» est utilisée couramment dans le cadre d'opérations menées en Alberta et dans la mer du Nord, au large des côtes hollandaises. C'est dans ce contexte-là que j'ai vu cette expression.
À titre d'exemple, le pouvoir élu a peut-être décidé, pour prendre un chiffre au hasard, que 98 p. 100 du SO2 doit être retiré de vos émissions. Puis il décide d'augmenter cette exigence pour la porter à 99 p. 100 du SO2. L'industrie peut réfléchir à ce point de pourcentage et arguer que ce ne sera pas rentable, que le coût de la suppression de ce pourcent supplémentaire balaiera les avantages. Si le gouvernement insiste, les deux parties peuvent devoir comparaître devant une commission ou un tribunal qui tranchera.
Il est très difficile d'expliciter le sens de l'expression «cost-effective». La définition relève toujours du gouvernement. Le gouvernement lance le processus en exigeant une réduction pour un polluant ou un autre, et le pollueur argue qu'une telle réduction ne serait pas rentable. Le pollueur doit tenter de convaincre, mais la décision finale revient au gouvernement et au gouverneur en conseil. Voilà le processus qui est établi ici.
Ce système sert ceux qui veulent un air le plus propre possible. Il est difficile de prouver l'inefficacité d'un coût; cela ne peut pas être prouvé. Le pollueur doit fermer boutique ou se lancer dans une bataille. C'est le gouverneur en conseil qui détient le pouvoir, et je pense que cela est tout à fait raisonnable.
Le sénateur Spivak: La difficulté ici est que c'est la première fois en droit que le principe de la prudence est explicité. L'on parle ici d'un principe de prudence qui signifie que s'il y a incertitude, alors on ne fera rien. C'est l'efficience qui vient limiter le principe de la prudence. Voyez-vous ce que je veux dire?
M. Lerer: Le principe de la prudence est ce qui figure dans le projet de loi. Ce principe est interprété, dans les ententes internationales, comme voulant dire que l'on doit prendre des mesures même dans un contexte d'incertitude scientifique. Il ne s'agit pas de ne pas bouger en attendant d'obtenir une certitude.
Le sénateur Spivak: Attendez un instant. La question ici est que vous empêchez une action; vous empêchez qu'une substance se retrouve dans l'environnement même s'il y a incertitude scientifique. C'est là l'important. Peut-être que la science est incertaine, ou peut-être que la substance a assurément un effet néfaste mais que sa suppression ne sera pas efficiente. C'est là précisément le noeud de l'affaire. C'est là l'essentiel du principe. C'est pourquoi il est si important de tirer au clair les termes employés. J'accepte ce que vous dites, mais le problème demeure.
M. Lerer: Monsieur le président, la décision de prendre une mesure s'appuie sur la science. Le principe de la prudence dit que, même dans une situation d'incertitude, nous prendrons cette décision. La décision finale quant aux mesures précises à prendre doit s'appuyer, entre autres, sur un examen des coûts et des avantages et des autres options envisageables, mais la décision initiale d'intervenir s'appuie sur la science.
Le sénateur Spivak: Cela n'est pas du tout en cause. Vous avez dit tout à l'heure que l'aspect efficience n'était pas une limitation. Le sénateur Taylor a de façon très juste et très graphique fait ressortir qu'il s'agit en fait bel et bien d'une limitation. C'est là ce que je disais, moi aussi. Il est important de savoir ce que l'on doit entendre par «cost-effective». Est-ce que «cost-effectiveness» signifie que si une certaine mesure est prise, il en découlera des avantages du fait qu'il ne sera pas porté atteinte à la santé des gens? Est-ce que «cost-effectiveness», signifie que si une mesure donnée est prise, l'industrie subira un coût? C'est précisément de cela que nous discutons. L'efficience est une limitation.
Lorsque vous prenez votre décision, vous devez savoir que doivent intervenir un certain nombre d'éléments. Premièrement, vous n'avez pas de définition. Deuxièmement, vous avez deux interprétations différentes, l'une en français et l'autre en anglais. Le sénateur Taylor a très fait ressortir le problème.
Le sénateur Taylor: C'est là le problème, mais nous pouvons envisager de la même façon la solution. Il arrive qu'une entreprise se défende très bien. Si une mesure va coûter deux millions de dollars et que l'entreprise ne dispose pas de fonds suffisant, alors peut-être que le gouvernement participera au coût de l'installation du matériel ou autre.
Si le gouvernement dit que le principe de la prudence va trop loin, alors c'est au pollueur qu'il revient de fournir des preuves de leurs coûts. L'on peut alors recourir au régime fiscal ou à une autre méthode pour rendre les changements plus efficients. Survient alors un débat entre les deux parties, mais, en dernière analyse, si les pollueurs n'obtiennent pas gain de cause, alors ils doivent fermer.
Le sénateur Spivak: Je suis tout à fait de l'avis du sénateur Taylor; cependant, en l'absence d'une définition claire et de la bonne interprétation en français et en anglais, il y aura des problèmes.
Le sénateur Kenny: Il s'agit là de l'un des aspects clés du projet de loi. En tout cas, il s'agit certainement d'une question qui suscite beaucoup d'intérêt à l'égard du projet de loi.
J'ai moins de difficulté, monsieur le président, avec l'écart entre le français et l'anglais, car les deux versions vont déboucher sur le même ensemble de règlements.
Y aurait-il moyen pour les témoins de rassurer le comité relativement aux préoccupations du sénateur Spivak? J'ai quelques réserves quant à l'idée qu'un quelconque texte de loi puisse couvrir tous les cas susceptibles de se présenter. J'ai également quelques réserves quant à la recherche d'une définition qui exigerait la sagesse de Salomon pour englober toutes les situations possibles.
Cela étant dit, que peuvent nous dire les fonctionnaires ici présents pour nous rassurer et nous permettre en tant que législateurs d'être confiants à l'égard du processus?
M. Lerer: Monsieur le président, je renverrai les sénateurs aux articles que j'ai déjà mentionnés, et qui vont au-delà de la politique en matière d'analyse économique que nous vous avons fournie. L'article 2(1.1) à la page 5 du projet de loi, dit:
Le gouvernement du Canada doit tenir compte des facteurs suivants avant de prendre des mesures conformément à l'alinéa (1)a.1):
a) les avantages humains et écologiques découlant, à court et à long terme, de la mesure de protection de l'environnement;
b) les conséquences économiques positives découlant de la mesure, notamment les économies découlant des progrès et innovations en matière de technologie, de santé et d'environnement;
c) tout autre avantage découlant de la mesure.
Dans cette analyse, on dit normalement quels sont les coûts découlant d'une quelconque mesure de réglementation mais également quels sont les coûts découlant du fait de ne pas prendre la mesure et quelles sont les conséquences positives découlant de la mesure en question.
Le sénateur Kenny: Dans quelle mesure le processus est-il transparent? Y a-t-il avis public? Les parties intéressées ont-elles l'occasion de faire des vérifications? Les gens ont-ils la possibilité de faire ressortir qu'une chose a été oubliée ou de faire campagne dans les médias dans le but d'obtenir que vous changiez d'avis sur une question donnée?
M. Lerer: Oui, le processus est parfaitement transparent. En ce qui concerne l'adoption de règlements, il y a tout d'abord le processus de la Gazette du Canada pour ce qui est de la proposition, puis, en ce qui concerne le produit final, tous les documents relatifs aux recommandations des ministres au gouverneur en conseil sont à la disposition du public.
Le sénateur Kenny: Si vous êtes en train de faire une analyse coût-avantage dans l'affaire «X», le sénateur Spivak, par exemple, aurait-elle la possibilité d'intervenir dans le processus, de faire des observations, de parler publiquement des erreurs qu'elle voit dans votre façon de procéder ou d'entreprendre de faire exercer par le public des pressions sur le gouvernement en vue d'obtenir un changement de parcours?
M. Lerer: Non seulement elle aurait ce droit, mais le gouvernement aurait pour obligation de répondre à ses questions.
Le sénateur Kenny: Y a-t-il une aide financière à la disposition des personnes concernées qui s'opposent à ce que vous faites?
M. Lerer: Je ne le sais pas, monsieur.
Le sénateur Kenny: Je vois derrière vous des gens qui secouent vigoureusement la tête.
M. Lerer: Cela ne figure pas dans le projet de loi.
Le sénateur Kenny: Notez au procès-verbal que des gens font non de la tête.
M. Lerer: Il n'existe aucune disposition du genre dans le projet de loi. Je ne peux pas vous donner de réponse ferme sur la pratique suivie jusqu'ici. Je sais que nous finançons ou en tout cas offrons une aide financière à de nombreuses organisations qui s'intéressent tout particulièrement à l'environnement.
Le sénateur Spivak: Il me faut faire une petite intervention ici. Regardez l'application administrative. L'article 2(1.1), que vous citiez, dit:
Le gouvernement du Canada doit tenir compte des facteurs suivants avant de prendre des mesures conformément à l'alinéa (1)a.1) [...]
Cela s'applique à l'alinéa a.1) et non pas au paragraphe a), qui traite des «mesures effectives». L'autre s'applique aux avantages économiques. Le texte dit que «le gouvernement du Canada doit tenir compte des facteurs suivants avant de prendre des mesures conformément à l'alinéa (1)a.1)»; il s'applique donc à a.1) et non pas à a), en tout cas pas au départ.
En passant, la solution ici, selon moi, serait de retirer les mots «cost-effective» afin que le texte soit parallèle à la version française. Ce serait clair et simple.
Le président: Lors de notre dernière réunion, le sénateur Chalifoux et le sénateur Adams se sont dit préoccupés par ce qui se passe dans le Nord. Le sénateur Chalifoux a mentionné en particulier la région du Grand Lac de l'Esclave. Supposons que le gouvernement apprend qu'il y a dégradation du milieu par suite de l'activité minière menée là-bas, pas après coup, mais pendant les opérations. Puis le gouvernement prend des mesures. L'industrie lui dit alors: «Mais cela n'est pas efficient. Nous ne pouvons pas faire cela car ce ne serait pas efficient». Or, l'on sait qu'il y a dégradation, et l'on se retrouve ainsi au beau milieu de toutes sortes de problèmes.
Que faire alors? Si les mots «cost-effective» ne figuraient pas ici, l'on pourrait intervenir. Dès qu'apparaissent les mots «cost-effective», l'avocat agissant pour le compte de l'industrie dira: «Un instant. Ce n'est pas rentable. On ne peut pas faire cela».
M. Lerer: Monsieur le président, c'est cela que j'ai vécu pendant les 20 années que j'ai passées au gouvernement, mais cela ne nous a pas empêché de prendre des mesures.
Le président: Il n'y a jamais eu jusqu'ici dans la loi «cost-effective». Pourquoi des mesures n'ont-elles pas été prises dans le Nord si cela n'allait pas poser de problème? Pourquoi n'a-t-on pas fait quelque chose?
Le sénateur Spivak: Je pourrais vous citer une vingtaine de cas.
M. Lerer: Je ne connais pas l'exemple qui a été donné, mais si vous parlez argumentation, alors le débat se poursuit au fil de l'élaboration des règlements, et le gouvernement prend les mesures appropriées. L'exemple que je pourrais peut-être utiliser pour expliquer de quelle façon j'interprète «cost-effective» est la récente annonce concernant la réglementation de la teneur en soufre de l'essence. Aurait-il été possible, théoriquement, pour le ministre d'annoncer que la teneur en soufre de l'essence devra être ramenée à 30 parties par million demain? Cela aurait été parfaitement possible en théorie. Cependant, il y aurait eu des conséquences économiques, sur le plan des avantages et des inconvénients. La décision ne portait pas sur la question de savoir si des mesures étaient nécessaires; il s'agissait de dire que des mesures allaient être prises. Il a été décidé de prévoir un délai et d'assurer une période d'adaptation afin que les raffineries et que les réseaux de distribution puissent faire le nécessaire pour proposer cette essence à faible teneur en soufre. Je pense que le délai est l'an 2002.
Voilà notre interprétation de la façon dont fonctionne le principe de la prudence et du «cost-effective». La décision de prendre des mesures à l'égard du soufre dans l'essence a été prise. Comment allons-nous procéder, tout en agissant de façon responsable et en tenant compte de tous les besoins des Canadiens dans le contexte de la mise en place de cette mesure de protection? Il a été décidé que la réduction de la teneur en soufre de l'essence se ferait par étape, mais cela n'a aucunement limité les mesures envisagées pour ramener la teneur en soufre de l'essence à 30 parties par million, ce de façon à protéger l'environnement et la santé et la sécurité des Canadiens.
Le président: Vous ne répondez pas à ma question. Je vais essayer avec un autre exemple. Vous avez devant vous l'Accord de Kyoto. Vous savez que dans la province de l'Alberta, le torchage de l'essence est l'une des plus grosses sources d'émissions de gaz à effet de serre. Vous décidez que vous allez interdire le torchage ou en tout cas en exiger la suppression progressive. L'industrie vient vous voir et dit: «Vous ne pouvez pas faire cela; ce n'est pas rentable». Comment allez-vous faire? Vous êtes maintenant confrontés à ce facteur d'efficience qui est encore une autre entrave à la prise de mesures. J'aimerais que vous réagissiez à cette situation en particulier.
M. Lerer: Je vais tenter de répondre, monsieur le président. Je pense que si vous envisagez l'analyse de l'efficience comme n'englobant que les coûts pour l'industrie, alors vous avez peut-être un problème. Ce n'est pas ainsi que sont menées les analyses de l'efficience.
Le président: Où cela est-il dit? Montrez-le moi.
M. Lerer: S'agit-il d'une définition de «cost-effective» dans le projet de loi? Non. Est-il clairement dit que le gouvernement devra tenir compte de ces choses avant de prendre des mesures préventives et correctives pour protéger, valoriser et rétablir l'environnement? Oui, et cela se trouve dans l'article que j'ai cité tout à l'heure. Cela est également, je pense, très clairement établi dans la politique de réglementation que nous vous avons remise ce matin.
Le président: Alors qu'êtes-vous en train de dire? Cela est-il rentable pour l'industrie, le gouvernement ou la société en général? Qu'en est-il?
M. Lerer: Ce que je dis, c'est que lorsqu'on examine les coûts et les avantages liés à une quelconque mesure, l'on examine les coûts et les avantages non seulement pour l'industrie, mais également pour le gouvernement. L'on doit tenir compte du coût pour la société et l'on doit tenir compte non seulement des coûts de la réglementation envisagée mais également des coûts et des avantages découlant du fait de ne pas prendre la mesure envisagée et les coûts et les avantages environnementaux ou pour la santé pouvant découler de la mesure envisagée. Ce n'est pas une rue à sens unique.
Le président: Voyons l'article auquel vous vous êtes rapporté pour nous rassurer, et qui se trouve à la page 5. Il s'agit du paragraphe (1.1). Prenons l'exemple du torchage. Expliquez-moi de quelle façon cet article aidera le gouvernement à prendre une décision relativement au torchage dans un contexte de coût-efficacité? Comment cet article vous aiderait-il?
M. Lerer: Pour parler théorie, s'il existait des preuves scientifiques selon lesquelles le torchage pose un problème à court ou à long terme pour l'environnement ou pour la santé humaine, l'analyse tiendrait compte non seulement des coûts et des avantages liés à la suppression du torchage, mais également des coûts et des avantages liés au fait de ne pas prendre de mesures ainsi que les coûts et les avantages pour l'environnement et pour la santé humaine et les coûts de remèdes futurs, au besoin.
Le président: Parlons du premier cas. Supposons que la réponse est «oui». Je pense qu'il existe suffisamment de preuves que le torchage présente des problèmes écologiques environnementaux. Supposant que la réponse est «oui». Il existe beaucoup de données scientifiques là-dessus.
Passons au b), c'est-à-dire au «conséquences économiques positives découlant de la mesure»... il n'y aurait aucune conséquence économique positive du fait d'interdire le torchage, n'est-ce pas?
M. Lerer: Le texte dit: «...notamment les économies découlant des progrès et innovations en matière de technologie, de santé et d'environnement». Et le paragraphe c) dit: «tout autre avantage découlant de la mesure».
Le président: Les avantages sont écologiques.
M. Lerer: Il se pourrait qu'il y ait des avantages écologiques. Il se pourrait qu'il y ait des avantages sur le plan innovation ou technologie.
Votre mention du changement climatique est très intéressante pour moi, monsieur, car, comme vous le savez, bien que je pense qu'il n'y a plus de doutes scientifiques sur les causes du changement climatique, tout le monde n'est pas de mon avis.
Un débat scientifique continue de faire rage dans le monde, mais le gouvernement canadien a décidé d'envisager les mesures à prendre, quelle que soit l'incertitude scientifique qui demeure dans le monde. Cela témoigne d'une bonne utilisation du principe de la prudence.
Le président: Je n'ai aucune objection quant à cette façon de faire, et cela est tout à fait approprié. L'efficience est ici un problème énorme pour plusieurs raisons. Cet article ne me rassure aucunement; il s'agit cependant d'une question d'opinion. Je ne souhaite pas en discuter plus avant.
Le sénateur Spivak: Monsieur Lerer, vous parlez maintenant d'avantages économiques. Pourquoi cela n'a-t-il pas été inséré dans le projet de loi? La rentabilité est une mesure différente. Vous avez raison de dire qu'il faut se pencher sur les avantages sur le plan coût. Le sénateur Taylor a lui aussi mentionné cela. Pourquoi inclure «cost-effective» mais ignorer les avantages sur le plan coût?
M. Lerer: La réponse est la même que celle que j'ai déjà donnée, sénateur.
Le sénateur Spivak: C'est très bien.
Le sénateur Chalifoux: Ma question concerne un article différent.
Le président: Je pense que nous avons suffisamment examiné la question de l'expression «cost-effective».
Le sénateur Chalifoux: J'ai eu le temps d'examiner tout le projet de loi. D'après le paragraphe 3.(1), à la page 5, concernant la définition de «gouvernement autochtone», il semble qu'il n'y a aucune nécessité pour le gouvernement de négocier avec des personnes vivant hors réserve, ni même de les consulter. La Constitution canadienne reconnaît trois nations autochtones distinctes, les Premières nations, les Inuits et les Métis. Le projet de loi ne reconnaît ni les Métis ni les Inuits, car ni l'un ni l'autre de ces deux groupes n'a jamais été assujetti à la Loi sur les Indiens. Bien que nous soyons reconnus dans l'article 35 de la Constitution, le ministère des Affaires indiennes ne nous a pas reconnus. J'aimerais une explication là-dessus.
L'alinéa 6(2)c), à la page 12, établit la composition des comités comme suit:
i) un représentant pour tous les gouvernements autochtones -- sauf inuit -- de Terre-Neuve, de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick,
ii) un pour tous les gouvernements autochtones -- sauf inuit -- au Québec,
iii) un pour tous les gouvernements autochtones -- sauf inuit -- en Ontario,
iv) un pour tous les gouvernements autochtones -- sauf inuit -- au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut,
v) un pour tous les gouvernements autochtones -- sauf inuit -- en Colombie-Britannique et au territoire du Yukon,
vi) un pour tous les gouvernements autochtones inuit.
Pourquoi le projet de loi ne fait-il pas une place aux différentes nations inuit de ces régions? Pourquoi ne tient-il pas compte des intérêts divers qui ne peuvent être complètement défendus que par les représentants de ces différentes régions? J'aimerais votre explication concernant ces deux questions.
M. Cameron: Nous n'avons pas défini le terme «peuple autochtone» précisément parce qu'il est défini dans la Loi constitutionnelle. Nous nous en remettons à cette définition laquelle, comme le sénateur l'a indiqué, englobe les Métis et les Inuits du Canada.
Le sénateur Chalifoux: Dans la clause d'interprétation, vous restreignez tout au seul gouvernement reconnu sous le régime de la Loi sur les Indiens. Pourquoi cela? Le paragraphe 3(1) stipule:
«terres autochtones»
a) les réserves, terres cédées ou autres terres qui ont été mises de côté à l'usage et au profit d'une bande et sont assujetties à la Loi sur les Indiens;
Les établissements métis de l'Alberta ne sont pas assujettis à la Loi sur les Indiens, pas plus que les collectivités métis ni les établissements hors réserve. La plupart des terres relevant de la protection environnementale canadienne sont situées en dehors des réserves. Les Territoires du Nord-Ouest en sont un exemple. Il y a là haut très peu de réserves à proprement parler. La majorité des terres sont habitées par des Métis et des peuples autochtones hors réserve. Pourquoi avez-vous délibérément restreint la consultation aux habitants des réserves?
M. Lerer: Monsieur le président, le projet de loi comporte une partie sur la consultation et l'article 6, notamment, crée le «comité consultatif national». Le projet de loi donne aux ministres le pouvoir de consulter qui ils veulent. Ils peuvent constituer autant de comités consultatifs qu'ils le désirent. Ces comités peuvent englober toute partie ou groupe intéressé.
Le comité consultatif national est un cas particulier en ce sens qu'il assure une consultation de gouvernement à gouvernement. Nous avons essayé de faire plusieurs choses dans cet article. Premièrement, aux fins du comité consultatif national, qui est un groupe de niveau gouvernemental, nous avons voulu faire en sorte que les représentants des gouvernements autochtones, tels que définis dans le projet de loi, soient sur un pied d'égalité à la table avec les représentants provinciaux et territoriaux.
Dans le cas des Inuits, si, par exemple, une personne inuit était choisie pour représenter le gouvernement du Nunavut, nous avons fait en sorte que ce choix n'empêche pas la présence d'un représentant des Inuits ou du gouvernement autochtone.
Dans les régions où il n'y a pas de gouvernement autochtone, la loi prévoit que le représentant pour cette région pourra être choisi par les gouvernements.
Le comité consultatif national est un comité de niveau gouvernemental. Le projet de loi prévoit dans de nombreux cas des mécanismes de consultation portant sur des accords administratifs et autres sous le régime du projet de loi, notamment par le biais d'organes consultatifs. Par le passé, cette consultation a effectivement eu lieu.
Encore une fois, le comité consultatif national est expressément destiné à être un organe de consultation de gouvernement à gouvernement.
En ce qui concerne la question du sénateur sur la définition de «terres autochtones», cette définition existe uniquement aux fins des dispositions fédérales de la Partie 9.
Le sénateur Chalifoux: Je ne suis toujours pas satisfaite. Le projet de loi refuse donc la reconnaissance à tous les gouvernements métis parce qu'ils ne sont pas assujettis à la loi. Aucun gouvernement inuit n'est reconnu parce qu'ils ne relèvent pas de la loi. C'est ma lecture. À l'article 3, la définition de «terres autochtones» ne fait état que des terres assujetties à la Loi sur les Indiens. Je conteste cette absence de reconnaissance de tous les gouvernements autochtones. Pourquoi ne pas englober ceux non assujettis à la Loi sur les Indiens?
Mme Nadine Levin, conseillère principale en politique, Bureau de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement: La définition de «gouvernement autochtone» veut qu'il s'agisse de l'organe dirigeant constitué ou fonctionnant sous le régime de tout accord avec Sa Majesté du chef du Canada. Cette définition vise à reconnaître le rôle émergent des gouvernements autochtones qui négocient des accords d'autonomie gouvernementale, ainsi que des accords sur les revendications globales comportant des dispositions d'autonomie.
Le sénateur Chalifoux: Je comprends cela, mais ma préoccupation est que le projet de loi ne reconnaît pas les gouvernements métis ou inuit, surtout dans les régions. Par exemple, en Alberta, nous avons huit établissements métis dans le cadre d'un accord avec le gouvernement provincial. Nous avons également des douzaines et des douzaines de gouvernements métis aux niveaux local et régional qui ne sont pas régis par la loi.
Ce projet de loi empêche ces gouvernements autochtones d'être consultés et de défendre leurs intérêts. C'est ainsi que je vois les choses. Ils sont exclus. Il y a en tout cas là sujet à débat, et je pense qu'il faudrait vérifier cela.
Mme Levin: Cette définition ne reconnaît pas les gouvernements autochtones établis en vertu d'un accord bilatéral entre un groupe autochtone et une province.
Le sénateur Chalifoux: Je sais. C'est justement ce que je dis. Elle ne reconnaît non plus aucun gouvernement autochtone au niveau local ou régional.
Mme Levin: Ce serait le cas s'ils fonctionnaient sous le régime --
Le sénateur Chalifoux: De la Loi sur les Indiens.
Mme Levin: Non, d'un accord avec Sa Majesté du chef du Canada.
Le sénateur Chalifoux: Autrement dit, la Loi sur les Indiens.
Mme Levin: Non. La Loi sur les Cris et les Naskapis a permis la création de huit gouvernements autochtones de la province du Québec qui sont habilités.
Le sénateur Chalifoux: Ce n'est qu'un traité. Je ne parle pas d'un traité. Je parle de deux nationalités différentes d'autochtones de ce pays, soit les Métis et les Inuits. Ils ne sont pas reconnus dans ce projet de loi.
Mme Levin: Du point de vue des gouvernements qui sont créés par négociation d'accords d'autonomie gouvernementale puis habilités, ou au moyen de lois du Parlement comme la Loi sur la mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon, ou de la loi qui sera promulguée pour les Nisga'a, aucun gouvernement autochtone érigé par un accord avec une province n'est couvert par cette définition.
Le sénateur Chalifoux: J'aimerais que vous définissiez «autochtone», car «autochtone» est un mot générique. Il y a trois nations distinctes d'autochtones dans ce pays. Lorsque vous dites «autochtone», vous donnez au mot un sens générique. Or, c'est faux. Vous devez identifier la nation: il y a les Métis, les Inuits et les Premières nations. La majorité des Premières nations sont régies par un traité. Cela leur donne un certain statut. Il n'en reste pas moins qu'il y a trois nations distinctes d'autochtones. Je pense qu'il faut les définir.
Le président: Sénateur, avez-vous une idée sur la façon d'améliorer cela?
Le sénateur Chalifoux: Oui, je pense que c'est très simple. Vous pourriez nommer les nations. «Autochtone» est un terme générique. «Autochtone» ne définit pas les nations qui vont être représentées ici à titre de nations autochtones. «Autochtone» est un terme générique.
Le président: C'est dans l'article des définitions.
Le sénateur Chalifoux: C'est dans l'article d'interprétation, l'article 3; les définitions figurent au paragraphe 1.
M. Cameron: Si je puis répondre, comme je l'ai dit précédemment, nous n'avons pas jugé nécessaire d'avoir cette définition explicite énumérant les trois nations, car la définition de la Constitution le fait. Le terme défini dans la Constitution est «peuples autochtones du Canada».
Le sénateur Chalifoux: Ce sont les Métis, les Inuits et les Premières nations. C'est ce que dit la Constitution, et c'est ce qu'il faudrait mentionner ici.
M. Cameron: Nous utilisons le même terme. Nous utilisons «peuples autochtones».
Le sénateur Chalifoux: C'est générique.
M. Cameron: Nous pensons que la définition de la Loi constitutionnelle a préséance.
Le sénateur Chalifoux: Vous n'avez pas repris suffisamment dans ce projet de loi la définition constitutionnelle. La définition de la Constitution dit qu'il y a trois nations autochtones distinctes: les Métis, les Inuits et les Premières nations, et je dis que c'est cela qu'il faut reprendre ici dans l'article des définitions.
M. Cameron: Encore une fois, je répète simplement que je ne pense pas que cette définition explicite soit nécessaire dans le projet de loi, car le terme «peuples autochtones» sera interprété de la même façon qu'il est défini dans la Loi constitutionnelle. Autrement dit, il englobe les trois groupes.
Le sénateur Chalifoux: Il ne les englobe pas. Ceci n'englobe que les terres régies par la Loi sur les Indiens, et ce n'est pas le cas de toutes; mais vous dites «terres autochtones».
Mme Levin: La définition des terres autochtones intéresse la Partie 9 du projet de loi, donnant pouvoir au gouverneur en conseil de prendre des règlements pour protéger l'environnement.
Le sénateur Spivak: Quelle page est-ce, s'il vous plaît?
Mme Levin: C'est à la page 149. C'est là qu'est employé le terme «terres autochtones». Une fois qu'un peuple autochtone devient autonome, il peut détenir ses terres en fief simple ou bien en copropriété. De fait, les terres peuvent même rester la propriété de Sa Majesté. Cette partie porte sur la capacité du gouvernement fédéral de protéger l'environnement par rapport aux ministères fédéraux et leurs activités, et les ouvrages et entreprises fédéraux, et assurer la protection de l'environnement dans les terres autochtones dévolues à Sa Majesté et dans les terres fédérales. Elles ne couvrent pas d'autres terres qui peuvent, au titre d'accords d'autonomie ou de règlements de revendications globales, être détenues en fief simple par les peuples autochtones qui négocient ces accords.
Le sénateur Chalifoux: Là encore, je dois vous reprendre. Vous évoquez uniquement les traités. Vous laissez de côté les terres des Métis et les terres des Inuits. Vous le dites vous-même. Vous n'englobez que les terres régies par des traités. Celles-ci sont visées par l'autonomie gouvernementale. C'est pourquoi il importe de mentionner les trois nations distinctes, afin qu'elles puissent être représentées aux fins de ce projet de loi et se faire entendre. Avec cette loi, elles n'ont pas voix au chapitre.
Le sénateur Spivak: L'énoncé limitatif ici est «assujetti à la Loi sur les Indiens». La formule restrictive est là. Comment pouvez-vous interpréter la Partie 9 dans un sens plus large alors que vous avez déjà limité le sens ici, dans l'interprétation? C'est la définition qui régit votre interprétation de cette loi.
Mme Levin: La définition comporte plusieurs paragraphes, notamment les terres et y compris les eaux, visées par un accord sur les revendications territoriales, particulières ou globales, ou par un accord sur l'autonomie gouvernementale mais dont le titre de propriété est conservé par Sa Majesté du chef du Canada. Cela a été placé dans le projet de loi pour autoriser le gouvernement fédéral à prendre des règlements destinés à ce que l'on appelle couramment le «fossé réglementaire», les cas où les règlements provinciaux ne s'appliquent pas aux terres fédérales -- et, bien entendu, les terres autochtones dévolues à Sa Majesté du chef du Canada restent des terres fédérales.
Le sénateur Taylor: Peut-être y a-t-il là une solution. Bien que la Constitution reconnaisse les Métis en tant que peuple, il n'y a pas de terres des Métis. Les terres des Métis sont reconnues sous le régime de lois provinciales. Le sénateur Chalifoux ne parle que des terres fédérales. Il n'y a pas de terres fédérales des Métis. Il y a des terres fédérales des Inuits et des terres fédérales des Indiens, mais il n'y a pas de terres fédérales des Métis. Mais il y a un peuple métis fédéral. Les terres et réserve des Métis que nous avons en Alberta, que vous et moi connaissons, relèvent de la province. Ceci ne s'applique qu'aux terres fédérales.
Le sénateur Chalifoux: Ceci exclut ou omet les Métis. Donc, ce projet de loi exclut toute consultation des Métis ou des Inuits sur l'environnement.
Le sénateur Taylor: Je ne pense pas. Les terres des Métis sont groupées avec vos terres et mes terres et toutes les autres. Il n'y a pas de séparation. Nous sommes représentés en tant qu'électeurs et personnes. Les réserves des Métis en Alberta relèvent du gouvernement provincial.
Le sénateur Chalifoux: Je le sais. Je dis que dans ce projet de loi il n'y a pas place pour une représentation des Métis ou des Inuits. Ils sont représentés à la page 13 dans le cas du comité, avec un représentant pour les gouvernements inuit et autochtones. Un représentant qui se trouve être un Inuit du Yukon ne peut connaître les problèmes des Inuits de Terre-Neuve. Il faut tenir compte de cela.
Le sénateur Taylor: Je parlais des terres. Il n'y a pas de terre fédérale des Métis. Je ne parlais pas du peuple métis.
Le sénateur Spivak: Je m'y retrouve de moins en moins.
Le président: Je pense que le sénateur Chalifoux a expliqué le problème. Elle demande une meilleure représentation, car le projet de loi ne la prévoit manifestement pas, sachant que notre plus grande masse territoriale, celle où la protection de l'environnement compte le plus, est la moins représentée.
Votre argument est simplement que cela ne convient pas.
Le sénateur Chalifoux: Oui.
Le sénateur Adams: J'ai également une question. Maintenant que le Nunavut peut légiférer tout comme une province, pourquoi a-t-il été omis?
M. Cameron: Il n'a pas été omis. Monsieur le président, s'il s'agit de la composition du comité consultatif national, le Nunavut a son propre représentant en vertu de l'alinéa 6(2)b), qui dit que le comité se compose d'un représentant du gouvernement de chaque province. Puis, «province» est défini, monsieur le président, à l'article 3 page 9, comme englobant les territoires. Par conséquent, chacune des provinces et chacun des territoires aura son propre représentant.
Le sénateur Chalifoux: Pour en revenir à cette question, monsieur le président, à la page 12, le paragraphe 6(2) dit que le comité se compose des membres suivants et, à l'alinéa c)iv) il prévoit un représentant pour tous les gouvernements autochtones, sauf inuit, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.
M. Lerer: Le but de cela, monsieur le président, est que, alors que chacune des provinces mentionnées et chacun des territoires mentionnés, dont le Nunavut, a droit à un représentant, et alors que la personne choisie peut être autochtone, inuit, métisse ou d'une Première nation, le fait que la personne représente le territoire ou la province n'exclut pas de nommer un représentant supplémentaire pour représenter le gouvernement autochtone.
Le sénateur Chalifoux: La formule employée est «sauf inuit». Le mot «sauf» devrait être enlevé, dans le cas du Nunavut.
M. Steve Mongrain, représentant, Bureau de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, ministère de l'Environnement: Monsieur le président, je peux peut-être tenter d'expliquer le comité consultatif national. La loi actuelle prévoit un comité consultatif fédéral-provincial composé de représentants des provinces et maintenant des trois territoires, dont le Nunavut. Je crois que le Nunavut est membre depuis qu'il a acquis le statut de territoire. Le projet de loi y ajoute des représentants des gouvernements autochtones, en sus des représentants des gouvernements des provinces et des territoires.
Pour des raisons purement administratives, nous avons dû diviser le pays en zones géographiques afin que les représentants des gouvernements autochtones puissent être responsables d'une région géographique donnée. C'est arbitraire, et nous en avons parlé lors des délibérations à la Chambre des communes. La question était de savoir comment diviser le pays de manière à assurer une représentation adéquate de chacune des régions. La décision a été de laisser les choses telles qu'elles figurent aujourd'hui dans le projet de loi.
Nous avons donc un représentant, aux termes du sous-alinéa iv), pour tous les gouvernements autochtones sauf inuit -- autrement dit, les Métis et les Premières nations -- et les Inuits sont exclus parce que les Inuits sont couverts par le sous-alinéa vi). C'est pourquoi vous voyez là «sauf inuit». Le Manitoba, la Saskatchewan, l'Alberta, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut sont une région géographique. La Colombie-Britannique et le Yukon en sont une autre et comptent un représentant des gouvernements autochtones. L'autre région géographique est en gros ce que nous appelons les provinces Atlantiques, à savoir Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Il y a des représentants de chacune des provinces, puis un représentant pour tous les gouvernements autochtones.
Le sénateur Chalifoux: Je dis que les Inuits ne sont pas suffisamment représentés à cause de l'étendue de la zone géographique. Vous prévoyez un représentant pour tout le Nord du Canada. Comment pouvez faire cela? Comment un seul représentant peut-il couvrir toute cette région? Il n'y a pas de représentant des Inuits autonomes. Je pense qu'il faut revoir cela.
M. Mongrain: Il y a un représentant des gouvernements autonomes inuit en vertu du sous-alinéa vi), en sus des représentants de chacun des gouvernements territoriaux -- le Nunavut, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest; donc, en fait, le Nord compte quatre représentants au comité.
Le sénateur Chalifoux: Le gouvernement du Nunavut n'est pas un gouvernement autochtone. C'est un gouvernement public.
M. Mongrain: C'est juste.
Le sénateur Chalifoux: Là encore, nous n'avons pas de représentation inuit à l'échelle de tout le Canada. Si vous regardez la représentation de la moitié sud du pays, et tenez compte du fait que bon nombre des problèmes environnementaux se posent aux latitudes intermédiaires et dans le Nord, soit des territoires peuplés surtout par les Premières nations, les Inuits et les Métis, cette partie du pays n'est presque pas représentée aux termes de ce projet de loi. Voilà mon avis.
M. Lerer: Monsieur le président, si je puis ajouter un mot, nous sommes allés plus loin dans le projet de loi que la loi actuelle. Nous avons toujours eu des comités consultatifs fédéraux-provinciaux pour conseiller le ministre. Nous avons ajouté à leur composition une représentation des gouvernements autochtones. Si je comprends bien l'argument du sénateur, elle estime que cela ne suffit pas. Je signale qu'il s'agit là d'un mécanisme de consultation particulier. Ce n'est pas le seul. Les ministres ont pouvoir aux termes de ce projet de loi de consulter et de créer des organes consultatifs pour traiter de toute question, en sus du comité consultatif national. Le sénateur donne son avis sur la représentation au sein du comité consultatif national, mais le processus de consultation n'est pas limitatif. Voilà ce que je voulais signaler.
Je comprends l'argument du sénateur.
Le sénateur Spivak: J'ai une question sur le même point. Pourriez-vous nous donner une opinion? Est-ce que les Métis pourraient former un gouvernement autochtone au sens de la définition du paragraphe 3(1)?
M. Lerer: Je pense que oui.
Le sénateur Spivak: Ils le pourraient. D'accord.
Le président: Ils devraient conclure un accord avec le gouvernement, cependant.
M. Lerer: Oui.
Le président: Combien y a-t-il de gouvernements autochtones en Saskatchewan, par exemple?
Mme Levin: Plusieurs groupes négocient actuellement l'autonomie au titre de la politique de 1995 sur les droits inhérents à l'autonomie gouvernementale des autochtones.
Toutefois, à ma connaissance, ces négociations ne sont pas achevées, il n'y a pas d'accord final pour l'établissement de l'autonomie d'aucun groupe autochtone en Saskatchewan dans le cadre des négociations fédérales qui se déroulent.
Le président: C'est la même chose au Manitoba et en Alberta; les autochtones ne sont donc pas représentés.
M. Lerer: Monsieur le président, si vous regardez plus loin, il y a une disposition pour l'éventualité où il n'y a pas de gouvernement autochtone autonome permettant aux peuples autochtones de choisir un représentant pour siéger à ce comité consultatif. Cela figure aux paragraphes (3) et (4) de l'article 6.
Le président: Même s'il n'y a pas de peuple autochtone au sens de la définition du projet de loi.
M. Lerer: Pas de gouvernement autochtone.
Le président: Dans ce cas, la représentation des peuples autochtones dans chacune des provinces sera déterminée par règlement.
M. Lerer: Le règlement établira le mécanisme par lequel ils choisiront un représentant, oui. Ce n'est pas le ministre qui choisira.
Le président: Je vous remercie. Pouvons-nous poursuivre?
Le sénateur Spivak: Monsieur le président, je me réfère au treizième point du préambule. Celui-ci a fait l'objet d'un amendement du gouvernement au stade du rapport du comité. C'est une notion cruciale. Je veux m'assurer que nous comprenions bien de quoi il retourne.
Le président: De quoi parlez-vous?
Le sénateur Spivak: Je lis ce passage:
[...] qu'il s'efforcera d'éliminer les menaces à la diversité biologique au moyen de la prévention de la pollution, de la réglementation et de la gestion des risques d'effets nocifs de l'utilisation et du rejet de substances toxiques, de polluants et de déchets et de la quasi-élimination des substances toxiques persistantes et bioaccumulables;
qu'il reconnaît la nécessité de protéger l'environnement -- notamment la diversité biologique -- et la santé humaine en assurant une utilisation sécuritaire et efficace de la biotechnologie;
C'est là une notion clé. Le texte antérieur disait:
[...] qu'il s'efforcera d'éliminer les menaces à la diversité biologique au moyen de la prévention de la pollution, de la réglementation et de la gestion des effets nocifs de l'utilisation et du rejet de substances toxiques, de produits de biotechnologie, de polluants et d'autres déchets et de la quasi-élimination des substances toxiques persistantes et bioaccumulables;
Je ne veux pas revenir sur l'aspect de la quasi-élimination. L'élément clé est la modification de libellé. Les mots «produits de biotechnologie» ont été enlevés, si bien que la biodiversité biologique est protégée par l'utilisation sécuritaire et efficace, mais non par l'interdiction de l'utilisation. En d'autres termes, les produits de biotechnologie ne sont plus considérés comme une menace à la diversité biologique, contrairement à l'obligation expresse du Canada aux termes de l'article 8(g) de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique.
Cela m'indique que cet amendement réduit l'intervention à une utilisation sécuritaire et efficace, à l'exclusion de l'élimination. Je soulève cet aspect car le nouveau règlement qui vient d'être publié fait clairement ressortir que les produits de biotechnologie ne sont pas considérés comme une menace à la diversité biologique.
J'aimerais connaître votre version des raisons pour lesquelles cet amendement a été apporté au stade du rapport. Pourquoi les mots «produits de biotechnologie» ont-ils été rayés de cette phrase, dans laquelle le gouvernement s'engage à s'efforcer d'éliminer les menaces à la diversité biologique? Je pose la question car il est évident que les produits de biotechnologie peuvent menacer grandement la diversité biologique. En outre, de l'avis des scientifiques -- pas tous -- leurs effets peuvent être irréversibles, car les produits de biotechnologie s'auto-reproduisent. Une fois qu'ils sont dans la nature, il n'y a plus moyen de les récupérer. Ce n'est pas comme les substances toxiques et d'autres choses. C'est ce qu'il m'apparaît à la lecture du projet de loi et du règlement, etc. Selon vous, pourquoi ce changement a-t-il été apporté?
Le sénateur Taylor: Avec tout le boeuf aux hormones en circulation, on comprend mieux le nombre de gens qui votent réformiste.
Le sénateur Spivak: N'ouvrons pas le débat sur le boeuf aux hormones; je ne veux pas froisser ceux qui ont quelque chose à voir avec le boeuf aux hormones, mais effectivement, le boeuf aux hormones n'est peut-être pas étranger à cela.
L'autre changement, bien entendu, est l'ajout des mots «des risques». Dans le libellé du comité, il n'était pas question de risque. Je suppose donc que cela signifie qu'à la fin de l'étude en comité les membres étaient moins disposés à se contenter d'évaluation et de gestion des risques. Ils voulaient un libellé plus clair, alors qu'ici on tient à préciser que l'on va se livrer à une évaluation et gestion des risques.
Encore une fois, c'est une notion intéressante s'agissant des produits de biotechnologie, car leur cas est un peu différent. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi ces changements ont été apportés.
L'autre élément qui m'intéresse, c'est la production et utilisation. Un amendement incroyable a été apporté à l'étape du comité. C'est un amendement énorme. À l'étape du comité, le texte disait initialement que le gouvernement du Canada reconnaissait la nécessité d'éliminer progressivement la production et l'utilisation des substances toxiques les plus persistantes et bioaccumulables -- je suppose que l'on songeait en particulier aux cultures -- et la nécessité de contrôler et de gérer etc. Toutefois, on a enlevé ensuite les mots «production et utilisation» et ajouté le terme «quasi-élimination». La quasi-élimination, bien entendu, signifie que l'on tolérera une petite quantité résiduelle. Ce n'est pas la même chose que d'éliminer la production et l'utilisation.
Je veux donc savoir pourquoi, à votre avis, ces changements ont été apportés au texte du comité au stade du rapport, et encore une fois je rappelle que le comité a étudié la question pendant quatre ans et huit mois, un article après l'autre.
M. Lerer: Oui, je sais, sénateur. J'ai participé à la plus grande partie de ce travail.
Le sénateur Spivak: C'est comme un choeur, un refrain: «Quatre ans, huit mois». Nous pourrions en faire une saynète.
M. Lerer: Le chiffre que je cite toujours est celui de 93 heures d'étude article par article.
Le sénateur Spivak: Je suis heureuse que vous jugiez cela aussi important que moi.
M. Lerer: Oui, c'est le cas. J'ai vécu toute cette période, avec mes collègues.
Pour ce qui est des mots «diversité biologique», je ne pense pas qu'ils aient été enlevés.
Le sénateur Spivak: Les mots «produits de biotechnologie» ont été rayés du paragraphe qui traite des menaces à la diversité biologique.
M. Lerer: Dans le paragraphe suivant, on dit:
[...] qu'il reconnaît la nécessité de protéger l'environnement -- notamment la diversité biologique -- et la santé humaine en assurant une utilisation sécuritaire et efficace de la biotechnologie;
Le sénateur Spivak: Ce n'est pas considérer la biotechnologie comme une menace. Cela signifie que l'on peut toujours la contrôler par une utilisation sécuritaire et efficace. C'est là ce qui me chiffonne.
M. Lerer: Je ne suis pas sûr de souscrire à votre interprétation de votre phrase.
Le sénateur Spivak: Pourquoi l'amendement a-t-il été apporté?
M. Lerer: Il y a eu plusieurs amendements à ce passage. Premièrement, nous voulions séparer la biotechnologie et lui accorder une place spéciale dans le préambule. Une autre raison était d'éviter toute interprétation, que le libellé initial aura permise, assimilant les produits de biotechnologie à des polluants ou des déchets.
Le sénateur Spivak: On ne dit pas «tous» les produits, simplement «produits de biotechnologie».
Le sénateur Kenny: Soyez juste avec le témoin, il essaie de répondre à la question.
Le sénateur Spivak: Merci. J'ai tendance à me laisser emporter.
M. Lerer: On a mis à part les produits de biotechnologie pour éviter la confusion, pour ne pas donner à entendre qu'ils représentent des polluants ou des déchets. Ce peut être le cas de certains, mais certainement pas de tous. Il s'agissait également de consacrer un paragraphe spécial à la biotechnologie et à ses produits.
Nous avons veillé à ce que la notion de protection de la diversité biologique soit présente dans les deux clauses, contre aussi bien les produits chimiques que les produits de biotechnologie.
Pour ce qui est du risque, je crois savoir que vous recevrez des membres du comité permanent comme témoins. Je ne doute pas qu'ils vous diront s'ils sont d'accord ou non avec la position gouvernementale en matière de gestion et d'évaluation des risques. Il est clair que le gouvernement, aussi bien dans la loi que dans la réglementation, souscrit à la méthode de l'évaluation et gestion des risques. C'est maintenant clairement indiqué dans la loi.
Certains membres du comité de la Chambre n'étaient peut-être pas d'accord. Vous aurez la possibilité de leur poser des questions à ce sujet, mais le gouvernement formule sa propre position.
Un changement a été apporté, en remplaçant «la production et l'utilisation» par «la quasi-élimination» dans le cas des substances toxiques bioaccumulables les plus persistantes. Il s'agissait d'aligner le préambule sur les dispositions exécutoires du projet de loi.
Ces dernières font état de la quasi-élimination des substances bioaccumulables les plus persistantes. Nous avons pensé que le préambule devrait refléter cela, nonobstant le fait que le ministre a pouvoir de recommander au gouverneur en conseil d'interdire la production et l'utilisation d'un produit si la quasi-élimination ne suffit pas.
Le sénateur Spivak: Je reviendrai là-dessus, mais pouvons-nous parler d'abord des produits de biotechnologie? Le libellé du comité ne disait pas «tous les produits de biotechnologie».
Le Canada a admis que les produits de biotechnologie peuvent être une menace pour la diversité biologique. Je n'ai pas sous les yeux l'article pertinent de la Convention des Nations Unies, mais le Canada a signé cette convention, qui a valeur contraignante. Ce n'est pas tout à fait la même que dire que nous pouvons protéger l'environnement en assurant une utilisation sécuritaire et efficace de la biotechnologie. Ce n'est pas la même optique.
La version du comité vise clairement un danger potentiel -- réel ou non, les scientifiques ne le savent pas encore -- pour la diversité biologique. Peut-être faudrait-il ne jamais autoriser la fabrication de certains produits, mais cette question revient plus loin, dans le passage sur la biotechnologie. On a préféré ajouter la phrase «assurant une utilisation sécuritaire et efficace de la biotechnologie». Cela suppose que «l'utilisation sécuritaire et efficace» de la biotechnologie ne menacera pas la diversité biologique.
Ce sont là deux notions différentes. La prémisse qui sous-tend le règlement d'application est que l'utilisation sécuritaire et efficace ne représente pas nécessairement un risque lorsque les sous-produits sont rejetés dans l'environnement. Comprenez-vous qu'il y a une différence? La prémisse est-elle que les produits de biotechnologie peuvent toujours être maîtrisés par une utilisation sécuritaire et efficace?
M. Lerer: Non. La prémisse ici est que les restrictions imposées par l'utilisation sécuritaire et efficace des produits de biotechnologie suffiront à protéger l'environnement, y compris la diversité biologique et la santé humaine. Si ces restrictions ne peuvent pas être respectées, alors l'usage du produit ne sera pas autorisé dans notre pays. Voilà la prémisse.
Le sénateur Spivak: Nous indiquerez-vous plus tard quels articles de la loi spécifient cela?
M. Lerer: Oui.
Le sénateur Spivak: Vous dites que le ministre a le pouvoir d'interdire la production et l'utilisation d'un produit, bien que cela ne soit pas indiqué ici. Est-ce que cela est aussi clairement indiqué plus loin?
M. Lerer: Le ministre a le pouvoir non seulement d'imposer l'élimination progressive, mais aussi l'interdiction, si nécessaire. Ces pouvoirs sont spécifiés à l'article 93. Cette partie du préambule renvoie à l'article 93 du projet de loi, dans la partie qui traite des substances toxiques.
Le sénateur Spivak: Nous y reviendrons.
M. Lerer: Le préambule énonce les principes généraux, en quelque sorte, du projet de loi. Il a été modifié de façon à mentionner la quasi-élimination, qui constitue la première mesure de lutte. Mais le pouvoir existe également à l'article 93, en cas de nécessité, d'ordonner l'élimination progressive de la production et de l'utilisation ou même, de l'interdiction complète.
Le président: Les dispositions relatives à la quasi-élimination commencent à l'article 65 et le ministre doit surmonter quantité d'obstacles avant de pouvoir prendre cette décision. Les amendements modifient radicalement toute l'approche car, au lieu d'éliminer, le ministre doit tolérer une situation de transition. Nous verrons cela lorsque nous serons à la Partie 4.
Le sénateur Spivak: Avez-vous l'article pertinent de la Convention des Nations Unies pour montrer en quoi cette approche diffère de celle des Nations Unies? Je crois que c'est l'article 8g). Il serait instructif d'en avoir copie.
M. Lerer: Je ne l'ai pas ici, mais je pourrais le fournir au comité demain.
Le sénateur Spivak: C'est là notre obligation première. Nous verrons plus loin si ce projet de loi permet au Canada de s'acquitter de ses obligations aux termes de cet article.
Le président: Honorables sénateurs, passons donc à la Partie 5.
Mme Karen Lloyd, gestionnaire, Bureau de la loi canadienne sur la protection de l'environnement, ministère de l'Environnement: La Partie 5 commence à l'article 64 et est intitulé «Substances toxiques». Cette partie donne au ministre le pouvoir d'évaluer le risque que les substances posent à l'environnement et à la santé humaine et de contrôler celles qui en présentent un. La clé de voûte de cette partie est la définition de «toxique», qui figure dans le premier article de la Partie 5, soit l'article 64:
[...] est toxique toute substance qui pénètre ou peut pénétrer dans l'environnement en une quantité ou concentration ou dans des conditions de nature à:
a) avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l'environnement[...]
...ou la santé humaine. Le comité de la Chambre des communes a apporté un changement à la définition actuelle de la LCPE. Il a ajouté, après «l'environnement», les mots «ou la diversité biologique».
La définition de «toxique» est la clé de tout ce que nous faisons dans la suite de la Partie 5.
Le sénateur Spivak: En quoi le comité a-t-il modifié cela?
Mme Lloyd: Il a ajouté, au paragraphe 64a), «ou la diversité biologique». Hormis cela, la définition est exactement la même que celle employée depuis 1988 dans la LCPE actuelle. Elle englobe les effets sur l'environnement et la santé humaine. À l'alinéa b), on parle de «l'environnement essentiel pour la vie». Cela recouvre des choses comme la stratosphère, l'épuisement de la couche d'ozone et la formation d'ozone au niveau du sol. Elle fait état des effets immédiats ou à long terme.
Il faut bien voir, pour comprendre cette définition, qu'elle est axée sur la notion de risque. On considère la concentration d'une substance dans l'environnement et la probabilité que cette concentration ait un effet. C'est ce que l'on entend par risque. On considère la concentration et la probabilité qu'elle ait un effet sur l'environnement.
La Partie 5 porte sur les substances déjà en usage au Canada, les substances qui figurent sur la liste intérieure, et les substances qui ne sont pas encore commercialisées au Canada. Ces dernières sont ce que nous appelons les nouvelles substances.
Je vais traiter d'abord des substances déjà utilisées, puis des substances nouvelles. La Partie 5 couvre les deux.
Vous devriez tous avoir sous les yeux ce diagramme. Je m'en servirai pour vous expliquer la façon dont nous traitons les substances existantes, c'est-à-dire les substances figurant sur la liste intérieure, celles déjà fabriquées ou utilisées, ou produites lors d'un procédé de fabrication.
Il y a trois mécanismes pour considérer les substances existantes: la catégorisation des substances inscrites sur la liste intérieure, l'examen des décisions prises par d'autres pays, et l'évaluation des substances d'intérêt prioritaire. Je commencerai par ce dernier mécanisme, car c'est lui qui figure dans la LCPE actuelle. Les autres sont nouveaux.
Les substances d'intérêt prioritaire sont celles dont les ministres jugent prioritaires de déterminer si elles sont toxiques pour l'environnement ou la santé humaine. Ils dressent cette liste après consultation d'experts. Quiconque peut demander par écrit qu'une substance soit inscrite sur la liste, en indiquant les raisons, et le ministre est tenu de donner réponse.
Il y a un délai de cinq ans pour boucler les évaluations pour la liste prioritaire. Le but d'une évaluation est de déterminer si la substance est toxique selon la définition de l'article 64. L'évaluation est réalisée conjointement par Environnement Canada, pour ce qui est du volet environnemental, et Santé Canada, du point de vue de la santé. La Partie 5 est conjointement administrée par les deux ministères.
Les évaluations des substances prioritaires ont été beaucoup critiquées en raison de leur lourdeur et lenteur. C'est pourquoi deux nouveaux mécanismes ont été inscrits dans le projet de loi, pour permettre d'examiner plus rapidement un plus grand nombre de substances.
On peut ainsi considérer la catégorisation des substances de la liste intérieure. La liste intérieure comporte environ 23 000 substances. Il s'agit donc d'identifier rapidement celles qu'il faut examiner en profondeur. On passe donc en revue les 23 000 substances et Environnement Canada repère celles qui sont intrinsèquement toxiques, et ce sont les scientifiques qui délimitent la notion de «toxicité intrinsèque». Ensuite, parmi ces substances, on décide lesquelles sont persistantes -- c'est-à-dire qui vont séjourner longtemps dans l'environnement -- et lesquelles sont bioaccumulables, c'est-à-dire qui se concentrent dans la chaîne alimentaire.
Donc, on passe au crible les 23 000 substances, on repère celles qui sont de toxicité intrinsèque et puis, si elles sont persistantes ou bioaccumulables, on effectue une évaluation de risque pour déterminer si elles sont toxiques.
Du côté de Santé Canada et du point de vue de la santé humaine, on procède au même tri initial pour voir si les substances sont intrinsèquement toxiques pour l'homme, et c'est encore une fois Santé Canada et ses parties prenantes qui délimitent ce champ. Ou encore, on prend les substances auxquelles les êtres humains sont les plus exposés au Canada. Ensuite on procède à l'évaluation du risque pour déterminer lesquelles sont nocives pour l'homme. En réalité, on se retrouvera probablement avec plusieurs milliers de substances qui seront soumises à ce que nous appelons une évaluation préalable de toxicité.
Pour ce qui est de la catégorisation, la Chambre a imposé un délai de sept ans. Santé Canada et Environnement Canada disposent de sept ans pour passer au crible les 23 000 substances afin de déterminer lesquelles doivent faire l'objet d'une évaluation de toxicité.
Le troisième crible est l'examen des décisions d'autres pays. Cela suppose de mettre sur pied un mécanisme de communication avec d'autres pays pour déterminer quelles substances ils ont interdites ou considérablement restreintes puis, le cas échéant, si la substance présente un risque dans ce pays, déterminer si elle en pose un également chez nous. Cela nous permettra également d'établir quelques priorités.
Vous avez donc les trois cases en haut. L'évaluation de risque a été faite. Vous publiez la conclusion proposée et il y a une période de 60 jours pendant laquelle les parties intéressées peuvent réagir. Quiconque peut réagir. La conclusion est soit que la substance est toxique, soit qu'elle ne l'est pas. Si elle est toxique, des recommandations immédiates sont formulées. Une recommandation pourrait être de l'ajouter à la liste des substances toxiques qui figurent à l'annexe 1, à la fin du projet de loi. Si elle n'est pas toxique, la recommandation pourra être de ne rien faire, du moins pour le moment.
Dans le cas des décisions d'autres juridictions ou de la catégorisation ou du tri, le projet de loi prévoit une troisième possibilité. On pourrait choisir d'inscrire la substance sur la liste prioritaire. Je ne peux imaginer qu'un seul cas où l'on voudrait le faire, celui où il faudrait un complément d'information ou une évaluation plus approfondie du risque. Lorsque je vois les termes «évaluation préalable» accolés à la catégorisation de la liste intérieure et à la sélection ultérieure, cela dénote une évaluation peut être plus rapide ou moins détaillée, et peut-être y a-t-il des cas où une substance a plusieurs utilisations différentes ou bien exige de réunir quantité d'informations différentes sur un composé. Dans ce cas, on l'inscrit sur la liste prioritaire.
Autrement dit, on décide soit que la substance est toxique et on l'inscrit sur la liste des substances toxiques, ou bien on décide qu'elle ne pose pas de problème et que l'on ne va rien faire, ou bien on la place sur la liste prioritaire et on l'étudie plus avant.
Le délai de 60 jours pour avis est donc expiré. Vous avez les réactions de tous les intéressés en main. Les deux ministères les examinent, décident de leur validité et déterminent si elles retentissent sur la conclusion ou la mesure proposée. On publie alors dans la Gazette du Canada la conclusion finale et la mesure.
Une fois que les ministres de la Santé et de l'Environnement ont publié leur conclusion finale de toxicité, ils doivent automatiquement recommander au gouverneur en conseil l'inscription sur la liste des substances toxiques, et cela est nouveau dans le projet de loi. Rien de tel n'est prévu dans la loi actuelle. Les ministres peuvent aujourd'hui attendre éternellement avant de procéder à cette inscription. Cela devient maintenant automatique. Vous avez décidé, vous devez formuler une recommandation d'inscription sur la liste.
Une fois publiée la conclusion finale de toxicité, de nouvelles échéances interviennent qui n'existent pas dans la loi actuelle. À partir de la publication dans la Gazette du Canada, les ministres de l'Environnement et de la Santé disposent de deux ans pour rédiger un projet de règlement ou autre instrument de leur choix, qu'ils doivent de nouveau publier. Il y a alors une nouvelle période de 60 jours pour avis. À partir de là, ils ont encore 18 mois pour finaliser la mesure et l'appliquer. Cela aussi est un nouveau délai. Il n'y a pas de délai dans la loi actuelle.
Peu importe par quel cheminement une substance est déclarée toxique, une fois qu'elle l'est, une seule procédure s'applique. Vous avec les nouveaux délais pour agir et un mécanisme beaucoup plus rapide pour effectuer les évaluations de risque.
Voilà pour ce qui est des substances existantes. Voulez-vous poser des questions là-dessus, ou bien dois-je passer aux substances nouvelles?
Le président: Il me semble que vous avancez très bien. Pourquoi ne pas poser les questions tant que nous sommes dans le contexte. Nous essaierons de nous tenir tranquilles pendant que vous donnerez votre excellente explication.
Le sénateur Taylor: Que se passe-t-il dans le cas d'une substance comme l'arsenic, qui est bénéfique en petite quantité et toxique en grosse quantité?
Mme Lloyd: C'est le genre de chose dont on tient compte lors de l'évaluation du risque. Diverses substances chimiques existent naturellement dans l'environnement et, dans certains cas, les plantes, les animaux et les poissons s'y sont adaptés, et cet aspect est pris en compte lors de l'évaluation. Toutefois, si les animaux et les plantes ne s'adaptent pas naturellement à une substance nouvelle dans leur environnement, il faut réellement peser les risques qu'ils courent. Dans certains cas c'est un problème, dans d'autres non. Notre réglementation ou nos autres mécanismes de contrôle focalisent sur le point où un problème survient.
Le sénateur Spivak: Pouvez-vous nous dire où la «production et utilisation» et «l'élimination graduelle de la production et de l'utilisation» interviennent dans votre diagramme?
Mme Lloyd: C'est à l'article 93. Cela figure dans le type de règlement que le ministre peut prendre.
Le sénateur Spivak: Mais ce n'est pas dans votre diagramme, ici. Il montre seulement où l'on se situe dans la liste prioritaire. Ce n'est pas là.
Mme Lloyd: Cela viendra plus tard. Je n'ai pas encore passé en revue tous les articles et la manière dont ils s'articulent.
Le sénateur Spivak: Très bien, j'y reviendrai. Je voulais simplement signaler que ce n'est pas ici.
Le président: Veuillez poursuivre.
Mme Lloyd: Les substances nouvelles sont celles qui ne sont pas encore utilisées au Canada. Le déclencheur dans leur cas est qu'elles ne figurent pas sur la liste intérieure. Le règlement actuel dit que, si une société veut importer ou fabriquer ou vendre une substance nouvelle au Canada, elle doit présenter certains renseignements à Environnement Canada et à Santé Canada. Par ces renseignements, la société nous avise pour la première fois de ce qu'elle compte faire.
Le président: Vous m'avez perdu.
Mme Lloyd: Je n'ai pas dressé de diagramme pour les substances nouvelles, mais cela se trouve dans l'article 80. Les sociétés doivent déposer un avis disant qu'elles veulent fabriquer ou importer ou utiliser une substance qui ne figure pas sur la liste intérieure. Un règlement dit que, selon le volume ou l'utilisation, elles doivent nous remettre certains types de renseignements; nous évaluons ensuite ces renseignements pour déterminer si la substance nouvelle est toxique. La période maximale d'évaluation est de 120 jours, selon la substance. Parfois elle est considérablement moins longue, car les données requises sont moins nombreuses. Si la substance est jugée toxique, le ministre peut imposer des conditions, et il doit le faire avant l'expiration de la période d'évaluation.
M. Mongrain: Une fois que le ministre impose des conditions à une substance, il y a un délai de deux ans pour la publication par le gouverneur en conseil d'un avis disant son intention de réglementer cette substance. Les conditions initiales finiront par prendre la forme d'un règlement.
Mme Lloyd: Pour ce qui est de la réglementation des substances toxiques, les dispositions pertinentes de la Partie 5 décrivent de manière très détaillée les types de règlements qui peuvent être pris, et cela répond à la question du sénateur Spivak. L'article 94, par exemple, énonce le pouvoir de prendre des arrêtés d'urgence en cas de danger immédiat, et les articles 100 à 103 traitent des types de substances qui peuvent être exportées et importées.
L'élément essentiel, celui qui intéresse la plupart des gens, est peut-être la «quasi-élimination». Dans le cas des substances jugées toxiques, quel que soit le mécanisme par lequel elles sont déclarées telles -- et qu'il s'agisse d'une substance ancienne ou nouvelle -- si elle est persistante et bioaccumulable -- et ces termes sont définis dans le règlement actuellement publié pour avis -- et si elles sont rejetées dans l'environnement principalement par le biais de ces activités humaines, la méthode de contrôle automatique est la quasi-élimination. Il n'y a aucune tergiversation là-dessus. Aucune autre option n'est offerte. La quasi-élimination est toujours une option pour toute substance, mais pour ces substances-là, c'est la seule.
La définition de «quasi-élimination» a été modifiée par le comité de la Chambre de façon à bien préciser qu'il s'agit d'une réduction des rejets à un niveau inférieur à ce que l'on peut mesurer. Elle figure à l'article 65 et vise particulièrement les produits chimiques toxiques, persistants, bioaccumulables et présents dans l'environnement par suite d'une activité humaine. La quasi-élimination consiste en la réduction des rejets à un niveau tel qu'on ne peut plus détecter la substance par les méthodes analytiques courantes. Le chiffre fixé pour cela est ce que l'on appelle la limite de dosage, dont la définition a également été ajoutée à la Chambre.
Lorsque les ministres ont opté pour la quasi-élimination, il s'ensuit une obligation contraignante. Le ministre exige de certaines industries des plans de quasi-élimination. Une fois établie la limite de dosage, soit le chiffre auquel nous voulons voir arriver l'industrie, les compagnies nous disent comment elles comptent parvenir à cette limite et dans quel délai, en indiquant tous les autres facteurs de risque, notamment environnementaux, sanitaires, sociaux, économiques ou techniques, qui accompagnent la méthode retenue.
Le sénateur Robichaud: Est-ce que la rentabilité est un facteur?
Mme Lloyd: Je suppose qu'elles en traiteront dans leur plan.
M. Lerer: Que nous leur demandions ou non.
Mme Lloyd: Le ministre fixe ensuite les limites réglementaires de rejet. La limite de dosage n'est pas une limite de rejet réglementaire. Cette dernière est fixée ultérieurement. Je suppose que l'on utilisera ces plans pour déterminer quelle est la limite actuelle et ce qu'elle sera après cinq ans, sachant qu'il faudra quelque temps avant que certaines industries puissent descendre au niveau spécifié. La limite de dosage variera également selon que la substance est rejetée dans l'atmosphère ou dans l'eau, ce qui peut déterminer aussi le délai nécessaire avant de parvenir à la quasi-élimination. Pour déterminer le délai acceptable, on prendra certainement en considération le risque pour l'environnement et la santé humaine.
M. Mongrain: Le ministre de la Santé et le ministre de l'Environnement fixeront la limite de rejet réglementaire. Ce n'est pas le gouverneur en conseil. Le règlement contrôlant la substance et appuyant cette limite de rejet est pris par le gouverneur en conseil, tout comme tous les autres règlements en matière de toxicité.
Le sénateur Spivak: Vous avez dit que le ministre de l'Environnement évalue le risque environnemental et que le ministre de la Santé évalue le risque sanitaire.
Mme Lloyd: Oui. Nous collaborons aux fins de ces évaluations et partageons les renseignements.
Le sénateur Spivak: Sur la foi du règlement publié le 3 juillet dans la Gazette du Canada, le règlement publié en 1997 en vertu de la LCPE n'a plus effet. Dorénavant, le ministre de la Santé, par le biais de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, déterminera les conséquences écologiques des produits biologiques. Je tiens à signaler que la démarche n'est pas uniforme. Dans ce cas particulier, le ministre de la Santé procède à l'évaluation par le biais de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.
C'est une question intrigante sur laquelle nous pourrons peut-être revenir plus tard. En tout cas, il n'est pas exact que toutes les substances toxiques sont évaluées par le ministre de l'Environnement du point de vue écologique et par le ministre de la Santé du point de vue sanitaire.
Mme Lloyd: Ce sera le cas aux termes de cette loi.
Le sénateur Spivak: Bien entendu. C'est parce que l'article 66 du projet de loi dispose que le ministre tiendra une liste, excepté pour les organismes vivants au sens de la Partie 6. Il s'ensuit donc que ces substances seront retranchées, ensuite de quoi elles feront l'objet d'évaluations environnementales par le ministre de la Santé aux termes d'une autre loi.
Par conséquent, il n'est pas exact de dire que toutes les substances toxiques feront l'objet d'une évaluation environnementale du ministre de l'Environnement et d'une évaluation sanitaire du ministre de la Santé, car, pour une raison qui m'est incompréhensible, vous avez choisi de faire exactement l'inverse dans le cas des produits de biotechnologie. N'ai-je pas raison?
J'ai lu le règlement et c'est précisément ce qu'il dit.
M. Mongrain: Malheureusement, monsieur le président, je n'ai pas lu le règlement. Mais je crois savoir qu'il concerne les nouveaux produits. S'il s'agit d'un aliment, il relève de la Loi sur les aliments et drogues.
Le sénateur Spivak: Bien entendu, mais ces produits sont expressément soustraits à ce projet de loi.
M. Mongrain: Ce sont deux mécanismes parallèles. Comme Mme Lloyd l'a signalé, il existe actuellement 23 000 substances qui seront évaluées sous le régime de ce projet de loi. Aucune n'est exemptée de cette évaluation. Elles seront évaluées du point de vue de leur toxicité intrinsèque, de leur persistance et bioaccumulation.
Les produits nouveaux, s'il s'agit d'une nouvelle semence, d'un nouvel engrais, d'un nouveau médicament ou d'un nouvel aliment, relèvent de lois différentes.
Le sénateur Spivak: Ce qui est encore plus déroutant, c'est que le paragraphe 66(2) dit que toutes les substances existantes seront évaluées aux termes de cette loi, tandis que toutes les substances nouvelles et les organismes vivants seront évalués aux termes de la Loi sur les aliments et drogues par l'Agence canadienne d'inspection des aliments sous l'autorité du ministre de la Santé. Nous parlons là des aliments, médicaments et cosmétiques. Le règlement parle «d'évaluation environnementale». Je ne comprends pas.
M. Mongrain: Laissez-moi essayer d'expliquer encore. Ceci n'est pas la Loi sur les engrais.
Le sénateur Spivak: Je sais que ce n'est pas la Loi sur les engrais. Je le sais parfaitement bien. La Loi sur les semences, la Loi sur les engrais, la Loi sur les produits antiparasitaires, la Loi sur la protection des végétaux et d'autres sont exemptées de ce projet de loi. Je sais parfaitement cela. La plupart de ces substances font l'objet d'une évaluation environnementale, qui est censée être couverte par ce projet de loi, sous le régime de lois différentes qui n'ont rien à voir avec l'évaluation environnementale, mais nous reviendrons là-dessus plus tard. La question que je pose est de savoir si cela vaut uniquement pour les nouvelles substances, les produits de biotechnologie, ou bien uniquement pour celles figurant sur la liste extérieure? Qui va faire l'évaluation environnementale des produits que nous avons déjà. Je sais pertinemment qu'ils sont exemptés, pour quelque raison étrange. Comprenez-vous ce que je vous demande? Est-ce que je m'exprime mal? Après tout, il nous faut savoir ce qui figure sur la liste intérieure et ce qui figure sur la liste extérieure.
Mme Lloyd: Toutes les 23 000 substances de la liste intérieure suivront ce processus. Le projet de loi dit que, si une substance est toxique, le gouverneur en conseil ne peut prendre de règlements au titre d'une autre loi.
Prenons une substance actuellement inscrite sur la liste des substances prioritaires, mettons l'ammoniaque dans l'environnement aquatique. Il pénètre dans cet environnement aquatique par différentes sources. Certaines sources seront réglementées sous le régime de la LCPE. D'autres le seront par le biais de la Loi sur les engrais ou de quelque loi provinciale régissant l'épuration des eaux par les municipalités.
Le sénateur Spivak: Je comprends ce que vous dites s'agissant des produits chimiques toxiques. J'essaie de voir ce qu'il en est dans le cas des produits de biotechnologie. Nous dites-vous que, aux fins de l'évaluation du risque, toutes ces choses exemptées en vertu de la Partie 6 seront évaluées sous le régime de ce projet de loi? Nous avons besoin de le savoir.
M. Lerer: S'ils font partie des 23 000, oui.
Mme Lloyd: Tous ce qui fait partie des 23 000 passera par le processus de catégorisation.
Le sénateur Spivak: Savez-vous combien il y en a?
Mme Lloyd: Je n'en ai pas idée.
Le sénateur Spivak: Ils sont évalués en vertu de cette loi, mais ensuite ces règlements pourront en contradiction avec d'autres car ils traitent d'évaluation environnementale, mais nous reviendrons là-dessus plus tard.
Le sénateur Buchanan: Quelle est la différence entre une substance toxique et une substance intrinsèquement toxique?
Mme Lloyd: C'est fonction de l'évaluation du risque.
C'est ce que je faisais pendant mon deuxième cycle universitaire. Vous prenez votre fiole, vous y versez une certaine quantité de mercure et quelques petits invertébrés, et vous voyez combien il en faut pour les tuer dans un certain délai. Ce sont les plaisirs de la toxicologie. Vous décidez qu'un certain niveau pose problème, et que le produit est alors intrinsèquement toxique. Ce peut être une goutte ou 100 gouttes. S'il faut une grosse quantité d'une certaine substance pour l'étude, vous décidez que le produit n'est pas intrinsèquement toxique; s'il suffit d'une toute petite quantité, vous dites qu'il est intrinsèquement toxique.
Toutefois, selon la définition du projet de loi, toxique a un sens un peu différent. Je sais combien il m'en fallait dans mon bocal au laboratoire, mais je veux connaître la concentration dans l'environnement canadien en différents endroits. Je compare ensuite ce chiffre à la quantité qu'il fallait pour tuer les bestioles au laboratoire et je regarde si ces chiffres sont proches. S'ils sont très proches, il y a toutes les chances que l'on ait des problèmes dans l'environnement. S'ils sont très éloignés, alors peut-être n'y a-t-il pas de problème du tout dans l'environnement.
Le sénateur Buchanan: Diriez-vous que «intrinsèquement toxique» signifie que la substance est forcément toxique, alors que «toxique» signifie qu'elle l'est peut-être?
Mme Lloyd: Non. Elle peut l'être, mais il faut voir quelle est la concentration réelle dans l'environnement canadien -- ou la prédire, car souvent on ne la connaît pas.
Le sénateur Buchanan: À votre avis, quelle définition correspond aux étangs bitumeux?
Mme Lloyd: Je sais qu'il y a des substances dans les étangs bitumeux qui figurent sur la liste des substances toxiques, je pense donc pouvoir dire sans risque que ces substances sont toxiques.
Le sénateur Buchanan: J'ai été élevé à quelques centaines de mètres de ces étangs. Ils sont là depuis plus de 80 ans. Ce qu'il y a de curieux au sujet des étangs bitumeux, c'est qu'ils ne sont devenus un problème qu'au cours des 20 dernières années. Je ne sais pas s'ils sont toxiques ou non. Il y a probablement là-dedans quelques substances toxiques, mais cela fait 80 ans qu'ils existent et personne n'en parlait jamais. Aujourd'hui, tout d'un coup, ils font les manchettes des journaux au Canada. C'est le plus gros dépotoir de déchets toxiques du Canada. Je me suis souvent demandé quelle en est la toxicité. Vous ne le savez pas?
Mme Lloyd: Personnellement, non, je ne le sais pas.
M. Lerer: Y a-t-il dans ces étangs des substances qui figurent sur la liste des substances toxiques et qui répondent à la définition de la loi actuelle et du projet de loi C-32? La réponse est oui.
Le sénateur Buchanan: C'est intéressant. Nous savons tous que c'est le cas. Quel pourcentage de ces étangs serait considéré comme suffisamment toxique pour qu'il faille les éliminer complètement?
M. Lerer: Je ne sais pas précisément quels sont les pourcentages. De fait, je ne le sais pas du tout. Je sais que les gouvernements provincial et fédéral, de concert avec le groupe d'action communautaire, cherchent à déterminer les meilleures mesures à prendre à l'égard de ce site.
Le sénateur Buchanan: On a montré hier aux nouvelles un type avec un gros sceau qui commençait à les vider lui-même.
M. Lerer: J'ai vu cela aux informations, oui.
Le président: J'ai une question sur le paragraphe 65(3). Ces amendements ont été durement critiqués. Si j'ai bien compris, l'argument invoqué est que, au lieu de viser l'élimination, on prévoit des seuils provisoires. J'ai sous les yeux le mémoire de l'Association canadienne du droit de l'environnement. Elle critique vivement cette disposition. Elle dit que le problème fondamental est que, au lieu de se concentrer sur l'élimination de l'emploi et de la production des substances, la définition proposée se concentre sur les quantités que l'industrie sera autorisée à rejeter.
Elle dit en substance que l'industrie, au lieu de se demander comment éliminer ces substances, cherche maintenant plutôt à les contrôler, si bien qu'elles continueront d'exister, continueront de polluer notre environnement et de nous causer quelques problèmes. Le libellé du comité de la Chambre visait clairement l'élimination mais à cause des amendements apportés à toutes ces dispositions, on parle réellement maintenant d'objectifs de contrôle intérimaire. Cela me préoccupe, car il me semble que si une substance est toxique, le but ultime devrait être de l'éliminer, et non de la contrôler. Les amendements ont manifestement délayé ce que proposait le comité de la Chambre.
L'Association canadienne du droit de l'environnement, ou ACDE, a énuméré trois sujets de préoccupation. Premièrement, elle dit que la définition ignore les risques pour l'environnement et la santé humaine. Deuxièmement, elle dit que la définition est contraire au concept de prévention de la pollution. Troisièmement, elle dit que la définition est contraire à l'Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs. Ce sont là des accusations graves émanant d'un groupe environnemental respecté. J'aimerais connaître votre réaction. S'agit-il d'un délayage?
M. Mongrain: Permettez-moi de prendre les questions une par une et de les replacer dans le contexte du fonctionnement de la quasi-élimination.
Lorsque l'Association dit que les risques écologiques sont ignorés, je prétends plutôt le contraire. Lorsqu'une substance remplit les critères appelant la quasi-élimination, les ministres n'ont d'autre choix que de proposer celle-ci. Nous savons que ce n'est qu'un petit nombre de substances qui créent des problèmes difficiles à rectifier. C'est pourquoi la quasi-élimination est prévue comme approche de précaution.
Le président: De toute évidence, la quasi-élimination signifie quelque chose de différent pour vous et pour moi; selon ma lecture du projet de loi, la quasi-élimination n'équivaut pas à une disparition graduelle, mais à un simple contrôle.
M. Mongrain: Admettons quand même qu'il n'y a pas d'option. La quasi-élimination, telle que définie dans ce projet de loi, est la seule voie possible dans le cas de ces substances. La définition de l'article 65 est claire. La quasi-élimination signifie la réduction définitive jusqu'au point où l'on ne peut plus mesurer la quantité, soit la limite de dosage. Nous parlons là de quantités extrêmement faibles. Par exemple, notre règlement sur les pâtes et papier impose actuellement une quasi-élimination. Quinze parties par trillion. Nous ne pouvons plus mesurer en-deçà de 15 parties par trillion au moyen d'une technologie courante, mais sensible.
La définition est très claire. La quasi-élimination signifie que la quantité est inférieure à ce que l'on peut mesurer. Sur le plan de la mise en oeuvre, il ne faut jamais oublier que nous parlons là de très petites quantités.
Le sénateur Spivak: Quel article est-ce cela?
M. Mongrain: Le paragraphe 65(3) traite de la mise en oeuvre de la quasi-élimination.
Nous avons l'objectif de ce que nous appelons la quasi-élimination. Lors de la mise en oeuvre, il peut y avoir des cas où cela n'est pas immédiatement possible. Cela arrive avec toutes sortes de substances réglementées par cette loi. Comme mon collègue M. Lerer l'a signalé, dans le cas du soufre dans l'essence, nous avons adopté une approche de réduction graduelle pour donner à l'industrie le temps de se réorganiser de façon à parvenir à la limite de 30 parties par million.
Lorsqu'on décide comment procéder, il faut tenir compte d'importantes considérations sociales, économiques et techniques. De ce point de vue, la définition, qui repose sur la limite de dosage, n'est pas contraire à l'accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs ni le concept de la prévention de la pollution.
De même, nous devons aborder la mise en oeuvre avec bon sens. Théoriquement, le ministre, de concert avec celui de la Santé, pourrait fixer dès demain la limite de rejet d'une substance donnée au niveau de la limite de dosage. Ce ne serait pas nécessairement bien avisé s'il doit en résulter la fermeture de plusieurs entreprises, avec toutes les pertes d'emplois, etc. Il est plus responsable de le faire d'une manière telle que l'objectif ultime soit réalisé dans un délai raisonnable, puisque l'on sait que ces substances sont dangereuses, mais tout en tenant compte de ces autres facteurs. L'objectif ultime reste toujours présent.
Le président: Je vous suis bien. J'admets qu'il y a des industries où il faut procéder progressivement. Vous parlez certes de très petites quantités, mais l'objectif ultime, si une substance est toxique, est de trouver des façons de l'éliminer, même progressivement, mais non pas de prendre comme objectif des seuils provisoires.
Pourquoi délayer le projet de loi? Je ne conteste pas qu'il faille du temps pour faire cela. J'admets cela, mais ce que vous avez fait ici, ou ce que le gouvernement a fait ici, c'est prendre toutes ces dispositions et modifier toute l'orientation de l'article 65, avec ce nouveau libellé du paragraphe (3). Dans ce dernier, l'accent n'est pas placé sur l'élimination ultime. L'accent est placé sur une quantité que l'on peut continuer à rejeter dans l'atmosphère. C'est une approche très différente. Non seulement est-elle différente, mais elle envoie un signal différent à l'industrie, car celle-ci n'a plus à se demander comment éliminer cette substance toxique, mais plutôt à se demander comment convaincre le gouvernement quant aux limites acceptables de rejet dans l'environnement. C'est le mauvais message.
M. Mongrain: Monsieur le président, en réponse à cela, j'aimerais rappeler deux choses au comité. Le premier objectif est la limite de dosage. Deuxièmement, si vous regardez l'amendement apporté au paragraphe 65(3), le libellé antérieur, avant l'amendement au stade du rapport, comportait la nuance: «en vue de la quasi-élimination». Cela a été supprimé, et le nouveau libellé, celui dont vous être saisi, dit que lorsque la limite de dosage pour une substance a été précisée, aucun autre objectif ne vaut hormis la réalisation de ces limites de rejet extrêmement faibles, soit des quantités qui ne peuvent plus être mesurées.
Pour ce qui est de l'interdiction et de la suppression graduelle de la production et de l'utilisation d'une substance, la politique gouvernementale de gestion des substances toxiques est très claire: si on ne peut empêcher des rejets mesurables d'une substance, les mesures appropriées sont l'interdiction ou la suppression de la production et de l'utilisation.
La LCPE représente l'instrument d'exécution de cette politique. Le pouvoir réglementaire d'interdire la production et l'utilisation d'une substance est disponible à l'article 93, et c'est ce que nous avons fait sous le régime de la loi actuelle avec les composés chlorés que sont les dioxines et les furannes, les effluents des usines de pâte et papier. Le pouvoir est là. Notre première ligne d'attaque seront les rejets mesurables. S'il n'est pas possible de les faire passer en-dessous de la limite de dosage et s'il y a des risques sérieux pour l'environnement et la santé, comme c'est le cas de ces substances, alors le ministre dispose de tous les pouvoirs nécessaires.
Le président: Il faut remonter au préambule pour voir ce qui semble être l'intention du gouvernement, car encore une fois vous ignorez les amendements apportés au préambule. Initialement, le préambule adopté par le comité disait que le gouvernement reconnaissait la nécessité d'éliminer progressivement la production et l'utilisation des substances les plus persistantes et les plus toxiques. Le texte dont nous sommes saisis n'a plus cette référence dans le préambule. Le gouvernement a supprimé dans le préambule la mention de l'élimination de la production et de l'utilisation des substances les plus persistantes.
Encore une fois, le gouvernement signifie par là que son objectif n'est pas d'éliminer, mais de contrôler. C'est s'engager dans la mauvaise direction, à mon avis. Mieux valait le texte qui parlait d'éliminer progressivement. Il n'y a rien de terrible ni d'inapproprié dans l'élimination progressive. Cela laisse du temps à l'industrie, mais selon ma lecture du nouveau texte, on ne va plus se préoccuper d'éliminer progressivement, on va simplement contrôler. Je trouve que ce n'est pas le bon message; manifestement, vous ne pensez pas comme moi.
M. Mongrain: Monsieur le président, le but du préambule est de répercuter les dispositions exécutoires du projet de loi. Nous avons réalisé un progrès considérable avec cette nouvelle catégorie, ce nouveau régime spécial, avec l'examen des mesures pouvant être prises dans d'autres pays de l'OCDE. Ce nouveau régime spécial vise des catégories particulières de substances. Les moyens d'attaque que nous avons choisis sont contenus dans le terme «quasi-élimination», et c'est ce que reflète le préambule. Il n'y a pas de définition dans le projet de loi de «l'élimination progressive de la production et de l'utilisation»; il y a une définition de «quasi-élimination».
Le président: Je vous suis bien; merci.
Le sénateur Spivak: La quasi-élimination, selon certaines définitions, signifie la suppression totale. Mais ce n'est plus ce que l'on dit ici. Supprimer ces passages n'était pas fait pour renforcer le projet de loi, mais l'affaiblir. L'objectif de la quasi-élimination devrait réellement être de faire disparaître la substance.
Je m'intéresse aux substances qui causent des troubles hormonaux. Apparemment, même des quantités infimes peuvent faire beaucoup de dégâts, selon certains scientifiques. Les États-Unis procèdent à des essais sur 15 000 substances différentes ayant des effets endocriniens. Au Canada nous ne faisons que des recherches. Les 12 plus importantes de ces substances sont qualifiées de «la douzaine de salopards». Ces substances doivent être éliminées, non contrôlées, car elles sont les plus toxiques que la terre connaisse. Je crois que M. Lerer a dit que 9 des 12 sont déjà interdites. Les PCB, les dioxines, les furannes et le HCB ne sont pas interdits, mais simplement contrôlés dans les effluents des usines de pâte et papier. Ils ne sont pas interdits, leur utilisation est simplement contrôlée.
M. Lerer: J'ai dit que neuf substances sont interdites. Vous avez nommé les autres.
Le sénateur Spivak: Les autres substances -- l'aldrine, la dieldrine, le chlordane, le DDT, l'endrine, l'heptachlore -- relèvent de la Loi sur les produits antiparasitaires. Ont-ils été interdits?
M. Lerer: Oui, ils ont été interdits. Douze substances ont été désignées pour quasi-élimination et neuf d'entre elles ont été interdites.
Le sénateur Spivak: Cela signifie-t-il qu'elles ne sont plus utilisées et ne peuvent plus être fabriquées?
M. Lerer: Elles ne sont plus utilisées au Canada. Les autres que vous avez nommées sont gérées d'autre manière et n'ont pas été interdites. Sur les douze, neuf ont été interdites et vous avez eu la bonté de nommer celles qui ne l'étaient pas.
Le sénateur Spivak: Vous dites que le ministre, aux termes du paragraphe 93(1), a le pouvoir d'interdire la production et l'utilisation de substances. Pourquoi ne pas laisser cette phrase dans le préambule, dans ce cas? N'aurait-il pas été plus franc de laisser cela en place afin que nous sachions bien de quoi il s'agit?
Les connaissances scientifiques dans ce domaine restent incomplètes, et c'est pourquoi il faut user du principe de précaution. Nous parlons là de 23 000 produits chimiques nocifs. Nous ne parlons pas seulement des trois pires qui subsistent sur la liste. Je ne comprends pas cette approche.
Est-ce que l'industrie de la pâte et du papier refuse d'employer quelque autre substance qui n'aurait pas les mêmes effets néfastes pour l'environnement? C'est très difficile à comprendre pour moi.
Ce sont là des substances horribles, ces PCB et ces hexachlorobenzènes. Ce n'est pas une question oiseuse. Monsanto prétendait jadis que les PCB étaient bons pour nous. Prenez l'agent Orange. C'est une question sérieuse. Ce n'est pas pour rien que nous ergotons sur les mots.
M. Lerer: Je suis d'accord.
Le sénateur Spivak: Pourquoi ne pas interdire la production et l'utilisation de ces substances, au lieu d'autoriser le rejet d'une petite quantité dans l'environnement?
M. Lerer: Au risque de me répéter, la politique gouvernementale en la matière est que la première ligne d'attaque consiste à contrôler et réglementer les rejets. Nous voulons minimiser les rejets. Dans un processus de gestion des risques, le point d'attaque est l'exposition. Lorsque cette approche ne suffit pas ou lorsque le contrôle ne peut être assuré, l'option existe d'éliminer graduellement ou d'interdire immédiatement en totalité, ou partiellement ou conditionnellement, la fabrication, l'utilisation, la transformation, la vente, la mise en vente, l'importation ou l'exportation, de la substance ou d'un produit qui en contient.
C'est dans le paragraphe 93(1). Du fait qu'elle est la première ligne d'attaque, la quasi-élimination est mentionnée dans le préambule. Je ne vais pas contester votre opinion quant à la franchise, mais je ne la partage pas.
Le sénateur Spivak: Je voulais dire «sincère». Je demande si le libellé n'aurait pas pu être plus direct. Ma langue a fourché. N'aurait-il pas été plus franc et direct de parler de l'élimination de ces substances? Tout est là.
Le sénateur Taylor: J'ai une petite question technique. Vous avez dit que «quasi-élimination» signifie que les niveaux d'une substance sont tellement faibles qu'on ne peut plus les mesurer. En tant qu'ingénieur, j'ai vu beaucoup d'analyses de gaz et d'eau qui font apparaître des traces infimes d'éléments. Est-ce qu'une telle trace serait considérée comme la quasi-élimination dans une analyse chimique ordinaire?
M. Lerer: L'idée ici est que l'on pourrait quantifier le niveau. Je ne suis pas certain que cela serait considéré comme respectant la limite de dosage. La définition de la limite de dosage figure au paragraphe 65(1).
Mme Lloyd: On parle de la concentration la plus faible que l'on puisse mesurer précisément.
Le sénateur Taylor: Une trace dépend du volume dans lequel elle se situe. Dans une tonne de minerai, vous pourriez trouver une quantité mesurable d'un élément. Si vous n'analysez qu'un caillou, vous pourrez ne trouver qu'une trace.
M. Lerer: Selon mon expérience de l'analyse chimique, par «trace» on entend habituellement que l'on peut confirmer la présence, mais non la quantité.
Le président: J'aimerais revenir un instant au principe de la prudence. Je vous renvoie à l'article 76.1 page 48, qui dit que «les ministres appliquent la méthode du poids de la preuve et le principe de la prudence...»
Je ne saisis pas. Cela semble contradictoire.
Mme Lloyd: Ce n'est pas du tout contradictoire.
Le président: Le principe de la prudence n'est pas la méthode du poids de la preuve?
Mme Lloyd: Ce passage dit qu'il faut appliquer les deux méthodes. Dans une approche de l'évaluation du risque fondée sur la preuve -- et cela s'applique à tous les trois régimes d'évaluation du risque des substances existantes -- vous n'avez souvent pas assez de preuves pour tirer une conclusion ferme. Il vous manque souvent des éléments du puzzle. Mais si vous êtes assuré que tous les éléments tendent dans la même direction, la méthode du poids de la preuve vous permet de tirer une conclusion sur la toxicité.
Le président: Je pensais que c'était là le principe de la prudence.
Mme Lloyd: Les deux vont de pairs. Le principe de la prudence signifie également que l'on n'attend pas d'avoir tous les éléments: «Si vous avez assez d'éléments pour entrevoir une direction, n'attendez pas pour agir, agissez tout de suite». Nous agirons sans une certitude scientifique complète. Les deux principes disent la même chose.
Le président: C'est pourquoi je suis dérouté. Est-ce que nous introduisons là un nouveau principe environnemental, lorsque nous parlons du poids de la preuve, ou bien cela est-il redondant? Est-ce que cela n'est pas juste le principe de la prudence?
Mme Lloyd: Je ne vois pas de redondance. Les deux notions sont complémentaires. L'approche du poids de la preuve est énoncée dans les lignes directrices que nous utilisons actuellement pour évaluer les substances.
Le président: Est-ce que l'approche du poids de la preuve englobe la notion de rentabilité?
Mme Lloyd: Non. Lorsqu'on décide si une substance est toxique ou non, on s'en tient strictement aux données scientifiques. Il n'y a aucune considération de coût là-dedans.
Le président: Si maintenant le principe de prudence s'applique, vous modifiez votre approche, car dorénavant il faut prendre en compte le coût, alors qu'auparavant c'était uniquement le poids de la preuve.
M. Mongrain: Dans le cas du principe de la prudence, c'est le type de mesures prises pour contrer le risque écologique qui est modifié par le terme «cost-effective», pas la décision d'agir ou non.
Le président: Désolé, mais ce paragraphe dit «et le principe de la prudence». Donc, lorsqu'ils procèdent à une évaluation et interprètent les résultats, ils appliquent maintenant le principe de la prudence. Mme Lloyd vient de me dire qu'auparavant c'était uniquement le poids de la preuve, qui exclut la notion de rentabilité.
M. Mongrain: Si vous lisez tout le passage sur le principe de la prudence, la décision d'agir ou non dépend du poids de la preuve. Le principe de la prudence veut que l'on n'attende pas une certitude scientifique complète. Il n'est pas nécessaire de démontrer tout le lien de cause à effet avant de décider d'agir. Cet élément du principe de la prudence est extrêmement important pour l'interprétation des résultats, et c'est ce qu'affirme l'article 76.1, tout comme le poids de la preuve. Si vous avez trois ou quatre études allant dans le même sens, vous n'avez pas besoin d'en mener une douzaine d'autres pour confirmer cela. Vous agissez au vu du poids de la preuve et sur la base du principe de la prudence, qui réaffirme l'obligation d'agir en l'absence d'une totale certitude scientifique.
Les considérations de coût interviennent lorsqu'on décide quoi faire. La mesure appropriée peut être un règlement. Une planification de prévention de la pollution peut être la méthode la plus rentable dans certains cas.
Le président: Je ne me réfère pas au même article que vous, monsieur Mongrain. Il commence par: «Les ministres appliquent la méthode du poids de la preuve... lorsqu'ils procèdent à l'évaluation... et à l'évaluation des résultats...». Mme Lloyd a dit qu'auparavant ils appliquaient le poids de la preuve, qui n'avait rien à voir avec la rentabilité, lorsqu'ils évaluaient et interprétaient les résultats. Vous avez maintenant ajouté le principe de la prudence; cela signifie donc que, lorsqu'ils interprètent les résultats, ils tiennent compte de la rentabilité. On a ajouté une notion.
M. Mongrain: Je prends les mots «principe de la prudence» et je me reporte au préambule, ou à l'article 2, où ils sont repris, où le principe de la prudence de la Déclaration de Rio est repris. Comme vous l'avez dit, l'article 76.1 traite de l'interprétation des résultats par les ministres.
Le principe de la prudence veut que, lorsqu'il y a risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique ne doit pas être invoquée pour retarder des mesures «rentables» pour prévenir la dégradation de l'environnement. La décision de savoir si une substance est toxique ou non est prise au moyen de l'interprétation de résultats. Elle est fondée sur des éléments scientifiques. Si le poids de la preuve dit que les données que l'on possède vont dans une certaine direction, cela devrait suffire. Le principe de la prudence renforce cette approche en disant: «Même si vous n'avez pas une certitude scientifique complète, ne tardez pas, car il peut y avoir un risque de dégradation grave». C'est la première étape. Nous avons donc décidé, aux termes de l'article 76.1, que cela en fin de compte déclenche une détermination de toxicité.
Le président: Vous avez omis un mot important.
M. Mongrain: Je l'ai fait exprès.
Le président: Poursuivez.
M. Mongrain: Nous avons donc décidé que la substance est toxique. Le principe de précaution dit: « ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives». Les mesures que nous prenons à l'égard de la substance toxique peuvent varier. Cette loi nous donne toute une panoplie d'outils. Certains seront mieux adaptés que d'autres dans des cas particuliers. Certains seront plus efficients que d'autres. Il paraît raisonnable de tenir compte du coût dans le choix des moyens à mettre en oeuvre.
Je vais vous donner un exemple. Si nous voulons réduire la teneur de soufre dans l'essence, nous procédons par voie de règlement. C'est une manière efficiente de le faire. Exiger de chaque station d'essence un plan de prévention de la pollution pour réduire le soufre n'est pas une façon de procéder efficiente. Elle est appropriée dans d'autres cas, mais dans le cas du soufre dans l'essence, la prise d'un règlement limitant la teneur admissible est une méthode efficiente. C'est celle que le gouvernement a choisie. Le terme «cost-effective» dans ce cas s'applique non pas à la décision de déclarer ou non la substance toxique, mais au genre de mesure que le gouvernement choisit de prendre.
Le président: Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord. L'article 74 dit:
Une fois qu'ils ont établi qu'une substance [...] les ministres en effectuent une évaluation préalable pour [...] déterminer si elle est effectivement ou potentiellement toxique...
L'article 76.1 précise:
Les ministres appliquent la méthode du poids de la preuve et le principe de la prudence lorsqu'ils procèdent à l'évaluation et aux examens [...]
Ils doivent donc tenir compte de l'aspect efficience lorsqu'ils procèdent à l'évaluation préalable. S'ils reçoivent une évaluation disant qu'une substance est toxique, ils pourraient dire qu'il n'est pas efficient de s'en débarrasser, puisque le principe de la prudence s'applique, et refuser d'agir. C'est une autre raison pourquoi «cost-effective» ne devrait pas figurer dans cette loi. La notion engendre la confusion, établit une logique inappropriée et n'est pas nécessaire, et ceci n'en est qu'un autre exemple.
Je vous garantis que le débat que vous et moi avons en ce moment resurgira dans quelque autre tribune. C'est un débat inutile, et la seule raison en est que la notion d'efficience figure dans cette loi.
Le sénateur Hays: Je veux m'assurer de bien comprendre cette divergence de vue entre vous et le président, monsieur Mongrain. La question qui vous a été posée est de savoir si «cost-effective» détermine la manière dont les éléments scientifiques sont interprétés, ou si «cost-effective» s'applique uniquement, une fois que les études scientifiques ont établi la toxicité, à la manière dont vous procédez à la quasi-élimination de la substance. Voilà la différence qui m'apparaître entre vos positions.
Par exemple, une façon de supprimer les rejets de soufre serait d'interdire l'usage de l'automobile, mais ce ne serait probablement pas efficient. Ai-je bien saisi, est-ce que l'efficience s'applique aux mesures prises et non pas à l'interprétation des résultats scientifiques?
M. Mongrain: Oui, cette dernière étant la première étape. La première étape consiste à faire une détermination scientifique. Une fois qu'on a déterminé qu'une substance pose un problème, il faut décider comment le combattre.
Le sénateur Spivak: En ce qui concerne la consultation, je constate en regardant l'article 69 que l'offre de consultation diffère de toutes les autres dispositions. Dans ce cas, le ministre peut agir après l'expiration d'un délai de 60 jours, même avant la fin des consultations.
Dans toutes les autres dispositions, le ministre ne peut agir que si l'offre de consultation est rejetée après le soixantième jour. Cette version a été amendée en comité dans le cas de toutes les offres de consultation, si j'ai bien suivi. Est-ce exact? Ensuite le texte antérieur a été rétabli pour toutes les offres de consultation, sauf celle-ci. Toutes les autres dispositions sur la consultation ont été rétablies, mais pas celle-ci. Pourquoi?
M. Mongrain: Je crois comprendre la question.
Le sénateur Spivak: Les offres de consultation dans tout le restant du projet de loi comportent l'autre libellé, n'est-ce pas?
M. Lerer: Oui, c'est juste.
M. Mongrain: Monsieur le président, avec votre permission, je vais réexpliquer la séquence des événements et les choses deviendront peut-être plus claires. Plusieurs amendements ont été présentés à l'étape du comité de la Chambre qui étaient très similaires à ceux qui figurent au paragraphe 69(2.1). Ils ont été rejetés dans tous les cas, sauf celui-ci. Au cours de la période entre l'étape du comité et l'étape du rapport, le gouvernement a reconsidéré la question et le fond du problème, et a rédigé la formulation qui apparaît ailleurs dans le projet de loi. La particularité de l'article 69 est qu'il concerne les directives que les ministres peuvent émettre au sujet de l'interprétation de la Partie 5. C'est une disposition moins exécutoire. Il ne s'agit pas là d'un règlement contrôlant une substance donnée.
Le sénateur Spivak: C'est très intéressant. Cela signifie que les autres offres de consultation constituent une entrave à l'action. Vous avez confirmé mon soupçon. Partout ailleurs, il se peut fort bien que ces consultations se poursuivent pendant des années, sans que le ministre agisse. Il n'est pas formellement déclaré libre d'agir. Nous savons avec quelle délicatesse le gouvernement fédéral traite les provinces dans tous les autres cas. Le résultat pratique est qu'il peut falloir très longtemps avant que le ministre agisse. Par conséquent, l'offre de consultation représente une entrave à la liberté d'agir du ministre. Si elle n'existe pas ici, c'est parce que, comme vous dites, il ne s'agit que de donner une interprétation, alors que dans les autres cas il s'agit d'action. Cela confirme ce que je pensais.
M. Mongrain: Monsieur le président, le but, qui a été clairement formulé par les membres du comité permanent de la Chambre, était leur crainte qu'une offre de consultation reste suspendue dans le néant, sans être nécessairement acceptée et sans qu'une concertation ne démarre, et que cela retarde l'action.
L'offre de consultation, en l'état actuel des choses, est le moyen par lequel Environnement Canada collabore traditionnellement avec les provinces, car l'environnement est un domaine à compétence partagée. Nous collaborons étroitement avec elles et bénéficions de la consultation et de notre expérience respective. L'amendement apporté par le gouvernement au stade du rapport, imposant la limite de 60 jours, vise à prévenir une situation où une offre de consultation est faite de bonne foi mais jamais suivie d'effet. Cela limite le délai dont une province dispose pour donner suite.
Je dirai un dernier mot sur la question de la consultation des provinces. Ce genre de disposition n'est pas inhabituelle dans les lois fédérales. On la retrouve dans la Loi sur l'immigration et dans la Loi sur les télécommunications, dans les domaines où il y a des intérêts et responsabilités partagés. Au lieu d'être une entrave à l'action, nous pensons que c'est un moyen d'avoir une action plus efficace.
Le sénateur Spivak: Je comprends. C'est M. Clifford Lincoln qui a fait cela et je comprends ce qui le motivait. Toutefois, en réalité, cela pourrait s'avérer beaucoup plus contraignant. Il serait très inhabituel que le ministre agisse avant que ces consultations soient terminées. Y a-t-il une autre disposition dans la Partie 5 qui diffère de celle-ci?
M. Lerer: Je crois que l'article 76 ne prévoit pas d'offre de concertation.
Le sénateur Spivak: Regardez la définition de la liste des substances prioritaires. La décision de placer quelque chose sur cette liste est relativement importante. J'imagine que les provinces sont très intéressées par cela.
M. Mongrain: Elles ont participé par le passé.
Le sénateur Spivak: Exact, mais ceci pourrait prendre beaucoup de temps. Je vous rappelle que, sur les 23 000 substances, seules 44 ont réellement été évaluées en l'espace de cinq ans.
Mme Lloyd: Sous le régime du programme des substances prioritaires, oui.
Le sénateur Spivak: En cinq ans.
M. Lerer: Non, 45 substances ont été placées sur la liste des substances toxiques. Ce n'est pas le même chiffre que celui des substances évaluées.
Le sénateur Spivak: Néanmoins, le principe est le même. Le processus est lent, et cela ne fait que le ralentir.
M. Mongrain: C'est pourquoi nous avons ajouté ces deux nouveaux mécanismes d'évaluation et pourquoi nous avons limité dans le temps l'offre de consultation. Le délai de 60 jours s'applique à la réponse à l'offre de consulter. Le ministre est obligé d'offrir la consultation, et la limite de 60 jours s'applique à la réponse. On ne spécifie pas la durée de la consultation. Celle-ci sera déterminée au cas par cas. Il s'agit de la réponse à l'offre de consultation.
Le sénateur Spivak: Oui, dans les cas où elles l'acceptent.
M. Lerer: Elles peuvent la refuser.
Le sénateur Spivak: Elles doivent répondre dans les 60 jours, mais ensuite la consultation peut durer cinq ans.
M. Lerer: C'est vrai, ou bien seulement 30 jours.
Le sénateur Hays: Comment décririez-vous le rôle du comité consultatif national dans le contexte de l'obligation de consulter à peu près toujours les mêmes personnes? Quel est son rôle?
M. Lerer: Mes collègues recherchent les dispositions correspondantes, mais le conseil donne des avis sur les évaluations et toute mesure pouvant être prise. Il transmet l'information sur les mesures que des juridictions particulières peuvent prendre de leur côté, pour éviter les chevauchements. Il y a aussi la rubrique fourre-tout des questions «d'intérêt commun». Il s'agit d'un mécanisme qui permet de partager les renseignements scientifiques, de trouver les meilleures façons de régler un problème et de donner un avis sur les règlements et mesures fédéraux.
Le sénateur Hays: Je suis en train de me dire que vous avez une relation de concertation permanente avec le comité consultatif national, ce qui peut rendre inutile pour une province d'accepter une offre de consultation lorsqu'elle est faite. Y a-t-il quelque chose de réciproque? Pouvez-vous nous décrire les obligations, le cas échéant, que possèdent les provinces, aux termes de leurs lois ou dans leur pratique, de consulter le gouvernement fédéral dans les cas où elles ont la responsabilité première d'intervenir dans un problème environnemental?
M. Lerer: Il y a là deux questions. Est-ce que le comité consultatif national pourra être le véhicule pour s'acquitter de l'obligation d'offrir la consultation? La réponse est oui.
Y a-t-il d'autres obligations de consultation dans les lois provinciales? Cela figure dans le document donnant nos réponses aux questions du Sénat, et la liste de ces dispositions y figure. Nous avons passé en revue la législation sur la protection de l'environnement des provinces. Oui, le comité consultatif national pourrait être le véhicule.
Y a-t-il des obligations pour les provinces de consulter le gouvernement fédéral? Nous en avons dressé la liste dans le document que nous avons remis hier au Sénat.
J'aimerais évoquer un facteur important des délais dont parlait le sénateur Spivak, à savoir que le ministre est sujet à des contraintes de temps lorsqu'il est tenu d'agir; je vous rappelle les 25 mois que mon collègue a évoqué, qui interdisent qu'une concertation puisse durer pendant des années et des années. Le ministre a l'obligation juridique de faire certaines choses, et l'offre de consulter et le processus de concertation sont couverts par ces délais. Ce ne sont pas des délais supplémentaires.
Le sénateur Spivak: Que se passe-t-il en cas de désaccord?
M. Lerer: Le ministre est obligé de prendre une décision.
Le sénateur Spivak: Il est prévu quelque part de saisir la Cour fédérale. Est-ce une disposition différente? Je pense que c'est dans la disposition sur la participation.
M. Lerer: Qui prend une décision? Le ou les ministres responsables de l'administration de cette loi. En fin de compte, la décision leur appartient. Existe-t-il un droit de contrôle judiciaire d'une décision ministérielle? Il existe dans tous les cas.
Le sénateur Spivak: En d'autres termes, une personne peut se pourvoir.
M. Lerer: Il y a aussi des procédures de révision. Il y a des conseils de révision et ce genre de choses.
Le sénateur Spivak: J'aimerais poser quelques questions à ce sujet, mais je le ferai cet après-midi.
Le président: Nous allons ajourner jusqu'à 13 h 30.
La séance est levée.