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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 22 - Témoignages du 30 août 1999 (séance du matin)


OTTAWA, le lundi 30 août 1999

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-32, Loi visant la prévention de la pollution et la protection de l'environnement et de la santé humaine en vue de contribuer au développement durable, se réunit ce jour à 10 h 10 en vue d'examiner le projet de loi.

Le sénateur Ron Ghitter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bienvenue à cette séance au cours de laquelle nous allons poursuivre notre examen du projet de loi C-32.

Le sénateur Hays désire soulever une question préliminaire.

Le sénateur Hays: J'aimerais soulever auprès du comité une question de privilège. Ce matin, j'ai écouté un reportage de la CBC Radio. Le journaliste, un certain M. McIsaac, a dit que j'avais indiqué que j'allais appuyer le projet de loi sans amendement, nonobstant ce que j'ai entendu au comité.

Bien que j'aie accordé une entrevue à un journaliste dont j'oublie le nom, là n'est pas mon souvenir de ce que j'ai dit. Mon inclinaison, déclarée à l'époque, et ma présente inclinaison ici aujourd'hui en tant que partisan du gouvernement est d'appuyer le projet de loi, et ce probablement sans amendement. Cependant, je n'ai pas dit que je ferai cela nonobstant ce que j'ai entendu, ce qui a été rapporté dans le bulletin radiodiffusé.

Cela porte atteinte à ma crédibilité en tant que personne interrogeant les témoins comparaissant devant le comité, et j'ai pensé devoir, à la toute première occasion, soulever cette affaire sous forme de question de privilège.

Je vais en parler avec les responsables des informations et demander une transcription ou un enregistrement de l'entrevue que j'ai donnée ou en tout cas ce sur quoi ils se sont appuyés pour rapporter ma position, car ce qui a été dit est trompeur et inexact.

Le président: Nous avons pris bonne note de vos explications et celles-ci figureront au procès-verbal.

Le premier témoin de ce matin nous vient de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement. M. Winfield nous a fourni un très long mémoire pour le compte de cette organisation.

Monsieur Winfield, vous avez manifestement consacré beaucoup de temps à examiner les questions dont nous sommes saisis. Nous attendons avec impatience d'entendre ce que vous avez à nous dire. Allez-y, je vous prie.

M. Mark Winfield, directeur de recherche, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement: L'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement (ICDPE) est un organisme indépendant à but non lucratif voué à la recherche et à l'éducation dans le domaine du droit et de la politique de l'environnement. Il a été créé en 1970 sous le nom de Fondation canadienne de recherche du droit de l'environnement.

L'institut s'intéresse au processus d'examen de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE) depuis ses débuts en 1993. En septembre 1994, nous avons déposé un mémoire et cinq documents de recherche auprès du comité permanent de la Chambre des communes sur l'environnement et le développement durable dans le cadre de son examen de la LCPE. Je suis également le coauteur de mémoires pour les comités sur les produits toxiques et la biotechnologie du Réseau canadien de l'environnement présentés dans la foulée de la réponse du gouvernement au rapport sur la LCPE de juin 1995 du comité permanent. Je suis également coauteur, avec M. Paul Muldoon, de l'Association canadienne du droit de l'environnement, d'un mémoire présenté en octobre 1998 au comité permanent de la Chambre des communes au moment de l'étude article par article du projet de loi C-32.

Dans le cadre de cet examen de la LCPE, l'institut s'est surtout intéressé à la question de la réglementation des produits biotechnologiques prévue dans la loi, tout particulièrement en ce qui concerne les plantes, les animaux, les poissons, les microorganismes et les aliments génétiquement modifiés. Le présent mémoire s'attardera lui aussi principalement sur cet aspect.

Nous avons fait distribuer notre mémoire accompagné de documents de fond sur la biotechnologie qui pourraient vous intéresser.

Je vais faire quelques brèves observations sur un certain nombre d'autres questions importantes liées au projet de loi C-32, notamment les relations fédérales-provinciales, le rôle des analyses coûts-avantages et les différentes activités prévues à ce chapitre en vertu du projet de loi, la résidualisation du rôle de la LCPE et d'Environnement Canada ainsi que la quasi-élimination des substances toxiques persistantes. Il est important d'examiner ces aspects du projet de loi en plus de ses dispositions précises car lorsque tout cela est ajouté ensemble il en ressort clairement que le projet de loi dans son libellé actuel et tel qu'adopté par la Chambre des communes aura pour effet de diminuer et non pas de renforcer la capacité des ministres de la Santé et d'Environnement de protéger la santé humaine et l'environnement.

Quant à la question des relations fédérales-provinciales et de l'harmonisation, un certain nombre de changements ont été apportés à la LCPE, d'abord avec le projet de loi C-74, qui est mort au Feuilleton en 1997, et aujourd'hui avec le projet de loi C-32, soit la version que vous avez devant vous. L'un des changements les plus importants a été l'ajout au projet de loi de 13 articles qui exigent que le ministre propose de consulter les provinces avant de prendre à toutes fins pratiques une quelconque mesure en vertu de la loi. D'après notre examen, 13 articles traitent d'un petit peu tout, allant de la collecte d'informations aux lignes directrices et aux codes de pratiques, en passant par la prévention de la pollution, les substances d'intérêt prioritaire, les combustibles et la pollution atmosphérique internationale et la pollution internationale des eaux, les urgences, les opérations gouvernementales, les terres autochtones et les mesures économiques.

Lors de l'examen des amendements à l'étape du rapport, le gouvernement a modifié plus avant ces articles de telle sorte qu'à votre avis, il semble qu'ait été créé un devoir statutaire naturel de consulter les provinces avant de prendre une quelconque mesure en vertu du projet de loi. Ce pourrait être là un obstacle important à l'intervention du gouvernement fédéral en vue de protéger la santé humaine et l'environnement. Nous recommandons donc que ces exigences en matière de consultation soient modifiées pour être discrétionnaires. Nous recommandons en ce sens des changements précis aux articles en cause.

Nous sommes également préoccupés par l'emploi de l'expression «cost-effectiveness», qui apparaît tant dans les articles portant sur les obligations d'exécution que dans le préambule. Le libellé exige que toutes les précautions prises par le gouvernement en vue de protéger la santé humaine ou l'environnement soient efficientes. Ces dispositions introduisent pour la toute première fois dans une loi canadienne visant la santé, la sécurité ou l'environnement la nécessité d'effectuer une analyse coûts-avantages avant la prise de toute mesure destinée à protéger la santé humaine, l'environnement ou la sécurité publique. Il s'agit là d'un obstacle potentiel à la prise de mesures de précaution destinées à protéger la santé humaine et l'environnement. Nous recommandons donc que le terme «cost», dans la version anglaise du texte, soit supprimé dans ces deux articles.

Un troisième thème important qui ressort dans le projet de loi C-32 est la question du pouvoir résiduel, ramenant la LCPE, auparavant loi-étendard du Canada en matière d'environnement, à un texte de loi qui ne s'applique que lorsqu'il n'y a rien d'autre. Ce thème n'était pas présent dans la réponse du gouvernement au rapport du comité permanent et il n'était pas particulièrement visible dans le projet de loi C-74. En fait, un certain nombre d'articles du genre -- et nous en donnons plusieurs exemples dans le mémoire -- disent que la LCPE ne s'appliquerait lorsque ne s'applique aucun autre texte réglementaire. En d'autres termes, au lieu d'être le principal instrument en ce qui concerne la santé humaine et l'environnement, cette loi ne s'appliquera que dans des circonstances très limitées. Un certain nombre d'autres articles exigent l'accord du Cabinet avant que les ministres ne prennent une quelconque mesure. Il s'agit là encore d'un obstacle important à l'intervention car cela confère à des organes comme Industrie Canada et Ressources naturelles Canada un droit de veto à l'égard de mesures destinées à protéger l'environnement et la santé humaine.

Nous recommandons donc que le projet de loi soit modifié de telle sorte que la possibilité de la prise de mesures en vertu d'une autre loi du Parlement n'exclue pas la possibilité de la prise de mesures en vertu de la LCPE et qu'en cas de conflit entre les règlements et d'autres mesures prises en vertu de deux lois différentes, ce soit les exigences les plus sévères qui s'appliquent.

Enfin, j'aimerais parler un peu de la question de la quasi-élimination, qui a préoccupé les défenseurs de l'environnement tout au long du processus d'examen de la LCPE. La crainte est que la définition contenue dans le projet de loi dont vous êtes saisis autorise la poursuite de la production et de l'utilisation de substances déterminées comme étant les plus dangereuses au Canada, soit les substances persistantes, toxiques et biocumulatives. Cela va à l'encontre des recommandations de la Commission internationale mixte canado-américaine faisant ressortir la nécessité de supprimer progressivement l'utilisation et la production de ce genre de substances car si celles-ci sont utilisées ou produites elles finiront inévitablement par se retrouver dans l'environnement.

J'aimerais m'attarder un peu sur la question de la biotechnologie. La biotechnologie est définie dans la loi existante comme étant l'application des sciences ou de l'ingénierie à l'utilisation des organismes vivants ou de leurs parties ou produits, sous leur forme naturelle ou modifiée. Cette définition englobe ce que l'on appelle la biologie traditionnelle, qui inclut notamment la culture des végétaux, l'élevage des animaux et l'utilisation de levure dans la fabrication de bière et de pain, mais également, ce qui est plus important, ce que l'on définit comme étant la biotechnologie moderne qui, typiquement, est interprétée comme incluant le clonage et l'ingénierie génétique. En fait, ces technologies, et l'ingénierie en particulier, permettent le mouvement de matériel génétique entre espèces, chose qui ne survient pas normalement dans la nature. Par exemple, ces technologies permettent le mouvement de matériel génétique entre bactéries et plantes, entre animaux et êtres humains ou encore entre plantes et poissons.

La biotechnologie moderne connaît une rapide commercialisation au Canada. Nous avons constaté que d'importantes parties des récoltes canadiennes actuelles de canola et de soja, par exemple, sont le fait de plantes qui ont été génétiquement modifiées pour résister à certains herbicides. Nous constatons également la rapide commercialisation de récoltes de maïs et de pommes de terre, par exemple, qui ont été génétiquement modifiés pour produire leurs propres pesticides.

Ces développements interviennent à un moment où se multiplient les preuves des effets négatifs potentiels de ces produits de la biotechnologie moderne sur l'environnement et la santé. Il existe dans ce domaine un ensemble croissant de preuves empiriques confirmant les problèmes théoriques annoncés par les écologistes à la fin des années 1980 et au début des années 1990, lorsque ces produits ont commencé à apparaître. Les exemples répertoriés dans la littérature scientifique au cours des dernières années englobent le transfert du matériel génétique de plantes génétiquement modifiées à des proches parentes sauvages, ainsi que l'effet nocif des plantes pesticides sur les populations de nuisibles et d'autres espèces non ciblées. Des travaux ont également démontré que l'introduction de nouvelles protéines dans les aliments par le biais du génie génétique peut déclencher des réactions allergiques. L'expérience classique menée à cet égard consistait à placer des gènes régulant les protéines de la noix du Brésil dans des fèves de soja, ce qui déclenchait une réaction chez les personnes allergiques aux noix du Brésil.

On s'inquiète aussi des conséquences socioéconomiques de la biotechnologie moderne. Beaucoup s'interrogent sur la valeur et la raison d'être de maintes de ces applications de la technologie et se demandent si elles servent les intérêts des agriculteurs et consommateurs ou ceux des compagnies agrochimiques multinationales. Les mêmes questions ont été posées au sujet des cultures résistantes aux herbicides qui ont été génétiquement modifiées pour résister à des marques particulières d'herbicide. Beaucoup font valoir que cela semble destiné au moins autant à garantir une part de marché aux fournisseurs de semences et herbicides qu'à servir les intérêts des agriculteurs ou consommateurs.

Des doutes sérieux ont été exprimés ces dernières années sur l'efficacité du régime réglementaire canadien actuel applicable aux produits de biotechnologie. Je sais que les sénateurs sont bien au fait de la controverse entourant l'homologation par Santé Canada de l'hormone de croissance bovine recombinante.

Dans le cas des cultures résistantes aux pesticides, l'Agence canadienne d'inspection des aliments est obligée de faire marche arrière et d'étudier à posteriori des aspects négligés lorsque l'agrément a été initialement donné.

Vous verrez que nous mentionnons dans notre mémoire que l'agence a dû faire marche arrière et imposer des conditions supplémentaires aux plantes pesticides. Il s'agit là de plantes modifiées de façon à produire leurs propres pesticides pour combattre le problème des populations d'insectes qui deviennent résistantes lorsqu'on les expose aux pesticides appliqués sur la plante. Or, plusieurs années se sont déjà passées depuis que l'agence a approuvé la commercialisation de ces produits. À l'époque, ces problèmes étaient déjà bien connus et documentés.

Il faut signaler également qu'un large éventail de produits restent non réglementés au Canada. Il s'agit, entre autres, de choses telles que des poissons et animaux génétiquement modifiés et certains aspects des aliments génétiquement modifiés.

Signalons encore qu'une vive controverse fait rage en Europe occidentale concernant la valeur et l'intérêt de maints produits de la biotechnologie moderne, et ces débats commencent à gagner le Canada aussi. Malheureusement, le gouvernement fédéral a cherché jusqu'à présent à éluder ces débats et refuse d'ailleurs, en même temps, le droit au choix des consommateurs en refusant d'exiger l'étiquetage de ces aliments génétiquement modifiés.

Tous ces développements devraient inciter le Canada à renforcer, plutôt qu'à affaiblir, sa réglementation des produits de biotechnologie. Pourtant, c'est bien un affaiblissement de ce régime que poursuit le gouvernement au moyen de cette révision de la LCPE.

La loi actuelle, la LCPE de 1988, est le seul texte où le Parlement se soit jamais explicitement prononcé sur la manière dont les produits de biotechnologie devraient être réglementés sous l'angle de la santé humaine et de l'environnement. L'article 26 de cette loi exige une évaluation de la toxicité potentielle de ces produits -- soit leur effet potentiel immédiat ou à long terme sur la santé humaine ou l'environnement -- avant qu'ils puissent être importés ou fabriqués au Canada. La loi actuelle prévoit également que l'évaluation de la toxicité puisse être effectuée sous le régime d'une autre loi du Parlement, par des organismes autres que Santé Canada et Environnement Canada, tout en exigeant que cette évaluation soit aussi rigoureuse que si elle était menée par l'un ou l'autre de ces ministères sous le régime de la LCPE.

Le comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes a recommandé de renforcer le cadre général de la réglementation de la biotechnologie dans son rapport sur la révision de la LCPE intitulé: «Notre santé en dépend!», de juin 1995. La réponse du gouvernement, déposée en décembre 1995, rejetait cette recommandation et proposait de supprimer l'exigence que tous les produits de biotechnologie soient évalués avant de pouvoir être introduits au Canada. Il proposait également de rayer la disposition exigeant que l'évaluation des produits réglementés sous le régime d'autres lois du Parlement soit au moins aussi rigoureuse que celle qui serait effectuée au titre de la LCPE.

Répliquant à la réponse gouvernementale au rapport du comité permanent, le comité de la biotechnologie du Réseau canadien de l'environnement a rejeté cette proposition dans un rapport remis au gouvernement en mars 1996 et recommandé que tous les produits de biotechnologie susceptibles d'être relâchés dans l'environnement soient réglementés par Santé Canada et Environnement Canada sous le régime de la LCPE. La motivation était que nombre des autres organismes pouvant être amenés à réglementer, tels qu'Agriculture Canada et Pêches et Océans, connaissent un conflit d'intérêt potentiel en raison de leur profond engagement institutionnel envers le développement et la promotion de ces mêmes applications biotechnologiques.

Le comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes a mené sa propre étude de la réglementation de la biotechnologie, et a déposé son rapport en novembre 1996, recommandant lui aussi que le cadre de réglementation alors établi par la LCPE soit renforcé.

Le gouvernement a déposé le projet de loi C-74 en décembre 1996. Il reprenait l'orientation esquissée dans la réponse du gouvernement et permettait aux ministres responsables de l'administration d'autres lois de déterminer par eux-mêmes si leurs règlements répondent aux exigences de la LCPE relativement à l'évaluation de toxicité avant fabrication ou importation de produits de biotechnologie.

Il convient également de signaler que le projet de loi C-74 proposait des changements similaires aux dispositions générales relatives aux substances nouvelles de la LCPE. Cette modification n'avait jamais été mentionnée dans la réponse gouvernementale et, de fait, allait directement à l'encontre des recommandations du comité de la Chambre des communes.

Comme vous le savez, le projet de loi C-74 est mort au feuilleton en juin 1997, et a été remplacé en mars 1998 par le projet de loi C-32. Les dispositions relatives à la biotechnologie de ce dernier étaient essentiellement les mêmes que celles du projet de loi C-74.

Au cours de son étude article par article du projet de loi, le comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes a amendé le projet de loi de façon à établir que les ministres de la Santé et de l'Environnement détermineraient eux-mêmes si la réglementation des produits de biotechnologie par d'autres organismes sous le régime d'autres lois est équivalente à la réglementation sous le régime de la LCPE. Dans la pratique, ces ministres étaient ainsi chargés de déterminer si ce que font les autres ministères suffit à protéger la santé humaine et l'environnement ou non. À signaler également qu'un amendement gouvernemental, qui aurait confié au Cabinet le soin de déterminer si la réglementation des produits de biotechnologie par d'autres ministères est adéquate, a été rejeté en comité, sur vote nominal.

Le comité permanent a également amendé le préambule et les articles touchant l'administration de manière à spécifier que la biotechnologie représente une menace potentielle pour la diversité biologique. Cela est conforme à l'article 8(g) de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Au stade du rapport à la Chambre des communes, le gouvernement a réintroduit et fait adopter l'amendement rejeté par le comité permanent, pour confier de nouveau au Cabinet la décision quant à l'équivalence de la réglementation d'autres organismes sous le régime d'autres lois. Le gouvernement a également introduit et fait adopter des amendements supprimant dans le préambule et les articles sur les fonctions administratives du projet de loi toute référence à la biotechnologie comme menace à la biodiversité.

En conclusion, la LCPE est le seul texte où le Parlement se soit explicitement exprimé sur la manière dont les produits de biotechnologie devraient être réglementés du point de vue de l'environnement et de la santé humaine. L'article 26 de la LCPE dispose qu'une évaluation de la toxicité potentielle doit être effectuée pour tous les produits, soit leur effet potentiel immédiat ou à long terme sur l'environnement ou la santé humaine, avant leur importation ou fabrication au Canada. Le gouvernement n'a cessé de chercher à affaiblir cette règle fondamentale tout au long du processus de révision de la LCPE. Les dispositions actuelles du projet de loi dont vous êtes saisis, tel qu'adopté par la Chambre des communes, placent entièrement à la discrétion du Cabinet les exigences concernant l'évaluation des produits de biotechnologie avant importation ou fabrication. Le critère objectif établi par la loi actuelle a été retranché, à toutes fins pratiques.

Ces dispositions sont le résultat de pressions intenses exercées en coulisse par les organismes et ministères voués à la promotion de la biotechnologie moderne, particulièrement Agriculture Canada et Industrie Canada.

De façon à garantir la protection de la santé et de l'environnement des Canadiens, nous recommandons deux amendements au projet de loi C-32 dans ce domaine. Le premier viserait à rétablir les dispositions de la loi actuelle exigeant que tous les produits de biotechnologie soient évalués du point de vue de leur impact potentiel sur la santé humaine et l'environnement avant leur introduction au Canada. Plus particulièrement, le paragraphe 106(7) du projet de loi C-32, tel qu'adopté par la Chambre des communes le 1er juin 1999, devrait être supprimé. Le paragraphe 81(7), concernant les substances et les activités nouvelles au Canada, devrait être supprimé. Il s'agit là de la modification parallèle aux dispositions générales de la LCPE régissant les substances nouvelles.

À défaut, nous recommandons que le paragraphe 106(7), tel qu'amendé par le comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes et transmis à la Chambre des communes par le comité le 15 avril 1999, soit rétabli.

Deuxièmement, nous recommandons que le projet de loi C-32 soit amendé de façon à reconnaître les produits de la biotechnologie moderne comme menace potentielle au maintien et à l'utilisation durable de la diversité biologique, et ce conformément aux obligations du Canada au titre de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Plus particulièrement, le paragraphe 14 du préambule et le paragraphe 2j.1) devraient être rayés du projet de loi C-32 tel qu'adopté par la Chambre des communes le 1er juin 1999, et les termes «produits de biotechnologie» devraient être ajoutés au paragraphe 13 du préambule et au paragraphe 2j).

Voilà qui conclut mon exposé, et je serais ravi de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

Le sénateur Hays: Mes questions reposent sur la prémisse que le projet de loi C-32 représente une actualisation du droit canadien, depuis la Loi sur les contaminants de 1975 en passant par la LCPE de 1988, jusqu'à ce projet de loi. Il est l'aboutissement d'une somme incroyable de lobbying, de travail parlementaire, de travail interministériel et gouvernemental et d'une dizaine de millions de dollars en temps et en effort pour arriver au point où cette législation pourra faire toutes les choses qu'en attendent ceux qui se préoccupent de l'environnement.

Dans le cas de la biotechnologie, le pouvoir conféré par la LCPE, à tout le moins de l'avis du professeur Leiss, repose sur le pouvoir en matière de droit pénal. Il s'appuie sur le jugement dans la cause Hydro-Québec de 1997 et en a cité des extraits dans son exposé. Il m'apparaît qu'il s'agit là d'un outil pour réglementer efficacement les substances toxiques, ou les substances intrinsèquement toxiques -- je ne sais pas trop quelle est la différence -- mais non pas d'un projet de loi propre à réglementer des choses telles que les développements de la biotechnologie. Autrement dit, le projet de loi permet d'inscrire un produit de biotechnologie sur la liste, de le déclarer toxique. Par exemple, on ne devrait pas produire de pois génétiquement modifiés parce qu'ils sont intrinsèquement toxiques et de ce fait interdits. On les inscrit alors sur la liste et on visera leur quasi-élimination. C'est une façon très contournée de procéder dans le cas de la biotechnologie.

Ce que je veux dire -- et j'avoue avoir un préjugé -- est que les produits de biotechnologie pourraient bien offrir quelques avantages. Il faut les réglementer, mais on ne devrait pas avoir un régime binaire, du type commutateur ouvert ou fermé, où une substance est soit toxique et à éliminer, soit non toxique, auquel cas n'importe quel ministère ou entreprise privée peut en faire ce qu'elle veut. Vous pourriez peut-être me donner votre avis là-dessus.

M. Winfield: Le projet de loi établit deux mécanismes à l'égard des substances toxiques. Celui qui traite principalement de la quasi-élimination est réellement conçu pour les substances existantes. La partie sur les substances toxiques cherche à établir une structure où l'on retourne en arrière pour examiner les produits chimiques actuellement dans le commerce au Canada. Il s'agit d'isoler celles qui ont comme propriétés la persistance, la bioaccumulation et la toxicité intrinsèque -- ce dernier terme renvoyant à certaines propriétés toxiques -- puis de les cibler pour quasi-élimination. Tout cela est principalement conceptualisé du point de vue des produits chimiques existants.

Le volet biotechnologie de la LCPE, tant dans la loi initiale que dans le projet de loi C-32, s'inscrit dans l'autre filière, celle des substances nouvelles. La loi initiale établissait une contrainte pour tout ce qui est nouveau. Tous les produits de biotechnologie, par définition, entrent dans la catégorie de ce qui est nouveau. Ils ne figurent pas sur ce que l'on appelle la liste intérieure des substances, qui est en fait une liste des choses qui existent déjà au Canada. Ils appartiennent à la filière des substances nouvelles, qui est quelque peu différente. La LCPE établissait une structure pour cribler ces nouvelles substances et déterminer si elles sont toxiques, selon la définition de la loi, ou si elles le sont potentiellement.

Ce que fait le projet de loi pour les substances nouvelles est différent. Si le ministre établit ou soupçonne la toxicité, le projet de loi lui donne le pouvoir d'imposer un contrôle ou même d'interdire ces substances avant même qu'elles parviennent au Canada. Il s'agit d'une mesure essentiellement préventive et constitue un élément très important de la loi. Voilà la filière pour les produits de biotechnologie et les produits chimiques nouveaux.

Ce que nous reprochons au projet de loi C-32 à cet égard est qu'il représente un recul par rapport à la loi actuelle, en ce sens que cette dernière établissait des règles très claires pour toutes les substances nouvelles au Canada: avant qu'un produit puisse être fabriqué ou importé, il fallait une évaluation de sa toxicité. Or, dans la pratique, le projet de loi C-32, de par les paragraphes 106(7) et 81(7), établit un mécanisme d'exemption de cette contrainte, à la discrétion entière du Cabinet.

Le sénateur Hays: Mais l'exemption confie la tâche à un autre ministère, tel que celui de la Santé ou de l'Agriculture.

M. Winfield: Potentiellement. Il y a là une double préoccupation. La première est de savoir s'il est approprié que ces autres organismes soient l'autorité réglementaire, étant donné leur rôle de promoteurs de la technologie. La deuxième préoccupation est que la loi actuelle, selon notre lecture, établissait un étalon sur le plan du soin avec lequel ces autres organismes doivent évaluer les nouveaux produits.

Le sénateur Hays: Vous ne voyez pas cela comme une situation de tout ou rien.

M. Winfield: Non.

Le sénateur Hays: Pouvez-vous imaginer les ministres de l'Environnement et de la Santé réglementer la biotechnologie?

M. Winfield: Oui. Le biais par lequel les produits de biotechnologie seraient réglementés sous le régime de la LCPE serait une détermination de toxicité réelle ou potentielle au moyen du processus d'évaluation des substances nouvelles. Dès lors que quelque chose est jugé toxique ou potentiellement toxique, les ministres ont le pouvoir potentiel d'imposer des conditions ou d'interdire la substance. Ils peuvent choisir discrétionnairement d'exercer ou non ce pouvoir. La détermination de toxicité ne fait qu'établir le fondement du pouvoir d'agir. Ils ont toujours le choix d'exercer ou non ce pouvoir.

Le sénateur Hays: Reprenez-moi si je me trompe. Supposons qu'un produit de biotechnologie fasse son apparition. S'il est toxique, alors j'imagine que les ministres de l'Environnement et de la Santé le traiteront comme une substance toxique.

S'agissant du mécanisme réglementaire par lequel nous assurons la mise au point d'un produit sans créer une substance toxique, soit la création d'un produit bénéfique -- autrement dit, qui améliore la productivité et soit sain -- est-ce là quelque chose que le ministre de l'Environnement et celui de la Santé ont compétence de faire? Cela relève à juste titre de l'agriculture, puisqu'il s'agit de biotechnologie, principalement. Qu'est-ce qui cloche là-dedans?

M. Winfield: Des préoccupations de plusieurs niveaux ont été exprimés dans les mémoires antérieurs. De nombreuses raisons font que nous et les représentants de la société civile, des organisations de consommateurs et d'autres se disent préoccupés par cela.

L'une des difficultés concerne le conflit d'intérêt potentiel d'organismes comme Agriculture Canada, par exemple, qui sont profondément engagés, de par leur nature, dans la promotion de cette technologie. On peut se demander à juste titre si le ministère n'a pas déjà approuvé trop hâtivement la commercialisation de certains de ces produits.

Le ministère est maintenant obligé de battre en retraite et d'imposer des contraintes réglementaires additionnelles et d'effectuer des recherches fondamentales qui, à mon avis, auraient dû être menées avant que la commercialisation soit autorisée. Le cas des plantes pesticides en est une illustration.

Deuxièmement, il y a la question des mandats institutionnels fondamentaux. La mission première d'Environnement Canada et de Santé Canada réside dans la protection de la santé humaine et de l'environnement. Agriculture Canada et d'autres organismes ont des mandats plus mitigés qui semblent fortement orientés vers le service à une clientèle industrielle, par opposition à la protection du bien public.

Le troisième problème, que d'autres ont déjà soulevé, est la question de savoir si la législation aux termes de laquelle des organismes comme Agriculture Canada et le ministère des Pêches et des Océans, par exemple, prétendent réglementer les produits de biotechnologie confère effectivement des pouvoirs appropriés pour ce faire. Par exemple, Agriculture Canada effectue ses évaluations de plantes génétiquement modifiées sous le régime de la Loi sur les semences. Or, cette dernière ne fait nulle mention de l'environnement, de la santé humaine ou de la protection de la diversité biologique. D'ailleurs, nous avons déjà fait valoir que cela revient à modifier une loi par le biais d'un règlement, ce que et la Chambre des communes et le Sénat ont déjà sévèrement condamné.

Voilà certaines des raisons qui motivent notre position. Celle-ci veut que, à tout le moins, il faut conserver la règle élémentaire, qu'il y ait une obligation d'évaluer et que le Parlement fixe une norme de diligence claire pour ces évaluations.

Le sénateur Hays: Étant donné le fondement constitutionnel de cette loi, établie par le jugement de 1997 dans l'affaire Hydro-Québec, qui est souvent citée, et que ce fondement réside dans le pouvoir en matière de droit pénal, ceci est-il la bonne façon de réglementer? Pensez-vous que ce projet de loi possède le fondement constitutionnel voulu pour réglementer ces choses de la manière dont vous souhaitez que les ministres le fassent dans le cas de la biotechnologie, sachant aussi que l'agriculture relève d'un pouvoir partagé aux termes de la Constitution?

M. Winfield: Le partage n'est pas un problème. Comme vous le savez, la règle est que, dans les domaines de compétence partagée, il y a aussi préséance fédérale.

L'autre élément que nous avons mis en avant dans les études que nous avons menées initialement pour la revue de la LCPE en septembre 1994 est que le gouvernement fédéral a bien pouvoir de réglementer les produits de biotechnologie et les nouvelles substances en général, principalement grâce au critère des sujets nouveaux sous le régime du pouvoir de l'article 91 de la Loi constitutionnelle relatif à la paix, l'ordre et le bon gouvernement. À notre sens, la réglementation de la biotechnologie et des substances nouvelles en général répond aux critères de la spécificité et de la limitabilité énoncés dans l'arrêt Crown Zellerbach, et répond aussi clairement au critère de l'incapacité provinciale -- la notion que certaines choses tout simplement seraient impraticables si on voulait les faire province par province -- toujours énoncée par la Cour suprême dans la cause Crown Zellerbach.

À notre avis, l'évaluation des substances nouvelles au Canada entre très bien dans cette catégorie parce que si chaque province avait son propre mécanisme d'évaluation et qu'une seule ne faisait pas son travail, le but recherché, à savoir évaluer les substances avant qu'elles entrent au Canada, serait contrecarré.

Par conséquent, s'agissant de cet aspect particulier de la LCPE, nous estimons que la compétence fédérale repose sur d'autres fondements constitutionnels.

Le sénateur Hays: Nous entrons là dans un domaine plutôt complexe, celui des divers chefs de pouvoirs ou pouvoirs résiduels pouvant être invoqués par le Canada, par opposition aux provinces, pour réglementer un secteur particulier -- la biotechnologie, par exemple.

Sur le plan juridique, je suppose que vous pourriez convaincre la Cour suprême de laisser le gouvernement fédéral réglementer intégralement la biotechnologie par le biais de la LCPE. J'ai l'impression que les provinces s'y opposeraient vigoureusement. Je connais le travail dans le domaine de la biotechnologie qui se fait à l'Innovation Park de Saskatoon. J'ai l'impression que la province protégerait très jalousement certaines des choses qui s'y font et qu'elle promeut. Ce n'est pas seulement Agriculture Canada, mais toute l'industrie qui cherche à devenir plus efficiente et productive face à la chute des prix des denrées. Je soupçonne que si le ministre de l'Environnement et le ministre de la Santé réglementaient ces choses, il s'ensuivrait quelques problèmes pratiques, en sus des difficultés juridiques. Vous avez montré une façon de contourner ces dernières mais je ne suis pas sûr que cela ne susciterait pas des objections vigoureuses.

M. Winfield: Il est intéressant de noter qu'une seule province, l'Alberta, s'est dotée d'une loi spécifique pour réglementer les produits de biotechnologie du point de vue de l'environnement et de la santé. D'ailleurs, lorsque j'ai participé aux consultations d'Environnement Canada concernant l'élaboration du règlement sur la biotechnologie sous le régime de la loi actuelle, les provinces n'ont certainement pas protesté contre un empiétement sur leur juridiction. Leur réaction était plutôt l'inverse: «Est-ce là tout ce que vous allez faire?»

Elles escomptaient que le gouvernement fédéral se montrerait beaucoup plus actif sur le plan de l'évaluation de ces substances. Le gouvernement fédéral prévoyait d'évaluer ces produits au point d'entrée et supposait que les provinces réglementeraient les utilisations particulières, comme dans le cas des pesticides. Le message transmis lors des consultations à ce stade était que les provinces préféreraient que la partie fédérale fasse davantage. D'ailleurs, au niveau provincial, à l'heure actuelle, on se gratte la tête et se demande quoi faire avec tout cela. Je n'ai constaté jusqu'à présent aucun indice d'une volonté de contestation juridictionnelle.

Le sénateur Taylor: L'exploration des conflits fédéraux-provinciaux à laquelle se livre le sénateur Hays m'intéresse. Le sénateur Nolin a posé quelques très bonnes questions à ce sujet la semaine dernière. Suite à la cause Hydro-Québec, il semble que le gouvernement fédéral puisse interdire, mais ne puisse pas réglementer sans les provinces. Votre mémoire semble dire que le gouvernement fédéral a le droit de manier une main de fer, si nécessaire.

Vous avez mentionné la résidualisation. À l'heure actuelle, si un ministère n'a pas des règles environnementales équivalentes ou meilleures, la LCPE s'appliquerait, mais cela laisse au ministère le droit de prendre l'initiative avant que le contrôle lui soit enlevé. Étant donné notre système de gouvernement, ne vaut-il pas mieux exiger que les ministères se dotent de normes environnementales équivalentes ou meilleures que la LCPE, plutôt que l'inverse? Vous semblez dire que la LCPE devrait donner le droit d'intervenir à l'intérieur des différents ministères.

M. Winfield: Les dispositions relatives à la biotechnologie et aux substances nouvelles sont de bons exemples de cas où la LCPE n'établirait même pas de normes que les autres ministères seraient obligés d'égaler. Selon le libellé actuel, la LCPE ne s'applique que lorsqu'un autre ministère n'a aucune possibilité d'agir en vertu d'une autre loi du Parlement. À notre sens, c'est trop rabaisser la LCPE.

Nous avons recommandé de conserver la possibilité d'entreprendre une action soit aux termes de la LCPE soit en vertu d'une autre loi du Parlement, et de simplement établir comme règle que, dans les cas de conflit entre les deux lois, l'exigence la plus rigoureuse du point de vue de la protection de la santé et de l'environnement prédomine.

Le sénateur Taylor: J'ai passé davantage d'années dans l'opposition qu'au pouvoir. Toutefois, selon mon expérience du fonctionnement du gouvernement, j'ai l'impression que cela ne marcherait pas. Les gouvernements n'aiment jamais ériger un ministère en champion de quelque chose, les autres devant ensuite emboîter le pas. J'ai l'impression que la même règle qui s'applique aux rapports entre les gouvernements fédéral et provinciaux s'applique, dans une certaine mesure, aux rapports entre les ministères.

Quels éléments du projet de loi vous donnent l'impression que la LPCE soit le parent pauvre qui n'a pas le droit de s'imposer à un ministère qui ne posséderait pas des règlements équivalents ou supérieurs?

M. Winfield: Nous citons un certain nombre d'exemples dans notre mémoire. Les plus frappants sont ceux que j'ai mentionnés concernant les substances nouvelles et les produits de biotechnologie. Nous citons d'autres exemples sous la rubrique «résidualisation». L'article 76, qui traite du statut des substances interdites ou d'usage restreint par d'autres instances, dit que rien ne peut être fait au titre de la LCPE si la substance est réglementée selon une autre loi du Parlement. Il y a des dispositions similaires au paragraphe 93(4) concernant la réglementation des substances jugées toxiques aux fins de cette loi; au paragraphe 115(2) concernant la réglementation du mouvement transfrontalier des produits de biotechnologie; au paragraphe 118(2) relatif aux substances nutritives; au paragraphe 200(2) traitant des urgences environnementales; et à l'article 210 touchant les opérations gouvernementales et territoires domaniaux. Toutes ces dispositions disent que rien ne peut être fait sous le régime de la LCPE s'il y a la possibilité d'agir en vertu d'une autre loi du Parlement. Ces clauses couvrent ce qui nous paraît être un important territoire.

Certaines des pires dispositions de cette sorte ont été retirées par le comité permanent de la Chambre des communes. Toutefois, il en reste pas mal dans le projet de loi et elles nous préoccupent car elles ajoutent une nouvelle entrave. Nous essayons de mettre en lumière la succession d'obstacles que le projet de loi érige sur la route des ministres de la Santé et de l'Environnement s'ils veulent agir pour protéger la santé humaine et l'environnement. Ceci représente un nouvel ensemble d'obstacles à surmonter avant qu'une action puisse être entreprise.

Le sénateur Taylor: Je continue à penser que vous imaginez un croque-mitaine sous le lit. La LCPE est claire. Par exemple, le paragraphe 330(3.1) qui traite des règlements pouvant être pris au titre des articles 93, 140, 167 ou 177, précise notamment qu'ils:

[...] peuvent être applicables à une ou plusieurs parties du Canada afin de protéger l'environnement ou la diversité biologique de celui-ci ou la santé humaine.

Non seulement la LCPE donne-t-elle le droit au ministre de faire en sorte que les ministères se mettent au pas, elle donne également le pouvoir au ministre d'imposer des règles à certaines partie du Canada. À moins de lui donner un pouvoir d'un dictateur, je ne vois pas ce qui vous préoccupe tant.

M. Winfield: Le paragraphe 330(3.1) a soulevé un autre genre de questions au comité de la Chambre. Plusieurs membres ont demandé s'il était approprié d'avoir des normes applicables à seulement certaines parties du Canada, étant donné le caractère national de cette législation. Mais le gouvernement a insisté. Dans ce cas, la crainte était qu'une latitude trop grande était laissée sur le plan de l'application des règlements, ce qui signifie que certaines choses pourraient être applicables dans une région et pas dans une autre. Or, une LCPE idéale assurerait un niveau de protection uniforme à l'échelle du Canada.

Le sénateur Taylor: Désolé, mais je ne suis pas d'accord. C'est une chose de limiter les tondeuses à gazon à essence au centre-ville de Toronto, pour cause de pollution, et c'en est une autre que de les réglementer à Norman Wells, dans les Territoires du Nord-Ouest, où il n'y a peut-être que deux tondeuses en ville. L'un des défauts de nos règlements environnementaux est qu'ils sont fondés sur une pollution ponctuelle plutôt que régionale. C'est l'un des domaines où la LCPE fait un réel progrès.

Nous avons la même chose en Alberta avec les centrales de gaz naturel. Si vous avez deux centrales pour une demi-douzaine de municipalités, il n'y a pas de problème. Mais si vous en avez une tous les kilomètres, alors il y a un gros problème.

Voilà mon interprétation du projet de loi. Je pense que la LCPE est bien structurée à cet égard. Le fait qu'elle permette de procéder région par région et ministère par ministère est une excellente chose, à mon avis.

Le sénateur Cochrane: Vous disiez que dans l'éventualité d'une contradiction entre un règlement pris sous le régime de la LCPE et un règlement promulgué en vertu d'une autre loi du gouvernement, la norme la plus stricte des deux s'applique. Pourquoi un règlement pris en vertu de la Loi sur les pêches, par exemple, devrait-il primer si le ministre de l'Environnement et le ministre de la Santé ne voit aucune raison sanitaire ou écologique d'imposer une norme plus stricte?

M. Winfield: Le but de la recommandation est d'assurer que la norme la plus stricte s'applique toujours. C'est le principe de la prudence. Il s'agirait d'assurer que, dans l'éventualité d'un conflit, celui-ci soit toujours résolu en faveur de la protection de la santé humaine et de l'environnement. Si une norme plus rigoureuse était établie en vertu de la Loi sur les pêches, par exemple, celle-ci ne serait pas amputée par quelque changement qui serait apporté au titre de la LCPE. Voilà en gros le résultat que nous visons.

Le sénateur Cochrane: Est-ce que vous maintenez cette position même si le ministère de la Santé et celui de l'Environnement disent que tout va bien?

M. Winfield: Cela implique que le ministère des Pêches et Océans ne soit pas d'accord avec ce point de vue et dise qu'une norme de protection plus stricte est requise, sans doute pour protéger le poisson et l'habitat du poisson. Nous voudrions certainement, pour notre part, que ce point de vue l'emporte car c'est celui qui assure la plus grande protection. C'est conforme aux objectifs d'ensemble que nous envisageons pour cette loi.

Le sénateur Cochrane: Monsieur Winfield, pour ce qui est de la notion de «quasi-élimination», vous aimeriez voir disparaître toutes les substances toxiques; est-ce exact?

M. Winfield: Non. Nous disons que les substances visées par la quasi-élimination, qui seraient une sous-catégorie relativement petite...

Le sénateur Cochrane: Parlez-vous de ces trois-là?

M. Winfield: Actuellement, 13 des 22 000 substances de la liste intérieure sont considérées comme cibles potentielles pour la quasi-élimination. La condition à remplir pour cela est que la substance présente des propriétés clairement définies sur le plan de la persistance -- autrement dit, elle perdure dans l'environnement et est bioaccumulable, c'est-à-dire qu'elle s'accumule dans le tissu adipeux des animaux ou des hommes.

Il faudra qu'elle ait des propriétés toxiques. Par exemple, il faudra qu'elle soit carcinogène. Lorsqu'une substance remplit ces critères, il faudrait préparer leur quasi-élimination, ce qui signifierait, comme nous le recommandons, l'arrêt de la fabrication ou de l'utilisation délibérée de ces substances.

C'est conforme aux recommandations des rapports annuels sur la qualité de l'eau de la Commission mixte internationale américano-canadienne en application de l'Accord sur la qualité de l'eau des Grands Lacs, qui prévoit que cette catégorie bien précise de substances, reconnues comme les plus dangereuses, suive cette voie.

Le livre rouge de 1993, la plate-forme électorale du Parti libéral, disait la même chose: il faut éliminer progressivement l'utilisation des substances toxiques les plus persistantes.

En effet, dès lors que l'on tolère la fabrication et l'utilisation de ces substances, il est presque inévitable qu'elles se répandent dans l'environnement du fait de rejets accidentels et de rejets en cours de production, sans parler de l'exposition des travailleurs de l'usine.

La meilleure solution consiste à les éliminer, mais nous ne parlons là que d'une sous-catégorie de substances.

Le sénateur Cochrane: Quelle est la relation de votre groupe avec la LCPE en ce qui concerne les substances toxiques et leur évaluation?

M. Winfield: Notre relation avec la LCPE?

Le sénateur Cochrane: Lorsque ces substances sont évaluées, avez-vous une place à la table? Avez-vous une importante participation?

M. Winfield: Non. Nous n'avons, en fait, aucune participation. Une organisation non gouvernementale jouait un rôle dans le choix des substances inscrites sur la liste prioritaire des substances, soit la liste des substances déjà commercialisées dont on veut déterminer la toxicité, mais le processus d'évaluation lui-même est un mécanisme interne du gouvernement fédéral sur lequel nous n'exerçons aucune influence.

Ce peut être une bonne chose ou une mauvaise.

Il en est de même lorsque des substances nouvelles sont évaluées. De fait, nous ne sommes même pas informés du fait que des substances sont évaluées. Nous n'apprenons qu'une substance nouvelle a été examinée que lorsque nous la voyons apparaître sur la liste intérieure, ce qui signifie à toutes fins pratiques qu'elle a été approuvée, ou si nous voyons la publication d'une ordonnance imposant quelque condition ou interdiction. Toutefois, le processus d'évaluation se déroule totalement à huis clos, particulièrement s'agissant de substances nouvelles. Nous ne sommes mêmes pas avisés du fait qu'une évaluation a lieu.

Nous jouons un certain rôle dans l'identification des substances à inscrire sur la liste prioritaire, mais nous n'avons aucun rôle direct dans les évaluations elles-mêmes.

Le sénateur Chalifoux: Ce projet de loi est censé promouvoir la participation du public et ouvrir l'accès à l'information, et il y a à cet effet de nombreuses dispositions. Par exemple, le projet de loi exige que le ministre établisse un registre relatif à l'environnement, groupant des documents tels que projets de règlement, politiques, etc. Est-ce que ces dispositions ne vous aideront pas à participer à l'examen de cette loi? Je considère cette loi comme un document évolutif qui doit être réévalué en permanence, et c'est ce que permettent ces dispositions. Est-ce que cela ne vous faciliterait pas les choses?

M. Winfield: Il ne fait absolument aucun doute que l'idée d'un registre de la protection de l'environnement est une bonne idée. Nous en avons largement fait l'expérience en Ontario, car la Déclaration des droits de l'environnement provinciale a érigé un tel registre. Cela marche très bien. Il représente une excellente fenêtre sur ce que fait le gouvernement provincial dans le domaine de l'environnement.

L'idée de départ est bonne, et Environnement Canada pourrait en créer un même en l'absence du projet de loi C-32, s'il le voulait. La véritable question est de savoir quels documents sont placés dans le registre, et sous quelle forme.

On a constaté certains phénomènes très intéressants avec le registre ontarien, maintenant qu'il a été modifié pour en faire, à toutes fins pratiques, une base de données interrogeable. Vous pouvez rechercher différentes choses et voir ce qui se passe. Ce registre-ci semble prendre la même forme, mais selon le projet de loi un certain nombre d'instruments ne seront pas versés automatiquement au registre. C'est différent de la situation ontarienne où tout document de type juridique -- une autorisation, une ordonnance de contrôle, toute décision du ministère -- est versé au registre électronique avec une période d'avis public minimale de 30 jours. C'est un outil très puissant et une excellente idée.

Le sénateur Chalifoux: Vous dites qu'un tel registre pourrait être créé en l'absence de ce projet de loi, mais le fait qu'il y soit prévu ne renforce-t-il pas cet outil?

M. Winfield: Cela ne peut pas faire de mal, mais il faut considérer le projet de loi dans son intégralité et ne pas se limiter à quelques dispositions ci et là qui peuvent être potentiellement utiles. Les objections que moi-même et d'autres membres des milieux écologistes formulons à l'égard de ce projet de loi, considéré dans son ensemble, c'est que les quelques dispositions progressistes qu'il contient sont largement annulées par les mesures rétrogrades qu'il renferme. C'est ce qui amène maints d'entre nous à dire que ce projet de loi ne devrait pas être adopté sous sa forme actuelle.

Le sénateur Chalifoux: J'ai une autre question. La pollution ne connaît pas de frontières. Chez notre voisin du sud, les États et le gouvernement fédéral ont promulgué un certain nombre de lois. Est-ce que ce projet de loi est comparable à cet ensemble de mesures? Nous devons chercher à émuler nos partenaires et avoir avec eux un bon dialogue.

M. Winfield: Le projet de loi apparaît très faible comparé à la législation équivalente américaine. Ce n'est que sur le plan des substances nouvelles de la loi actuelle que la comparaison nous est favorable, avec des mesures un peu meilleures que les dispositions équivalentes de la Toxic Substances Control Act américaine.

À cette exception près, la différence fondamentale entre la législation fédérale américaine et la LCPE est que la première, notamment la Clean Air Act et la Clean Water Act, énoncent clairement et expressément certains objectifs et certaines activités que l'Agence de protection environnementale américaine doit exécuter dans des délais précis. Le public dispose ainsi de bien meilleurs outils pour exiger l'application de ces mesures. Aussi, il y a aux États-Unis, au niveau fédéral, un ensemble relativement exhaustif de règlements fondamentaux sur la pollution atmosphérique et aquatique et les déchets dangereux. Les États sont autorisés à imposer des normes encore plus strictes s'ils le désirent, et un certain nombre d'entre eux ont pris des mesures très imaginatives.

Au Canada, par comparaison, la LCPE donne au Cabinet fédéral le pouvoir d'imposer des normes dans certaines circonstances, mais sans lui imposer de faire grand-chose. C'est une loi habilitante, par opposition à la législation américaine qui impose explicitement, par exemple, d'établir un ensemble de normes pour les incinérateurs avant telle ou telle date. On en voit les résultats aux États-Unis, où le gouvernement fédéral travaille actuellement à la formulation de nouvelles normes relatives au smog, et ce sous l'impulsion de la Clean Air Act qui impose à l'EPA de faire certaines choses avant une certaine date.

Ce projet de loi est structuré de façon très différente et, à notre sens, conduit à un cadre réglementaire fondamental beaucoup plus faible au niveau fédéral.

Le sénateur Chalifoux: C'est intéressant, car j'ai entendu parler des dégâts écologiques terribles causés dans les Caroline par les élevages de porc. La pollution de l'eau y est catastrophique. Les lois environnementales ne semblent pas pouvoir régler le problème. Je suis surprise que, selon vous, la comparaison soit en défaveur du Canada, car selon mon expérience dans des régions comme l'Alberta, je peux vous dire que notre législation va beaucoup plus loin que l'américaine et qu'une telle pollution n'y est pas autorisée.

Il est également notable que nous-mêmes, au sein du Sénat canadien, ayons mis en lumière le problème de la STBr, alors que les États-Unis ont déjà approuvé ce produit et l'utilisent.

N'oubliez pas que nous sommes un pays jeune. Après tout, le Canada compte un siècle de moins que les États-Unis; à mon avis, ce projet de loi est un bon début, surtout avec cette révision quinquennale.

M. Winfield: Sauf votre respect, sénateur, si l'on compare l'ensemble des régimes fédéraux américain et canadien, nous sommes beaucoup moins bien placés, particulièrement sur le plan des substances toxiques. La LCPE, telle que conçue ici, donnerait quelques pouvoirs d'intervention concernant les porcheries, par exemple, du fait des dispositions relatives aux aliments, mais c'est un cas inhabituel. Dans d'autres domaines, particulièrement la pollution atmosphérique, cela devient très apparent.

Aux États-Unis, des normes touchant les substances toxiques sont élaborées et appliquées en continu. Il existe également un mécanisme fédéral couvrant le smog. Par ce biais, des normes fédérales exécutoires sont mises en place, alors qu'au Canada, par exemple, s'agissant de la pollution atmosphérique causée par des substances toxiques, nous n'avons que quatre règlements touchant quatre substances, tous quatre remontant aux années 70.

En ce qui concerne la pollution industrielle de l'eau, à l'exception du secteur des pâtes et papier, nous n'avons de normes que pour six autres secteurs sous le régime de la Loi sur les pêches, mais là encore ces normes remontent aux années 70. Or, au titre de la Clean Water Act, une révision complète des normes de pollution industrielle de l'eau est en cours au niveau fédéral depuis bien avant 1990.

Certes, nous avons un peu d'avance ici et là. Mais dans l'ensemble, notre régime est moins étoffé.

Il est également intéressant de voir les travaux de la North American Commission on Environmental Cooperation, qui a comparé la performance du Canada et des États-Unis sur le plan des résultats pour l'environnement. L'une des conclusions notables de ce rapport, publié le mois dernier, est que les installations canadiennes produisent 1,5 fois la pollution de leurs homologues américaines. Certaines des analyses de la Commission elle-même semblent indiquer que cela est la conséquence d'un cadre réglementaire beaucoup plus faible au Canada qu'aux États-Unis.

Le sénateur Chalifoux: Est-ce que le projet de loi C-32 vaut mieux que l'ancienne LCPE?

M. Winfield: Tel quel, sans amendements?

Le sénateur Chalifoux: Oui.

M. Winfield: Ma réponse, je le crains, est non. J'y ai beaucoup réfléchi dans le train qui m'a amené ici. Je me suis demandé si ma réaction au projet de loi n'est pas excessive et si je ne suis pas hypersensible. Mais en relisant le projet de loi, j'en suis venu à la conclusion qu'adopter ce projet de loi tel quel représenterait un recul par rapport à la loi promulguée en 1988.

Il faut prendre un peu de distance pour voir que l'évolution suivie par le projet de loi, surtout entre le projet de loi C-74 et le projet de loi C-32, l'a transformé de loi de protection de l'environnement en une loi dont le but, très franchement, est de limiter la capacité du ministre de l'Environnement et du ministre de la Santé d'agir pour protéger la santé et l'environnement.

Cela transparaît clairement des obstacles superposés placés devant les ministres chaque fois qu'ils veulent agir.

Certaines des choses que j'ai mentionnées ce matin en sont les exemples les plus frappants, notamment les soit-disants clauses d'harmonisation qui exigent la concertation avec les provinces, le critère d'efficience, les clauses de résidualisation et le fait que presque toutes les décisions doivent être prises au sein du Cabinet. Chacune de ces obligations représente une entrave pour les ministres lorsqu'ils voudraient agir pour protéger la santé humaine et l'environnement. Voilà ce qui me préoccupe réellement dans ce projet de loi.

Oui, il y a quelques changements importants qui constituent un progrès, mais lorsque l'on regarde le tableau d'ensemble, le projet de loi semble presque conçu exprès pour empêcher les ministres d'agir concrètement. Voilà ce qui motive ma position.

Le président: Monsieur Winfield, j'aimerais poser une question intéressant le même domaine que celui abordé par le sénateur Hays. Vous semblez dire que sous le régime de la loi actuelle, les produits de biotechnologie doivent être évalués avant de pouvoir être utilisés.

M. Winfield: C'est juste.

Le président: Avec les amendements, le Cabinet peut accélérer la procédure, contourner l'évaluation et approuver le produit.

M. Winfield: C'est en gros ce que je dis.

Le président: C'est là votre objection.

M. Winfield: C'est la préoccupation que nous soulevons.

Le président: Ne serait-il pas raisonnable, lorsqu'un nouveau produit de cette sorte arrive au Canada, de l'évaluer avant de le mettre en circulation? Quel est votre avis? C'est peut-être une question biaisée, mais pourquoi voudrait-on le pouvoir de contourner l'évaluation d'un nouveau produit de biotechnologie faisant son arrivée dans la chaîne alimentaire canadienne?

M. Winfield: C'est une bonne question, sénateur. C'est ce qui nous a constamment amenés à demander pourquoi on ne maintient pas la disposition actuelle de la loi, qui est très claire et semble établir une règle rigoureuse. La réponse semble résider, d'après ce que nous pouvons voir, dans l'enthousiasme que mettent certains organismes à promouvoir les produits de biotechnologie. Ils semblent avoir une foi institutionnelle en leur innocuité.

Agriculture Canada n'évalue pas tout. Il applique aux plantes la règle dite de «l'équivalent substantiel», ce qui signifie que si le ministère a approuvé quelque chose de similaire, cette décision vaut pour une autre plante approchante. C'est très différent de ce qui se passe dans le cas des microorganismes sous le régime de la LCPE.

Nous sommes déjà engagés sur ce chemin et, personnellement, je trouve qu'il déroge au principe de la prudence. Le Parlement s'est montré sage en établissant comme règle fondamentale que tout doit être examiné avant d'être autorisé à la vente au Canada. C'est une approche de prudence, et elle est cohérente. Elle offre l'avantage caché de dissuader les sociétés de seulement mettre au point des produits susceptibles d'être touchés par la règle. Cela introduit également une dose de cohérence dans le traitement de tous les produits, quels qu'ils soient, et on pourrait penser que l'industrie trouverait cela positif. Mais voilà à quoi nous avons abouti.

Il y a eu de durs conflits interministériels concernant la réglementation de la biotechnologie. C'est dû en partie au désir de certains ministères de se soustraire à la règle de l'équivalence que la loi actuelle établit. Voilà l'explication que je vois. Cette manière de procéder ne me semble pas très rationnelle.

Le président: À moi non plus.

M. Winfield: Mais voilà où nous en sommes.

Le président: Je n'ai guère été rassuré par vos références, en réponse aux questions du sénateur Hays, au fonctionnement du ministère de la Santé. Nous avons vu le pouvoir de Monsanto dans l'affaire de la STBr. Si ce n'était pour le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts qui a fait apparaître au grand jour les carences du ministère de la Santé dans ce domaine, cette substance serait probablement présente dans notre lait aujourd'hui. Néanmoins, vous semblez faire davantage confiance au ministère de la Santé qu'au ministère de l'Agriculture.

M. Winfield: Oui, il y a une raison pour cela. J'ai pleinement conscience des problèmes à l'intérieur de la Direction générale de la protection de la santé. Le principe autour duquel nous avons cherché à structurer notre position concernant la réglementation de ces produits est qu'il faut parvenir à une séparation aussi claire que possible entre les fonctions réglementaires et les fonctions promotionnelles des organismes et conserver une cloison entre les promoteurs et les responsables de la réglementation. Agriculture Canada se fait incontestablement le promoteur de la biotechnologie agricole et de divers aspects de cette technologie.

C'est quelque chose qui m'apparaît, au travers de mes relations avec ce ministère, comme profondément enraciné dans la culture de ce ministère, très franchement. À tort ou à raison, celui-ci semble avoir une foi presque aveugle dans cette technologie.

On peut faire le même reproche, en plus atténué, à Environnement Canada. Là aussi il y a quelques programmes promotionnels, bien que de moindre envergure que chez Agriculture Canada. L'affaire de la STBr à Santé Canada m'amène à la conclusion que, dans ce projet de loi, le Parlement doit prendre une position ferme sur cette problématique et donner des instructions claires au gouvernement, en établissant des règles strictes et limpides et en minimisant les pouvoirs discrétionnaires qu'il laisse. Ce n'est pas un résultat idéal, mais c'est le mieux que je puisse proposer en l'état actuel des choses.

Le président: Il y avait dans le New York Times de samedi dernier un long article sur les aliments génétiquement modifiés. On y parlait des objections européennes et notamment du rejet du maïs, du soja et autres produits cultivés de cette façon. On y disait également que divers pays, tels que le Japon, exigent maintenant un étiquetage de ces produits. En outre, aux États-Unis, un certain nombre de compagnies refusent d'acheter des aliments génétiquement modifiés. Gerber en est une.

Apparemment, les producteurs de maïs américain craignent de plus en plus de ne pas pouvoir vendre leur production. Si ma mémoire est bonne, 60 p. 100 du maïs cultivé aux États-Unis est génétiquement modifié. Si j'ai bien suivi, cela signifie que la plante elle-même produit un pesticide, d'une certaine façon, ce qui suscite une grave inquiétude.

Nous ne semblons pas avoir de moyens de contrôle, au Canada, autres que ceux que vous avez décrits et qui figurent dans la loi actuelle. Il y aura encore moins de moyens de contrôle dans la nouvelle loi.

L'article que j'ai cité donne à penser que les effets néfastes de ces produits n'ont pas été suffisamment évalués. Bien qu'il ne semble pas y avoir de preuves scientifiques solides montrant qu'ils sont néfastes, le marché commence à réagir. Il semble maintenant que les agriculteurs américains vont commencer à moins les utiliser et que, dans bien des cas, les récoltes l'an prochain ne contiendront plus d'aliments génétiquement modifiés.

Quel est notre défaut, au Canada? Devrions-nous agir en attendant les preuves scientifiques? Avec le nouveau principe de la prudence marié à l'efficience, si nous acceptons cette définition, serons-nous jamais en mesure d'intervenir au Canada?

M. Winfield: Il est clair que le marché, pourvu qu'il en ait l'occasion, juge ces produits inacceptables, pour des raisons tant morales que sociales. Sur le plan scientifique, le problème réside en partie dans le fait que très peu de recherches ont été effectuées sur les effets écologiques ou sanitaires de ces produits, et particulièrement peu au Canada.

Cela est dû en partie à la manière dont nous finançons la recherche agricole, en contraignant les chercheurs universitaires à conclure des partenariats avec le secteur privé. Malheureusement, le secteur privé est peu intéressé à financer des recherches sur l'impact écologique.

Un ensemble d'éléments scientifiques commencent à émerger, principalement à l'étranger, qui semble confirmer bon nombre des problèmes que les écologistes annonçaient il y a une dizaine d'années, lorsqu'on a commencé à réfléchir à ces produits et à toutes les conséquences néfastes qu'ils pourraient avoir.

Pour ce qui est de la stratégie, franchement, la démarche canadienne jusqu'à présent a été de frayer un chemin à coup de matraque pour ses produits vers les marchés et d'invoquer les règles commerciales à cet effet. Cela transparaît manifestement du comportement canadien dans les négociations sur le Protocole relatif à la biosécurité sous le régime de la Convention sur la diversité biologique.

Le fait que des acteurs du secteur privé se détournent de ces produits, sans intervention gouvernementale et en réaction à la demande des consommateurs, démontre bien la futilité de cette stratégie. Cela démontre que nous devons repenser la situation. Si nous ne trouvons pas, à tout le moins, une façon de distinguer les récoltes modifiées et les récoltes naturelles, nous perdrons ces débouchés à l'exportation. En fait, nous les perdons déjà, non seulement pour les produits génétiquement modifiés, qui n'en ont jamais eu, mais aussi pour les produits non modifiés, car nous ne pouvons garantir un approvisionnement ségrégé.

C'est une situation très difficile, surtout pour les agriculteurs qui, à toutes fins pratiques, en sont les victimes. Le gouvernement et les compagnies leur ont dit de cultiver ces produits, que tout irait bien, or ils peuvent voir de leurs yeux ce qu'il advient des marchés d'exportation et ils commencent à se demander quoi faire.

C'est sérieux. Cela appelle une remise en question fondamentale de toute notre approche. C'est le résultat d'un problème plus ancien. Au moment de la formulation de la stratégie nationale sur la biotechnologie en 1983, des décisions explicites ont été prises, premièrement, d'éviter un large débat public sur l'intérêt et l'acceptabilité de ces produits et, deuxièmement, d'accélérer autant que possible le passage à la commercialisation.

Le problème que nous avons ainsi déclenché est que nous nous sommes jetés sur cette voie technologique pour découvrir ensuite que le marché ne veut pas du produit. Nous avons commis là une erreur magistrale. Je ne sais pas comment dire les choses autrement.

Nous allons devoir apporter des changements, car il est clair qu'en Europe, par exemple, les gouvernements tomberont avant que le public accepte l'arrivée de ces produits. Toutes les pressions du monde à l'OMC ou ailleurs n'y changeront rien. Le marché envoie un signal sans équivoque. Si nous voulons conserver nos débouchés à l'exportation, nous allons devoir réagir à ce signal.

Le président: Ces produits génétiquement modifiés sont aujourd'hui dans la chaîne alimentaire canadienne. Comment y sont-ils arrivés? Est-ce que la LCPE actuelle n'oblige pas à les évaluer?

M. Winfield: C'est une question complexe. Elle n'a pas encore fait l'objet de décision de justice, mais le pourrait bien.

Agriculture Canada a agréé ces produits sous le régime de la Loi sur les semences, et prétend que ses décisions en vertu de cette loi répondent aux exigences de l'alinéa 26(3)a) de la LCPE, soit une évaluation de toxicité avant importation ou fabrication. Des doutes ont été exprimés quant au pouvoir juridique de la faire en vertu de la Loi sur les semences et aussi quant à la rigueur des évaluations effectuées par Agriculture Canada.

Du côté des semences des plantes, on voit assez clairement comment les choses se sont passées. Du côté alimentaire, c'est un peu plus complexe car Santé Canada n'a toujours pas promulgué les règlements pour procéder à ce qui est une évaluation à deux étapes. Un groupe examine le produit en tant que culture dans un champ et un autre groupe en tant qu'aliment.

On prétendait qu'un certain nombre de produits ont reçu l'agrément comme aliment, bien qu'aucun règlement à cet effet ne semble exister. D'ailleurs, Santé Canada, de son propre aveu, s'en remet à une notification volontaire des compagnies et à ses pouvoirs généraux aux termes de la Loi sur les aliments et drogues pour interdire des produits qu'il juge nocifs.

Santé Canada a maintenant publié quelques règlements visant l'évaluation environnementale de ces produits en tant qu'aliments. Toutefois, il le fait sur la base de pouvoirs qu'il ne possède pas encore. Le projet de loi C-32 contient une modification corrélative de la Loi sur les aliments et drogues donnant à Santé Canada le pouvoir d'examiner de nouveaux aliments selon la perspective environnementale.

On pourrait arguer que certains de ces produits devraient être évalués actuellement aux termes de la LCPE. De fait, des choses comme le poisson et les animaux devraient relever automatiquement de l'annexe du règlement relatif aux autres organismes pris en septembre 1997 au titre de la LCPE, or ce n'est pas le cas.

C'est une situation très complexe: en gros, nous avons un assemblage d'arrangements administratifs épars dont l'utilité en tant que stratégie et dont le fondement juridique suscitent quelques questions plutôt intéressantes.

Le sénateur Taylor: J'apprécie que vous ayez soulevé la question de la modification génétique et des hormones. Certains membres de notre comité se sont rendus en Europe trois fois au cours de l'année dernière pour étudier la modification génétique. La Chambre des lords a publié un excellent rapport sur la modification génétique. Nous avons rencontré les Allemands et le Conseil de l'Europe. J'ai également représenté le gouvernement canadien et le ministre de la Santé au Codex Alimentarius à Rome, où nous avons parlé de modifications génétiques et d'hormones.

Cependant, je pense que vous mélangez dans vos réponses une part de vérité et une part de fiction. Vous avez, certes, raison de dire que le ministère de l'Agriculture a peut-être 20 années de retard en voulant forcer l'Europe à accepter des aliments génétiquement modifiés ou du boeuf aux hormones. Peut-être ne sommes-nous pas à la page.

J'ai parlé de cela même avec le ministre de l'Agriculture il y a quelques semaines et, bien que l'Organisation mondiale du commerce ait tranché en notre faveur, disant qu'il s'agit là de barrières non tarifaires, peut-être cette dernière est-elle en retard aussi. Une partie du monde n'avance pas aussi vite qu'il le faudrait sur le plan d'un réexamen de la modification génétique, des injections d'hormones, etc.

J'étais également membre du comité sénatorial qui a étudié la STBr. Je ne prétends pas être expert de la question, mais j'ai entendu les avis des différents camps et si vous restez pour écouter la Fédération canadienne de l'agriculture, vous entendrez ses arguments réfutant ce que vous avez dit.

Je ne puis accepter votre propos lorsque vous dites que les compagnies peuvent contourner la LCPE actuelle pour introduire des modifications génétiques ou l'injection d'hormones sans aucune évaluation.

Par exemple, le paragraphe 106(6) dispose que certains paragraphes ne s'appliquent pas:

(a) à un organisme vivant fabriqué ou importé en vue d'une utilisation réglementée aux termes de toute autre loi fédérale qui prévoit un préavis de fabrication, d'importation ou de vente et une évaluation en vue de déterminer s'il est effectivement ou potentiellement toxique;

Il est clair que, à moins qu'une autre loi s'applique, le ministre a le droit d'effectuer, avant l'importation ou la vente d'un organisme vivant, une évaluation pour déterminer s'il est effectivement ou potentiellement toxique. Je ne suis pas juriste, mais c'est là un énoncé plutôt limpide.

Le président: C'est du paragraphe (7) que parlait M. Winfield.

Le sénateur Taylor: J'espère qu'il lit tout le projet de loi et n'en fait pas une lecture sélective.

Le président: Je pense qu'il lit tout le projet de loi.

Le sénateur Taylor: À mes yeux, cette disposition précédant le paragraphe (7) est assez claire. Une évaluation de la toxicité effective ou potentielle doit être effectuée, à moins qu'une autre loi ne s'applique. Voilà le premier point.

Ma deuxième objection est que toutes les modifications génétiques ne sont pas mauvaises. Je pense que l'on va d'un extrême à l'autre. Toutes les modifications génétiques étaient bonnes il y a 25 ans parce qu'elles augmentaient la quantité de riz que l'on pouvait produire en Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, on va à l'autre extrême pour décréter que toute modification génétique est mauvaise. Il suffit de regarder le genre de maïs et de blé que les Navajos cultivaient dans leurs grottes il y a 2 000 ans pour comprendre qu'il ne serait pas bon de retourner si loin en arrière.

J'aimerais savoir ce qui vous amène à dire que le projet de loi prévoit l'absence de toute évaluation de substances effectivement ou potentiellement toxiques, car à mes yeux c'est tout le contraire.

M. Winfield: Le paragraphe 106(6) reproduit le libellé de l'alinéa 26(3)a) de la loi actuelle, mais la disposition cruciale est le paragraphe 106(7), qui établit un mécanisme d'exemption. Il est dit clairement que la preuve concluante que les conditions sont remplies est entièrement à la discrétion du Cabinet, et je crois que c'est également là qu'il est précisé que la «décision appartient exclusivement», autrement dit le libellé laisse une latitude maximale au gouvernement.

Le sénateur Taylor: Le gouverneur en conseil a un pouvoir prédominant. N'est-ce pas là une chose souhaitable? Ne souhaitez-vous pas que la décision du ministre puisse fait l'objet d'un appel auprès du gouverneur en conseil? Vous donnez à entendre que le gouverneur en conseil laissera passer toutes les modifications génétiques. Imaginez juste le cas inverse, où le ministre déciderait à l'encontre de quelque chose que vous souhaitez. Est-ce qu'un recours auprès du gouverneur en conseil ne vous paraîtrait pas alors raisonnable?

M. Winfield: Selon le projet de loi, appel peut être interjeté auprès d'un conseil de révision, qui est un organe quasi judiciaire. Notre objection tient au fait que le libellé du paragraphe 106(7) a été expressément conçu pour donner une latitude complète et mettre le gouvernement entièrement à l'abri de tout contrôle judiciaire. Il a été manifestement rédigé à cette fin même. Il donne au Cabinet un pouvoir illimité. Il est tellement illimité qu'aucune contestation n'est possible. C'est un pouvoir qui n'existe pas dans la loi actuelle, et c'est donc un moyen de contourner l'obligation générale énoncée au paragraphe 106(6).

Pour ce qui est de la question plus générale, nous ne prenons position ni pour ni contre les modifications génétiques. Nous disons qu'il faut évaluer ces choses sous l'angle de leur effet potentiel sur la santé humaine et l'environnement et la diversité biologique avant de les laisser entrer dans l'environnement canadien et dans le marché canadien.

Il est vrai, toutefois, que de nombreux Canadiens considèrent que le génie génétique et le transfert de gènes d'une espèce à l'autre représentent, en quelque sorte, une violation d'une loi divine ou naturelle sur le franchissement de la barrière entre espèces. Les considérations de cette nature sont totalement exclues du processus de décision réglementaire actuelle. Les objections morales ne font pas partie de l'équation. Or, l'une des raisons pour lesquelles les consommateurs ne veulent pas de ces produits sur le marché est qu'ils les jugent moralement répréhensibles et ils aimeraient jouir du choix de les acheter ou non.

Le sénateur Taylor: Là-dessus nous sommes d'accord, vous et moi. J'ai passé quatre jours à Rome à écouter les plus grands savants du monde débattre le pour et le contre, et leur solution était que l'étiquetage donnerait au consommateur le pouvoir de décision. L'étiquetage me paraît être la solution, plutôt que laisser les scientifiques se disputer entre eux.

Le seul problème que je vois dans l'étiquetage est que, dans une économie de marché moderne, où certaines des plus grosses compagnies du monde sont capables de convaincre nos jeunes que fumer et boire est bon pour eux, et notamment pour leur vie sexuelle, les publicitaires n'auront pas trop de mal à convaincre le public de manger des aliments génétiquement modifiés.

Le sénateur Hays: Si j'ai bien compris votre réponse à Le sénateur Chalifoux, votre principale raison pour conclure que ce projet de loi est pire que la LCPE actuelle tient essentiellement au paragraphe 106(7)?

M. Winfield: Non, pas du tout.

Le sénateur Hays: Vous avez d'autres réserves?

M. Winfield: Oui.

Le sénateur Hays: Dans mon souvenir, c'est la seule que vous avez donnée. Il est intéressant que vous vous méfiiez davantage du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil que du pouvoir discrétionnaire des ministres tel que défini dans le projet de loi. Néanmoins, il y a là un pouvoir discrétionnaire. Rectifiez si je me trompe.

Votre autre sujet de préoccupation est l'efficience. Vous n'avez pas indiqué que cet aspect est une cause de divorce.

Je fais une lecture du roman feuilleton de la LCPE et de l'affaire du MMT dans l'optique d'une réglementation, par opposition à cette alternative entre feu rouge et feu vert sur laquelle repose encore la LCPE. Cette loi ne donne pas le pouvoir d'intervenir et de réglementer la biotechnologie et beaucoup d'autres choses qui devraient l'être. Je suis en accord avec vous là-dessus. Je ne suis pas en désaccord avec les grandes lignes de votre position. Mais je ne conviens pas nécessairement que le meilleur moyen de remédier à ces lacunes soit la LCPE.

En ce qui concerne le critère d'efficience, ce n'est tout de même pas une si mauvaise chose de faire intervenir cette considération pour parvenir à la quasi-élimination d'une substance toxique, ou d'autres choses que les ministres sont censés faire, avec ou sans le consentement du gouverneur en conseil? Cela me paraît être une approche raisonnable et de bon sens, par opposition à la méthode du commandement arbitraire qui serait suivie autrement.

M. Winfield: Mon opposition au projet de loi ne se limite pas à l'article 106. Ce dernier n'est qu'un exemple particulièrement visible du problème. J'ai privilégié celui-ci parce que nous nous concentrons sur la biotechnologie, mais j'en ai mentionné quelques autres.

L'efficience est un exemple du problème de fond que pose l'accumulation de barrières opérée par le projet de loi contre une action visant à protéger la santé humaine ou l'environnement. Trois barrières structurelles érigées par le projet de loi sautent aux yeux, soit les clauses d'harmonisation, les dispositions de résidualisation et la disposition sur l'efficience.

Dans le cas de cette dernière, c'est là un précédent. Jamais auparavant n'avait-on inscrit ce genre de considération dans une loi fédérale sur l'environnement, la santé ou la sécurité. On engendre ainsi une espèce d'arbitrage mécanique où les avantages économiques doivent l'emporter sur les inconvénients économiques avant qu'une action puisse être entreprise.

Cette approche est problématique à plusieurs niveaux, sur les plans méthodologique et philosophique. Nous jugeons inapproprié d'incorporer une telle disposition dans une loi. Cette considération s'impose déjà par le biais de la politique réglementaire du Conseil du Trésor, mais il ne s'agit aujourd'hui que d'une politique. Le Parlement devrait réfléchir très sérieusement avant d'ériger en loi cette politique d'analyse des coûts-bénéfices, vu les conséquences qui peuvent en résulter.

Nous n'avons pas encore eu de débat approfondi sur ses répercussions. Comme je l'ai dit, il y a de très graves problèmes philosophiques et méthodologiques dans cette approche consistant à totaliser les coûts et les avantages. Il est notoire que les méthodes d'analyse économique sont déficientes s'agissant de calculer les coûts et avantages environnementaux et sociaux.

C'est pourquoi j'aborderais cette règle avec beaucoup de prudence. Nous avons effectué quelques recherches sur la réforme réglementaire il y a quelques années. Aux États-Unis, pendant l'ère Reagan, on appliquait un critère d'analyse économique à tous les règlements. Cela s'est avéré une entrave très sérieuse. L'une des premières choses que le gouvernement Clinton a faite a été de prendre un décret déclassant les critères rigides utilisés par l'administration Reagan, car ils étaient devenus des barrières infranchissables empêchant toute action.

Le sénateur Hays: Déclasser une telle contrainte et la supprimer entièrement sont deux choses différentes, mais je comprends votre propos. Je ne suis pas là pour débattre avec vous et je ne le ferai pas, et je concluerai sur cette remarque. La gestion de risque dont les ministres sont chargés est bien servie en exigeant des solutions efficientes pour éliminer une substance toxique. L'analyse coûts-bénéfices déterminera dans quelle mesure des instruments économiques seront mis en oeuvre pour arriver à la quasi-élimination d'une substance jugée intrinsèquement toxique.

M. Winfield: Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que le libellé de cette disposition dans l'article sur l'application administrative est fortement contraignant. Il ne s'agit pas simplement de prendre en compte. C'est un critère très rigide. C'est une partie du problème.

Les ministres devraient pouvoir décider d'agir sur la base d'autres considérations, plutôt que prendre une décision purement économique sur la base des avantages et des coûts.

Le sénateur Hays: Je ne pense pas qu'ils soient empêchés de le faire.

M. Winfield: Le libellé ne laisse pas le choix. C'est impératif.

Le sénateur Hays: Si une substance est toxique et que nous voulons la supprimer de l'environnement, sur la base de preuves convaincantes, alors la méthode réglementaire directe n'est pas exclue.

M. Winfield: Le problème est que même à ce stade, avec ce projet de loi, vous avez encore à surmonter trois grosses barrières, et probablement plusieurs autres encore si on cherche bien. Il faut passer par un processus de consultation des provinces qui apparaît obligatoire et semble restreindre considérablement la liberté d'action du ministre. Il faut ensuite procéder à l'analyse de coûts-bénéfices. Ensuite, il faut se battre sur la question de la résidualisation. Ensuite, il faut s'adresser au Cabinet, où il faudra affronter Industrie Canada et Ressources naturelles Canada et tous ces gens qui seront probablement sur le sentier de la guerre.

On ne peut pas tout simplement réglementer sur la base d'une déclaration de toxicité. Il y a toute une série de barrières à surmonter.

Le sénateur Hays: Le paragraphe 106(7) tel qu'adopté au comité donne au ministre de la Santé le même pouvoir discrétionnaire que celui confié au gouverneur en conseil par le paragraphe 106(7) amendé au stade du rapport. Les ministres sont membres du gouvernement. Ils sont sous l'autorité du premier ministre. Ils démissionnent s'ils n'aiment pas les pouvoirs qui leur sont laissés ou s'ils ne peuvent s'acquitter de leur mission, mais tous ces éléments dans lesquels vous voyez des problèmes potentiels existaient aussi bien dans le libellé du paragraphe 106(7) adopté en comité.

M. Winfield: Mon objection est beaucoup plus générale et concerne toute la loi, car presque partout, les ministres se heurtent à ces barrières dès qu'ils envisagent d'agir.

La plupart des gens préfèrent confier ces décisions aux ministres de la Santé et de l'Environnement plutôt qu'au Cabinet, car ces ministres ont une mission claire et explicite de privilégier la santé et l'environnement avant tout le reste. Au niveau du Cabinet, d'autres intérêts obtiennent un droit de veto. Franchement, ces autres intérêts sont typiquement Industrie Canada, Ressources naturelles Canada et Agriculture Canada. Ce sont eux les poids lourds dans ce domaine.

Certains de ces problèmes ont été mis en lumière par le commissaire à l'environnement et au développement durable dans son rapport de cette année. Il a évoqué certaines des frictions interministérielles en matière d'environnement puis dénoncé le rôle très peu constructif joué par Ressources naturelles Canada et Industrie Canada. Il a fait valoir que leurs actes étaient loin de représenter des interventions constructives.

C'est l'une des raisons pour lesquelles nous préférons les décisions ministérielles aux décisions du Cabinet.

Le sénateur Hays: Aucune loi ne peut régler ce problème.

Le sénateur De Bané: M. Winfield, votre groupe, l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement, en dénonçant particulièrement un élément du projet de loi, finit par nuire à sa propre crédibilité. Votre première critique porte sur l'obligation faite au gouvernement fédéral de consulter les provinces. Vous écrivez à la page 3 de votre mémoire:

Le projet de loi C-32, sous la forme adoptée par la Chambre des communes, exige que des propositions de consultation soient faites aux provinces et aux territoires presque chaque fois que le ministre compte prendre une mesure importante en vertu de la loi.

Vous trouvez cela trop contraignant, mais nous vivons tout de même dans un système fédéral. Je me disais à moi-même que si M. Winfield était le premier ministre d'une province demain au lieu d'être directeur de recherche de ce groupe de pression, se plaindrait-il encore que le gouvernement fédéral doive consulter les provinces?

Que trouvez-vous de si déraisonnable? À mon avis, réclamer que le ministre puisse prendre ces mesures sans consultation nuit à votre propre crédibilité. Toutes les organisations à cause unique comme la vôtre finissent par perdre de vue le tableau d'ensemble.

Nous vivons dans un régime fédéral. Nous avons un ministre fédéral de l'Environnement et les provinces ont leur ministre de l'Environnement. À notre table siège aujourd'hui un ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse, mon excellent ami le sénateur Buchanan. Je suis sûr qu'il rejette votre critique de l'obligation faite au gouvernement fédéral de consulter les provinces.

Je conviens avec vous que nous sommes les gardiens du patrimoine de la prochaine génération. Nous avons le devoir de bien gérer la planète, mais vous dites qu'il faut passer par-dessus les provinces et ne pas s'embarrasser de les consulter. Encore une fois, si vous étiez premier ministre provincial, vous ne diriez jamais cela.

Le sénateur Buchanan: Vous avez totalement raison.

M. Winfield: Je n'aurais pas la présomption d'ambitionner un tel poste, mais je ne suis pas du tout certain de partager ce point de vue. Notre objection tient particulièrement à la manière dont le projet de loi a été amendé de nouveau à la Chambre, qui a infléchi le projet de loi en érigeant la consultation en contrainte. Il ne semble pas y avoir d'issue. C'est grave, car cela signifie qu'il y a là une barrière potentielle à l'action. C'est particulièrement grave dans le contexte dans lequel nous nous trouvons en ce moment.

J'ai passé les quatre dernières années de ma vie professionnelle à documenter ce qui se passe dans ma propre province de l'Ontario. Nous assistons, à toutes fins pratiques, à une course vers le fonds entre un certain nombre de provinces, sur le plan des normes écologiques. Nous en avons documenté les sordides détails en Ontario. Franchement, nous avons également mis en lumière les agissements du gouvernement de l'Ontario, qui n'a cessé de bloquer au cours des quatre dernières années les initiatives nationales sur des enjeux environnementaux nationaux, notamment les pluies acides, le changement climatique, le smog, le soufre et l'essence. Si la province de l'Ontario détenait un droit de veto, rien ne se ferait.

Si vous regardez la situation dans le passé -- et cela a été bien mis en évidence par les spécialistes -- c'est la menace d'une action fédérale indépendante qui a surtout amené les provinces à bouger. Cela était manifeste dans le cas des pluies acides et a été très clairement mis en évidence dans le cas des règlements sur les pâtes et papiers au début des années 90.

Il n'y a qu'une seule façon d'arrêter cette course vers le fonds à laquelle on assiste, et c'est par un ensemble de normes fédérales rigoureuses. Or, le projet de loi interdit pratiquement de l'établir. Voilà ce qui explique ma position, sur la base de mon expérience de la politique du pays. Elle reflète tout ce que j'ai jamais appris, aussi bien dans ma carrière professionnelle de politicologue qu'en tant qu'écologiste, sur la mécanique de ces choses.

Le sénateur De Bané: Si moi, citoyen, suis mécontent de ce que fait mon gouvernement provincial, la solution n'est pas de dire que le gouvernement fédéral doit adopter une loi disant qu'il n'est pas nécessaire de consulter les provinces. Mon devoir est de faire battre ce gouvernement provincial.

Je suis du Québec, qui est dirigé par un gouvernement séparatiste. J'estime qu'il m'incombe de m'efforcer de remplacer ce gouvernement par un gouvernement fédéraliste.

M. Winfield, si vous étiez ministre de l'Environnement d'une province, je suis sûr que vous tiendriez un autre discours. Je conviens avec vous que parfois une province fait mal les choses, mais je ne pense pas que la solution soit d'invoquer le pouvoir de désaveu fédéral pour annuler une loi. Non. Il faut faire battre ce gouvernement et le remplacer par un autre, mais non pas dire que le gouvernement fédéral devrait ignorer l'existence des provinces et leurs compétences.

M. Winfield: C'est une problématique complexe et tout dépend de jusqu'où l'on veut s'engager sur cette voie.

Nous avons en Ontario un gouvernement contre lequel la majorité de l'électorat a voté. Le fait est que les politiques poursuivies par ce gouvernement ont un effet néfaste sur la santé des Ontariens et aussi celle des habitants des autres provinces. Il use maintenant de son rôle dans les mécanismes intergouvernementaux pour bloquer les initiatives environnementales nationales, initiatives qui sont très importantes du point de vue de la santé et de l'environnement des Canadiens. Si le gouvernement de l'Ontario avait pu imposer sa volonté, le gouvernement fédéral n'aurait pas adopté le très important et vigoureux règlement sur la teneur en soufre de l'essence au mois de juillet.

Le sénateur De Bané: Le projet de loi ne donne pas un droit de veto aux provinces. Il crée une obligation de les consulter.

M. Winfield: Notre crainte, monsieur, est que le libellé qui a maintenant été inséré fasse précisément cela. Nous ne sommes pas opposés à une clause disant que le ministre peut ou devrait consulter avant d'agir. Il n'y a pas de mal à cela. C'est d'ailleurs ce que prévoit la loi actuelle. Notre objection porte sur la formulation, qui pourrait ériger un droit de veto, peut-être même un droit juridique, et sur la manière dont ce libellé pourrait être utilisé aux mains de gouvernements provinciaux qui ont clairement démontré, c'est triste à dire, qu'ils ne se soucient guère de la protection de l'environnement.

Le sénateur Buchanan: C'est faux.

Le président: Monsieur Winfield, je tiens à vous remercier infiniment de nous avoir fait don de votre temps et de votre savoir, ainsi que de l'énorme travail que vous et votre institut avez abattu dans ce domaine. Je vous félicite et vous remercie au nom de mes collègues d'être venu aujourd'hui. Tous mes voeux vous accompagnent dans vos entreprises futures.

Chers collègues, nous allons maintenant entendre un certain nombre de représentants de la Fédération canadienne de l'agriculture et de l'Institut canadien des engrais.

Vous avez la parole.

M. Roger Larson, président, Institut canadien des engrais: Monsieur le président, nous sommes heureux de comparaître aujourd'hui devant le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles au sujet du projet de loi C-32. Je suis accompagné de Chris Micek, responsable de l'environnement dans une usine d'engrais situé à Redwater et appartenant à Agrium Inc. Agrium, le plus gros producteur d'engrais azoté d'Amérique du Nord, a son siège à Calgary, en Alberta. Nous avons également M. Donald Côté, qui est agronome à l'ICE et dirigeant de l'Association des fabricants d'engrais du Québec. Paul Lansbergen est directeur des communications et des services aux membres de l'ICE. Il est là également pour témoigner.

Notre mémoire écrit a été remis au greffier et vous pouvez le consulter dans les deux langues officielles. Nous n'allons pas en faire lecture intégrale, mais en citer simplement les éléments saillants, tels que l'importance de l'industrie canadienne des engrais, le rôle essentiel que jouent les engrais dans l'agriculture durable et nos préoccupations particulières concernant le projet de loi C-32. Je vous invite à lire notre mémoire pour plus de détails sur les aspects que nous abordons aujourd'hui.

L'ICE représente les principaux fabricants d'engrais à base d'azote, de potasse, de phosphate et de soufre, ainsi que la plupart des gros distributeurs de détail du Canada. Nos membres produisent environ 24 millions de tonnes métriques d'engrais par an, dont 75 à 80 p. 100 sont exportés dans le monde entier.

Au total, le Canada fournit près de 12 p. 100 de l'approvisionnement total mondial en matériaux d'engraissement. Nos exportations contribuent trois milliards de dollars à la balance des paiements canadienne. Nos membres sont sans cesse confrontés à la concurrence mondiale.

Les engrais représentent l'un des objectifs du Canada en matière de commerce international. Notre industrie a été désignée pour une libéralisation des échanges dans le cadre de l'APEC, ce sujet devant également faire l'objet, croyons-nous savoir, de discussions à Seattle sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce.

Le projet de loi touche de près à l'idée que se fait notre société de son rôle comme gardienne du territoire. La culture de la terre, l'agriculture canadienne, peut être assimilée à une exploitation minière. La récolte de chaque année représente le prélèvement dans le sol d'une quantité mesurable d'éléments nutritifs. En dépit des cinq millions de tonnes d'engrais consommés chaque année par les exploitations canadiennes, nous réintroduisons moins dans la terre que ce que nous prélevons. Une quantité insuffisante est potentiellement aussi dangereuse qu'une quantité excessive. Protéger la santé de notre sol, assurer une production alimentaire suffisante dans le monde et protéger l'environnement, tout cela est une question d'équilibre et d'intégration de cet équilibre dans nos systèmes de gestion des nutriments.

La population mondiale augmente. Outre l'augmentation évidente du besoin de nourriture, une plus grande aisance de la population du monde entraîne également une demande accrue de nourriture de meilleure qualité dans le monde. Toutefois, la quantité de terres arables, dotées d'une bonne structure du sol et de conditions climatiques favorables, est limitée et diminue face à la prolifération urbaine. Il faut donc exploiter intensément les terres agricoles restantes. Il n'est pas inéluctable que cette intensité nuise à la santé du sol ni à l'environnement. La sécurité alimentaire mondiale est possible avec une utilisation équilibrée des engrais et de bonnes pratiques de culture.

Bien que ce niveau de production alimentaire puisse être insuffisant, il est certainement indispensable. Pour placer cela dans le contexte plus large, il ne faut pas perdre de vue la réalité suivante: la population du monde augmente de 100 millions de personnes par an, dont 95 p. 100 dans les pays peu développés. Cette croissance démographique rapide fait que l'agriculture envahit des zones écologiquement fragiles. Il faut enrayer ce mouvement. Une agriculture durable ne peut pas exister dans ces endroits.

Les pays riches protègent et améliorent leur environnement. La tendance inverse est exemplifiée par des pays tels que l'ancienne Union soviétique et ceux d'Europe de l'Est. En 1931, le président américain Franklin Roosevelt a eu ce mot: «La nation qui détruit son sol se détruit elle-même.» Nous payons tous un prix pour l'extraction déséquilibrée de nutriments du sol. La destruction de bons sols fertiles est une conséquence extrême, mais très réelle, de la surexploitation du sol. Il est possible de rétablir la fertilité du sol au moyen de l'ajout judicieux de nutriments, couplés à d'autres pratiques saines de gestion du sol et des cultures.

Aujourd'hui, quelque deux milliards de personnes souffrent d'une terrible malnutrition. Sur les 12 millions d'enfants de moins de cinq ans qui meurent chaque année dans les pays en développement, principalement de causes évitables, 55 p. 100 de ces décès sont directement ou indirectement attribuables à la malnutrition.

Nous vous exhortons à prendre en compte les besoins alimentaires dans le débat sur les risques posés par les engrais. Le Canada et le monde doivent intégrer la politique alimentaire au débat législatif sur la gestion des risques. Cet équilibre est nécessaire, il constitue même le pivot sur lequel nous devons peser les risques causés par les nutriments dans la production alimentaire.

S'agissant du projet de loi C-32, il est raisonnable de se demander si les conséquences de cette loi seront bonnes pour les sols canadiens, les sols du monde et pour les perspectives du développement durable.

Je vais maintenant céder la parole à M. Micek, qui vous fera part de nos préoccupations plus particulières concernant ce projet de loi.

M. Chris Micek, responsable de l'environnement, Institut canadien des engrais: Honorables sénateurs, permettez-moi de préfacer mon propos en soulignant que l'Institut canadien des engrais est en faveur d'une législation environnementale forte et d'une amélioration continue de la performance environnementale. Toutefois, il existe un seuil au-delà duquel on ne peut pousser la protection dans l'environnement sans nuire au développement économique et mettre hors de portée le développement durable.

Aussi, la notion de développement durable doit-elle rechercher un équilibre entre protection de l'environnement et développement économique. L'ICE estime que si l'on veut une LCPE forte et applicable, et capable de promouvoir le développement durable au Canada, elle doit présenter les qualités suivantes.

Premièrement, elle doit être claire et prévisible, de sorte que le gouvernement puisse l'appliquer et que les entreprises puissent prendre des décisions intelligentes en matière de gestion de l'environnement.

Deuxièmement, elle doit assurer l'harmonisation des législations provinciale et fédérale et éviter les chevauchements.

Troisièmement, elle ne doit pas comporter des dispositions rigides en matière de collecte d'information qui créent un fardeau administratif inutile.

Quatrièmement, elle ne doit pas contenir de mesures de protection de l'environnement.

Cinquièmement, elle doit conserver les dispositions sur le chevauchement et le dédoublement.

Avant d'expliquer plus avant ces points, je signale que nous formulons dans notre mémoire écrit des recommandations précises sur ce qu'il convient de changer et ne pas changer dans le projet de loi.

La clarté et la prévisibilité devraient représenter le principe directeur de toute loi. La clarté non seulement améliore l'exécution d'une loi par le gouvernement, elle permet aussi aux entreprises de planifier efficacement leur conformité aux exigences légales.

Un domaine où la LCPE était déficiente était l'application de la quasi-élimination. En voulant libeller la loi de sorte que la barre soit haussée à mesure que progressent les techniques de mesure, on omet un facteur important: quasi-détection n'égale pas quasi-élimination. La détection ne se traduit pas automatiquement par l'élimination. Des amendements ont été adoptés au stade du rapport et la situation est maintenant gérable, mais l'ICE continue de penser que l'objectif ultime de limites de rejet inférieures à la limite de dosage est irréaliste.

En ce qui concerne l'harmonisation, le gouvernement devrait s'engager clairement à éviter les chevauchements et les doubles emplois des règlements environnementaux provinciaux et fédéraux. Ce principe pourrait être mieux reflété dans l'article 10 et les paragraphes 3a) et 3b) du projet de loi si on y incorporait des dispositions permettant de considérer les exigences provinciales équivalentes aux exigences fédérales de la loi en se fiant à leur esprit et à leur résultat plutôt qu'à l'identité des textes.

Les dispositions relatives à la collecte d'information sont de portée très large et, à notre sens, devront être appliquées avec prudence. L'article 47 précise que l'exercice de ces pouvoirs sera régi par des directives émises par le ministre en tenant compte des facteurs d'efficience. Nous recommandons que les fournisseurs des renseignements, tels que les membres de l'ICE, soient consultés aux fins de l'élaboration de ces directives, afin que le coût véritable pour l'industrie puisse être cerné et l'efficience évaluée, et de telle façon que les dispositions puissent être mises en oeuvre de manière harmonisée.

Les actions en protection de l'environnement prévues aux articles 22 à 38 représentent un autre sujet de préoccupation. Nous ne jugeons pas qu'il soit avantageux de suivre le modèle américain et d'adopter une approche contentieuse de la protection de l'environnement. C'est au gouvernement qu'il appartient de faire respecter la législation de protection de l'environnement et il ne devrait pas la céder. Les poursuites en justice ne sont pas un moyen efficace de régler les problèmes environnementaux.

L'aspect le plus important pour l'industrie des engrais intéresse les chevauchements et dédoublements. Une disposition clé a été retirée par le comité de la Chambre, à savoir l'ancien article 2.2 qui aurait garanti une coordination interministérielle efficace et permis à d'autres ministères d'agir dans leur champ de compétence, de façon à éviter les chevauchements et dédoublements. L'industrie de l'engrais est heureuse que le gouvernement ait reconnu l'importance de cette disposition et inscrit une disposition spécifique dans l'article traitant des substances nutritives.

Il est essentiel que l'article 118 soit maintenu. En son absence, une incertitude réglementaire existerait du fait que rien ne permet autrement au ministre chargé de l'administration d'une autre loi du Parlement, tel que le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, d'établir que cette loi est appropriée et suffisante. À nos yeux il importe beaucoup que le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ait son mot à dire lorsqu'il s'agit de déterminer si une loi dont il est chargé convient et suffit à réglementer les substances nutritives.

Pour conclure, notre industrie représente un intrant essentiel de l'agriculture durable au Canada et dans le monde. Alors que la protection de l'environnement canadien est indispensable à la durabilité du système agricole canadien, cette durabilité dépend entièrement du remplacement des substances nutritives, lesquelles sont exportées sous forme d'aliments. Il importe de reconnaître les avantages apportés par toutes les substances nutritives qui sont essentielles à la vie des hommes et des plantes. Il faut gérer soigneusement ces substances pour prévenir la pollution, mais on ne doit pas les considérer comme principalement des polluants qu'il convient d'éliminer de l'environnement naturel.

L'ICE encourage l'utilisation efficiente de ses produits grâce aux recherches sur l'application des engrais et le choix du moment, à l'éducation de l'industrie par le biais du programme d'experts-conseils agréés sur les cultures et la publication d'informations agronomiques et environnementales. L'industrie réalise cet objectif. Elle s'enorgueillit de sa responsabilité environnementale. La protection de l'environnement est un élément clé des meilleures pratiques de gestion auxquelles notre industrie adhère.

L'ICE espère que vous tiendrez compte des modifications du projet de loi C-32 qu'elle recommande et que vous comprenez maintenant mieux l'industrie des engrais et le rôle qu'elle joue dans la durabilité de la production agricole canadienne et pour la sécurité alimentaire mondiale. On ne peut nourrir le monde sans engrais.

Mme Sally Rutherford, directrice exécutive, Fédération canadienne de l'agriculture: Au nom de la FCA, je tiens à vous remercier de votre invitation à comparaître aujourd'hui. Vu l'heure, je ne lirai pas notre mémoire. Je vous demanderais, monsieur le président, si des questions restent sans réponse, de pouvoir revenir pour y répondre car le temps dont nous disposons n'est pas équivalent ou égal, c'est le moins que l'on puisse dire.

À ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la Fédération canadienne de l'agriculture, je peux dire que nous sommes une organisation agricole généraliste nationale. Nos 18 membres englobent toutes les organisations agricoles provinciales généralistes, ainsi que la plupart des groupements de producteurs spécialisés. Nous représentons environ deux tiers des agriculteurs actifs du pays. Nous intervenons sur toute la gamme des questions d'ordre économique et social ainsi que les besoins en matière de recherche.

Il va sans dire que les agriculteurs se préoccupent de l'environnement. De fait, leur gagne-pain en dépend. La dégradation de l'environnement nuit à la culture de la terre ainsi qu'à la santé et au bien-être de leur famille. C'est quelque chose que l'on oublie trop souvent.

La FCA continue d'estimer indispensable une loi environnementale de grande portée, telle que la LCPE. La FCA exhorte le gouvernement à établir un cadre juridique et réglementaire prévisible et fiable pour régir les intrants dont dépendent les agriculteurs. La biotechnologie promet de résoudre certains des problèmes environnementaux les plus pressants des agriculteurs, au Canada comme à l'étranger.

Ce projet de loi tente de régler le problème des chevauchements et dédoublements. Les agriculteurs sont acquis à l'élaboration et à la mise en oeuvre de pratiques agricoles durables et à la prévention de la pollution au niveau des exploitations, et appellent à un soutien accru à la recherche -- au niveau gouvernemental, universitaire ou privé -- et au transfert des technologies aux fins de la protection de l'environnement dans le contexte agricole. Le projet de loi vise une meilleure intégration des différentes lois au niveau fédéral.

Les agriculteurs se dirigent vers l'auto-réglementation en matière environnementale. Les agriculteurs sont acquis au développement durable, qui doit devenir partie intégrante de l'activité agricole.

Le public se fait souvent une idée défavorable du souci que les agriculteurs manifestent pour l'environnement et les idées fausses à cet égard abondent. Les agriculteurs tiennent à être consultés sur les problèmes environnementaux.

J'aimerais apporter un certain nombre de rectificatifs. M. Winfield a lancé quelques affirmations erronées et j'aimerais les rectifier, sachant que ce compte rendu sera publié.

M. Winfield a donné une réponse erronée à une question du président sur la ségrégation des produits au Canada et aux États-Unis. La production est ségrégée au Canada au moins dans la même mesure qu'aux États-Unis. Il n'y a pas de loi aux États-Unis exigeant la ségrégation, pas plus qu'au Canada.

Lorsqu'on lit l'article 106 dans son intégralité, il est pratiquement inconcevable, à moins de croire à une conspiration massive de la part tant de ce gouvernement que du précédent, que des ministres se livrent à une collusion pour relâcher dans l'environnement une substance connue pour être toxique. Rien dans cet article n'entame l'obligation de procéder à une évaluation.

La biotechnologie n'est qu'un procédé et une technologie parmi d'autres. Je suis très préoccupée de voir à quel point l'accent est mis sur elle. Cette insistance est très irresponsable. On peut faire tout autant de bien et de mal avec les technologies traditionnelles. Concentrer toute l'attention et tout le financement sur une technologie particulière signifie que l'on prêtera moins attention aux autres technologies. Les produits de biotechnologie doivent respecter la réglementation tout comme ceux de toute autre technologie. Ils ne sont pas différents.

J'ai participé de très près au débat sur la législation relative aux espèces menacées au cours des six dernières années. J'entends ce matin des arguments similaires. Nombre des changements que l'Institut du droit et de la politique de l'environnement et d'autres groupes réclament ne sont pas malavisés. Peut-être leur interprétation des données scientifiques peut-elle susciter quelques désaccords, mais ma grande divergence avec eux porte surtout sur leur approche. Ils ne cessent de citer la législation américaine et les procédures américaines. Cela ne fait qu'obscurcir le problème. Notre gouvernement ne fonctionne pas de la même façon que le gouvernement américain. Nos constitutions sont radicalement différentes. Vous ne pouvez pas tout simplement injecter des dispositions américaines dans des lois canadiennes pour que notre système fonctionne comme le système américain. Cela ne marche pas.

Il est également irresponsable d'ignorer les réalités politiques. On peut se payer de belles paroles dans une loi. Mais si personne, et surtout pas les provinces, ne va respecter cette loi parce qu'elle ne cadre tout simplement pas avec notre régime constitutionnel ou notre partage des compétences, nous n'aurons rien accompli. De belles phrases qui plairont à d'aucuns ne feront rien pour préserver l'environnement.

C'est réellement une grave préoccupation. Certains éléments du projet de loi ont été modifiés. Cela ne nous gêne pas. Pour reprendre un argument utilisé par l'Institut canadien des engrais, il ne fait aucun doute qu'une réglementation environnementale plus serrée inflige des coûts accrus aux agriculteurs.

Nous ne disons pas dans notre mémoire que nous ne voulons pas de cette loi. Nous disons que nous comprenons la nécessité d'une législation environnementale vigoureuse. Cela m'amène à l'argument qui voudrait que tout l'environnement soit contrôlé par une seule loi. Il faut plutôt veiller à ce que chaque loi contienne des garanties environnementales adéquates. Or, si on est obnubilé par un seul texte, cela permet à toutes les autres lois d'être moins strictes. Cet argument est gravement défectueux.

Il serait faux de dire que nous applaudissons à tout le contenu du projet de loi. De nombreux membres de la FCA n'aiment pas les contraintes. Il leur en coûtera de respecter ces règles, qui n'existent pas seules mais s'ajoutent à de nouvelles règles en matière d'innocuité des aliments et de transport des animaux, et j'en passe. Les agriculteurs doivent pratiquement être des juristes et des chimistes, de nos jours, pour s'y retrouver dans ces règlements, sans même parler de la culture du sol.

En bref, nous appuyons le projet de loi parce que nous savons qu'il est nécessaire. Il pourrait être différent et nous l'appuierions néanmoins, à moins qu'il empêche réellement les différents ministères de fonctionner. Il est inefficace d'essayer d'instaurer un nouveau système de gouvernement en bricolant des dispositions particulières d'une loi.

On peut débattre de la manière dont le Canada est gouverné, mais ne prétendons pas modifier le système en tripotant ces articles.

Sénateur Chalifoux, vous parliez tout à l'heure de l'élevage du porc aux États-Unis. Nous n'avons pas ce genre d'exploitation au Canada. L'exploitation de type familial continue à prévaloir chez nous. Près de 97 p. 100 des exploitations agricoles du Canada sont de type familial. Nous commençons à voir des exploitations plus grosses, mais sommes loin d'adopter les modèles américains.

Nous avons tiré les leçons de l'expérience américaine. Du point de vue économique, social et environnemental, entasser autant d'animaux, qu'il s'agisse de poulets ou de porcs, dans un espace réduit est une invite au désastre.

Il y a quelques problèmes en Alberta, nul ne le contestera. Des efforts sont en cours pour contenir et inverser les dégâts et pour trouver des modèles et modes d'utilisation des terres appropriées dans les années qui viennent.

Le sénateur Hays: J'ai une question pour la Fédération canadienne de l'agriculture concernant la biotechnologie et les innovations technologiques. Il y a manifestement une différence entre l'amélioration génétique traditionnelle des plantes et animaux et la biotechnologie. La différence réside dans la rapidité avec laquelle les changements interviennent et dans les risques potentiels supérieurs des transferts de gènes. M. Winfield a cité l'exemple des allergies aux noix déclenchées par du soja modifié.

Qu'est-ce qui vous fait penser que la structure d'agrément actuelle et celle prévue dans le projet de loi C-32 sont sûres? Avons-nous en place des procédures adéquates pour éviter les problèmes?

Mme Rutherford: Ce soja modifié n'a jamais été commercialisé. Il n'a jamais dépassé le stade de la recherche et il ne sera jamais commercialisé, certainement pas sans un étiquetage rigoureux.

Nous avons des règlements très stricts régissant les choses telles que les allergènes. Le fait est que la biotechnologie est un procédé. Le produit de la biotechnologie, l'aliment, doit respecter les mêmes règlements que tous les autres aliments. Ceux concernant les allergènes, la toxicité, l'innocuité et les répercussions environnementales de la culture, avant le stade de l'aliment, sont identiques. La biotechnologie, c'est ce qui se passe en laboratoire. C'est un procédé.

Le Canada continue de posséder l'un des systèmes d'évaluation les plus rigoureux et les plus respectés du monde. Certes, il pourrait être meilleur encore, mais nous l'avons. Si nous appliquons le même système aux produits de biotechnologie, nous ferons ce qu'il faut.

Je comprends bien le concept du principe de la prudence et l'inquiétude au sujet des effets à long terme, mais il faut bien savoir, pour prendre un exemple au hasard, que la nectarine est un hybride de pêche et de prune. Si l'on veut réellement faire des études sur le long terme, il faudrait retirer les nectarines du marché. C'est une innovation relativement récente.

Un autre exemple est la pomme Delicious. C'est un hybride de pomme et de poire. Va-t-on la retirer du marché jusqu'à ce que nous ayons des études d'impact longitudinales? On s'enlise très vite dans la complexité et l'émotion subjective. C'est là où commence la polémique. Il devient difficile de prouver qui a tort et qui a raison.

Le sénateur Hays: L'objectivité des ministères actuellement responsables de cela est mise en doute. Pourriez-vous nous parler de cet aspect? Le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire peut-il être objectif? D'aucuns pensent que non. Je ne partage pas cet avis, mais j'aimerais connaître le vôtre.

Mme Rutherford: Cela dépend de l'opinion que l'on a du fonctionnement des pouvoirs publics. Agriculture Canada est assujetti à une loi et est chargé de l'application de nombreuses autres lois qui doivent être sanctionnées par la Chambre des communes et le Sénat. Les règlements d'application sont sujets à des mécanismes d'examen courants, tant de la part du public que des membres du gouvernement. Le ministre ne se lève pas un beau matin pour dire: «Je n'aime pas cela, donc je ne le ferai plus.»

Si la législation et la réglementation actuelles ne sont pas adéquates, alors il faut les modifier. Mais elles existent et doivent être appliquées. Les fonctionnaires d'Agriculture Canada, pas plus que ceux d'Environnement Canada, n'ont pas la latitude de décider quel règlement ils vont respecter et lequel ils vont ignorer. Parce qu'un règlement existe, il dicte leur conduite.

Nous ne connaissons pas chez nous ces affaires qui déclenchent des psychoses alimentaires aux États-Unis. La raison en est que nous avons un système sophistiqué et bien géré qui respecte rigoureusement toutes les règles et directives. Je pense que nous pouvons lui faire toute confiance.

Le sénateur Hays: J'ai une question pour l'ICE. L'Association canadienne des fabricants de produits chimiques nous a expliqué son Programme de gestion responsable et son Programme ARET. Les engrais sont un produit chimique. Est-ce que vos fabricants sont membres de cette association et participent au Programme de gestion responsable et, dans la négative, pourquoi pas?

M. Larson: Les fabricants d'engrais collaborent étroitement avec les membres de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques (ACFPC) et nous avons un certain nombre de problèmes et préoccupations en commun.

Oui, nous recourons à la technologie chimique pour la fabrication ou la synthèse de nos produits. Je n'irais pas jusqu'à dire que nous sommes des fabricants de produits chimiques au même titre que les membres de l'ACFPC. Oui, nous prélevons de l'azote dans l'atmosphère et le transformons chimiquement en une forme absorbable par les végétaux. Nous le faisons dans des usines chimiques et nous utilisons le gaz naturel comme source d'hydrogène et d'énergie.

Nous employons également des procédés chimiques pour traiter la potasse extraite du sol, mais ces gisements sont d'anciens fonds marins accumulés il y a des centaines de millions d'années. Les dépôts de roche phosphatée sont en fait d'anciens ossements de dinosaures et presque tout le centre de la Floride est fait de tels dépôts.

Oui, nous acidifions chimiquement ces produits, nous les épurons et les concentrons et les convertissons en une forme assimilable par les plantes.

Appliquons-nous le Programme de gestion responsable? Nous usons de divers mécanismes de responsabilisation, mais nos industries sont différentes. Nous avons des choses comme le Programme d'experts-conseils agréés en culture, par lequel nous cherchons à transférer la technologie du laboratoire scientifique vers l'agriculteur et le détaillant, afin de diffuser les meilleures pratiques de gestion et le bon usage des engrais, en vue de protéger l'environnement et d'optimiser l'efficience économique.

Nous avons des lignes directrices pour les procédés de fabrication. À notre connaissance, le programme ARET n'est pas applicable à nos produits car, par définition, nos produits doivent être bénéfiques aux plantes et non toxiques.

M. Micek: Je peux vous parler de ma société, Agrium. Nous avons un ensemble exhaustif de meilleures pratiques de gestion. Elles sont tout à fait parallèles à celles du Programme de gestion responsable et portent sur les mêmes enjeux. Parallèlement, nous travaillons en collaboration très étroite avec les sociétés pétrochimiques appliquant le Programme de gestion responsable et suivons les mêmes orientations qu'elles. Je ne pense pas que le fait que nous soyons membres ou non soit réellement important. La question est de savoir si nous prenons au sérieux notre responsabilité pour l'environnement et la sécurité dans nos usines, et la réponse est oui. Nos membres ont mis en place des programmes qui le garantissent.

Le sénateur Chalifoux: Madame Rutherford, j'ai noté avec intérêt ce que vous avez dit du porc. Est-ce que le projet de loi empêche ce genre de chose d'arriver au Canada? On a voulu ouvrir un centre d'élevage de porc à Lethbridge mais, face à l'opposition locale, il a été construit au Manitoba. De quelle façon le projet de loi s'appliquerait-il à ce genre de projet?

Mme Rutherford: Le projet de loi, par lui-même, ne couvre pas ce genre de situation, pas plus que les amendements demandés par M. Winfield. La construction de ce centre a été rejetée pour diverses raisons, dont l'une était d'ordre écologique. Tout dépend presque entièrement du lieu d'implantation.

Cette loi prévoit une évaluation et cela ne changera pas, que le projet de loi soit amendé ou non. L'évaluation est requise. Franchement, c'est surtout du ressort provincial, et c'est pourquoi le centre sera construit au Manitoba plutôt qu'en Alberta.

La loi interviendrait, par défaut, si par exemple la conception du centre d'élevage était totalement défectueuse, sans aucune installation de retenue du lisier, ce genre de choses. Dans ce cas, le gouvernement fédéral pourrait être amené à intervenir, mais cela déclencherait pratiquement une crise constitutionnelle.

C'est la même argumentation que celle employée à l'égard de la législation sur les espèces menacées et d'autres lois similaires. Tout est conditionné par la Constitution canadienne et les rôles et responsabilités qu'elle attribue aux provinces.

La vérité est que les pouvoirs, constitutionnels ou inhérents, des provinces font que cette législation s'applique aux terres fédérales et aux domaines de compétence où le gouvernement fédéral possède clairement la primauté. Dans le cas que vous avez cité, sénateur, le gouvernement fédéral ne pourrait intervenir qu'à posteriori.

Je ne veux pas donner l'impression que le gouvernement du Manitoba a tort d'accepter ce centre d'élevage. En effet, je n'ai aucune idée des conditions imposées ni des mesures prises par la société pour assurer le respect des règles et des contraintes du Manitoba.

Le sénateur Chalifoux: Est-ce que le projet de loi rend plus trouble le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces ou bien contribue-t-il à le clarifier?

M. Larson: Notre soutien du projet de loi est solidement fondé sur l'accord d'harmonisation sur l'environnement passé entre le gouvernement fédéral et les provinces à peu près au moment du dépôt du projet de loi C-32. Cet accord d'harmonisation détermine quand une province se chargera de réglementer un domaine et quand elle transférera la responsabilité au gouvernement fédéral ou recherchera un rôle de coordination fédérale. La collaboration entre les provinces et le gouvernement fédéral a été plutôt bonne jusqu'à présent.

En l'absence de l'accord d'harmonisation, nous craindrions de nous retrouver dans une situation où le gouvernement fédéral et les provinces et leurs administrations respectives, n'étant pas tenus de s'accorder avant de réglementer, se livreraient à une bagarre administrative qui serait très coûteuse. Ce serait certainement très coûteux pour notre industrie d'avoir à répondre à deux paliers de réglementation différents. Ce serait très difficile pour nous et toucherait certainement notre compétitivité.

D'ailleurs, je crois savoir qu'on envisage actuellement aux États-Unis une dévolution de la protection environnementale aux États individuels, parce que davantage de contrôle local vaut mieux et que les États sont plus sensibles aux préoccupations locales.

Mme Rutherford: Le projet de loi apporte certaines modifications à la loi actuelle. Il précise certains éléments et, à mon avis, la modernise. Il fixe certaines lignes directrices et donne au gouvernement fédéral les moyens d'intervenir lorsque cela est nécessaire. À l'heure actuelle, les accords fédéraux-provinciaux sur l'environnement et les divers sujets connexes déterminent actuellement qui fait quoi. Ce sont eux qui rendent ce genre de législation applicable. En leur absence, nous ne pourrions inscrire dans une loi comme celle-ci des règles praticables.

Nous ne sommes saisis aujourd'hui que du texte de la loi. Nous ne connaissons pas encore tous les règlements, les annexes et tout ce qui va s'ensuivre. Ce sont ces textes qui préciseront comment les choses vont fonctionner concrètement.

Le sénateur Chalifoux: J'ai travaillé pendant de nombreuses années dans le nord de l'Alberta. Je vis à l'ouest de Morinville, qui est ma circonscription.

M. Micek: C'est tout près d'où je travaille.

Le sénateur Taylor: Le projet de loi donne aux citoyens un droit de poursuite. Est-ce que la Fédération canadienne de l'agriculture a un avis là-dessus? Tous les groupes écologistes se frottent les mains en songeant à Bhopal et Union Carbide ou Esso, qui ont des tonnes d'argent.

Que pensez-vous de l'éventualité que le droit de poursuite d'un citoyen se heurte au droit de cultiver?

Mme Rutherford: Sénateur, cette disposition permet à un citoyen de contester une décision du ministre. Ce n'est pas le droit de poursuivre un particulier. Quiconque peut certainement faire un procès à n'importe qui, à condition d'en assumer les frais. Certaines lois provinciales contiennent des dispositions similaires.

La disposition prévoit une action contre une décision ministérielle, non pas contre un particulier ou une société. C'est un système beaucoup plus complexe. Cela peut quand même être perturbateur. C'est pour nous une préoccupation grave. Mais cela ne va pas nécessairement à l'encontre du droit de cultiver la terre. Cela devient un enjeu du droit de propriété. C'est certainement en contradiction avec la faculté de gérer son exploitation comme on l'entend.

Il y a d'autres façons de régler certains de ces problèmes. Nous ne prétendons pas que tout le monde devrait être autorisé à faire tout ce qu'il veut, sans contrainte. Ce ne serait manifestement pas approprié, et il existe aujourd'hui d'innombrables règlements provinciaux -- car c'est surtout du ressort provincial -- qui interdisent les pratiques qui seraient les plus susceptibles de déclencher ce genre de chose.

Du point de vue de l'agriculteur, la probabilité que ce mécanisme puisse être utilisé contre un agriculteur en particulier n'est pas très forte à ce stade, mais la possibilité existe. C'est un souci, car cela pourrait ruiner le particulier.

L'un des écueils croissants d'une agriculture basée sur l'exploitation familiale est que cette dernière peut être érigée en société, mais les seuls actionnaires sont les membres de la famille, en général. Ce n'est pas Esso ou Shell, l'agriculteur n'est même pas membre de l'ICE, si bien que son fonds de défense juridique est ce qu'il possède dans son REER ou le fonds d'études universitaires du gamin. Il n'a pas d'autres ressources. Nous allons devoir, dans les années à venir, réfléchir de plus en plus au moyen d'aider une entreprise familiale confrontée à ce genre de problème.

Le président: Monsieur Larson, d'après ce que M. Micek a dit, les engrais ne sont pas considérés comme toxiques. Est-ce exact?

M. Larson: De façon générale, c'est juste, oui. Les engrais sont, par définition, un aliment pour les végétaux. Cela ne signifie pas que, dans certains cas, ils ne puissent pas avoir des effets toxiques à certaines concentrations. Une substance aussi bénéfique que l'ammoniac, qui est indispensable à la formation des protéines et à la vie elle-même, que l'on retrouve dans les sels médicinaux et dans les produits nettoyants, est également classé produit toxique aux fins du transport, car il existe sous une forme physique anhydre, c'est-à-dire qu'il recherche l'eau, c'est un gaz pressurisé qui peut être nocif à de forts niveaux d'exposition. Mais ce n'est pas normalement ce qu'un biologiste qualifierait de toxique.

Le président: Votre association serait-elle opposée à l'élimination ultime de substances qui ont un effet nocif immédiat ou à long terme pour l'environnement ou qui représente un danger pour le Canada et la vie ou la santé humaine?

M. Larson: Non.

Le président: En est-il de même pour la Fédération canadienne de l'agriculture? Auriez-vous des objections à l'élimination ultime de substances qui ont un effet néfaste pour notre société?

Mme Rutherford: Il serait stupide de s'opposer à cela. Là où il faut toutefois se montrer très prudent, c'est au niveau de la définition de ces mots.

Le président: Supprimer graduellement ou d'une manière appropriée serait peut-être une meilleure expression.

Mme Rutherford: Pour prendre un exemple au hasard, le mercure existe naturellement dans l'herbe. Les vaches mangent de l'herbe et il y a des traces de mercure dans le fumier de vache. Allons-nous interdire le fumier de vache parce qu'il contient du mercure? Il faut définir ces choses avec beaucoup de circonspection. Coucher simplement des mots sur papier ne signifie pas qu'une chose est possible, ni même souhaitable, franchement.

Le président: Mais vous convenez qu'il est approprié d'éliminer ces substances si elles ont des effets négatifs sur la population et notre environnement?

Mme Rutherford: De façon générale, oui.

Le président: Je ne parle pas ici d'éliminer l'herbe.

Mme Rutherford: Mais c'est l'une des difficultés. Je ne m'oppose pas à l'élimination des substances nocives, mais comment déterminer par quel moyen? Il ne suffit pas de dire qu'il faut éliminer. Dans le cas de l'ammoniac, il ne suffit pas de dire qu'il faut l'éliminer parce qu'il peut être toxique. Nous ne pouvons pas éliminer l'ammoniac, pas plus que le mercure. Nous pouvons le supprimer dans certains usages, peut-être, et selon certaines concentrations, mais l'élimination absolue n'est pas une approche rationnelle. Encore une fois, nul n'objecte à l'élimination des substances toxiques.

M. Micek: Je partage cette opinion. Sur le principe, tout le monde est d'accord. Personne ne veut voir des choses qui ont un effet délétère rejetées à volonté dans l'environnement. Dans le même temps, il faut savoir que l'environnement contient naturellement un grand nombre de ces substances et que nous vivons avec elles tout le temps. Il faut voir dans quelle mesure l'élimination est raisonnable ou déraisonnable. Prenez seulement l'exemple du mercure dans l'herbe. L'élimination des émissions supérieures au niveau ambiant est rationnelle. L'élimination de toute l'herbe contenant du mercure ne l'est pas. Il faut donc tracer des limites. Le principe est éminemment acceptable, et nous y adhérons tous. Mais ce qui est important, c'est le degré.

Le président: Je comprends ce que vous dites, mais ce n'est plus de la philosophie si on peut établir qu'une substance toxique donnée constitue ou pourrait constituer un danger pour la vie ou la santé humaine ou pourrait avoir un effet nocif immédiat ou à long terme sur l'environnement ou la diversité biologique. Ce n'est pas de la philosophie. Ce sont des notions plutôt concrètes.

M. Micek: Nous sommes d'accord, mais que signifie éliminer? Nous arrivons là à ce dilemme de la quasi-élimination et du seuil de détection. On peut dépasser le point où on obtient un avantage, et ce point est habituellement la concentration ambiante dans la nature.

Le sénateur Hays: À ce sujet, dans son exposé, le professeur Leiss a fait valoir que certaines substances toxiques pourraient être tolérées à cause des avantages qu'elles apportent dans un système fermé, qu'il s'agisse d'un procédé chimique ou d'autre chose, et que le seul problème est leur rejet. Supposons une substance qui, dans un système fermé, constitue un catalyseur ou a quelque autre effet bénéfique pour la fabrication de quelque chose dont nous avons besoin. Dans la mesure où la substance ne va pas s'échapper, que les précautions nécessaires sont prises, d'aucuns diront que la solution consiste à réglementer cette substance au lieu de suivre cette approche du feu rouge ou vert de la LCPE qui exige la quasi-élimination d'une substance toxique, même si elle a un effet positif à l'intérieur d'un système fermé.

Est-ce que cela vous amène à nuancer votre réponse? Je vous entends dire tous deux que ces substances doivent être éliminées, un point c'est tout, parce qu'elles sont intrinsèquement toxiques et n'ont pas d'effet bénéfique. C'est là un élément réellement intéressant de la dynamique entre témoins.

Certains disent que si une substance répond à cette définition, alors il faut la quasi-élimination. D'autres voient un peu moins loin et d'autres encore beaucoup moins loin que cela et disent qu'avant d'éliminer une substance, il faut déterminer son utilité dans tel ou tel procédé.

Je suis désolé de ne pas avoir de bon exemple d'une substance intrinsèquement toxique pouvant entrer dans cette catégorie. Je veux simplement m'assurer de comprendre votre position, à savoir que même si une substance a un effet bénéfique, vous voulez qu'elle disparaisse?

Le sénateur Taylor: L'arsenic pourrait être un exemple.

M. Micek: Ma réponse se situe dans le contexte des émissions dans l'environnement. Lorsqu'il n'y a pas d'émission dans l'environnement, il n'y a pas de dommage. Dans la mesure où vous pouvez garantir que la substance ne sera pas relâchée dans l'environnement pour causer les effets néfastes, il s'agit de veiller à ce que les moyens de sécurité voulus soient en place. Cela devient une question de rentabilité.

Le problème dans nombre de ces discussions est de savoir jusqu'où l'on veut pousser les exemples. Il y a de nombreux exemples en médecine où des médicaments bénéfiques à une certaine dose sont un grave poison à d'autres. Là aussi, on laisse les experts déterminer la dose appropriée.

Des exemples particuliers peuvent fournir des chiffres fiables. Il faut être très prudent, car tout est une question de degré. Je ne connais pas très bien le phosgène ou d'autres substances pires encore. Si l'on imposait des limites au rejet de telles substances dans l'environnement, il appartiendrait aux particuliers ou organisations qui utilisent le matériau de veiller à ce qu'il n'échappe pas de leurs installations en des quantités dépassant les limites imposées. Dans ce cas, la substance est limitée à son usage bénéfique, parce que cela est rationnel et parce que le coût de la protection de l'environnement en réduira l'usage.

Mes propos concernent la substance qui s'échappe de son contenant. Je ne l'interdirai pas nécessairement à l'intérieur du contenant, mais cela dépend des cas particuliers.

Mme Rutherford: Nous sommes d'accord avec cela et y ajoutons la définition de la biotechnologie et ses utilisations.

Le sénateur Cochrane: Les témoins précédents ont mentionné le phosgène dans le chlore. Nous avons besoin de petites doses de phosgène car nous ne pouvons nous passer de chlore pour la purification de l'eau. Les témoins précédents ont également mentionné le manganèse. Les multivitamines en contiennent.

Vous dites que vous passez à l'autoréglementation. Vous préféreriez que l'agriculture et les agriculteurs se contrôlent eux-mêmes. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait un contrôle réglementaire dans les cas où l'autoréglementation ne fonctionne pas. Je pense que la plupart des agriculteurs sont écologiquement responsables mais, comme dans toute autre profession, il y a quelques exceptions à la règle.

Mme Rutherford: Par autoréglementation, nous n'entendons pas la suppression des règlements existants ni même éviter des règlements encore plus stricts. Nous parlons de codes de pratique et de pratiques de gestion, qui donnent effet à ces règlements dans une mesure que les contrôles gouvernementaux eux-mêmes ne peuvent réaliser.

Les agriculteurs s'autoréglementent et contrôlent eux-mêmes l'application des règlements existants. La plupart se fixent des normes plus rigoureuses que les règlements actuels. L'application pratique des règlements se fait non seulement sur le plan de l'écologie, mais aussi celui de la sécurité alimentaire. Encore une fois, on a beau mettre dans un texte de loi tous les mots qu'il faut, sans contrôle et sans exécution on n'a que des jolis mots sur un bout de papier.

Le sénateur Cochrane: Un témoin a indiqué que les agriculteurs devraient être consultés sur les questions d'environnement. N'y a-t-il pas à l'heure actuelle de consultation de la part du ministre de l'Environnement?

M. Larson: Si, les agriculteurs sont régulièrement consultés sur divers sujets par le ministre de l'Environnement. Ils ne nous appellent pas chaque semaine pour avoir notre avis, mais nous rencontrons fréquemment les fonctionnaires d'Environnement Canada.

Le sénateur Cochrane: Pensez-vous que les intérêts des agriculteurs soient pris en compte dans les décisions?

M. Larson: Je ne puis parler des intérêts des agriculteurs, seulement de ceux des producteurs d'engrais. Je répondrais oui, dans une large mesure, à quelques exceptions notables près. Ce que je vais dire répond aux deux dernières questions.

Lorsqu'on parle de la nécessité d'un règlement, contraignant ou volontaire, et qu'il s'agisse d'un système fermé ou ouvert, on oublie souvent l'impact sur les entreprises. Quel est le fardeau administratif? Combien en coûte-t-il de fournir toutes les déclarations? Est-ce que ces contraintes protègent mieux l'environnement qu'un autre moyen, plus flexible, de parvenir aux résultats visés?

Nous avons eu une expérience malheureuse avec Environnement Canada lorsqu'il nous a demandé des données sur l'ammoniac. Nous leur avons dit que la question était libellée d'une manière qui était contraire au but recherché. Nous avons offert de fournir les données. Ils ont refusé. Nous leur avons dit que les chiffres qu'ils recevraient seraient inutilisables. Ils les ont exigés quand même. Le formulaire a été envoyé aux fabricants d'engrais, aux détaillants et aux agriculteurs. Ils ont reçu en retour des données sans signification. Ils nous ont alors appelés pour nous demander notre aide. Tout cela était dû au fait qu'ils ne comprenaient pas le problème. Ils ne comprenaient pas les renseignements qu'ils demandaient. Ils ne comprenaient pas le fondement scientifique.

Nous demandons à être régis par l'organisme réglementaire approprié. C'est parce que celui-ci connaît bien son sujet. En l'absence de cette connaissance, de gros problèmes peuvent surgir.

J'ai expliqué ce problème à un ministre adjoint d'Environnement Canada. Il en était écoeuré. Il arrive à tout le monde de faire des erreurs. Nous cherchons à travailler avec Environnement Canada pour faire les choses bien. La plupart de ces scientifiques font preuve de la plus haute conscience professionnelle. Ils recherchent des solutions aux problèmes environnementaux et sont désireux de collaborer.

En revanche, il arrive qu'il y ait des difficultés. Dans cette loi, nous cherchons des solutions pratiques -- créer une loi dans le cadre de laquelle nous puissions travailler de telle façon que les règles de protection de l'environnement puissent être appliquées à un coût abordable. Nous voulons qu'il protège l'environnement sans détruire la compétitivité de l'économie canadienne. Nous cherchons les façons d'éviter les règlements inutiles qui ne font que coûter de l'argent sans rien améliorer du tout.

Le sénateur Cochrane: Pensez-vous que le projet de loi C-32 soit pratique pour l'industrie de l'engrais?

M. Larson: Oui, avec les amendements apportés par le gouvernement au stade du rapport, je pense que la plupart des grandes préoccupations d'ordre pratique ont été réglées. Le projet de loi est à un niveau où nous pouvons fonctionner avec lui.

Nous aimerions voir d'autres changements. Nous les avons résumés dans notre exposé et je ne les répéterai pas. Mais oui, nous aimerions voir quelques autres changements dans le projet de loi C-32. La réponse générale est que la plus grande partie du projet de loi est gérable, et c'est pourquoi nous demandons une demi-douzaine de changements, pas 200.

Mme Rutherford: Notre position sur le projet de loi est à peu près la même que celle que M. Larson vient d'esquisser pour l'ICE.

J'apprécie l'attitude dont le comité fait preuve à l'égard des témoins. Pour répondre à votre question, trop souvent, Environnement Canada nous considère comme l'ennemi, d'emblée. Il est difficile pour les deux parties de surmonter cet antagonisme. Lorsqu'une partie part du principe que l'autre a tort, cela ne facilite pas le dialogue. On ne parvient pas à transmettre certains renseignements ou amener l'autre partie à croire qu'ils sont importants.

Le comité de l'environnement de la Chambre des communes était incroyablement agressif. Franchement, c'était très insultant. En tant que Canadienne, j'ai tout de même droit à mon opinion. Mon organisation a droit à son opinion, que d'autres la partagent ou non. J'inscris à votre crédit, et à celui du processus, que vous m'ayez invitée à témoigner et me posiez des questions poliment.

Il faut trouver de meilleures modalités de concertation avec Environnement Canada. Nous avons eu une expérience positive avec Santé Canada, au sujet de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLP), avec qui nous avions également eu des relations difficiles au fil des ans mais avec laquelle, à la surprise générale, nous commençons à avoir une bonne relation de travail. Nous ne sommes pas d'accord sur grand-chose, mais nous sommes au moins parvenus au stade où nous pouvons travailler de concert pour trouver des solutions appropriées qui vont réellement donner des résultats. Nous aimerions qu'il en soit de même avec Environnement Canada.

Un processus différent a été suivi dans le cas de la Loi sur les espèces menacées que pour la LCPE. Le ministère a fait des efforts en ce sens, mais c'est difficile pour tout le monde.

Le sénateur Cochrane: Est-ce que d'autres secteurs ont les mêmes difficultés que vous avec le ministère de l'Environnement?

Mme Rutherford: Je pense que c'est assez généralisé. Si vous gagnez un sou à faire autre chose qu'à participer à des consultations sur l'environnement, c'est un point noir contre vous dès que vous passez la porte. Mais cela passe souvent rapidement.

D'un autre côté, lorsque le ministère nous appelle, nous sommes souvent soupçonneux. Il serait bon de parvenir à éliminer certaines de ces difficultés. Je pense que toutes les parties s'y efforcent. Ce problème n'existe pas seulement avec le secteur privé, mais aussi à l'intérieur du gouvernement. C'est une question de territoire et de confiance, mais si nous pouvions tous aborder le processus en pensant que tout le monde veut le bien de l'environnement, mais en sachant que nous avons des perspectives et des attitudes différentes, cela marcherait mieux.

Dans le cas de l'ARLA, nous avons donné beaucoup plus que quiconque l'aurait jamais imaginé. Le seul fait que quelqu'un s'assoie avec nous et explique certaines choses que nous ne comprenions pas, et de pouvoir expliquer ce que eux ne comprenaient pas, a fait une différence énorme. Si nous pouvions avoir une telle relation avec Environnement Canada plus souvent, tout le monde s'en porterait mieux.

Le président: Merci à tous d'être venus aujourd'hui et de nous avoir faire part de vos avis.

La séance est levée.


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