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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 11 juin 1998

Le comité sénatorial permanent des finances nationales, saisi de l'étude du projet de loi C-36, loi portant exécution de certaines dispositions du budget de 1998 déposé au Parlement le 24 février 1998, se réunit ce jour à 9 h 45 pour conduire ses travaux.

Le sénateur Terry Stratton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre premier témoin est M. George Butcher. Voulez-vous commencer par une présentation, monsieur Butcher?

M. George Butcher, McGill Association of Continuing Education Students: Honorables sénateurs, je vais me fonder sur des données publiées dans la Gazette de Montréal. C'est en effet grâce à ce journal que j'ai suivi ce qui se passe depuis dix jours.

J'ai décidé de venir ici parce que je suis révolté d'entendre dire qu'il y a unanimité au Québec pour que tout soit confié à cette province. Bien sûr, je ne crois pas que cela soit vrai. Par ailleurs, j'ai été surpris que la direction de l'éducation continue me demande de venir à Montréal pour expliquer mon point de vue.

Cette situation me rappelle celle de David Levine à Ottawa, dont la nomination a provoqué une levée de boucliers. Personnellement, je n'avais rien contre, mais les gens qui sont contre sont précisément ceux qui ont élu William Johnson à la tête d'Alliance Québec, que je soutiens.

Je vous ai fait remettre trois articles que j'ai signés l'année dernière. De plus, j'ai inclus deux articles que je trouve particulièrement intéressants. L'un, qui est extrait du New York Times, parle de la notion générale de séparation. L'auteur y précise qu'aux États-Unis il n'est absolument pas question de faire éclater un pays, ni de le subdiviser.

Dans un monde chimérique, je vois très bien Montréal comme étant une onzième province. Toutefois, c'est irréalisable sur le plan pratique. Je tenais simplement à vous le mentionner en passant. Je suis loyal envers la région de Montréal.

Les autres articles intéressent plus particulièrement McGill. L'un est extrait du Sunday Times de Londres, et l'on peut y lire que McGill fait partie des dix centres d'excellence universitaires des grandes puissances occidentales. Cinq se trouvent aux États-Unis, deux en Angleterre, un en Allemagne et un autre en France. Je suis flatté par le fait qu'on y retrouve McGill. Je ne pense pas que ce soit vrai, mais c'est tout de même flatteur.

Je suis simplement venu ici pour contester l'idée voulant qu'il y ait unanimité au Québec quant au refus d'adhérer à la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire. J'entretiens des réserves à propos de ces bourses, mais j'y suis favorable, même si je n'appuie pas le Parti libéral à Ottawa.

Le président: Pourriez-vous nous dire pourquoi vous appuyer le Fonds du millénaire?

M. Butcher: Je fais une distinction très claire entre bourses et prêts. Une bourse doit être fondée sur l'excellence et sur l'excellence seulement, ce qui veut dire que les gens doivent postuler pour l'obtenir. Elle ne doit rien à voir avec le milieu auquel vous appartenez, le genre d'études que vous avez effectuées, ou que sais-je encore.

J'ai obtenu une bourse quand j'ai été à Yale, et je crois dans ce système. C'est un système indépendant, comme doit l'être toute fondation. J'entretiens cependant quelques réserves quand on dit que ce fonds devrait être confié au Québec. C'est justement ce qu'il ne faudrait pas faire.

Le Sunday Times parle de dix universités. J'ai obtenu un diplôme de deux d'entre elles et je suis sénateur à McGill. J'ai donc un lien avec trois de ces universités sur dix.

Le sénateur Bryden: Qui sont les étudiants de l'éducation continue à McGill?

M. Butcher: Il y a environ 7 000 étudiants adultes, forcément à temps partiel. McGill offre une série de diplômes et de certificats, mais il est admis qu'aucun de ces étudiants ne fréquente l'université pour obtenir un grade universitaire. Dix pour cent seulement des étudiants de l'éducation continue se retrouvent dans mon domaine: les études culturelles. Les autres sont dans des domaines comme la gestion. Vous le voyez, là aussi j'appartiens à une minorité.

Le sénateur Bryden: Auriez-vous une objection si la méthode de répartition des bourses était-elle que les provinces puissent déterminer les critères de choix des bénéficiaires, en liaison avec la fondation, et qu'elle fournisse ensuite une liste de candidats possibles?

M. Butcher: Je n'aurais rien contre l'établissement d'une liste, en revanche, je n'aimerais pas qu'elles s'en mêlent. J'estime que cette procédure devrait être entièrement indépendante. Si l'on se fonde sur une liste de personnes choisies par Québec, il n'y a plus d'indépendance. Cela devient une situation très politique.

Le sénateur Forest: Vous nous avez dit la façon dont vous concevez la notion de bourse, et vous rejoignez en cela la position du milieu universitaire. Une bourse ne doit être accordée que sur la base du mérite. Le problème auquel nous nous sommes trouvés confrontés, c'est que plusieurs étudiants sont méritants -- même s'ils ne sont pas dans les premiers de classe --, et qu'ils éprouvent en outre de tels besoins financiers que sans bourse ils ne pourraient pas aller à l'université. Dans ce genre de cas, le critère est financier. Il y a sans doute des étudiants de familles pauvres ou très pauvres qui méritent d'aller à l'université d'après leurs résultats scolaires. Un certain pourcentage du fonds pourrait donc être attribué strictement sur la base du mérite. Cela vous pose-t-il problème?

M. Butcher: Sur un plan philosophique, oui. J'estime que les prêts et bourses normaux doivent être accordés en fonction des besoins des étudiants et de la nécessité de favoriser l'accès à l'université, alors que les bourses du millénaire devraient être accordées uniquement en fonction de l'excellence. C'est ce que nous célébrerons en l'an 2000.

Le sénateur Forest: Alors peut-être pourrait-on qualifier de «bourses simples» le pourcentage du fonds qui sera attribué sur la base des besoins financiers et de «bourses du millénaire» le reste.

M. Butcher: Vous contournez le problème.

Le sénateur Forest: La plupart des gens estiment que, pour ce fonds, il faut tenir compte du mérite, mais qu'il faut également prendre en considération les besoins financiers des étudiants qui, sans cette aide, ne pourraient accéder à un enseignement postsecondaire.

M. Butcher: Vous savez, le mérite revêt plusieurs formes et il ne se ramène pas simplement à une note de cours. On a décrété, dans le cas de la bourse Rhodes, que celle-ci n'aurait rien à voir avec les besoins des étudiants. C'est ainsi que je vois les choses en ce qui concerne la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire, mais cela ne veut pas dire qu'il en sera ainsi. C'est mon point de vue à moi.

Le sénateur Forest: Nous essayons de régler le problème des besoins financiers de certains étudiants, mais nous aimerions également que ce fonds serve à récompenser un mérite exceptionnel, parce que je suis d'accord avec vous: c'est ce qu'il y a de plus important.

Le sénateur Bolduc: L'alinéa 10a) précise:

[...] le conseil possède les connaissances nécessaires concernant le monde de l'éducation postsecondaire et les besoins de l'économie canadienne.

La bourse serait donc accordée en fonction du mérite et des besoins des étudiants. Autrement dit, le projet de loi ne correspond pas à votre conception d'une bourse de ce genre.

M. Butcher: Je suis sûr que vous avez raison.

Le sénateur Bolduc: Hier, des représentants d'étudiants nous ont dit que les recteurs d'université, les directeurs d'université dans les provinces, les directeurs de collège, les fédérations d'étudiants aux niveaux provincial et fédéral, le syndicat représentant les enseignants, les enseignants de collège et les professeurs d'université pensent tous qu'il faudrait revoir le projet de loi. Qu'en pensez-vous?

Vous avez dit qu'il n'y a pas de consensus, mais les gens du milieu de l'éducation et des différents partis politiques au Québec sont sur la même longueur d'onde à cet égard.

M. Butcher: C'est précisément pour cela que je suis venu ici: pour contester ce point de vue. Je n'ai pas lu la Gazette de ce matin et je ne sais pas ce qui s'est passé hier. Je vais simplement faire pencher un peu plus la balance de mon côté, parce que je ne suis pas d'accord avec ce soi-disant consensus au Québec. Je suis en profond désaccord avec cela.

Le sénateur Bolduc: Je compte M. Shapiro au nombre des personnes auxquelles je faisais allusion tout à l'heure.

M. Butcher: Je ne suis pas forcément toujours d'accord avec lui non plus.

Le président: Hier, les étudiants ont notamment argué du fait que, depuis 1964, il existe une tradition de retrait des provinces de ce genre de programmes. Ils craignent qu'en faisant cela, on ne brise cette tradition. Comment réagissez-vous à cela?

M. Butcher: Je ne suis pas forcément favorable à la tradition. La tradition voulait que le Parti libéral du Québec ne présente personne contre M. Bouchard. Résultat: je me suis présenté contre lui et je suis arrivé deuxième... bien sûr, et je m'empresse de le dire, c'est parce que les libéraux n'avaient présenté personne.

Le président: Donc, vous ne craignez pas vous-même que cela constitue un précédent. Autrement dit, que si l'on brise la tradition à cette occasion, on pourrait briser d'autres traditions du même genre en d'autres occasions et pour d'autres raisons?

M. Butcher: Je ne considère pas la tradition comme étant un niveau de gouvernement supérieur.

Le président: Disons que c'est un accord qui a été maintenu.

M. Butcher: Alors, il est temps de changer les choses.

Le président: Êtes-vous satisfait de la façon dont a été établie la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire, de la façon dont les bourses seront distribuées? Cela ne vous préoccupe pas?

M. Butcher: J'ai déjà exprimé mes préoccupations à cet égard mais, dans l'ensemble, je suis d'accord avec ce qui est prévu.

Le président: Eh bien, puisqu'il n'y a pas d'autres questions, il me reste à vous remercier pour votre exposé.

Nos prochains témoins sont les représentants de l'Association du Barreau canadien, Section de la faillite et de l'insolvabilité.

Je pense que la lettre que vous avez adressée au greffier a été distribuée, comme votre lettre au ministre Martin.

Je vous en prie, commencez.

Mme Tamra L. Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien, Section de la faillite et de l'insolvabilité, Association du Barreau canadien: Nous avons effectivement distribué la lettre que nous avions adressée au ministre des Finances à propos de ce projet de loi. D'ailleurs, elle ne concerne qu'un seul aspect du projet de loi C-36.

L'Association du Barreau canadien est une association nationale représentant plus de 35 000 juristes partout au Canada, dont des avocats, des notaires, des professeurs et des étudiants de droit, appartenant à tous les volets de la pratique du droit.

L'un des principaux objectifs de notre association est d'améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est d'ailleurs à ce titre que nous comparaissons aujourd'hui devant votre comité.

Je vais demander à M. Klotz de vous parler de la question de fonds énoncée dans la lettre que nous avons adressée au ministre Martin.

M. Robert A. Klotz, président, Section nationale de la faillite et de l'insolvabilité, Association du Barreau canadien: Honorables sénateurs, je vais surtout vous parler d'une des dispositions du projet de loi C-36, à savoir l'article 103. Celui-ci porte la période précédant la libération de la faillite de deux à dix ans. Je commencerai par faire un bref historique de la façon dont les prêts étudiants ont été traités dans la Loi sur la faillite, puis je vous parlerai de ce qui nous préoccupe relativement à la procédure prévue et je terminerai par nos préoccupations de fonds.

Pour ce qui est de l'aspect historique et de la situation actuelle, jusqu'au mois d'avril 1998, autrement dit il y a deux mois, les prêts étudiants n'étaient pas traités différemment des autres dettes dans le cas d'une faillite. Ils s'éteignaient en même temps que la faillite. Il y a eu cependant des abus, autrement dit des gens ont déclaré faillite alors qu'ils avaient l'intention ou qu'ils envisageaient de gagner d'importants revenus et qu'ils n'avaient pas d'autres dettes en souffrance. Cependant, la plupart de ces abus étaient détectés dans le processus de libération de la faillite, étant donné que neuf mois environ après la déclaration de la faillite, il suffit que des créanciers s'objectent à la libération pour que le failli doive se présenter devant un tribunal et qu'un juge détermine les conditions de sa libération. Le juge pouvait, et peut toujours ordonner que toute la dette soit remboursée s'il est établi que le débiteur a essayé de manipuler le système. Il existe, dans la jurisprudence, de nombreux exemples d'étudiants ayant fait faillite et qui ont dû rembourser leurs dettes en totalité ou du moins qui ont dû en rembourser une importante partie, soit plus de la moitié.

La réforme de 1998 est venue mettre d'autres obstacles aux abus du système. En vertu de la loi actuelle, les prêts étudiants sont exclus de la libération de la faillite; autrement dit, ils ne s'éteignent pas au moment de la faillite si celle-ci est déposée dans les deux ans suivant la fin d'études à temps plein ou à temps partiel. Si un étudiant déclare faillite durant la période de deux ans qui suit la fin de ses études, il peut demander à être libéré de son prêt étudiant 24 mois plus tard s'il parvient à convaincre le tribunal qu'il a agi de bonne foi en déclarant faillite et qu'il ne sera pas en mesure de rembourser son prêt à cause de difficultés financières passées et avenir. En outre, la réforme de 1998 prévoit une procédure de médiation dès qu'un créancier s'objecte aux conditions de la libération ou désire qu'une condition soit imposée à cette libération.

En vertu de la loi actuelle, trois tribunes peuvent être appelées à trancher dans tout cas d'abus du système de prêts étudiants. Il y a d'abord la médiation, que peut demander le service des prêts étudiants et au cours de laquelle il pourra faire valoir son point de vue et rechercher une solution commune avec le failli. La deuxième tribune est l'audience de libération où le service de prêts étudiants, ainsi que tous les créanciers -- il est possible qu'il n'y ait pas d'autres créanciers importants dans ce genre de cas -- essaient de persuader le juge que la faillite est abusive. Ils peuvent soutenir que le débiteur ne mérite pas d'être libéré de son emprunt parce que, après tout, c'est grâce à son éducation, financée par le prêt, qu'il pourra gagner son futur revenu. Le troisième mécanisme de lutte contre les abus est celui du droit actuel prévoyant une période de latence de deux ans. Si la faillite est déclarée avant expiration de la période de deux ans suivant la fin des études, le prêt ne s'éteint pas automatiquement, sauf si l'emprunteur peut prouver qu'il est en difficultés financières. Il existe donc trois mécanismes de lutte contre les abus en vertu de la loi actuelle.

L'article 103 du projet de loi C-36 propose de faire passer la période de deux à dix ans. Ainsi, si un étudiant déclare faillite, disons, cinq ans après la fin de ses études à temps partiel, son prêt étudiant ne s'éteindra pas automatiquement. Il devra attendre cinq autres années avant de demander l'extinction de son prêt, c'est-à-dire dix ans après son dernier cours à temps plein ou à temps partiel. Si l'étudiant ne parvient pas à faire éteindre son prêt, on peut supposer qu'à ce moment-là il devra de nouveau déclarer faillite pour s'en faire libérer.

Passons maintenant à la question des procédures. Notre Section nationale de la faillite et de l'insolvabilité, à l'Association du Barreau canadien, a eu vent de cette disposition du projet de loi à la fin du mois de mai, à peine quelques jours avant l'adoption du projet de loi par la Chambre des communes. Cela nous a surpris, parce que les réformes de la Loi sur la faillite -- adoptées en septembre 1997 et mises progressivement en vigueur en avril 1998 -- réformes dont j'ai parlé plus tôt, avaient fait l'objet d'intenses consultations.

La dernière série de réformes de la Loi sur la faillite remonte à 1992, à l'époque de la mise sur pied du Comité consultatif sur la faillite et l'insolvabilité, le CCFI, composé de délégués constituant un échantillon représentatif des milieux de l'insolvabilité et du crédit, de même que de groupes de consommateurs. La loi qui a découlé de cette consultation a été soumise à la plupart des parties intéressées pour qu'elles l'examinent et fassent part de leurs réactions. Il était prévu que cette loi serait revue tous les cinq ans, et c'est ce que nous faisons maintenant.

En revanche, cette modification a été adoptée par l'autre Chambre, après très peu de consultations, pour ne pas dire aucune. Nous n'avons pas été en mesure de faire part de notre point de vue au comité de l'autre Chambre. Nous trouvons cela très troublant, parce que l'un des problèmes qu'a posés la dernière série de réformes a justement été le manque de données statistiques sur lesquelles on aurait pu baser la réforme de la faillite des consommateurs. Une grande partie de ce manque de données concerne justement la façon dont les prêts étudiants sont traités dans les cas de faillite.

Permettez-moi de vous lire quelques extraits du rapport du comité sénatorial permanent des banques et du commerce à propos du projet de loi C-5, qui a été adopté à l'unanimité au Sénat. On y trouve des commentaires sur plusieurs aspects pertinents à ce qui nous intéresse aujourd'hui. Malheureusement, je ne pourrai vous citer les numéros de page, parce que je vais m'appuyer sur la version Internet. Voici ce qu'on peut lire dans ce rapport:

Ici encore, on semble croire que les gens font de la manipulation, quoique les preuves à l'appui de cette hypothèse soient rares. L'un des effets possibles de cette modification pourrait bien être de décourager les gens de recourir à la faillite. Résultat: les créanciers ne seront toujours pas payés, et les problèmes d'endettement, le stress et divers autres problèmes sociaux persisteront.

Puis, quelques paragraphes plus loin:

Le projet de loi C-5 [...]

... qui fixe à deux ans la période de non-libération...

[...] fera du prêt étudiant une dette non libérable, lorsque la faillite surviendra dans les deux ans de la fin des études -- à temps plein ou à temps partiel -- du débiteur. Pourquoi faudrait-il traiter différemment les prêts étudiants? A-t-on la preuve que les étudiants se servent du régime des faillites pour échapper à leurs obligations?

On a donc posé la question à l'époque, mais on n'y a pas répondu.

Deux paragraphes plus loin, on lit:

Les témoins de l'administration publique reconnaissent que les données permettant de comprendre les faillites de consommateurs sont très peu abondantes. Industrie Canada finance actuellement une étude qui permettra d'établir le profil des débiteurs qui sont passés par le processus de l'insolvabilité. On y trouvera quelques renseignements très préliminaires sur les faillites de consommateurs, mais pas l'information détaillée dont on a besoin pour bien comprendre les causes et les mécanismes de l'insolvabilité des consommateurs. Le comité s'attend que le ministère se fondera sur les résultats de son étude préliminaire pour entreprendre une très nécessaire étude en profondeur de la question. Cette étude poussée, ainsi qu'un débat public, permettront d'analyser en connaissance de cause la politique gouvernementale dans ce domaine. On peut dire la même chose des faillites d'étudiants.

Quelques paragraphes plus bas, les auteurs du rapport précisent:

Le comité, nous le répétons, éprouve de sérieuses réserves à l'égard du processus qui a abouti au projet de loi C-5 ainsi que du traitement général qui est accordé aux faillites de consommateurs. Il souhaite qu'à l'avenir les modifications qui seront apportées à la législation sur la faillite fassent l'objet d'un processus de consultation beaucoup plus vaste et, plus particulièrement, que le traitement des faillites des consommateurs repose sur un fondement conceptuel solide.

Malgré ces réserves très nettes du Sénat, nous nous retrouvons aujourd'hui après l'adoption d'une modification qui n'a fait l'objet d'aucune consultation et qui ne s'appuie sur aucune donnée statistique.

Nous estimons déplacé d'avoir apporté ce genre de changement sans s'être appuyé sur des données ni sur des consultations. Je vous pose la question: pourquoi cela est-il tellement important? À ce propos, nous pouvons nous tourner vers l'expérience américaine. Dans une certaine mesure, les Américains ont apporté les mêmes réformes que celles que nous envisageons. Jusqu'en 1976, on traitait les prêts étudiants aux États-Unis de la même façon qu'ici, c'est-à-dire en tant que dettes générales. En 1976, le gouvernement fédéral a imposé une période de latence de cinq ans semblable à notre période de deux ans. En 1991, cette période a été augmentée à sept ans. Une exception est prévue: un tribunal peut accorder la libération si l'ex-étudiant fait la preuve de difficultés financières extraordinaires.

Cette disposition vient récemment d'être revue en profondeur, en même temps que tout le système de la faillite aux États-Unis. La National Bankruptcy Review Commission a publié son rapport le 20 octobre 1997, dont le point 1.4.5 traite spécifiquement des prêts étudiants et de cet aspect en particulier. Le rapport recommande que l'on supprime ce genre de dispositions, et les raisons de cette recommandation rejoignent les préoccupations que nous entretenons à propos du processus envisagé, parce que, dans ce domaine, la réalité est différente de l'idée qu'on se fait des choses. Nous partons du principe qu'il y a abus et que certains étudiantes ou étudiants empruntent beaucoup d'argent, puis font une faillite abusive pour effacer leurs dettes. Il est vrai que c'est ce qui se produit dans certains cas, mais la question est de savoir si cela se produit souvent et dans quelle proportion? La National Bankruptcy Review Commission s'étend sur ce sujet. On peut lire dans son rapport que la Commission de 1970 a reconnu que l'abus des prêts étudiants est davantage question de perception que de réalité.

Elle cite des données du General Accounting Office selon lesquelles une fraction de tous les prêts étudiants arrivés à maturité a été effacée dans des faillites et que seuls 3 à 4 p. 100 des prêts étudiants non remboursés sont dus à des faillites, taux qui se compare avantageusement à celui rencontré dans le secteur des prêts à la consommation. L'étude a permis de constater que les débiteurs ayant été libérés des prêts étudiants dans une faillite avaient d'autres dettes importantes, ce qui permet de conclure que ces faillites découlaient de véritables besoins financiers et qu'elles n'étaient pas des tentatives visant à être facilement libéré d'un prêt étudiant.

Certes, il s'agit-là de l'expérience américaine, et ce n'est pas forcément la même chose au Canada. Cependant, on constate que la réalité est différente de la perception, et ce pourrait fort bien être le cas au Canada également.

Le rapport américain se poursuit ainsi:

D'après des données empiriques sur des causes de 1981, moins de 7/10 d'un pour cent de la dette totale des salariés -- dans les causes de faillite de consommateurs -- concernait des prêts étudiants.

Puis, on parle de la disposition relative aux difficultés financières exceptionnelles:

Ainsi, les emprunteurs qu'on est le plus susceptible de retrouver en grand nombre dans les tribunaux...

Ici, les emprunteurs doivent prouver qu'ils subissent des difficultés excessives pour être libérés de leurs prêts étudiants. Le rapport se poursuit:

[...] sont ceux là même qui sont le moins en mesure de plaider leur cause. Le risque de perdre une cause est également très grand. S'il ne parvient pas à faire admettre sa preuve, le débiteur doit plus tard rembourser son prêt étudiant et acquitter d'importants frais judiciaires.

On peut lire:

Comme nous l'avons vu précédemment, aucun des éléments dont nous disposons n'indique qu'il y a eu abus systématique du système de faillite quand les prêts étudiants étaient plus facilement libérables...

À en juger par les premières expériences qui permettaient la libération des prêts étudiants et par les données à long terme relatives à l'effet des déclarations de faillite, l'argument voulant que des futurs professionnels cossus se presseraient au portillon pour déclarer faillite et être libérés de leurs prêts étudiants, ne tient pas.

Il est indéniable que nous devons réexaminer les données disponibles pour déterminer de quoi il s'agit. Les Américains, eux au moins, se sont appuyés sur des données qui leur ont permis de prendre une décision informée. Il est vrai qu'il y a eu des abus et qu'il faut faire quelque chose pour les combattre dans l'avenir. Cependant, est-ce que cette disposition -- qui n'est vieille que de deux mois -- est suffisante? Si elle ne l'est pas, jusqu'à quel point faudra-t-il se montrer sévère sans être injuste envers les innocents, autrement dit envers les gens de bonne foi, les pauvres et les sans-emploi. Il faut réfléchir à cela avec modération. Plus loin, on lit:

Voici le profil que le General Accounting Office dresse des délinquants: ils ont été dans une école de métier ou un établissement professionnel; ils touchent un faible revenu, cinq études établissant que la majorité des délinquants ont des revenus de 10 000 $ ou moins; les emprunteurs étaient au chômage au moment où leur prêt a été déclaré délinquant; ils avaient emprunté de petites sommes; ils n'avaient que peu voire aucun soutien financier extérieur; beaucoup appartenaient à une minorité visible; quelques-uns n'avaient pas de diplôme de fin de secondaire; beaucoup n'avaient pas terminé le programme pour lequel ils avaient obtenu un prêt étudiant, et ils ne l'ont suivi qu'un an ou moins.

Il y a plus encore. Le rapport du Sénat sur le projet de loi C-5 et les commentaires formulés par la National Bankruptcy Review Commission qualifient d'inappropriée la prolongation de la période de deux à dix ans, sans qu'on se soit appuyé sur des données ni sur des consultations.

La perception est peut-être très différente de la réalité. En vérité, nous ne connaissons pas la nature de la situation qui règne au Canada. Voilà pourquoi nous avons jugé nécessaire de comparaître devant vous à l'occasion de l'examen quinquennal de la loi. Voilà pourquoi le rapport du Sénat souligne ce genre de nécessité.

Enfin, les problèmes soulevés par la période de latence de dix ans sont très différents de ceux que pose une période de latence de deux ans seulement, sans compter que celle-ci a fait l'objet de consultations poussées. Cela m'amène à exprimer plusieurs préoccupations de fonds. Les cinq préoccupations que je vais vous mentionner ne sont pas exhaustives mais je vous invite à en prendre note.

D'abord, nous estimons que le projet de loi décourage les chômeurs de s'inscrire à des cours ou de retourner à l'école, même ceux qui se financent de leur côté. S'ils retournent à l'école alors qu'ils ont un prêt étudiant non remboursé, ils repartiront avec une nouvelle période de latence de dix ans. Ils devront donc attendre dix années -- pas après leur dernière année d'école, mais après les cours qu'ils viennent d'entrependre -- pour être libérés de leur prêt en vertu de la Loi sur la faillite.

Ce problème ne concerne pas la période de deux ans, parce qu'on ne veut pas parler de grandes difficultés dans le cas d'une personne reprenant ses études deux ans après les avoir interrompues. En revanche, la période de dix ans est déraisonnable dans le cas d'une personne qui désirerait reprendre ses études à l'intérieur de ce délai. Ne risque-t-elle pas d'être découragée de le faire?

Deuxièmement, par sa structure même, le projet de loi part du principe -- ce qui est tout à fait normal -- que des gens peuvent agir de bonne foi et ne pas être en mesure de rembourser leurs prêts étudiants ni maintenant, ni dans l'avenir, et qu'il est normal que des gens dans cette situation déclarent faillite. Voilà qui explique la disposition prévoyant un examen juridique après dix afin de déterminer si tel est le cas.

Conformément au libellé approuvé par l'autre Chambre, cela ne peut être déterminé qu'une fois écoulé un délai de 10 ans après le dernier cours à temps plein ou à temps partiel. Cela oblige les débiteurs honnêtes, de bonne foi, à passer par un purgatoire sans qu'il soit possible de tenir compte de leur bonne foi avant que le délai de dix ans soit écoulé.

Pourquoi les deux périodes correspondent-elles, celle de dix ans au terme de laquelle le tribunal est appelé à donner sa clémence ou non, et celle correspondant au délai de latence pour que des prêts étudiants puissent être effacés? Il n'y a aucune raison à cela. Un délai de latence de deux ans suffit; il n'y a pas de problème. On n'impose pas de grandes difficultés aux gens quand on leur demande d'attendre deux ans. Il est normal que la recherche d'un emploi prenne un certain temps après la fin des études. Pourquoi obliger quelqu'un à attendre dix ans pour faire la preuve de sa bonne foi, pour prouver qu'il est démuni et qu'il ne peut mettre de nourriture sur la table pour ses enfants?

Ces gens-là devront prendre part à deux audiences: l'une en compagnie des créanciers généraux, notamment les représentants des services de prêts étudiants, au moment de leur libération de la faillite, et l'autre à la fin de la période de 10 ans pour les prêts étudiants seulement.

Aux États-Unis, ces deux audiences se déroulent au même moment. Il ne s'écoule pas sept ans entre les deux. Après tout, le débiteur est en faillite. Pourquoi contraindre un débiteur en faillite à subir deux audiences? Il n'y a aucune raison d'imposer la période d'attente de dix ans. Cette disposition, si elle est jugée appropriée, pourrait fort bien être ramenée à deux ou cinq ans.

Troisièmement, cette disposition encourage les doubles faillites. Je me permettrai de faire remarquer aux honorables sénateurs qu'un des éléments essentiels de la réforme de la Loi sur la faillite est justement d'éviter les faillites à répétition. Voilà pourquoi on a adopté, lors des réformes de 1992, les conseils au débiteur, c'était pour que les gens sachent gérer leur argent par la suite et donc qu'on ne les revoie plus après, qu'ils ne viennent plus encombrer le système. Si, par leur faute, ils ont eu la malchance de déposer faillite une première fois, ils apprennent ainsi à utiliser les instruments qu'on leur donne pour éviter que le problème se reproduise. Ce genre de réforme encourage la double faillite; la première pour régler le problème vis-à-vis de l'ensemble des créanciers et, la deuxième pour régler le dernier problème: celui des prêts étudiants.

Nous craignons que cette modification n'encourage les étudiants ou les ex-étudiants, aux prises avec des difficultés, à se joindre à l'économie souterraine et donc à passer à côté de l'objectif de réinsertion des débiteurs pour les transformer en membres productifs de la société. C'est un des objectifs de la Loi sur la faillite. Or, le système de la faillite permet d'éviter que les gens ne pratiquent les dessous de tables, ne gagnent un revenu qu'ils cacheront à leurs créanciers. On utilise l'impôt sur le revenu de cette façon et on a l'impression d'y perdre. Je ne dis pas que ce problème est très répandu, mais c'est quelque chose que la loi devrait décourager et c'est ce que la faillite est censée faire. Or, la modification adoptée risque d'encourager une telle attitude.

Donc, la plupart des Canadiens qui font faillite sont des gens honnêtes. Est-ce la bonne façon de retirer les pommes pourries du panier, compte tenu de l'iniquité qui résulte d'une telle mesure et des pénalités qu'on impose aux gens qui sont aux prises avec de telles situations difficiles, qu'ils aient agi de bonne foi ou non? Nous ne sommes pas certains que ce soit la bonne façon d'équilibrer les choses.

En conclusion, nous voyons bien que le gouvernement a l'intention d'étendre la période de latence de deux à dix ans, afin d'éviter que les gens n'abusent du système. Nous sommes d'accord avec cette intention. Cependant, nous nous demandons si c'est une bonne chose de prolonger la période de latence pour régler le problème de l'abus du système par certains et, ce faisant, commettre une injustice envers un grand nombre. Nous ne disposons pas des données nécessaires pour évaluer cela, et nous craignons que l'approche actuelle revienne à utiliser un marteau pour écraser une mouche.

Le président: Vous savez qu'une des grandes banques s'est retirée du Programme Canadien de prêts aux étudiants?

M. Klotz: C'est possible.

Le président: J'ai rencontré deux membres du conseil d'administration et je leur ai tiré les oreilles.

Le sénateur Bolduc: Vous avez écrit au ministre le 27 mai pour lui expliquer l'essentiel de votre position. Avez-vous reçu réponse à cette lettre?

M. Klotz: Non. Nous n'attendions pas de réponse avant cette audience.

Le sénateur Bolduc: Cette cause est accablante... et c'est vous qui êtes spécialiste de la question au Barreau canadien. Nous avons entendu bien des gens à ce sujet et nous en entendrons encore beaucoup. Jusqu'ici, tous nous ont dit qu'il faudrait retirer cet article.

M. Klotz: Oui.

Le sénateur Bolduc: Vous n'avez pas obtenu réponse du ministre.

M. Klotz: J'aimerais faire une remarque à propos de cette lettre. Elle a été écrite très peu de temps après que nous avons appris cela, car les choses sont allées très vite à l'époque. Il y a un défaut dans cette lettre, parce que nous avions compris que la période de deux ans, prévue dans la dernière version de la loi, correspondait au délai de latence de deux ans normalement accordé aux étudiants emprunteurs. J'ai lu le discours que le ministre a prononcé devant le comité de la Chambre, quand il a présenté sa loi. Il a indiqué que la prolongation de la période de latence à 10 ans allait dans le sens d'un nouveau traitement, plus clément, des étudiants emprunteurs et de dispositions relatives aux intérêts sur les prêts étudiants. Je comprends que le gouvernement a l'intention d'assouplir les conditions d'emprunt et qu'il doit, en même temps, être plus dur envers ceux et celles qui profitent du système. Cela, je le comprends tout à fait.

Cela ne m'empêche pas de maintenir ma position, à savoir qu'on n'aurait pas dû faire cela sans s'appuyer sur des données solides, et il est possible qu'on n'y ait pas bien réfléchi.

Le sénateur Bolduc: Vous pensez que l'intention du ministre d'être plus humain envers les étudiants ne s'est pas matérialisée?

M. Klotz: Ce n'est pas ce que j'ai vu dans le projet de loi C-36. Je remarque certaines dispositions à l'article 99 prescrivant les circonstances dans lesquelles un prêt peut être refusé ou les cas dans lesquels on peut mettre un terme à une période de remboursement sans intérêt. J'y vois là en partie l'intention du ministre de modifier le système pour le rendre plus clément.

D'un autre côté, cela n'a rien d'obligatoire, tout est discrétionnaire et c'est un scénario qui se produit souvent. Les représentants des professionnels de l'insolvabilité pourront sans doute vous en parler mieux que moi. Il arrive que des emprunteurs se retrouvent dans de très mauvaises situations et ne parviennent pas à convaincre les agents de recouvrement des prêts étudiants de leur bonne foi. Il faudrait que des recours permettent de corriger les injustices.

Le président: Le secrétaire parlementaire est venu nous dire que les intérêts peuvent être suspendus pour cinq ans.

Sénateur Joyal, vous voulez répondre?

Le sénateur Joyal: J'y reviendrai, mais je ne voulais pas interrompre le sénateur Bolduc dans ses questions.

Le président: Mais je voudrais qu'on parle de cela.

Le sénateur Joyal: J'y reviendrai.

Le sénateur Bryden: Cela répond peut-être en partie à la question que vous venez de soulever, monsieur le président. D'après les documents que nous avons reçus du ministère, Ottawa a commencé à se préoccuper du problème des faillites parce que celles-ci ont augmenté de 38 p. 100 au cours des cinq dernières années, alors que le volume de prêts n'a augmenté que de 14 p. 100. Le nombre de faillite est donc disproportionnellement très élevé. Pour remettre tout cela en contexte, il faut savoir qu'en 1996-1997, les faillites concernant des prêts étudiants ont coûté 105 millions de dollars aux contribuables. Ce n'est pas une petite somme, et ces chiffres sont réels.

Avec ce que ce projet de loi va permettre de faire, tous ceux et toutes celles qui remboursent des prêts étudiants fédéraux ou provinciaux bénéficieront d'un crédit d'impôt au titre des intérêts versés chaque année, qu'il s'agisse d'un prêt étudiant accordé par une province ou par le fédéral. Les personnes en difficulté financière bénéficieront d'un prolongement de suspension des intérêts et d'une plus longue période d'amortissement. Si, malgré tout, elles éprouvent encore des difficultés financières, elles pourront bénéficier d'une réduction du montant de prêt après cinq ans. Cette réduction serait telle que les paiements ne dépasseraient pas 15 p. 100 du revenu gagné.

Le ministère estime que ces nouvelles dispositions -- et je n'entrerai pas ici dans les détails -- sont destinées à offrir aux étudiants une autre solution que la faillite. Les gens du ministère trouvent qu'il serait injuste, après avoir essayé de régler chaque cas, de ne pas donner la possibilité aux gens de recourir à ces deux formules maintenant proposées. Qu'en pensez-vous?

M. Klotz: C'est exactement ce dont je voulais parler dans ma lettre. Je ne parle pas de la période de dix ans, ni des autres mesures d'allégement de la dette, parce que je n'ai rien vu de cela dans la loi.

Ce n'est pas dans la loi et cela me préoccupe, parce que s'il est possible de changer une politique en même temps que la loi, il est beaucoup plus facile de modifier la première que la deuxième.

Ce qui nous inquiète, c'est qu'on se retrouve maintenant avec une période bloquée de dix ans. Qu'adviendra-t-il si la politique sur les prêts étudiants change? Qu'adviendra-t-il si l'attitude des percepteurs change? Que se passera-t-il si l'on réduit le pouvoir discrétionnaire d'un ministère? Les dispositions de la loi sont arrêtées et personne ne pourra prouver sa bonne foi avant que la période de 10 ans soit écoulée.

Je suis tout à fait d'accord avec l'approche qui revient à dire qu'une faillite risque d'être abusive si elle est due à des procédures laxistes de perception des remboursements et à la clémence du service accordant le prêt aux étudiants. Ce problème peut être évité en vertu des dispositions actuelles et en vertu de celles qui sont proposées. Mais en général, cette situation peut être détectée à l'étape de l'audience de libération.

Ce qui m'inquiète, d'abord, c'est que la politique peut changer; deuxièmement, la personne qui aurait besoin de l'exemption prévue dans cet article ne pourrait l'obtenir avant expiration du délai de 10 ans.

Je mentionne un exemple du genre dans cette lettre. Il s'agit de quelqu'un qui se lance en affaire et qui fait faillite. C'est le genre de personne que les mesures de redressement prévues dans la faillite peuvent aider. Si celle-ci a un prêt étudiant, la question de savoir si la faillite était justifiée pour toutes les autres raisons ne sera pas examinée avant expiration d'une période de 10 ans. Cela est tout à fait inutile.

Le sénateur Bryden: Vous avez retenu mon attention quand vous avez dit que la période de deux ans serait convenable. Vous avez dit aussi que cinq ans pourrait aller, mais qu'une période de 10 ans pose problème.

M. Klotz: Je parlais plus précisément de la période qui doit s'écouler avant que quelqu'un puisse bénéficier d'une libération par le tribunal. En fait, nous jouons ici avec deux périodes. Il y a la période de latence pour la libération et il y a l'autre, celle qui correspond à la durée d'attente avant d'obtenir l'indulgence de la cour.

Le sénateur Bryden: Ou pour pouvoir déclarer faillite.

M. Klotz: Permettez-moi de revenir en arrière. Je ne me suis peut-être pas bien fait comprendre.

Si vous déclarez faillite dans la période de dix ans, le prêt étudiant n'est pas effacé. Cependant, à un moment donné vous pouvez demander qu'on efface le prêt étudiant, ce qui correspond à la clémence de la cour. La loi énonce une condition à cela, condition qui n'est pas mentionnée dans le projet de loi 103. Il est précisé que le tribunal doit être convaincu que le failli a agi de bonne foi vis-à-vis des responsabilités qu'il a contractées en vertu de son emprunt. On dit également que le failli doit faire la preuve de difficultés financières, actuelles et prévues, telles qu'il ne pourra pas s'acquitter de ses obligations en vertu de l'emprunt. Or, en vertu de l'amendement adopté, le tribunal ne pourra en juger que dix ans après la fin des études du failli.

Quand je dis que la période de deux ans est acceptable, et que j'accepterais une période de cinq ans, je veux parler du délai qui doit s'écouler avant que quelqu'un puisse demander la clémence du tribunal de la faillite et que sa dette soit effacée. Autrement dit, une personne pourrait devoir attendre dix ans avant de pouvoir faire effacer un prêt étudiant, mais bénéficier d'une période plus courte pour demander à être exonérée de toutes ses autres dettes en vertu de la Loi sur la faillite. Il n'est pas nécessaire que les deux soient reliés. On a établi le lien dans la loi d'origine, maintenant vieille de deux mois. Cette période vient d'être portée à dix ans, mais il est inutile d'augmenter l'autre. Selon moi, ce n'est pas approprié.

Le sénateur Bryden: Voici ce que je veux dire. Vous préféreriez une période de cinq ans, mais pourrait-on aller jusqu'à six ans? Tout cela est question de jugement. Vous dites que la période devrait être inférieure à dix ans. De toute évidence, les décideurs du gouvernement ont jugé qu'il fallait la fixer à dix ans. Disons que sur ce plan nous avons affaire à une différence d'opinion quant à la durée.

M. Klotz: Je reconnais que c'est une question d'ordre politique, mais il faut bien sûr qu'on en ait envisagé toutes les ramifications.

Cela étant, cette décision relève effectivement de la prérogative de l'autre Chambre et de la politique publique.

Le sénateur Bryden: Je trouve étrange la façon dont vous voyez les choses, à savoir que quelqu'un pourrait décider de poursuivre ou de ne pas poursuivre des études postsecondaires en fonction de la date à laquelle elle pourrait demander la clémence de la cour.

M. Klotz: Et pourtant... J'ai l'impression que cela va dans les deux sens. D'abord, la personne pourrait réfléchir à toute cette question et décider de reprendre ou non ses études postsecondaires. Deuxièmement, si elle décidait de les reprendre, elle serait pénalisée pendant dix ans. Que la personne change sa conduite d'avance ou qu'elle soit simplement pénalisée après coup, c'est du pareil au même. Pourquoi ces gens-là devraient-ils être pénalisés après coup, même s'ils ne se sont pas rendu compte avant qu'ils auraient dû changer de conduite?

Le sénateur Bryden: Si je lis bien le projet de loi, les dispositions énoncées dans le discours sur le budget et les notes d'accompagnement, l'intention visée est double. D'abord, on veut isoler les cas difficiles dès le début. Soit dit en passant, j'ai vu une recommandation dans une lettre, c'était peut-être la vôtre. L'auteur disait qu'il fallait soumettre les gens à une vérification de crédit avant de leur accorder un prêt étudiant. À l'heure actuelle, en vertu de la loi, tout étudiant ayant besoin d'argent obtient un prêt. Peu importe qu'il n'ait jamais contracté de dettes de sa vie. Ce problème est en partie réglé dans l'actuel projet de loi.

Il y a aussi la possibilité d'intervenir sur les taux d'intérêt et même de les éliminer pendant le restant de la période de dix ans. Le gouvernement peut, volontairement, réduire le principal à rembourser pour que les traites ne correspondent plus qu'à 15 p. 100 des revenus de l'emprunteur. J'ai l'impression que c'est ainsi qu'on va essayer de régler les problèmes de défaut de remboursement des prêts étudiants et les difficultés financières pouvant en découler, plutôt que de plonger les étudiants dans l'univers de la faillite et de l'insolvabilité.

Je crois comprendre là où vous voulez en venir. Je voulais simplement préciser que, dans ce cas, on ne peut pas dire que la politique publique est insensible au sort ou aux préoccupations des étudiants. Ce genre de qualificatif n'est peut-être pas approprié. Quoi qu'il en soit, voilà la solution à laquelle on en est arrivé après consultation des provinces à propos des prêts étudiants. Nous devons maintenant trancher entre la solution que vous proposez et celle que le gouvernement a adoptée.

M. Klotz: Je suis d'accord avec le contexte général dans lequel vous avez situé la problématique. Je reconnais que l'intention est bonne et qu'elle est appropriée. La question est de savoir si c'est effectivement ce qu'il faut faire. Par ailleurs, pourquoi n'a-t-on pas eu recours à des consultations et ne s'est-on pas fondé sur les données disponibles avant de prendre ce qui pourrait être une décision tout à fait éclairée, à supposer que ce soit la bonne?

[Français]

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir sur cette question des chiffres auxquels vous faites référence. Est-ce que vous avez contacté les responsables de l'administration du programme de prêts aux étudiants pour savoir quels sont les montants d'endettement des étudiants versus la question de la faillite? Vous dites qu'il n'y pas de chiffres, par contre, mon collègue en a mentionné quelques-uns. Il y a certainement quelqu'un dans le système d'administration des prêts aux étudiants qui tient des comptes sur ceux qui ne paient pas et ceux qui sont en pétition de faillite, et cetera. Je ne pense pas, compte tenu de la facilité avec laquelle on peut informatiser tout cela aujourd'hui, qu'il n'y ait pas de chiffres nulle part.

Je trouve un petit peu globale votre affirmation à l'effet qu'il n'y ait pas de statistiques. À mon avis, il doit y en avoir. J'en suis convaincu, le ministère des Finances nous donne un chiffre montrant une augmentation raisonnable de pétitions de faillite depuis les dernières années.

Je suis un peu perplexe devant une affirmation aussi absolue qu'il n'y a pas de statistiques. Peut-être sont-elles insuffisantes mais j'ai de la difficulté à accepter cette affirmation.

[Traduction]

M. Klotz: Je ne suis pas le seul à affirmer cela. Dans son rapport au sujet du projet de loi C-5, le Sénat en vient à la même conclusion après avoir entendu des témoins et avoir été fort bien informé par les fonctionnaires.

Les statistiques ne datent pas de 1997. On peut supposer qu'il en existait à l'époque et qu'on aurait pu les présenter au Sénat avant qu'il rédige son rapport dans lequel il indique qu'il n'y avait pas de statistiques. Les témoins représentant la fonction publique ont reconnu ce fait.

[Français]

Le sénateur Joyal: En d'autres mots, vous avez pris une affirmation dans un rapport et vous l'avez fait vôtre, mais vous n'avez pas fait de démarches pour essayer d'obtenir des statistiques?

[Traduction]

C'est ce que je veux vous entendre dire. Vous avez lu le rapport et vous avec conclu que ces constats sont encore valables aujourd'hui. Vous n'avez pas, de votre propre chef, contacté des responsables à l'administration du programme de prêts pour savoir s'il n'existe pas maintenant plus de statistiques qu'il y a deux ou trois ans. Est-ce que je me trompe?

M. Klotz: Selon moi, oui, sénateur. Quand nous avons eu vent de cet amendement à la fin mai, nous nous sommes précipités pour savoir où l'on en était dans le processus politique, pour dégager un consensus parmi nos membres partout au pays -- à propos de l'approche à adopter --, pour envoyer une lettre au ministre afin de lui faire part de nos préoccupations et pour étudier tout ce dossier avec le plus de détail possible.

Personnellement, j'ai maintenu mes contacts avec Industrie Canada et surtout avec le Bureau du surintendant des faillites. J'ai étudié tout ce qui se trouve sur Internet, notamment les études générales qui ne concernent pas exclusivement le problème des prêts aux étudiants. Je suis très intéressé à cette question. Toutefois, il y a encore deux semaines, je ne me doutais absolument pas qu'on apporterait cet amendement.

Le processus d'examen existe, et nous avons d'ailleurs pris part à sa formulation. Nous voulons participer aux études qui ont été faites.

J'ai écrit au ministre de l'Industrie, au nom de l'Association du Barreau canadien, pour lui indiquer notre intention de participer à tout ce dossier et de contribuer aux études réalisées. Nous avons appris que tout cela était en cours mais on ne nous a pas dit qu'on en était au stade de l'approbation de la loi en Chambre.

On pourra peut-être me reprocher d'avoir comparu devant vous sans avoir, au cours des 14 derniers jours, contacté le service des prêts aux étudiants. D'un autre côté, sénateur, sachez que je n'ai pas été inactif. J'ai fait ce que j'ai jugé devoir faire et ce que j'ai pu pour intervenir dans une situation que j'estime urgente.

Le sénateur Joyal: Je le comprends. Je ne veux pas vous faire de reproche. J'essaie simplement de savoir si nous pouvons mettre la main sur des données afin de décider si nous devons ou non poursuivre cette affaire.

Des témoins nous ont déclaré que cette disposition pourrait constituer une atteinte à la Charte des droits et libertés parce qu'elle créerait deux catégories de citoyens. L'article 15 de la Charte garantit l'égalité devant la loi et, à cause de cette disposition, certains citoyens pourraient bénéficier de la Loi sur la faillite et pas d'autres.

Je comprends que le principe en jeu soit le même pour une période de deux ans ou pour une période de cinq ans. La question n'est pas d'étirer ou de raccourcir la période. Il faut savoir si, en principe, cette distinction pourrait résister au test des tribunaux.

Aux États-Unis, où la constitution reconnaît un droit à l'égalité face à la loi, cette décision existe depuis environ 1976 et c'est la même chose que nous avons dans le projet de loi C-5.

La première question qui se pose au barreau est de savoir si la loi proposée correspond aux critères de la Charte. Avez-vous examiné cette question sous cet angle?

M. Klotz: Si vous me le permettez, je commencerai par répondre à la première question et je compléterai les remarques que je voulais formuler.

Vous avez soulevé la question des statistiques. Eh bien, je ne sais pas quel genre de statistiques on vous a communiquées. Par exemple, est-ce qu'elles comprennent une étude sur la libération des prêts étudiants lors des audiences tenues en vertu de la loi actuelle? Ce genre de données statistiques permettraient de savoir si l'actuel mécanisme de lutte contre les abus est suffisamment efficace.

Disposez-vous de statistiques montrant la façon dont fonctionne le délai de latence de deux ans actuellement en vigueur? Je suppose que vous n'avez pas de telles statistiques, parce qu'il n'y a pas de libération de faillite en deux mois. Il faudra attendre au moins neuf mois à partir de la première déclaration de faillite suivant le 30 avril pour qu'on puisse faire ce genre de constat. Il n'existe pas de statistiques sur ce plan, pas même des récits de cas.

Est-ce que ces statistiques donnent un profil des étudiants emprunteurs déclarant faillite? Est-ce qu'elles permettent de savoir si la majorité des faillis sont des débiteurs honnêtes, et est-ce qu'elles donnent une idée du nombre de personnes qui abusent du système et qui s'en sortent?

Je m'intéresse du mieux que je peux aux statistiques et aux études parues sur la question. Je ne prétends pas toutes les avoir vu. Je n'ai certainement pas les études réalisées par le gouvernement. Cependant, je fais de mon mieux. Je n'ai pas vu ces statistiques et je ne pense pas qu'on en a produit depuis que le Sénat a été saisi de ce projet de loi, parce que c'est à cela que doit servir le processus d'examen quinquennal. J'ai peut-être piqué au vif par votre suggestion que je ne m'étais pas préparé, mais sachez que sur certains plans, il ne m'aurait de toute façon pas été possible de mieux me préparer.

Pour ce qui est des aspects constitutionnels, il est vrai que c'est là un aspect important, bien que la Constitution n'ait généralement rien à voir dans les cas de faillite. Je n'ai pas étudié cette question et je ne suis pas en mesure de réagir. Il vaudrait mieux que vous la posiez à un constitutionnaliste, praticien ou enseignant, ce que je ne suis pas.

Le sénateur Joyal: Vous avez parlé de l'expérience américaine. Existe-t-il, dans le système américain, une disposition semblable à celle que nous aurions si ce projet de loi devait être adopté tel quel? Un Américain peut-il demander à être exonéré du remboursement des intérêts pendant cinq ans?

M. Klotz: Je n'en suis pas certain, mais je vais me risquer à formuler quelques hypothèses. Connaissant le processus politique américain, du moins en tant qu'observateur éloigné, toute éventuelle période de grâce de cinq ou sept ans doit certainement être reliée à une forme de grâce par un tribunal. Mais je n'en suis pas sûr.

Le sénateur Joyal: L'article 99 de ce projet de loi prévoit la révision du montant global de la dette pour qu'on puisse tenir compte de la capacité globale de remboursement de l'emprunteur. La dette générale peut donc être réduite selon la situation financière de la personne. Savez-vous si un tel système existe aux États-Unis?

M. Klotz: Non, je ne le sais pas.

Le sénateur Joyal: Je sais que vous reconnaissez l'importance du principe d'une période durant laquelle l'emprunteur ne peut être relevé de sa responsabilité de rembourser un prêt étudiant. Ces dernières années au Canada, et surtout lors de la dernière récession, nous avons assisté à une augmentation du nombre de déclarations de faillite. Il y a même eu une augmentation au cours des derniers mois, si les statistiques sont justes.

Je ne veux pas être dur envers les étudiants. En fait, ce projet de loi a plutôt pour objet de les protéger. Cependant, comme j'ai été étudiant moi-même, je sais qu'ils peuvent très vite se passer le mot et se dire qu'à la fin de l'université il suffit de déclarer faillite pour être libérer de toutes ses dettes et repartir à neuf.

C'est certainement un problème qu'on veut régler grâce à cette loi, parce qu'il y a eu une très forte augmentation du nombre de déclarations de faillite.

C'est une tendance qui n'est pas toujours justifiée par la conjoncture économique, même si un grand nombre d'étudiants ne parviennent pas à trouver d'emploi après avoir obtenu leur diplôme. C'est une réalité dont tout le monde est conscient. Le gouvernement essaie de régler ce problème. C'est très certainement une réalité à laquelle il convient de s'attaquer de façon équitable et raisonnable pour le contribuable parce que, en fin de compte, c'est le contribuable qui doit débourser l'augmentation de 100 millions de dollars que cela représente. L'argent ne vient pas d'ailleurs. L'argent qui ne retourne pas dans le système ne peut être réparti entre les provinces pour les aider dans leurs autres programmes ou pour financer le système d'enseignement. Donc, c'est une perte sèche.

Cela fait partie de la responsabilité du gouvernement. Il faut régler ce problème d'une façon ou d'une autre, pour pouvoir améliorer le système. L'argent pourrait servir à réaliser d'autres objectifs sur le plan de l'amélioration de l'enseignement au Canada, en matière de qualité et d'accès. Nous ne pouvons pas permettre aux étudiants de se dégager aussi facilement que cela de leurs responsabilités en déclarant faillite. Cet aspect est très important.

M. Klotz: Vous devez vous demander pourquoi les gens qui déclarent faillite n'ont pas remboursé leur prêt. Pourquoi un prêt étudiant n'est-il pas remboursé? Est-ce à cause de la faillite ou est-ce parce que la personne a perdu son emploi et qu'elle est au chômage? La masse d'argent perdue dans les faillites est-elle entièrement ou en grande partie due à la façon dont fonctionne le système de faillite? N'est-elle pas plutôt le reflet du taux de chômage dans les différentes régions du Canada?

Le sénateur Lavoie-Roux: Est-ce parce que la personne est au chômage?

M. Klotz: Le système ne favorise pas forcément cela et il n'est pas dit qu'on parviendra à changer cette réalité en adoptant cette règle. Il y aura encore des chômeurs après cela. Il y aura encore des gens qui ne seront pas en mesure de rembourser leurs prêts. Ça, c'est la réalité.

Deuxièmement, selon une donnée statistique, il y aurait eu une augmentation de 38 p. 100 du nombre de faillites et de 14 p. 100 du nombre de prêts étudiants accordés. J'ai examiné les études concernant l'augmentation du nombre de faillites. Il ne s'agit pas de 38 p. 100 d'augmentation sur un an. L'augmentation a été progressive. Eh bien, les auteurs de ces études ont établi un parallèle entre l'augmentation du volume de crédit à la consommation générale, sous la forme de cartes de crédit, de prêts bancaires et autres et ils ont constaté une étroite corrélation entre les deux.

Autrement dit, le nombre de faillites n'a pas changé par rapport au volume de crédit. C'est un phénomène de société: les Canadiens et les Canadiennes utilisent davantage le crédit et, à cause de cela, ils ont proportionnellement plus recours aux dispositions sur la faillite.

Selon une statistique intéressante -- et toute nouvelle pour moi -- il semblerait que le nombre de prêts étudiants délinquants n'ait pas augmenté dans la même proportion que pour le crédit à la consommation. Cela donne à penser que les responsables des prêts étudiants appliquent de meilleures politiques que les autres. Leurs crédits ne sont pas aussi mauvais que ceux des prêteurs de cartes de crédit ou que les banques. C'est une bonne chose, et c'est tout à fait normal. Cela semble donc établir qu'il existe une différence entre le genre de prêts non disciplinés, n'obéissant à aucune vérification de crédit, et les prêts disciplinés dans le cadre desquels on effectue des vérifications de crédit avant d'accorder les prêts étudiants.

On me dit que l'augmentation de 38 p. 100 est conforme avec l'augmentation du crédit en général et que l'augmentation de 14 p. 100 est raisonnable. Je suis ravi que le nombre de prêts étudiants n'ait augmenté que de 14 p. 100, alors que les emprunts généraux à la consommation ont augmenté de beaucoup plus. Cela veut peut-être dire qu'il n'y a pas assez de prêts étudiants et que ceux-ci se tournent vers d'autres sources pour compenser ce manque. Je ne sais pas, mais je trouve qu'il faut expliquer ces statistiques.

Le sénateur Beaudoin: La question posée par mon collègue le sénateur Joyal a piqué ma curiosité. L'application de la Charte des droits en vertu de la Loi sur la faillite n'a pas donné lieu à un grand nombre de causes portées devant les tribunaux. Certes, tout le monde est égal devant la loi et la loi s'applique de la même manière à toute personne ou à toute catégorie de personne. Cependant, il peut y avoir des exceptions. Or, vous dites que ce n'est pas le cas avec les faillites? La jurisprudence n'est pas très épaisse à ce propos, n'est-ce-pas?

M. Klotz: C'est vrai. Je commencerai par vous dire que je serais ravi de voir une cause constitutionnelle dans une affaire de faillite, et cela fait longtemps que j'en attends une.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends votre intérêt.

M. Klotz: J'en serais ravi. Si je me fonde sur mon expérience de la pratique des faillites, je n'ai été confronté à cette question que deux fois, et en théorie seulement. Il y avait d'abord une question de retard d'un tribunal dans l'obtention d'une audience de tribunal. À un moment donné, il fallait attendre 15 mois pour obtenir une audience de libération de faillite devant un tribunal de Toronto et l'on a commencé à se dire que c'était peut-être là une privation d'une application régulière de la loi, à l'instar de la décision Ascov dans l'audition d'une cause au criminel. C'était assez subtil.

L'autre cause touche à la constitution et il s'agit de la définition de conjoint selon la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Il y a un défaut sur le plan de la définition. La loi veut peut-être dire «conjoint marié» et vous avez peut-être lu les grands titres au sujet de cette cause voulant qu'il soit inconstitutionnel de limiter les droits aux seuls conjoints mariés, car il s'agit d'une affaire où l'on prive certaines personnes de leurs droits sur la base de leur orientation sexuelle. Il s'agit là d'une autre cause de nature constitutionnelle.

De façon générale, la Loi sur la faillite est une loi commerciale. Elle concerne essentiellement la propriété, qui n'est pas tout à fait protégée de la même façon dans la Charte des droits et libertés.

Le sénateur Beaudoin: Estimez-vous que son application est toujours uniforme?

M. Klotz: L'application de quoi?

Le sénateur Beaudoin: L'application de la loi... l'égalité face à la loi. En un certain sens, les étudiants appartiennent à une catégorie très différente. Cependant, ils sont soumis aux mêmes lois.

Nous avons des exemples dans notre législation où l'application de la loi n'est pas exactement la même pour tout le monde. C'est le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants et d'autres mesures du genre. En ce qui concerne les étudiants et les prêts aux étudiants, je n'ai pas entendu parler d'application différente, sauf peut-être en ce qui concerne cette période de dix ans dans le domaine de la faillite. Il est évident que l'application de la loi n'est pas la même dans le cas des étudiants et dans celui des autres Canadiens et Canadiennes.

M. Klotz: Je reconnais qu'il y a une distinction. Quant à savoir si cela est admissible sur le plan constitutionnel, je ne suis pas la bonne personne pour vous répondre, sénateur, parce que je ne le sais tout simplement pas. Tout ce que je vous dirais à ce propos ne serait que pure spéculation.

Le sénateur Beaudoin: D'après les chiffres que j'ai vus, les étudiants représentent 3 p. 100 et les autres environ 6 p. 100. On ne peut pas dire qu'ils forment une catégorie délinquante, puisqu'ils font même mieux que le reste de la société.

M. Klotz: Quand il y a discrimination, il faut déterminer si celle-ci est justifiable dans une société libre et démocratique. C'est la deuxième étape du processus. Certes, les arguments du genre de ceux invoqués par le sénateur Joyal pourraient constituer une réponse.

Le sénateur Beaudoin: Je n'affirme rien. J'essaie simplement d'établir s'il y a effectivement un problème. Si la loi s'applique différemment aux étudiants dans certains cas, il est évident que cela doit être justifié. Vous n'êtes pas au courant de cas de ce genre, alors?

M. Klotz: Il n'y a pas de cas de faillite ayant un lien avec cet aspect. Ce n'est que depuis très récemment que les étudiants sont traités de façon différente -- depuis un mois, maintenant -- et l'on n'a pas encore établi de rapport entre la question des prêts étudiants et la Charte des droits et libertés.

Le sénateur Beaudoin: Et aux États-Unis?

M. Klotz: À la façon dont je perçois le système de contentieux américain, je dirais que s'il est possible de contester une loi aux États-Unis, je suis sûr que cela a dû être fait. Rien de ce que j'ai examiné, notamment un article signé par un auteur émérite sur les dispositions relatives aux prêts étudiants, ne donne à penser que la loi a été contestée sur un plan constitutionnel. On considère qu'il est de rigueur d'indiquer s'il y a eu contestation en fonction de la déclaration des droits, et je n'ai rien vu qui aille dans ce sens dans l'article.

Si je tombe sur quelque chose portant là-dessus, je veillerai à vous le faire parvenir, puisque cela vous intéresse.

Le sénateur Forest: Le fait qu'on ait modifié une loi qui n'a été adoptée que depuis très peu de temps m'inquiète, sauf si des données statistiques indiquent que ce changement est nécessaire.

À quand remonte le rapport du comité des banques?

M. Klotz: Mme Thomson me dit que c'était au début de 1997, ce qui me semble exact.

Le sénateur Forest: Alors, on peut s'inquiéter du fait qu'il n'y a pas eu beaucoup de données statistiques sur lesquelles se fonder. La loi actuelle est adoptée depuis trop peu de temps et l'on n'a pas eu vraiment l'occasion de voir ce qu'elle donne.

M. Klotz: On peut dire deux choses. Aucune décision juridique n'a été rendue en vertu de cette nouvelle disposition et nous n'en aurons pas avant qu'un délai de deux ans se soit écoulé après l'entrée en vigueur de la loi. Si quelqu'un a arrêté ses études ce jour-là et fait faillite le lendemain, la première cause devant un tribunal ne sera entendue que deux ans après le 30 avril 1998.

Pour l'instant, nous disposons simplement d'informations à caractère anecdotique sur la nature de cette nouvelle disposition et sur l'effet qu'elle aura pour décourager les faillites. Après tout, l'un des buts de la loi est de modifier les attitudes en général et peut-être celles des étudiants. Tout à l'heure, un honorable sénateur a prétendu que des étudiants pourraient décider, de façon irresponsable, de déclarer faillite. Cette loi, qui prévoit un délai de deux ans, est destinée à changer ce genre d'attitude.

D'ailleurs, je crois que les attitudes changent en ce sens que les syndics sont au courant de ce problème, qu'ils en parlent avec les étudiants qui veulent déclarer faillite et ils sont tout à fait au courant de cet amendement potentiel. Ils savent également que de nombreux étudiants envisagent maintenant de déclarer faillite avant même que l'amendement n'entre en vigueur, sinon ils devront attendre dix ans avant que leur prêt étudiant soit effacé.

Donc, les gens sont davantage au courant qu'avant. Nous disposons de certains renseignements à caractère anecdotique établissant que cette loi était efficace mais, selon moi, nous n'avons rien sur quoi appuyer une décision informée.

Le sénateur sénateur Forest: Pendant les audiences du comité sur l'éducation postsecondaire, auxquelles le sénateur Lavoie-Roux a également participé, nous avons entendu d'importants témoignages d'étudiants et d'étudiantes, d'un peu partout au Canada, sur ce problème et sur leurs difficultés financières. La plupart des autres dispositions de ce projet de loi sont destinées à atténuer ce genre de situation. Comme le disait le sénateur Joyal tout à l'heure, ce sont des dispositions qui visent à aider les étudiants.

Quoi qu'il en soit, cela me préoccupe. Ce changement de période de deux à dix ans est important et nous devrions nous assurer qu'il s'impose sur la foi de certaines données statistiques.

Vous dites que le rapport du comité des banques a été déposé en 1997.

M. Klotz: Autant que je me souvienne, oui.

Le sénateur Bolduc: J'ai ici les statistiques 1998 d'Industrie Canada sur le programme de prêts aux petites entreprises. Le taux de non-remboursement est de 6,38 p. 100. J'ai cru comprendre que 3,1 p. 100 des étudiants ayant emprunté en vertu du programme de la province de Québec ont déclaré faillite. Il y a donc deux fois moins de faillites chez les étudiants de notre province que chez les entrepreneurs. Comment se fait-il que la loi en général s'applique à eux, mais qu'on leur impose une période de dix ans?

M. Klotz: Il n'y a pas de véritable réponse à cette question. Cependant, histoire de resituer la chose dans son contexte, je dirais qu'il est difficile de faire la part entre des pommes et des oranges et que les faillites commerciales sont, dans une certaine mesure, très différentes des faillites des particuliers. Cela étant posé, certaines faillites commerciales -- par exemple les faillites de professionnels -- sont considérées comme étant des faillites de particuliers, parce que ce sont des particuliers qui les déclarent. Malgré certains recoupements, il s'agit de deux cas de figure bien différents.

La question est de savoir ce qu'il faut faire. Obéit-on un principe international quand on prête à des gens qui présentent un haut risque sur le plan du crédit afin de permettre à des étudiants canadiens d'aller suivre des études? Dans l'affirmative, cela justifierait un taux d'échec intentionnel plus élevé. A-t-on l'intention de prêter à des conditions de risques commerciaux normaux, pour abaisser ce niveau de faillite qui actuellement de 3 p. 100? Je ne le pense pas.

Les statistiques sont importantes, mais elles sont spécifiques à la question des prêts étudiants que nous devons examiner. Vous conviendrez peut-être avec moi que ces statistiques ne sont pas telles qu'elles nécessitent l'application d'un médicament aussi radical. D'ailleurs, nous ne le savons pas.

Le sénateur Bolduc: Je crois savoir également que le mode de remboursement par les étudiants n'est pas fondé sur le revenu des diverses professions. Nous savons que les médecins, les avocats et quelques dentistes pourraient rembourser leurs prêts assez rapidement, alors que ce pourrait ne pas être le cas pour des philosophes ou d'autres. Cet aspect n'est pas couvert ici. Je me permets de le mentionner au passage, parce que j'estime que c'est important.

Monsieur le président, j'aimerais également faire un appel au règlement. Depuis que nous avons accueilli des étudiants hier, j'ai reçu des documents de recteurs, de directeurs des principales universités de la province du Québec, notamment de M. Shapiro, président de la coalition.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il est également président des recteurs d'université du Québec.

Le sénateur Bolduc: J'aimerais que ces documents soient déposés pour que mes collègues puissent les examiner. Je pense que cela leur donnerait une idée de l'importance de la coalition en question.

Le sénateur Lavoie-Roux: Et de leurs objections à ce projet de loi.

Le président: Nous veillerons à ce que ces documents soient distribués aux membres du comité.

Vous recommandez que nous n'adoptions pas cette partie du projet de loi tant qu'elle n'aura pas fait l'objet d'autres études et qu'on ne disposera pas de données statistiques?

M. Klotz: C'est cela.

Le président: Notre prochain témoin est Doug Maracle, Grand Chef de l'Association des Iroquois des Indiens alliés. Je vous invite à commencer par vos remarques liminaires, si vous en avez, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.

M. Doug Maracle, Grand Chef, Association des Iroquois et des Indiens alliés: Au nom de l'Association des Iroquois et des Indiens alliés, je vous remercie de nous donner l'occasion de venir vous faire part de nos préoccupations à propos du projet de loi C-36, et surtout de la partie 4. Nous ne sommes pas ici pour nous mêler des affaires du chef et des membres de la bande Kamloops, mais pour protéger les droits de nos collectivités.

Nous sommes un peuple souverain et libre. Nos droits autochtones sont antérieurs à la création du Canada et ils sont au coeur de la propriété unique autochtone-Couronne. Nos traités ont été conclus entre deux nations, entre les Premières nations et les représentants de la Couronne britannique. Nous avons conclu ces traités en tant que nations libres et indépendantes résidant sur leurs propres territoires bien définis, ayant leurs lois, leurs gouvernements, leurs langues, leurs croyances spirituelles et leurs traditions bien à elles. Nous possédions tous les ingrédients nécessaires pour faire de nous des nations de plein titre, indépendantes, et nous avons été reconnues comme telles par les divers États européens.

Le Canada est signataire de trois documents internationaux appuyant expressément le droit des peuples autochtones à l'autodétermination, à savoir la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international des droits civils et politiques et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels.

Notre association estime que cet article contrevient à la notion de souveraineté et d'autodétermination, parce qu'il reprend les lois et les règlements du gouvernement fédéral -- comme la Loi sur la taxe d'accise -- plutôt que de se fonder sur nos concepts traditionnels. Le projet de loi C-36 ouvre la porte à la violation de l'immunité fiscale qui nous est due en vertu de nos droits d'autochtones et de nos droits de traités. En outre, il va nous retirer la protection limitée que l'article 87 de la Loi sur les Indiens nous accordait au plan de l'exonération fiscale.

Nous entretenons des réserves à propos de l'article proposé 59 1) qui dit notamment:

Malgré l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le conseil peut prendre un règlement administratif imposant, relativement à la vente de boissons alcoolisées, de carburant ou de produits du tabac dans une réserve, une taxe directe à percevoir conformément à l'accord d'application conclu aux termes du paragraphe 60(1).

2) Il est entendu que le paragraphe (1) est sans effet sur l'article 87 de la Loi sur les Indiens, sauf en ce qui concerne une taxe imposée par un règlement administratif pris sous le régime de ce paragraphe.

3) Les fonds prélevés par suite de l'imposition de la taxe prévue au paragraphe (1) ne constituent pas de l'argent des Indiens au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens.

Cela nous inquiète par rapport à ce que dit l'article 87 de la Loi sur les Indiens:

Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation:

a) Le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) Les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

3) Aucun impôt sur les successions, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou la succession visant un tel bien, si ce dernier est transmis à un Indien, et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les droits successoraux, chapitre 89 et Statuts révisés du Canada de 1952, ou l'impôt payable, en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès [...] sur d'autres biens transmis à un Indien ou à l'égard de ces autres biens. SR, ch. 1-6, art. 87, 1980-81-82-83, ch. 47, art. 25.

L'article 87 prévoit donc l'exemption fiscale d'une bande, mais également de chaque particulier membre d'une bande. Donc, la bande dont je suis membre de plein titre parce que je suis Indien, ne peut légalement négocier unilatéralement mes droits statutaires sans d'abord obtenir mon consentement.

Quelle preuve les honorables sénateurs ont-ils que les membres de la Première nation Kamloops ont consenti à l'extinction de leurs droits statutaires à l'exemption fiscale dans leur réserve?

En outre, l'article 87 de la Loi sur les Indiens régit l'adoption de règlement pour prélever des fonds en vertu de l'article 83:

83(1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l'article 81, lorsque le gouverneur en conseil déclare qu'une bande a atteint un haut degré d'avancement, le conseil de la bande peut, sous réserve de l'approbation du ministre, prendre des règlements administratifs pour l'une ou l'ensemble des fins suivantes:

a) la réunion de fonds au moyen:

(i) de la cotisation et de l'imposition des droits sur un terrain situé a l'intérieur de la réserve, que détiennent des personnes qui en sont légalement en possession,

(ii) de l'attribution de permis aux entreprises, professions, métiers et occupations;

b) l'affectation et le déboursement de l'argent de la bande pour couvrir les dépenses de cette dernière;

c) la nomination de fonctionnaires chargés de diriger les affaires du conseil, en établissant leurs fonctions et prévoyant leur rétribution sur les fonds prélevés en vertu de l'alinéa a);

d) le versement d'une rémunération, pour le montant que le ministre peut approuver, aux chefs et conseillers, sur les fonds prélevés en vertu de l'alinéa a);

e) l'imposition, pour non-paiement de tout montant qui peut être perçu en application du présent article, d'intérêts et la fixation, par tarif ou autrement, de ces intérêts;

f) la réunion de fonds provenant des membres de la bande et destinés à supporter des entreprises de la bande;

g) toute question qui découle de l'exercice des pouvoirs prévus par le présent article, ou qui y est accessoire.

À la façon dont nous interprétons cet article, il n'existe aucune disposition permettant d'appliquer l'impôt direct à la vente de tabac, d'essence ou d'alcool.

Outre l'article 59, l'article «Publication» soulève un certain nombre de questions car il dit que «le défaut de publication ne porte pas atteinte à la validité du règlement administratif». Pourquoi la procédure légale oblige-t-elle les municipalités à publier les règlements dont les Premières nations sont exonérées en vertu de la loi proposée?

Le paragraphe 60(1) proposé de la loi énonce l'accord conclu entre la Première nation Kamloops et le gouvernement fédéral:

60(1) Le conseil peut conclure un accord d'application au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces relativement à tout règlement administratif qu'il a pris imposant une taxe en vertu de la présente section.

(2) Dans le cas où un accord d'application a été conclu, les règles suivantes s'appliquent:

a) la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (à l'exception de son alinéa 240(1)a) s'applique dans le cadre du règlement administratif pris en application du paragraphe 59(1) comme si la taxe était prévue par le paragraphe 165(1) de cette loi;

b) lorsqu'une personne accomplit un acte en vue de remplir une exigence du règlement administratif qui remplirait une exigence correspondante de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise si la taxe imposée par le règlement était prévue par le paragraphe 165(1) de cette loi, l'exigence du règlement est réputée avoir été remplie;

c) il est entendu que quiconque est un inscrit pour l'application de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise l'est également pour l'application du règlement administratif;

d) toute procédure qui pourrait être engagée en vertu d'une autre loi fédérale relativement à la taxe prévue au paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d'accise peut être encouragée relativement à la taxe imposée par le règlement administratif.

61. La taxe prévue au paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d'accise n'est pas payable relativement aux fournitures à l'égard desquelles la taxe prévue au paragraphe 59(1) est payable.

Apparemment, cette disposition suffit pour reconnaître le règlement de la Première nation Kamloops.

Je me permets de vous renvoyer à la partie 2, article 66, c'est-à-dire les amendements proposés à la Loi sur la taxe d'accise. Pourrait-on nous dire pourquoi il faut modifier la loi sur la taxe d'accise pour répondre aux besoins d'une Première nation, alors que ces dispositions se trouvent déjà dans l'accord?

À partir de toutes ces informations, nous estimons que la loi proposée compromet le droit des membres des Premières nations à l'exemption fiscale. Nous demandons officiellement que ce comité n'approuve pas le projet de loi C-36 s'il doit inclure la partie 4.

Merci de nous avoir donné la possibilité de vous présenter notre mémoire ce matin. Nous tenons à nous excuser de ne pas l'avoir fait traduire en français, mais il ne l'a pas été non plus en mohawk ni en ojibwa.

Le sénateur Lavoie-Roux: Merci d'être venu nous rencontrer ce matin. Je ne connais pas très bien cette partie de la loi, j'aimerais toutefois vous demander quelque chose. À votre connaissance, y a-t-il eu des consultations avec des Premières nations avant la rédaction de ce projet de loi?

M. Maracle: Pas à ma connaissance. Et c'est précisément ce que nous voulions faire ressortir dans notre exposé. En vertu de la Loi sur les Indiens, l'exemption fiscale est un droit individuel, pas un droit collectif.

M. Chris McCormick, Association des Iroquois et des Indiens alliés: Notre association n'a entendu parler de ce projet de loi que le 9 juin. Nous avons été contactés par l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, qui nous l'a appris.

Rien, ni dans le discours du Trône ni dans les documents qui nous ont été envoyés à l'époque du budget, ne parle de cette partie du projet de loi, la partie 4. En outre, j'ai appris qu'une seule Première nation a comparu devant le comité permanent pendant que le projet de loi passait par les trois lectures en Chambre. Voilà, à ce que nous sachions, quelle a été l'étendue des consultations. Je ne sais pas si d'autres membres de Premières nations ont comparu devant votre comité.

Le sénateur Lavoie-Roux: Merci pour ce renseignement. Je suis heureuse que vous ayez attiré notre attention sur ce fait.

Nous allons rencontrer le ministre des Finances lundi prochain et nous aurons l'occasion de lui poser une question à ce sujet. Entre-temps, je vais essayer de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette partie du projet de loi qui, de toute évidence vont à l'encontre de l'accord que vous avez conclu avec le gouvernement relativement à la taxation, à l'impôt sur le revenu et au reste.

M. Maracle: Je suis élu de ma collectivité en Ontario depuis 19 ans et j'ai participé à l'adoption de plusieurs règlements -- notamment un règlement concernant les chiens et un autre sur les rejets -- et il suffit normalement de rédiger simplement le projet de règlement et de le soumettre au ministre des Affaires indiennes qui l'accepte ou le refuse. Pourquoi ce projet de loi est-il tranché à ce niveau du gouvernement canadien? Il est totalement illogique qu'une mesure de ce genre reçoive toute cette attention, quand une autre disposition tout aussi importante pour une collectivité, disposition sur laquelle j'ai eu l'occasion de travailler -- il s'agissait d'un règlement sur la fréquentation scolaire -- a été rejetée par le ministre des Affaires indiennes.

Nous ne pouvons pas librement adopter un règlement concernant notre peuple, mais un projet de loi pro-assimilation, visant à intégrer les Indiens dans le giron canadien, est traité de façon différente. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans ce système dans lequel on essaie de nous attirer.

Le sénateur Lavoie-Roux: Voilà qui m'a permis de me situer par rapport à cette partie du projet de loi.

Le président: Le gouvernement ou quelqu'un d'autre vous a-t-il donné les raisons de cela?

M. Maracle: Non. Comme M. McCormick l'a dit, nous avons appris l'existence de cette partie mardi matin, quand l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique a appelé notre bureau à London.

Le président: Peut-être que quelqu'un du côté gouvernemental pourrait expliquer pourquoi le gouvernement fait cela. Devrions-nous le demander au ministre?

Le sénateur Cools: Je suis un peu surprise par ce que viennent de déclarer les témoins. Je dirais que c'est peut-être le premier ou le deuxième point que nous devons directement soumettre au ministre. Je suis sûre que certains d'entre nous exprimerons leurs réserves au ministre. Nous pourrions même lui demander de répondre directement, et nous allons lui communiquer les questions que vous avez soulevées. Je suis sûre que vous aimeriez que le ministre se penche sur ce que vous nous avez dit.

Le président: Il serait tout à fait approprié que nous demandions au ministre de répondre aux trois questions que les témoins viennent de soulever.

Le sénateur Cools: Tout à fait.

Le président: Nous sommes d'accord?

Des voix: D'accord!

Le président: Bien, alors nous pouvons redémarrer du bon pied en nous intéressant à des points bien particuliers et en ne nous laissant pas dévier.

Le sénateur Cools: Je suis d'accord, mais je tiens tout de même à assurer à nos témoins que les sénateurs du parti gouvernemental veilleront à ce que le ministre soit mis au courant de leurs préoccupations.

M. Maracle: Nous apprécierions encore plus que vous encouragiez le ministre à nous rencontrer plutôt qu'à se contenter de nous écrire.

Le sénateur Cools: Cela dépasse un peu les pouvoirs du comité.

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous pouvons en faire la suggestion.

Le sénateur Cools: Tout ce que je voulais dire, c'est que vous avez été entendu.

Le président: Nous transmettrons le message.

Le sénateur Joyal: Comme l'ont dit mes collègues, la loi est plutôt complexe et j'ai d'abord été surpris par ce que vous avez dit à propos des boissons alcoolisées, du carburant et des produits de tabac. Vous n'ignorez bien sûr pas qu'on a beaucoup parlé à propos du commerce de ces produits dans les réserves, surtout du tabac et des boissons alcoolisées. Je suis certain que vous êtes au courant, comme nous tous qui lisons les journaux.

Pouvez-vous nous dire pourquoi ces produits sont traités à part? Selon vous, quel genre de problème cette disposition est-elle censée régler? Il ne s'agit pas de ventes de voiture, de meubles ni de bois d'oeuvre, mais essentiellement de boissons alcoolisées, de carburant et de produits de tabac. D'après ce que vous savez, à quoi ce projet de loi doit-il servir?

M. Maracle: Je ne veux pas parler contre la bande Kamloops qui veut appliquer une taxe dans sa collectivité, mais je pense pouvoir parler au nom des membres qui, nous semble-t-il ont l'impression que leurs droits individuels sont menacés par les quelques personnes qui ont pris cette décision. Il est vrai qu'au cours des trois dernières années, le braconnage a beaucoup attiré l'attention des médias. Dans bien des cas, si vous avez bien fait attention à ce qui s'est passé, vous aurez constaté que ce ne sont pas les gens des Premières nations qui trafiquent. En fait, ce sont plutôt des groupes ethniques qui ont des emplacements dans les réserves.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit que l'exemption fiscale est un droit individuel et non un droit collectif. Pouvez-vous nous expliquer un peu ce que vous entendez par-là, ou plutôt nous parler des conséquences que cela pourrait avoir, selon vous?

M. Maracle: Telle que la Loi sur les Indiens est rédigée -- celle qui énonce l'exemption -- si j'étais le dernier représentant des Premières nations au Canada, je bénéficierais encore de l'exemption fiscale. Peu importe si j'étais le dernier ou si nous étions encore 10 000, nous aurions tous droit à la même exemption. Le nombre n'a pas d'importance. Il s'agit d'un droit individuel et non d'un droit collectif.

Le sénateur Beaudoin: C'est une question très intéressante. Quant à moi, j'ai l'impression que c'est un droit collectif, bien que chacun puisse le réclamer en tant que droit individuel.

M. Maracle: C'est cela.

Le sénateur Beaudoin: S'il est un exemple de droits collectifs dans notre Constitution, c'est bien celui des peuples autochtones. Leurs droits sont prévus dans la Constitution et les tribunaux l'ont confirmé. Il est vrai que les membres des Premières nations peuvent réclamer ce titre individuel, mais il s'agit en fait d'un droit collectif. Seuls les autochtones peuvent réclamer ce droit.

C'est un peu comme la question de la taxation. Nous avons une jurisprudence qui établit que les Indiens travaillant dans les réserves ne paient pas de taxes. C'est une décision de la Cour suprême. J'ai cru comprendre que c'est à cela que vous faisiez référence tout à l'heure, au début de votre présentation.

M. Maracle: Je n'ai pas parlé de ce qui se passe dans le cas de l'impôt sur le revenu.

Le sénateur Beaudoin: Non?

M. Maracle: Non. À la façon dont nous interprétons les choses, il s'agit des conséquences d'un impôt extérieur imposé sur les Premières nations.

Le sénateur Beaudoin: C'est le cas?

M. Maracle: Ce sera le cas.

Le sénateur Beaudoin: Et selon vous, ce ne peut être fait dans une loi fédérale?

M. Maracle: On est en présence de deux poids deux mesures.

Si une collectivité veut adopter un règlement concernant les chiens ou les déversements, il propose le texte au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour le faire approuver. Pourquoi donc un règlement concernant la taxation se retrouve-t-il soudainement dans ce projet de loi, après trois lectures à la Chambre?

Le sénateur Beaudoin: Donc, selon vous, ce genre de règlement ne peut être appliqué sans le consentement du ministre?

M. Maracle: C'est cela. Ce qui me chagrine, c'est le manque de cohérence.

M. McCormick: Si nous avons parlé du paragraphe 87(1) de la Loi sur les Indiens, c'est parce qu'on peut y lire dès le début:

Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation:

Puis l'alinéa 87(1)b) précise:

b) Les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

Quelle preuve a-t-on que chaque membre de la bande Kamloops a donné son accord pour renoncer à son droit personnel et être protégé par la loi?

En outre, la Loi sur les Indiens stipule qu'elle ne peut être supplantée par aucune autre loi. Or, le projet de loi C-36 se trouve à supplanter indirectement la Loi sur les Indiens, parce qu'une taxe sera imposée sur des Indiens en contravention aux dispositions de l'article 87.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce l'article de la Loi sur les Indiens auquel vous vous référez? L'article 87?

M. McCormick: C'est cela.

Le sénateur Beaudoin: Pourriez-vous nous le relire?

M. McCormick: Très certainement:

Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation:

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

Le sénateur Beaudoin: Je vois. C'est sur cela que vous fondez votre argument?

M. McCormick: Nous essayons de formuler une défense pour les membres de la bande Kamloops.

Le sénateur Bryden: Ce qui est inquiétant, sénateur Beaudoin, c'est que le paragraphe 59(1) de ce projet de loi stipule «Malgré l'article 87 de la Loi sur les Indiens [...]». Il y a deux «nonobstant» ici, qui s'excluent mutuellement. Il est tout à fait légitime que nous demandions au ministre de répondre à ce genre de préoccupations.

Le sénateur Beaudoin: Comme il y a deux «nonobstant», il faut les réconcilier pour savoir lequel doit avoir préséance.

Le sénateur Bryden: Il est beaucoup plus question de la situation du gouvernement en vertu de la loi générale; il faut chercher à permettre la mise en vigueur de cet accord administratif sans aller à l'encontre de la Loi sur la taxe d'accise. Cela étant, on peut enfreindre d'autres dispositions législatives. Nous devons nous pencher sur cela.

M. Maracle: Nous jugeons inutile d'appliquer cette solution pour donner la possibilité de la bande de Kamloops de prélever des impôts. En vertu de l'article 4 de la Loi sur les Indiens, toute Première nation du pays a la possibilité de demander au gouverneur en conseil de l'exempter des dispositions de n'importe quel article de la Loi sur les Indiens. Il n'est pas nécessaire d'adopter une telle mesure législative. La bande en question peut demander à être exemptée des dispositions de l'article 87 de la Loi sur les Indiens et, par la suite, imposer une taxe en toute liberté. Elle pourra après imposer puis prélever toutes les taxes qu'elle voudra.

Le sénateur Forest: Quand les membres de la bande Kamloops vous ont contactés, vous ont-ils dit ce qui les a incités à appliquer cette formule? Étaient-ils au courant qu'ils n'avaient pas besoin de recourir à cette disposition? Vous ont-ils donné une idée de ce qui les a poussés à agir ainsi?

M. McCormick: Ce sont les représentants de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique qui nous ont contactés. Ils nous ont dit qu'une centaine de membres de la bande Kamloops s'opposaient à l'adoption de cet article du projet de loi.

Le sénateur Forest: Y a-t-il un conflit au sein de la bande?

M. McCormick: C'est ce qu'on nous a dit.

J'aimerais faire remarquer autre chose à propos de ce projet de loi. Tout à l'heure, nous avons brièvement parlé de notre façon traditionnelle de faire. Dans nos collectivités, ce sont les gens de la base qui sont véritablement les chefs. Nous n'administrons pas du haut vers le bas, mais du bas vers le haut. Ce projet de loi revient à donner à une majorité des membres du conseil le droit de dicter à l'ensemble de la collectivité le genre de dispositions qui la régira. Cela est contraire à notre tradition.

Chers collègues sénateurs, nous allons maintenant accueillir le représentant de l'Association Nationale des Collèges Carrières.

M. Paul Kitchin, directeur général, Association Nationale des Collèges Carrières: Honorables sénateurs, merci de cette occasion de nous adresser au comité à propos du projet de loi C-36.

Je m'appelle Paul Kitchin et je suis directeur général de l'Association Nationale des Collèges Carrières. L'ANCPP est une association sans but lucratif représentant des établissements de formation de niveau postsecondaire d'un peu partout au Canada. L'ANCPP, qui a célébré son 100e anniversaire il y a deux ans, représente un secteur d'éducation et de formation au Canada dont les racines remontent à 1868, soit un an après la naissance de la confédération. Nous représentons un secteur qui a donc une tradition riche et longue en matière de formation d'hommes et de femmes de tous âges, partout au Canada.

Dans mon mémoire, j'ai essayé de vous donner quelques renseignements de base sur l'association, sur ses membres et sur les étudiants inscrits dans nos établissements. Je traite également de la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire et je conclus par quatre propositions de modifications à apporter au projet de loi.

Vous ne connaissez peut-être pas tous le secteur que je représente, malgré ses 130 ans de tradition. Nous sommes un groupe de petits établissements, situés dans des villes petites, moyennes et grandes, à travers le Canada. Ces établissements sont spécialisés dans l'enseignement de compétences particulières. La plupart n'offrent qu'un, deux ou trois cours. Certains, en revanche, peuvent offrir jusqu'à 15 ou 20 cours. En moyenne, nos institutions accueillent 150 étudiants annuellement. Les petits établissements, quant à eux, n'accueillent qu'une trentaine ou une quarantaine d'étudiants. Les plus gros peuvent en compter jusqu'à 700 ou 800.

Comme je le disais, tous ces établissements sont spécialisés. Ils sont privés. Ils ne reçoivent pas de subventions de fonctionnement du gouvernement. Ils sont ouverts 12 mois sur 12. Ils accueillent les étudiants tout au long de l'année, par exemple ceux qui sont prêts à commencer en février peuvent le faire et n'ont pas à attendre au mois de septembre suivant pour s'inscrire dans un programme. Voilà donc un bref survol du genre d'établissements que je représente.

Voyons à présent qui sont les étudiants inscrits dans ces établissements qui sont nés dans les années 1800. Nos quelque 1 200 établissements postsecondaires privés au Canada accueillent environ 180 000 étudiants par an.

Pour me faire une idée du profil de ceux et de celles qui sont inscrits dans ces écoles, j'ai effectué un sondage auprès de 13 000 étudiants à travers le Canada. Je vais vous citer trois ou quatre des principaux constats de cette étude. Les deux tiers des inscrits sont des étudiantes. Près de la moitié des étudiants ont des personnes à charge. Environ un tiers d'entre eux ont plus de 35 ans et 20 p. 100 sont des parents célibataires.

Ce qui m'a le plus surpris, c'est que 47 p. 100 des étudiants avaient déjà fréquenté l'université ou un collège communautaire, 15 p. 100 d'entre eux détenant un diplôme de collège et 5 p. 100 un diplôme d'université. Cela nous indique que cette population est peut-être un peu différente de celle des établissements publics. Quand on considère ce profil, force est de constater que ces étudiants auraient avantage à accéder aux bourses de la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire.

Cela m'amène à vous parler de certaines des dispositions du projet de loi C-36. D'abord, je veux vous entretenir de l'admissibilité des institutions, dont il est question à l'article des définitions du projet de loi. Pour l'instant, la définition d'une institution éligible comporte deux volets. D'abord, un étudiant ne peut avoir accès à une bourse de la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire que si l'établissement où il est inscrit est financé par le secteur public. La deuxième partie traite des établissements privés, mais laisse à la discrétion de la Fondation le soin de déterminer si les étudiants inscrits dans ces institutions peuvent prétendre aux bourses, l'autre condition étant que «de bonnes performances de l'expérience antérieure de l'institution en question aient été établies dans le domaine d'études pour lequel l'étudiant est inscrit».

Nous sommes donc en présence d'un système de deux poids deux mesures pour les établissements d'enseignement. La majorité de ces institutions offrent déjà des programmes répondant aux critères du Programme canadien de prêts aux étudiants. Développement des ressources humaines Canada a agréé ces mêmes programmes pour qu'ils ouvrent droit à la déduction relative aux études consentie au titre des impôts fédéraux sur le revenu.

Pourquoi donc appliquer un régime d'examen particulier aux institutions privées en vertu des dispositions de la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire? Comme je le disais, la majorité de nos étudiants ont délibérément choisi de s'inscrire dans nos établissements. Nous sommes de fervents défenseurs du droit de choisir l'établissement d'enseignement ou de formation jugé le plus approprié à chacun.

Les étudiants dont je parle, contrairement à ceux qui sont inscrits dans des établissements publics, ne sont pas officiellement représentés. Aucun groupe ne les représente. Souvent, quand je m'adresse à des groupes, je me retrouve dans la position non seulement de porte-parole d'établissements privés, mais aussi de porte-parole des étudiants qui les fréquentent.

Le droit de faire un choix est important. Quand nous avons fait notre sondage auprès des étudiants, nous avons constaté que c'est la durée des programmes qui les attire le plus vers nos établissements. Cela tient au fait que nombre d'entre eux ont quitté le marché du travail, pour une raison ou pour une autre, et qu'ils doivent y revenir le plus vite possible pour répondre à certains besoins. Je pense ici surtout aux étudiants qui ont des personnes à charge ou qui sont parents célibataires.

Le système de prestation dans le secteur privé correspond à une formation intensive. Le nombre d'heures de contact et d'heures d'instruction se compare avantageusement avec ce qui se fait dans le réseau des collèges communautaires publics; cependant, les heures sont regroupées dans un programme que les établissements privés offrent, en moyenne, sur 10 à 12 mois, alors que le même programme s'étale sur deux ans dans un collège communautaire. C'est donc une bonne formule de substitution pour les gens qui doivent réintégrer rapidement le marché du travail et redevenir très vite productifs.

Nous avons parlé du problème de deux poids deux mesures. À cet égard, on semble supposer que, si un programme est offert par un établissement public, il est forcément de grande qualité et qu'il jouit d'une excellente fiche de route. Ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire: je reconnais que nous avons d'excellents collèges communautaires au Canada, tout comme nous avons d'excellentes universités. Je suis moi-même un produit de l'Université de Waterloo. C'était le bon temps, et ce fut une très bonne expérience pour moi. Il m'est arrivé à une reprise ou deux de tomber sur un cours dont la qualité laissait à désirer et dont le professeur n'était pas tout à fait à la hauteur. Je veux dire que ce n'est pas parce qu'un établissement est public qu'il est forcément de grande qualité. Il ne faut pas non plus se sentir obligé de remettre en question la qualité des établissements privés.

En fait, il n'y a pas deux universités qui soient de qualité comparable, il n'y a pas deux collèges universitaires qui soient de la même qualité, il n'y a pas deux établissements privés, non plus, qui soient du même niveau. Nous aurions besoin d'un étalon.

Nous nous sommes déjà pliés au processus d'agrément des établissements en vertu du Programme canadien de prêts aux étudiants. Cette procédure d'agrément a été reprise par les provinces qui déterminent quels établissements se situant sur leur territoire peuvent prétendre au Programme canadien de prêts aux étudiants. Si toute cette organisation existe, pourquoi faudrait-il réinventer la roue et tout recommander pour déterminer quels établissements peuvent ou non prétendre à ce programme de bourses? Tout cela ne paraît pas très logique.

Nous recommandons donc de reprendre la désignation du Programme canadien de prêts aux étudiants, le PCPE. Par ailleurs, si l'on devait juger que ce processus de désignation PCPE n'était pas suffisant, l'ANCPP recommande fortement qu'on examine la façon de le renforcer. Nous appuyons publiquement la notion de qualité et l'application de normes. Nous apporterions tout notre appui à un processus qui viserait à responsabiliser les établissements d'enseignement et de formation au Canada. Nous aimerions qu'on se penche sur la rétention des étudiants dans les établissements, autrement dit qu'on inscrive les bons étudiants dans les bons programmes et qu'ils aient la possibilité d'acquérir et de maîtriser les compétences dispensées.

Donc, vous pourriez étudier les taux de rétention des étudiants ou, à l'inverse, sur les taux de décrochage. Quant aux diplômés, vous pourriez examiner les taux de placement. Vous pourriez voir quels résultats les établissements obtiennent à cet égard; mais au moins, ce genre d'analyse serait générale. Une telle formule concernerait tous les établissements, publics comme privés.

La nature du financement des établissements n'a rien à voir avec la qualité de leurs prestations. C'est un peu l'axe qu'on semble s'être tracé dans ce projet de loi. Donc, il faudrait éventuellement renforcer les désignations.

La fondation établit le critère d'attribution des bourses, soit le besoin financier ou le mérite, ou une combinaison des deux. Eh bien, tous les étudiants au Canada désireux de poursuivre des études postsecondaires devraient avoir la même chance d'accéder à ces bourses.

Vient ensuite la question du critère d'admissibilité des étudiants. Dans le projet de loi, on parle d'une combinaison de besoins financiers et de mérite scolaire, bien qu'on ne précise pas comment cela sera déterminé. En ma qualité de porte-parole de l'ANCPP, je siège au Groupe consultatif national sur l'aide financière aux étudiants, qui travaille de concert avec Développement des ressources humaines Canada. D'après les dernières statistiques de ce ministère, en 1995-1996, 70 000 étudiants, qui avaient été admis à un prêt étudiant du Canada, ont été évalués en fonction du plafond de prêt et n'ont pas obtenu un montant correspondant à leurs besoins. En effet, cette évaluation ne leur a pas permis d'obtenir assez compte tenu des frais d'inscription, de leurs frais de maintenance et autres.

Il faut absolument régler ce genre de problèmes. D'ailleurs, d'autres mesures dans le budget étaient destinées à régler une partie de ces problèmes. Cependant, tant qu'il se trouvera un seul étudiant dont les besoins n'auront pas été remplis, il faudra utiliser la fondation des bourses du millénaire de la bonne façon pour aider ceux et celles qui désirent acquérir une formation, suivre un recyclage ou acquérir les compétences dont ils ont besoin, et nous devrions accorder la priorité aux besoins financiers plutôt qu'au mérite.

Il est certain que plusieurs étudiants qui des besoins financiers démontrent aussi un mérite scolaire et l'on pourrait toujours leur accorder des bourses sur ces bases-là. Cependant, nous estimons que l'aspect le plus important est l'aspect financier. Dans notre mémoire, nous recommandons de supprimer la notion de mérite du critère d'admissibilité aux bourses du fonds.

La dernière chose qui concerne les bourses d'études du millénaire est la sélection des membres et des directeurs de la fondation. Le projet de loi parle de consultation avec les gouvernements provinciaux et le milieu de l'enseignement à propos de la sélection de ces gens-là. Cependant, on s'en remet à eux pour choisir les établissements ou les organisations d'enseignement qu'ils vont contacter.

Il existe trois secteurs d'enseignement au Canada: le secteur universitaire, le secteur des collèges communautaires et le secteur de l'enseignement postsecondaire privé. Nous sommes intimement convaincus que les trois secteurs devraient être contactés dans le cadre de toute consultation portant sur l'enseignement au Canada, surtout en ce qui concerne le fonds du millénaire. Nous aurions aimé que le libellé de la loi soit renforcé afin de rendre obligatoire la consultation des trois secteurs. Tous trois devraient avoir voix au chapitre sur le choix des membres ou des administrateurs de la fondation, même si nous n'avons pas forcément de siège. Ce serait merveilleux si on nous en offrait un, mais le principe le plus important est celui d'une voix égale au chapitre pour tous.

Le projet de loi précise qu'il faut veiller à ce que les administrateurs et les membres de la fondation possèdent une vaste connaissance des ressources éducatives au Canada. Pour cela également, nous insistons sur le fait que les trois secteurs doivent être consultés dans la sélection des membres et des administrateurs.

Notre mémoire fait également état de deux modifications concernant les articles 8 et 12 portant sur la sélection des membres et des administrateurs. En outre, nous avons proposé un amendement rendant obligatoire la consultation des trois secteurs d'enseignement.

En résumé, je dirais que nous comptons parmi nos membres plusieurs établissements ayant une longue et riche tradition en matière de formation d'hommes et de femmes de tous âges. Nous estimons que les étudiants devraient avoir la possibilité de choisir le type de formation leur paraissant la plus appropriée, en fonction de leur âge et de leur situation générale, si bien que ce serait une erreur de laisser carte blanche à des gens ne connaissant pas bien ce secteur ni sa contribution, pour distribuer les fonds de la bourse du millénaire.

Beaucoup seront peut-être surpris d'apprendre que le secteur privé offre autant de programmes débouchant sur un diplôme que les collèges communautaires publics. Notre contribution n'est pas négligeable.

Comme je le disais, nous accueillons chaque année 180 000 étudiants, au niveau des diplômes et des certificats, des étudiants qui ont droit au même accès à l'aide financière que leurs camarades du système public.

Nos étudiants ont droit à l'aide financière et au PCPE; pourquoi n'auraient-ils pas automatiquement droit au fonds de la bourse du millénaire?

Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de vous parler de cela. Je serai très heureux de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

Le sénateur Lavoie-Roux: Merci d'être venu nous rencontrer ce matin. Avez-vous une liste des établissements privés? Y a-t-il des établissements privés de niveau secondaire dans toutes les provinces?

M. Kitchin: Oui. Je pourrais vous remettre un répertoire de nos membres.

Il existe un règlement et une loi régissant les établissements privés dans chaque province. Par exemple, en Ontario, il s'agit de la Loi sur les écoles privées de formation professionnelle, administrée par le ministère de l'Éducation et de la formation.

Il existe un certain nombre d'exigences en matière de programmes, d'instructeurs, d'installations et d'équipements. Les écoles doivent même déposer une caution au titre de la protection des consommateurs. Elles sont fortement réglementées dans toutes les provinces.

Le sénateur Lavoie-Roux: Il est vrai que le secteur privé n'est pas visé par ce projet de loi. Cependant, dans ma province du moins, les gens qui vont dans les établissements privés, en général, n'ont pas de grands besoins financiers. J'ai peut-être un préjugé, mais je crois que les parents des étudiants inscrits dans vos établissements privés peuvent se permettre de payer les études de leurs enfants.

Il n'y a pas d'université privée au Québec et je ne pense pas qu'il y en ait dans les autres provinces. Je crois qu'elles sont toutes subventionnées par l'État.

Peut-être que les gouvernements partent du principe que les parents envoyant leurs enfants dans les collèges et les universités privés ont les moyens de le faire.

M. Kitchin: C'est une bonne remarque et je dirais que c'est un peu des deux. Vous trouverez dans les établissements privés, comme dans les universités et collèges, des étudiants dont les parents ont les moyens de payer ce qu'il en coûte. Par ailleurs, étant donné la nature de nos établissements, le fait que les classes sont moins chargées, que l'inscription est continue, que les cours sont intensifs et donc que le programme s'étale sur moins longtemps, nous avons tendance à attirer des gens qui ont des personnes à charge, des gens de plus de 35 ans, qui n'ont peut-être pas d'emploi et qui veulent acquérir de nouvelles compétences.

Nous avons proportionnellement plus de parents célibataires dans nos établissements. Les étudiants inscrits dans nos institutions perçoivent environ 15 p. 100 de tous les prêts offerts par le Programme canadien de prêts aux étudiants. Plus de 20 p. 100 de nos inscrits sont des parents célibataires.

On retrouve donc un peu des deux. Vous avez tout à fait raison en disant que certains de nos étudiants appartiennent à des familles qui ont des moyens, mais ce n'est pas le cas pour plusieurs d'entre eux. Nous avons obtenu de DRHC le nombre des étudiants dont les besoins financiers ne sont pas comblés. J'ai dit que 70 000 étudiants au Canada ne bénéficiaient pas d'une assistance financière correspondant à leurs besoins. Eh bien, près de 40 p. 100 d'entre eux étaient inscrits dans des établissements privés. C'est donc là tout un pan de la population estudiantine qui a absolument besoin d'une assistance financière.

Le sénateur Lavoie-Roux: Personnellement, je dirais que les bourses du millénaire sont destinées à des étudiants plus jeunes que ceux que vous mentionnez, puisque vous dites qu'un tiers de vos étudiants ont plus de 35 ans. Je poserai cependant la question au ministre, mais j'ai l'impression que le programme s'adresse davantage aux gens de moins de 30 ans et même de moins de 25 ans. Vous pensez que nous devrions l'augmenter parce qu'ils ont des enfants à leur charge. C'est une question délicate, mais je suis heureuse que vous soyez venus nous rencontrer parce que nous n'avions pas vu la chose sous cet angle jusqu'ici.

M. Kitchin: Merci de votre remarque. Par ailleurs, rien dans le projet de loi ne fait mention à l'âge. Il est plutôt question d'établissements publics, puisqu'on parle de tous les étudiants inscrits dans des établissements publics.

Le sénateur Forest: Je suis également très heureuse que vous soyez venus nous rencontrer, parce que je me suis surtout intéressée au cas des universités publiques et des collèges subventionnés par l'État. Vous avez dit que vos étudiants peuvent obtenir des prêts comme les étudiants des collèges publics. Vous avez dit aussi que les provinces réglementent étroitement les collèges. Je voudrais savoir si vous appliquez des critères d'admission aux collèges désireux d'appartenir à votre association.

M. Kitchin: D'abord et avant tout, ils doivent être agréés et régis par une autorité provinciale. C'est le cas de tous nos membres qui, en outre, doivent appliquer un code d'éthique relativement strict. Nous encourageons en permanence la recherche de la qualité dans la formation.

Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai assisté à une conférence nationale à laquelle participaient des représentants d'écoles d'un peu partout au Canada. Nous avons essayé, à cette occasion, d'encourager la formation professionnelle du personnel administratif, du personnel enseignant et même du personnel chargé du recrutement. Nous nous sommes rendu compte -- mais cela est général dans le domaine de l'éducation -- que nos méthodes de recrutement des étudiants ont quelque peu dérivé. Nous devons sans cesse nous demander si nous attirons les bons étudiants dans les bons programmes, afin qu'ils aient vraiment l'impression de pouvoir réussir.

Le sénateur Forest: Je viens d'Alberta où plusieurs collèges sont privés. Moi aussi j'aimerais avoir la liste de vos collèges. Ainsi, nous saurions davantage qui ils sont.

M. Kitchin: Je veillerai à ce que vous en receviez un exemplaire.

Le sénateur Bryden: Pourriez-vous nous donner une idée de ce que j'appellerais vos frais de scolarité, faute d'une meilleure expression? Je sais qu'ils varient d'un programme à l'autre.

M. Kitchin: En général, ils oscillent autour de 7 000 à 8 000 $. Aucune subvention ne vient s'ajouter à cela. C'est tout ce que nous touchons.

Encore une fois, je le rappelle, la formation est plus intensive et les cours sont terminés dans une période d'un an, par opposition à ce qui se passe dans les établissements publics où il faut payer des frais de scolarité pendant trois ou quatre ans. Voilà la différence. Les établissements publics perçoivent des subventions et les cours que nous offrons ne s'étalent que sur une année.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit quelque chose dans votre présentation qui m'a laissé perplexe. Vous voulez modifier la loi pour retirer la possibilité à la fondation de tenir compte du mérite dans l'attribution des bourses. Plus tôt, des témoins nous ont demandé de supprimer la notion de besoins financiers et de ne nous fonder que sur l'excellence, un peu comme cela se fait pour les autres bourses d'étude. Ils prétendent que cela favoriserait l'excellence chez les étudiants. Comment réagissiez-vous à cela?

M. Kitchin: Je peux répondre de deux façons. D'abord, nous essayons d'encourager nos établissements -- tout autant que le secteur public -- à offrir des bourses pour le mérite. C'est très certainement une première option. Les établissements publics ont été encouragés à mettre sur pied des fondations et à solliciter des contributions auprès du secteur corporatif. Pour récompenser le mérite, nos écoles pourraient administrer leurs propres programmes de bourses.

Je siège au Groupe consultatif national d'aide financière aux étudiants, au côté de collègues représentant les universités, les collèges et des fédérations estudiantines. Le plus souvent, nous parlons des nombreux cas d'étudiants dont les besoins financiers ne sont pas comblés. Le genre d'aide financière actuellement consentie ne permet pas de répondre à tous leurs besoins. Je siège à un sous-comité qui étudie un processus d'évaluation des besoins. Nous nous demandons ce qu'il faut examiner. Nous nous demandons comment améliorer le système.

L'une des expressions dans le vent est «plafond de prêt», parce que nous avons tous réduit les sommes prêtées étant donné que l'endettement estudiantin est actuellement trop élevé. Il y a maintenant beaucoup trop d'étudiants qui sont endettés. Il n'est pas envisageable de hausser le plafond des prêts. Il nous faut donc trouver une autre façon pour combler ce genre de besoins.

Nous parlons ici de gens qui sont déjà dans le système. Je crains que nous ne connaissions jamais le nombre de personnes qui n'ont pas accès à l'enseignement postsecondaire à cause d'un manque de moyens financiers. Il est possible qu'un simple coup de pouce par un régime de bourse gouvernemental, comme les bourses du millénaire, suffirait à répondre à leurs besoins. Ainsi, on peut penser que des bénéficiaires de bien-être social se décident à suivre une formation postsecondaire, à se mettre ensuite en quête d'un emploi et deviennent des citoyens productifs. C'est cela la crainte que nous avons. Nous savons qu'il y a déjà 70 000 étudiants qui n'obtiennent pas suffisamment d'argent en fonction de l'actuel processus d'évaluation. Combien d'autres ne sont pas pris en compte dans les statistiques?

Comprenez-moi bien: nous croyons bien évidemment dans les notions d'excellence et de mérite. Personnellement, j'aimerais trouver une façon de stimuler mes propres enfants pour qu'ils aspirent à l'excellence. Ils ont plutôt tendance à se la couler douce dans leurs études. Nos établissements croient dans l'excellence mais pour l'instant, nous jugeons qu'il est davantage nécessaire d'aider financièrement les gens à suivre des études postsecondaires.

Le sénateur Joyal: Diriez-vous que le projet de loi propose un équilibre raisonnable entre les besoins et le mérite et qu'il ouvre la porte à un afflux de fonds privés pour mettre sur pied des bourses davantage fondées sur le mérite que sur les besoins financiers? Trouvez-vous que la fondation dispose de la souplesse nécessaire pour régler les problèmes particuliers que vous venez d'énoncer?

M. Kitchin: Vous soulevez une bonne question... le fait que certains fonds soient spécifiquement destinés à récompenser le mérite. Peut-être n'avons-nous pas choisi la bonne terminologie.

Nous préférerions que les étudiants n'aient pas à obéir à un double critère, celui des besoins financiers et celui du mérite, pour obtenir ce genre de bourses, parce que cela pourrait éliminer des gens qui ont des besoins financiers et qui éprouvent des difficultés dans leurs études. Il arrive que des étudiants satisfassent à peine aux critères d'admission et qu'ils aient des difficultés dans les premiers temps. Puis, quelque temps plus tard, la lumière s'allume et celui dont on aurait pensé qu'il allait terminer avec 70 p. 100, obtient des 90 p. 100. Nous craignons d'éliminer ces gens-là.

Vous venez de faire une excellente remarque. Il serait peut-être possible de reformuler cela pour parvenir à un certain équilibre, pour qu'il ne soit pas question et de besoins financiers et de mérite. Si l'on pouvait parvenir à un équilibre entre les deux, cela pourrait nous convenir.

Le sénateur Joyal: Pouvez-vous nous dire si tous vos membres sont des établissements désignés aux termes du programme de prêts étudiants?

M. Kitchin: La majorité d'entre eux sont désignés, mais pas tous, soit parce qu'ils sont encore trop jeunes, soit parce que leurs programmes ne correspondent pas aux critères du programme de prêts étudiants.

Nous ne demandons pas que ce programme de bourse soit accessible à tous nos membres, mais à ceux qui sont déjà agréés.

Le sénateur Joyal: Pourrait-on dire que cela ne concerne qu'une fraction de vos membres et qu'ils ne sont pas nombreux? J'essaie de déterminer si nous allons faire justice à toutes les institutions et si nous ne risquons pas de laisser les deux tiers de vos membres sur la touche.

M. Kitchin: Non, la grande majorité de nos établissements ont déjà accès au programme de prêts étudiants. Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je dirais que la majorité d'entre eux sont reconnus au titre du programme de prêts étudiants.

Le sénateur Joyal: Est-ce que je me trompe si je dis que, si ces institutions sont désignées, les étudiants qui sont inscrits auront accès au programme, parce que les établissements font déjà partie du système national d'aide aux étudiants, ou du système provincial dans le cas du Québec? Si la plupart de vos établissements membres sont déjà désignés, peut-on dire que la majorité des étudiants de vos institutions auront accès au programme au même titre que s'ils avaient été dans des établissements publics?

M. Kitchin: C'est le cas pour ce qui est du Programme canadien de prêts aux étudiants, mais il est question, dans ce projet de loi, d'établissements admissibles. Dans la première partie, on parle de tous les établissements publics et, dans la deuxième partie, on dit que les institutions privées pourraient y avoir droit, à la discrétion de la fondation. Il existe donc un risque que les établissements privés soient laissés de côté et je ne sais pas exactement sur quels critères la décision sera prise. Nous avons l'impression que cette disposition va occasionner un dédoublement de travail. La fondation devra élaborer un mécanisme pour décider si les établissements privés peuvent prétendre à ce programme, alors que le gouvernement fédéral administre déjà un programme obéissant à un processus de désignation. Les étudiants des établissements désignés ont déjà accès aux prêts étudiants et aux subventions pour initiatives spéciales. Le mieux, selon nous, serait d'établir un lien entre la désignation et les critères d'admission au fonds du millénaire.

Le sénateur Joyal: Vous savez que le projet de loi ordonne à la fondation d'éviter tout dédoublement et de conclure des ententes avec les ministres provinciaux de l'éducation et de déterminer ses critères sur cette base.

M. Kitchin: Je ne comprends pas pourquoi nous créons une division dans le secteur postsecondaire. Pourquoi «A» d'un côté et «B» de l'autre? Il serait plus logique, pour moi, que la fondation ait toute latitude de choisir parmi l'ensemble des institutions, publiques ou privées, ou encore qu'elle décide d'accepter tous les établissements désignés, publics ou privés.

Le sénateur Grafstein: La différence pourrait-elle résider dans le fait que, par exemple, certains établissements sont déjà bien financés? Il y a une différence entre un prêt et une subvention et ce genre de fonds est destiné à accorder des subventions et non des prêts.

M. Kitchin: Effectivement.

Le sénateur Grafstein: Je suppose que vous avez des réserves relativement à l'examen dont devrait faire l'objet chaque établissement en vue de déterminer s'il doit recevoir une subvention plutôt qu'un prêt. Un prêt n'est pas remboursable, alors qu'une subvention est un cadeau. Est-ce que tous vos établissements membres sont sans but lucratif ou est-ce que certains d'entre eux sont privés? S'ils sont privés, serait-il illogique de verser des subventions, par étudiant interposé, à des établissements privés plutôt qu'à des établissements sans but lucratif?

M. Kitchin: Je suis heureux que vous parliez de cela. Je veux préciser une chose, parce que je n'ai peut-être pas été très clair dans ma présentation. Tous les établissements dont je parle sont privés. Ils appartiennent, soit à un seul propriétaire, soit à un partenariat, soit à un groupe de propriétaires, mais tous sont privés. Ces établissements ne perçoivent aucun subside public. Ils ne fonctionnent que grâce aux frais de scolarité.

Pour l'instant, les étudiants qui peuvent s'inscrire dans ces établissements peuvent prétendre aux prêts étudiants et à d'autres programmes de subvention. À l'échelle fédérale, il existe des subventions pour initiatives spéciales. Dans certaines provinces, il y a des bourses et des subventions qui font partie du programme de prêts étudiants. Encore une fois, nous aimerions que l'on tienne compte des étudiants qui, même après avoir été évalués en fonction des plafonds de prêt et même après avoir exploré toutes les possibilités sur le plan des subventions et des bourses continuent de manquer d'argent pour pouvoir s'inscrire dans un établissement postsecondaire, payer leur loyer et s'acheter de quoi manger. L'accès aux prêts étudiants ne pose pas problème.

Nous parlons en fait de l'étudiant «X» qui est à la croisée des chemins, qu'il s'agisse d'un jeune à peine sorti de l'école secondaire ou d'une personne dans la fin de la vingtaine qui a perdu son emploi à cause d'une restructuration, qui a deux enfants à charge et qui se demande ce qu'elle va faire. Avec un peu de chance, cette personne aura fait le tour des possibilités s'offrant à elle, elle aura étudié les différents programmes offerts par différentes institutions et en sera venue à la décision que le programme «X» offert par l'institution «Y» serait le mieux pour elle. Cela étant décidé, il lui faudra ensuite déterminer comment financer ses études.

Personnellement, je trouve qu'il n'est pas très logique -- et je vais remettre ici ma casquette de contribuable et celle qu'a porté mon père -- qu'on vienne dire aux étudiants: «Vous pourrez avoir une subvention si vous allez dans tel ou tel établissement, mais vous n'en aurez pas si vous allez dans celui que vous avez choisi même s'il représente la meilleure solution pour vous». Voilà l'énigme qu'il nous faut résoudre.

Le président: Nous accueillons maintenant les représentants de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité. Vous pouvez commencer.

M. Norman Kondo, président, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: Au nom de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui. Je suis accompagné de Mme Donna Collins et de M. Stan Ruthen, spécialistes agréés de l'insolvabilité et syndics de faillite. Pour ma part, je ne suis pas syndic de faillite.

Le président de notre association, M. Robert Sanderson, tient à vous présenter ses excuses car d'autres engagements qu'il ne pouvait absolument pas annuler l'empêchent d'être avec nous.

Nous nous adressons à vous aujourd'hui dans le but essentiel de faire retirer l'article 103 du projet de loi C-36. Cet article est destiné à modifier l'article 178 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité de façon à ce qu'un étudiant ne puisse déclarer faillite pendant 10 ans après avoir terminé ses études, dans le but d'obtenir libération de ses emprunts d'études.

Cette idée de prendre des mesures spéciales au sujet des prêts d'étudiants est issue d'un amendement qui a été apporté à la loi et qui est entré en vigueur en septembre dernier seulement. En vertu de cet amendement, les étudiants ne peuvent obtenir libération de leur dette pendant deux ans et, en vertu du nouvel amendement, on se propose de porter cette période à 10 ans. Je tiens à rappeler aux honorables sénateurs que la libération n'est pas automatique après l'expiration de cette période car le failli doit quand même adresser une demande à un tribunal qui examine la situation et décide si la libération peut être accordée.

Est-il raisonnable d'appliquer une période de 10 ans dans ce cas? Nous estimons que non.

Avant de poursuivre mon analyse de l'article 103, je voudrais vous donner un aperçu de l'ACPI et de ses activités car je sais que notre association est relativement méconnue. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous sommes trois à nous adresser à vous aujourd'hui.

Nous ne sommes pas ici pour prendre la défense des étudiants, des établissements d'enseignement ou des prêteurs qui participent aux programmes de prêts aux étudiants. Nous sommes une association nationale qui représente probablement plus de 95 p. 100 des syndics de faillite. Lorsque nous exerçons cette fonction, nous le faisons au nom de tous les créanciers et nous sommes des représentants de la justice. Nous ne délivrons pas de licences et personne n'est obligé d'appartenir à l'ACPI pour avoir le droit d'exercer cette profession. Notre association s'autofinance grâce aux cotisations de ses membres. Nous consacrons la majeure partie de notre budget et de nos activités à l'amélioration et au maintien des normes de qualification des professionnels de l'insolvabilité.

Nous avons à l'heure actuelle un comité permanent de l'éducation, un comité de discipline, un comité de conduite professionnelle et un comité de normes professionnelles. Nous n'avons pas de comité de relations publiques, de comité d'adhésions ou de comité social.

L'un des buts fondamentaux de l'ACPI est de veiller à ce que la population ait confiance dans l'intégrité et la valeur du processus d'insolvabilité du Canada. À notre avis, l'article 103 risque de miner cette confiance dans le système d'insolvabilité et aussi dans le processus législatif. Il ne s'agit pas ici d'un problème d'étudiants mais plutôt, selon nous, d'un problème de discrimination contre une catégorie particulière de débiteurs. D'après nous, jouer avec la LFI pour résoudre d'autres problèmes du processus de prêt aux étudiants est une erreur. Comme l'affirmait M. Sanderson dans sa lettre, notre association est prête à prendre l'initiative d'une étude sur l'efficacité de la récente limite de deux ans.

J'ajoute que cet amendement ne répond pas au critère de transparence. Les spécialistes de l'insolvabilité ont été très surpris quand ils en ont pris connaissance. Voilà pourquoi vous commencez seulement à recevoir des lettres de nos membres et d'autres professionnels de l'insolvabilité, par exemple de membres de la Section nationale des faillites et de l'insolvabilité de l'Association du Barreau canadien. Contrairement à l'article 103, les autres dispositions du projet de loi C-36 semblent avoir fait l'objet d'une assez considérable publicité. Nous estimons par ailleurs que cet article ne répond pas non plus au critère de justice car il revient à prendre des mesures discriminatoires à l'encontre d'une catégorie particulière de faillis -- les anciens étudiants -- pour une catégorie particulière de dette -- les emprunts d'études.

Je voudrais mentionner les autres types de dettes non acquittables figurant à l'article 178, dans le but d'illustrer l'effet de l'article 103 sur les étudiants qui ne peuvent rembourser leur dette. S'il est vrai que l'on est souvent jugé par les gens avec qui on se tient, je crains que le législateur n'ait une bien piètre opinion des étudiants. Nous pensons que cette proposition va à l'encontre des préoccupations exprimées par la population au sujet de la fuite de nos jeunes cerveaux. Or, une population active bien éduquée est censée être une ressource précieuse pour le Canada. Qu'y a-t-il dans l'article 178? Je vous le lis:

Une ordonnance de libération ne libère pas le failli:

a) de toute amende, pénalité, ordonnance de restitution ou toute ordonnance similaire infligée ou rendue par un tribunal [...]

Je continue avec c),

c) de toute dette ou obligation selon une ordonnance alimentaire ou une ordonnance d'attribution de paternité ou selon une entente alimentaire au profit d'un conjoint ou d'un enfant, vivant séparé du failli;

Il s'agit ici des conjoints mécréants qui ne paient pas leur pension alimentaire.

d) de toute dette ou obligation résultant de la fraude, du détournement, de la concussion ou de l'abus de confiance alors qu'il agissait à titre de fiduciaire;

e) de toute dette ou obligation résultant de l'obtention de biens par des fausses représentations ou des présentations erronées et frauduleuses des faits; [...]

Voilà dans quelles catégories on classe les étudiants qui ont des dettes. Comme je l'ai dit, je ne suis pas syndic de faillite.

Je vais demander à Mme Collins de présenter la suite de notre mémoire, du point de vue d'une spécialiste.

Mme Donna Collins, secrétaire-trésorière, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: J'attire votre attention sur la lettre que vous a adressée l'association le 8 juin. Je n'ai pas l'intention d'aborder tous les points qui y sont soulevés mais simplement les raisons pour lesquelles nous souhaitons que l'article 103 soit abrogé. Ensuite, j'essaierai de vous présenter le point de vue d'une spécialiste et de vous dire pourquoi nous estimons que l'article 103 de ce projet de loi devrait être abrogé.

Nous demandons l'abrogation de l'article parce qu'il s'agit d'un mécanisme de lutte contre les abus qui vient juste d'être ajouté à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité dont vient de parler M. Kondo. Ce mécanisme a été ajouté à la loi le 30 septembre 1997 et nous n'avons pas encore eu assez de temps pour recueillir des informations factuelles sur son succès ou son échec.

Nous croyons que modifier la LFI risque de miner la confiance du public à l'égard du système canadien de faillite et d'insolvabilité. Nous croyons que cela causera des difficultés à certaines personnes et familles, que cela entravera la réhabilitation des débiteurs, que cela réduira le nombre de propositions de consommateurs sans réduire le nombre de faillites et, en fait, que cela favorisera la récidive de faillis. Cette disposition risque de provoquer les faillites d'ex-étudiants qui ne demanderont pas la libération de leur dette de façon à préserver une suspension de procédures d'exécution, ce qui risque d'accroître le nombre de faillites. C'est une disposition qui va à l'encontre des objectifs visés par l'article 136 de la Loi sur la faillite et sur l'insolvabilité, qui a été modifiée en 1992 pour mettre tous les créanciers sur un pied d'égalité sans accorder de priorité aux créances de l'État. Il s'agissait au fond de réduire les possibilités de statut spécial.

L'un des objectifs de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité est d'aider les débiteurs honnêtes qui ont joué de malchance et qui sont trop endettés. Il y a dans la loi un certain nombre de mécanismes de contrôle pour éviter les abus.

En ce qui concerne les ex-étudiants endettés, il ne faut pas les mettre tous dans le même sac. Certains de ceux que nous voyons sont des diplômés, d'autres non. De fait, un grand nombre n'ont pas de diplôme. Il y en a certains qui ont un emploi et d'autres non. Il y en a qui n'ont pas réalisé qu'ils ne pourraient jamais trouver un emploi leur permettant de rembourser les emprunts qu'ils avaient souscrits pour leurs études. Il y en a aussi dont la situation a tout simplement changé à cause de la maladie ou de problèmes familiaux, par exemple. Il y en a qui n'avaient tout simplement pas les compétences requises pour faire certaines études et qui ne les ont donc pas achevées.

C'est parce que les cas sont tellement différents que nous estimons que l'interdiction qui sera faite d'obtenir libération d'un emprunt étudiant pendant 10 ans causera de grandes difficultés, alors qu'il faudrait préserver une certaine souplesse dans le système. Je parle ici de la souplesse qui existe dans la loi actuelle sur la faillite et l'insolvabilité. Le fait qu'une personne déclare faillite ne signifie aucunement que toutes ses dettes sont automatiquement épongées et qu'elle peut s'en sortir sans dommage.

En vertu de la loi, si une personne déclare faillite alors que deux ans ne se sont pas encore écoulés depuis la fin de ses études, elle ne peut obtenir libération de sa dette. La personne doit encore adresser une demande à un tribunal à la fin de la période de deux ans et c'est le tribunal qui peut seul décider si la dette sera ou non épongée, si la personne devrait être tenue de rembourser la dette ou si la question devrait être reportée pendant une autre période afin de voir s'il pourrait y avoir ou non une possibilité de remboursement.

Nous n'avons pas encore eu la possibilité d'évaluer le système et, à titre de syndic de faillite, je puis vous dire que nous n'avons encore fait aucune demande de cette nature parce que le système n'existe pas depuis assez longtemps. Une personne qui a fini ses études depuis plus de deux ans et qui déclare faillite risque de voir l'organisme de prêts aux étudiants ou l'organisme ayant accordé le prêt s'opposer à la libération. L'affaire est alors portée devant un tribunal. Si ce dernier pense que la personne a abusé du système ou qu'elle a la possibilité de rembourser sa dette, ou s'il pense qu'il faudrait attendre plus longtemps avant de prendre une décision, il a parfaitement la possibilité de rendre un jugement en conséquence. Le rôle du syndic est de porter les renseignements à la connaissance du tribunal.

La tâche du syndic serait considérablement facilitée si nous pouvions savoir exactement quels sont les recours dont disposent les faillis, afin de pouvoir prendre des décisions éclairées. Je souligne en effet qu'il existe des mécanismes pour faire face aux personnes qui ont peut-être abusé du système, tout en permettant à celles qui ont vraiment besoin d'une aide de la recevoir.

Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour comprendre le type de difficultés et de souffrances que risque de provoquer cette proposition. On verra intervenir des agences de recouvrement, on verra des personnes s'enfoncer encore plus dans les problèmes financiers, on verra des divorces, on verra des personnes dépendre du bien-être social, et cetera. On verra des personnes souffrir de troubles mentaux. Je n'insiste pas là-dessus, je pourrais répondre à vos questions à ce sujet si vous en avez. Ce qui est important, c'est de savoir ce que le stress financier peut faire aux individus.

Certes, il y a des gens qui abusent du système et c'est aux tribunaux et aux syndics qu'il appartient d'agir dans leur cas. Nous avons formulé dans notre lettre une proposition axée sur la notion de consommateur. Il ne s'agirait pas du système de faillite mais plutôt d'un autre recours offert par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, qui permettrait à l'individu de restructurer sa dette en fonction de ses possibilités de remboursement.

L'adoption de l'article 103 privera les gens de la possibilité de formuler une proposition de cette nature. Nous croyons aussi qu'il y aura plus de faillites à répétition et qu'il y aura plus de patrimoines en difficulté car les gens ne demanderont pas de libération de façon à préserver la suspension des mesures d'exécution de la faillite -- puisque telle est la protection qui est offerte à un failli qui n'a pas obtenu libération.

J'insiste sur le fait que le système de distribution que l'on trouve à l'article 136 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité a été modifié après de larges consultations en 1992. M. Ruthen pourra vous donner des détails sur ces consultations. L'article 136 a explicitement aboli les priorités et les préférences consenties à l'État. Le législateur a prévu à cette occasion que l'on ne doit faire aucune discrimination envers aucun type de créancier, ni accorder de priorité à aucun. Il a aussi prévu que l'on ne doit pas faire de discrimination envers une catégorie de créanciers par rapport à une autre. L'article 136 visait à abolir les cas spéciaux pour réduire la discrimination.

L'article 136 a aussi réduit ce qu'on a appelé l'effet de vagues. Ce sont les personnes et les petites entreprises surendettées qui déclarent faillite. Ce que voulait le législateur, c'était faire en sorte que les fonds disponibles après la faillite bénéficient aux créanciers. On voulait s'assurer que tout le monde puisse en recevoir une partie et que la somme complète ne soit pas accaparée par une catégorie spéciale de créanciers.

L'article 103 ne favorisera pas la réhabilitation des créanciers, il les punira. Il ne favorisera pas la justice. Il donnera un avantage à un créancier aux dépens de tous les autres. Il n'augmentera pas les propositions de consommateurs. Il ne diminuera pas le nombre de faillites, il aura l'effet contraire.

Une décision précipitée pourrait avoir des conséquences imprévues et regrettables. Il conviendrait au minimum d'étudier attentivement les conséquences du système actuel de deux ans avant d'y apporter d'autres changements. Je donne maintenant la parole à M. Ruthen.

M. Stanley Ruthen, directeur général, Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité: Comme mes collègues, je vous remercie de nous avoir donné la possibilité d'exprimer notre opinion sur cette question très importante pour notre profession.

D'un point de vue personnel, je tiens à féliciter le gouvernement d'avoir annoncé la création de nouvelles bourses, étant donné que cela garantira à nos jeunes les sources de financement nécessaires pour poursuivre leurs études.

Je m'adresse aujourd'hui à vous à titre de syndic de faillite et de membre de l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité. Je tiens à exprimer mes réserves au sujet de l'amendement proposé à l'article 178 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Je suppose que tout le monde connaît maintenant bien l'article 103 du projet de loi C-136.

Je m'occupe de questions d'insolvabilité depuis 30 ans et j'ai exercé la profession de syndic de faillite dans toutes les provinces sauf trois, en me spécialisant dans les faillites personnelles et les propositions de consommateurs. Pendant tout ce temps, j'ai accordé le plus grand respect au système canadien d'insolvabilité et au processus de consultation qui a débouché sur les amendements qui ont été apportés à la loi du fait de l'évolution de notre économie.

Je tiens cependant à évoquer deux questions qui fondent mon opposition à l'article 103. Suite aux modifications apportées en 1992 à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, le Comité consultatif de la faillite et de l'insolvabilité, CCFI, dont je faisais partie, a été créé pour analyser les autres modifications qu'il conviendrait d'apporter à notre législation sur l'insolvabilité de façon à préserver l'excellence du système.

Beaucoup de parties prenantes se sont proposées pour participer à un groupe de travail qui s'intéressait uniquement aux questions d'insolvabilité de consommateurs. Des représentants des banques, des services fiscaux, des caisses de crédit, des associations de commerçants et des compagnies d'assurances se sont joints à mes collègues et à moi-même pour appuyer le groupe de travail et ils sont finalement parvenus à un consensus qui a débouché sur l'adoption de plusieurs amendements à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en septembre dernier.

Le comité estimait que tous les Canadiens devenant insolvables devaient pouvoir bénéficier de la législation, mais une exception a été faite pour empêcher les anciens étudiants à obtenir libération des dettes contractées pour faire leurs études pendant les deux ans suivant leur départ d'un établissement d'enseignement à temps plein.

À mon avis, l'amendement qui est proposé aujourd'hui à l'article 178 va directement à l'encontre de l'objectif fondamental du CCFI et des années de consultation et de consensus qui ont suivi sa création. La décision unilatérale du gouvernement de modifier la Loi sur la faillite sur une question aussi importante, sans aucune consultation, entravera incontestablement l'action du législateur la prochaine fois qu'il demandera à nouveau à toutes ces parties prenantes de participer bénévolement à de nouvelles consultations.

Ma deuxième réserve, à titre de syndic qui rencontre quotidiennement des consommateurs débiteurs, est que je ne crois pas que les étudiants essaient de déclarer faillite pour éviter de rembourser leurs dettes. En fait, j'ai constaté qu'il s'agit dans la plupart des cas d'étudiants qui tombent au creux absolu de la vague parce qu'ils sont harcelés jour et nuit par des agences de recouvrement qui menacent leur famille ou à leur employeur au téléphone. Bon nombre en sont arrivés à abuser de drogues et d'alcool, et certains ont même abouti au divorce, avant de consulter un spécialiste de l'insolvabilité. Si l'amendement proposé à l'article 178 est adopté, le syndic ne pourra même pas leur offrir une option qui leur permettrait éventuellement de recouvrer une stabilité financière.

Le 30 avril 1998, le surintendant des faillites a adressé de nouvelles directives aux syndics pour veiller à ce que les faillis donnent une partie équitable de leur revenu mensuel à leurs créanciers, après avoir subvenu aux besoins de leur famille. Les étudiants ayant un revenu disponible grâce à un emploi ou à d'autres sources financières seront encouragés, par ces nouvelles directives, à faire des propositions à leurs créanciers pour éviter la faillite. L'amendement qui est proposé les privera même de cette possibilité.

En conclusion, j'estime que l'amendement fera bien peu pour permettre au gouvernement d'obtenir le remboursement de prêts en souffrance d'étudiants insolvables. Il est beaucoup trop tôt pour mesurer les conséquences de l'amendement de septembre 1997 ayant établi un moratoire de deux ans. Il convient donc de réfléchir à d'autres options, peut-être à l'instauration d'une taxe spéciale d'éducation que devraient acquitter les étudiants à mesure qu'augmente leur revenu, tout comme cela se fait apparemment en Australie. Même si le remboursement doit prendre de nombreuses années, l'investissement que nous faisons collectivement en offrant des prêts aux étudiants est un investissement que nous faisons pour l'avenir de nos jeunes.

Priver les étudiants de l'accès au système de protection des créanciers et de la possibilité de redémarrer dans la vie ou de restructurer leurs finances, en vertu de la Loi fédérale sur l'insolvabilité, ne préservera aucunement l'intégrité de la génération future ni l'intérêt du contribuable d'aujourd'hui qui investit dans les leaders de demain. J'espère sincèrement que le gouvernement renoncera à l'article 103 du projet de loi C-136.

Le sénateur Beaudoin: Vous avancez dans votre mémoire huit raisons pour lesquelles l'article 103 devrait être abrogé.

Mme Collins affirme que la Loi sur la faillite ne donne de toute façon aucune libération immédiate aux étudiants étant donné que c'est à la personne qui est responsable de l'administration de la faillite qu'il appartient de décider si la libération doit être accordée, et à quelles conditions. J'aimerais connaître un peu mieux ce système. Y a-t-il déjà dans la Loi sur la faillite un mécanisme en vertu duquel la libération n'est pas automatique? Si tel est le cas, pourquoi a-t-on besoin de l'article 103?

Mme Collins: En vertu de la législation actuelle, il y a deux catégories d'étudiants: ceux qui ont quitté l'école depuis plus de deux ans, et ceux qui l'ont quittée il y a moins de deux ans.

Prenons le cas d'une personne qui a quitté l'école depuis plus de deux ans et qui déclare faillite. Le fait qu'il y ait déclaration de faillite n'éponge pas la dette. Si la personne n'a jamais fait faillite auparavant, elle obtiendra une libération automatique neuf mois après sa déclaration de faillite, à moins que le syndic, un créancier quelconque ou le Bureau du surintendant des faillites n'y fasse opposition.

En conséquence, une personne qui déclare faillite après avoir quitté l'école depuis trois ans peut constater que les responsables du programme de prêts aux étudiants peuvent s'opposer à la libération automatique s'ils pensent qu'elle abuse du système. Dans ce cas, la décision peut être prise par un tribunal.

Le syndic organise l'audience devant le tribunal, fournit à celui-ci toutes les informations relatives aux finances du failli et le tribunal entend la demande. Le tribunal entend le créancier, le syndic et le failli, après quoi il prend sa décision. Or, il est souvent arrivé que le tribunal estime que l'étudiant a l'obligation morale de régler ses dettes, et l'on a vu des tribunaux prendre des décisions très diverses à ce sujet. Certains accordent la libération parce qu'ils estiment qu'il convient de donner une nouvelle chance au failli, pour toutes sortes de raisons.

J'ai vu par exemple une personne qui avait terminé ses études et qui avait une dette en souffrance de 5 000 $. Toutefois, comme elle ne trouvait pas d'emploi dans son domaine, elle s'occupait chez elle d'enfants handicapés et elle gagnait le salaire minimum. Selon le tribunal, cette personne méritait une libération parce qu'elle remboursait sa dette à la société d'une autre manière. Le tribunal peut aussi décider que même une personne qui n'occupe pas d'emploi rémunérateur possède un potentiel de gain et il peut donc reporter sa décision d'un an pour revoir la situation à ce moment-là.

Prenons l'exemple d'un étudiant qui a 25 000 $ de dettes. Le tribunal peut considérer qu'il n'aura aucune chance de rembourser cette somme mais qu'il devrait peut-être rembourser 10 000 $. Dans ce cas, il peut accorder une libération conditionnelle en disant à la personne qu'elle devra avoir remboursé 10 000 $ avant d'obtenir une libération totale.

Voilà donc les options qui existent, et le processus est très facile à lancer. Il suffit d'une lettre disant: «Nous nous opposons à la libération».

Dans le cas d'une personne qui n'a jamais fait faillite ou qui n'a pas quitté l'école depuis plus de deux ans, elle n'obtient pas la libération automatique de son emprunt lorsqu'elle obtient une libération de faillite. La dette n'est pas épongée. La personne a le droit de revenir devant le tribunal deux ans après avoir quitté l'école pour demander une libération totale de sa dette.

Dans ce cas, le tribunal applique la même procédure que précédemment et il examine la situation et les informations. Après cela, il peut fort bien décider d'accorder une libération à l'ex-étudiant, considérant toutes les informations fournies. Il peut cependant aussi décider que l'ex-étudiant devrait rembourser sa dette. Si tel est le cas, l'étudiant n'obtient pas de libération et la dette est maintenue. Le tribunal peut aussi décider d'accorder plus de temps à l'étudiant et il peut donc reporter sa décision pendant une certaine période.

Le sénateur Beaudoin: Si je vous comprends bien, les mécanismes actuels de la Loi sur la faillite et les pouvoirs du syndic sont suffisants. On n'a besoin de rien d'autre.

Mme Collins: C'est mon avis. On n'a besoin de rien d'autre. De fait, ajouter autre chose au système actuel causerait plus de difficulté aux personnes qui ont vraiment besoin d'une libération plus tôt dans leur vie. C'est le tribunal qui doit pouvoir en décider.

Le sénateur Beaudoin: L'article 103 est-il le seul en vertu duquel une catégorie de personnes n'obtiendrait pas de libération au même titre que les autres?

M. Kondo: Il y a dans l'article 178 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité des dettes pour lesquelles on ne peut obtenir de libération par le processus de faillite, mais elles sont tout à fait différentes des dettes d'étudiants. Il s'agit en effet de dettes émanant de fraude, de détournement, de malversation, de défalcation, d'obtention de biens sous faux prétextes ou de déclaration frauduleuse. Voilà dans quelle catégorie on veut placer les dettes des étudiants.

En prorogeant la période jusqu'à 10 ans, veut-on vraiment priver le débiteur de toute possibilité pendant cette période? Je ne parle pas ici d'étudiants étant donné que le problème est à mon avis plus large que celui des étudiants. On classe les étudiants dans une catégorie particulière, mais pourquoi? On dit qu'un débiteur d'une catégorie particulière ne doit même pas avoir la possibilité de s'adresser à un tribunal pour demander à être libéré de sa dette, avant 10 ans. Cela paraît extrêmement dur. C'est pratiquement la même chose qu'une infraction de responsabilité absolue, lorsque la personne n'a aucun moyen de défense ni aucune possibilité de demander au tribunal de faire preuve d'indépendance d'esprit.

Le sénateur Beaudoin: Quelle est la position des tribunaux à l'égard de l'obligation légale des étudiants? Considèrent-ils qu'il s'agit d'une obligation légale très forte, ou d'une obligation morale très forte?

Mme Collins: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Quelle est leur attitude dans un cas typique?

M. Ruthen: Comme je me suis adressé aux tribunaux de nombreuses provinces, je puis vous dire que la plupart des juges ont tendance à respecter la nature de la dette. Comme l'a dit Mme Collins, il existe beaucoup de précédents en faveur du remboursement de la dette par libération conditionnelle.

J'ai vu il y a quelques années à Pictou, en Nouvelle-Écosse, un juge qui a décidé d'étendre la période de faillite sur 15 ans, avec remboursement de 50 $ par mois. Le failli a accepté et il a considéré que c'était quasiment pour lui une obligation qu'il aurait pendant toute la vie. Toutefois, cela a permis de protéger l'intégrité du système. Voilà un exemple des décisions que peuvent prendre les tribunaux.

Le sénateur Moore: Monsieur Kondo, vous avez dit que votre organisation représente environ 95 p. 100 des syndics de faillite du Canada. Combien y en a-t-il en tout?

M. Kondo: Je crois qu'il y a à peu près 800 ou 900 syndics licenciés dans l'ensemble du pays. Tous nos membres n'ont pas nécessairement une licence de syndic de faillite mais la plupart en ont une.

Le sénateur Moore: M. Ruthen et Mme Collins ont tous deux mentionné le CCFI. Ce comité compte-t-il seulement des membres de votre organisation ou aussi des représentants de l'organisme de réglementation ou du gouvernement?

M. Ruthen: Le CCFI a été créé suite aux modifications apportées à la loi en 1992. C'est le législateur qui en a ordonné la création. Les gens qui en font partie avec moi sont des représentants des banques, des caisses de crédit et de commerçants. Il y avait aussi des représentants des compagnies d'assurances et de Revenu Canada, Impôt, c'est-à-dire ce que nous appelons des représentants des parties prenantes. Toutes les parties concernées par le processus de faillite étaient bien représentées. Il y avait approximativement 30 personnes au sein de mon comité lorsque celui-ci s'est penché pour la première fois sur la question des prêts d'étudiants. De fait, des représentants du Programme canadien de prêts aux étudiants se sont adressés au comité il y a quelques années.

Le sénateur Moore: Le comité existe-t-il encore?

M. Ruthen: Non, il a été dissout lorsque le projet de loi a été présenté, début 1997.

Le sénateur Moore: Vous dites que vous êtes surpris que ce changement ait été unilatéral. Lors des amendements de 1992, y a-t-il eu des consultations? Les membres de votre profession ont-ils été consultés?

M. Ruthen: Oui.

Le sénateur Moore: Cette fois, vous n'avez pas été prévenus?

M. Ruthen: J'étais présent la première fois que des représentants du Programme canadien de prêts aux étudiants ont présenté leur premier mémoire, début 1993. À ce moment-là, ils avaient proposé un moratoire de 10 ans mais les parties prenantes estimaient que ce n'était pas adéquat. Après plusieurs mois de consultation, même plusieurs années, les parties se sont entendues sur un compromis de deux ans.

À titre de professionnels, nous craignons que ceci ne constitue un précédent. Si c'est accepté, il y aura de plus en plus de personnes qui voudront circonvenir au processus de faillite et je me demande pendant combien de temps la loi sera efficace. Cette proposition constituait une exception et c'était la première fois que je voyais une telle exception en 30 ans.

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir à l'amendement qui a été apporté à la loi en 1997 et au travail du CCFI à ce sujet.

Lorsqu'on a établi ce mécanisme spécial anti-abus, fondé sur un moratoire de deux ans, cela provenait-il d'une recommandation de votre comité adressée au gouvernement? Qui a eu cette idée?

M. Ruthen: Si vous me permettez de mettre votre patience à contribution, il y avait à l'époque plusieurs cas devant les tribunaux. Je me souviens d'un en particulier, à Halifax, où le juge a ordonné que le Programme canadien de prêts aux étudiants révise la loi pour tenir compte du cas particulier des étudiants. Peu après, des représentants du programme se sont adressés au groupe de travail du CCFI pour demander un moratoire de 10 ans. Notre réaction a été que ce ne serait pas acceptable. Toutefois, au cours des années et grâce aux consultations et à la réalisation qu'il y avait de plus en plus de radiations de prêts d'étudiants, on a trouvé un compromis. Sachez bien qu'il a fallu de très longues heures de discussion pour arriver à la solution de deux ans.

Le sénateur Joyal: Si je comprends bien, le mécanisme de deux ans reflète une proposition que vous avez faite vous-mêmes à titre de compromis avec les représentants du Programme canadien de prêts aux étudiants?

M. Ruthen: Oui.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit toutefois que les représentants du programme avaient d'abord proposé un moratoire de 10 ans?

M. Ruthen: C'est exact.

Le sénateur Joyal: Lorsqu'ils ont fait cette proposition, vous saviez qu'il n'y avait pas de mécanisme tel qu'une suspension des intérêts pendant cinq ans, ce qui est un élément du budget actuel du gouvernement, ni de période de cinq ans pendant laquelle les responsables du Programme canadien de prêts aux étudiants pourraient examiner le niveau global d'endettement des étudiants de façon à en réduire le fardeau, n'est-ce pas?

M. Ruthen: C'est tout à fait exact.

Le sénateur Joyal: Peut-on donc supposer que, dans le cadre de la période de 10 ans qui vient d'être proposée, on a aussi fait une sorte de proposition pour réduire les difficultés qu'une telle période pourrait causer au système? Ai-je tort ou raison?

M. Ruthen: Je crois que vous avez raison. Toutefois, notre groupe n'a pas reçu beaucoup de documents décrivant cette proposition. En fait, nous n'avons aucun détail. Nous avons toutefois la conviction très ferme que cela ne va pas assez loin.

Le sénateur Joyal: Je voudrais maintenant parler des huit principes qui sont mentionnés dans votre mémoire pour dire que la proposition va à l'encontre de l'esprit de l'article 136 de la LFI, lequel a été modifié pour mettre les créanciers sur un pied d'égalité et ne pas accorder de préférence aux créances de l'État. En ce qui concerne les dettes d'étudiants, n'est-il pas vrai que les difficultés seront dans une certaine mesure compensées par une éventuelle suspension des intérêts pendant cinq ans et par la possibilité que les responsables du programme de prêts aux étudiants revoient l'endettement global des personnes concernées? Il me semble que ce sont là des mécanismes humanitaires correspondant aux arguments que vous avancez, notamment aux paragraphes (3) et (4). Ce sont là des mesures humanitaires conformes aux objectifs de la LFI. Ai-je tort ou raison?

M. Kondo: Nous ne contestons pas qu'il y ait dans le projet de loi C-36 bon nombre de mesures destinées à offrir un allégement humanitaire aux étudiants qui sont très endettés. Cela dit, l'étudiant qui ne parvient pas à trouver un emploi très rémunérateur à la fin de ses études n'aura aucune chance de s'adresser au tribunal ou à quiconque d'autre pour dire que, nonobstant les mesures humanitaires, son niveau d'endettement est encore trop lourd.

En fait, cet amendement va pénaliser les gens qui ont tenté honnêtement d'améliorer leur situation en faisant des études et qui, malheureusement, n'ont pas réussi à obtenir le revenu qu'ils espéraient. Mme Collins parlait de quelqu'un qui travaille dans une agence de service social. Certes, il y a beaucoup d'emplois très valables dans la société mais qui ne paient pas beaucoup. Il n'est sans doute pas inutile que ces emplois soient occupés par des gens bien éduqués mais, si leur revenu ne leur permet pas de rembourser leur dette, pour toutes sortes de raisons, ils devraient avoir la possibilité de demander un allégement supplémentaire aux tribunaux.

Le sénateur Joyal: Je devrais peut-être adresser la question suivante à M. Ruthen ou à Mme Collins. Il est arrivé qu'un tribunal dise aux représentants du Programme de prêts aux étudiants qu'ils devraient modifier leur programme. Avez-vous des statistiques quelconques sur le nombre d'étudiants qui ont obtenu une libération quasi automatique du tribunal? Avez-vous des chiffres qui pourraient nous donner une idée de l'attitude générale des tribunaux à l'égard des libérations consenties aux étudiants?

M. Ruthen: Il y a évidemment des statistiques. Ma réponse était de nature plus générale car je voulais dire que l'attitude globale des juges est de préserver l'intégrité du système de prêts aux étudiants. Il est peu probable qu'ils seraient aussi généreux envers des banques ou des commerces. Il est souvent arrivé que les étudiants obtiennent une libération conditionnelle, c'est-à-dire qu'on les autorise à rembourser une partie seulement de leur prêt sur un certain nombre d'années.

Si j'en juge d'après mon expérience à Halifax, le juge a été saisi de nombreux cas de personnes qui n'avaient aucune possibilité de rembourser. Il s'agissait parfois de mères monoparentales qui n'avaient strictement aucune possibilité d'obtenir des revenus suffisants pour faire face à ces situations. C'est cela qui a mené à la décision de revoir la question.

Le sénateur Joyal: Vous n'avez cependant pas fait d'étude particulière sur les étudiants qui sont passés devant les tribunaux au sujet de leurs dettes?

M. Ruthen: Non. Comme l'a dit M. Kondo, nous sommes tout à fait prêts à prendre l'initiative d'une telle étude pour mesurer les effets du changement de 1997 en comparant les décisions prises depuis lors à celles qui étaient prises auparavant.

Notre argument est qu'un nouveau mécanisme d'anti-abus est entré en vigueur en septembre dernier et que l'on a soudainement proposé de le modifier, dans le cadre du budget de février 1998. Le moratoire va de deux ans à 10 ans et il n'existe aucune statistique justifiant le changement proposé. Personne n'a eu la possibilité de voir si le mécanisme actuel est efficace pour réprimer les abus. Autrement dit, nous contestons le fait que l'on apporte amendement sur amendement sans en mesurer l'efficacité. Ce n'est pas cela qui produira un meilleur système de faillite et d'insolvabilité.

Mme Collins: Nous n'avons pas de statistiques mais nous pouvons évoquer des cas réels. Dans mon cas, je peux mentionner uniquement ceux qui sont passés devant les tribunaux du Manitoba.

Aujourd'hui, n'importe qui peut s'opposer à une libération. À titre de syndic de faillite, il m'arrive souvent de m'opposer à la libération d'un failli, pour toutes sortes de raisons. Lorsque je m'adresse au tribunal, les seules autres personnes sont le juge et le failli car il n'y a souvent aucun créancier qui s'oppose à la libération.

Le programme canadien de prêts aux étudiants peut être un créancier dans une faillite, même s'il n'a pas formulé d'opposition. Le tribunal va prendre très au sérieux le fait qu'il existe une dette issue d'un prêt d'étudiant. Je me trouvais la semaine dernière dans un tribunal où le programme canadien de prêts aux étudiants ne s'était pas opposé à la libération et ne s'est pas présenté, mais le juge a décidé d'octroyer une libération conditionnelle pour 6 000 $ parce qu'il y avait une dette d'étudiant. Les tribunaux prennent cela très au sérieux.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, ils y voient une sorte d'obligation morale?

Mme Collins: C'est cela.

Le sénateur Joyal: Dans la plupart des cas, ils estiment que la personne devrait continuer d'assumer la responsabilité de cette dette?

Mme Collins: Lorsqu'on pèse les divers facteurs, le fait qu'il s'agisse d'un prêt d'étudiant a beaucoup de poids.

Le sénateur Forest: Ce que vous dites aujourd'hui me rappelle beaucoup ce que nous avons entendu lorsque nous tenions des audiences dans le pays au sujet de l'enseignement supérieur. Il est clair que les étudiants ne voient pas dans la faillite une solution de facilité. Ils savent fort bien l'effet que cela peut avoir sur leur réputation personnelle.

Je voudrais revenir sur le manque de consultation. Avez-vous eu la possibilité de comparaître devant qui que ce soit avant que cette proposition ne soit adoptée par l'autre Chambre? Avez-vous déjà fait le même type de témoignage qu'aujourd'hui?

M. Kondo: Nous n'avons pas comparu devant le comité de la Chambre des communes, bien que nous lui ayons envoyé notre lettre. De fait, je ne sais même pas s'il l'a reçu avant d'avoir terminé ses audiences à ce sujet. C'est longtemps après le dépôt du budget que nous avons eu connaissance de cet amendement prévoyant un moratoire de 10 ans.

Le sénateur Joyal: Vous n'aviez pas lu le budget?

M. Kondo: Non. De toute façon, même quand nous avons essayé de le lire, il nous a été difficile de trouver les détails de cette proposition. Nous ne savions pas que cela passerait si vite devant la Chambre.

Le sénateur Forest: Votre lettre était-elle adressée au ministre?

M. Kondo: À l'époque, nous pensions qu'il serait toujours possible de communiquer notre avis au comité permanent des finances de la Chambre des communes. C'est ce que nous avons fait, en envoyant une copie de notre lettre au ministre des Finances et au ministre de l'Industrie.

Le sénateur Cools: Je n'avais aucune idée que les étudiants se prévalaient aussi facilement des possibilités de faillite. Nous allons certainement encourager le ministre à répondre à toutes vos objections.

Le sénateur Bryden: Lors des consultations relatives à la révision de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, l'une des propositions du gouvernement était d'établir une période de grâce de 10 ans avant le dépôt d'une demande de faillite au sujet de prêts d'étudiants.

M. Ruthen: Suite aux amendements de 1992, qui ont débouché sur la création du CCFI, l'organisme canadien de prêts aux étudiants a rédigé un mémoire qu'il a adressé à mon groupe de travail début 1993. À l'époque, il s'est aussi adressé aux diverses parties prenantes. Il s'agissait simplement d'un document de discussion. Il avait été rédigé avant que des amendements ne soient proposés, dans le but de permettre à toutes les parties concernées de réfléchir au problème.

De nombreux mois ont passé et de nombreux mémoires ont été rédigés avant d'arriver aux changements ultimes qui étaient proposés en 1997.

Le sénateur Bryden: À l'époque, quelqu'un avait-il proposé la période de 10 ans?

M. Ruthen: Oui.

Le sénateur Bryden: Je dis cela parce que le compromis qui a été accepté l'a peut-être été parce qu'il n'existait dans la loi aucun autre mécanisme permettant d'être juste envers les étudiants.

Je voudrais réitérer ce que j'ai dit au sujet du témoignage de l'Association du Barreau canadien. Selon le ministère des Finances, les prêts d'étudiants constituent un cas tout à fait particulier. Le ministère estime que les changements qui ont été apportés à d'autres dispositions de la loi permettront de résoudre les difficultés.

Suite à ce budget et à ce projet de loi, quiconque rembourse des prêts d'étudiants au gouvernement fédéral ou à un gouvernement provincial recevra un crédit d'impôt pour l'intérêt acquitté. Les personnes connaissant des difficultés financières obtiendront une réduction de leur dette au bout de cinq ans. Ces mesures sont une option à la faillite. En conséquence, il paraît tout à fait juste de soustraire les prêts d'étudiants aux dispositions de faillite.

La position du gouvernement est que la solution proposée est une option aux dispositions générales de faillite. C'est l'objectif visé. Il n'est pas juste de dire que l'on chamboule la Loi sur la faillite en mentionnant uniquement cette disposition, sans tenir compte des autres facteurs. De fait, il y a d'autres propositions concernant les problèmes sociaux ou humains que vous avez évoqués. La personne qui paie ses intérêts ne sera pas harcelée par une agence de recouvrement et elle pourra obtenir une période d'amortissement à un taux inférieur à moins de 15 p. 100 du revenu.

Je tenais à apporter ces précisions. Quelle est votre réaction?

Mme Collins: À titre de professionnels, nous sommes favorables à ce qui peut éviter la faillite. Nous aimerions pouvoir proposer d'autres solutions et faire d'autres suggestions. S'il y a une option à la faillite, les gens doivent en profiter. S'ils ne choisissent pas l'option alors qu'elle paraît tout à fait viable -- comme une proposition de consommateur -- c'est à notre avis le tribunal qui doit se pencher sur le dossier et prendre la décision.

Le problème est que cette option ne changera strictement rien dans un certain nombre de cas. De ce fait, les personnes concernées devraient pouvoir profiter du système et soumettre leur dossier à un tribunal.

Le sénateur Bryden: Pourriez-vous être plus précise? Dans le cas des prêts d'étudiants, qui pourrait ne pas bénéficier de ces dispositions?

Mme Collins: Par exemple, une personne qui tombe malade et qui devient invalide, ou une personne qui ne peut reprendre son travail.

Le sénateur Bryden: Que voulez-vous dire?

Mme Collins: Une personne qui risque de ne jamais avoir de revenu d'emploi.

Le sénateur Bryden: En vertu de ces propositions, cette personne pourrait obtenir une libération du principal. Il lui serait possible de faire ce qu'on appelle des paiements à titre gracieux, c'est-à-dire que la dette serait à toutes fins pratiques épongée.

Mme Collins: Permettez-moi cependant de dire que nous n'avons pas été informés de ces dispositions. Si vous le souhaitez, nous pourrons les examiner en détail et vous communiquer une réponse.

Le sénateur Bryden: Je crois qu'il serait utile, si vous voulez porter un jugement sur cette disposition particulière, de tenir compte du contexte global.

Le président: Le problème est que, même si le gouvernement dit qu'il y a d'autres propositions, elles ne sont pas dans le projet de loi. Voilà la difficulté.

Si l'on devait abroger l'article qui vous préoccupe, le reste serait-il acceptable?

M. Kondo: L'article 103 est le seul qui nous pose problème. La faillite est toujours le dernier recours.

Le président: Merci beaucoup d'être venus à si bref préavis.

La séance est levée.


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