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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 21 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 10 décembre 1998

Le comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 10 h 30 pour examiner le Budget principal des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 1999.

Le sénateur Terry Stratton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous avons aujourd'hui parmi nous le Commissaire à la magistrature fédérale, M. Guy Goulard.

Je crois comprendre, monsieur, que vous avez un bref exposé et que vous répondrez ensuite à des questions.

Allez-y, je vous en prie.

M. Guy Y. Goulard, Commissaire à la magistrature fédérale: Je voudrais également vous offrir à tous mes condoléances et celles de mon personnel à la suite de la mort soudaine, hier, de Mme Cohen. J'ai eu le plaisir de témoigner devant son comité et de la rencontrer également en privé, mais je ne peux que supposer à quel point cela vous touche et vous attriste.

Étant donné que je ne savais pas à quoi m'attendre aujourd'hui, j'ai préparé un bref exposé sur mon bureau. Avec votre permission, je vais commencer. Durant mon exposé ou après, si vous avez des questions, je serai heureux de vous fournir les renseignements que j'ai ou d'obtenir les renseignements que vous souhaiteriez et que je n'ai pas en main.

[Français]

J'occupe le poste de Commissaire à la magistrature fédérale depuis un peu plus de quatre ans. Je suis heureux et honoré d'avoir l'opportunité de vous informer du mandat, de la mission et de l'organisation de notre bureau.

Nous avons fourni très peu d'information aux parlementaires sur l'organisation de la magistrature au Canada. J'espère donc pouvoir vous fournir une documentation contenant un peu plus d'information.

[Traduction]

Mon bureau tire son mandat de la Loi sur les juges. On l'a inclus dans la loi il y a 20 ans pour assurer au bureau une certaine indépendance vis-à-vis du ministère de la Justice. Je relève du ministre de la Justice et j'ai rang et statut d'administrateur général du ministère.

L'article 74 de la loi donne une triple mission au commissaire. Il doit, tout d'abord, administrer la Partie I de la Loi sur les juges qui, fondamentalement, traite de toutes les questions reliées aux traitements et indemnités versés aux juges nommés par le gouvernement fédéral. Il doit ensuite, établir le budget de la Cour fédérale, de la Cour canadienne de l'impôt et du Conseil canadien de la magistrature.

En ce qui concerne le Conseil canadien de la magistrature, son personnel et ses activités sont fondamentalement associés aux nôtres. Même si le conseil a ses propres bureaux et fonctionne de façon indépendante, nous administrons son budget. En ce qui concerne la Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt, aux termes de la Loi sur les juges, mes fonctions sont assurées par leurs administrateurs respectifs qui, selon la loi, relèvent de ma compétence. Fondamentalement, au fil des ans, nous leur avons laissé complètement les coudées franches. Nous examinons leurs présentations budgétaires et les transmettons au ministre avec nos observations, mais ils administrent leurs propres activités.

La troisième partie de la mission, qui rend le travail tout à fait fascinant et intéressant, réside dans le fait que le ministre peut demander au commissaire d'accomplir des missions dans le cadre de sa compétence, pour la bonne administration de la justice au Canada.

Nous avons une enveloppe budgétaire d'environ 280 millions de dollars, représentant en grande partie les traitements et indemnités versés aux juges nommés par le gouvernement fédéral ainsi qu'aux juges à la retraite et aux personnes à charge survivantes de juges.

Nous avons un effectif d'environ 50 employés, répartis entre les cinq divisions suivantes. Tout d'abord, le Secrétariat des nominations à la magistrature. Le processus remonte à il y a environ dix ans. Il englobe le processus de demande pour les avocats. La loi exige des candidats à la magistrature qu'ils soient membres en règle d'un barreau d'une province ou d'un territoire depuis au moins dix ans, ou qu'ils aient été membres d'un barreau et juges d'une cour provinciale depuis au moins dix ans. Les intéressés doivent remplir «la fiche du candidat», un document d'environ 12 à 13 pages. Les candidats sont ensuite évalués par un comité provincial formé de sept membres. Il y a un comité additionnel pour le Québec et deux pour l'Ontario, en raison du grand nombre de candidatures dans ces provinces et afin d'assurer une meilleure représentation régionale.

Je le répète, chaque comité est formé de sept membres: un juge, trois avocats et trois non-juristes. Dans chaque province, le juge en chef est invité à fournir une liste de noms de juges pouvant siéger à ce comité. Le procureur général, le barreau de la province et la division provinciale de l'Association du Barreau canadien en font autant. Le ministre de la Justice nomme ensuite trois personnes de son choix, deux non-juristes et un avocat.

À la suite de consultations et de discussions dans le cadre de réunions, ce comité évalue chaque candidat. Il est possible d'avoir des entrevues, mais tous les comités ont choisi de ne pas suivre cette voie, faute de ressources. Les membres des comités font tous du travail bénévole et étant donné que ce processus leur demande déjà beaucoup de temps, ils ne rencontrent pas les candidats.

L'année dernière, il y a eu 44 réunions dans tout le pays. À la fin du mois, il y aura eu 53 réunions.

Il y a un processus de consultation très poussé. Il fournit aux membres des comités des critères d'évaluation, c'est-à-dire la compétence en droit, l'expérience juridique, le caractère et le tempérament. Par la suite, on envoie l'une des trois recommandations suivantes au ministre: «fortement recommandé», «recommandé» ou «sans recommandation». De 1989 à cette année, la moyenne des «sans recommandation», des gens qui n'ont pas été recommandés, s'établissait à 66 p. 100. L'année dernière, elle était de 63 p. 100. Cette année, chose intéressante, le taux des «non recommandés» a baissé à 45 p. 100.

Pour l'année en cours, il y a eu aussi une augmentation marquée du nombre de demandes alors qu'on avait assisté à une baisse de ce chiffre au cours des deux ou trois années précédentes. Cela peut signifier que non seulement nous attirerons davantage de candidats, mais que nous attirons également de meilleurs candidats.

Même si ce n'est pas exigé dans la loi, la ministre actuelle et ceux qui l'ont précédée au cours des dix dernières années se sont entendus pour dire, avec l'appui du Cabinet, que seuls les candidats qui sont «fortement recommandés» ou «recommandés» ont la possibilité d'être nommés. Il n'y a eu aucune exception à cette règle. Les seules nominations qui n'ont pas à passer par les comités sont les nominations à la Cour suprême du Canada.

L'année dernière, nous avons reçu 317 demandes comparativement à 492 cette année, ce qui représente une augmentation de 50 p. 100.

Le sénateur Cools: Et pour combien de postes de juges?

M. Goulard: L'année dernière, nous avons eu 37 nominations et cette année, 55.

C'est notre rôle dans le processus de nomination des juges. Une fois que nous avons envoyé notre recommandation à la ministre, nous n'avons alors plus du tout notre mot à dire.

Les services administratifs à la magistrature constituent notre deuxième division.

[Français]

Les services administratifs s'occupent de tout ce qui touche le juge personnellement tel la préparation de la documentation pour les arrêtés en conseil, les nominations, les mises à la retraite, les congés de maladie et les allocations de transfert. Cette section s'occupe également de toute question financière relative aux juges: les salaires, les frais de déplacement. Tout l'argent qu'un juge fédéral reçoit passe par notre bureau.

Les services de politiques et de gestion traitent des finances du personnel du bureau, des variations de salaire des juges et de l'administration. Notre section s'occupe également de l'élaboration de nouvelles politiques et de nouveaux programmes. Je mentionnerai quelques nouveaux programmes que nous avons mis en place dans les dernières années. Le bureau a aussi la responsabilité des publications des arrêts de la Cour fédérale du Canada. Auparavant, le ministère de la Justice s'occupait de choisir les décisions de la cour qui allaient être publiées. Cela se fait maintenant à notre bureau. Le pourcentage des jugements publiés est passé de 25 p. 100, il y a une dizaine d'années, à environ 8 p. 100 l'année passée, tout simplement à cause du volume de jugements et de l'impossibilité de publier davantage. L'an passé nous avons publié 3 000 pages, ce qui représente une augmentation. Pour s'assurer que la population légale ait accès aux jugements, tous les jugements de la Cour fédérale sont disponibles sur Internet et l'accès est gratuit pour la population. Initialement, les arrêts sont publiés dans la langue où le jugement est rendu et éventuellement dans les deux langues officielles.

Le cinquième volet de nos services constitue la formation linguistique. Ce programme a été créé en 1978 lorsque le mandat d'offrir de la formation juridique aux juge a été transféré de la Commission de la fonction publique à notre bureau. Cette formation comprend trois programmes et se spécialise en terminologie juridique. Il existe un programme de formation en anglais juridique pour les juges francophones et l'inverse pour les juges anglophones. Nous avons également un programme de formation pour les juges venant des provinces anglophones mais dont la langue maternelle est le français. Dans mon cas, je suis franco-Ontarien. J'ai étudié et pratiqué le droit en Ontario et surtout en anglais. Pour comprendre, s'exprimer et rédiger dans une première langue mais avec une terminologie technique qui est moins connue, nous offrons un cours de perfectionnement en terminologie. Nous envisageons offrir un programme s'adressant aux tribunaux administratifs et aux procureurs fédéraux. Nous considérons également la possibilité de l'offrir également à leurs homologues provinciaux.

En 1997-1998, 305 juges de nomination fédérale et 47 de nomination provinciale ont participé à notre programme de formation juridique. J'aimerais aborder quelques nouveaux programme dans lesquels nous nous sommes impliqués durant les dernières années.

[Traduction]

Les nouveaux programmes dont nous nous occupons portent sur l'exploitation optimale des nouvelles technologies. Depuis longtemps, les tribunaux, et les juges en particulier, ont pris du retard dans l'utilisation des technologies modernes pour s'acquitter de leurs fonctions.

Il y a trois ans, nous avons créé sur Internet un intranet, un Réseau électronique de la magistrature informatisé (REMI). Il relie maintenant 600 juges nommés par le gouvernement fédéral ou 60 p. 100 des 1 000 juges. Non seulement on met ainsi à leur disposition un service de courrier électronique, mais cela permet également de constituer des groupes de discussion ouverts seulement aux juges nommés par le gouvernement fédéral sur des questions comme la conduite des juges, le droit pénal, le droit de la famille, le processus d'appel et les jurys. Les juges peuvent ainsi soulever des questions à ce sujet. Permettez-moi de vous donner un exemple. Un juge du Manitoba siégeait dans le Nord et faisait face à quelque chose de nouveau dans le cadre d'un procès. Il a soulevé la question sur Internet. Dans l'heure qui a suivi, il a reçu des observations de collègues de tout le pays qui lui disaient qu'ils avaient justement jugé une cause comme celle-là et qu'ils lui transmettaient certaines de leurs notes.

L'intranet sert également de bibliothèque. Si un document est distribué dans le cadre d'un programme de formation judiciaire, il est ensuite diffusé sur l'intranet afin que tous les juges du pays, et pas seulement ceux qui assistent aux cours de formation puissent y avoir accès. L'intranet est fondamentalement gratuit une fois que le service est établi. La nouvelle se répand vite au sein de la magistrature et la demande augmente. Nous espérons qu'à l'avenir, tous les juges nommés par le gouvernement fédéral seront inclus. Si ma ministre et le Conseil du Trésor sont d'accord, nous pourrions envisager d'offrir le programme aux juges nommés par des gouvernements provinciaux qui, la plupart du temps, appliquent des textes fédéraux comme le Code criminel, la Loi sur les jeunes contrevenants, ainsi que les lignes directrices sur le versement des pensions alimentaires pour enfants. Nous examinons cette possibilité.

Enfin, il y a, dans ce domaine, les vidéoconférences. Nous travaillons de concert avec les cours provinciales, les procureurs généraux provinciaux et nos propres ministères, surtout Industrie Canada et TPSGC, pour mener à bien ces projets pilotes sur l'utilisation des vidéoconférences dans les tribunaux. Un certain nombre de nos juges parcourent le pays pour entendre des cas et des motions et pour prononcer des sentences. On pourrait économiser beaucoup d'argent en frais de déplacement en faisant une bonne utilisation des vidéoconférences. De plus, nous avons établi un service centralisé d'organisation des voyages des juges par l'entremise de la société Ryder, qui offre des services non seulement au gouvernement fédéral, mais également à un certain nombre de gouvernements provinciaux et à de grosses sociétés. Cela permet aux juges d'obtenir de meilleurs prix pour leurs voyages. Nous fournissons à tous les juges une carte de crédit de voyage émise par Enroute Diners, qui a réduit ou éliminé la nécessité pour les bureaux de verser des avances de voyage, alors qu'il y a 1 000 juges dont certains, ceux qui siègent à la Cour fédérale et à la Cour canadienne de l'impôt, doivent voyager pour s'acquitter de leurs fonctions. Cela nous permet de ne pas avoir à verser un certain nombre d'avances de voyage et nous constatons déjà des économies importantes.

Nous avons également négocié avec quatre petits organismes parajudiciaires la prestation de services spécialisés. On parvient vraiment à réaliser des économies ainsi, grâce au partage des ressources. Les petits organismes ne peuvent avoir de personnel ou un service de technologie de l'information. Nous partageons nos ressources et cela nous permet d'ajouter quelques employés à notre petit effectif. Nous avons engagé des discussions avec quelques autres organismes pour offrir des services semblables.

Nous sommes très chanceux au Canada que de grandes questions de sécurité ne se posent pas dans nos tribunaux à la suite de tragédies.

[Français]

Afin de faire les évaluations des problèmes de sécurité, nous avons eu des pourparlers avec la GRC, qui s'est engagée à fournir des facilités pour évaluer les problèmes de sécurité. La GRC s'est offerte à dispenser des cours pour aider les juges à adopter des mesures simples et faciles pour réduire les risques. Nous avons aussi distribué un excellent guide qui vient du National Center for Safe Court pour la sécurité dans les tribunaux.

Nous sommes conscients que les juges travaillent dans des conditions de stress grandissant et que les services de conselling aux juges manquent. En 1995, nous fournissions aux juges un programme en coopération avec la Conférence canadienne des juges et de Corporate Health Consultants. Nous fournissons un programme d'aide permettant aux juges à la retraite ainsi qu'aux membres de leur famille de faire appel à un service de conselling professionnel.

La dernière zone d'implication est celle de la coopération internationale. Suite à un grand intérêt pour nos institutions démocratiques et parlementaires, il y a une demande croissante pour une contribution canadienne à des efforts pour améliorer ces institutions. Le juge en chef m'a demandé de coordonner la participation de juges canadiens dans la coopération internationale et d'essayer de mettre de l'ordre dans les demandes et fournir autant que possible une réponse. À la demande de l'ACDI, nous avons accepté d'être l'agent exécuteur pour un programme de réforme qui implique une coopération entre les juges du Canada et de l'Ukraine.

[Traduction]

Dans le cadre d'un programme sur trois et probablement quatre ans, le Canada participe à la réforme judiciaire en Ukraine où on essaie de faire face au retour à un système de gouvernement démocratique et ouvert. Cela est un processus fascinant, mais lent. Cependant, du seul fait que les Ukrainiens en discutent maintenant, nous jugeons que nous les avons aidés à établir un code d'éthique pour les juges. Nous les aidons à établir trois modèles de tribunaux, alors qu'on applique la notion de greffe. Dans le passé, dans la plupart des tribunaux, et c'est encore le cas dans certains, les gens pouvaient entrer directement dans un palais de justice et se rendre au bureau d'un juge. C'était notamment le cas de politiciens qui avaient peut-être pour objectif d'influencer un juge. Nous essayons d'établir cette barrière et de faire en sorte que les gens doivent s'enregistrer à un comptoir avant d'être admis.

Ainsi, monsieur le président, c'est fondamentalement ce que nous faisons. Je serai heureux de vous fournir des renseignements supplémentaires, si vous le souhaitez.

Le président: Merci. Votre exposé de ce matin nous en a appris beaucoup.

Le sénateur Bolduc: J'ai quelques questions. L'une porte sur la Cour fédérale. Si je comprends bien, lorsque vous parlez de la Cour fédérale, il n'est absolument pas question de la Cour suprême.

M. Goulard: En bref, lorsque les Pères de la Confédération ont décidé comment ils pouvaient le mieux partager les compétences, les provinces ont conservé le pouvoir de créer des cours de compétence générale. Les cours provinciales d'appel, les cours supérieures et les cours provinciales, comme nous les appelons, sont créées par les provinces. Les nominations de juges sont également faites conjointement par le gouvernement fédéral et les provinces.

Le gouvernement fédéral a conservé le pouvoir de créer une cour d'appel générale. Il s'agit de la Cour suprême du Canada qui fait partie du système de cours fédérales. Le gouvernement fédéral a également le pouvoir de créer des cours spéciales -- la Cour fédérale du Canada, Sections de première instance et d'appel, et la Cour canadienne de l'impôt.

Le sénateur Bolduc: Il y a donc la Cour suprême et la Cour fédérale d'appel.

M. Goulard: Il y a également la Section de première instance de la Cour fédérale.

Le sénateur Bolduc: Oui, les deux. Il y a ensuite la Cour canadienne de l'impôt. Il n'y a pas d'autres tribunaux relevant du gouvernement fédéral.

M. Goulard: Non, sauf que nous avons un contrat pour offrir des services spécialisés.

Le sénateur Bolduc: Lorsqu'on parle de la Cour fédérale, cela n'inclut pas les membres de la Cour supérieure du Québec, dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral.

M. Goulard: En effet.

Le sénateur Bolduc: Ils ne font pas partie de la Cour fédérale?

M. Goulard: C'est exact.

Le sénateur Bolduc: La Cour provinciale d'appel en fait-elle partie, oui ou non?

M. Goulard: C'est la même chose que la Cour supérieure. Elle est créée par la province qui l'administre et assure son fonctionnement, mais nous fournissons les juges.

Le sénateur Bolduc: Combien de juges siègent à la Cour fédérale?

M. Goulard: La Cour suprême compte neuf juges. La Cour fédérale et la Cour canadienne de l'impôt ont un total de 60 juges environ. Les cours supérieures et les cours d'appel, 930. Le premier du mois, je pense qu'il y avait au total 1 001 juges dans tous ces tribunaux.

Le sénateur Bolduc: Cependant, vous ne vous occupez que des 100 ou des 90.

M. Goulard: Il est question de 1 000 juges moins ceux de la Cour suprême du Canada. C'est leur propre registraire qui s'occupe des traitements et des indemnités, ainsi que de l'administration.

Le sénateur Bolduc: Vous vous occupez des conditions de travail, si on peut dire, des 1 001 juges.

M. Goulard: Nous administrons leurs traitements et indemnités, mais pas leurs conditions de travail.

Le sénateur Bolduc: C'est mon premier point, afin que les gens puissent comprendre ce dont nous parlons dans le cas présent.

M. Goulard: C'est un domaine fascinant.

Le sénateur Bolduc: La Cour fédérale n'est pas ce que les gens pensent. Son personnel ne comprend que 90 membres.

M. Goulard: Un maximum de 90.

Le sénateur Bolduc: Nous avons des juges fédéraux, c'est-à-dire des juges nommés par le gouvernement fédéral. Il y en a 1 000. Lorsqu'on se penche sur le processus de consultation menant à la sélection des candidats, on s'aperçoit que les candidats ne sont pas choisis simplement en fonction du principe du mérite comme cela était la pratique dans la fonction publique.

Le sénateur Cools: Ce processus n'est absolument pas fondé sur le mérite. Les gens voudraient nous faire croire cela.

Le sénateur Bolduc: Cela vaut mieux que des nominations partisanes. C'est un processus qui fait appel à des gens aux antécédents divers.

Le président: Il est nettement meilleur que ce qu'il était.

Le sénateur Bolduc: Oui. Il y a ensuite la décision finale par le Cabinet ou par le ministre, je le suppose.

M. Goulard: En effet.

Le président: C'est vraiment un domaine fascinant. Peu de gens le connaissent. Pouvez-vous nous transmettre un document brossant un tableau de la situation?

M. Goulard: Oui. Nous avons un document que nous envoyons aux candidats. C'est un opuscule. Je vous enverrai autant d'exemplaires que vous le souhaitez.

Le président: Nous vous en serions reconnaissants.

Le sénateur Bolduc: Il y a ce qu'on appelle des comités consultatifs dans chaque province. Ces comités sont-ils composés en majorité de gens qui ont une formation en droit?

M. Goulard: Ils sont formés d'un juge, de trois avocats et de trois non-juristes.

Le sénateur Bolduc: De ces trois non-juristes, l'un représente le ministre de la Justice.

Le président: Deux représentent le ministre.

M. Goulard: Deux représentent le ministre et un le procureur général de la province.

Le sénateur Bolduc: Dans le cas des représentants du ministre de la Justice, s'agit-il de profanes ou de gens qui ont une certaine connaissance du système juridique ou judiciaire?

M. Goulard: Au moins un ou deux ont une formation juridique. L'un, à Montréal, a fait son droit puis s'est lancé en affaires.

Le sénateur Bolduc: Quels sont les critères de sélection?

M. Goulard: Ils sont tirés de la liste. Le ministre va choisir une personne en fonction des besoins. S'il y a peu de femmes, le ministre peut choisir une femme; peut-être quelqu'un d'une région rurale. Il y a des enseignants, des comptables et des gens d'affaires à la retraite. Un large éventail de personnes siègent. Je suis toujours impressionné par la qualité de leur participation. Ces gens font beaucoup.

Le sénateur Bolduc: Vous avez un système pour classer les candidats: «fortement recommandé», «recommandé» et «non recommandé».

M. Goulard: Oui.

Le sénateur Bolduc: Vous choisissez entre les deux premiers groupes.

M. Goulard: Le ministre choisit.

Le sénateur Bolduc: Cela signifie que vous avez un processus dans le cadre duquel sur un groupe, disons, de 300 personnes, vous en choisissez environ 50 p. 100. On tombe ensuite à un huitième ou un cinquième. Est-ce une forme de présélection?

M. Goulard: En Ontario, à l'heure actuelle, les personnes approuvées et les juges provinciaux ne passent pas par ce processus. Ils doivent présenter leur nom, mais ils ne sont pas évalués. Leur nom est inscrit automatiquement sur la liste. En Ontario, il y a peut-être maintenant 10 vacances -- c'est juste une supposition -- et la ministre doit avoir une liste d'environ 300 noms. Tous les candidats ont suivi le processus, sauf les juges provinciaux.

Le sénateur Bolduc: On part donc du principe que le processus est tel qu'on va attirer des membres du barreau très compétents et fortement recommandés, plus les juges des cours provinciales.

M. Goulard: En effet.

Le sénateur Bolduc: Est-ce quelque chose comme cela?

M. Goulard: C'est exactement comme cela.

Le sénateur Cools: Quels sont les critères utilisés pour établir vos trois catégories? Comment établit-on cela? Vous parlez du système du mérite en vigueur dans la fonction publique.

Le sénateur Bolduc: Les critères sont mentionnés dans ce document.

Le président: À la page 3.

M. Goulard: Les critères sont la compétence en droit, l'expérience juridique, le caractère et le tempérament.

Le sénateur Cools: Comment déterminez-vous cela? Vous vous rappelez sûrement qu'il y a des années, lorsqu'on a créé la fonction publique, on avait mis au point des examens, des tests. Je devrais peut-être poser ma question d'une autre façon. Quels sont les tests que vous utilisez pour en arriver à des conclusions relativement à ces critères? En d'autres termes, comment mesurez-vous ces critères?

M. Goulard: C'est grâce à la consultation. Le candidat doit au moins donner le nom de quatre répondants. On se met en rapport avec tous ces répondants. Il peut s'agir d'avocats, de juges, ou de membres de la communauté. De plus, les membres du comité vont appeler littéralement des dizaines d'avocats et d'autres personnes pour vérifier les connaissances du candidat et son expérience du droit. Il peut s'agir, par exemple, d'un professeur ayant une très grande connaissance du droit, mais qui n'a jamais mis les pieds dans un tribunal et n'a, ainsi, aucune expérience des tribunaux.

Le sénateur Cools: Vous vous fiez à la parole des gens. En d'autres termes, si une sénatrice comme moi présente une demande, vous établissez ses connaissances à partir de ce que d'autres personnes disent d'elle, sans procéder à un test objectif.

M. Goulard: Il y a également les documents fournis par les candidats. Ils doivent nous préciser leur domaine d'expérience, nous dire s'ils ont déjà enseigné et nous donner une liste de juges devant lesquels ils se sont déjà présentés. La même chose s'applique aux avocats qui ont traité avec eux. C'est subjectif, mais au moins sept personnes se penchent sur la question et elles en arrivent généralement à un consensus. Il est arrivé dans quelques cas qu'il y ait un avis divergent dans le précis soumis au ministre. Le système n'est pas parfait.

Le sénateur Cools: J'entends beaucoup parler de ce processus et on se plaint du fait qu'il est largement informel, qu'on procède surtout par ouï-dire, qu'il est très personnel et extrêmement subjectif. C'est ce que j'entends dire.

M. Goulard: Oui, j'entends la même chose. Cependant, dans le cas des nominations de juges, ou moi-même ou mon secrétaire des nominations à la magistrature doit assister à chaque réunion. J'ai vu comment ces gens travaillent. Ils sont très consciencieux et sérieux. Bien entendu, ce sont des ouï-dire.

Le sénateur Cools: Toujours. On risque toujours d'être critiqué de toute façon.

M. Goulard: Très souvent, les intéressés vont s'ajourner pour obtenir davantage de renseignements et parfois, plus d'une fois. Ils font de leur mieux avec les ressources à leur disposition pour en arriver à un jugement qui est équitable. Je le répète, au fil des ans, plus de 50 p. 100 des candidats n'ont pas été recommandés. Lorsque le comité se réunit, très souvent, il ne perdra pas beaucoup de temps dans le cas des candidats très prometteurs, des John Sopinka de ce monde, par exemple. D'un autre côté, si le comité est saisi de la candidature d'une personne qui n'a aucune connaissance, aucune expérience, il dira alors que c'est une blague, qu'on ne peut sérieusement envisager de nommer cette personne qui n'a aucune connaissance ni expérience.

Le sénateur Bolduc: Je me permets d'ajouter que, dans le cas des juges de la cour provinciale, c'est plus que des ouï-dire. On a leurs jugements, la jurisprudence.

Le sénateur Cools: Quand vous parlez des juges de la cour provinciale, parlez-vous des nominations provinciales ou fédérales?

M. Goulard: Ils sont nommés par la province.

Le sénateur Cools: Quand je parlais de nominations provinciales, je voulais dire «nommés par la province».

Le sénateur Bolduc: Ces gens ont rendu des décisions. On a accès aux décisions qu'ils ont rendues en droit.

Le président: J'ai une question complémentaire à cela. Des quatre critères, le caractère et le tempérament sont-ils les plus difficiles?

Le sénateur Lavoie-Roux: Comment évaluez-vous cela?

Le président: C'est très subjectif.

M. Goulard: Oui, exactement. Dans un certain cas, je connaissais un avocat, par l'intermédiaire d'une association, et je croyais que c'était un bon avocat. Évidemment, il avait de bonnes connaissances et une bonne expérience, mais le comité a décidé qu'il ne devait pas être nommé parce qu'il était incapable de travailler en collaboration. Cette opinion a été exprimée à l'unanimité durant tout le processus de consultation. On a besoin de quelqu'un qui puisse écouter et prendre des décisions rapidement. Ce sont des traits de caractère nécessaires.

Il faut aussi se demander si le candidat n'est pas en défaut de paiement d'une pension alimentaire déterminée par la cour. En effet, au fil des ans, il s'est présenté quelques cas où l'on a constaté, après avoir nommé un juge, que celui-ci était en défaut de paiement. Nous n'avons pas besoin d'un juge qui fait l'objet de poursuites, surtout s'il s'agit du paiement d'une pension alimentaire pour un enfant ou un conjoint.

Le sénateur Cools: Avant de passer à mes autres questions, je continue dans la même veine, parce que c'est très intéressant. Ce processus suscite beaucoup de plaintes, pour des motifs de subjectivité. Combien y a-t-il de comités?

M. Goulard: Il y en a 15, un par province et territoire, deux de plus pour l'Ontario et un de plus pour le Québec.

Le sénateur Cools: Pourrions-nous avoir une liste des présidents de chacun de ces comités?

M. Goulard: Oui.

Le sénateur Cools: Y a-t-il un comité pour Ottawa, par exemple?

M. Goulard: En Ontario, il y en a un pour Toronto et le centre, un pour le sud-ouest et un pour le nord-est.

Le sénateur Cools: Il y en a trois. Qui sont les présidents des trois comités de l'Ontario?

M. Goulard: John Laskin est président de celui de Toronto; Art Lamarche, un profane, est président pour l'est et le nord. Je ne sais pas qui préside le comité de l'ouest de l'Ontario.

Le sénateur Cools: Comment sont-ils choisis?

M. Goulard: Ils sont choisis par le comité.

Le sénateur Cools: Ils sont élus par les comités.

M. Goulard: Ils sont choisis par les comités. Dans certains cas, ce sont des juges, dans d'autres, des avocats ou des profanes.

Le sénateur Cools: J'ai une série de questions ayant trait à certains sujets que vous avez soulevés. Je pense que toute cette question est très intéressante et que le comité devrait continuer à l'étudier, parce que nous ne l'avons pas examinée depuis longtemps. C'est extrêmement intéressant.

Mes questions ont trait aux sujets que vous avez soulevés auparavant concernant les activités internationales de l'ACDI. Je crois que vous avez parlé d'un travail effectué à la demande de l'ACDI pour effectuer une réforme des programmes de l'Ukraine. Je lis cela dans mes propres notes, et elles sont assez sommaires.

Notre comité a essayé de savoir bien des choses au sujet des travaux de l'ACDI, du fonctionnement de l'agence, parce que cela semble être un vrai mystère pour certains d'entre nous.

M. Goulard: Si vous le découvrez, faites-le moi savoir.

Le sénateur Cools: Nous espérions en apprendre un peu de votre part.

On nous a dit que vous être responsable d'un programme particulier de l'ACDI, un programme qui consiste à envoyer des juges un peu partout dans le monde pour accomplir différentes missions de nature judiciaire. Nous espérions que vous pourriez nous dire quel est le budget de ce programme, comment il fonctionne, quels juges voyagent ainsi de par le monde, quelle est leur rémunération et quels sont les programmes sur lesquels ils travaillent.

M. Goulard: J'espère que nous avons le reste de la journée. Voulez-vous savoir comment j'en suis arrivé à participer à ce programme particulier?

Le sénateur Cools: Oui, et comment le gouvernement en est venu à y participer.

M. Goulard: Avant d'occuper mon poste actuel, j'ai été entre deux emplois pendant un certain temps. J'attendais une nomination après avoir occupé un poste de directeur exécutif de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis politiques. À la fin de mon mandat, j'étais en attente. Tandis que j'étais conseiller spécial du sous-ministre de la Justice de l'époque, on m'a demandé de créer quelques programmes de coopération avec les Républiques tchèque et slovaque. Ensuite, comme j'avais cette expérience, l'ACDI a communiqué avec moi pour me charger de concevoir un programme pour l'Ukraine, à la suite de discussions entre nos premiers ministres et ministres de la Justice respectifs.

Le sénateur Cools: Quand vous dites que l'ACDI a communiqué avec vous, de qui s'agissait-il à l'ACDI? Était-ce le président?

M. Goulard: Non, c'était l'analyste responsable de cette région du monde.

Le sénateur Cools: Il a communiqué avec vous personnellement.

M. Goulard: Il a communiqué avec moi personnellement. Ma première réaction a été de dire que c'était fascinant, que j'aimerais bien m'en occuper, mais que je venais de commencer ce nouvel emploi et que je devais donc décliner. On a de nouveau communiqué avec moi et on m'a convaincu que cela me donnerait les ressources pour engager des gens et que, comme c'était une fonction strictement judiciaire...

Le sénateur Cools: En quelle année était-ce?

M. Goulard: C'était fin 1994, début 1995. J'ai été nommé en août 1994, et cela s'est passé au cours des mois suivants.

Le sénateur Cools: C'était avant que vous deveniez commissaire à la magistrature fédérale.

M. Goulard: Non, c'était après ma nomination comme commissaire.

Le sénateur Cools: L'ACDI a communiqué avec vous après votre nomination comme commissaire à la magistrature fédérale. Continuez.

M. Goulard: J'ai accepté, et nous avons fini par signer une entente entre mon bureau et l'ACDI qui nous donnait environ deux millions de dollars sur trois ans.

Le sénateur Cools: Puis-je vous demander en vertu de quelle disposition de la Loi sur les juges vous pouviez signer une telle entente?

M. Goulard: Avec la permission du ministre de l'époque, Allan Rock, qui confirmait par écrit que cette fonction s'ajoutait aux missions que le ministre pouvait me confier en vertu de l'alinéa 74.1d).

Le sénateur Cools: Je n'aurais pas cru que le ministre de la Justice avait quoi que ce soit à voir avec les questions internationales. Je connais cet alinéa de la loi que vous avez mentionné. Nous pourrions peut-être le faire connaître au comité. Pourriez-vous nous lire cet alinéa de la loi?

M. Goulard: C'est l'article 74.

Le sénateur Cools: Lisez-le pour nous, s'il vous plaît.

M. Goulard: L'alinéa 74.1d) prévoit que le commissaire «accomplit les missions que le ministre lui confie, dans le cadre de sa compétence».

Le sénateur Cools: Comment le système judiciaire de l'Ukraine peut-il se trouver dans le cadre de la compétence du ministre de la Justice du Canada?

M. Goulard: Notre ministre a reçu et reçoit toujours un certain nombre de demandes de partout dans le monde, de la part de ses homologues désireux de voir le Canada appuyer leurs efforts continus.

Le sénateur Cools: Je comprends. J'essaie de revenir au début. Je sais que les efforts continuent. J'essaie de comprendre comment l'article 74 de la loi, que vous venez de lire et qui parle du champ de compétence du ministre de la Justice ou du procureur général du Canada, peut vouloir dire que le ministre de la Justice pourrait assumer des responsabilités ministérielles en matière de justice dans d'autres pays. Nous ne parlons pas d'un secrétaire colonial, non? Nous parlons très clairement du poste de procureur général du Canada et de ministre de la Justice. Il se peut très bien qu'il ait été interprété de cette façon. J'essaie simplement de préciser comment on a pu arriver à interpréter cette disposition ainsi.

J'ai toujours cru que le rôle du ministre de la Justice était confiné à l'intérieur des frontières du Canada et que, dès que ses fonctions dépassaient nos frontières, même s'il s'agissait d'une juste et noble cause, elles étaient automatiquement transférées à un autre ministre.

Les Britanniques ont fait la distinction entre les affaires intérieures et les affaires étrangères, ministère jadis chargé des affaires coloniales. Dans le système britannique, il y a toujours eu une nette distinction entre ces deux rôles ministériels. Je me demande d'ailleurs comment on en est venu à les fusionner au Canada.

M. Goulard: Je suis d'avis que c'est une demande relativement nouvelle qui est faite non seulement à la ministre de la Justice, mais au Commissaire de la GRC, au Directeur général des élections, à la Chambre des communes et au Sénat. La demande s'adresse à toutes ces institutions.

Le sénateur Cools: Dites-vous qu'elle est adressée au Sénat?

M. Goulard: Je crois que des sénateurs ont déjà collaboré.

Le sénateur Cools: Nous avons peut-être des dossiers faisant état de la participation du Sénat. S'il y a eu une collaboration des sénateurs, c'est la première fois que j'en entends parler.

Le président: À quoi le Sénat aurait-il participé?

M. Goulard: Le Sénat collabore aux efforts que déploie le Canada pour aider d'autres pays à renforcer leurs institutions.

Le président: C'est tout à fait exact. Un groupe de sénateurs revient justement d'une mission d'observation des élections à Taïwan.

Le sénateur Cools: Il s'agit là d'une initiative personnelle de la part de sénateurs et d'autres parlementaires, et non du Sénat dans son ensemble.

M. Goulard: Je parle de sénateurs, bien sûr.

Le sénateur Cools: On ne peut donc pas parler d'une participation du Sénat, mais de sénateurs particuliers. C'est comme cela que je suis allée en Afrique du Sud.

Le sénateur Bolduc: Je voudrais revenir sur ce sujet, qui suppose plus que cela. Le Sénat a participé parce que des employés du Sénat ont été envoyés dans d'autres pays à titre d'agents techniques, pour apporter un soutien technique. C'est ce que je comprends.

Le sénateur Cools: Ce sont des employés du Sénat. Il serait bon que les sénateurs soient au courant de telles initiatives. C'est très intéressant. Le Sénat peut aller n'importe où pour accomplir des tâches politiques.

Le président: Nous pouvons aller n'importe où dans la mesure où nous avons des fonds.

Le sénateur Cools: Oui. Il s'agit ici de tâches politiques. C'est dans le domaine judiciaire. J'essaie de comprendre comment le mandat d'indépendance des juges au Canada peut s'étendre aux activités politiques poursuivies à l'étranger. J'y arrive difficilement. Une fois qu'on franchit la frontière, peu importe ce que l'on fait dans un autre pays, il reste que c'est une activité politique.

M. Goulard: Bien sûr.

Le sénateur Cools: J'essaie d'y voir clair et vous pouvez peut-être m'aider. Sinon, je comprends et je vous demande simplement de me fournir quelques renseignements ou de revenir. Il n'y a pas de problème.

M. Goulard: Imaginons le scénario suivant: la ministre reçoit une demande de la République tchèque, par exemple.

Le sénateur Cools: Non, vous avez dit que c'était l'ACDI qui avait communiqué avec vous.

M. Goulard: Oui, mais disons qu'à ce niveau, c'est déjà fait.

Le sénateur Cools: Qui a établi la communication? Est-ce que c'est l'ACDI qui a communiqué avec le ministère de la Justice ou le ministère qui a communiqué avec l'ACDI?

M. Goulard: Mon souvenir est vague -- je devrai vérifier parce que j'y étais --, mais je pense que le ministre de la Justice de l'Ukraine a demandé à son homologue canadien d'apporter une contribution. Le ministère de la Justice n'a pas de fonds pour une telle contribution.

Le sénateur Cools: J'ai ici un document qui, d'après moi, dit que tout cela a été pensé par le juge en chef Antonio Lamer.

M. Goulard: Il n'a jamais participé à cette initiative.

Le sénateur Cools: Voulez-vous dire qu'il ne sait pas ce qu'il dit?

M. Goulard: Il sait toujours ce qu'il dit. Le juge en chef Lamer reçoit lui aussi de la part de ses homologues des demandes visant une participation du Canada.

Le sénateur Cools: Monsieur Goulard, vous êtes probablement la personne la mieux placée pour clarifier tout ceci. Il y a deux ans, le Sénat était saisi d'un projet de loi dont j'ai discuté avec vous. Je vous ai rencontré à ce moment pour discuter du projet de loi C-42, qui soulevait des interrogations concernant les prétendues activités internationales des juges. Il me semble que le Sénat s'était prononcé très clairement et avait modifié le projet de loi, afin de limiter la participation des juges à des activités internationales à celle de Mme Louise Arbour. Sauf erreur, le projet de loi avait été adopté à l'unanimité.

Immédiatement après, nous avons reçu une grande quantité de renseignements, dont certains de la part du juge en chef. Je pourrais les déposer officiellement. Il y a une interview que le juge en chef avait accordée à la CPAC. L'autre document est un article paru dans la revue Lawyers Weekly. Dans les deux cas, le juge en chef déclare clairement qu'il déplore la position adoptée par le Parlement. Mais cela importait peu puisqu'il se préparait à déjeuner avec vous et Mme Labelle et qu'on pouvait prévoir que 40 ou 50 juges soient envoyés un peu partout dans le monde. Dites-moi si je rêve, monsieur Goulard.

Dans la revue Lawyers Weekly, on pouvait lire ce qui suit: «M. Goulard coordonne, dans le domaine judiciaire, un nombre croissant de projets internationaux qui connaissent beaucoup de succès et qui sont souvent subventionnés par l'Agence canadienne de développement international.» L'article cite ensuite M. le juge Lamer: «"Juges sans frontières" voilà comment le juge en chef Antonio Lamer qualifie en souriant le projet qu'il a imaginé.» Cet article est paru, le 29 août 1997, dans Lawyers Weekly, revue très respectable destinée aux gens de robe.

M. Goulard: Quelle est votre question?

Le sénateur Cools: Mes questions sont encore loin des questions initiales: Quels sont les coûts? Comment est apparu le programme? Qui sont les juges qui y participent et combien sont-ils payés? Voilà les questions initiales. Mes questions n'ont pas changé.

M. Goulard: Permettez-moi de revenir à votre première question. Vous avez demandé pourquoi mon bureau participait et quelles attributions la ministre pouvait m'accorder. La ministre qui reçoit une demande d'un de ces pays, ou de son homologue dans un de ces pays, pourrait répondre: «Je suis responsable du système de justice canadien. Je n'ai rien à voir avec ce que vous demandez. Allez voir ailleurs.» Le Canada pourrait dire: «Nous avons suffisamment de problèmes chez nous; allez voir ailleurs.» Toutefois, il existe une politique d'aide au Canada. Si je ne m'abuse, la ministre, et ce n'est uniquement le cas de Mme McLellan, mais aussi d'Allan Rock et ses prédécesseurs, a dû reconnaître que le Canada devait jouer un rôle, voire même était tenu de fournir de l'aide. Ce n'est pas ma décision.

Si, en vertu d'une politique d'aide du Canada, notre ministre décide qu'il faut contribuer et confie à mon bureau et à moi-même la coordination de cette contribution, je serai heureux de remplir mon rôle.

Le sénateur Cools: Je comprends. Je suis certaine que vous en serez très heureux.

M. Goulard: Vous avez demandé combien il y avait de juges. J'avais prévu cette question. Nous en sommes maintenant à la troisième année du projet de l'Ukraine et six juges y sont allés.

Le sénateur Cools: Pouvez-vous nous donner leurs noms et nous dire combien cela nous a coûté?

M. Goulard: Oui, mais je peux seulement indiquer le montant total. Je l'ai avec moi. Je dois aussi faire remarquer que plus d'une centaine de juges canadiens donnent de leur temps au Canada, par exemple, en accueillant des juges ukrainiens, en les invitant à siéger avec eux, en leur expliquant tout le processus et en les recevant dans leurs foyers pour le week-end.

Le sénateur Cools: Ma question visait les juges qui vont à l'étranger. Je voudrais avoir la liste de tous les juges canadiens qui sont allés à l'étranger dans le cadre du programme avec l'ACDI.

M. Goulard: Parlez-vous du projet en Ukraine?

Le sénateur Cools: Je vous demande la liste de tous les juges qui, grâce à des subventions de l'ACDI et par l'intermédiaire de votre bureau, sont allés à l'étranger y accomplir une mission.

Revenons un peu en arrière. J'ai sous les yeux le témoignage devant ce comité de celui qui était alors sous-ministre de la Justice, George Thompson. Je me reporte au fascicule numéro 14 des délibérations du comité, soit la séance du 23 octobre 1996, au cours de laquelle on a interrogé M. Thompson sur l'ACDI et la participation financière de l'ACDI. Voici le passage qui se trouve à la page 14, ligne 29: «Je m'intéresse plus particulièrement à l'ACDI et à la fusion qui semble survenir entre l'ACDI et l'appareil judiciaire. Plus particulièrement, j'ai sous la main une liste indicative de projets relatifs à l'assistance technique à caractère juridique et judiciaire qui avait été préparée dans le cadre de la table ronde que l'ACDI a tenue sur le sujet le 19 avril 1996, au lac Meech.»

Je rappelle aux honorables sénateurs que le Sénat a par la suite été saisi du projet de loi C-42 et que les sénateurs se sont prononcés à son égard en octobre ou novembre 1996. De toute évidence, tout cela préparait la voie au projet de loi C-42.

J'avais continué à interroger M. Thompson au sujet de cette table ronde. M. Thompson avait déclaré: «C'est un atelier que l'ACDI a tenu avec des universitaires, des organismes non gouvernementaux de même qu'un large éventail de particuliers provenant de diverses régions du pays.» Le sénateur Cools: «Est-ce que des juges y ont assisté?» Le sous-ministre Thompson avait répondu: «Le juge en chef Lamer y a assisté au début pour indiquer que l'appareil judiciaire est prêt à aider d'autres pays à mettre en place des systèmes judiciaires. Je crois qu'il était le seul juge présent.»

Les questions et le débat se sont poursuivis. Le document, ou l'interview, que j'ai lu montre clairement que le projet avait été pensé par M. le juge Lamer. Je voudrais bien savoir comment un tel projet, qui naît dans la tête d'un juge, peut finalement être subventionné, non pas par le ministère de la Justice, parce que la loi le lui interdit, mais par l'ACDI. J'apprécierais vraiment recevoir des explications.

M. Goulard: Quand on parle d'un projet pensé par le juge en chef Lamer, je ne suis pas certain de ce que nous parlons, parce que la coopération internationale qui suppose la contribution de juges du Canada et d'autres pays existait bien avant que le juge en chef Lamer ne soit nommé.

Le sénateur Cools: Je ne fais que me reporter à une interview au cours de laquelle le juge en chef disait cela. Je rapporte ses paroles, et non les miennes.

M. Goulard: Il avait imaginé que des juges, de préférence des juges retraités ou surnuméraires donnent de leur temps libre à d'autres pays. Tout le travail devait se faire bénévolement et habituellement au cours des heures libres des juges. Son projet de «Juges sans frontières», comme il l'appelle, prévoit simplement que des juges donnent un peu de leur temps et qu'il y ait des subventions externes pour couvrir les coûts. Ces subventions pouvaient venir de l'ACDI, de la Banque mondiale ou de la Banque interaméricaine de développement. Diverses institutions subventionnent les voyages à l'étranger de juges, afin qu'ils assistent à des conférences ou qu'ils donnent des cours.

Je participe à un programme de coopération subventionné par l'ACDI. Je sais qu'il y en a d'autres, dont un qui est géré par l'Université de Montréal et qui a permis à des juges d'aller à l'étranger.

Le sénateur Bolduc: Le problème que je vois dans tout cela, c'est que je me demande pourquoi nous envoyons à l'étranger des juges qui sont déjà rémunérés par notre gouvernement pour travailler au Canada, au lieu de recourir aux services d'anciens juges ou de personnes d'expérience. Je considère que ce problème est de taille parce que, lorsqu'ils sont à l'étranger, ces juges ne travaillent pas au Canada. La première chose que nous saurons, c'est que le ministère de la Justice demandera à des juges payés par le Conseil du Trésor fédéral de combler un poste. Cela me trouble énormément, étant donné les difficultés que soulèvent les finances nationales. Nous sommes aux prises avec un problème grave que nous tentons de résoudre. Nous avons effectué des compressions partout dans la fonction publique et, en même temps, nous subventionnons ce programme. Je pense que bien des juges âgés de 65 ou 70 ans peuvent devenir surnuméraires.

M. Goulard: C'est possible dès 65 ans.

Le sénateur Bolduc: Ils travaillent alors à temps partiel. S'ils travaillent à temps partiel, ils reçoivent plein salaire. Il serait peut-être possible de demander à ces juges d'aller à l'étranger, mais vous utilisez des juges qui travaillent à plein temps, comme dans les cas dont nous sommes saisis. L'un d'eux était d'ailleurs à la télévision hier soir, où il expliquait son rôle dans les affaires internationales.

Le sénateur Lavoie-Roux: Qu'en est-il de la juge Arbour?

Le sénateur Bolduc: C'est différent. Elle n'est pas là-bas à titre de juge, mais d'avocate.

M. Goulard: Elle n'est pas payée par nous.

Le sénateur Bolduc: Je voudrais revenir là-dessus. Il me semble que nous devrions avoir une politique à cet égard. Je doute que les Canadiens acceptent que des gens qui reçoivent un traitement de juge au Canada aillent travailler à l'étranger.

Le sénateur Cools: Vous avez raison.

M. Goulard: Il peut y avoir des exceptions, mais les juges avec qui j'ai collaboré dans le cadre du projet en Ukraine et d'autres juges que j'ai observés dans d'autres projets ne partent pas à l'étranger pendant des mois. Ils y vont juste pour assister à des conférences où ils rencontrent d'autres juges. Dans notre projet, aucun juge ne s'occupe de la gestion ou d'activités à long terme.

Le sénateur Bolduc: Je comprends. Toutefois, un voyage de deux semaines à l'étranger, c'est fatigant. Ces juges ne sont pas jeunes; ils sont de mon âge. Or, à mon âge, quand on va en Europe ou au Moyen-Orient pendant deux semaines, on a besoin d'une semaine pour récupérer à l'aller et d'une autre au retour. Il ne faut donc pas deux semaines, mais un mois.

M. Goulard: On m'a demandé les noms des juges. Il y en a cinq qui sont nommés par le gouvernement fédéral et un, par une province. Ils sont allés à une conférence qui a duré quatre ou cinq jours et à un colloque de trois jours.

Le sénateur Cools: Pouvez-vous les nommer?

M. Goulard: Oui. Il y avait le juge Sopinka; c'était un des ses derniers déplacements. Il était à la conférence en octobre 1997, ainsi que le juge en chef Hewak et le juge Bracco. Ces deux derniers y étaient parce qu'ils parlent couramment l'ukrainien. Le juge Lysyk y est allé. Je pense qu'il parle un peu l'ukrainien. Il était à l'époque codirecteur de l'Institut national de la magistrature et c'est à ce titre qu'il y est allé, puisque le processus prévoit notamment l'échange de juges.

Le juge en chef Scott, du Manitoba, y est allé à titre de spécialiste des questions de déontologie judiciaire. Il a présidé le comité du Conseil canadien de la magistrature, qui a passé quatre ans à rédiger le livre paru la semaine dernière, The Judicial Conduct Guidelines.

Le sénateur Cools: Et M. le juge Strayer?

M. Goulard: Je l'ignore.

Le sénateur Cools: À ce qu'on m'a dit, il aurait fait des séjours de trois mois à Hong Kong, pour rédiger divers documents. Encore une fois, si votre présence ici est si importante, c'est parce qu'il faut éviter de se fonder sur des hypothèses. Nous espérons que vous pourrez nous aider à clarifier certaines questions. Qu'on me corrige si j'ai tort, mais je pense que M. le juge Strayer est allé à Hong Kong pendant plusieurs mois à une occasion au moins, pour rédiger des documents. Je n'en suis pas certaine. Si vous n'avez pas de renseignements à cet égard aujourd'hui, vous pourrez nous les fournir plus tard.

M. Goulard: Je n'en sais absolument rien. Je serais très étonné si cela s'était produit il y a quelques mois, parce que dernièrement encore, un juge devait obtenir un décret pour pouvoir s'absenter de ses fonctions pendant plus d'un mois. Aujourd'hui, on l'exige pour un séjour de six mois. Je connais ce juge. Je ne suis pas au courant de la situation dont vous parlez. Je ne la nie pas. Elle s'est peut-être produite avant mon entrée en fonction, et je ne suis donc pas au courant.

Le sénateur Cools: Pourriez-vous voir si M. le juge Strayer s'est absenté pendant un long moment?

M. Goulard: Si je le lui demande, il pourra me dire que cela ne me regarde guère, et il aura raison.

Le sénateur Cools: Monsieur Goulard, seriez-vous en train de me suggérer de le convoquer devant le comité?

M. Goulard: Non, je ne suggère rien de tel, c'est certain.

Le sénateur Cools: Si vous possédiez ce renseignement, il serait préférable de nous le communiquer.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous avez dit que pour les juges fédéraux, il existe un comité de sélection. Le ministre a le dernier mot et doit approuver le choix du comité. Un juge de la cour provinciale ou municipale du Québec peut remplir toutes les exigences pour devenir juge de la Cour fédérale. En ce qui concerne les juges d'autres communautés culturelles, sont-ils sélectionnés selon leur origine ou selon leurs valeurs professionnelles? Existe-t-il une politique disant qu'un juge doit être italien, un autre doit être grec et un autre doit être français? La sélection se fait-elle aussi parmi les groupes minoritaires?

M. Goulard: Une politique a été exprimée par la ministre actuelle, et par M. Rock dans le passé. Cette politique vise à rechercher et à nommer un nombre croissant de représentants des minorités. De notre côté, nous rencontrons des groupes minoritaires. Le mois dernier, j'étais invité au «Canadian Association of Black Lawyers» à Toronto. J'ai parlé du processus. Le ministre désire avoir un nombre croissant de représentants des minorités. Dans le document que nous remettons aux candidats nous leur demandons, s'ils le veulent, de s'identifier comme représentants de minorités. Seulement 11 candidats sur près de 500 se sont identifiés comme étant représentants de minorités. C'est très peu et je suis conscient qu'il y en a deux qui ne se sont pas exprimés comme étant d'une minorité mais qui le sont.

Une dame était chinoise et ne l'a pas indiqué. Lors de la réunion où j'étais secrétaire, elle était recommandée pour ses qualités mais nous n'avions pas mentionné qu'elle était chinoise. J'ai suggéré que cela soit mentionné à la ministre et cette personne a été nommée. Si elle a choisi de ne pas s'identifier comme étant représentante d'une minorité, peut-on le faire? C'est son droit de le faire ou non et ce n'est pas à nous de le faire.

Le sénateur Ferretti Barth: Depuis la nomination du juge Macerola il y a 20 ans, aucun juge de communauté culturelle n'a été nommé. Il y a beaucoup de juges québécois d'origine italienne qui ont présenté leur candidature, mais la dernière nomination, c'est une personne d'un autre groupe culturel qui l'a eue. Pourriez-vous m'éclairer sur cela? Cela n'est pas possible puisque la communauté italienne est la troisième plus grande communauté au Canada. Cela me surprend beaucoup.

J'aimerais aussi savoir s'il est vrai que pour répondre à ces juges, nous avons a approché des juges au Québec. Concernant le programme Sida, le ministre des Finances semble préoccupé par le fait que nous dépensons beaucoup d'argent pour ce programme. Ce programme est-il entièrement payé par le gouvernement canadien ou par les nations qui font la demande pour avoir des juges canadiens dans leur juridiction? Ces nations contribuent-elles à l'appui de cet échange ou est-ce seulement le Canada qui paie?

Nous fournissons des cerveaux, de la psychologie et de la sagesse. Est-ce que cela se fait avec grand coeur, généreusement? Allons-nous fournir tous ces outils aux pays qui sentent des lacunes dans leurs institutions de façon aussi généreuse. Ces pays disent-ils: «Venez, aidez-nous et nous partageons les dépenses»?

M. Goulard: Dans le contrat que nous avons signé pour le programme de l'Ukraine, nous devons déterminer la contribution de l'Ukraine. Ils doivent fournir les locaux, l'équipement pour les trois cours-modèle. Dans les programmes de formation, ils doivent transporter et loger les juges. Nous tenons compte de leur contribution et nous l'exigeons. À savoir si nos juges canadiens devraient consacrer tout leur temps exclusivement à servir les Canadiens, il s'agit là d'une question de politique. Nous pouvons nous poser la même question à savoir si la GRC, les forces armées, le Directeur général des élections devraient se limiter? Je maintiens l'idée que nous avons un devoir d'aider les pauvres et certains de ces pays ont grand besoin d'aide.

[Traduction]

Le sénateur Cools: C'est une question politique, que traitent d'ailleurs en des termes très clairs les articles 54, 55 et 56 de la Loi sur les juges. C'est précisément sur cette question que le Parlement du Canada, en particulier le Sénat, s'est prononcé à l'automne 1996 en interdisant ou du moins en croyant interdire aux juges une telle participation et en faisant une seule exception dans le cas de Mme Louise Arbour. C'est une question politique et c'est l'objet de la question. Si, comme l'a défini le Parlement, il s'agit bien d'une question politique, comment ces juges, votre ministère et l'ACDI peuvent-ils continuer à faire cela, en dépit de ce qu'a dit le Parlement?

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Combien de temps cet échange peut-il durer? Un mois, deux mois, trois mois? Combien de temps permettons-nous aux juges ces échanges à l'extérieur du pays?

Le sénateur Bolduc: Actuellement, c'est six mois, je crois.

M. Goulard: La seule qui a eu une permission de six mois, c'est madame le juge Arbour. Quand je parle de six mois, c'est lorsqu'un juge est malade.

Le sénateur Bolduc: Auparavant, c'était un mois.

M. Goulard: C'était un congé de ses fonctions pour raison de maladie. Concernant les congés d'étude, ils doivent se faire au Canada. Les congés de maternité ne sont plus considérés comme étant des congés de maladie. Cette décision est récente. Il était honteux qu'une juge devait prendre un congé de maladie parce qu'elle était enceinte. Maintenant le juge en chef peut accorder un congé de dix mois, mais cela n'a rien à voir avec l'international. Il n'y n'aura pas de congé accordé pour l'international.

[Traduction]

Le président: Vous étiez préoccupé par le coût de tout cela. Or, je crois fermement que, si nous voulons que la démocratie se répande partout dans le monde, nous devons prendre de telles initiatives. Depuis que ce programme est apparu, est-ce que le nombre de juges qu'il faut pour l'appliquer a augmenté?

M. Goulard: Non, il n'y a pas eu d'augmentation.

Le président: Le nombre de juges n'a pas augmenté?

M. Goulard: À ce que je sache, il n'y a pas eu d'augmentation due au programme. La demande de participation du Canada dans l'effort de redémocratisation partout dans le monde a augmenté, mais cette demande ne vise pas seulement les juges -- en fait, ce ne sont pas les services des juges qui sont demandés --, mais aussi les ingénieurs, les médecins, les enseignants et les parlementaires.

Le président: Le nombre de juges a-t-il augmenté?

M. Goulard: Je ne pense pas qu'il y ait eu une hausse du nombre de juges participants.

Le président: Dans l'ensemble, est-ce que le nombre des juges a augmenté?

M. Goulard: Parlez-vous des juges participants?

Le président: Non. Je vous demande simplement si le nombre de juges a augmenté au Canada?

M. Goulard: Vous parlez donc des juges qui siègent aux tribunaux. Il y a eu une hausse au niveau fédéral, mais surtout à cause de l'augmentation des juges surnuméraires.

Le président: Pourriez-vous définir le terme «surnuméraire», aux fins du compte rendu?

M. Goulard: Un juge surnuméraire est un juge qui satisfait aux exigences d'admissibilité à la retraite, soit l'âge de 65 ans plus 15 ans de service. Auparavant, un juge âgé de 65 ans et ayant accumulé 15 ans de service prenait sa retraite. Aujourd'hui, même s'il est admissible à la retraite, un juge peut décider de ne pas la prendre et de travailler à temps partiel pour un plein salaire. Nous avons fait les calculs à maintes reprises. Le pays bénéficie d'un travail à temps partiel en versant un tiers du salaire, puisque le juge qui prend sa retraite touche les deux tiers de son salaire. Je considère que c'est une solution rentable.

En réalité, un grand nombre de juges, surtout dans les provinces plus populeuses, par exemple les juges des cours d'appel de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique, deviennent surnuméraires et gardent le même horaire, ou presque. Je suis donc d'avis que la solution est rentable.

Quand un juge devient surnuméraire, son poste devient vacant, de sorte que le juge peut être remplacé. Par conséquent, le nombre des juges augmente. Quand je me suis joint au bureau, il y a quatre ans, nous étions environ 900 et, aujourd'hui, nous sommes à peu près 1000. Je pense même que nous étions 1 001 au début du mois.

Le sénateur Bolduc: Combien y a-t-il de juges surnuméraires?

M. Goulard: Deux cents, ou 25 p. 100, et, pour répondre à la question qui vient habituellement, environ 20 p. 100 sont des femmes. Pour augmenter le nombre de juges, il faut absolument modifier la Loi sur les juges, puisque le nombre y est prescrit. Nous l'avons récemment augmenté pour ajouter des juges aux cours d'appel de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, je crois, ainsi qu'aux tribunaux unifiés de la famille. J'espère que cela répond à votre question.

Le président: Vous voyez, nos juges voyagent, mais vous avez dit que cela ne diminuait en rien leur charge de travail. Cette dernière ne s'est pourtant pas alourdie par suite du temps qui leur est demandé.

M. Goulard: C'est ce que je dis. De plus, selon un engagement que j'ai pris envers les juges en chef, tant fédéraux que provinciaux, je ne communique jamais personnellement avec un juge sans passer d'abord par le juge en chef. Les demandes ont généralement pour objet d'assister à des conférences ou d'y prendre la parole. Ces demandes viennent de la Banque mondiale ou des bureaux de La Francophonie, situés à Paris. Quand on demande un juge aux fins d'une conférence sur un sujet donné, je communique avec le juge en chef. Quand on demande un juge francophone, je communique avec les juges en chef. Cela ne coûte rien au Canada, du moins rien à mon bureau. Le ministre Rock m'a donné son approbation, dans la mesure où je ne puisais pas dans mon fonds de fonctionnement pour cela. L'argent doit venir d'ailleurs.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Vous avez des juges qui participent à des sessions en Angleterre, à Cambridge ou à Oxford. Ils ont des séances de training ou des sessions de droit. Payez-vous les dépenses? Y a-t-il beaucoup de juges qui y participent?

M. Goulard: À tous les deux ans, il y a le programme de Cambridge. Dans les années qui alternent, ces journées d'étude se déroulent soit à Strasbourg ou aux États-Unis. En 1998, il n'y a pas eu de session. Le nombre de juges de nomination fédérale est fixé par le Conseil de la magistrature.

Le sénateur Bolduc: Combien y en a-t-il à peu près?

M. Goulard: À peu près 60 qui ont la permission d'y aller.

Le sénateur Bolduc: Environ 5 p. 100?

M. Goulard: Le Conseil de la magistrature fixe le nombre total de participants par province. Par la suite, le juge en chef de chaque juridiction décide. C'est un programme où nous invitons la crème de la crème des présentateurs, des juges en chef de ces pays. À Strasbourg, il y a deux ans, le sujet portait sur la bioéthique. Des médecins et des avocats canadiens y participaient également.

Le sénateur Bolduc: Les juges qui participent à ces conférences ou à ces sessions ont-ils des travaux à présenter ou s'il font simplement partie de l'assistance?

M. Goulard: Quelques-uns ont des travaux à présenter. La majorité y vont comme participants.

Le sénateur Bolduc: Est-ce que ce sont les mêmes qui ont tendance à y retourner ou s'il y a une rotation?

M. Goulard: Il y a une rotation et nous payons les dépenses.

[Traduction]

Le sénateur Cools: Je voudrais poser une ou deux brèves questions, pour plus de précision. Je rappelle aux fins du compte rendu que je me suis déjà reportée à l'interview donnée à CPAC par M. le juge Lamer le 9 décembre 1996. M. le juge Lamer avait dit: «Je suis en communication avec Mme Labelle. Comme je l'ai dit, je déjeune avec elle aujourd'hui et je dois rencontrer le Commissaire à la magistrature fédérale vendredi. Je déjeunerai avec lui vendredi et je pense que nous ne tarderons pas à agir.»

Plus tôt, il avait déclaré que, avec de la volonté, tout était possible. Il a dit, entre autres: «... nous allons nous adresser à l'ACDI» et «je serai très fier de la participation de 20, 30 ou 40 juges canadiens».

J'attire aussi l'attention des sénateurs sur une autre déclaration. Il s'agit cette fois d'une lettre que M. le juge Lamer a envoyée à Allan Rock le 6 novembre 1996, concernant le projet de loi C-42, dans laquelle il a dit: «Concernant les propositions du paragraphe 56.1(1) du projet de loi C-42, je me permets d'ajouter qu'il est extrêmement regrettable que les sénateurs aient rejeté cette modification d'ordre général et qu'ils n'aient absolument pas compris son objet, du moins selon le Conseil canadien de la magistrature.» C'est extraordinaire.

Vous avez dit qu'on a communiqué avec vous en 1994. Quels sont les montants totaux? J'ai parcouru le Budget des dépenses, mais ce n'est pas tout à fait clair et je pense que vous pouvez nous fournir des précisions. Depuis 1994, quel est le montant exact que votre ministère, ou votre organisation, a reçu de l'ACDI aux fins de ce programme?

M. Goulard: Nous sommes convenus d'un montant total d'environ deux millions de dollars.

Le sénateur Cools: Par année?

M. Goulard: Non, c'est pour trois ans. Le même budget s'étend sur une quatrième année.

Le sénateur Cools: Deux millions de dollars étaient prévus à compter de 1994 et pour combien d'années?

M. Goulard: Ce sera pour quatre ans.

Le sénateur Cools: Pour quatre ans. Le montant de deux millions de dollars doit être épuisé maintenant.

M. Goulard: Tout sera terminé d'ici juin 2000. Le contrat a été signé en 1996.

Le sénateur Cools: Quand en 1996 ce contrat a-t-il été signé?

M. Goulard: Je n'ai pas le contrat ici.

Le sénateur Cools: Pourriez-vous me le remettre?

M. Goulard: Oui.

Le sénateur Cools: En 1996, on vous a remis ou alloué deux millions de dollars pour quatre ans. Combien cela fait-il par année? Est-ce que c'est un montant égal?

M. Goulard: C'est à peu près à un demi-million.

Le sénateur Cools: Est-ce un montant égal chaque année?

M. Goulard: Non, le montant varie selon les activités.

Le sénateur Cools: Pourriez-vous me donner une ventilation des dépenses effectuées avec cet argent chaque année?

M. Goulard: Bien sûr.

Le sénateur Cools: Ici, on ne donne que des prévisions. Pour terminer, je dirai qu'à mon avis, nous sommes tous convaincus, vraiment et sincèrement, que le Canada a un rôle important à jouer à l'échelle internationale pour rétablir ou parfois établir la démocratie. Toutefois, il s'agit là d'un but politique, auquel des juges ne devraient donc pas participer. C'est une opinion personnelle.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: J'entends souvent parler de la possibilité d'être juge surnuméraire comme étant un privilège. Les juges surnuméraires augmentent leur revenu car ils sont à la retraite et reçoivent des émoluments supplémentaires.

M. Goulard: Ils gardent leur plein salaire.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ils gagnent leur plein salaire.

M. Goulard: Ils doivent travailler au moins la moitié du temps et la majorité continue à travailler à plein temps.

Le sénateur Lavoie-Roux: Quelle est l'idée d'être surnuméraire?

M. Goulard: Il y a des juges à la retraite qui sont encore complètement productifs.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ils pourraient servir dans les bonnes oeuvres un peu.

M. Goulard: Il y en a qui font des bonnes oeuvres.

Le sénateur Lavoie-Roux: La notion de juge surnuméraire est fortement critiquée.

M. Goulard: Peut-être que ce n'est pas bien compris. Peut-être que la magistrature et mon bureau ont manqué à leur devoir de fournir de l'information.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je suis mal informée.

M. Goulard: Notre magistrature est très peu comprise et cela est très malheureux.

Le sénateur Lavoie-Roux: Avez-vous l'intention de tenter de corriger cela?

[Traduction]

Le président: C'est comme au Sénat.

M. Goulard: Oui, exactement.

Le président: Mais la communication laisse à désirer.

M. Goulard: Grâce à cette initiative, j'ai pu partager des expériences et comparer notre situation avec celle d'autres pays, de sorte que j'ai maintenant la certitude que nous avons les institutions les plus démocratiques au monde.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Ce n'est pas sur ce point que j'en ai, c'est sur ce que cela nous coûte. Les juges coûtent joliment cher et on leur donne toujours plus de privilèges. Le projet de loi C-42 que nous avons adopté dernièrement donnait aux juges une augmentation de salaire.

M. Goulard: Si nous voulons avoir la crème de la crème ...

Le sénateur Lavoie-Roux: Où est la crème? Il y a de bons juges et de moins bons juges. Il y a de bons sénateurs et de moins bon sénateurs. C'est cela la vie. Qu'on les paie convenablement, j'en suis, mais lorsqu'on ajoute privilège par-dessus privilège, il y a quelque chose qui ne fonctionne plus. Ce sont les juges qui font des accrocs à la démocratie à ce moment-là. Ce qui va là ne va pas ailleurs.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur, pour votre témoignage.

M. Goulard: Je vous remercie de m'avoir invité. Je serais heureux d'échanger avec vous à l'occasion. J'aimerais pouvoir revenir et vous faire part de mes problèmes.

Le sénateur Cools: Les gens ne craignent pas de nous faire part de leurs problèmes.

Le président: Nous apprécions énormément tous les renseignements que vous nous avez fournis aujourd'hui. Nous sommes ravis de connaître mieux votre travail et l'excellente contribution de nos juges partout dans le monde.

Nous n'allons pas nous pencher sur le rapport que vous avez entre les mains aujourd'hui. Nous le ferons à notre retour en février. S'il devait y avoir prorogation du Parlement, nous pourrions reprendre tous nos travaux et étudier ce rapport sans la moindre difficulté. Cela ne nous empêchera pas de terminer nos travaux. Au lieu de procéder à toute vapeur maintenant, nous avons jugé préférable d'attendre pour avoir tout le temps nécessaire. Est-ce d'accord?

Le sénateur Cools: C'est une excellente idée.

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous sommes d'accord, monsieur le président.

Le sénateur Cools: Faut-il voter pour cela, monsieur le président?

Le président: Non. Nous avons noté aux fins du compte rendu une motion d'ajournement.

Le sénateur Cools: Qu'il en soit proposé ainsi.

La séance est levée.


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