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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 3 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 19 février 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit ce jour à 9 h 30 pour examiner la privatisation et les permis à quota dans le secteur de la pêche canadien.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: J'aimerais vous présenter la nouvelle greffière du comité, Mme Marie Danielle Vachon, qui remplace Paul Benoit. Je crois savoir que Paul Benoit s'est tourné vers l'enseignement ou une autre de ces professions plus avouables. Marie Danielle, nous vous souhaitons la bienvenue.

Notre témoin aujourd'hui est M. Henry Surette, un dirigeant de la West Nova Fishermen's Coalition. Vers la fin de la réunion, le député Peter Stoffer comparaîtra pour nous offrir lui aussi quelques commentaires sur le même sujet.

Nous accueillons en outre Brian Giroux, directeur exécutif de la Mobile Gear Association of Nova Scotia.

Monsieur Surette, avez-vous des remarques préliminaires à nous présenter?

M. Henry Surette, directeur, West Nova Fishermen's Coalition: Monsieur le président, je suis heureux de pouvoir témoigner ici aujourd'hui. J'ai passé toute ma vie dans l'industrie des pêches. Je vais essayer de présenter de mon mieux mon expérience aux membres du comité.

Depuis 40 ans, je me consacre entièrement à la pêche. Depuis 15 ou 20 ans, je représente les pêcheurs à titre bénévole, même si cela signifie du temps et des jours de pêche perdus. Cela me paraît tout à fait normal. Il existait un besoin dans l'industrie de la pêche. Les pêcheurs n'aiment pas s'avancer pour dire ce qu'ils pensent. Ils préfèrent discuter sur les quais. Quand vous les amenez à une réunion, ils ne disent pas ce qu'ils pensent, même s'ils s'en veulent peut-être lorsqu'ils sont rentrés chez eux. J'en ai eu tout simplement assez et je me suis levé pour faire le travail du mieux que je le pouvais. Même si j'ai toujours pratiqué la pêche, j'ai un peu touché à tout. J'ai même été inventeur et enfant de choeur.

Quand vous voyez à la télévision une annonce au sujet de la violence familiale, vous vous rendez compte que vous devrez prendre l'initiative et signaler tout ce que vous pourriez voir qui ne paraît pas acceptable dans la société contemporaine. C'est un peu la même chose dans l'industrie de la pêche. Je ne peux tout simplement pas rester chez moi et laisser les poissons mourir sans rien dire. On jette le poisson par-dessus bord tous les jours dans tous les secteurs. C'est un gaspillage inutile.

J'ai participé à la première série de négociations sur les quotas pour le commerce international, et j'étais tout à fait contre, mais j'ai perdu. On a dit que cela aiderait à rétablir les pêches, mais ce résultat n'a pas été atteint. Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer à quel titre le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques peut prétendre être le gardien de notre poisson? L'an dernier, nous avons réduit les quotas de 25 p. 100 pour la morue, en raison des rejets. Nous prendrons encore de la morue cette année, mais elle ne sera pas débarquée.

Le prêtre nous a raconté une histoire de la Bible, il y a quelques semaines; Jésus est monté dans un bateau et a demandé à Pierre et à Simon de lancer leurs filets. Ils ont rempli d'un seul coup de filet deux bateaux de poisson, tous de la même espèce. Cela ne se passe pas ainsi dans l'océan. Vous jetez vos filets, et ils se remplissent d'une variété d'espèces. Cependant, vous ne gardez que ceux que vous voulez, ceux qui correspondent à votre quota. Tant que nous ne changerons pas cette pratique, les stocks de morue ne se rétabliront pas. Ils montent et ils descendent, selon les besoins du jour. Cela ne me satisfait pas quand je vois les bateaux de pêche à la ligne qui n'ont droit qu'à deux voyages par année. Si nous avions le poisson que jettent quelques bateaux, nous pourrions faire pêcher 50 pêcheurs à la ligne tous les jours pendant toute une année. C'est malheureux, et il ne devrait pas en être ainsi.

Mon village est unique. Au cours de ma vie, une seule personne y a été arrêtée, et son père n'était pas un pêcheur. Le reste de la collectivité est composé de gens honnêtes. Ils quittent les bancs de l'école très tôt -- je ne veux pas dire à 2 heures du matin mais tôt dans la vie -- pour aller pêcher. Ils sont fiers; ils travaillent pour s'acheter une voiture, puis ils se mettent à construire leur propre maison. Lorsque la maison est finie, la plupart se marient, emménagent et élèvent une famille et ils restent dans la collectivité. Sans le poisson, le village va mourir.

La pêche ne peut pas se ramener à ce que l'on voit sur le papier ici. C'est plus qu'un moyen de subsistance. C'est un mode de vie, un mode de vie que je ne pourrai pas transmettre à mon fils, parce que je n'ai plus le droit de rapporter de morue à la maison pour le reste de mes jours; je ne peux même pas ramener un poisson à la maison pour le manger.

Mon QIT était si petit que j'ai dû me retirer. Le grand projet du ministère des Pêches et des Océans visait à éliminer tous les petits pêcheurs pour remettre leurs quotas aux quelques gros joueurs, et c'est très bien. J'ai choisi de vendre, mais je veux expliquer pourquoi je l'ai fait. J'avais un petit quota, alors nous nous sommes préparés le premier été où nous avons eu un QIT, nous attendions que les bancs ouvrent après trois mois de fermeture. Je me suis rendu là-bas avec l'espoir de faire une bonne pêche. Nous avons jeté notre filet 20 minutes. Nous avons pris plus d'aiglefin que ce que nous pouvions rapporter pour l'année en 20 minutes. Je me suis immédiatement rendu compte que je devais vendre, parce que je ne pouvais pas me résoudre à jeter du poisson pendant le reste de mes jours. J'ai abandonné -- j'ai baissé les bras et je me suis dit «Voilà, c'est fini.» Je suis rentré et j'ai réfléchi. Nous avons pêché jusqu'à la fin de l'été parce que nous avions tellement de factures que nous ne pouvions pas nous permettre de ne pas sortir. Ceux qui ont acheté mon quota ont vécu la même chose. Ils ne prennent pas suffisamment d'une espèce ou d'une autre, alors ils doivent jeter du poisson. Comment le gouvernement peut-il parler de développement durable? C'est de la boucherie. Je ne peux pas venir ici et faire des reproches à des gens qui ont fait ce que j'ai fait moi-même! Je n'en suis pas très fier, mais cet été-là nous avons fait tout ce que nous avons pu pour ne pas prendre de poisson des autres espèces.

Un soir, je pêchais la plie, je ne voulais pas de morue, pas d'aiglefin ni de goberge. Un de mes amis m'a appelé et m'a dit: «J'ai un sac de poissons, si tu en veux.» Nous avions besoin d'un peu de morue pour finir le voyage. Je suis allé le voir, il avait 35 000 poissons de fond. Il cherchait de la plie mais n'en trouvait pas. Il m'a donné environ 5 000 livres de poissons et il a jeté le reste, puis il est reparti rechercher de la plie. Il a refait la même chose. C'est encore ce que l'on fait aujourd'hui. Comment pouvez-vous espérer que les stocks se rétabliront si vous procédez ainsi? Quinze ou 20 personnes m'ont appelé pour me raconter des histoires qui vous renverseraient, mais c'est toujours «Il a dit, il a dit». Vous voyez ce que je veux dire.

Qu'ai-je à gagner ici? Absolument rien. Je ne peux plus rapporter un seul poisson. Je risque de tout perdre, parce que mon matériel de pêche au homard est à terre, et je suis certain qu'un patron de chalutier voudra se venger et me fera du tort. Je cours le risque, et cela m'est indifférent. Je ne peux pas laisser les choses se passer ainsi. C'est un peu comme dans le cas de la violence familiale. Je ne peux pas laisser ce gaspillage de poisson continuer sans en parler à quelqu'un.

J'en reviens au CCRH. Si le plan de gestion ne change pas, que fera-t-on? Prendre des décisions à l'aveuglette à nouveau? Chaque année, le Conseil prend des décisions à l'aveuglette. Réduisons la goberge l'an prochain, la morue semble plus prometteuse. Ce n'est pas une façon de procéder.

Vous ne pouvez pas simplement placer des observateurs sur chaque bateau. Vous allez tuer les pêches. Il serait injuste de mettre des observateurs sur chaque bateau. Il vous suffit d'un observateur dans un bateau pour enregistrer les prises du voyage. Commencez par là. Multipliez par 150 et voyez un peu ce que cela donne. Il n'est pas nécessaire de compter chaque poisson. Multipliez simplement ce que vous voyez à bord de trois bateaux et vous avez une bonne idée de ce qui se passe dans cette pêche.

Cela se produit dans toutes les pêches. Dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, les pêcheurs à la ligne travaillent en dollar. Ils ont droit à 3 000 $ de poisson, pas à un nombre donné de livres. Ce qu'ils prennent reste à bord et ils le gardent. J'ai un ami qui pêche dans un autre district de pêche à la ligne, et il doit rejeter du poisson parce qu'il a droit à 1 000 livres de morue, à 1 000 livres de goberge et à une certaine quantité d'aiglefin. Lorsqu'il arrive à sa limite, ses lignes sont à la mer et il prend ce qu'il peut. Vous ne pouvez pas dire au poisson de ne pas mordre à votre hameçon, de ne pas sauter dans votre filet. C'est ce qui se passe.

Nous avons un bon système pour protéger le poisson. Nous avons placé une valeur en dollars sur notre poisson, et le pêcheur a droit à tant de dollars. Cela donne de très bons résultats, monsieur le président. Mais je suis certain que cela donnerait aussi de bons résultats dans toutes les autres pêches, si vous fixez un maximum en argent à la pêche et si vous laissez les pêcheurs prendre ce qu'ils trouvent. Le poisson est pris et jeté de toute façon, alors laissez donc le pêcheur ramener ses prises.

Certains ont essayé d'être honnêtes et de déclarer ce qu'ils avaient à bord; on les a accusés de rapporter les mauvaises espèces. Nous punissons les gens honnêtes. Que pouvons-nous faire, si ce n'est de rejeter le poisson? Nous n'avons pas le droit de rejeter le poisson et nous n'avons pas le droit de le rapporter, mais nous l'avons pris, il est mort. C'est un grave problème. Nous devons changer notre façon de faire.

Il y a un autre grave problème dans nos pêches. Nous le connaissons tous et personne ne veut le régler. Le président des États-Unis réussit à s'attirer beaucoup d'appui pour aller bombarder l'Irak. Vous vous demandez ce que cela a à voir avec la pêche? Le monde entier appuie le projet des États-Unis de bombarder l'Irak, une intervention qui tuera bien des innocents. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose au sujet des phoques? Pourquoi n'arrivons-nous pas à obtenir l'appui du monde entier? Nous devons nous débarrasser de quelques millions de phoques.

La pêche au homard dans le golfe est en déclin. Que croyez-vous que les phoques mangent pendant l'hiver? Il n'y a pas de poisson dans le golfe, alors les phoques mangent le homard. Tout le monde se demande ce qui se passe, pourquoi les stocks de homard diminuent. Ils diminuent parce qu'il y a trop de phoques. Aux Îles-de-la-Madeleine, on a trouvé un grand nombre de queues de homard sur la grève. Les phoques ont faim et ils mangent.

Je suis allé l'été dernier au Cap-Breton. Chez moi, il y a un phoque sur chaque rocher. Là-bas, ils doivent se battre pour trouver un peu d'espace. On croit rêver. Nous pourrions régler de nombreux problèmes en tuant l'excédent de phoques. Nous pouvons peut-être faire venir un porte-avions et régler leur sort.

Je pêche depuis longtemps. Ma carrière est presque terminée, mais mon fils a pris la relève. Lui et sa femme attendent un enfant au mois de mai. Nous espérons que ce sera un fils à qui son père apprendra à pêcher, comme je l'ai moi-même appris du mien. Mon père m'a transmis son permis; je ne peux pas faire de même pour mon fils. Je ne serais pas si malheureux si tout avait été bien fait, si chacun avait respecté les règles. Vous ne pouvez pas le leur reprocher, pourtant -- tout le monde doit gagner sa vie.

Un type m'a affirmé que son quota n'est pas très important mais qu'il doit quand même jeter du poisson jusqu'au mois d'octobre pour être certain de prendre tout ce qu'il peut de chaque espèce. Il va peut-être commencer dès maintenant et atteindre son quota seulement en octobre. Vous rendez-vous compte du nombre de pêcheurs à la ligne que vous pourriez garder dans l'industrie avec ce poisson?

Les histoires que j'ai entendues ces deux dernières semaines me portent à me demander où tout le monde est passé. Le MPO affirme qu'il a des employés qui comptent le poisson sur les quais, et c'est vrai. Chaque poisson qui arrive au quai est compté. Personne ne compte les poissons morts dans l'eau. Un poisson mort est un poisson mort; je n'en ai rien à faire qu'il soit compté ou pas. Cela n'aide personne. Je ne peux vraiment rien dire de plus.

Le président: Merci, monsieur Surette, de cet exposé.

Le sénateur Stewart: Monsieur Surette, pouvez-vous me dire où vous habitez?

M. Surette: Je viens d'un petit village appelé Pickney's Point, à 10 milles de Yarmouth, entre Wedgeport et Yarmouth.

Le sénateur Stewart: Vous dites que les histoires que vous avez entendues ces dernières semaines sont à faire dresser les cheveux sur la tête. Monsieur Surette, je suis membre de ce comité depuis 12 ou 14 ans maintenant et, mis à part l'éloquence de votre témoignage, je ne peux pas dire que vous m'avez appris quelque chose. J'entends la même chose année après année à ce comité. Rien n'a été fait.

Vous donnez une version des faits, mais nous avons des histoires encore plus horribles dans les documents du comité. Je me souviens d'un ancien capitaine de chalutier qui a abandonné la pêche parce qu'il ne pouvait pas supporter ce qui s'y passait, en particulier le rejet. Sa compagnie lui a dit de se présenter au port à une date précise, parce qu'elle ne pourrait pas s'occuper de son bateau la veille ni le lendemain. C'était le moment où il devait se présenter. Il devait sortir et adapter ses prises en jetant du poisson, pour avoir un chargement idéal quand il arriverait au port.

Alors vous ne nous apprenez rien. La question qu'il faut se poser, c'est qu'est-ce qui s'est passé au fil des ans?

J'ai remarqué que vous avez fait à plusieurs reprises allusion à la pêche à la ligne comme solution de rechange. Vous semblez dire que si on mettait l'accent sur la pêche à la ligne, nous utiliserions plus judicieusement la ressource. Est-ce ce que vous soutenez?

M. Surette: Non. Je vous dis que nous travaillons avec une valeur en dollars plutôt qu'avec des livres de poisson. On peut faire la même chose avec un chalutier ou dans un autre secteur d'engin -- fixer une valeur en argent et laisser les pêcheurs ramener ce qu'ils prennent. Cela n'est pas important. Je ne suis pas contre les chalutiers, je veux simplement que le poisson qui est pris soit débarqué et compté.

Le sénateur Stewart: Vous aimeriez mieux qu'on assigne des quotas en dollars aux pêcheurs plutôt que des quotas en livres?

M. Surette: C'est exact.

Le sénateur Stewart: Quelles restrictions imposeriez-vous quant au nombre de personnes admissibles à un quota en dollars?

M. Surette: Si vous voulez faire un essai, vous pourriez choisir une petite compagnie et lui assigner une valeur en dollars pour voir ce que cela donne. Vous ne commenceriez pas par fixer des quotas en dollars à toute l'industrie, vous feriez un essai avec une petite compagnie de chalutiers qui a deux, trois ou quatre bateaux, pour voir ce que cela donne. Les prises réelles comprennent plusieurs espèces de poisson.

Le sénateur Stewart: Est-ce que j'ai raison de croire que, quel que soit le type de quota, vous êtes en faveur d'un système de quotas?

M. Surette: Il faut fixer des chiffres. On ne peut pas fonctionner dans l'anarchie. À l'intérieur d'un système de quotas, toutefois, ce n'est pas ce qui est débarqué, c'est ce qui est pris qui fait du tort.

Le sénateur Stewart: Vous avez de si bons arguments que, dans un certain sens, vous m'obligez à vous poser une question. Si vous avez raison, comme cela semble être le cas, est-ce que vous connaissez un argument contre votre position? Que ce soit un argument valable ou pas, avez-vous entendu un argument contre l'approche que vous préconisez maintenant?

M. Surette: Non. Le MPO sait de quelle façon nous procédons pour la pêche à la ligne dans le comté de Yarmouth et il sait que cela donne des résultats plutôt satisfaisants. Pourquoi ne pas élargir le système?

Le sénateur Stewart: J'ai une question un peu différente à vous poser. Vous venez d'une région où certains pêcheurs aimeraient prendre du thon rouge. Est-ce que vous avez une expérience quelconque de cette pêche?

M. Surette: Oui. C'est l'une des pêches les plus excitantes que je connaisse. Ce n'est pas une pêche, c'est un sport. J'ai pêché la morue à la ligne, mais quand vous avez un thon, de 500 ou 600 livres au bout de la ligne, votre adrénaline monte.

Le sénateur Stewart: Est-ce vrai qu'il y a une grande concentration de permis de pêche au thon rouge, que cinq ou six personnes sont propriétaires de tous les permis dans votre région?

M. Surette: Oui. Au cours des sept ou huit dernières années, ceux qui avaient de l'argent ont acheté les permis avant que personne ne se rende compte de ce qui se passait.

Le sénateur Stewart: Il y a environ 32 permis dans la région, mais ils sont tous détenus par cinq ou six personnes?

M. Surette: En effet, c'est le cas.

Le sénateur Stewart: Je ne sais pas si cela sera encore vrai cette année, mais par le passé le sénateur Landry disait que les Japonais mangeaient le poisson avec les yeux, pas avec la bouche. Je ne sais pas si c'est vrai pour le thon rouge, mais je sais que les Japonais sont très sourcilleux pour ce qui est de la qualité du poisson.

J'imagine que si un pêcheur prenait un thon rouge qui ne lui paraissait pas devoir aller chercher un très bon prix au quai, il pourrait très bien le rejeter et chercher à en prendre un de meilleure qualité.

Est-ce qu'il y a du rejet dans la pêche au thon rouge?

M. Surette: Je ne dirais pas qu'il y a en beaucoup. Le poisson est plus difficile à prendre maintenant, et les pêcheurs sont simplement heureux de le rapporter. Comme il n'y a pas beaucoup de gens qui pêchent, ils obtiennent un prix équitable pour la plupart des prises.

Le sénateur Stewart: On nous a dit, il y a quelques années, qu'à une certaine époque on exportait de la Nouvelle-Écosse une bien plus grande quantité de thon que ce qu'on y débarquait. La rumeur voulait que les pêcheurs ramènent le poisson en contrebande. C'était il y a huit ou dix ans. Est-ce vrai que cette pratique a disparu?

M. Surette: Non, cela ne se fait plus, parce que les amendes sont si lourdes que personne n'ose s'y risquer. Si vous êtes pris avec un thon, les amendes sont très lourdes. En outre, si un acheteur est pris avec du thon, il doit verser une amende encore plus sévère. Personne ne veut être pris avec un poisson qui n'est pas enregistré. Cela n'est plus un problème.

Le sénateur Robertson: J'aimerais poser une question au sujet des quotas que vous prenez; est-ce que les quotas visent tous les pêcheurs dans votre zone?

M. Surette: Seulement le groupe des pêcheurs à la ligne.

Le sénateur Robertson: Par conséquent, est-ce que tous les membres de ce groupe ont des permis pour diverses espèces?

M. Surette: Oui. Si vous avez un permis pour la morue, vous avez le droit de prendre toutes les autres espèces.

Le sénateur Robertson: De quelle façon les usines de transformation du poisson réagissent-elles? Lorsque vous ne faites pas cela, vous devez rejeter du poisson. Est-ce que les usines de transformation collaborent pour traiter toutes les espèces que vous rapportez? Combien d'espèces différentes pourriez-vous avoir?

M. Surette: Vous auriez de la morue, de l'aiglefin, de la goberge et quelques flétans, mais pas beaucoup.

Le sénateur Robertson: Essentiellement, ce sont des espèces que l'usine peut transformer?

M. Surette: Sans aucun problème.

Le sénateur Robertson: Combien d'autres zones font la même chose que la vôtre?

M. Surette: Aucune, à ma connaissance.

Le sénateur Robertson: Êtes-vous les premiers?

M. Surette: Oui. Dès le début, j'ai affirmé que c'était la meilleure façon de procéder, que cela permettrait de sauver du poisson, et j'avais raison. Nous essayons seulement de faire adopter cette méthode de pêche parce qu'elle est logique.

Le sénateur Robertson: Est-ce que les autres pêcheurs qui ne pêchent pas à la ligne sont aussi titulaires de permis pour plusieurs espèces?

M. Surette: Oui.

Le sénateur Robertson: Vous avez tous des permis visant plusieurs espèces. Est-ce que vous avez une idée du nombre de pêcheurs de la flottille de pêche de l'Atlantique qui détiennent des permis visant plusieurs espèces?

M. Surette: Tous ceux qui ont un permis de pêche au poisson de fond ont le droit de pêcher plusieurs espèces.

Le président: Je ne sais pas si nous nous entendons vraiment sur le sens de l'expression «permis visant plusieurs espèces». Est-ce qu'un permis visant plusieurs espèces vous autorise à prendre du homard et du poisson de fond, par exemple? Est-ce que j'ai mal compris?

M. Surette: Parmi les poissons de fond, il y a la morue, l'aiglefin et la goberge.

Le président: C'est un permis visant plusieurs espèces, et non pas un permis différent pour chaque espèce?

M. Surette: En effet.

Le sénateur Robertson: Cela englobe donc le homard.

Le président: Quand on parle de plusieurs espèces, on parle de différents poissons.

M. Surette: C'est un autre permis.

Le président: Très bien, je suis désolé.

Le sénateur Robertson: Plusieurs permis.

Le président: Je voulais simplement que l'on s'entende sur les définitions.

Le sénateur Robertson: Est-ce que vous avez un permis pour le homard?

M. Surette: Pas nécessairement, si vous avez un permis pour la pêche au poisson de fond.

Le sénateur Robertson: Concrètement, vous auriez alors deux permis?

M. Surette: Oui.

Le sénateur Robertson: Dans la flottille de pêche de l'Atlantique, combien de pêcheurs sont inscrits à ce système de quotas pour la gestion des pêches?

M. Surette: Le nombre de permis dans le Canada Atlantique, je l'ignore.

Le sénateur Robertson: Combien de pêcheurs rejettent du poisson? Est-ce que la moitié de la flottille le fait?

M. Surette: Je dirais que tous ceux qui ne participent pas au régime de gestion du comté de Yarmouth rejettent du poisson, que ce soient les pêcheurs à la ligne, les pêcheurs à la ligne de fond, les pêcheurs au filet maillant, les chalutiers, tous, parce que c'est la façon dont le système fonctionne. Ils doivent le faire pour survivre. Je ne connais personne qui ne le fasse pas.

Le sénateur Rossiter: Ce que vous dites, je crois, c'est que les usines pourraient transformer tout le poisson si vous rameniez tout ce que vous prenez. Par contre, les règles du marché ne jouent pas; est-ce que les usines ne prendront pas seulement ce qu'elles peuvent commercialiser?

M. Surette: C'est en partie la raison pour laquelle les pêcheurs rejettent du poisson, et les règles du marché jouent, mais c'est surtout que si l'on débarque du poisson d'une même espèce, on ne peut pas prendre ceux des autres espèces. Si leur quota est presque atteint, les pêcheurs doivent veiller à ne pas trop rapporter de cette espèce avant une certaine époque de l'année, afin de pouvoir débarquer tout leur poisson.

Le sénateur Rossiter: Il faut donc procéder au rejet sélectif, sinon le pêcheur doit trouver un autre endroit pour vendre ce poisson à quelqu'un qui peut l'utiliser, ou est-ce possible?

M. Surette: Très peu de chalutiers appartiennent à des particuliers; ce sont surtout des sociétés maintenant. Elles envoient leurs navires chercher une quantité donnée de poisson -- j'imagine du poisson de l'espèce qu'ils veulent obtenir ce jour-là.

Le président: Permettez-moi une question complémentaire. Vous abordez un aspect dont je n'ai pas entendu parlé auparavant. Est-ce que vous nous présentez une hypothèse, monsieur Surette? Est-ce une supposition ou quelque chose que vous connaissez bien?

M. Surette: C'est quelque chose que je connais assez bien.

Le président: C'est un aspect dont je n'ai pas entendu parler auparavant. Aujourd'hui, j'avais l'impression que les quotas expliquaient le rejet sélectif, le régime de gestion et non pas les usines. Je veux simplement mentionner que je n'ai jamais entendu ce commentaire auparavant.

M. Surette: Je n'avais pas prévu en parler, mais un camarade qui exploite un bateau pour un de mes amis, un capitaine de chalutier, lors de son premier voyage l'an dernier, emmenait un observateur, et son premier coup de filet de l'année a ramené 35 000 aiglefins. L'usine n'était pas trop heureuse de cela parce qu'il rapportait beaucoup d'aiglefins le premier jour de l'année. Il a déclaré qu'il avait dû les débarquer parce que l'observateur était à bord. C'est ce que j'en ai déduit.

Le président: Nous n'allons pas poursuivre sur cette voie pour l'instant.

Le sénateur Butts: Je vais essayer d'aborder le même problème sous un autre angle. Parlons de quotas. Vous êtes en faveur des quotas tant et aussi longtemps qu'ils sont exprimés en termes monétaires. Est-ce exact?

M. Surette: C'est exact.

Le sénateur Butts: Pour ce qui est des quotas accordés aux chalutiers dont vous parliez, est-ce que le problème vient de ce que ces quotas ne sont valables que pour une espèce, ou est-ce que le quota pour cette espèce est déjà atteint et il faut rejeter toutes les prises? Laquelle de ces deux explications est la bonne? Est-ce que les deux jouent?

M. Surette: Les deux, je crois.

Le sénateur Butts: Quelle est votre solution en ce qui concerne les quotas des «grosses compagnies»?

De quelle façon régleriez-vous la question des quotas puisque vous voulez des quotas, mais exprimés en dollars, n'est-ce pas? Que feriez-vous des quotas dans le cas des chalutiers?

M. Surette: Là encore, pour pouvoir répondre facilement à cette question, il faut déterminer ce que l'on prend véritablement et établir un modèle expérimental, comme je vous l'ai dit auparavant, et produire des chiffres ou des moyens différents de ceux que je viens de mentionner. Je ne sais pas de quelle façon vous pourriez y parvenir.

Le sénateur Butts: Vous ne voulez pas que les quotas des sociétés visent une espèce en particulier. Est-ce exact?

M. Surette: Pas les totaux. Je comprends bien ce que vous dites. Je n'ai pas de réponse à vous offrir parce que je ne connais même pas le total des prises. Si nous avions ces chiffres, je pourrais élaborer un plan, mais les quantités débarquées ne reflètent pas véritablement les prises.

Le sénateur Butts: Est-il vrai que le poisson est rejeté? Vous avez parlé de rejet. Pourquoi rejette-t-on le poisson? Est-ce parce que l'on a déjà atteint le quota pour cette espèce ou est-ce parce qu'on n'a pas de permis pour pêcher cette espèce?

M. Surette: C'est parce que le quota est épuisé pour le reste de l'année, ou pour une autre raison.

Le sénateur Butts: Ils ont pris tout le poisson auquel ils avaient droit?

M. Surette: Pour cette espèce, et ils doivent en rejeter constamment jusqu'à ce qu'ils prennent les bonnes espèces, celles qu'ils ont encore le droit de prendre cette année. Entre-temps, ils n'ont pas le choix.

Le sénateur Butts: Ils doivent rejeter le poisson. Comment pouvons-nous régler le problème des rejets? Est-ce que nous devons accorder des quotas plus importants ou des quotas visant d'autres espèces de poisson? Je cherche une solution.

M. Surette: La solution, c'est le quota exprimé en termes monétaires.

Le sénateur Butts: Pour tout le monde?

M. Surette: Oui.

Le sénateur Butts: Pour toutes les espèces de poisson?

M. Surette: Exactement, et vous devez trouver ce que ce poisson vaut sur le marché.

Le sénateur Butts: Alors nous allons simplement accorder des quotas en dollars, nous ne préciserons pas pour quelles espèces, nous allons simplement fixer un montant d'argent pour l'ensemble du débarquement?

M. Surette: L'aiglefin vaut plus que la morue. Les pêcheurs vont prendre de l'aiglefin, seulement de l'aiglefin. C'est à cause du marché. Vous pourriez arriver avec un million de livres d'aiglefin demain et le prix tombera à 50 cents la livre.

Le sénateur Butts: Vous convenez alors que nous pouvons tous avoir des quotas, uniquement exprimés en valeurs monétaires, et non pas par espèces.

De toute évidence, vous êtes favorable au transfert des quotas. Vous pourriez alors donner le vôtre à votre fils, n'est-ce pas, vous voulez donc des quotas transférables?

M. Surette: Tout permis est transférable.

Le sénateur Butts: Vous voulez que cela soit maintenu, cependant?

M. Surette: Oui. J'ai déjà rempli les formalités pour transférer le mien à mon fils.

Le sénateur Butts: Est-ce que vous pouvez le vendre à une compagnie? Est-ce qu'il est à ce point transférable, ou est-ce que cela doit rester dans votre famille?

M. Surette: Vous pouvez vendre un permis, ce permis vous appartient. Je ne suis certainement pas contre la vente des permis, c'est la façon dont l'industrie a évolué. Certains se sont essayés à la pêche, puis ils l'ont abandonnée. Ils ont vendu leur permis à quelqu'un d'autre; c'est cela, les affaires. Dans l'industrie du poisson de fond, les grandes compagnies ont acheté les permis de tous les petits pêcheurs, et cela aussi c'était la règle des affaires. Les gens ont pris des risques. Les gros ont acheté tous les quotas et il n'y a rien à redire à cela.

Le sénateur Butts: Vous n'êtes pas contre cette pratique?

M. Surette: Non, parce que c'est le choix que j'avais et c'est le choix que nous avons tous, nous, les pêcheurs. Nous avons le choix de vendre nos permis.

La pêche est une grande industrie. Si vous n'avez pas une grande usine ou une grosse compagnie derrière vous lorsque vous commencez, c'est assez difficile, même pour le homard. Le prix de l'équipement pour le homard est de 300 000 $. La plupart des jeunes ne peuvent pas l'acheter alors ils doivent s'adresser à une compagnie. C'est la façon de démarrer, avec l'appui des grandes compagnies.

Le sénateur Butts: Pour résumer, alors, vous êtes favorable aux QIT tant que le «Q» correspond à une valeur monétaire?

M. Surette: Nous devons changer nos méthodes de pêche, c'est tout ce que je dis -- pas tant nos méthodes de pêche, en soi, que ce que nous prenons. Cela serait beaucoup plus logique pour les pêches au poisson de fond que toute autre solution. Le stock de poisson serait décuplé en cinq ans parce qu'il n'y aurait plus de rejet, il n'y aurait plus aucune raison de jeter les prises -- le poisson serait débarqué et compté. Nous pourrions alors imprimer des brochures sur le développement durable parce que les pêches seraient rétablies. Vous ne pouvez pas demander aux bateaux de pêcher de l'aiglefin si l'aiglefin ne vaut que 50 cents la livre.

Le sénateur Perrault: Vous pourriez congeler les prises.

Le sénateur Butts: J'ai de la difficulté à comprendre vos réserves au sujet du CCHR. La vision que le CCRH a publiée en 1994 contenait nombre des points que vous êtes prêt à accepter ici aujourd'hui. Elle porte entièrement sur une approche axée sur les droits de pêche, de sorte qu'un particulier ou une compagnie peut exercer ce droit. Elle porte aussi sur le droit d'acheter les quotas. Tous ces aspects sont contenus dans le document du CCRH.

Le président: Je crois que vous parlez du CCP, du Conseil canadien des pêches, plutôt que du CCRH.

Le sénateur Butts: En effet, vous avez raison.

M. Surette: C'est un autre groupe.

Le sénateur Butts: Tous ces documents disent exactement ce que M. Surette soutient. C'est pourquoi j'ai de la difficulté à comprendre ce qu'il veut modifier, si ce n'est la valeur monétaire des quotas.

M. Surette: Je ne veux pas passer ma vie sachant que l'on rejette du poisson tous les jours, jour après jour.

Le sénateur Butts: Alors ce que vous voulez, c'est une valeur monétaire.

Le sénateur Losier-Cool: Cela a aussi trait à la libre entreprise.

Le sénateur Stewart: Lorsque nous parlons de votre région, de votre zone, pouvez-vous nous expliquer quelles en sont les limites? Je vais vous donner un exemple. Est-ce que c'est le territoire entre l'île Brier et un point donné sur l'île du Cap-de-Sable? Où se trouve votre zone exactement?

M. Surette: Nous représentons les pêcheurs entre l'île Brier et l'île du Cap-de-Sable, mais dans notre régime de gestion du poisson de fond cette zone s'appelle le comté de Yarmouth.

Le sénateur Stewart: Très bien. Avez-vous une idée de la valeur des prises pour les principaux engins dans le comté de Yarmouth -- c'est-à-dire, les grands chalutiers, les pêcheurs à la ligne, et cetera.

M. Surette: Non, je n'en ai aucune idée.

Le sénateur Stewart: D'après vous, est-ce que les grands chalutiers ont débarqué deux fois plus ou trois fois plus que les autres?

M. Surette: Vous voulez dire plus que les pêcheurs à la ligne?

Le sénateur Stewart: Disons plus que les bateaux de 36 pieds, les bateaux relativement petits.

M. Surette: Il doit s'agir de deux millions de fois plus.

Le sénateur Stewart: Très bien. Dites-moi si je me trompe, mais vous semblez parfois exprimer une préférence pour les petites embarcations de pêche. Vous ne condamnez pas les grands chalutiers, mais, j'imagine, vous utilisiez vous-même un bateau relativement petit. Quelle était la taille de votre bateau?

M. Surette: C'était un bateau de 45 pieds.

Le sénateur Stewart: Et, on peut le supposer, votre fils utilise maintenant ce bateau?

M. Surette: Oui, c'est le même bateau.

Le sénateur Stewart: Vous dites que c'est là le type de bateau pour lequel les quotas à valeur monétaire sont vraiment adaptés.

M. Surette: La taille du bateau n'a aucune importance. Si vous attribuez une valeur d'un million de dollars de poisson et que c'est ce que vous rapportez, la taille du bateau n'a aucune importance. Je l'ai dit auparavant et je suis prêt à le répéter: un poisson mort demeure un poisson mort.

Le sénateur Stewart: Moi aussi, je viens d'une région où l'on pêche. Nos pêcheurs n'ont pas autant de chance que les vôtres. Je viens du golfe. J'ai entendu bien des choses, qui me plaisent bien, qu'il ne faut pas croire que les pêches sont seulement une industrie mais plutôt qu'elles correspondent à un mode de vie. Lorsque vous commencez à parler de pêche comme d'un mode de vie, vous en arrivez presque inévitablement à penser que les petits bateaux -- c'est-à-dire les bateaux de 36 ou de 45 pieds -- sont mieux adaptés au maintien d'un mode de vie que les énormes chalutiers industriels. C'est pourquoi je vous posais cette question.

Je ne vous demande pas de vous attaquer au secteur des chalutiers, mais je crois que vous avez le sentiment que le genre de pêche qui laisse place aux petits bateaux est au moins aussi bonne sur l'eau que les chalutiers et qu'elle leur est sans doute préférable sur la terre -- c'est-à-dire pour les collectivités qu'elle fait vivre? Ai-je raison?

M. Surette: C'est une question difficile parce que je suis moi-même dans le secteur de la pêche au chalutier. J'ai été représentant du secteur des chalutiers pendant quelques années. Il y a seulement un bateau de plus de 65 pieds dans le comté de Yarmouth et dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Il n'y a pas beaucoup de bateaux de plus de 65 pieds.

Leur capacité est très élevée, et il leur faut beaucoup plus de poisson pour survivre, mais ils y sont parvenus.

Le sénateur Stewart: Ils ont des bateaux très modernes, n'est-ce pas?

M. Surette: Vous seriez étonné de la capacité d'un bateau de 45 pieds. C'est dix fois plus qu'autrefois en raison de la technologie et de la puissance des moteurs.

Le sénateur Stewart: Cette transition technologique des bateaux n'a jamais été prise en compte par le ministère des Pêches et des Océans?

M. Surette: J'ai présenté un exposé à la Commission des prêts de la Nouvelle-Écosse il y a environ 15 ans. J'ai déclaré qu'on allait créer un monstre avec tous ces petits chalutiers qu'on construisait. On m'a répondu: «Non. Nous devons construire ces bateaux parce que l'industrie est en pleine expansion.» La Commission a refusé d'examiner mon opinion, mais trois ans plus tard il fallait commencer à racheter ces bateaux. Il y a eu création d'emplois à court terme dans les chantiers navals, qui étaient en pleine expansion, et puis tout s'est écroulé.

Le sénateur Stewart: J'en viens à ma dernière question. Supposons que dans votre région vous adoptez des quotas à valeur monétaire, avez-vous une idée de ce que cette valeur serait pour une année pour quelqu'un possédant un bateau comme le vôtre? Est-ce que nous parlons de 100 000 $ pour le total des prises de poisson de fond, de 2000 000 $?

M. Surette: Dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, l'an dernier, je crois que les bateaux n'ont fait de deux voyages de 3 000 $ chacun, les pêcheurs à la ligne, alors c'est minime. Autrefois, on pêchait tout l'été, maintenant on ne fait qu'un voyage ou deux.

Le sénateur Stewart: Vous nous avez dit qu'il n'y avait pas de gros chalutier dans le comté de Yarmouth. Est-ce que vous affirmez que le poisson est seulement parti ou qu'un autre type d'engin prend le poisson?

M. Surette: Le quota est divisé en secteurs, et le secteur des chalutiers en a une part importante. Il y a aussi les pêcheurs au filet maillant qui ont une grosse part de ce quota. Et puis, il y a les petits pêcheurs, les pêcheurs à la ligne, qui n'ont qu'une petite portion du quota. Je ne crois pas que ces chiffres puissent être dépassés simplement à cause des activités des pêcheurs à la ligne. C'est en raison de ce que nous avons fait par le passé, lorsque nous avons créé du poisson en papier.

Le sénateur Stewart: Voici ce que je cherche à savoir, monsieur Surette. Si votre approche était adoptée, est-ce qu'un pêcheur de Yarmouth pourrait avoir un revenu annuel adéquat? C'est vraiment la question à laquelle j'aimerais répondre. Vous semblez dire que cela ne serait sans doute pas le cas, mais que la situation serait meilleure que maintenant.

M. Surette: Je dis aujourd'hui qu'un pêcheur à la ligne ne pourra jamais gagner honnêtement sa vie tant et aussi longtemps que l'on continuera à jeter du poisson par-dessus bord.

Le sénateur Stewart: Merci.

Le sénateur Perrault: Monsieur le président, M. Surette nous a présenté un excellent exposé. Je crois qu'il a été ouvert et honnête. Il nous faut plus de gens comme lui dans notre société.

Je viens de la côte Ouest, mais nombre de nos problèmes sont identiques, notamment la diminution des bonnes espèces. Les poissons disparaissent, tout simplement, quelque chose ne va vraiment pas dans les pêches de la côte Ouest. Vous laissez entendre que le rejet total des espèces dites excédentaires doit être condamné et qu'il faut y remédier. Je vais vous poser une question qui révèle ma grande naïveté: si toutes les espèces étaient ramenées à terre, est-ce que l'on ne pourrait pas les entreposer, les congeler pour les transformer par la suite? Il est tout à fait impardonnable, dans un monde où tant de gens ont faim, de gaspiller une ressource comme celle-là. Y a-t-il une façon quelconque, quelle que soit l'espèce, de récupérer ce poisson et d'en tirer une valeur maximale, d'exploiter son potentiel nutritif?

M. Surette: C'est l'autre raison pour laquelle j'essaie de faire bouger les choses. Ces chiffres ne s'inscrivent pas dans le mandat du MPO, dans le régime des quotas, alors on ne peut pas débarquer le poisson.

Le sénateur Perrault: Est-ce qu'il faut changer les règles? C'est peut-être un règlement stupide.

M. Surette: Comme je l'ai déjà dit, pourquoi ne prenons-nous pas une petite compagnie pour faire une pêche expérimentale pendant un an?

Le sénateur Perrault: Nous devrions faire l'essai de quelques solutions parce que la situation est inacceptable.

M. Surette: Dans cette pêche expérimentale, vous mettriez des observateurs à bord de tous les bateaux et tous les poissons débarqués seraient comptés.

Le sénateur Perrault: C'est une bonne idée. Cela vaut certainement mieux que le statu quo. Les pêches semblent en difficulté dans le monde entier. Je sais qu'il est facile de dire que les pêcheurs prennent trop de poisson, mais les témoignages que nous avons entendus à divers endroits, y compris au Woods Hole Institute, au Massachusetts, nous laissent croire qu'il y a bien des facteurs en jeu. La population de plancton est affectée par la réduction de la couche d'ozone. Il y a la pollution, les maladies et aussi le réchauffement des eaux, qui perturbent l'équilibre des diverses espèces. Vous ne pouvez certainement pas reprocher ce problème aux pêcheurs.

M. Surette: Non.

Le sénateur Perrault: Les phoques, en toute honnêteté, constituent aussi un grave problème sur la côte Ouest. Vous ne pouvez pas non plus attribuer tout le problème aux phoques, j'imagine.

M. Surette: J'ai dit que les bateaux de pêche à la ligne dans mon district effectuaient deux voyages par année. Si chaque pêcheur avait le droit à la quantité de poissons mangés par 100 phoques, son été serait fait.

Le sénateur Perrault: Ils ont un appétit insatiable. Ils mangent littéralement tout notre saumon sur la côte Ouest.

M. Surette: Nous le constatons chaque jour.

Le sénateur Perrault: Je suis de tout coeur avec vous. Combien de livres un phoque moyen peut-il manger chaque jour, le savez-vous?

M. Surette: Un phoque consomme 40 livres par jour, mais il y a des millions de phoques. Si un pêcheur avait droit de tuer 100 phoques, vous pourriez peut-être lui donner le poisson que ces 100 phoques auraient mangé pendant l'année.

Le sénateur Perrault: Pour être logique, je dois en venir à la même conclusion, mais nous devons commencer à jouer plus serrer dans ce dossier. Les stocks disparaîtront complètement si nous n'agissons pas.

M. Surette: Nous serons envahis par les phoques. Vous pourriez peut-être en rapporter à Ottawa et les utiliser pour les relations publiques.

Le sénateur Perrault: Je crois que vous avez fait souffler sur notre réunion de ce matin un vent d'honnêteté et je vous en remercie.

Le sénateur Robertson: Monsieur Surette, pour en revenir à votre approche sensée des quotas à valeur financière dans votre propre zone de pêche, est-ce que vous seriez contre l'idée d'adopter ce système partout? Est-ce que quelqu'un s'y opposerait?

M. Surette: Le MPO s'y opposerait.

Le sénateur Robertson: Je vois, mais pas les pêcheurs?

M. Surette: Je ne vois pas pourquoi ils s'y opposeraient parce que cela leur paraîtrait fort logique. Cela serait beaucoup plus facile à gérer.

Le sénateur Robertson: Et qu'en est-il des grands chalutiers? Est-ce qu'ils s'y opposeraient? Je n'ai pas beaucoup de sympathie pour les chalutiers, mais il leur suffirait d'adapter leurs pratiques de commercialisation. Ils pourraient le faire sans grande difficulté, et les usines de transformation du poisson aussi. Je ne pense pas que nous puissions nous permettre de perdre ce poisson. C'est terrible. Comme l'a dit le sénateur Stewart, nous avons entendu cet argument trop souvent et rien n'a jamais été fait à ce sujet. On continue de jeter tout ce poisson mort.

Pire encore, des fonctionnaires du MPO ont déclaré aux membres du comité que le système des quotas qui leur plaît, ce type de gestion, est la méthode la plus efficace. Je ne sais pas ce qu'ils veulent dire par là.

M. Surette: C'est la raison pour laquelle j'ai apporté cette brochure sur le développement durable avec moi. Cela n'a plus aucun sens lorsque vous dites vraiment ce qu'il en est.

Le sénateur Robertson: J'ai une question idiote à poser. Nous savons tous que les phoques sont en train de dévaster ce qui reste de nos pêches aujourd'hui. Il y a des années, avant que nous n'éprouvions d'inquiétudes au sujet de toutes ces questions, est-ce parce que le poisson était si abondant que les phoques pouvaient en manger sans créer de difficultés? Je parle maintenant d'une époque antérieure même à l'abattage des phoques. Il y a toujours eu un facteur équilibrant dans la nature, un équilibre, mais cet équilibre a disparu. Est-ce simplement parce que tout le poisson a été pêché?

M. Surette: Non. C'est parce que nous avons cessé de tuer un grand nombre de phoques et qu'ils prolifèrent.

Le sénateur Robertson: J'aimerais savoir ce qui se passait avant que l'on commence à tuer des phoques.

M. Surette: La chasse aux phoques se pratique depuis que le Canada existe. Cette chasse est un élément de notre patrimoine et on y a mis fin parce qu'elle a été mal présentée à la population. Les défenseurs des animaux créent plus d'opposition à la chasse aux phoques que Clinton n'en rencontrera la semaine prochaine quand il ira tuer des gens en Irak. C'est bien triste.

Le sénateur Robertson: C'est une autre question. J'imagine que nous disons qu'il n'y a plus d'équilibre naturel.

M. Surette: Les phoques n'ont pas d'ennemi. Ils se lèvent le matin et ils mangent la première chose qu'ils trouvent. Ils n'ont pas de quota.

Le sénateur Robertson: Votre témoignage nous a été très utile, monsieur Surette.

Le sénateur Losier-Cool: J'ai une brève question au sujet de l'opinion que vous nous avez exposée sur les quotas à valeur monétaire. Est-ce une opinion personnelle ou est-ce l'opinion de la coalition que vous représentez? Combien de pêcheurs sont membres de cette coalition?

M. Surette: Je crois qu'il y a 245 permis de pêche à la ligne au sein de la coalition.

Le sénateur Losier-Cool: Tous partagent votre opinion?

M. Surette: Oui. C'est la façon dont ils gèrent cette pêche. Je sais que c'est moi qui ai lancé l'idée, mais ils l'ont adoptée, et la méthode donne de bons résultats pour préserver le poisson. Nous aimerions l'élargir au reste du pays. Elle est plus logique.

Le sénateur Losier-Cool: Merci.

Le président: Monsieur Surette, vous apportez au comité une vaste expérience dont nous avons grand besoin. Merci.

M. Surette: Je vous remercie de m'avoir invité à venir ici. J'en ai été honoré. Je suis un simple pêcheur, mais je veux aider à changer les choses.

Nous avons eu une grève dans le secteur du homard il y a quelques années, et la situation était très grave. Les marchés étaient épouvantables. Les prix étaient terribles. J'ai dit aux gens lors d'une réunion que je pouvais y faire quelque chose. Tout le monde a ri. «Qu'est-ce que tu peux faire?» Je suis allé en Europe et j'ai regardé les marchés. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je suis revenu et j'ai déclaré que ce n'était pas le marché qui était la cause du problème, que c'était le transport. J'ai formé une compagnie pour construire un bateau qui peut transporter des homards le long des côtes pendant un mois. Nous avons une usine à Chatham pour construire ce genre de bâtiment. Nous avons la plus grosse usine de fabrication de viviers à homard au monde. Nous venons de l'inaugurer, mais elle changera bien des choses. Aujourd'hui, je vous supplie d'écouter ce que je vous dis, et nous pourrons améliorer la situation dans le secteur du poisson de fond. Je vous en remercie.

Le président: Notre dernier témoin est le député Peter Stoffer, de la Nouvelle-Écosse.

M. Peter Stoffer, député: Mesdames et messieurs les sénateurs, au nom du Nouveau Parti Démocratique et de la population de ma circonscription en Nouvelle-Écosse, je considère comme un privilège le fait de pouvoir témoigner devant vous aujourd'hui, en particulier si je songe que nombre d'entre vous ont contribué à construire le pays où j'ai immigré avec ma famille en 1956. Je vous en remercie.

Je ne suis pas un pêcheur. Je suis un peu étranger au dossier, je suis un observateur, mais je siège au Comité permanent des pêches et des océans de l'autre Chambre, à titre de critique du NPD. Ces quatre derniers mois, nous avons voyagé dans tout le Canada atlantique et dans l'ouest du Canada. Ce que nous avons appris est à la fois terrifiant et instructif. Je crois que je viens de vivre les quatre mois les plus intenses de toute ma vie, sur le plan émotif.

Malheureusement, je dois commencer par mettre un bémol. À mon humble avis, le ministère des Pêches et des Océans est le ministère le plus bureaucratique et le plus désorganisé que j'ai vu de ma vie. J'ai travaillé dans de nombreux ministères fédéraux, entre autres à Transports Canada, pendant ma carrière dans l'industrie du transport aérien. Le ministère des Pêches et des Océans est complètement désorganisé. Je vais vous donner quelques exemples de cette situation au cours de mon témoignage.

Malheureusement, il y a plus de bureaucrates du MPO à Ottawa aujourd'hui qu'il n'y avait de bureaucrates du MDN au cours de la Deuxième Guerre mondiale, quand un million de personnes portaient l'uniforme. Je ne pense pas qu'il nous reste même un million de poissons dans nos océans.

Je parle aussi au nom des Terre-Neuviens qui, depuis 450 ans, géraient leur propre pêche. Depuis leur entrée dans la Confédération, il y a 50 ans, ils ont vu le gouvernement du Canada, sous la direction de divers partis, détruire complètement leur mode de subsistance. Un exemple d'actualité est celui de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique, que l'on a adoptée alors que la situation était presque désespérée, et qui a donné de bons résultats. Même si le programme lui-même a été mal géré, les fonds étaient absolument nécessaires aux populations des petites collectivités. Tous les pêcheurs ont reçu des lettres qui leur annonçaient la prolongation du programme jusqu'en mai 1999. Ils ont pris des engagements financiers sur la foi de ces lettres. Le mois dernier, on les a informés que le programme se terminerait en mai 1998, parce qu'il n'y avait plus d'argent. On ne peut pas traiter ces gens ainsi. Maintenant, l'échéance a été reportée au mois d'août. Nous continuerons d'insister pour que la première échéance, celle de mai 1999, soit respectée.

Aujourd'hui, on m'a demandé de commenter l'incidence du système de permis à quota et de la privatisation sur la ressource. En ce qui concerne les quotas individuels transférables, une des grandes raisons données pour expliquer la tragédie des pêches au poisson de fond de l'Atlantique concerne l'évolution des pêches côtières, qui ont peu à peu échappé au contrôle communautaire. En l'an 1242, la Grande Charte retirait au roi le pouvoir d'accorder le privilège de pêcher à ceux qu'il voulait récompenser. Ce pouvoir a été remplacé par un droit public de pêcher. C'est ce droit qui disparaît maintenant rapidement pour revenir entre les mains des gens influents.

Un nouveau système de pêche basé sur les droits de propriété a remplacé les pratiques traditionnelles. Ce système est caractérisé par les quotas individuels, les quotas individuels transférables, et les allocations aux entreprises, ce qui équivaut à une privatisation du bien commun des pêches libres. La théorie sous-jacente à ce système de permis à quota est de réduire la capacité de récolte dans le cadre de la Stratégie du poisson de fond.

Le témoin qui m'a précédé était fort éloquent. J'ai énormément de respect pour ce qu'il a fait, en particulier dans le secteur de la pêche au homard. Il mériterait l'Ordre du Canada pour cette invention qui a véritablement aidé les marchés et les populations à traverser une crise.

La zone où vit M. Surette, le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, est pratiquement une île en soi. Par comparaison avec le reste du Canada Atlantique, ce secteur a une longue histoire de pêche diversifiée et prospère. Le système des QIT suscite des préoccupations. Certains pêcheurs y sont favorables; d'autres s'y opposent. J'expose ici les raisons pour lesquelles moi-même et mon parti considérons que le système des QIT ne constitue pas une solution.

Depuis leur mise en place au début des années 90, les QIT et les allocations d'entreprise ont eu un effet dévastateur aussi bien sur les particuliers qui pratiquent la pêche que sur les petites collectivités côtières. Nous sommes passés d'approches soutenables, prudentes, éprouvées, à une approche des pêches basée sur les grandes sociétés et la haute technologie. Les résultats étaient prévisibles. De grands bateaux modernes peuvent maintenant capturer en quelques heures les tonnes de poissons que prenaient auparavant des milliers de personnes en une semaine. Cette évolution a entraîné l'effondrement des stocks et l'épuisement de la ressource. À mesure que les grandes sociétés de pêche rachètent les permis et les quotas des petits pêcheurs, nous progressons vers une nouvelle structure économique dans les pêches de l'Atlantique.

Des preuves récentes appuient l'hypothèse que les sociétés contrôlent maintenant plus de 70 p. 100 du total des prises admissibles. Le petit pêcheur qui peut vivre de la pêche est maintenant chose du passé. Un pêcheur qui a quitté l'école après la quatrième année m'a dit le mois dernier, d'un ton désespéré, que le problème des pêches était que vous pouvez faire travailler sept personnes qui feront 30 000 $ par année ou une seule personne qui gagnera 200 000 $ par année.

Nous avons entendu la même chose à Prince Rupert. Un homme qui avait pêché pendant plus de 20 ans venait de voir disparaître son mode de subsistance qui est maintenant quoté en bourse dans Bay Street.

À mon avis, c'est une évolution essentiellement régressive. Elle nous éloigne de la conception traditionnelle des pêches comme ressource publique. Elle a concrètement détruit un mode de vie et une culture qui florissaient à Terre-Neuve et dans d'autres provinces atlantiques depuis des siècles. Sur le plan de l'environnement, cette évolution vers les pratiques de pêche des grandes entreprises s'est avérée désastreuse.

La pêche au chalut menée sans discernement pour trouver du poisson de grande qualité crée la tentation de jeter une partie non négligeable de la prise et équivaut à exploiter à ciel ouvert le fond de la mer. Sur le plan écologique, c'est inadmissible.

Le rejet total dont mon prédécesseur a parlé et au sujet duquel vous avez éloquemment posé des questions est à proscrire. C'est une pratique absolument ridicule et insensée.

J'ai entendu bien des gens, au MPO, affirmer que les pêcheurs considéraient le rejet comme une pratique saine -- que le poisson mort tombait au fond de l'océan et que les crabes et le homard pouvaient s'en nourrir. Le rejet augmente les stocks de crabe et de homard. C'est ce que les fonctionnaires du MPO m'ont déclaré. Ils ne m'ont jamais fourni cette information par écrit, mais c'est ce qu'ils m'ont dit. Cela illustre bien à quel point le ministère est dépassé par la situation.

Lorsque vous adoptez les pratiques de pêche à grande échelle des grandes entreprises, les meilleures pratiques de gestion axées sur la conservation resteront sans effet. La pratique de la coupe à blanc dans le secteur forestier manifeste clairement l'imprévoyance et l'indifférence des grandes compagnies en matière de gestion de la ressource.

Il est impossible de reprocher aux pêcheurs et aux collectivités de pêcheurs la situation actuelle de la ressource. La solution véritable est de remplacer l'obsession du profit à court terme qui caractérise si bien l'économie moderne par le souci à long terme du bien-être de la collectivité et de la préservation de la ressource.

Il est incontestable que certaines personnes tirent des profits de la pêche, mais elles sont très rares. Il existe cinq grandes sociétés sur la côte Est: la Fishery Products International, du gouvernement fédéral, la National Sea, la Sea Freeze, et cetera. La FPI et la National Sea ont été fondées par le gouvernement, dans le but de créer des emploi. Des centaines de millions de dollars ont été investis dans ces sociétés et, malheureusement, il s'avère maintenant que cet investissement a nui aux stocks. On arrive à contrôler les pêches mais, malheureusement, on élimine bien des gens de l'industrie.

Je n'ai jamais accepté l'argument qu'il y a trop de pêcheurs et pas assez de poisson. Il y a une trop grande capacité de prises et pas suffisamment de rajustements dans la bonne direction.

Comme le World Watch Institute l'a récemment conclu, l'envers du système des QIT est que ce système permet à un petit nombre de personnes ou d'entreprises de contrôler le secteur des pêches. Les petits pêcheurs sont trop nombreux et trop importants pour les collectivités côtières pour qu'on les sacrifie dans l'espoir de mettre un terme à la surpêche.

Les collectivités côtières sont essentielles à notre culture. En 1995, à Catalina, Terre-Neuve, l'école comptait 310 élèves; en 1997, il n'y en avait plus que 102. Où sont passés les autres? Est-ce que leurs familles ont quitté le village? Il n'y a même plus suffisamment de compétences pour former un service bénévole des incendies. Nous avons vu deux rues où toutes les maisons étaient condamnées. Ce sont des maisons qui valent de 40 000 $ à 50 000 $, et on ne trouverait même pas à les donner.

C'est ce que nous avons fait, nous avons dévasté les collectivités côtières. Il est facile de prétendre que l'on peut toujours aller s'installer au centre du pays, ou dans l'Ouest, pour trouver un emploi. Lorsque vos ancêtres sont enterrés dans le cimetière d'une collectivité qu'il vous faut quitter, cela me paraît absolument inacceptable.

Pour ce qui est des QIT, divers spécialistes ont affirmé que, dans la plupart des cas, les droits d'accès et les droits sur les ressources marines et les biens marins devraient être accordés aux collectivités de pêcheurs et non pas à des intérêts particuliers.

Je dirai pour terminer qu'un certain nombre de mesures correctrices contribueraient à résoudre la crise des pêches de l'Atlantique. Parmi ces mesures, je veux mentionner une application stricte de l'exclusion des pêcheurs étrangers dans la zone des 200 milles, la prise des décisions relative à l'allocation des quotas de pêche par d'autres que les politiciens, de préférence des personnes indépendantes ou des membres de la communauté scientifique, l'adoption d'un système de quotas fondé sur la communauté et la mise en oeuvre de limites de prise accompagnées de peines plus lourdes pour les engins illégaux et les pratiques illégales des bandes. Nous devrions ainsi parvenir à faire taire ceux qui prétendent constamment et de façon absurde que les eaux trop froides ou les phoques trop gourmands sont à la base du problème.

L'explosion démographique des phoques sur les deux côtes est incontestable. La quantité exacte qu'un phoque peut manger -- on nous a dit 40 livres --, le MPO ne la connaît pas vraiment. Les fonctionnaires n'ont aucune preuve à ce sujet. Parce que l'homme a perturbé la ressource, les phoques ont connu une très forte croissance démographique. Le comité permanent des pêches et des océans à la Chambre des communes croit que l'on devrait permettre une récolte complète, un quota soutenable de phoques, et que toutes les parties du phoque devraient être utilisées à l'intention de divers marchés, y compris les reins, l'huile, la chair et la peau.

Il est temps d'admettre que le noeud du problème se trouve dans la technologie néfaste des chaluts, qui permet d'énormes prises accidentelles et qui perturbe la reproduction des espèces.

Nous avons entendu des témoignages concluants qui indiquent que, il y a des années de cela, les navires se rendaient jusqu'à l'île de Baffin et au Groenland, où on se doutait que la morue frayait, et qu'ils prenaient les reproducteurs. On n'a même pas permis aux parents morue d'avoir des petits, on a tout pris.

Je réclame depuis quelque temps déjà la tenue d'une enquête judiciaire au sujet des événements des dernières années, et l'examen du MPO constituerait un excellent point de départ. Ceux-là mêmes qui ont provoqué l'effondrement des pêches travaillent toujours au MPO. Ceux-là mêmes qui ont géré la ressource de façon aberrante sont toujours en place.

Je peux fournir un exemple de choix de la relation incestueuse que le MPO entretient avec le secteur privé. Sur la côte Ouest, M. Bob Wright possède la marina d'Oak Bay. Il est aussi propriétaire d'un camp de pêche très élégant sur Langara Island. Le Canada avait autrefois une zone d'exclusion de pêche de 12 milles sur la côte. M. Wright a une zone d'exclusion de 12 milles à partir des côtes de son île. Aucune pêche commerciale ne peut s'approcher de cette île. M. Wright est un ami personnel du ministre des Pêches et des Océans. Mme Velma McCall, qui a travaillé pour la marina d'Oak Bay et qui a exercé de très fortes pressions au nom des pêcheurs sportifs, est maintenant l'adjointe exécutive de M. Anderson, ministre des Pêches, sur la côte Ouest. Il est amusant de faire tous ces rapprochements.

M. Wright a autour de son île une zone d'exclusion où les pêcheurs de Prince Rupert ne peuvent plus pêcher parce qu'il a convaincu les divers gouvernements que la pêche sportive à son camp profiterait plus à l'économie et protégerait mieux la ressource que les pêches commerciales.

En réalité, tous les produits utilisés au camp de M. Wright arrivent par avion. La collectivité n'y trouve aucun profit. Je ne parle pas des petites entreprises de pourvoyeurs qui sont là depuis 30 ans, je parle d'un centre exclusif qu'il en coûte très cher de fréquenter et qui fournit très peu de retombées économiques au Canada.

Au bout du compte, je suis fermement convaincu que le gouvernement doit assumer la responsabilité des erreurs et des omissions de ses politiques des dernières années. Il est temps de mettre en oeuvre une politique rationnelle et soutenable qui accorde la priorité aux intérêts du poisson et des petites collectivités qui en vivent.

On le dit souvent sur la côte Ouest, «Qui parle au nom du poisson?» Personne ne parle au nom du poisson. Sans le poisson, il n'y a pas de pêcheurs. Sans les pêcheurs, il n'y a pas de collectivités côtières.

Je recommande un vidéo intitulé: Fishing on the Brink. Il a été réalisé avec des pêcheurs à la ligne et il porte essentiellement sur l'occupation des bureaux du MPO de Barrington Passage et du comté de Shelburne, en février 1996. Si vous en voulez un exemplaire, je peux en fournir un au comité. Je recommande vivement cette bande vidéo de 45 minutes. Elle est des plus intéressantes et vous comprendrez mieux ce que vivent les pêcheurs et leurs familles.

Finalement, je vous demande quel type de pays nous souhaitons laisser à nos enfants. Quel genre de pays voulons-nous laisser à nos collectivités côtières? Un pays que nombre de ceux qui sont ici aujourd'hui ont contribué à construire.

Le sénateur Stewart: Je crois que Necum Teuch se trouve dans votre circonscription?

M. Stoffer: En effet.

Le sénateur Stewart: Mais pas Ecum Secum.

M. Stoffer: Il n'y a pas d'Ecum Secum. Il y a un Ecum Secum East et un Ecum Secum West. Ecum Secum West est dans ma circonscription. Il y a une rivière là-bas et le village est divisé. Les gens vous diront qu'il n'y a pas de lieu appelé Ecum Secum.

Le sénateur Stewart: Ecum Secum West marque la limite orientale de votre circonscription?

M. Stoffer: C'est exact.

Le sénateur Stewart: Est-ce que l'on pêche beaucoup dans cette circonscription? Disons, de l'entrée du port de Halifax en allant vers l'est, jusqu'à Ecum Secum West?

M. Stoffer: Je dirais que la Eastern Shore Fishermen's Association pêche surtout dans les environs du chenal de l'Est, les zones quatre X et quatre VSW. Je n'ai pas les chiffres sous la main, mais je dirais qu'environ 300 pêcheurs sont titulaires de permis dans le secteur.

Le sénateur Stewart: Vous avez commencé votre exposé en parlant de la Grande Charte et du droit public de pêcher. J'ai remarqué cela, et j'ai griffonné une question. Est-ce que vous voulez dire qu'il ne faudrait pas exiger de permis pour limiter le droit public à la pêche?

M. Stoffer: Je crois qu'il faut un système de permis quelconque pour protéger nos stocks dans une certaine mesure. Évidemment, tout le monde ne veut pas aller pêcher et profiter du marché. Les marchés, l'économie et les coûts permettent de le prédire.

Le sénateur Stewart: Vous êtes favorable aux permis et même, sans doute, aux quotas?

M. Stoffer: Je crois que l'allocation de quotas doit être basée sur la collectivité, et non pas sur les individus.

Le sénateur Stewart: Alors nous ne remontons pas jusqu'à la Grande Charte?

M. Stoffer: Non. Lorsque je parle du droit public de pêcher, je parle aussi des pêcheurs sportifs dans les rivières et de choses de ce genre.

Le sénateur Stewart: Le témoin qui vous a précédé ne voulait rien dire de mal au sujet des chalutiers, de la pêche à la traîne. Est-ce que vous êtes aussi prudent?

M. Stoffer: Je devrais l'être parce que je viens d'un syndicat où nombre de membres travaillent dans ces flottilles. Nombre de mes frères et soeurs du syndicat me pendraient haut et court s'ils m'entendaient dire que je suis contre les flottilles de chalutier, mais pour être honnête je le suis, cela ne fait aucun doute. Je n'aime pas l'idée que d'énormes bateaux avec d'immenses filets peuvent surexploiter nos océans. Le fait d'exprimer cette opinion me nuira sur le plan politique, mais je ne suis pas ici pour faire de la politique, je suis ici pour protéger la ressource et les habitants des collectivités côtières.

Le sénateur Stewart: Autrefois, à la longueur d'un bateau vous pouviez à peu près déterminer sa capacité. Comme M. Surette nous l'a dit, c'est maintenant beaucoup plus difficile parce que les bateaux sont plus larges, plus profonds et beaucoup plus perfectionnés. Comme vous êtes opposé aux chalutiers et aux bateaux de pêche à la traîne, les gros, où fixeriez-vous les limites?

M. Stoffer: C'est une question que l'on m'a déjà posée, et je me suis renseigné auprès de notre service de recherches, mais j'obtiens des réponses très différentes. Comme le témoin qui m'a précédé le mentionnait, les petits bateaux ont une excellente capacité s'ils sont dotés de nouvelles technologies, de sonars, de moteurs et de soutes adéquats. Je ne pourrais pas vous donner une réponse valable.

Le sénateur Stewart: Si nous ne pouvons utiliser cette méthode pour limiter la pêche, diriez-vous que la proposition de M. Surette au sujet des quotas à valeur monétaire constitue une solution?

M. Stoffer: Pour ce qui est des marchés, il a sans doute raison.

Le sénateur Stewart: Que voulez-vous dire par là?

M. Stoffer: Vous devez savoir ce que vaut le poisson avant de le prendre. Ce n'est peut-être pas la peine d'investir tant d'argent pour prendre du poisson puis d'essuyer des pertes quand vous le débarquez. Vous devez connaître vos marchés, vous devez savoir ce que le voyage vous coûtera, comme n'importe quel homme ou femme d'affaires.

Le sénateur Stewart: Tenons-nous-en aux principales espèces de poisson de fond et ne parlons pas de choses que le chat ne voudrait pas manger.

Est-ce que vous permettrez aux pêcheurs des villages de jeter ce que le chat refuse de manger?

M. Stoffer: À mes yeux, le rejet de toute espèce de poisson est une pratique régressive et, personnellement, je ne le recommanderais pas.

Le sénateur Stewart: Nous avons donc une bonne idée de la validité du quota à valeur monétaire de M. Surette, et je crois comprendre que vous y voyez une approche adaptée?

M. Stoffer: Je crois qu'il aurait raison, en effet, mais il faudrait aussi procéder à d'autres changements.

Le sénateur Stewart: Cela serait un point de départ; vous auriez un quota communautaire, à valeur monétaire?

M. Stoffer: En effet, monsieur.

Le sénateur Stewart: Vous avez parlé des changements qui ont été apportés il y a près de 25 ans sur la côte Est, l'instauration de la National Sea et de la Fishery Products International. Je me trompe peut-être, et vous me le direz, mais j'ai l'impression que cette restructuration visait en grande partie à permettre aux pêcheurs canadiens de soutenir la concurrence des pêcheurs étrangers, notamment les Espagnols et les Portugais, en haute mer, au-delà des eaux territoriales du Canada. Croyez-vous que cela ait été une erreur?

M. Stoffer: A posteriori, oui, c'était une erreur. Je crois qu'à l'époque, le principe était bon, il fallait rendre le Canada plus efficace; nous avions besoin d'usines, de méthodes de capture, de modes de transport et de méthodes de commercialisation efficaces. Le secret, c'est comme pour le thon -- lorsque vous l'avez pris vous devez rentrer sans plus tarder. J'ai travaillé aux lignes aériennes Canadien pendant des années, et nous dépêchions un 767 simplement pour prendre livraison de thon parce qu'il fallait sortir le thon de l'eau, le charger à bord d'un avion et le livrer à Tokyo en 24 heures. Il fallait procéder ainsi parce que les Japonais exigeaient un produit de haute qualité et un produit frais. C'était une bonne raison de rechercher l'efficacité. Malheureusement, la nouvelle technologie n'a pas tenu compte du préjudice qu'elle causait à la ressource. La capacité était trop grande, et nous avons détruit la ressource.

Le sénateur Stewart: Vous avez parlé des rapports incestueux entre le personnel du MPO et les grandes compagnies. Pourriez-vous nous donner un ou deux exemples de cela dans votre région?

M. Stoffer: M. John Thomas, sous-ministre adjoint de la Garde côtière canadienne, a été l'un des concepteurs du nouveau mode de prestation de services utilisé sur les chantiers maritimes du MDN, pour le MPO et tous les autres. Il travaille maintenant pour Irving, qui présente des soumissions pour tous ces contrats et jouit ainsi d'un avantage.

Le sénateur Stewart: Vous avez mentionné le MPO en passant, en quelque sorte, dans cet exemple.

M. Stoffer: La Garde côtière a été intégrée au MPO, alors M. Thomas relevait du MPO. C'est un exemple. Il y en a bien d'autres. M. Tom Siddon, ancien ministre des Pêches et des Océans, possède la société Archipelago Surveys System -- je crois que c'est le nom de cette société -- en Colombie-Britannique. Cette entreprise a obtenu le contrat des observateurs à bord des chalutiers de la côte ouest.

Le sénateur Stewart: Restez dans la région Atlantique, s'il vous plaît? Y a-t-il des relations entre le MPO et la National Sea, par exemple, ou la Clearwater?

M. Stoffer: Nous étudions la question de la Clearwater à l'heure actuelle -- des gens sont allés et venus -- mais je n'ai aucune preuve écrite de cela à l'heure actuelle. Comme pour les autres cas, je n'ai pas de noms précis à vous fournir car je n'avais pas prévu cette question. Je peux vous trouver ces renseignements.

Le sénateur Stewart: Vous pourriez peut-être les transmettre au greffier du comité.

M. Stoffer: Certainement, je le ferai.

Le sénateur Robertson: J'ai souvent l'impression que le comité dont vous êtes membre à la Chambre des communes fait tout autre chose que ce que nous faisons ici, mais je soupçonne que la plupart du temps nous avons les mêmes préoccupations. Ceux d'entre nous qui siègent au comité depuis plusieurs années éprouvent une grande frustration.

Mes questions sont tout à fait différentes parce que je ne suis pas du tout opposé à ce que vous avez dit dans votre exposé, mais j'aimerais en savoir un peu plus. Nous avons suivi les déplacements et les audiences de votre comité avec beaucoup d'intérêt. Ceux d'entre nous qui ont fait partie d'un comité itinérant conviennent que l'expérience peut être très éprouvante. Quand votre rapport sera-t-il publié? Je suis impatient d'en prendre connaissance.

M. Stoffer: Nous espérions publier le rapport il y a une semaine, mais nous avons été retardés.

Les membres du comité veulent produire un rapport unanime. Les représentants des cinq partis politiques qui composent le comité ont promis aux habitants de la côte Ouest et de la côte Est que nous le ferions. Le Parti réformiste et le NPD travaillent chacun de leur côté pour élaborer un important ensemble de mesures. Les libéraux, les conservateurs, le Bloc québécois, les réformistes et nous-mêmes avons très bien collaboré à la production du rapport.

Un rapport minoritaire se couvre de poussière sur les étagères. Un rapport unanime, par contre, a du poids. Il prouvera aux habitants des régions que nous avons visitées, y compris Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et le Québec, que les politiciens peuvent faire ce que nous avons promis de faire -- c'est-à-dire mettre leurs divergences politiques de côté. Nous devrions terminer le rapport aujourd'hui, et il sera sans doute diffusé d'ici deux semaines au plus tard.

Le sénateur Robertson: Merci de ce renseignement. Nous attendrons cette publication avec le plus vif intérêt.

Après vos déplacements, après avoir rencontré tous les habitants de ces petites collectivités -- c'est-à-dire, ceux qui y vivent toujours -- est-ce que vous avez eu l'occasion de rappeler des fonctionnaires des pêches pour leur dire: «Mais qu'est-ce qui se passe?» Avez-vous eu l'occasion de poser ces questions difficiles aux fonctionnaires des pêches, maintenant que vous avez vu de vos yeux le désastre sur nos côtes?

M. Stoffer: Aujourd'hui, à l'audience du comité des pêches, M. Larry Murray, autrefois du MDN, et M. Anderson présentent des exposés. Nous poserons à M. Murray des questions au sujet de ses compétences et de la raison pour laquelle un militaire peut accepter un poste de responsabilité au MPO.

Le président: Monsieur Stoffer, quand doit se tenir cette audience?

M. Stoffer: À 15 h 30 cet après-midi. Nous croyons que le MPO doit faire l'objet d'une restructuration en profondeur. Nous avons besoin de personnes comme M. Surette et les habitants des collectivités côtières de la Nouvelle-Écosse. Nous avons besoin de personnes qui connaissent la pêche, comme eux, au MPO. Nous avons besoin de personnes qui savent quelque chose de la pêche, par exemple, ce que l'on ressent lorsque l'on est sur l'eau à bord d'un 34-11 à 80 milles des côtes. C'est une ressource. Nous avons besoin de gens qui savent que les pêcheurs fournissent des denrées alimentaires au pays et risquent leur vie pour le faire. Nous avons besoin de personnes comme celles-là pour prendre des décisions non seulement au sujet du poisson mais aussi au sujet des collectivités. Nous n'avons pas besoin de militaires qui, comme je l'ai déjà dit, ne peuvent pas faire la distinction entre une morue et un saumon de la côte Ouest. C'est une des questions que nous poserons.

Le sénateur Robertson: Cette réunion a lieu aujourd'hui?

M. Stoffer: Oui, au 536 de la rue Wellington.

Le sénateur Perrault: Est-ce que les sénateurs auront le droit d'y assister?

M. Stoffer: Je crois bien que le greffier du comité le permettrait. Je vous invite certainement à y assister -- si je peux exercer une certaine influence.

Pour ce qui est des autres fonctionnaires du MPO, nous avons essayé d'obtenir les rapports des observateurs à bord des chalutiers étrangers. Il y a «X» chalutiers étrangers à l'intérieur de la limite des 200 milles. D'après l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information, le ministre, ne peut pas, en vertu de la loi, rendre publics ces rapports. Nous avons au sein de notre comité deux avocats qui croient qu'il en a le pouvoir. Le ministre a déclaré qu'il nous fournirait les rapports à titre confidentiel, pour que nous les examinions, mais nous ne pouvons pas les rendre publics. Nous cherchons à obtenir une opinion juridique pour voir si nous ne pourrions pas le faire.

Les contribuables canadiens financent le MPO. Les Canadiens dépensent aussi 3,4 millions de dollars pour le Programme d'adaptation et de redressement de la pêche de la morue du Nord et pour la SPA, en raison des décisions du MPO. Bien des gens pensent -- en particulier les habitants du centre et de l'ouest du Canada, qui ne comprennent pas la gravité de la situation à Terre-Neuve -- que cet argent est gaspillé.

Je crois que les contribuables canadiens ont droit à cette information. Le ministère fait valoir la nature délicate de cette information commerciale. Il ne s'agit pas de jeux militaires. Nous parlons de poisson. Pourquoi s'inquiète-t-on au sujet de ce poisson? Nous voulons connaître l'information relative aux types d'engin, aux personnes qui prennent le poisson, aux endroits où le poisson est capturé et à ce que l'on rejette par-dessus bord. Nous demandons qu'on nous communique cette information parce que selon certains témoignages des observateurs auraient été soudoyés. Nous voulons éclaircir ce point.

Le sénateur Butts: J'aimerais revenir au début, à la solution que vous proposez -- c'est-à-dire sans parler du personnel du ministère. Je ne suis pas particulièrement intéressée par cet aspect. Je crois que le point de départ de votre solution est de reconnaître que nous avons une ressource qui appartient à tous.

M. Stoffer: En effet.

Le sénateur Butts: Vous dites ensuite que cette ressource devrait faire l'objet de quotas alloués à la collectivité.

M. Stoffer: Il devrait y avoir des quotas alloués aux collectivités, en effet.

Le sénateur Butts: Tout d'abord, qu'est-ce que vous appelez une «collectivité»?

M. Stoffer: Je dirais que Louisbourg et Burgeo sont des collectivités.

Le sénateur Butts: Vous parlez de municipalités.

M. Stoffer: Oui. Par exemple, lorsque nous étions à Burgeo, tout ce que les habitants voulaient -- et certains étaient prêts à donner de leur temps pour construire une usine de transformation du poisson --, c'était 5 000 tonnes d'argentine, un type de merlu argenté, pour faire travailler 160 personnes pendant neuf mois. C'est tout ce qu'ils voulaient. Le MPO a dit non. Lors de notre passage là-bas, nous avons vu des chalutiers russes et cubains qui pêchaient le merlu argenté au su et au vu de la collectivité.

Le sénateur Butts: Vous parlez d'une municipalité. Est-ce que vous parlez seulement des pêcheurs et des transformateurs de cette municipalité?

M. Stoffer: Je parle de tous ceux qui s'intéressent à la ressource. Évidemment, tous les membres de la collectivité ne pratiquent pas la pêche, mais tous les membres de la collectivité sont fortement tributaires de la pêche et de l'argent qu'elle injecte dans l'économie locale.

Le sénateur Butts: Vous parlez des politiciens municipaux, des gens d'église, de la chambre de commerce, et cetera.

M. Stoffer: Oui, tous ceux qui jouent un rôle important au sein de cette collectivité de pêcheurs et qui y ont un intérêt, mais surtout les pêcheurs. Si le maire d'une collectivité ne sait rien du poisson mais comprend bien la gestion et l'économie, il pourrait collaborer avec l'organisation de pêche de cette collectivité.

Le sénateur Butts: Dans ce cas, le quota pourrait être alloué à une commission?

M. Stoffer: En effet.

Le sénateur Butts: Est-ce qu'ils vont administrer tout le système?

M. Stoffer: Le réseau des collectivités côtières de la Nouvelle-Écosse aimerait bien cette solution, en effet.

J'aimerais revenir à la questions de Burgeo. M. Anderson a confirmé qu'il accordera à cette ville un quota communautaire de 5 000 tonnes de merlu argenté, et c'est une bonne nouvelle.

Le sénateur Butts: Il y a quelques exemples de cela, mais le passé nous offre aussi de bons exemples. La gestion au sein des collectivités était en général un travail de collaboration.

M. Stoffer: Oui.

Le sénateur Butts: Est-ce que cela s'inscrit dans la solution que vous proposez?

M. Stoffer: Oui.

Le sénateur Butts: Les collectivités vont gérer et administrer la pêche?

M. Stoffer: Sous l'égide du MPO, oui. La pêche est une activité très concurrentielle -- M. Surette en conviendra -- et si vous pouvez utiliser ce que nous appelons un «2-foot disease», c'est-à-dire un plus gros bateau qui va un peu plus vite pour pouvoir prendre un peu plus de poisson, vous le ferez. Il faut que quelqu'un soit en mesure d'appliquer strictement les quotas. Quelqu'un doit exercer un contrôle.

Quels que soient les défauts du MPO, nous croyons que le ministère demeure responsable de la gestion des ressources et de l'application de la loi. Par exemple -- M. Surette peut probablement en témoigner aussi --, il y a 15 ans, quand un agent des pêches montait à bord de votre bateau vous lui souhaitiez la bienvenue, vous le considériez comme un allié et comme un ami. Lorsqu'un agent monte à bord de votre bateau aujourd'hui, il est armé et vous le craignez. Les choses ont bien changé.

Le sénateur Butts: Vous n'êtes pas certain que tous ces gens qui ont un intérêt au sein de la collectivité soient capables de gérer la ressources eux-mêmes?

M. Stoffer: Non, pas à titre individuel, seulement en collaboration, dans le cadre de ce que l'on appelle un réseau communautaire côtier.

Le sénateur Butts: Vous avez épuisé le plan que présentait justement le réseau communautaire côtier. C'est excellent, parce que j'ai participé à sa rédaction.

M. Stoffer: Vous venez du Cap-Breton, madame le sénateur. Comme vous le savez, il n'y a pas que du charbon au Cap-Breton, il y a aussi du poisson.

Le sénateur Butts: En fait, l'exploitation du charbon n'en a plus pour très longtemps.

M. Stoffer: Vous savez que les habitants de ces régions rurales et ceux qui en sont originaires sont les seuls à vraiment comprendre ce qui se passe là-bas. Je crois que si vous leur demandez leur avis, ils vous le donneront et vous devriez suivre leurs conseils.

Dans le cadre d'un système de QIT, de nombreux pêcheurs de la côte Ouest ont affirmé que s'ils ne pouvaient pas cumuler les permis ils ne pourraient pas survivre. Il faut manger ou être mangé. Ils n'ont pas le choix, c'est ce qu'ils doivent faire. Sinon, ils devront abandonner complètement le secteur des pêches. Le système a été instauré et ils ont investi énormément dans la nouvelle technologie et les nouveaux bateaux, ils sont restés dans l'industrie. Ceux qui appuient le système des QIT sont ceux qui ont beaucoup investi. On leur a dit que c'était cela ou rien, qu'ils devaient l'accepter ou quitter la pêche. Après avoir dépensé tout cet argent, on peut comprendre qu'ils sont en faveur des QIT. À mon avis, toutefois, ce système donne accès à la ressource à une poignée de personnes et fait fi du sort de milliers d'autres. On a déjà prouvé que si la ressource est largement concentrée dans les mains de quelques personnes, elle sera détruite. Après tout, pourquoi traversons-nous cette crise aujourd'hui?

Le sénateur Stewart: J'aimerais revenir à un point que M. Stoffer a soulevé en réponse à une question, et cela concerne les observateurs. Qui s'acquitte de la fonction d'observation à bord des navires non canadiens au large de Halifax?

M. Stoffer: Notre comité est sur le point de l'apprendre. M. Baker serait probablement mieux en mesure que moi de répondre à cette question, et je fonde ma réponse sur une hypothèse.

Je crois qu'à l'intérieur de la limite des 200 milles, les observateurs sont canadiens. Ce qui m'ennuie, à cet égard, c'est que nous avons aussi entendu dire que les propriétaires de bateau eux-mêmes font appel à des observateurs à l'extérieur de la limite des 200 milles. Cela s'inscrit dans le cadre des accords de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest. Je suis désolé, je ne peux rien vous répondre de plus.

Le sénateur Stewart: Je pensais que vous alliez nous donner le nom d'une société qui fournit le service. Avant votre arrivée sur la colline parlementaire, une controverse faisait rage -- je crois que c'était il y a trois ans -- au sujet de l'octroi du contrat des observateurs. Il y avait un véritable conflit entre une société d'observateurs de la région de Halifax-Dartmouth et une société d'observateurs d'une autre province, et la société d'observateurs de l'autre province a réussi à obtenir le contrat.

Vous avez rapporté avoir entendu dire que quand les observateurs montaient à bord de ces bateaux leur capacité d'observation diminuait. Je vois que vous hochez la tête. Lorsque je dis «ces bateaux», je pense aux bateaux cubains, aux bateaux russes, allemands, espagnols, ou s'agit-il de bateaux canadiens, ou de bateaux de ces deux catégories?

M. Stoffer: Je dirais les deux catégories, mais vous ne devez pas oublier que le Canada n'a pas de chalutier dans la zone des 200 milles.

Le sénateur Stewart: Vous avez entendu cette histoire, je l'ai entendue aussi. Vous voulez voir les journaux des observateurs; est-ce exact?

M. Stoffer: Oui.

Le sénateur Stewart: Pourquoi croyez-vous que les observateurs consigneraient dans leurs journaux de l'information qui ne montre pas qu'ils ont bien exécuté leur tâche d'observateur, qui est de mettre fin aux pratiques néfastes?

M. Stoffer: Ces bateaux ont des quotas, ils ont des allocations. L'observateur doit vérifier quels poissons ont été pris. Évidemment, les observateurs doivent dormir aussi.

Le sénateur Stewart: On me dit qu'ils sont vaincus par le sommeil.

M. Stoffer: En effet. Nous voulons simplement vérifier s'il y a des incohérences entre ce qui est pris et ce qui a été observé. Il serait fort intéressant de savoir ce qui a été rejeté.

Le sénateur Stewart: Vous voulez dire «débarqué» quand vous dites «pris»?

M. Stoffer: Précisément. Ce qui a été débarqué et ce qui a été rejeté par-dessus bord.

Le sénateur Stewart: Mais à moins d'une énorme gaffe, un observateur qui ne fait pas bien son travail ne va pas inscrire dans son journal des renseignements qui contredisent ce qu'il signale à titre d'observateur.

M. Stoffer: C'est un point que nous aimerions vérifier, et nous ne pouvons le faire qu'en consultant le journal de l'observateur. C'est de la spéculation de ma part. Nous avons besoin de ces rapports pour vérifier que tout ce que l'on dit avoir fait a effectivement été fait.

Le sénateur Stewart: Combien d'observateurs est-ce que votre comité a entendu?

M. Stoffer: Nous avons reçu trois témoignages verbaux de la part d'observateurs.

Le sénateur Stewart: Et ces observateurs vous ont signalé qu'ils avaient tous inscrit de mauvaises pratiques?

M. Stoffer: Les observateurs ne témoignaient pas devant le comité lorsqu'ils ont dit cela. Ils l'ont dit dans les corridors. C'est pourquoi je parle de témoignages verbaux.

Le sénateur Stewart: Votre comité n'a pas consigné les témoignages?

M. Stoffer: Non. Cela s'est fait après l'audience, dans les corridors; nous avons parlé pendant une dizaine de minutes. Nous projetons de convoquer de nouveau les observateurs dans un proche avenir.

Le sénateur Stewart: Cela serait une très bonne idée, d'après ce que je sais.

M. Stoffer: Nous en avons l'intention. C'est pourquoi je suis très prudent lorsque j'affirme que certaines pratiques sont inadéquates. Les membres de l'industrie de la pêche disent bien des choses. S'ils ne sont pas disposés à comparaître devant le comité et à dire officiellement ces choses, nous ne pouvons rien faire.

Le président suppléant: Monsieur Stoffer, il n'y a plus de questions. Je vais donc vous remercier infiniment d'être venu témoigner ici aujourd'hui. Vous avez fait une contribution très valable à nos délibérations. Je sais que je parle au nom de mes collègues du comité quand j'affirme que nous sommes toujours très heureux de rencontrer des représentants de la Chambre des communes et du Sénat, pour travailler de concert dans l'intérêt de tous. J'espère que votre audience de cet après-midi se déroulera bien.

M. Stoffer: Merci, monsieur le président. Je suis certainement heureux d'avoir pu comparaître devant vous aujourd'hui.

La séance est levée.


OTTAWA, le jeudi 26 février 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner les questions de privatisation et d'attribution des permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous allons poursuivre l'examen de la privatisation et de l'attribution de permis à quota dans le secteur de la pêche comme le prévoit notre mandat. Nous n'allons pas examiner ce matin les questions reliées à la privatisation mais plutôt celles que pose le saumon de l'Atlantique. Les membres de notre comité ont manifesté un vif intérêt pour ce sujet.

[Français]

J'aimerais vous présenter M. Jacques Robichaud, directeur général de la Direction générale de la gestion des ressources. Je vous demanderais, monsieur Robichaud, de bien vouloir nous présenter vos collègues, et peut-être nous faire des commentaires d'ouverture.

M. Jacques Robichaud, directeur général, Direction générale de la gestion des ressources: Je vous remercie, monsieur le président. Ce n'est pas la première fois que je suis appelé à faire une présentation devant votre comité et à répondre à vos questions. Je peux vous assurer que c'est toujours un plaisir.

[Traduction]

Certains types de pêche sont très florissants alors que d'autres se trouvent dans des situations plus difficiles. Nous avons enregistré au cours des deux dernières années des prix records pour le poisson débarqué. Vous avez par contre examiné le problème de la morue, et vous connaissez donc bien la situation dans ce secteur. Il y a également le fait que certaines espèces de saumon de la côte Ouest sont en difficulté. Cette situation s'améliore. Dans l'Est, il n'y a qu'une seule espèce de saumon, le salmo salar, le saumon de l'Atlantique. Nous n'avons pas de saumon coho, de saumon royal ni de saumon rose.

Je vais maintenant vous présenter mes collègues. M. David Meerburg est un expert du saumon de l'Atlantique et aussi du saumon du Pacifique. Il fait partie de la délégation qui nous représente à l'OSCAN, l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord, un organisme international, et il est membre du groupe scientifique qui conseille l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord. M. Ken Jones est un spécialiste de la gestion du saumon et des phoques et il fait également partie de la délégation canadienne à l'OSCAN. Je dirige la délégation canadienne et je suis membre, à titre de commissaire, de ces trois commissions.

Le saumon est une espèce qui diffère des nombreuses autres espèces qui traversent l'Atlantique Nord. Il y a le saumon d'Europe qui vient se nourrir sur les côtes du Groenland et il y a le saumon de la côte Nord-Est de l'Amérique du Nord qui va se nourrir au Groenland et qui remonte ensuite nos rivières. C'est une espèce qui se reproduit dans les eaux intérieures, qui atteint sa taille adulte en mer et qui revient frayer en eau douce.

Je vais vous donner un aperçu général de certains éléments de la question, pour ensuite aborder les questions reliées à la question du saumon, la gestion notamment, pour passer enfin à la situation que nous avons connue en 1997 et voir comment s'annonce 1998.

Nous avions prévu que la remonte des gros saumons serait faible 1997. Nous n'avions toutefois pas prévu que celle du petit saumon, c'est-à-dire ceux qui sont partis l'année précédente non pas vers le Groenland mais simplement dans l'Atlantique et qui reviennent après y avoir hiberné une seule fois, serait faible. En 1997, nous avons pris des mesures visant de nombreuses rivières et certains d'entre vous ont peut-être lu dans les journaux que nous avions, de façon imprévue, interdit la pêche dans certaines rivières et que nous l'avions limitée dans d'autres, autorisant uniquement la pêche au saumon à la ligne avec remise à l'eau.

Il y en a beaucoup qui demandent: «Eh bien, qu'en est-il du secteur commercial?» Au Labrador, la récolte commerciale n'a été que de 44 tonnes, et il est bien connu que cette récolte n'a guère d'effet sur la remonte des petits saumons. Pourquoi? Parce que cette pêche se pratique au large des côtes du Labrador et que les petits saumons vont uniquement dans le secteur est de l'Atlantique avant de revenir et que cette récolte ne peut donc être la cause de la faiblesse de la remonte.

J'aimerais m'arrêter un instant pour mentionner que, dans ce secteur, le nombre des pêcheurs commerciaux est en diminution constante. L'automne dernier, le ministre a annoncé un autre programme de retrait visant 13 permis commerciaux dans le détroit du Labrador. Il y a 25 ans, on comptait 7 000 pêcheurs de saumon, à temps plein ou à temps partiel qui vivaient de cette activité. Aujourd'hui, il en reste moins de 300.

Il a fallu pour obtenir ce résultat en investir près de 70 millions de dollars, qui sont venus principalement du gouvernement fédéral, avec une contribution de certaines provinces, notamment du Québec qui administre la pêche au saumon depuis 1922, en vertu d'une délégation de pouvoirs. C'est la seule province à qui l'administration du saumon de l'Atlantique a été déléguée. Il existe certes des structures de coopération et certaines responsabilités conjointes, comme l'application de la loi, dans d'autres provinces mais l'administration relève du ministère des Pêches et des Océans.

La récolte commerciale a fortement diminué. Par exemple, au large du Labrador, au lieu d'atteindre des chiffres de 2 000 et même parfois de près de 3 000 tonnes, la récolte de l'année dernière n'a été que de 43 tonnes. Je devrais également faire remarquer que les pêcheurs du Labrador sont, à plus de 90 p. 100, des autochtones. Il y a des Innus, des Inuits et des Métis. Il y a lieu de concilier ici la réduction des prises et l'importance qu'elles représentent potentiellement pour l'alimentation de ces personnes. Il y a une entreprise de pêche qui a capturé près de 30 tonnes de saumon sur la Basse-Côte-Nord du Québec. Cette entreprise et une petite entreprise d'Ungava sont les deux seules qui exercent encore cette activité. Nous allons vous montrer un diagramme circulaire comparant la pêche commerciale, la pêche de loisir et la pêche autochtone d'il y a 10 ans avec celle d'aujourd'hui.

Je vais maintenant aborder les raisons pour lesquelles la remonte des madeleineaux a été plus faible que prévue. Nous savions que la remonte des gros saumons serait faible pour des raisons qui ont trait au cycle de reproduction mais nous avons été surpris par la faiblesse de la remonte des madeleineaux parce que, par rapport aux années antérieures, le nombre des petits saumons qui avaient atteint la mer en 1995 et 1996 avait été très élevé. Nous nous attendions à une remonte importante. En 1992, le saumon de remonte était deux fois plus nombreux que ce que nous avions vu les années précédentes. En 1996, nous avions enregistré un nombre record de saumoneaux dans les six rivières que nous suivons à Terre-Neuve. Les saumoneaux sont descendus vers la mer très tôt en 1996, ils étaient en bonne santé et nous pensions que les conditions marines étaient excellentes. Je vais demander à M. Meerburg de vous parler des aspects scientifiques de ce sujet et en particulier, de l'atelier que nous venons de tenir il y a quelques semaines à Cap-Breton qui réunissait des experts internationaux et nationaux du saumon, ainsi que des chercheurs du MPO.

La survie en mer du saumon s'est améliorée ces dernières années. Le comité scientifique international a mentionné dans l'avis qu'il a transmis à l'OSCAN que les conditions de la survie en mer s'étaient améliorées. Les petits saumons descendent dans la mer et reviennent l'année suivante alors que les gros saumons demeurent au large du Groenland et ne reviennent qu'un an, voire même deux ou trois ans, plus tard. En 1997, les conditions océanographiques dans la mer du Labrador étaient telles que l'on pouvait s'attendre à une meilleure survie du saumon.

En 1986, nous avions débarqué près de 1 600 tonnes de poissons. Dix ans plus tard, en 1996, ce chiffre était de 290. Il faut toutefois être prudent avec ces chiffres. Ils ne reflètent pas nécessairement l'abondance des stocks. Il y a également le retrait, le rachat des permis et leur non-renouvellement. Le diagramme montre le pourcentage de ce débarquement qui a été pris par les pêcheurs commerciaux en 1986 et 10 ans plus tard. Le secteur commercial est important, celui du loisir plus petit et cela représente au total près de 1 600 tonnes. La part autochtone est plus faible. À mesure que les débarquements diminuent tout comme le nombre des permis, le secteur commercial représente une part plus faible de la récolte totale, ce qui s'accompagne, évidemment, d'une augmentation de celle de la pêche sportive. Je ne dis pas que les prises enregistrées par les pêcheurs sportifs en 1996 sont supérieures à celle de 1986. Il demeure toutefois qu'avec la réduction du secteur commercial, la pêche sportive prend de l'importance. Enfin, pour ce qui est du secteur autochtone, je ne dirais pas non plus que les autochtones enregistrent des prises plus importantes qu'en 1986, mais leur part augmente à cause de la réduction de celle du secteur commercial.

Les pays qui font partie de l'Organisation du saumon de l'Atlantique Nord transmettent des données au comité scientifique international. Ce comité examine les conditions marines et d'autres éléments dans le but de fournir des conseils à cette organisation. Les pays de la Communauté européenne qui élèvent des saumons constituent une composante de la situation dans l'Atlantique du Nord-Est. D'autres pays, comme la Norvège, la Russie, l'Islande, le Danemark et le Groenland, ne font pas partie de la Communauté européenne. Il y a l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest -- c'est-à-dire l'Amérique du Nord, avec le Canada et les É.-U. -- l'UE, et essentiellement le Danemark et le Groenland. Lorsque le saumon des côtes de l'Amérique du Nord se dirige vers le Nord, il se mélange au saumon européen. Notre saumon revient ici et le saumon européen va dans l'autre sens. Cela est géré par le Conseil du saumon de l'Atlantique du Nord qui a constitué des commissions spécialisées pour les différents secteurs.

Les sessions se tiennent au début du mois de juin et les pays membres doivent avoir mis en place auparavant leur plan de gestion. Nous n'attendons pas toujours la résolution finale du CIEM. Nous préparons notre plan de gestion pour l'année courante en fonction de la remonte de l'année précédente. Après ce qui s'est passé en 1997, il est évident que nous allons faire quelque chose pour 1998 et que nous allons présenter un plan d'action à la communauté internationale.

Au Canada, il faut harmoniser l'action des autorités provinciales qui délivrent divers permis, notamment en vertu de la PSA, avec celle du MPO, qui s'occupe de la gestion. Le gouvernement du Québec, je l'ai déjà mentionné, gère également cette pêche. Le pouvoir d'administrer ce secteur lui a été délégué. Vous pouvez constater combien au Canada les activités scientifiques sont imbriquées ce qui n'est pas le cas de l'instance scientifique internationale, la commission qui gère le saumon de l'Atlantique Nord avec ses sous-commissions, avec les provinces Atlantiques et le Québec. Le Québec administre ce secteur, les provinces de l'Atlantique administrent la SPA, délivrent des permis et gèrent la ressource en collaboration avec le MPO; nous nous occupons de l'application de la loi, des campagnes de pêche, des aspects scientifiques et du reste. On pourrait parler de structure très intégrée.

Le MPO prend ses décisions dans le domaine de la gestion en se fondant sur les opinions scientifiques relatives aux mesures à adopter pour la protection du saumon de l'Atlantique. Nous collaborons avec les utilisateurs qui oeuvrent dans le domaine de la pêche sportive, selon la collectivité visée. Les camps de pêche ont un impact sur les collectivités côtières parce que celles-ci dépendent de moins en moins de la pêche commerciale. Cette dépendance est en diminution constante. Nous harmonisons également notre action avec la collectivité autochtone pour tenir compte de nos obligations fiduciaires.

Plus récemment, nous avons tous entendu parler de la méthode prudente. Mon collègue vient, avec quelques autres, de revenir d'une séance de travail de la Commission du saumon de l'Atlantique Nord au cours de laquelle on a défini le cadre dans lequel la méthode prudente pourrait s'appliquer au saumon, notamment aux aspects scientifiques, à la gestion et à l'aquaculture. Ce cadre a été élaboré en une semaine par les représentants de tous les pays que j'ai mentionnés tout à l'heure. Il est surprenant que nous disposions aujourd'hui d'un cadre que nous pourrons présenter aux intéressés et nous espérons le faire ratifier par le Conseil de l'OSCAN en juin. C'est dans ce cadre que s'exercerait la méthode prudente, qui vise pour l'essentiel à introduire des limites favorisant la conservation, en prévoyant une marge qui évite de mettre en danger la conservation de l'espèce et à fixer certaines cibles en matière de gestion.

Compte tenu de la faiblesse de la remonte du saumon unibermarin ou madeleineau et de la situation des autres saumons, le ministre a jugé bon de convoquer une réunion regroupant des experts qui étaient chargés de déterminer les causes de la situation. Je n'irai pas dans les détails parce que M. Meerburg va vous en parler dans un moment. En bref, les participants ont conclu que la remonte des gros saumons serait probablement faible en 1998 et qu'il était difficile de se prononcer sur l'abondance de la remonte des petits saumons. Manifestement, l'écosystème est en train de changer.

L'évaluation détaillée des stocks des différentes rivières doit être achevée pour le mois de mars. En avril, le comité scientifique international prépare son évaluation pour l'ensemble de l'Atlantique Nord et présente ses prévisions pour l'année 1998-1999, éléments qui sont transmis, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, à l'OSCAN pour sa réunion du début du mois de juin.

Qu'entendons-nous par méthode intégrée? La grande priorité est la conservation et cet aspect va être bien entendu intégré à la méthode prudente que vont adopter, nous l'espérons, les autres pays au mois de juin. Nous accordons également l'importance qui convient à nos responsabilités de fiduciaire envers les Premières nations. Notre approche doit également refléter certaines considérations socio-économiques qui concernent les collectivités côtières.

Il est important de savoir que les autorités québécoises qui s'occupent de la gestion du saumon administrent les rivières par le biais de ZEC, c'est-à-dire de «zones d'exploitation contrôlée». Tous les acteurs -- les intérêts privés, les intérêts de la pêche sportive, les intérêts autochtones et les autres -- sont regroupés pour constituer une sorte d'office de gestion d'un bassin hydrographique. Les bénévoles participent activement à la restauration des habitats des cours d'eau et à d'autres activités. Les citoyens participent à ces activités parce que le saumon remonte les rivières. Les différentes espèces de morue et le homard restent dans l'océan. Le saumon remonte les rivières et offre ainsi un intérêt particulier pour les citoyens, ce qui explique le dévouement des bénévoles. Bien sûr, la plupart d'entre eux sont des pêcheurs et ils le font dans un but précis. Les citoyens s'occupent également de conservation. L'OSCAN reconnaît l'importance du travail des bénévoles, qui représente des sommes importantes si on l'évalue en dollars.

Il est essentiel d'adopter une telle approche intégrée si l'on veut réduire les effets négatifs sur les Premières nations et les autres collectivités et si l'on veut empêcher le braconnage généralisé et les pêches de protestation. On pourrait surveiller chaque pouce de cette rivière en y postant des gardes mais cela coûterait très cher. En outre, la participation des pêcheurs sportifs et d'autres personnes à ces activités se traduit par une présence sur les rives de ces cours d'eau, ce qui favorise la conservation de la ressource et sa protection et constitue le meilleur outil pour lutter contre le braconnage.

Mon prochain point est l'importance de la participation des collectivités et des groupes aux efforts de conservation et de restauration. Lors de la réunion qu'a tenue l'OSCAN en janvier, le Canada a appuyé l'adoption d'une méthode prudente pour la gestion, la recherche scientifique et l'aquaculture et nous espérons pouvoir conclure cette discussion avec des groupes d'intéressés. La méthode canadienne sera prête en juin et nous allons certainement essayer de la faire adopter. La méthode prudente exige que l'on soit plus conservateur lorsque la situation est incertaine, et elle peut se combiner à une approche intégrée.

Nous devons faire quelque chose. Compte tenu de ce que nous avons entendu, le ministre a déjà déclaré, lorsqu'il a procédé au rachat d'autres permis dans le détroit du Labrador l'automne dernier, que la faiblesse de la remonte du madeleineau était inquiétante. Par la suite, avec l'arrivée du saumon dans la rivière Miramichi, il s'est déclaré vivement préoccupé par la situation et a demandé au groupe de ne pas attendre que soient prêts les derniers détails mais de rechercher immédiatement les moyens de favoriser la remonte des saumons dans les zones de frai. Il a travaillé avec les scientifiques du MPO pour préparer cet atelier. On va bientôt annoncer toute une série de mesures de conservation.

Le Canada va, comme je l'ai indiqué, tenter de raffiner la méthode prudente et de la faire adopter en juin. Lorsqu'elle sera adoptée, cette méthode permettra de fixer des limites en matière de conservation et des cibles de gestion pour les bassins, depuis les sources des rivières jusqu'à l'océan.

Nous ne sommes pas obligés d'attendre le mois de juin pour agir. Nous avons eu beaucoup de discussions avec le conseil consultatif du saumon de Terre-Neuve, par exemple. Nous avons déjà tenu des discussions au Labrador. Nous allons y retourner en mars. D'autres discussions sont également en cours dans les provinces maritimes et au Québec. Il existe un moratoire sur la pêche commerciale à Terre-Neuve et l'on est en train d'examiner la possibilité de prolonger ce moratoire. Vous savez peut-être, par exemple, qu'on ne conserve pas les gros saumons dans les provinces maritimes ni sur l'île principale de Terre-Neuve. Ce n'est qu'au Labrador et au Québec que l'on conserve les gros saumons. Par exemple, les seuls saumons qui ont été conservés l'année dernière à Terre-Neuve étaient huit madeleineaux. Ce nombre pourrait encore diminuer. Ce sont des secteurs où tout le monde doit contribuer à la réduction des prises.

Des discussions sont également en cours dans d'autres régions. La première rencontre aura lieu sur l'île principale de Terre-Neuve, et pas nécessairement au Labrador parce que nous y reviendrons au mois de mars. Cela doit se faire avant l'annonce des plans de gestion, opération qui se fait habituellement à la fin des mois d'avril et de mai pour qu'ils soient prêts en juin.

Voilà qui termine mon exposé général. Je sais que vous avez des questions. Je vais maintenant donner la parole à M. Meerburg.

M. David Meerburg, conseiller principal, Poissons anadromes, Direction générale des sciences halieutiques et océaniques, ministère des Pêches et des Océans: M. Robichaud a parlé de certains aspects dont je traite dans mon mémoire que je vais vous présenter maintenant. Je serai ensuite heureux de répondre à vos questions.

Je suis biologiste, spécialiste des poissons anadromes du secteur des sciences du ministère des Pêches et des Océans, ici à Ottawa. Pour ceux qui connaissent mieux le poisson de fond et les autres, le poisson anadrome est un poisson qui se reproduit en eau douce et qui se développe et atteint sa maturité dans la mer. Ce groupe de poissons inclut non seulement le saumon des deux côtes du Canada, mais aussi l'esturgeon, le gaspareau, le bar rayé, l'alose savoureuse et l'éperlan. Ce sont là les espèces sur lesquelles je travaille.

Dans l'Est du Canada, il y a près de 550 rivières à saumon de l'Atlantique qui sont situées dans cinq provinces. Le saumon fraie dans ces rivières à l'automne. Je vais vous donner un petit cours de biologie pour le cas où vous connaîtriez mieux le poisson de fond que le saumon.

Les jeunes saumons de l'Atlantique passent entre un et sept ans dans les cours d'eau avant de descendre en mer. Lorsqu'ils descendent vers la mer au printemps, on les appelle les saumoneaux. Ils ont de 14 à 18 centimètres de longueur. La plupart des saumons qui descendent en mer ont trois ans. Je vous fournis ces renseignements pour que vous compreniez la remonte des saumons cette année. Les saumons adultes ne reviendront pas avant quatre, cinq ou six ans.

Le saumon descend en mer au stade de saumoneau, au printemps. S'il revient frayer après avoir passé un an en mer, on dit qu'il est unibermarin et on l'appelle aussi madeleineau. S'il passe plus de deux ans en mer avant de revenir, on le dit pluribermarin. Ce sont de gros poissons, de cinq kilogrammes et plus.

Comme l'a mentionné M. Robichaud, les saumoneaux ne s'éloignent pas beaucoup des côtes du Canada. Ils demeurent dans les eaux côtières. Ceux qui vont grandir en mer et y passer plusieurs hivers voyagent parfois sur des distances considérables. Ils vont jusque sur la côte ouest du Groenland au cours de leur migration trophique. On pêche le saumon sur la côte ouest du Groenland, sur une petite échelle.

J'ai été invité, en tant que chercheur, à présider un atelier sur le saumon atlantique qui s'est tenu récemment au Collège de la Garde côtière canadienne au Cap-Breton du 3 au 7 février. Parrainé par le MPO, cet événement a permis de réunir 32 spécialistes du Canada, des États-Unis et de l'Europe ainsi que des chercheurs travaillant dans des organismes fédéraux et provinciaux, des universités, et pour la Fédération du saumon de l'Atlantique. Outre des biologistes du saumon de l'Atlantique, ce groupe d'experts comprenait des océanographes et des scientifiques travaillant sur d'autres espèces de poissons qui sont des prédateurs ou des proies du saumon atlantique.

Deux grands sujets ont été abordés au cours de cet atelier. Premièrement, on nous a demandé d'évaluer l'ampleur du problème que constitue la faiblesse de la remonte du saumon en 1997, d'expliquer cette faiblesse et de faire des prévisions pour la remonte de 1998. Deuxièmement, et tout à fait indépendamment de la question d'abondance, on nous a demandé d'examiner comment la pêche avec remise à l'eau pouvait être utilisée comme moyen de conservation pour réduire le taux de mortalité du saumon dans le cas de la pêche sportive.

Comme M. Robichaud l'a mentionné, la remonte des saumons dans la plupart des cours d'eau a été inférieure aux prévisions mais pas partout. On a enregistré dans la région de l'Atlantique et aux États-Unis des chiffres inférieurs aux prévisions concernant 1997. Quelques secteurs ont fait exception, notamment certaines rivières du détroit de Northumberland sur la côte de la Nouvelle-Écosse ainsi que le secteur de la baie St-Georges à Terre-Neuve, avec des remontes importantes.

Nous surveillons la production des jeunes saumons dans tous les cours d'eau où la remonte a été faible. Cela se fait tous les ans. Au total, nous surveillons 65 à 85 cours d'eau pour la remonte des adultes et près de 20 autres répartis dans l'Est du Canada, pour déterminer le nombre des jeunes saumons qui descendent vers la mer. Cela coûte plus cher que la surveillance de la remonte des saumons adultes, c'est pourquoi nous ne pouvons pas surveiller autant de rivières.

Lorsque nous avons examiné les chiffres de la population de jeunes saumons qui ont causé ces faibles remontes, nous avons constaté que cette population était très élevée. Depuis plusieurs années, le ministère des Pêches et des Océans a instauré de nombreuses restrictions en matière de gestion des pêches qui avaient pour but d'obtenir un nombre suffisant de saumon dans les zones de frai pour conserver la ressources, et ce, depuis 10 ou 15 ans. Le nombre des jeunes saumons descendant vers la mer étant satisfaisant, il ne semble pas que le problème se situe dans les cours d'eau mais plutôt dans l'environnement marin.

La faible remonte enregistrée en 1997 constitue un fléchissement imprévu mais elle ne fait que prolonger une tendance générale amorcée il y a plusieurs années dans de nombreux cours d'eau. Nous avons examiné tous les facteurs marins qui pouvaient expliquer la faiblesse imprévue de la remonte de 1997. Nous avons notamment étudié l'exploitation des ressources, l'abondance des prédateurs (oiseaux, mammifères, grands poissons prédateurs) la disponibilité de la nourriture et ses répercussions possibles sur la remonte des saumons ainsi que les maladies et les changements océanographiques. À l'exception des conditions océanographiques, aucun lien n'a pu être établi avec tous ces facteurs bien que la prédation que subit le saumon atlantique en mer mérite qu'on y consacre des recherches plus poussées.

Pour ce qui est des prévisions pour l'année prochaine, nous nous attendons à de faibles retours pour les gros saumons en 1998, parce qu'ils font partie du même groupe de saumoneaux que les madeleineaux qui sont remontés en 1997. Ces saumoneaux sont partis en 1996. Une partie de cette population est revenue après un an comme madeleineaux en 1997 et en 1998, nous allons voir la remonte des gros saumons. Puisque le nombre des madeleineaux qui sont remontés a été faible, nous nous attendons également à ce que celui des gros saumons soit faible pour 1998.

Nous n'avons pas réussi à découvrir les raisons expliquant la faiblesse de la remonte des madeleineaux en 1997, et nous ne sommes donc pas en mesure de faire des prévisions précises pour 1998 pour ce qui est de la remonte des madeleineaux. Nous en concluons donc que la situation est incertaine. La situation va se préciser avec les prévisions précises, par cours d'eau, qui vont être élaborées pour la saison de 1998 au cours des réunions d'évaluation des stocks qui se tiendront à Moncton et à St. John's dans deux semaines environ.

Pour ce qui est de notre deuxième sujet, la pêche à la ligne avec remise à l'eau, nous avons fait un résumé de la recherche et consulté des experts qui ont publié des études sur la pêche à la ligne avec remise à l'eau du saumon de l'Atlantique et qui proviennent de différents pays. Nous avons résumé les données contenues dans près de 25 études. Nous avons constaté que la mortalité attribuée à la pêche à la ligne avec remise à l'eau est habituellement inférieure à 2 p. 100, à quelques rares exceptions près. Les situations exceptionnelles sont celles où la température de l'eau est très élevée. Lorsque la température de l'eau est supérieure à 20 degrés Celsius, la mortalité du saumon pêché à la ligne augmente. Cette mortalité n'est pas de 100 p. 100 mais elle se situe plutôt entre 20 et 30 p. 100.

Une étude cherchait à comparer la survie des saumons qui venaient d'arriver de la mer avec ceux qui se trouvaient en eau douce depuis quelques semaines et avec ceux qui se trouvaient dans des rivières depuis plusieurs mois avant d'avoir été pêchés. La mortalité des poissons arrivés récemment en eau douce était la plus forte. C'étaient des poissons qui avaient été pêchés là où se rencontre l'eau douce et l'eau de mer, en amont des estuaires.

Nous avons également examiné les études physiologiques qui portaient sur les poissons qui fournissent un effort, en fonction de différentes conditions de l'eau, comme l'eau très douce et l'eau normale. Dans la plupart des secteurs, l'eau est relativement dure mais il existe des régions de la Nouvelle-Écosse qui sont particulièrement touchées par les pluies acides. L'eau n'est plus en mesure d'absorber davantage d'acide. L'eau est très douce et on y trouve peu d'activité ionique. Lorsque l'on pêche des poissons ou lorsqu'on mesure leur activité dans ce genre de conditions, le manque d'ions dans l'eau semble avoir un effet sur leur capacité de récupération et sur leur physiologie. C'est ce qui explique ce taux de mortalité supérieur.

Nous avons aussi examiné les techniques de pêche à la ligne utilisées. Il existe la bonne et la mauvaise manière de relâcher un saumon de l'Atlantique. Lorsque les pêcheurs utilisent de mauvaises méthodes, les taux de mortalité augmentent. Un de ces facteurs est la durée pendant laquelle le poisson se trouve hors de l'eau. D'après les études que nous avons examinées, le seul fait de tenir un poisson hors de l'eau, même si cela dure moins de 60 secondes, peut augmenter de façon considérable le taux de mortalité du poisson. En fait, le spécialiste en physiologie de l'Université Queen's qui assistait à la réunion a comparé cette situation à celle du coureur de marathon qui court depuis trois ou quatre heures et à qui l'on demanderait, au moment où il franchit le fil d'arrivée, de retenir sa respiration pendant une minute ou deux. Vous pouvez vous imaginer ce qui se passerait. On voit souvent à la télévision des images de pêcheurs en train de tenir leur poisson hors de l'eau. Dans le cas du saumon et de la truite, il n'est pas bon de sortir le poisson de l'eau et il faudrait que les lignes directrices dans ce domaine précisent qu'il faut retirer l'hameçon sans sortir le poisson de l'eau. Si l'on veut vraiment protéger le poisson, la meilleure façon de procéder est de couper le bas de ligne et de perdre la mouche avec.

Cet atelier va déboucher sur la publication de deux rapports d'évaluation des stocks qui sont à l'heure actuelle en train d'être révisés et traduits. Ils devraient être publiés en mars par le Secrétariat canadien pour l'évaluation des stocks, à l'administration centrale du MPO, ici au 200, rue Kent. Je signale en outre que le secrétariat possède son propre site web et qu'il sera possible de télécharger ces rapports dès qu'ils seront prêts. J'indiquerai aux sénateurs qui ne le savent pas que, s'ils ont des questions sur d'autres espèces que le saumon, il existe des rapports sur toutes les espèces que l'on peut télécharger à partir du site web sur Internet. J'ai constaté que ce site est mal connu et que les gens qui l'explorent le trouvent très utile.

Je serais heureux de répondre aux questions que vous pourriez poser au sujet de l'atelier ou du saumon.

Le président: Merci beaucoup, M. Meerburg, de nous avons présenté un excellent exposé.

Le sénateur Stewart: Vous avez dit, je crois, que la remonte dans certaines rivières de la Nouvelle-Écosse et de la baie St-Georges à Terre-Neuve avait été relativement bonne. Est-ce bien exact?

M. Meerburg: C'est exact, monsieur. Dans le secteur de la baie St-Georges, la remonte n'a pas été spectaculaire mais le taux de survie des jeunes saumons qui sont descendus en mer était beaucoup plus élevé que prévu et il avait en fait augmenté dans presque tous les secteurs où nous avons effectué des mesures. Le taux de survie des saumoneaux qui sont partis en 1996 a atteint le plus bas niveau que nous ayons jamais connu.

Les jeunes saumons quittent la rivière lorsqu'ils sont à peu près de cette taille-là. Ils restent en mer pendant un an ou deux. Pour certaines rivières, nous connaissons le nombre des jeunes poissons qui sont descendus vers la mer et nous comptons les saumons adultes qui reviennent. Cela nous permet de mesurer la proportion des saumons qui ont survécu.

Le sénateur Stewart: Cette proportion était élevée.

M. Meerburg: Dans la baie St-Georges, le taux de survie a atteint un niveau surprenant, c'est en fait le niveau le plus élevé que nous ayons jamais mesuré dans cette rivière. Je crois qu'il s'agissait de la rivière Highlands dans le secteur de la baie St-Georges à Terre-Neuve. C'est une des exceptions à la situation qui régnait dans toutes les autres régions. Nous avons contrôlé le nombre des poissons qui descendent des rivières du Québec, ceux de la plupart des régions de Terre-Neuve et des parties de la rivière Miramichi. En outre, nous avons suivi les saumons d'élevage qui descendaient vers la mer de sorte que nous connaissons exactement le nombre des saumons d'élevage qui ont quitté la rivière de façon à pouvoir ensuite compter le nombre des saumons d'élevage qui la remontent. Ces données nous ont permis de constater que pour la plupart des rivières, le taux de survie était un des plus faibles que nous ayons jamais vu.

Le sénateur Stewart: Vous avez affirmé qu'il y en avait quelques-unes en Nouvelle-Écosse.

M. Meerburg: J'ai parlé du secteur du détroit de Northumberland en Nouvelle-Écosse jusqu'à la rivière Margaree. Cela veut dire en gros de la frontière du Nouveau-Brunswick à la rivière Margaree.

Le sénateur Stewart: C'est peut-être un hasard mais les données semblent indiquer que le milieu ou les rivières, l'acidité de l'eau notamment, avaient quelque chose de particulier. Il doit bien exister une raison expliquant pourquoi certains stocks de poissons ont mieux survécus que d'autres.

M. Meerburg: C'est ce que nous cherchons à découvrir. Nous avons constaté que cette situation était pratiquement générale. La survie a été faible sur toute la côte nord-est de Terre-Neuve, sur la côte sud et sur la côte oord-ouest de Terre-Neuve, sur la Basse-Côte-Nord du Québec, dans la péninsule de Gaspé, dans la rivière Miramichi, dans toute la baie de Fundy et sur la côte Atlantique de la Nouvelle-Écosse. Toutes les mesures que nous avons effectuées nous indiquent que la survie a été faible, à l'exception de ce secteur particulier. Comme je l'ai dit, nous ne savons pas pourquoi.

Nous savons toutefois, parce que nous contrôlons le nombre des jeunes saumons qui quittent la rivière, que le problème ne vient pas du nombre des poissons qui descendent vers la mer. Dans la plupart des secteurs, l'habitat d'eau douce produit autant de jeunes saumons ou de saumoneaux qu'auparavant. Dans la rivière Miramichi et dans la Restigouche, depuis le début des années 1980 au cours desquelles le ministère a pris des mesures de conservation très strictes, nous avons constaté une forte augmentation de la population des saumoneaux.

Le sénateur Stewart: Avez-vous formulé des hypothèses?

M. Meerburg: Nous avons formulé l'hypothèse que cette différence s'explique, en partie du moins, par le moment auquel la migration s'effectue et le secteur où les poissons se rendent. D'une façon générale, tous ces poissons vont se nourrir dans les mêmes secteurs au large des côtes de Terre-Neuve et ceux qui partent pour deux ans, poursuivent leur route jusqu'au Groenland. La seule exception que nous connaissons, c'est-à-dire les saumons de l'Atlantique qui ne suivent pas cette route migratoire, sont des saumons de la baie de Fundy que l'on n'a jamais retrouvés sur les côtes de Terre-Neuve ou celles du Groenland. On pense qu'ils restent dans le golfe du Maine, sur la plate-forme Scotian.

Le sénateur Stewart: Penchons-nous un peu sur la question du moment de la migration, pourquoi cet aspect serait-il important? Il paraît évident que vous estimez que certains moments sont plus dangereux que d'autres pour ces poissons. Pourquoi cela?

M. Meerburg: Comme vous pouvez l'imaginer, le nombre des prédateurs qui se trouvent dans l'océan varie dans le temps. Ces prédateurs sont nombreux dans certains secteurs à certains moments et peu nombreux à d'autres. De plus, la température de l'eau varie et ces variations de température de l'eau des océans ont des répercussions sur l'abondance de la nourriture. Nous n'avons pas encore trouvé d'explication pour la faiblesse de la remonte des saumons dans ces rivières en 1997.

Le sénateur Stewart: Revenons au moment où le saumon quitte ces cours d'eau. Pourquoi les saumons qui viennent de la rivière Margaree descend vers la mer à un moment plutôt qu'à un autre? Vous n'avez pas dit s'ils étaient en retard ou en avance.

M. Meerburg: Nous ne disposons pas de données sur le moment où le saumon a commencé à descendre vers la mer pour la rivière Margaree.

Le sénateur Stewart: Prenez une rivière pour laquelle vous avez ces données.

M. Meerburg: Nous cherchions à isoler un élément inhabituel de la descente vers la mer effectuée en 1996 qui expliquerait les résultats constatés en 1997 et, si nous avions découvert la présence d'un tel facteur dans toutes les rivières, nous aurions pu dire que c'était là le facteur qui expliquait la faiblesse de la remonte. Dans presque tous les cours d'eau que nous avons vérifiés à Terre-Neuve, je crois qu'il y en avait six, nous avons constaté que les saumoneaux ont quitté ces rivières très tôt, en fait à une date où ils ne l'avaient jamais encore fait. Lorsque les scientifiques de Terre-Neuve ont appris cela, ils ont déclaré: «Ah! Voilà la réponse. Le poisson est descendu vers la mer trop tôt et il n'a pas trouvé des conditions marines propices.» Les biologistes du Québec ont affirmé de leur côté: «La survie a également été faible dans les deux rivières que nous contrôlons au Québec mais les saumoneaux sont descendus vers la mer vers la date habituelle.» Cela nous a placés dans une situation difficile. Nous n'avons pas réussi à apporter de réponse précise à la question de savoir pourquoi les saumons qui sont remontés en 1997 ont survécu plus difficilement que les autres années.

Le sénateur Stewart: Est-ce que le poisson de la baie St-Georges est descendu tardivement?

M. Meerburg: D'après nos indications, ce poisson est également parti tôt. Presque tous les poissons de Terre-Neuve, ceux des six rivières que nous surveillons pour connaître la date à laquelle les saumoneaux descendent vers la mer, sont partis tôt.

Le sénateur Stewart: Il y a donc un mystère.

M. Meerburg: Oui, monsieur, c'est un mystère.

Le sénateur Oliver: Ma question s'adresse à David Meerburg. Je ne suis pas membre du comité mais je m'intéresse au saumon et à la pêche. Je viens de la Nouvelle-Écosse. Je m'intéresse au dernier paragraphe de votre première page où vous dites que vous avez analysé les facteurs qui contribuent à la situation notamment l'abondance des prédateurs, les oiseaux, les mammifères et les grands poissons prédateurs.

J'ai parlé avec les pêcheurs de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse des causes de ce déclin. Ils m'ont tous affirmé sans exception que les phoques en étaient la cause.

J'aimerais que vous me parliez un petit peu des phoques, en particulier, des différents types de phoques, de leur nombre dans l'Atlantique, de leur taille et de leurs habitudes alimentaires. Mangent-ils les madeleineaux au moment où ils arrivent dans la mer et avant que ceux-ci ne se rendent au Groenland pour se nourrir et grossir? J'aurais d'autres questions à vous poser au sujet des phoques mais vous pourriez peut-être commencer par répondre à celles-ci.

M. Meerburg: Nous avons bien évidemment examiné la question des phoques parce que les pêcheurs, comme vous le dites, en parlent. Il existe six espèces de phoques dans l'Est du Canada. Deux de ces espèces ne se retrouvent que sur la côte du Labrador et il s'agit des phoques annelés et des phoques barbus. Les phoques du Groenland et les phoques à crête, qui sont tous deux des espèces pélagiques, passent à peu près la moitié de l'année dans les eaux de l'Arctique et du Groenland et se déplacent ensuite au Labrador et dans les eaux de Terre-Neuve, et dans le golfe du Saint-Laurent, entre la mi-novembre et la mi-juin.

Les deux dernières espèces, qui sont principalement des espèces côtières, sont le phoque commun et le phoque gris. On les retrouve toute l'année le long de la côte atlantique et dans le golfe du Saint-Laurent.

Vous avez demandé combien il y en avait. Il y a beaucoup de phoques. Il y a environ 4,8 millions de phoques du Groenland, à peu près un demi-million de phoques à crête, 160 000 phoques gris et un peu moins de 30 000 phoques communs dans ces régions. Ces évaluations sont celles de 1996.

Les chercheurs du ministère des Pêches et des Océans analysent le contenu de l'estomac des phoques et M. Robichaud pourra peut-être fournir d'autres données. Nous nous intéressions particulièrement à la question du saumon. Nous avons examiné près de 10 000 estomacs de phoques et nous n'avons trouvé du saumon que dans deux cas. Dans le premier cas, l'estomac du phoque contenait un petit saumon et dans le deuxième, un phoque gris venant de la Basse-Côte-Nord du Québec, près de l'embouchure d'une rivière à saumon, avait mangé six saumons de taille moyenne.

Le sénateur Oliver: De quelles espèces se nourrissent-ils, alors?

M. Meerburg: La plupart des phoques se nourrissent d'autres espèces de poisson. M. Jones peut peut-être vous répondre à ce sujet.

M. Robichaud: Ken Jones s'occupe de la gestion du saumon mais aussi de celle des phoques.

Le sénateur Stewart: C'est une espèce florissante.

M. Ken Jones, agent de la gestion des ressources, Direction générale de la gestion des ressources, ministère des Pêches et des Océans: Les seuls phoques qui pourraient, d'après nous, avoir une influence importante sur la situation -- et je crois savoir que nous poursuivons nos recherches sur cet aspect -- sont les phoques communs et les phoques gris. Ce sont des espèces opportunistes qui vont jusqu'à remonter les rivières pour s'attaquer aux filets mis en place par des aquaculteurs. Au Labrador, nous allons peut-être étudier cet aspect l'année prochaine parce qu'il y a des phoques communs qui remontent la rivière et qui y restent pour attendre le poisson. Nous avons examiné l'estomac de 6 000 phoques du Groenland et nous n'avons trouvé qu'une seule fois des restes de saumon. Il est difficile de savoir si les phoques se nourrissent de saumon. Nous savons qu'ils s'attaquent au capelan et à la morue polaire, espèces dont la valeur est moindre. Ils consomment une quantité importante de morue. Nos chercheurs sont en train d'essayer de déterminer si les phoques se nourrissent de saumon.

Nous nous intéressons particulièrement aux phoques à crête parce qu'ils vont jusqu'au Groenland où se trouvent les gros saumons. Cependant, jusqu'ici, tous les éléments indiquent que ces phoques mangent des espèces de poissons qui vivent en eau profonde. Les saumons demeurent près de la surface, c'est pourquoi nous nous demandons si les phoques à crête se nourrissent vraiment de saumon.

Le sénateur Oliver: Quelle est la consommation quotidienne de poisson pour un phoque commun et quelle est la quantité de poisson que les phoques mangent en moyenne tous les jours dans les secteurs où il y a du saumon?

M. Jones: Je ne peux pas vous fournir cette réponse. Elle varie selon les espèces de phoques concernées. Je ne suis pas un spécialiste de ces questions.

Le sénateur Oliver: Avez-vous des données concernant les phoques communs?

M. Jones: Jusqu'à tout récemment, nous ne nous sommes guère intéressés aux phoques communs parce que leur nombre est relativement faible mais dernièrement, nous avons appris qu'ils remontaient de plus en plus les rivières, ce qui nous préoccupe. Nous nous intéressons maintenant à eux parce que les pêcheurs à la ligne ont signalé en avoir vu dans des bassins de retenue situés vers l'amont des rivières. Par exemple, dans la baie Sandwich du Labrador, il y aurait eu jusqu'à 100 phoques dans cette rivière qui y sont demeurés un certain temps, ce qui est inquiétant.

La difficulté que posent les phoques communs est qu'ils sont très dispersés. Nous pouvons contrôler facilement les phoques du Groenland et les phoques à crête parce qu'ils se rassemblent pour mettre bas. Nous pouvons compter les petits et évaluer à partir de ces chiffres le nombre des phoques. Les phoques communs ne sont pas aussi grégaires que ces autres espèces pour la mise à bas. Ils se rassemblent en petits groupes le long de la côte de sorte qu'il est très difficile de les contrôler.

Le sénateur Oliver: En 1996, il y avait 4,8 millions de phoques du Groenland. Jusqu'où vont-ils vers le sud?

M. Jones: Ils vont jusqu'aux îles de la Madeleine dans le golfe pour mettre bas, ils se rendent même à l'Île-du-Prince-Édouard et sur la côte, avant de remonter ensuite vers le nord. C'est à ce moment que nous les chassons. Nous les chassons habituellement au mois de mars dans le secteur des îles de la Madeleine et en avril sur les côtes de Terre-Neuve. Les phoques remontent alors progressivement vers le nord.

Le sénateur Oliver: Est-ce qu'ils s'approchent du territoire dans lequel passent les saumons lorsqu'ils quittent les rivières pour se diriger vers le Groenland?

M. Jones: Ils devraient avoir déjà quitté ce secteur à ce moment.

Le sénateur Oliver: Vous dites qu'il n'y a pas d'interaction.

M. Jones: Il est peu probable que les phoques mangent beaucoup de saumons, si je me fie aux informations que m'ont données les biologistes des phoques. Je ne sais pas s'ils pourraient compléter cette affirmation.

Le sénateur Oliver: Pouvez-vous me parler de la taille? J'aimerais savoir quelle est la quantité de poisson que mangent en moyenne ces phoques par jour.

M. Meerburg: Nos scientifiques qui étudient les mammifères marins ont publié une étude. En 1996, on a évalué que les quatre espèces de phoques qui vivent dans l'Est du Canada -- le phoque gris, le phoque à crête, le phoque commun et le phoque du Groenland -- consommaient plus de 3,8 millions de tonnes de nourriture.

Le sénateur Oliver: Combien pèsent-ils?

M. Meerburg: Les phoques? Je pourrais le vérifier. Cela figure sans doute dans le rapport.

M. Jones: Cela varie selon les espèces.

Le sénateur Oliver: Connaissez-vous la quantité de poisson qu'un phoque mange chaque jour?

M. Meerburg: Je suis certain, monsieur, que je pourrais trouver une réponse dans le rapport.

Le sénateur Oliver: Une dernière question, pourriez-vous me dire combien de phoques communs devraient se trouver dans les rivières de la Nouvelle-Écosse ou du Nouveau-Brunswick pour qu'ils puissent manger tous les saumoneaux qui s'apprêtent à descendre vers la mer.

M. Meerburg: Les phoques peuvent manger beaucoup de poisson mais ils ne semblent pas très sélectifs. Ils se nourrissent des poissons qui se trouvent autour d'eux et qui sont faciles à attraper. Le saumon n'est pas une espèce très abondante en mer. Si l'on pense aux rivières de la Nouvelle-Écosse, il y a à l'embouchure de ces rivières de grandes populations de harengs, de maquereaux et d'autres espèces qui sont beaucoup plus abondantes que les saumons. En outre, les espèces qui vivent dans l'eau douce et en mer, comme le gaspareau et l'alose d'été sont beaucoup plus abondantes que le saumon de l'Atlantique.

Il est difficile de répondre à votre question, parce que, comme je l'ai dit, nous n'avons pas trouvé de saumon dans leur estomac. Nous y trouvons parfois du gaspareau et nous avons trouvé beaucoup d'autres espèces comme le capelan, le maquereau et le hareng. Il est très difficile d'évaluer le nombre des saumons qui sont mangés par des phoques lorsqu'on ne trouve pas de saumon dans l'estomac de ces derniers. On pourrait dire que ce chiffre est très faible; par contre, d'autres soutiennent que, s'il y a 5 millions de phoques qui mangent chacun un saumon par an, cela représente une quantité impressionnante de saumons. Cela est vrai. On peut dire en gros qu'il y a sans doute un peu moins de 30 à 50 millions de saumoneaux qui descendent vers la mer. Il n'existe pas de méthode précise permettant d'évaluer ce nombre mais c'est sans doute dans cet ordre de grandeur.

Le sénateur Oliver: Vous avez parlé de saumon naturel et de saumon d'élevage. Vos chercheurs ont-ils trouvé des éléments indiquant que certains saumons d'élevage sont porteurs de maladie, et qu'une fois relâchés en mer, ils pourraient infecter un certain nombre de saumons naturels?

M. Meerburg: L'élevage du saumon est une activité qui s'exerce principalement dans deux régions et dans l'Est du Canada, il n'y a que deux petits secteurs où l'on produit des saumons sauvages de l'Atlantique. Il y a la baie Passamaquoddy, principalement dans la baie de Fundy, et il y a la baie d'Espoir au sud de Terre-Neuve. Ce sont les deux endroits où il y a de la pisciculture. Dans ces deux secteurs, le nombre des saumons naturels est habituellement faible mais c'est également la situation qui prévaut avec de faibles taux de survie dans de nombreux autres secteurs où il n'y a pas d'aquaculture. Nous n'avons jamais vu des poissons d'élevage revenir dans les rivières. Nous n'avons pas trouvé de poissons d'élevage dans les rivières de la partie du golfe du Saint-Laurent qui borde le Nouveau-Brunswick ou le Québec, et pourtant le taux de survie des saumons est faible dans cette région. D'une façon générale, les poissons qui remontent les rivières n'ont pas de maladies. Nous suivons la remonte des poissons et nous n'avons pas constaté que ces poissons étaient porteurs de maladie.

Il y a actuellement, au Nouveau-Brunswick, un virus qui suscite des préoccupations mais nous n'avons pas retrouvé ce virus dans les autres stocks de saumon naturels. En fait, nous ne l'avons même pas retrouvé dans les rivières qui sont situées à proximité de l'aquaculture qui se fait dans la baie Passamaquoddy ni dans les saumons échappés qui s'y rendent. Nous ne l'avons pas isolé dans ces poissons non plus.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Je vous remercie, monsieur le président. Vous parlez du saumon, et des autres espèces d'eau douce et d'eau salée qui se conduisent un peu comme les saumons. Quel est le nom français du «shad»?

[Traduction]

M. Meerburg: Nos interprètes ont déjà traduit ce mot. Je ne l'ai pas vu auparavant mais dans ma déclaration, je parle d'«alose».

[Français]

M. Robichaud: L'alose savoureuse.

Le sénateur Robichaud: Quelle relation y a-t-il entre l'augmentation de la diminution de ces stocks et le saumon? Est-ce que ces espèces augmentent et diminuent de la même façon que le saumon le fait? Ces espèces ont un peu le même comportement. Je me rappelle dans le passé, par chez-nous, lorsque c'était le temps de l'alose savoureuse, tout le monde voulait en avoir, mais maintenant, beaucoup moins. Est-ce que cette espèce est tout simplement trop limitée pour la pêche commerciale? Et si c'est le cas, est-ce que le saumon pourrait subir le même sort?

[Traduction]

M. Meerburg: La situation est la même dans la plupart des secteurs où l'on pêche l'alose. Les stocks sont en baisse à l'heure actuelle mais je ne pense pas que cela soit le cas pour le gaspareau, dont la remonte est d'une façon générale conforme à la moyenne.

Au cours de notre atelier, nous n'avons pas beaucoup parlé de ces autres espèces anadromes parce qu'on ne les trouve que dans certains secteurs de l'Est du Canada. Nous avons constaté une baisse générale du taux de survie du saumon de l'Atlantique dans tout l'Est du Canada mais à Terre-Neuve, il n'y a pas d'alose, le bar rayé n'y remonte pas et il n'y a pas non plus de gaspareau dans ces rivières. Nous n'avons pas examiné de façon particulière les espèces anadromes que l'on retrouve en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.

Pour ce qui est de ces populations et de leur interaction avec le saumon de l'Atlantique, nous n'avons jamais pensé qu'il existait une forte interaction entre ces espèces. En d'autres termes, une population de gaspareaux abondante ne veut pas dire qu'il y aura beaucoup ou peu de saumons, par exemple. Nous n'avons jamais constaté de corrélation entre la population de ces espèces.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Dans le cas de l'éperlan, par contre, celui-ci ne serait-il pas une source de nourriture pour le saumon?

[Traduction]

M. Meerburg: Dans certains cas, peut-être. Je pense que ce poisson serait une source de nourriture pour les saumons qui repartent après avoir frayé. Ils ne mangent pas pendant les cinq, voire six ou huit mois qu'ils passent en eau douce. Ils redescendent vers la mer en général au printemps, en avril et en mai, au même moment où les saumoneaux redescendent vers la mer. Ils constituent sans doute une source de nourriture pour ces saumons noirs.

Le cas des saumons noirs est intéressant. Les saumoneaux qui sont descendus vers la mer en 1996 sont remontés, d'une façon générale, en petit nombre en 1997. Avec les saumons noirs, c'est-à-dire les saumons qui ont frayé, qui sont redescendus vers la mer en 1996, le taux de survie enregistré chez eux a été un des plus élevés que nous ayons jamais enregistré. Nous avons constaté cela tant à Terre-Neuve que dans les provinces maritimes. Le facteur qui touchait le saumon ne touchait manifestement pas les gros saumons. Ce facteur touchait, selon toute probabilité, les saumons plus jeunes.

Les saumoneaux vont habituellement se nourrir au large de la côte nord-est de Terre-Neuve. Nous avons examiné cet aspect en détail. La principale conclusion à laquelle nous en sommes arrivés après l'atelier, en nous basant sur l'opinion des océanographes et des gens qui nous ont fourni des renseignements nouveaux pour la plupart, est que les conditions océanographiques au large de la côte nord-est de Terre-Neuve ont considérablement changé. Ce changement se reflète dans les températures. Depuis un certain nombre d'années, les températures avaient, d'une façon générale, tendance à baisser. La température de l'eau était de plus en plus basse. Depuis quelques années, cette température tend à remonter.

Lorsque la température s'est refroidie, nous avons assisté parallèlement à un changement complet dans la répartition des espèces. Ce changement s'est reflété dans la nourriture des fous de Bassan, qui sont des grands oiseaux de mer. Il y a une colonie de fous de Bassan dans les îles Funk au large de la côte nord-est de Terre-Neuve. Un collègue de l'Université Memorial analyse régulièrement les matières stomacales provenant de ces fous de Bassan depuis le début des années 70. Entre cette époque et la fin des années 1980, ces oiseaux se nourrissaient principalement de maquereaux, de harengs, et d'encornets, ce que l'on peut appeler des espèces d'eau chaude. Ils ne mangeaient pas beaucoup, peut-être de 20 à 30 p. 100, d'espèces d'eau froide. Nous n'avons jamais trouvé de saumon dans leur estomac.

À partir de la fin des années 80, le régime de ces fous de Bassan a complètement changé. Les espèces d'eau chaude ont disparu de leur régime. La plus grosse partie de leur nourriture provenait d'espèces vivant en eau froide, notamment le capelan, et pour la première fois, le saumon. Le saumon consommé ne représentait que trois ou quatre pour cent de leur alimentation mais c'est quelque chose que nous n'avions encore jamais vu. Cette tendance s'est prolongée jusqu'à ces dernières années où la composition des espèces semble avoir de nouveau changé.

Ce n'est pas que ces oiseaux ont modifié leurs habitudes ou leurs préférences alimentaires. Ils mangent ce qu'ils peuvent attraper. Les conditions océanographiques ont changé considérablement. On ne retrouve plus en même quantité les espèces qui vivaient là auparavant.

C'est ce que nous avons constaté dans le cas du capelan, une espèce qui vit en eau froide et qui entre parfois dans l'alimentation des saumons. Les capelans ont modifié leurs habitudes. Ils venaient auparavant frayer sur les côtes de Terre-Neuve, habituellement au mois de juin. Lorsque la température de l'eau a baissé, le capelan a cessé de venir ou alors, il est venu plus tard, à la fin du mois de juillet ou du mois d'août. Depuis deux ans, l'océan se réchauffe progressivement. Les scientifiques pensaient que s'il existait une relation directe avec la température de l'eau, nous recommencerions à voir les capelans frayer plus tôt dans l'année, ce qui ne s'est pas encore produit. Tous les savants qui étudient le nord-ouest de l'Atlantique ne savent pas très bien ce qui se passe.

J'ai mentionné dans mon exposé que nous avons écarté la possibilité que ce soit la pêche commerciale soit responsable de la situation. Nous avons examiné les activités de pêche de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les pêcheurs de cette île ont capturé l'année dernière 600 saumons environ. Nous avons examiné la situation au Groenland. On y a capturé 12 000 saumons environ, ce qui est un nombre relativement faible et, de toute façon, plus faible que celui des poissons capturés les années précédentes. Nous avons essayé de voir si les captures n'auraient pas augmenté ailleurs, sans succès. Au Labrador, très peu de poissons ont été capturés en mer.

Le sénateur Oliver: Et la pêche illégale?

M. Meerburg: Nous avons examiné les prises accidentelles, si c'est ce que vous voulez dire. Nous avons regardé ce que faisaient les chalutiers. Nous avons examiné plus d'un million de chaluts et nous avons trouvé 49 saumons dans ces chaluts. Si on y réfléchit bien, avec toutes les pêches qui sont fermées, les prises accidentelles devraient être moindres à l'heure actuelle qu'elles ne l'étaient avant 1992, période où l'on pêchait le poisson de fond sur une grande échelle et de façon intensive.

Pour ce qui est de la pêche illégale, nous n'avons rien vu de ce côté. Nous avons contrôlé le nombre des poissons marqués par des filets qui remontaient les rivières. Nous en avons trouvé quelques-uns dans certaines rivières, ce qui indiquaient que ces poissons étaient passé à travers les mailles d'un filet. Ce filet pouvait avoir été utilisé légalement pour pêcher d'autres espèces ou de façon illégale pour le braconnage. Nous n'avons toutefois pas constaté d'augmentation du pourcentage des poissons marqués par des filets en 1997. Dans la plupart des cas, il y avait une diminution par rapport aux années antérieures.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Est-ce que le phénomène qui se passe dans le nord de l'Atlantique est comparable à El Niño? Est-ce que vous avez suffisamment de données pour penser que ce phénomène pourrait peut-être avoir une incidence sur le saumon?

[Traduction]

M. Meerburg: El Niño est un phénomène qu'il est possible de prévoir et qui est bien compris. Il se manifeste relativement souvent. Les courants chauds remontent dans le Pacifique Nord et nous suivons ce phénomène.

Dans l'Atlantique, nous avons constaté dans l'ensemble une baisse continue et générale de la température de l'eau depuis 20 ans. Il ne s'agit pas d'un événement qui se reproduit fréquemment et il est difficile d'en prévoir l'évolution. Cela a-t-il un rapport avec les conditions climatiques de l'océan en général? Probablement. Les conditions climatiques sur l'océan et dans l'ensemble du globe influencent la circulation de l'eau et les changements de température. Cela est probablement relié aux conditions de l'océan Pacifique. La dernière manifestation du phénomène d'El Niño va peut-être amener des changements dans la température de l'océan Atlantique. Il y aura toutefois probablement un décalage. L'effet de ces changements ne se fera pas sentir immédiatement sur les conditions océanographiques. Lorsqu'il y a des changements dans le Pacifique, ils ne se font pas sentir dans l'Atlantique au cours de la même année. Leur effet se fait sentir progressivement.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Ma dernière question, et je reviens au sujet mentionné par le sénateur Oliver concernant les phoques. Peut-être ne consomment-ils pas le saumon comme tel, mais ils consomment certainement énormément d'autres espèces et, pour emprunter les mots de M. George Baker, les phoques ne mangent certainement pas des hamburgers de chez McDonald's. Ils mangent ce qu'il y a dans le fond de la mer. Est-ce que cela ne pourrait pas avoir un impact direct, en fait, sur la source de nourriture?

[Traduction]

M. Meerburg: Oui, monsieur, nous avons examiné cet aspect. Nous nous sommes dit que si ce poisson ne trouve pas suffisamment de nourriture dans l'océan, et si c'est ce qui explique son faible taux de survie, cela veut dire que le poisson qui réussit à survivre doit porter les marques d'un manque de nourriture; en d'autres termes, ces poissons devraient être plus petits.

Lorsque nous avons examiné la taille des poissons qui remontaient en 1997, nous n'avons pas constaté qu'ils étaient plus petits. Ils étaient soit de taille moyenne soit, dans plusieurs cours d'eau, d'une taille que nous n'avions jamais vue. Nous n'avons constaté aucun indice démontrant que le saumon de l'Atlantique a du mal à se nourrir.

Le sénateur Robichaud: Ce sont ceux qui s'adaptent le mieux qui survive.

M. Meerburg: Oui, vous avez raison. Il y a très peu de poissons dans ces régions mais il y a peut-être tout de même suffisamment de nourriture pour que les saumons atteignent une bonne taille. Si les saumons meurent peu après leur arrivée en mer, cela laisse beaucoup de nourriture pour les autres poissons.

Nous avons estimé que nous pouvions écarter le facteur nourriture mais nous n'avons pas été en mesure d'écarter l'influence que pouvaient avoir les changements importants qu'ont subi les conditions océanographiques. Nous ne savons pas comment elles agissent mais il est possible qu'elles influencent la migration du poisson. Pour ce qui est de leur calendrier habituel, selon lequel ils doivent être à un certain endroit à un certain moment, il est possible qu'ils éprouvent des difficultés à le respecter. Cela nuit peut-être à leur migration.

C'est tout ce que nous avons pu déterminer jusqu'ici.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Je vous remercie, monsieur, pour une présentation très intéressante. Une autre histoire de pêche. Je devrais dire, une histoire de pêche assez triste, il me semble. Comme petite anecdote, je peux vous dire que j'ai grandi sur la péninsule acadienne où l'on pouvait pêcher des coques ou de la morue par plaisir et aussi pour notre argent de poche. Il y en avait assez que maman nous forçait presque à en manger trois fois par semaine parce que cela ne coûtait pas cher. La pêche au saumon, c'était pour les riches Américains sur la rivière Miramichi.

Je voudrais connaître la demande économique du saumon de l'Atlantique à travers le Canada. On connaît le cohoe et le saumon rose du Pacifique, mais est-ce que le saumon de l'Atlantique est en demande? En dehors de la région de l'Atlantique, est-ce qu'on trouve notre saumon bon? Je sais que je le trouve bon mais j'aimerais connaître sa valeur économique.

[Traduction]

M. Meerburg: Il y a trois catégories de personnes qui recherchent le saumon de l'Atlantique. Il y a les pêcheurs commerciaux qui prennent ces poissons parce qu'ils réussissent habituellement à les vendre. Ils ont réussi jusqu'à tout récemment à les vendre très facilement. De leur côté, les pêcheurs récréatifs voudraient bien sûr qu'il y ait beaucoup de saumons dans les rivières. Les pourvoyeurs et les centres de pêche sportive dépendent de la venue des pêcheurs sportifs dans la rivière Miramichi, dans la rivière Restigouche et dans d'autres rivières. Il y a aussi les autochtones qui font un usage traditionnel du saumon dans toute la région de l'Atlantique. Tout le monde aime le saumon.

Par contre, je crois que vous me demandiez s'il existait un marché pour cette espèce de poisson. Le problème est que l'aquaculture du saumon de l'Atlantique s'est développée à l'échelle mondiale, ce qui a eu des répercussions importantes sur le marché du saumon naturel.

L'aquaculture a démarré au début des années 1980. C'est la Norvège qui est le principal producteur dans ce domaine. Le Canada est petit producteur mais il possède toutefois un secteur important d'aquaculture du saumon dans l'Est du Canada ainsi que dans l'Ouest. Cela se fait également en Tasmanie, au Chili, dans les États de l'est des États-Unis, dans ceux de l'ouest des États-Unis, dans les îles Faroe, en Irlande et en Écosse. Cela représente près de 400 000 tonnes de saumon d'élevage par an. Mentionnons que nos captures de saumon naturel dans l'Atlantique du Nord sont légèrement inférieures à 5 000 tonnes. Il est facile de constater que le saumon d'élevage représente des quantités considérables. Nous parlons de poissons nouveaux qui n'ont jamais été mis sur le marché auparavant. Cela a entraîné une forte baisse des prix, tant pour le secteur de l'aquaculture que pour la pêche commerciale.

Nous faisons encore un peu de pêche au saumon au Groenland. Cela a représenté l'année dernière environ 57 tonnes. En 1972, les prises s'élevaient à 2 800 tonnes. Cette pêche a subi le contrecoup de la réglementation mise en place par l'Organisation de conservation du saumon de l'Atlantique Nord dont a parlé M. Robichaud. On a pris 57 tonnes de poisson en août et en septembre dernier. Nous croyons savoir que ce poisson se trouve encore dans des congélateurs au Groenland parce qu'ils n'ont pas réussi à le vendre à cause de la faiblesse des prix sur le marché international. Avec ces prix-là, la pêche commerciale n'est presque pas rentable. L'aquaculture a eu un effet considérable sur l'offre du saumon de l'Atlantique dans les restaurants, dans les supermarchés, et ce, à l'échelle de la planète.

M. Robichaud: Par contre, le saumon a une importance beaucoup plus grande pour notre économie, en particulier pour ce qui est du secteur de la pêche récréative. On a déjà vendu le saumon naturel à 2 $ la livre. Je parle d'environ 80 tonnes pour la pêche commerciale. On a cité toutes sortes de chiffres, mais cette valeur pourrait aller jusqu'à 300 $ ou 400 $ pour la pêche récréative.

Quelle que soit la validité de ces chiffres, il est certain que l'aquaculture a un effet considérable sur les collectivités qui dépendent de la pêche récréative et des pourvoiries. Elle a également un effet important sur les autochtones. Nous parlons de 40 tonnes de poisson pour les autochtones, ce qui représente environ la moitié des prises commerciales. Oui, les prises commerciales sont plus faibles.

Comme vous l'avez vu, c'est la pêche récréative qui est la plus touchée. Cela a un gros effet sur l'économie. Mentionnons également l'effet que cela a sur la culture et les traditions autochtones.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: On essaye beaucoup dans la région de l'Atlantique de développer le tourisme. Les touristes, quand ils viennent dans l'Atlantique, s'attendent à manger du poisson: quant à cette partie à laquelle on réfère pour l'essor économique, il n'y a plus de poisson. On n'a presque plus de morue. Et l'on paye un prix fou pour les autres variétés de poissons. Votre réponse montre bien les préoccupations et les inquiétudes des gens de l'Atlantique vis-à-vis du saumon. Ils pensent à l'histoire de la morue qu'ils n'ont pas oubliée.

M. Robichaud: Si on veut du saumon, d'après ce que M. Meerburg vient de dire, on l'aura par l'aquaculture principalement. Moi aussi, je sympathise. Je suis du Bas-Saint-Laurent et je suis habitué à aller ramasser des «clames» -- c'est comme cela qu'on l'appelait -- ou des coques, et c'est vrai que cette situation diminue. Toutefois, je faisais référence aussi à la situation et à la valeur des débarquements sur l'Atlantique. Si j'avais à m'adresser aux touristes et à les inviter dans les Maritimes, je pousserais certainement certaines choses comme notre crevette qui est en abondance et qui continue d'augmenter. Je pousserais le crabe; je pousserais les crustacés qui sont en abondance et, Dieu merci! le bon hareng frais du printemps -- dès que les glaces sautent -- avec un peu de vinaigre et de l'oignon. Il y en a encore, et cela a sa place.

Le sénateur Robichaud: Et un bon vin avec cela.

[Traduction]

Le sénateur Butts: Pour ce qui est du taux de mortalité avec la pêche avec remise à l'eau, vous n'avez pas parlé du niveau de l'eau. Est-ce que cela va avec la température de l'eau?

M. Meerburg: Habituellement, lorsque la température ambiante est élevée, l'eau baisse sa température s'élève. Lorsque nous examinons ces facteurs, et très souvent lorsque c'est le ministère qui gère le secteur, lorsque nous commençons à voir le niveau d'eau baisser, nous constatons que la température de l'eau s'élève aussi. On interdit souvent la pêche à la ligne dans certaines rivières, lorsque les conditions sont difficiles pour le poisson.

Le sénateur Butts: Nous avons eu beaucoup de problèmes de ce genre dans la rivière Margaree.

Pour ce qui est du tourisme, ou des pêcheurs amateurs, comme moi, votre ministère a-t-il publié des brochures expliquant aux pêcheurs qu'ils ont 60 secondes pour remettre le poisson à l'eau? J'ai vu beaucoup de gens pêcher dans la rivière Margaree et les poissons qui étaient pris restaient hors de l'eau plus d'une minute.

M. Meerburg: En 1984, au moment où le sénateur De Bané était ministre des Pêches, on a mis sur pied un programme de remise à l'eau obligatoire pour les gros saumons. À l'époque nous avions donné de l'argent à la Fédération du saumon de l'Atlantique pour qu'elle lance une campagne d'information sur la façon de procéder et elle a fait distribuer des brochures dans la région Atlantique. Ces brochures existent toujours et on y explique ces techniques.

Plus récemment, l'Organisme international dont fait partie le Canada, l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord, dont le bureau chef est en Écosse, a préparé des brochures plastifiées très jolies qui seront distribuées cette année.

En fait, j'ai parlé à Bill Taylor, le président de la Fédération du saumon de l'Atlantique. Il a envoyé plusieurs lettres aux producteurs de certains programmes de télévision pour se plaindre de ce qu'il considère comme étant de mauvaises techniques, par exemple, lorsqu'on voit des pêcheurs tenir leur poisson hors de l'eau trop longtemps. Il a tenté d'informer ces personnes du grave danger que cela représentait pour les poissons.

Le sénateur Butts: Il serait peut-être bon de placer ces brochures dans les bureaux d'information touristique.

J'ai une autre question qui ne relève peut-être pas de vous mais je vais la poser quand même. Elle concerne l'aquaculture. J'ai lu une étude scientifique qui disait que le saumon d'élevage n'avait pas une grande valeur nutritive. Avez-vous des renseignements à ce sujet?

M. Meerburg: Je ne suis pas au courant de cela parce que la nourriture que l'on donne aux saumons d'élevage se compose habituellement de farine de poisson, qui est bien souvent fabriquée avec le même type de poisson que le saumon naturel de l'Atlantique mange pour se nourrir. On y ajoute en plus les vitamines appropriées. Le saumon d'élevage a peut-être un peu moins de goût parce qu'on le tue juste après qu'il ait atteint la taille désirée, alors que le saumon Atlantique que vous mangez habituellement jeûne depuis au moins un ou deux mois, depuis qu'il est retourné dans la rivière et sa chair est moins grasse. La chair du poisson d'élevage contient davantage de gras.

Le président: Je me demandais comment vous alliez vous en tirer parce que si vous aviez dit que l'un était meilleur que l'autre, je vous aurais demandé lequel du saumon de l'Atlantique et de celui de la côte Est était le meilleur.

M. Meerburg: J'ai travaillé sur les deux côtes et j'aime tous les saumons.

Le sénateur Butts: On a effectué une étude à l'Université Dalhousie qui comparaît le saumon d'élevage avec le saumon pêché dans la rivière St. John. Ils ont dit que c'était un mystère mais c'est tout simplement un autre mystère de pêche.

M. Meerburg: Ce n'est pas ma spécialité et je ne connais pas cette étude. Il est vrai qu'au début, les entreprises d'aquaculture ont dû beaucoup travailler sur l'alimentation du poisson et elles ont essayé de trouver des aliments qui favoriseraient la croissance du poisson. Si cette étude remonte à quelques années, je suis sûr qu'on a tenté de remédier à ce problème.

Le sénateur Butts: Elle date de deux ans environ.

Le sénateur Stewart: Est-ce que le saumon d'Europe fréquente le même secteur, près du Groenland, et est-ce que les spécialistes européens ont constaté eux aussi une baisse des remontes?

M. Meerburg: D'une façon générale, la réponse est oui, mais il n'y a qu'une partie du saumon européen qui va jusqu'au Groenland. Il y a en particulier le saumon «springer» de l'Écosse qui se rend, nous le savons, jusqu'au Groenland. On a constaté en Europe le même déclin progressif que celui que nous avons enregistré ici pour le saumon nord-américain.

Lorsque nous effectuons nos contrôles, ce sont des contrôles annuels, nous prenons des échantillons au Groenland. Il y a environ autant de saumons européens que nord-américains, même si cette proportion peut, pour le saumon nord-américain, varier de 40 à 70 p. 100, selon l'année considérée.

Le sénateur Stewart: Cela indiquerait qu'il y a une explication générale.

J'aimerais revenir à l'anomalie que vous avez mentionnée. Avez-vous mentionné que la rivière Margaree était une de celles où la remonte avait été relativement forte?

M. Meerburg: La rivière Margaree ne fait pas partie de celles pour lesquelles nous disposons de chiffres précis pour 1997.

Le sénateur Stewart: Pourriez-vous m'en citer une en Nouvelle-Écosse du côté du golfe?

M. Meerburg: Je suis désolé, je ne le peux pas.

Le sénateur Stewart: J'allais vous demander de comparer la situation d'une des rivières du côté du golfe avec disons la rivière St. Mary qui se trouve sur le côté Atlantique du comté de Guysborough. J'essayais de déterminer s'il n'existait pas une cause locale particulière qui expliquerait l'anomalie que vous avez mentionnée concernant la remonte de ce poisson sur le côté du golfe.

M. Meerburg: Une des différences qui existe avec les rivières du golfe est que celles-ci sont principalement des rivières où la remonte s'effectue en automne, alors que sur les rivières du côté de l'Atlantique, comme les rivières LaHave et St. Mary, le saumon remonte en été. Cela fait toute une différence pour ce qui est du moment où ces poissons entament leur migration. Comme vous le savez j'en suis certain, dans les rivières d'automne du côté de Northumberland, il arrive que les poissons remontent lorsque la saison de pêche est presque terminée. La remonte est très tardive certaines années, ce qui introduit des différences dans les stocks et dans le moment où commence la migration.

Le président: Cet exposé a été très intéressant. Nous allons examiner avec intérêt les rapports d'évaluation découlant de l'atelier qui seront publiés en mars.

Je sais que nous n'avons pas posé toutes nos questions ce matin. Si vous avez d'autres questions, je vous invite à me les remettre ou à les remettre par écrit à la greffière et nous les transmettons à M. Robichaud et à son groupe. Je voulais également poser un certain nombre de questions et je vais procéder de cette façon. Nous pourrons ainsi annexer ces réponses aux témoignages.

Cela vous convient-il, monsieur Robichaud?

M. Robichaud: Parfaitement.

La séance est levée.


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