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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 4 - Témoignages du 19 mars 1998


OTTAWA, le jeudi 19 février 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit ce jour à 9 h 05 pour discuter des questions de privatisation et d'attribution de permis à quotas dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte. Je souhaite la bienvenue aux témoins. J'aimerais que la première partie de la séance se termine vers 10 h 15 et je prierai ensuite les membres du comité de rester pour parler des travaux futurs.

Ceci étant dit, je demande aux témoins de nous faire un exposé complet sur l'Accord multilatéral sur l'investissement. Nous sommes tous familiers avec le but de l'AMI. Nous avons l'intention d'étudier son incidence sur les ressources marines, en particulier en rapport avec le poisson et les ressources halieutiques et leur possession. L'AMI a-t-il une incidence sur ces ressources? Nous savons que le Canada a toujours essayé de respecter ou a accepté la prémisse voulant que la propriété étrangère de nos ressources halieutiques n'est pas acceptable. Nous voulons savoir si l'AMI entraînera des changements qui influeront sur cette politique historique. La parole est à vous, monsieur Moffat.

M. Marshall Moffat, directeur, Analyses économiques, Direction générale des politiques et des analyses économiques, ministère des Pêches et des Océans: M'accompagnent aujourd'hui M. Aaron Sarna, directeur, Division des relations multilatérales, Direction générale des affaires internationales, M. Ken Roeske, responsable des politiques commerciales, Direction générale des politiques et des analyses économiques, ainsi que Nadia Bouffard, conseillère juridique au ministère de la Justice, Christopher Leggett, agent des politiques commerciales au ministère des Pêches et des Océans, et Susan Waters, également conseillère juridique au ministère de la Justice. Je pense que vous connaissez Darlene Elie du ministère des Pêches et des Océans.

Voulez-vous que je lise l'exposé d'ouverture ou aimeriez-vous que je fasse simplement quelques commentaires impromptus?

Le président: La plupart des membres ont reçu les commentaires d'ouverture, qui nous ont été fort utiles, si bien que vous pouvez continuer à partir de là.

M. Moffat: De notre côté, nous avons surveillé les travaux de l'équipe de négociation représentant le Canada à Paris aux pourparlers de l'OCDE sur l'Accord multilatéral sur l'investissement. Ils nous ont informés de la nature des désaccords et de la nature des discussions pour essayer de progresser par consensus sur cet accord.

Nous leur avons fait part des points sensibles que vous avez mentionnés dès le départ. Nous avons abordé avec eux la meilleure méthode visant à éviter ces genres d'incidences potentielles sur le secteur des pêches au Canada.

Tout d'abord, il y a la façon dont l'accord est finalisé. Comme vous le savez probablement, il n'y a pas encore de consensus entre les pays de l'OCDE sur le contenu de l'accord; notre première stratégie consiste donc à négocier avec les autres pays membres certaines définitions contenues dans l'accord, que nous aborderons dans un instant, qui minimiseront les répercussions possibles dans un certain nombre de secteurs de politique pour le gouvernement du Canada, et en particulier pour les pêches, sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.

Le deuxième élément c'est que, conformément aux dispositions du projet d'accord sur l'investissement, le Canada a l'intention d'exercer son droit de communiquer des exceptions qu'il souhaite conserver. Autrement dit, si nous négocions un accord qui est acceptable pour le Canada, nous avons le pouvoir de mentionner, dans le cadre de notre acceptation, qu'il y a certaines exceptions, à l'application des engagements contenus dans l'AMI, que nous souhaitons invoquer. Ces exceptions, une fois présentées, font partie intégrante de l'accord. Ce sont là les deux aspects.

Je vais simplement vous donner quelques précisions sur le premier aspect et ensuite je passerai au second. Durant les négociations portant sur les définitions contenues dans l'accord, deux points principaux touchent les pêches. L'un est la définition du terme «investissement» lui-même. Dans l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), la définition d'«investissement» est plus restreinte, plus centrée sur les biens d'équipement et les capitaux financiers que le libellé utilisé actuellement dans l'AMI. L'équipe de négociation essaie de faire restreindre la définition d'«investissement» pour la rapprocher de celle qui figure dans l'ALENA.

Certains des points figurant entre parenthèses dans l'accord à l'heure actuelle englobent les licences et les permis, mesures qu'un gouvernement national peut prendre en vertu de sa législation nationale qui sont nettement liées à un investissement mais ne font pas partie intégrante de la substance de cet investissement. L'équipe de négociation s'efforce de restreindre la définition du terme «investissement» afin qu'il y ait moins de répercussions potentielles pour ces genres de lois et de règlements au sein des pays membres.

Un autre volet de l'accord qui nous préoccupe est celui de l'expropriation. Les deux objectifs primordiaux de l'AMI consistent à s'assurer que les investisseurs étrangers sont traités équitablement, en comparaison avec les investisseurs nationaux, et à s'assurer que, lorsque des investisseurs étrangers investissent dans un pays, leur investissement est protégé contre l'expropriation. Le terme «expropriation» peut également être défini au sens étroit ou au sens large. Notre équipe de négociation est favorable à une définition très restreinte du terme «expropriation», semblable à celle du mot «investissement», ayant trait uniquement aux investissements importants en biens d'équipement et en capitaux financiers.

Il y a des termes entre parenthèses qui peuvent être interprétés comme élargissant la portée de ce que vous appelleriez une expropriation, surtout si vous avez des termes comme «délivrance de permis» et «permis» et autres dans la définition du terme «investissement». L'équipe de négociation s'efforce de restreindre les définitions des termes «investissement» et «expropriation» pour les rapprocher de celles utilisées dans l'ALENA.

La question des exceptions est un autre secteur sur lequel l'équipe se penche pour s'assurer que l'accord n'empiétera d'aucune façon sur les pouvoirs du ministre des Pêches et des Océans. À cet égard, plusieurs domaines clés et plusieurs lois canadiennes cruciales nous inquiètent.

Nous sommes préoccupés par les pouvoirs de délivrance des permis du ministre des Pêches et des Océans. Nous voulons nous assurer que le ministre des Pêches et des Océans a toute la latitude, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par le Parlement, de décider de délivrer des permis pour les activités de pêche commerciale dans la zone du Canada. Les politiques concernées limitent aux entités canadiennes l'accès aux permis de pêche commerciaux pour des quotas canadiens à l'intérieur de notre zone de 200 milles. Notre politique limite à 49 p. 100 la propriété étrangère d'une entité commerciale qui peut obtenir un permis de pêche commerciale dans les zones intérieures du Canada.

En vertu de la Loi sur la protection des pêcheries côtières, nous disposons également d'un certain nombre de mesures qui contrôlent l'accès pouvant être accordé aux pays étrangers à l'intérieur de notre zone de 200 milles. En vertu du droit de la mer, les pays côtiers sont tenus à la fois de gérer les ressources côtières dont ils ont la responsabilité et d'accorder l'accès à des pays de pêche étrangers lorsqu'il y a un excédent de ressources disponibles. Le mot «excédent» signifie que l'industrie canadienne ne peut pas, ou ne souhaite pas, exploiter une ressource halieutique dans notre zone économique exclusive. Comme les membres du comité le savent, j'en suis sûr, notre obligation consiste à offrir cet excédent de ressources et à le mettre à la disposition des pays de pêche étrangers.

Nous contrôlons la définition du mot «excédent». Nous contrôlons le genre d'accès que les compagnies de pêche étrangères peuvent avoir. Nous contrôlons les conditions qu'elles doivent respecter pour obtenir des permis. Nous contrôlons également l'accès à nos ports pour les approvisionnements et services destinés à leurs bateaux pendant qu'ils sont dans notre zone. À l'heure actuelle, la pêche étrangère est insignifiante dans les eaux canadiennes. Il n'y a principalement que deux espèces -- le merlu, à la fois le merlu argenté et le merlu du Pacifique, et le calmar -- qui sont approuvées et autorisées pour la pêche étrangère au Canada.

Pour ce qui est de la législation autorisant le ministre des Pêches et des Océans à limiter l'accès à la zone canadienne, certaines exceptions nous préoccupent. Les deux principaux points sont les pouvoirs de délivrance des permis en vertu de la Loi sur les pêches et les pouvoirs conférés par la Loi sur la protection des pêcheries côtières pour limiter l'accès et pour contrôler les compagnies de pêche étrangères qui ont délibérément accès à notre zone. Avant tout, ces exceptions permettent au gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du ministre des Pêches et des Océans, de ne pas être tenu d'accorder un traitement national ou un traitement égal à une compagnie étrangère, comparativement à une compagnie canadienne, pour ce qui est de l'accès à la ressource halieutique canadienne. C'est le facteur clé.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes ici au nom du ministère des Pêches et des Océans. Tous les ministères canadiens participent-ils aussi à la vérification ou à la surveillance de ces négociations? Y a-t-il d'autres ministères concernés et adoptent-ils tous la même position que vous? Est-ce le point de vue du Canada, pas seulement celui de votre ministère, que ces exceptions concernant un investissement et une expropriation devraient être restreintes comme elles le sont dans l'ALENA?

M. Moffat: Oui, c'est l'objectif du gouvernement du Canada dans tous les ministères fédéraux.

Le sénateur Jessiman: Cela n'affecte pas seulement les pêches, c'est une politique qui touche d'autres secteurs. Parmi les 29 États membres qui négocient en ce moment, combien seraient des pays côtiers avec des ressources halieutiques?

M. Moffat: En fait, la plupart d'entre eux. Certains des pays européens ne le sont évidemment pas, bien que quelques-uns se trouvent dans la Baltique. La plupart des États membres le sont.

Le sénateur Jessiman: Où se situent les États-Unis? J'imagine qu'ils font partie des 29, est-ce exact?

M. Moffat: Oui.

Le sénateur Jessiman: Où se situent-ils? Ils sont eux-mêmes membres de l'ALENA. Ils doivent avoir donné leur accord sur les définitions. Les ont-ils acceptées à contrecoeur et veulent-ils maintenant les élargir? Ont-ils adopté la même position que vous?

M. Moffat: À propos des définitions, la position des États-Unis est très proche de celle du Canada. Les deux pays ont proposé que les ententes de l'ALENA portant sur l'investissement constituent le point de départ et la portée de la définition dans l'Accord multilatéral sur l'investissement.

J'aimerais ajouter un autre renseignement pour répondre à votre question parce que cela pourrait être utile. Les problèmes que nous avons soulevés, qui s'appliquent spécifiquement au secteur des pêches, n'ont pas été mentionnés uniquement par le Canada. Il y a toute une liste de pays de l'OCDE qui ont exprimé des inquiétudes très semblables aux nôtres.

Le sénateur Jessiman: Parmi les 29, y aurait-il une majorité?

M. Moffat: Assurément. Je pourrais vous les énumérer.

Le sénateur Jessiman: Dites-moi ceux qui sont contre.

M. Moffat: Je vais énumérer ceux qui ont mentionné avoir des préoccupations pour le secteur des pêches et souhaitent des exceptions -- et les exceptions sont semblables aux nôtres mais pas identiques à celles que nous avons demandées: l'Australie, la Belgique, le Canada, le Danemark, la Grèce, l'Irlande, l'Islande, l'Italie, le Japon, la Corée et le Mexique. Le Japon a toute une liste d'exceptions et en donne une longue description.

Le sénateur Jessiman: Quels pays se trouvent de l'autre bord? Lesquels disent «Qu'ils aillent au diable»?

M. Moffat: Il y en a très peu. La liste continue: la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Pologne, l'Espagne, les États-Unis -- en réalité, il vaudrait mieux énumérer les autres pays, car ils sont si peu nombreux.

Le sénateur Jessiman: Le président laisse entendre qu'il y aurait seulement le Portugal et l'Espagne. Est-ce exact?

M. Moffat: L'Espagne l'a mentionné. Le Portugal non. Le Portugal, la France, l'Allemagne et l'Autriche ne l'ont pas dit. La République tchèque ne l'a pas dit mais on ne pourrait évidemment pas s'attendre à une inquiétude de sa part.

Le sénateur Jessiman: Pour obtenir un accord, vous faut-il l'unanimité ou une majorité?

M. Moffat: À l'OCDE, on fonctionne par consensus, il est donc juste de dire qu'il y a un très grand nombre de pays de l'OCDE qui ont des préoccupations très semblables à celles du Canada à propos des pêches. Dans l'exposé que nous vous avons présenté, nous avons soulevé la possibilité de négocier une exception générale avec laquelle tous les signataires seraient d'accord pour le secteur des pêches dans le domaine de la protection du droit d'un pays côtier de gérer ses propres ressources halieutiques et d'empêcher les pays étrangers d'avoir directement accès à des permis de pêche dans sa zone. C'est possible.

Nous avons soulevé cette question auprès des négociateurs; de fait, ce sont eux qui ont soulevé cette possibilité à l'origine. Ils ne peuvent pas promettre que ce sera fait, mais ils s'efforcent assurément d'obtenir une exclusion générale. À notre avis, ce serait la façon la plus efficace car une exclusion générale aurait plus de poids qu'un ensemble d'exclusions provenant de pays individuels.

Le sénateur Jessiman: Nonobstant le fait que vous négociez ces questions depuis plus de deux ans, vous dites maintenant qu'il vous faudra une année de plus pour y parvenir?

M. Moffat: L'échéance officielle est encore le mois de mai 1998 mais, en regardant simplement le document, vous constaterez qu'il y a vraiment beaucoup de sujets d'inquiétude. C'est un domaine dans lequel beaucoup de pays membres partagent une préoccupation et aimeraient avoir une exception, alors étant donné le grand nombre de points encore en litige, ce serait un travail colossal de finaliser tous les problèmes et de rédiger un document par consensus qui sera prêt pour l'approbation ministérielle en mai de cette année.

Le président: La plupart des sessions d'information portant sur l'AMI énumèrent un certain nombre de points au sujet desquels le gouvernement a exprimé publiquement une préoccupation, comme les questions culturelles, l'éducation, la santé, les services sociaux et les intérêts des autochtones et des minorités. Je crois l'avoir lu dans un certain nombre de documents présentés par le gouvernement et entendu dans des discours prononcés par le ministre.

Maintenant, le problème avec les inclusions, c'est que lorsque vous dressez une liste de sujets de préoccupation du gouvernement, il y a toujours la possibilité que les autres domaines non inclus sur la liste soient jugés insignifiants ou considérés après coup, ou soient assujettis à une négociation ou à autre chose. Autrement dit, nous n'avons pas vu les ressources marines et les ressources halieutiques être incluses comme un secteur ayant fait l'objet d'une préoccupation publique au nom du Canada, et j'aimerais savoir pourquoi un secteur aussi important, qui emploie en fait des millions de gens au Canada, n'aurait pas figuré sur la liste des domaines que le gouvernement juge importants?

M. Moffat: Je dois acquiescer. C'est très important. Le Canada a déjà présenté une série d'exceptions que nous exigeons dans le cadre de notre négociation sur l'AMI. Nous avons fait circuler les exceptions concernant les pêches que nous avons présentées. Nous avons déclaré très clairement aux autres pays négociateurs que la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection des pêcheries côtières sont des lois canadiennes pour lesquelles nous demandons et exigerons une exception face aux exigences de l'AMI. Les pêches sont donc définitivement comprises.

Les pêches, en tant que cas particulier d'un secteur des ressources naturelles, ne sont pas toujours mentionnées dans les discours et autres exposés, mais je peux absolument rassurer les membres du comité que nous avons officiellement présenté ces exceptions à la table de négociation à Paris. Le ministre du Commerce international a parlé de la nécessité de protéger les lois nationales touchant le secteur agricole pour ce qui est des offices de gestion de l'offre. Il a également parlé de la gestion des ressources épuisables et des ressources renouvelables dans le secteur des ressources dans certains de ses discours publics.

L'environnement est un autre secteur qui influe de toute évidence sur le ministère des Pêches et des Océans pour ce qui est de la conservation de l'habitat du poisson. Ces aspects sont nettement à l'avant-plan de la position du Canada.

Le président: Vous savez où je veux en venir sur ce sujet. Je n'ai ni vu ni entendu le mot «poisson» nulle part dans l'une des déclarations du ministre. Dans divers documents, déclarations et discours, on mentionne souvent l'environnement, et la liste s'allonge, mais lorsque vous présentez une liste, tout à coup les exclusions sautent aux yeux et sont au premier plan par le seul fait que ce sont des exclusions. Je souligne ce point afin que le ministre mentionne au moins le mot «poisson» dans l'un de ses prochains discours; cela ne soulèverait peut-être alors pas autant d'inquiétudes chez certains d'entre nous que c'est le cas à l'heure actuelle.

Le sénateur Stewart: Je voudrais poser une question macro-économique; c'est une question importante et je ne veux pas que quiconque se méprenne sur son sens. Étant donné qu'il s'agit d'un sujet si important, dans un certain sens je dois l'abréger et par conséquent schématiser ma position.

Au Canada, nous entendons parler de pressions qui sont exercées en vue de privatiser les pêches. Maintenant, il y a ceux qui sont mal à l'aise avec les répercussions de la privatisation; ils craignent les conséquences d'une privatisation profonde ou généralisée des pêches, à savoir que les entreprises de pêche seraient tout simplement gérées quasiment comme une usine, dans laquelle il y aurait la direction et où la plupart des gens qui étaient traditionnellement des pêcheurs indépendants seraient des employés.

Si je me tourne maintenant vers l'AMI, si je comprends bien le point de vue du gouvernement, il n'est pas disposé à avoir un AMI qui s'applique intégralement aux pêches. La raison en est -- et là je n'ai peut-être pas saisi entièrement la situation -- que l'application de l'accord aux pêches pourrait très bien signifier que les pêches seraient gérées par des employeurs étrangers et seraient exploitées strictement selon des principes commerciaux en vue de réaliser un bénéfice.

Pour poser la question brutalement du point de vue du petit pêcheur, quelle différence y a-t-il pour lui si son employeur habite dans un bel appartement à Halifax ou à Montréal ou à Toronto, d'une part, ou habite dans un bel appartement à New York d'autre part? Nous opposons-nous à l'AMI pour un motif que nous ne respectons pas lorsqu'il s'agit de nos lois et de nos politiques nationales?

M. Moffat: C'est une excellente question. Tout d'abord, à propos des pressions favorables à la privatisation des pêches au Canada, il est vrai que des tas de gens ont déclaré que le passage à des quotas individuels transférables ou à d'autres types de droits de quasi-propriété pourraient entraîner une exploitation des pêches du genre de celle que vous avez mentionnée, comme une usine avec des gestionnaires et des employés.

Toutefois, l'expérience d'autres pays qui ont implanté les droits de propriété prouve que cela ne se passe pas ainsi dans la réalité. Les droits sont conservés par ceux qui détiennent déjà actuellement des permis de pêche. C'est à eux de décider ce qu'il adviendra de ce droit. Le mouvement de privatisation n'équivaut pas forcément à une prise de contrôle de l'ensemble du secteur des pêches par d'importantes sociétés capitalistes ou de très grosses compagnies.

Les exemples de l'Islande et de la Nouvelle-Zélande en particulier démontrent qu'il est possible d'avoir une privatisation et des droits de propriété dans les pêches tout en conservant de petites entreprises de pêche locales et dynamiques et des entreprises moyennes qui fonctionnent sur une base individuelle avec un propriétaire-exploitant. C'est l'un des principaux sujets d'étude pour le comité à l'heure actuelle et je l'appuie très fortement car je pense que c'est une initiative très importante.

Quant à la question de savoir si cela fait une différence d'avoir un propriétaire étranger ou un propriétaire national d'un droit de propriété dans les pêches, la réponse est que cela fait une différence énorme. Nous savons que des entreprises de pêche étrangères aimeraient beaucoup avoir accès aux ressources halieutiques qui nagent dans notre zone de 200 milles. Les entreprises de récolte du poisson disposent d'infrastructures mobiles. Il serait donc possible pour une société étrangère, si elle venait à posséder un quota dans la zone du Canada, d'amener une partie de ce capital portatif sous la forme d'un chalutier-usine, d'attraper sa ressource avec son propre navire étranger, avec ses employés étrangers, et de quitter notre zone sans jamais débarquer ou faire escale au Canada.

C'est la différence. C'est contre cela que le droit de la mer fournit une protection C'est ce que la Loi sur la protection des pêcheries côtières et la Loi sur les pêches permettent au Canada de protéger. C'est la principale raison pour laquelle les divers pays côtiers ont identifié le secteur des pêches comme une exclusion.

Le sénateur Stewart: Pour compléter ma propre question, vous avez déclaré, dans la première partie de votre réponse, que cette situation n'aboutit pas forcément à une concentration de la propriété. Vous avez mentionné que c'est le propriétaire du droit qui peut décider si oui ou non il le vendra à un acheteur qui souhaite cumuler des droits.

Il me semble que si vous franchissez ce pas, le gouvernement et le Parlement auront remis l'avenir des pêches, incluant les mesures de privatisation, dans les mains des détenteurs des droits. Ceci mettra fin au rôle du gouvernement, à moins évidemment que la politique ne soit inversée.

Ainsi, en supposant que ce qui n'est pas nécessaire arrive, alors ma question est réactivée. J'accepte votre dernier commentaire à l'effet que certaines politiques nationales qui ne pourraient pas être appliquées aux propriétaires non canadiens de droits cumulés pourraient être imposées aux propriétaires canadiens de droits cumulés.

M. Moffat: À cet égard, c'est un volet très important sur lequel le comité doit enquêter. Il est très intéressant de voir ce qu'ont fait certains autres pays qui sont allés plus loin sur la voie des droits de propriété dans le domaine des pêches. Ils se sont préoccupés précisément de cette question. Je vous citerai deux exemples rapides qui pourront vous aider à comprendre ce qui pourrait se passer au Canada à propos des moyens dont nous disposons pour continuer à exercer un rôle de contrôle sur la mise en valeur des pêches.

En Nouvelle-Zélande, le gouvernement a pris ses distances par rapport au processus d'attribution. Le pays est passé aux quotas individuels transférables. Ces quotas étaient intégralement négociables. Ils étaient attribués aux détenteurs de permis. Les détenteurs de permis étaient libres de les vendre à qui bon leur semblait, mais ils devaient les vendre au pays à des propriétaires nationaux.

Ce qui s'est passé, cependant, c'est que le gouvernement a imposé certaines contraintes à ce processus. Ce n'était pas une liberté totale. Le gouvernement ne permettait pas de dépasser un certain pourcentage du quota total pour une espèce donnée, dans les mains d'une seule entité. Autrement dit, la concentration des entreprises était limitée. Selon le type de pêche, cette limite était fixée à 10, 20 ou 30 p. 100, selon l'ampleur de la participation des petites entreprises de pêche. Plus le secteur comportait des petites entreprises, plus le seuil de concentration des entreprises était bas. Pour certaines des pêches côtières, c'est la raison pour laquelle le seuil était fixé à 10 p. 100.

Le gouvernement a mis cette politique en vigueur; il a attribué tous les quotas qui étaient intégralement transférables, à la différence du Canada où ce n'est pas le cas pour la plupart des pêches. Ici, un quota n'est transférable que temporairement au cours d'une saison; en Nouvelle-Zélande, le transfert était intégral. Le gouvernement disposait de ces limites pour diverses pêches. Cela fait maintenant 10 ans que la politique est en vigueur et aucun des seuils maximums de concentration des entreprises n'a été atteint. Leur système a donc fonctionné.

En Islande, le gouvernement a pris un virage différent. Il est également passé aux quotas individuels transférables mais la pêche était ce que l'on appellerait semi-hauturière/hauturière. Il y avait très peu de pêche avec de petits bateaux mais il existait cependant des entreprises de pêche ayant de petites embarcations.

Les collectivités individuelles de pêcheurs étaient nerveuses car elles s'inquiétaient exactement du même problème: la concentration des entreprises. Elles s'inquiétaient parce que de grosses compagnies pourraient acheter des quotas et concentrer leur flotte dans un certain port et leur collectivité perdrait la base de sa subsistance. Le gouvernement islandais a résolu ce problème en ouvrant le processus de prise des décisions sur les politiques pour l'approbation des transferts. Ainsi, tant en Nouvelle-Zélande qu'en Islande, le gouvernement doit approuver le transfert des quotas.

Des conditions sont rattachées aux quotas, à savoir que les collectivités qui reçoivent et abandonnent les quotas et les syndicats représentant les pêcheurs de ces collectivités doivent donner leur accord sur le transfert avant que le gouvernement ne l'autorise. Dans ce cas, les collectivités individuelles avaient donc directement leur mot à dire dans le déroulement des transferts. Ce ne sont là que deux exemples d'une concentration maximale des entreprises et d'une consultation assortie d'une participation au processus décisionnel dans des collectivités en Islande. Ces deux mécanismes n'ont pas abouti à une forte concentration de grosses entreprises.

Le sénateur Stewart: Quelle est la position de l'Islande et de la Nouvelle-Zélande à l'égard de l'Accord multilatéral sur l'investissement en ce qui concerne les pêches?

M. Moffat: Ces deux pays ont exprimé des inquiétudes très semblables à celles du Canada. Ils veulent préserver leur droit d'exclure les propriétaires étrangers des permis de pêche nationaux.

J'ajoute un post-scriptum. La Nouvelle-Zélande est en train d'examiner la possibilité d'ouvrir son système de quotas individuels à des acheteurs étrangers. La décision n'a pas encore été prise. Ce sera un enjeu énorme en Nouvelle-Zélande si le gouvernement propose de le faire, mais je dois vous dire que la Nouvelle-Zélande envisage de le faire. Elle est nettement plus avancée sur la question des droits de propriété que l'Islande ou n'importe quel autre pays.

Le sénateur Jessiman: L'Islande et la Nouvelle-Zélande participent-elles à des accords de libre-échange?

M. Moffat: Oui. La Nouvelle-Zélande a évidemment un accord de libre-échange avec l'Australie. L'Islande, bien que ne faisant pas partie d'un accord de libre-échange sur les pêches, est membre de l'AELE, groupe de pays ayant un accord commercial préférentiel avec l'Union européenne.

Le sénateur Jessiman: Ces accords de libre-échange ressemblent-ils à l'ALENA?

M. Moffat: Dans le cas de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, c'est assez semblable. Dans le cas de l'AELE, cela ne va pas aussi loin. Elle réduit les tarifs douaniers et les élimine parfois, mais ce n'est pas une entente aussi vaste que l'ALENA.

Le sénateur Jessiman: Vous avez donné un exemple de restrictions pour le Canada et vous avez parlé des offices de commercialisation. Je ne suis pas un spécialiste en la matière, et de loin, mais je crois savoir que l'objectif à long terme de l'ALENA est d'éliminer ces offices de commercialisation. Que dit l'ALENA en ce qui concerne les pêches? Y a-t-il quelque chose dans l'ALENA qui stipule que nous pouvons les garder?

Selon ma compréhension du libre-échange, si vous avez un libre-échange intégral, tout le monde pourrait dire «je suis un libre-échangiste; faites comme chez vous». Le sénateur Stewart a donné l'exemple de quelqu'un qui arriverait, prendrait tout le poisson et l'emporterait, mais si nous avions l'esprit d'entreprise et si nous possédions les ressources nécessaires ici même, nous pourrions leur rendre la pareille, n'est-ce pas? C'est le libre-échange. Quelle est la vision à long terme de ces choses? Allons-nous tous imposer des restrictions dans notre propre zone et, si cela nous aide, tant mieux? Ensuite, si nous sommes vraiment de véritables libre-échangistes, nous pourrions faire mieux que n'importe qui d'autre au monde, si nous étions meilleurs, plus entreprenants, innovateurs et travailleurs. Alors allons de l'avant et ne pensons pas à être protégés. Quelle est la vision à long terme? Que voulons-nous vraiment? Notre politique est-elle telle que nous ne voulons pas vraiment être des libre-échangistes? Ou bien voulons-nous être de véritables libre-échangistes tout en souhaitant assurément que notre culture soit protégée dans une certaine mesure -- j'imagine contre les États-Unis?

M. Moffat: J'aimerais faire une réponse en deux parties. C'est un autre très bon point. Tout d'abord, je répondrai en ce qui a trait à l'Accord multilatéral sur l'investissement et ensuite je demanderai à M. Sarna de parler au sujet de l'ALENA. À propos de l'AMI, le ministre du Commerce international a déclaré clairement que l'intention du gouvernement du Canada est de rendre permanentes en tout temps les exceptions que nous présentons.

Le sénateur Jessiman: S'agit-il de l'AMI?

M. Moffat: Oui, de l'AMI. Le terme que les négociateurs utilisent est une «rétrocession», qui équivaut exactement au scénario que vous avez mentionné, dans le cadre duquel nous rétrocéderions ou réduirions nos exceptions pour finir par ne plus en avoir du tout.

Le sénateur Jessiman: Y a-t-il des pays qui adoptent ce point de vue?

M. Moffat: Certains le font.

Le sénateur Jessiman: Que font les États-Unis? Quelle est leur position?

M. Moffat: C'est une question qui est encore en discussion au sein de l'administration américaine.

Le sénateur Jessiman: Ils ne sont pas d'aussi grands libre-échangistes qu'ils estiment l'être, si je comprends bien. Ils parlent de libre-échange mais il y a beaucoup de choses pour lesquelles ils veulent également des exceptions.

M. Moffat: C'est tout à fait juste. Dans le dossier des pêches, ils sont d'accord avec le Canada pour dire que c'est un cas particulier en raison du problème que posent les entreprises de pêche étrangères. Elles peuvent arriver, prendre votre poisson et s'en aller. Si tel était le cas, ce serait un retour dans les années 60 et 70 lorsque la flotte étrangère faisait manifestement de la surpêche, par exemple sur la côte Atlantique. Je ne suis pas biologiste, je suis économiste de formation, mais j'estime qu'on ne peut pas procéder à ce niveau extrêmement élevé de pêche pendant deux ou trois décennies sans en ressentir des répercussions à long terme. Le niveau de pêche que l'on a connu au Canada après avoir déclaré notre zone des 200 milles en 1977 n'était qu'un infime pourcentage du niveau de pêche antérieur que pratiquaient ces flottes de pêche lointaine.

Alors, si nous disons que nous sommes des libre-échangistes et que nous n'aurons aucune exception dans le cas des pêches, nous reviendrons tout droit à cette situation et nous aurons des flottes énormes de chalutiers-usines écumant simplement toutes les ressources sur la côte Atlantique, et il n'y aurait aucune chance du tout pour que les ressources de poisson de fond puissent se rétablir un jour, car toute reprise légère serait immédiatement récoltée par ces navires.

Dans le cas des pêches, il faut vraiment présenter des exceptions dans le contenu de l'AMI et ailleurs pour ce qui est de l'accès des flottes étrangères dans la zone. C'est le principe du droit de la mer. Lorsque le droit de la mer a donné aux pays côtiers des responsabilités et des droits exclusifs pour gérer les ressources côtières renouvelables, les ressources marines, le principe voulait que la meilleure façon de conserver les ressources halieutiques mondiales consistait à conférer au pays côtier local le pouvoir de les conserver. Ce sont eux les plus motivés pour essayer de conserver ces stocks de poisson, parce que leurs habitants et leurs citoyens en dépendent le plus.

C'est la façon dont vous pouvez résoudre le problème des biens communs à l'échelle internationale. C'est en accordant des zones économiques exclusives. Cela résout le problème. Vous vous débarrassez de tous ces chalutiers-usines qui font de la surpêche depuis si longtemps. C'est l'approche philosophique, si vous voulez.

Dans le contexte de l'AMI lui-même, le ministre du Commerce international, qui a précisé plusieurs conditions et exigences clés du Canada, a déclaré que l'on n'exigerait pas de statu quo ou de rétrocession dans l'un de ces domaines de réserve ou d'exception, incluant les pêches. Autrement dit, il a déclaré que, dans ces secteurs, nous n'accepterions aucune restriction à notre liberté d'adopter des lois futures, ni aucun engagement d'éliminer progressivement nos politiques en conformité avec les exigences de l'AMI.

En réponse à votre question concernant l'AMI, la position du gouvernement et des négociateurs signifie donc que les exceptions que nous présentons pour le poisson sont pour toujours; elles sont permanentes.

Maintenant, vous avez également demandé ce que comporte l'ALENA pour ce qui est du poisson et de l'exclusion du poisson et s'il s'agit d'un engagement permanent ou temporaire. M. Sarna va aborder cette question.

M. Aaron Sarna, directeur, Division des relations multilatérales, Direction générale des affaires internationales, ministère des Pêches et des Océans: L'industrie canadienne de la pêche est très largement axée sur l'exportation. Sur les deux côtes, les intervenants du secteur estiment que le libre-échange est très bénéfique. Ainsi, dans tous les organismes internationaux, que ce soit l'ALENA, l'ALE ou l'OMC, nous favorisons toujours la libéralisation des obstacles au commerce. De ce point de vue là, l'objectif à long terme du gouvernement du Canada signifie que le libre-échange est bon pour le secteur des pêches.

Lorsqu'il s'est agi d'élargir le libre-échange aux biens et services et aux biens d'équipement, c'est alors que les États-Unis, le Mexique et nous-mêmes, pendant les négociations de l'ALENA, avons tiré le signal d'alarme en disant que le libre-échange posait un problème dans la gestion et la conservation des ressources naturelles comme les pêches, essentiellement parce que le noeud du problème des pêches réside dans la conservation et que nous ne voulions pas faire quoi que ce soit qui pourrait saper les politiques nationales visant à promouvoir la gestion et la conservation durables de nos ressources.

Dans le cadre des négociations de l'ALENA, les États-Unis ont donc déposé sur la table plusieurs exclusions pour la législation concernant la gestion des pêches. Il s'agissait de la Magnuson Act, de la Anti-Reflagging Act limitant la propriété des navires, de la Jones Act contrôlant le transport côtier vers l'intérieur, et de diverses autres mesures.

Le Canada s'est empressé d'en faire autant à son tour. Nous avons exclu les règlements en vertu de la Loi sur la protection des pêcheries côtières, les politiques d'accès aux ports et les politiques d'investissement concernant la propriété étrangère des permis. L'idée était qu'il s'agirait d'exceptions permanentes à long terme parce qu'elles étaient indispensables à la conservation et à la gestion des pêches nationales.

Le gouvernement a déclaré, à propos de l'AMI, que nous continuerons à demander les mêmes exceptions que nous avons dans l'ALENA pour les pêches, dans le cadre de l'AMI et de tout autre accord international.

Il y avait un code dans l'OMC appelé le Code sur les services maritimes. Les négociations concernant ce code ont été suspendues car les dispositions étaient assez controversées. Il contenait également des clauses portant sur l'accès aux ports pour les étrangers, etc. Le Canada était d'avis que si un tel code était entré en vigueur, nous aurions cherché à obtenir des exclusions pour protéger nos privilèges en matière de conservation.

Ce n'est pas ici une question d'être protectionnistes, nous sommes plutôt tous en faveur du libre-échange pour promouvoir les exportations de fruits de mer et de poisson, mais quand il s'agit de questions de conservation, le pouvoir du gouvernement d'accorder des permis à des étrangers dans notre zone...

Le sénateur Jessiman: Ne pourriez-vous pas le faire au moyen d'une entente entre les parties? Ne pourriez-vous pas le faire au lieu de dire que cela concerne les gens locaux, comme une loi au Canada ou une loi aux États-Unis ou une loi au Mexique? Vous pourriez avoir une certaine entente pour la conservation en ce qui concerne les pêches, sans la loi, et dire ensuite «Vous n'êtes pas assujettis à la loi; vous êtes assujettis à cette entente. C'est là-dessus que nous nous sommes tous entendus. Si cela arrive, nous devons tous arrêter de pêcher». Ne serait-ce pas le cas?

M. Sarna: Le cadre de base est la Convention des Nations Unis sur le droit de la mer et, pour qu'elle soit appliquée, chaque pays doit l'adopter dans sa propre législation.

Le sénateur Jessiman: Vous pourriez avoir une entente entre les trois parties à l'ALENA.

M. Sarna: Oui, mais il faut avoir un cadre réglementaire. Dans les années 80, il y avait quelques navires mexicains qui venaient au large de Terre-Neuve pour y pêcher du poisson de fond sans autorisation. Nous leur avons demandé de partir parce qu'ils ne respectaient pas le système de gestion international.

Le libre-échange est donc fantastique, mais s'il doit saper la conservation, le gouvernement dit qu'il ne peut pas aller aussi loin.

Le sénateur Butts: J'ai probablement déjà la moitié de la réponse à ma première question. Partout où vous allez, on vous demande de signer une pétition contre l'AMI. Ce que je recherche ici aujourd'hui, ce sont quelques arguments en faveur de l'AMI. Vous venez de nous parler des diverses exceptions et du reste, mais qu'est-ce qu'il fera au juste de bien pour nos pêcheurs ou notre industrie?

M. Moffat: Le principe de base visant à supprimer les contraintes fictives à l'investissement pour promouvoir la croissance économique s'applique au secteur des pêches aussi bien qu'aux autres secteurs industriels ici au Canada. Nous devenons une économie mature. Ce que cela signifie, c'est que nous n'essayons pas d'attirer des investissements étrangers au Canada simplement pour compléter la capacité d'investissement au pays. Nous sommes en train de devenir une nation qui investit considérablement à l'étranger. Il s'agit d'une progression naturelle dans le cadre de l'évolution, de l'épanouissement et de la maturation d'une économie. Ce n'est pas une mauvaise chose; c'est une bonne chose; cela prouve que l'économie canadienne devient plus forte sur la scène mondiale.

À l'heure actuelle, si nous examinons le montant total des investissements, ceux des investisseurs étrangers au Canada, ils atteignent environ 180 milliards de dollars. Chose surprenante, la valeur totale des investissements que les Canadiens ont faits dans le monde se situe à 170 milliards de dollars. L'an dernier, les étrangers ont investi 12 milliards de dollars au Canada. Le montant investi par des Canadiens ailleurs dans le monde a atteint 10 milliards de dollars -- soit presque l'équivalent des investissements arrivés au Canada.

Maintenant, dans le secteur de la pêche, on a constaté une mise en valeur incroyable de cette industrie au cours des deux ou trois dernières décennies. Le renforcement de nos entreprises de pêche a été considérable sur la scène mondiale. Au premier coup d'oeil, vous pourriez vous demander en quoi cela aide le pêcheur individuel. La conséquence, c'est que les pêcheurs doivent être capables de vendre leur poisson à quelqu'un. Ensuite, ils doivent pouvoir vendre leur poisson à un prix intéressant qui est le plus élevé possible en tenant compte des conditions du marché.

Notre secteur de la transformation, ainsi que les grandes et les petites entreprises qui vendent des produits halieutiques canadiens, ont vécu une évolution en deux temps au cours des deux ou trois dernières décennies. L'industrie avait tendance à être très axée sur la production et à exporter presque exclusivement vers le marché américain, en réalisant très peu de transformation au Canada et, en conséquence, le prix que le secteur de la transformation pouvait payer aux pêcheurs était relativement faible comparativement à son potentiel. Le premier changement a été un investissement par le secteur canadien de la pêche sur le marché américain. Au départ, cela s'est passé avant l'accord de libre-échange et nous avions à lutter contre des tarifs douaniers. Pour les contourner, nous avons investi et construit des usines de transformation aux États-Unis. Nous avions des usines au Canada et des usines de transformation aux États-Unis. Cet investissement étranger aux États-Unis a représenté un progrès important pour notre industrie. Il l'a rendu plus rentable et lui a permis de verser aux pêcheurs un prix plus élevé pour le poisson parce que l'industrie bénéficiait d'une plus grande valeur ajoutée.

Aujourd'hui, on assiste à une deuxième vague de progrès dans l'industrie de la pêche. Elle se mondialise. Presque tout le monde parle de la mondialisation et de la façon dont elle frappe durement le Canada, mais certains parlent de l'aide apportée par la mondialisation. Dans l'industrie de la pêche, notre pays est en avance sur beaucoup d'autres nations de pêche au niveau de sa mondialisation. Nous ne sommes pas encore devant les Japonais, mais nous allons chercher de la matière première à l'échelle internationale dans le monde entier, en Chine, en Norvège et en Russie. Nos compagnies achètent du poisson à ces autres nations de pêche. Nous le transformons au Canada et aux États-Unis. Parfois, nous opérons une première transformation légère en Chine et nous amenons ensuite le poisson au Canada pour sa transformation finale avant de l'exporter sur le marché américain.

Par exemple, une compagnie qui ne dispose pas de suffisamment de poisson de fond peut acheter du poisson en Russie, dans la mer de Béring, le prétransformer en Chine, le transformer davantage au Canada et l'exporter ensuite sur le marché américain. C'est une compagnie mondialisée. Il ne s'agit pas seulement de grosses sociétés mais également de petites entreprises qui font cela dans l'industrie canadienne.

Là où l'Accord multilatéral sur l'investissement intervient, c'est que les investissements étrangers de l'industrie canadienne de la pêche rapporteront de gros dividendes lorsque cet accord progressera au sein de l'OCDE et par la suite finira par progresser au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Cela signifiera, par exemple, que les investissements que l'industrie canadienne de la pêche fait en Chine -- et la Chine adhérera bientôt à l'OMC -- et en Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud, en Amérique centrale, et même un jour en Europe, rapporteront en fait de gros dividendes. Ils rendront notre industrie plus rentable, plus compétitive et plus apte à payer des prix plus élevés pour nos sources nationales d'approvisionnement.

L'avantage de l'AMI réside donc dans le fait que l'industrie canadienne de la pêche est maintenant une activité d'envergure mondiale. L'industrie canadienne investit à l'étranger. La rentabilité que cela génère dans l'industrie lui permet de mieux payer les pêcheurs, car ils savent qu'ils sont rentables. Il y a là un processus de négociation entre les syndicats et les compagnies. C'est de cette façon que l'AMI aidera l'industrie de la pêche elle-même.

Le sénateur Butts: À l'envers de la médaille, je ne suis pas un pêcheur, mais il me semble que nous sommes en train d'essayer d'empêcher les gens de pêcher notre poisson, mais au moins sur la côte Est nous leur demandons d'amener tout le poisson au Canada pour le transformer, indépendamment de la sorte de poisson. Nous ferons n'importe quoi pourvu que nous puissions obtenir les emplois et la transformation. Y a-t-il une dichotomie dans cette situation, un problème, ou bien le problème est-il seulement dans ma tête?

M. Moffat: Ce serait bien si nous pouvions être assurés que les intervenants étrangers souhaitant investir dans le secteur canadien de la récolte du poisson rapporteraient certains avantages au Canada, mais le fait est qu'ils se contenteraient d'arriver avec leurs gros bateaux, de pêcher le poisson et de repartir, procurant un avantage nul pour le Canada sur le plan de l'emploi et de l'économie. Cela ne rapporterait absolument aucun avantage économique de quelque façon que ce soit pour le Canada; il n'y aurait pas d'emplois au Canada, pas de ventes du Canada, rien; ils arriveraient, prendraient le poisson et repartiraient. Ils ne feraient même pas escale dans nos ports. Cela ne nous rapporterait rien.

Si nous savions que ces étrangers, au lieu de faire cela, investiraient plutôt au Canada, investiraient dans le secteur de la transformation, investiraient dans la construction d'une industrie plus forte ici même au Canada, si nous pouvions être assurés de cela, alors nous n'aurions aucun problème et nous serions de vrais libre-échangistes. Nous serions plus ouverts et nous n'aurions pas d'exceptions en vertu de l'AMI et nous tirerions un profit énorme de cet investissement étranger.

Toutefois, la réalité commerciale est telle que ces entreprises de pêche étrangères ont intérêt à ne pas emboîter le pas et à ne pas aider l'industrie canadienne de la pêche à devenir une puissance mondiale. Elles veulent simplement obtenir les ressources elles-mêmes et bâtir leur industrie pour devenir une puissance mondiale sur le marché du poisson. C'est la raison pour laquelle les Nations Unies sont parvenues à un accord sur le droit de la mer. La principale motivation était de conserver les ressources halieutiques mondiales en conférant aux pays côtiers le pouvoir sur la conservation des ressources et du poisson.

Toutefois, cela signifie également que vous changez les règles du jeu pour l'accès aux ressources à travers le monde. Il y a donc une dichotomie sur le plan conceptuel entre le fait de limiter l'accès au poisson, d'une part, et de libérer le plus possible les marchés pour les produits qui sont fabriqués, de l'autre. C'est incohérent à certains égards mais, sans cela, nous aurions un grave problème de surpêche des ressources mondiales et nous serions dans une situation beaucoup plus dramatique qu'à l'heure actuelle sur le plan de la conservation. C'est donc pour des raisons de conservation que nous avons besoin de ces restrictions.

Le sénateur Adams: Vous avez négocié dans d'autres pays. J'entends surtout parler aujourd'hui du poisson de fond. Parlerez-vous d'autres espèces à l'avenir? Je reviens tout juste d'une réunion du World Council on Whaling qui s'est tenue à Victoria en Colombie-Britannique il y a environ une semaine et demie. D'autres pays étaient préoccupés par les quotas sur les baleines et d'autres espèces. Négociez-vous avez d'autres pays à cet égard?

Dans l'Arctique, peut-être l'an prochain, le quota pour les Inuits sera d'un rorqual à bosse. Cela nous inquiète. Aurons-nous un quota aussi important que la Nouvelle-Zélande, l'Australie, les Philippines, le Japon, l'Islande ou le Groenland, par exemple? Les Indiens de la région de l'État de Washington auront un quota de cinq grosses baleines. Ils ne savent pas combien de temps cela durera.

Ce qui m'inquiète, c'est que le Canada a plus de mammifères marins et un océan plus vaste. D'autres pays sont également inquiets à ce sujet à l'heure actuelle, parce que beaucoup de gens ne mangent pas de poisson et bon nombre d'entre eux ne veulent pas que l'on attrape les baleines pour vendre leur chair à d'autres pays. Ce qui me préoccupe, c'est ce que les autres pays pensent de la chasse à la baleine.

M. Sarna: Les négociations ou les discussions que nous avons eues avec d'autres pays sur la chasse à la baleine, par exemple, ont été très controversées. De nombreuses personnes en Europe, et même aux États-Unis, sont d'avis que la chasse à la baleine devrait être interdite, assurément la chasse commerciale à la baleine. Ils ont même critiqué la chasse à la baleine très modeste que les autochtones pratiquent au Canada. Les États-Unis souhaitent en particulier que nous adhérions à la Convention internationale baleinière que nous considérons comme une tribune partiale contre la chasse à la baleine. Les décisions ne sont pas vraiment fondées sur des calculs scientifiques. C'est pourquoi nous essayons, tout particulièrement avec les États-Unis, de protéger nos décisions concernant la chasse à la baleine par les autochtones et d'empêcher toutes les mesures de représailles.

Nous avons également essayé au niveau de la commercialisation des produits des mammifères marins, des produits du phoque, et cetera, de trouver des marchés non exploités, comme le Japon et d'autres. Les peuples autochtones ont également discuté avec des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères de la façon d'ouvrir le marché américain aux mammifères marins du Canada, parce qu'ils en sont actuellement bannis. Ce sont toutes des questions controversées.

Il est certain que bon nombre de pays ne considèrent pas la chasse à la baleine comme une activité légitime, si bien que nous devons constamment défendre notre position.

Le sénateur Perreault: L'exposé d'aujourd'hui a été très intéressant mais nous semblons obsédés par des termes comme «investissement» et «compétence». On nous a dit que les pêches mondiales étaient en état de crise, qu'il y a un déclin d'espèces précieuses partout dans le monde. Mais bon sang, nous devrions nous pencher sur certains des problèmes environnementaux associés aux pêches et à la conservation.

Je viens de la côte Ouest. Nous éprouvons un problème grave là-bas comme vous le savez bien. Il défie la logique. Dans certains cas, il défie l'analyse scientifique. Pourtant ici, nous découpons une tarte qui pourrait disparaître. Il me semble qu'il faut préserver cette compétence. Ce sera peut-être une compétence préservée sur une très petite ressource si nous ne faisons rien à propos de la conservation. Le monde est-il conscient de l'importance de cette chose?

J'étais en Belgique lorsque nous avons livré la bataille du flétan noir. Un délégué portugais est venu me voir en me disant: «Les Espagnols ne connaissent pas le mot «conservation». Il ne se traduit pas facilement en espagnol». La conduite était presque celle d'un aventurier: «Après avoir fait un raid et une rafle dans cette pêche, nous irons ensuite ailleurs, probablement en descendant le long de la côte de l'Écosse».

Le monde aborde-t-il convenablement le problème fondamental de la conservation à l'échelle mondiale? Les protéines de poisson constituent un élément vital pour maintenir des millions de gens en vie sur cette planète, et pourtant nous semblons déconcertés par la façon dont nous sauverons la ressource. Je me rappelle d'une réunion au Woods Hole Institute il y a cinq ou six ans. Les chercheurs ne pouvaient pas l'expliquer. C'est en partie une question de surpêche, mais pas entièrement. Il se pourrait que le trou dans la couche d'ozone tue le plancton, et que le plancton ne soit pas disponible pour nourrir les poissons. Il ne semble rien y avoir dans l'exposé que vous nous avez fait aujourd'hui à propos de la conservation. Je suis persuadé que vous avez également des opinions bien arrêtées. Nous aimerions en entendre parler à un moment donné.

M. Moffat: Je suis tout à fait d'accord de mettre l'accent sur la conservation. Au ministère des Pêches et des Océans, la conservation est le mandat fondamental du secteur des pêches.

Le sénateur Perreault: D'autres pays sont-ils aussi conscients de son importance?

M. Moffat: La plupart le sont, mais pas tous. On fait face à deux séries de problèmes. Il faut que chaque pays côtier dispose de politiques et de programmes de conservation des pêches et fasse des démarches auprès de l'industrie qui assureront la conservation de ces ressources nationales. C'est la première chose.

La FAO a réalisé certains travaux importants en vue d'identifier un code de déontologie pour les pêches responsables. L'OCDE et le comité des pêches de l'OCDE évaluent à l'heure actuelle les implications économiques de cette situation sur les économies des pays membres de l'OCDE. Quels ont été les avantages économiques et les coûts économiques de la transition pour passer à ces sortes de pêches plus responsables? Les pays membres de l'OCDE sont des chefs de files mondiaux dans le domaine des pratiques raisonnables de la pêche. Ce genre de travail est en cours.

Au sein de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, nous négocions un accord de libre-échange avec tous nos partenaires du secteur des pêches, mais ce n'est pas seulement un accord de libre-échange. Il comporte également un énorme volet conservation. Nous ne nous contentons pas de libéraliser le commerce et les marchés. Nous mettons en place de nouveaux mécanismes internationaux et nationaux pour garantir la conservation.

L'une des principales réalisations à l'échelle internationale, et également du Canada, a été l'Accord de l'ONU sur la pêche qui a mis fin à certaines des échappatoires contenues dans le droit de la mer. Le Canada a été l'une des premières nations à adhérer à cette entente qui aide à garantir la conservation des stocks de poisson dans le monde entier.

Il y a encore beaucoup de pain sur la planche dans ce domaine. Par exemple, il existe des zones dans les pêcheries du monde où il n'y a aucune compétence accordée aux pays côtiers. Le système est très ouvert. N'importe qui peut y pêcher et prendre autant de poisson qu'il veut. Nous devons donc choisir certains des systèmes que des pays individuels comme le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Islande mettent en place pour essayer de mieux conserver les ressources côtières. Les droits de propriété, sur lesquels vous enquêtez à l'heure actuelle au sein de votre comité, sont l'un des concepts clés qui pourraient être utilisés à l'échelle internationale pour des secteurs dans les océans de la planète qui ne disposent pas d'un pays côtier de surveillance pour s'occuper d'eux.

Nous nous dirigeons donc assurément tout droit vers une série complète de changements sur la façon de collaborer et d'appliquer le mandat de conservation avec les gouvernements provinciaux et avec l'industrie. Nous avançons également avec d'autres pays sur la scène internationale pour essayer de mettre en place de meilleurs systèmes internationaux de conservation, non seulement pour les pays côtiers, mais en haute mer pour que la conservation soit respectée.

Je suis un économiste. Dans ma tête, la chose capitale qu'il faut accomplir consiste à s'assurer que les stimulants économiques sont bons pour la conservation. Tant et aussi longtemps que des participants individuels essaieront de capturer davantage de ressources halieutiques, soit en désobéissant aux règlements visant à conserver les ressources, soit en essayant d'obtenir des ressources qui leur sont réattribuées en provenance d'autres flottes, tant que nous resterons concentrés sur ces sortes de choses, nous n'aurons pas encore les bons stimulants. Nous devons avoir des stimulants pour que les pays individuels et les entreprises de pêche individuelles constatent qu'il est dans leur meilleur intérêt économique de conserver ces ressources dont elles dépendent.

Le travail que vous effectuez au sein de votre comité est absolument indispensable parce que vous aiderez à résoudre certaines des techniques que le gouvernement a besoin de mettre en place pour y parvenir.

Le sénateur Perreault: Il faut qu'il y ait une négociation de bonne foi. Je me souviens, au cours de négociations qui se sont déroulées en Europe, de l'un des plus brillants discours qui a été prononcé par une déléguée de l'Écosse en ces termes: «Hypocrites pieux. Certains d'entre vous ici présents construisent des bateaux de pêche comportant de fausses cales, et vous êtes dans cette salle juste en ce moment, vous qui êtes en train de faire cela».

Le point soulevé signifiait qu'il était difficile de négocier quelque chose de constructif avec des gens qui utilisent délibérément les fonds publics pour construire de tels bateaux, mais personne dans la salle ne s'est levé pour réfuter ce qu'elle avait dit. Si vous avez des personnes qui pratiquent ce genre de pêche, c'est un acte de piraterie; ce n'est pas une tentative en vue de résoudre des problèmes.

M. Moffat: C'est la raison pour laquelle l'Accord de l'ONU sur la pêche est important, ainsi que l'entente que nous avons signée avec les États-Unis après la fameuse affaire Estai, l'entente en vue de resserrer les contrôles sur la flotte étrangère ainsi que sur la flotte nationale pour s'assurer qu'elles respectent les objectifs convenus de conservation de l'OPANO, qui repose sur des données scientifiques. Ce fut un exemple d'une grande réalisation.

L'une des choses qu'ils ont constatées était précisément ce que vous dites, parce que ces fausses cales existaient bien.

Le sénateur Perreault: Connaissant la nature du problème, il est navrant d'utiliser les fonds publics pour construire des navires de cette sorte.

Le sénateur Meighen: En vue de clarifier un point découlant des questions posées par le sénateur Butts, existe-t-il quelque chose dans la tradition, ou quelque chose qui relève actuellement des exceptions que nous présentons en vertu de l'AMI, qui nous empêcherait de délivrer un permis à un étranger pour pêcher dans notre zone économique sous réserve de transformer la totalité ou une partie du poisson au Canada? Y a-t-il une restriction légale?

M. Moffat: C'est une idée intéressante. Il existe des règles du jeu portant sur le rendement. On les appelle des normes de rendement. Dans le cadre de l'AMI, il y a une section dont nous avons parlé ici même aujourd'hui qui exige que les pays ne mettent pas en place des normes de rendement imposées aux investisseurs étrangers. Autrement dit, si un investisseur étranger devait investir au Canada, et obtenir un permis de pêche et tout le reste, et si nous l'obligeons ensuite à s'engager à transformer le poisson au Canada, cet investisseur dirait qu'il s'agit d'une norme de rendement que nous lui imposons. Vous n'imposez pas forcément cette condition à vos entreprises nationales parce qu'elles effectuent une partie de leur transformation à l'étranger. Nous serions alors dans le pétrin.

Le sénateur Meighen: Vous dites «une partie»; alors, une partie de la transformation au moins est effectuée à l'étranger.

M. Sarna: J'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. Il existe certaines ententes sur la côte Est appelées ententes d'affrètement. Dans les zones très septentrionales, au nord du Labrador, les pêcheurs canadiens ne peuvent parfois pas attraper le flétan du Groenland parce qu'il se trouve à des profondeurs exigeant des engins de pêche qu'ils ne possèdent pas. Parfois donc, le gouvernement autorise des ententes d'affrètement de navires étrangers. Un navire étranger vient et prend ce flétan, par exemple, mais une condition de l'entente stipule qu'il doit le décharger au Canada et le faire transformer dans des usines canadiennes. Certaines de ces ententes sont en vigueur à l'heure actuelle.

Le sénateur Meighen: Vous n'êtes peut-être pas la bonne personne à qui poser cette question, et je n'essaie pas de faire passer quelque chose en douce, d'une façon provocante, mais êtes-vous persuadé que pour tout ce que nous négocions ici en vertu de l'AMI, nous possédons les moyens et la capacité de faire appliquer raisonnablement nos lois à l'intérieur de notre zone économique?

M. Moffat: Il vous faudrait quelqu'un du secteur de la mise en application des lois du ministère pour répondre à cette question mais, d'après ma connaissance des capacités que le Canada possède dans ce secteur, si nous ne sommes pas les meilleurs, nous sommes l'un des pays les mieux équipés pour protéger nos ressources halieutiques contre la surpêche. Je répondrais donc par l'affirmative.

Le sénateur Meighen: En parlant par pure ignorance, j'oserais dire que, si vous interrogiez 10 personnes dans la rue, leur réponse serait exactement le contraire, c'est-à-dire que nous n'avons pas la capacité de protection suffisante et que nous ne protégeons pas nos pêches. Assurément, le dossier ne corrobore pas cela.

M. Moffat: Il y a là un point très important. Le pouvoir ou la capacité de conserver les ressources halieutiques est multiplié proportionnellement. Si les détenteurs de permis et les pêcheurs qui dépendent de cette ressource sont aussi engagés envers la conservation que le gouvernement, si les gens de l'industrie se comportent d'une façon qui est dans leur intérêt personnel et dans l'intérêt économique de toutes leurs familles mais n'est pas collectivement dans l'intérêt de la ressource, et si toute la pression et tout le fardeau incombent au gouvernement, comme un grand frère, en vue de contrôler la conservation, ce n'est pas une démarche aussi efficace que d'avoir une collaboration de connivence entre les gens qui dépendent de la ressource et le gouvernement pour essayer de conserver la ressource.

C'est là que certaines des nouvelles approches que le ministère des Pêches et des Océans essaie de mettre en vigueur prennent toute leur importance, avec la collaboration de l'industrie et des provinces. Nous pouvons multiplier l'efficacité de notre capacité de mise en application par dix ou par cent si nous pouvons compter sur l'engagement des détenteurs de permis et des pêcheurs envers la conservation dans les activités de pêche quotidiennes qu'ils entreprennent. C'est l'objectif du ministère à l'heure actuelle et je pense que c'est la réponse à votre question à long terme.

Le président: Merci, monsieur Moffat. Comme vous pouvez le constater d'après les questions posées ce matin, ce fut aujourd'hui une séance extrêmement intéressante et instructive. Nous apprécions le temps que vous nous avez consacré. Ce fut très utile.

M. Moffat: Ce fut un plaisir et nous tenons assurément à vous souhaiter bonne chance avec le sujet que vous étudiez à l'heure actuelle. Ce sera un rapport très important. J'ai hâte de le lire et d'en tirer des leçons.

Le président: Vous pourriez informer le ministre du Commerce international que notre comité surveille en fait de très près ses délibérations dans le cadre de l'AMI, au cas où il ne le saurait pas. Nous allons surveiller pour nous assurer que non seulement les ressources halieutiques mais les océans eux-mêmes reçoivent le mérite qui leur est dû.

J'ai encore quelques questions à poser mais, avec votre permission, je vous les soumettrai par écrit. Si quelqu'un d'autre parmi les sénateurs a des questions, je me ferai un plaisir de les inclure dans une lettre adressée à M. Moffat.

Je demande aux membres du comité de bien vouloir rester ici. Nous allons poursuivre à huis clos pour parler un peu des travaux futurs. Merci beaucoup.

Le comité poursuit à huis clos.


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