Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Pêches
Fascicule 4 - Témoignages du 26 mars 1998
OTTAWA, le jeudi 26 mars 1998
Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, notre témoin de ce matin est M. K.F. Drinkwater, de l'Institut océanographique de Bedford. M. Drinkwater nous adressera la parole avant de nous faire une présentation vidéo à propos des sciences, domaine auquel nous ne nous sommes pas intéressés de façon précise depuis un certain temps.
M. Ken F. Drinkwater, Institut océanographique de Bedford, Pêches et Océans Canada: Mon exposé porte sur les impacts de la variabilité du climat sur les stocks de poisson, de crustacés et de coquillages du Canada atlantique. Après une brève introduction, je citerai quelques exemples d'effets environnementaux sur les pêches. Je crois comprendre que l'une des raisons qui explique que l'on m'ait invité est un article sur les tourbillons du Gulf Stream qui a paru dans The Mail-Star et dans le Chronicle-Herald de Halifax. Je dirai donc un mot des effets de ces tourbillons sur le recrutement, soit le nombre de jeunes poissons qui atteignent une taille exploitable.
Je veux également parler des effets de la température sur la croissance, ce qui, au vu des problèmes que nous avons eus dans l'industrie du poisson de fond, est important, et aussi analyser les effets de la température sur la répartition. Récemment, nous avons été témoins, à ce chapitre, d'importants changements. J'en citerai quelques exemples. Si le temps le permet, j'analyserai le rôle de l'environnement dans l'augmentation récente des prises de homard et je présenterai mon point de vue concernant le rôle de l'environnement dans l'effondrement des stocks de morue du Nord.
Je suis physicien en océanographie physique. Mon approche est axée sur le climat. C'est là mon champ d'expertise. Toutefois, j'ai, tout au long de ma carrière, été mis en relation avec les effets de l'environnement sur les pêcheries, même si je ne suis pas ichtyobiologiste.
Par «stocks de poisson» et «biomasse», nous entendons le poids total du poisson exploitable, par opposition au nombre de poissons. La biomasse croît sous l'influence de deux principaux mécanismes: la croissance -- en d'autres termes, les poissons grandissent -- ou le recrutement, c'est-à-dire l'arrivée de nouveaux poissons, habituellement jeunes, dans le stock. La biomasse diminue sous l'effet de la mortalité, et, dans les stocks commerciaux, la principale cause de mortalité est la pêche. Il existe également une mortalité naturelle imputable aux prédateurs.
Le milieu marin influe sur ces trois mécanismes: la croissance, le recrutement et, dans une moindre mesure, la mortalité adulte. Je donnerai certains exemples des effets environnementaux sur la croissance et le recrutement. Le milieu marin influe aussi sur la répartition des poissons. Ces derniers peuvent se déplacer d'un endroit à un autre. L'environnement peut aussi modifier les voies de migration des poissons. Il influe aussi sur la capacité des pêcheurs de capturer des poissons. Enfin, il peut concentrer les poissons ou leur permettre de se disperser; ce faisant, il influe sur la capacité des pêcheurs de capturer des poissons.
Dans l'article de journal auquel j'ai fait référence, on mentionne un exemple des effets sur le recrutement. Permettez-moi de vous montrer un schéma des courants de surface dans l'Atlantique nord-ouest. On y voit les courants moyens répartis sur une longue période. Le long de la plate-forme continentale, ils se déplacent essentiellement du nord vers le sud. Au large, le courant dominant est le Gulf Stream. La plupart d'entre vous en avez probablement entendu parler. Il s'agit d'un courant profond qui charrie jusque dans notre région les eaux tempérées venues du Sud. Il se divise près de la Queue du Grand Banc, pour se diriger en partie vers le sud et en partie vers le nord. La ramification qui s'oriente vers le nord se rend jusqu'en Europe, ce qui explique pourquoi le climat de ces régions est tempéré, même à des latitudes relativement élevées.
Le Gulf Stream fait des méandres. Il n'a pas d'emplacement fixe. Il se comporte un peu comme un ruisseau ou une rivière. Les rivières se déplacent passablement; si on pouvait observer une rivière pendant un temps géologique, on constaterait qu'elle se déplace au fil du temps. Rien ne retient le Gulf Stream à un endroit donné, de sorte qu'il se déplace. Ces mouvements sont appelés «méandres».
Que se passe-t-il lorsque le Gulf Stream fait des méandres? Parfois, ces derniers font des boucles et s'interrompent. Nous avons ici un diagramme du Gulf Stream. L'échelle est indiquée tout en bas. Elle est de 300 kilomètres ou environ, de sorte que ces méandres sont relativement importants. Au nord du Gulf Stream, on retrouve ce que nous appelons les eaux de pente. C'est l'eau qu'on retrouve entre la plate-forme et le Gulf Stream. Au sud du Gulf Stream, on retrouve la mer des Sargasses. L'eau qu'on retrouve dans le nord est plus froide. L'eau de la mer des Sargasses est un peu plus fraîche que celle du Gulf Stream, mais elle est malgré tout relativement tempérée.
Ces méandres forment parfois des boucles assez serrées qui en viennent à se briser et à se détacher du Gulf Stream. On les appelle les tourbillons ou les anneaux du Gulf Stream. Ceux qui se déplacent vers le nord sont appelés «anneau à noyau chaud» parce qu'ils sont plus chauds que les eaux de pente environnantes. Au sud, les boucles emprisonnent en leur milieu des eaux de pente froides. Ces anneaux à noyau froid se déplacent vers le sud du Gulf Stream.
On le voit dans les images infrarouges produites par satellite. On y voit de fausses couleurs, qui représentent différentes températures. On y représente la région qui va de la Floride jusqu'à la Nouvelle-Écosse, et les rouges qu'on aperçoit ici, en bas, correspondent à des températures de 20 degrés et plus. Nous pouvons suivre la piste du Gulf Stream au fur et à mesure qu'il remonte le long de la côte. Il remonte, et on aperçoit ici un méandre, qui se déplace dans cette direction. Il y a aussi ces anneaux. Nous voyons ici un anneau à noyau chaud. Il ne s'est pas encore détaché du Gulf Stream, mais il le fera probablement. Il y a aussi un anneau à noyau froid qui s'est déplacé au sud du courant.
L'autre image par satellite des températures en juin montre le Gulf Stream et un tourbillon à noyau chaud bien distinct, qui s'est détaché du courant, tout juste au sud de Cape Cod. On le voit très bien sur l'image. Pour la même date, nous disposons ici aussi d'une image en couleur, établie en fonction de la quantité de chlorophylle qu'on retrouve dans l'eau. La couleur bleue signifie qu'il y a moins de chlorophylle dans l'eau, moins de productivité. La couleur rouge signifie que la concentration de chlorophylle est très élevée. Il y a donc beaucoup de chlorophylle dans les régions côtières, et nous apercevons aussi essentiellement le contour du Banc Georges, ou la production est très forte. On peut considérer l'anneau comme un cercle de chlorophylle. Le phénomène s'explique par le fait que la productivité est moindre dans les eaux de la mer des Sargasses et du Gulf Stream que dans celles des eaux de pente et de plate-forme. Si je vous montre cette image, c'est pour vous indiquer que la faune et la flore se déplacent avec ces anneaux.
Que se produit-il lorsque les anneaux remontent contre la plate-forme continentale? La profondeur du Gulf Stream est de 1 000 mètres ou plus. Ces anneaux sont à peu près de la même profondeur. La plate-forme continentale a une profondeur d'environ 200 mètres. Les anneaux sont comme une toupie. Le sommet et la base du tourbillon ne peuvent être séparés. Sur le plan dynamique, ils sont indissociables. Lorsque l'anneau arrive à la hauteur de la plate-forme continentale, il s'y heurte, mais ne peut y monter.
Il tourbillonne donc sur place et, parce qu'il tourbillonne, il entraîne de l'eau ou tire de l'eau de plate-forme vers la région des eaux de pente.
Le diagramme suivant montre certains travaux effectués par un de mes collègues, Ron Trites, au début des années 1980. Dans cette image, on voit la Nouvelle-Écosse, la côte du Maine et le rebord de la plate-forme. La ligne bleue ici représente le prolongement des eaux de plate-forme, et la ligne rouge représente le Gulf Stream. On y retrouve des schémas de la température en surface à proximité de la Nouvelle-Écosse, à partir des images thermiques que je vous ai montrées auparavant. On observe trois tourbillons distincts.
L'eau de plate-forme est aspirée par l'un des tourbillons. Elle s'enroule autour des tourbillons et est tirée de la plate-forme vers la région des eaux de pente. Cette étude avait ceci d'intéressant qu'on a eu recours, en même temps, à des balises itinérantes. Leurs positions ont été suivies par satellite et, au fil du temps, on a été en mesure de suivre leurs déplacements. Je les ai indiqués en vert.
L'une des bouées se déplace autour du tourbillon. Ainsi, elle se déplace dans la direction à laquelle nous nous serions attendus, compte tenu de la seule image thermique. Une autre bouée est aspirée dans les eaux de pente par le Gulf Stream lui-même.
Ainsi donc, ces tourbillons ont un effet important sur la plate-forme, dans la mesure où ils entraînent le déplacement au large des eaux de plate-forme. Les eaux de plate-forme qui se déplacent vers le large doivent être remplacées. Parfois, les eaux de pente sont poussées sur la plate-forme. Parfois encore, une partie des eaux des tourbillons eux-mêmes se détacheront et viendront combler le vide. La flore et la faune associées à ces eaux feront également leur entrée sur la plate-forme.
En Nouvelle-Écosse, il arrive souvent qu'on fasse état de la découverte d'espèces non indigènes dans la région -- par exemple les hippocampes. C'est ce phénomène qui explique l'arrivée dans nos eaux de bon nombre de ces espèces.
De la même façon, les tourbillons à noyau froid que nous apercevons dans certaines des images produites par satellite entraîneront les espèces arctiques venues des eaux du nord beaucoup plus loin vers le sud que là où on les retrouve normalement. Tôt ou tard, elles meurent.
Mais revenons à la plate-forme: parce que certaines des eaux de plate-forme sont drainées vers le large, on a, dans les années 80, laissé entendre que les oeufs et les larves qu'on y retrouve, parce qu'ils seront déplacés de la plate-forme vers les eaux de pente, sont perdus pour la population. Par conséquent, le recrutement ou le nombre de jeunes poissons qui atteindront une taille exploitable devrait être réduit.
M. Ram Myers, un de mes collègues qui travaille aujourd'hui à Dalhousie, et moi avons signé une étude il y a 10 ans. Nous avons étudié l'hypothèse selon laquelle la présence de ces anneaux du Gulf Stream entraîne une réduction du recrutement des stocks de poisson de fond. Nous avons examiné le nombre d'anneaux présents pendant la période où nous pouvions nous attendre à constater la présence d'oeufs et de larves dans l'eau, et nous avons examiné la distance à laquelle les anneaux se trouvaient en haute mer, parce que plus les anneaux sont près de la plate-forme, et plus on peut s'attendre à ce que des eaux de plate-forme soient drainées. À partir de ces deux éléments, nous avons produit un indice des anneaux pour des espèces précises.
Nous avons constaté une corrélation négative entre l'indice et 14 des 17 poissons de fond que nous avons étudiés.
Le président: Qu'est-ce qu'une corrélation négative?
M. Drinkwater: Il y a corrélation négative parce que, s'il y a plus d'anneaux dans la région où les poissons fraient et que les anneaux sont plus rapprochés de la plate-forme, le recrutement est réduit. Voici un exemple. Nous nous sommes penchés sur le cas de 17 stocks. Les espèces étaient la morue, l'aiglefin, la goberge, le sébaste et la limande à queue jaune. Leur aire de répartition s'étendait de la Queue du Grand Banc au Banc Georges. Lorsque nous avons entrepris l'analyse, Ram et moi pensions en fait qu'il n'y aurait pas de lien.
Pour de nombreux stocks, les corrélations n'étaient pas fortes, mais, dans 14 cas, elles étaient négatives. En l'absence de liens entre les anneaux et le recrutement, on aurait pu s'attendre à ce que les corrélations soient négatives et positives dans la moitié des cas, suivant la loi du hasard. Le fait que la plupart des corrélations aient été négatives nous a montré qu'il existe bel et bien un effet. Ce n'est pas un effet marqué, certes, mais il y en a bel et bien un.
Lorsque, en fait, nous avons étudié la situation plus en détail, nous avons constaté que le recrutement d'une classe annuelle donnée était toujours limitée lorsque, en présence d'oeufs et de larves dans l'eau, l'activité des anneaux est forte. En revanche, le recrutement pouvait être faible, que les anneaux soient nombreux ou non. Il en est donc ressorti que d'autres facteurs influaient sur le recrutement et le limitait. Les anneaux avaient un effet, mais ils n'étaient pas dominants.
Le sénateur Stewart: Comment expliquez-vous les trois exceptions qu'on retrouve du côté gauche, soit «Y», «C» et «C'» -- c'est-à-dire les corrélations positives?
M. Drinkwater: Notre impression est que le recrutement n'est pas dominé par ce mécanisme, de sorte qu'on est en droit de s'attendre à ce que d'autres mécanismes aient pour effet de limiter le recrutement.
Le sénateur Stewart: Prenons le cas de la morue. Pour certains stocks, on constate de fortes corrélations négatives, et pour d'autres, de fortes corrélations positives. Ai-je raison de penser qu'elles se trouvent dans des régions différentes?
M. Drinkwater: Oui, celle-ci se trouve sur le Banc Georges, et celle-ci, sur le banc de Browns. C'est sur le Banc de Saint-Pierre qu'on observe la corrélation négative la plus marquée. Pour ce qui est des stocks du Nord, il semble donc y avoir une corrélation négative plus forte que dans le sud.
Le sénateur Stewart: La corrélation négative s'accroît à mesure qu'on va vers le nord?
M. Drinkwater: Pour les espèces de morue, il semble bien que ce soit le cas. On dispose de peu de données ou d'observations sur les oeufs et les larves des espèces de la plate-forme entraînés dans les eaux du large. En 1991, nous étudiions la morue du banc de l'Ouest. À l'époque, il était entendu qu'un frai avait lieu au printemps et à l'automne sur le banc de l'Ouest -- c'est-à-dire dans cette région. Nous nous y sommes rendus au printemps, en quête de larves de morue, mais nous n'en avons pas trouvé. À l'époque, l'activité des anneaux était très élevée. C'était en avril 1991. Nous avons alors pensé que l'une des raisons qui expliquaient l'absence de larves était qu'elles avaient été entraînées au large par les anneaux; nous nous sommes donc rendus en haute mer pour effectuer des échantillonnages dans la région voisine de l'île de Sable. Nous n'y avons pas trouvé de larves de morue, mais nous y avons trouvé des larves de sébaste. Les sébastes fraient le long du rebord de la plate-forme au printemps puis, au fur et à mesure que l'été avance, ils se reproduisent plus près du rivage. Nous nous sommes donc demandé dans quel état se trouvaient ces larves par rapport à celles qu'on retrouvait sur la plate-forme.
Le diagramme suivant montre la quantité de larves de sébaste en fonction de la profondeur et de la température. On constate que la plupart des larves de sébaste se retrouvent dans la portion supérieure du graphique, soit dans la première tranche de 30 ou 40 mètres, à des températures de 2 à 5 degrés C. Ce sont les eaux de plate-forme. Nous trouvions donc des sébastes au large, mais dans les eaux de plate-forme. Nous n'en trouvions pas dans les eaux de pente plus tempérées.
Nous voulions voir si les larves se trouvant au large étaient en bon état. Une des mesures utilisées à cette fin est la taille par rapport au poids; si les larves sont plus grosses, elles sont en meilleur état. Nous avons établi la corrélation moyenne entre le poids et la taille dans toute la région, prélevant des échantillons au large et sur la plate-forme. Nous voulions voir si les larves se trouvant au large étaient en meilleur état ou en plus mauvais état par rapport à la moyenne générale.
Au large, les larves étaient plus nombreuses, mais leur poids était inférieur à la moyenne, tandis que sur le banc de l'Ouest, sur la plate-forme, la plupart des larves avaient un poids supérieur à la moyenne. Il en ressort que les larves qu'on retrouve sur la plate-forme sont en meilleur état que celles qui sont au large. Voilà qui laisse entendre que celles qui sont déplacées vers le large n'obtiennent probablement pas autant de nourriture. Certes, plus longtemps elles demeurent au large et plus leur état se détériorera, et plus elles risquent de mourir. En d'autres termes, la réduction des sources d'alimentation est l'un des facteurs pouvant expliquer la disparition des larves et le fléchissement de leur recrutement.
Les chocs thermiques constituent un autre facteur. Par exemple, à cette époque de l'année, les eaux de la plate-forme sont à 4 degrés Celsius, et la température des eaux du large va de 8 à 10 degrés. Sur quelques kilomètres, il s'agit donc d'une différence de 4 à 6 degrés, ce qui est très marqué. Si les larves sont habituées à une température à une température de 4 degrés et que, soudainement, elles se retrouvent à des températures deux fois plus élevées, elles éprouveront des difficultés.
Sur ce transparent, on voit l'activité des anneaux et les caractéristiques de l'entraînement pour la période du 22 avril au 8 mai, au cours de laquelle nous avons prélevé des échantillons. La plupart des échantillons ont été prélevés tout juste au sud de l'île de Sable. Par moments, particulièrement autour du 1er mai, certaines de ces eaux sont entraînées encore plus loin au large.
Si on examine les caractéristiques de l'entraînement, on constate qu'elles varient beaucoup au cours de périodes relativement courtes, et, autour du 8 mai, il ne fait aucun doute qu'elles ont entièrement disparu. Ainsi, au cours d'une période très brève, les eaux de plates-formes sont donc déplacées vers les eaux de pente et s'y mélangent. Ces larves peuvent ainsi passer d'eaux d'une température de 4 degrés Celsius à des eaux d'une température de 8 degrés Celsius, en deux ou trois semaines, et probablement beaucoup moins. Il en résulte un choc thermique qui peut entraîner leur mort.
En fait, on a, au début des années 1950, publié un article montrant que des morues mouraient de la sorte près du Banc Georges.
En résumé, certaines données laissent entendre que la recrudescence de l'activité des anneaux à noyau chaud provoque une réduction du recrutement dans quelques espèces de poissons de fond, et on pense que le phénomène est imputable à une augmentation des déplacements vers le large, où les individus meurent en raison d'un choc thermique, de réduction des sources d'alimentation ou de leur incapacité de regagner la plate-forme après leur métamorphose, c'est-à-dire au moment où ils sont prêts à descendre au fond de l'océan. Si elles veulent descendre au fond de l'océan et qu'elles se trouvent dans des eaux de plus de 4 000 mètres, elles n'y parviendront pas. Elles doivent être sur la plate-forme. Celles qui se trouvent au large ne sont pas en mesure de revenir sur la plate-forme pour s'y métamorphoser.
Le sénateur Stewart: Qu'entendez-vous par «métamorphose»?
M. Drinkwater: C'est le processus au terme duquel les morues sont prêtes à quitter le stade larvaire pour passer au stade juvénile. Au stade larvaire, elles sont près de la surface de l'océan. On les trouve dans la première tranche de 30 mètres environ, et, après leur métamorphose, elles descendent au fond.
Lorsque l'activité des anneaux est forte, le taux de recrutement n'est jamais élevé, mais il arrive que le recrutement soit faible, que les anneaux soient nombreux ou non. Voilà qui laisse entendre que d'autres mécanismes influent aussi sur le recrutement. Enfin, des études sur le terrain ont produit des données relatives à l'entraînement au large de larves de sébaste. Elles sont en moins bon état, ce qui confirme l'hypothèse que Ram et moi avons étudiée dans le premier article.
Le sénateur Stewart: Vous avez dit qu'elles descendent au fond de l'eau. Il faut donc en conclure que les larves sont à la surface de l'eau et que, une fois métamorphosées, elles descendent dans l'eau profonde, n'est-ce pas?
M. Drinkwater: Oui. Nous ne nous sommes intéressés qu'à des espèces de poissons de fond: une fois qu'elles ont terminé leur stade larvaire, elles restent au fond de l'eau.
Le sénateur Jessiman: Ce que vous dites, c'est que plus l'activité des anneaux est forte, et moins les poissons sont nombreux?
M. Drinkwater: Les moins jeunes atteindront peut-être une taille exploitable.
Le sénateur Jessiman: Dans une perspective historique, savez-vous si l'activité des anneaux est aujourd'hui plus forte qu'auparavant? Si oui, pourquoi?
M. Drinkwater: Nous n'avons pas fait une telle estimation. L'étude que Ram et moi avons effectuée date de 10 ans. Nous nous affairons aujourd'hui à la mettre à jour. Nous n'avons pas encore terminé.
Le sénateur Jessiman: Cherchez-vous à déterminer si l'activité est la même qu'il y a 10 ans, plus grande ou moins grande, et pourquoi?
M. Drinkwater: Oui. Nous savons que le Gulf Stream se déplace. Nous avons observé des modifications à long terme ou à faible fréquence de sa position. Au début des années 80, par exemple, il se trouvait plus au large. Tout au long des années 80 jusque dans les années 90, il s'est rapproché du littoral. Selon les données les plus récentes à notre disposition, il a entrepris de s'éloigner de nouveau. Peut-être ces mouvements sont-ils associés à l'importance de l'activité des anneaux. Nous étudions cette hypothèse, mais nous ne l'avons pas analysée en détail. Ce que nous devons faire, c'est accumuler les données disponibles depuis l'étude que nous avons réalisée antérieurement, soit pour une période de 10 ans. Nous obtiendrons les données relatives au recrutement de chacune des espèces, de chacun des stocks que nous avons étudiés, nous produirons notre index des anneaux en fonction de chacun des stocks et nous referons l'analyse pour déterminer si nos résultats antérieurs se vérifient encore aujourd'hui.
Je ne crois pas que ce soit ce processus qui ait entraîné l'effondrement des stocks de morue sur la Plate-forme Scotian, par exemple. C'est possible, mais je ne pense pas que les anneaux aient joué un rôle de premier plan. S'il existe une corrélation entre le recrutement et les anneaux, mais qu'il ne s'agit pas d'un facteur dominant au chapitre de la limitation du recrutement et qu'il existe un autre facteur dominant, il se révèle souvent difficile de prouver l'existence de corrélations entre le recrutement et les mécanismes non dominants comme l'activité des anneaux.
Je veux rapidement dire un mot des effets de l'environnement sur la croissance, en particulier la température. Ce tableau est tiré d'une étude réalisée par Keith Brander. Il s'est penché sur tous les stocks de morue de l'Atlantique Nord. Dans le diagramme qui figure dans la partition supérieure, les barres représentent les captures de morue pour divers stocks. La plupart des captures de morue proviennent de l'Atlantique Nord-Est. La morue du Nord a été le stock le plus important. De toute évidence, ces données ont été colligées avant le moratoire.
Keith Brander a étudié le poids d'une morue de quatre ans en relation avec la température au fond. Le poids est positionné sur une échelle logarithmique naturelle telle qu'une valeur de un représente une augmentation de la taille qui va plus que du simple au double. Nous constatons que c'est dans l'Atlantique Nord-Est qu'on retrouve les morues les plus grosses. Une bonne partie des stocks canadiens se retrouvent dans la portion inférieure, c'est-à-dire là où se retrouvent les morues les plus petites. Nous avons peu de stock ici, au milieu de la fourchette de dimensions, c'est-à-dire ceux qu'on retrouve entre le Banc de Browns et le Banc Georges.
Au tableau suivant, la situation est mieux représentée sur le plan visuel: on y présente la taille relative d'une morue de quatre ans, du Banc Georges jusqu'à la baie de Sidney. La taille des morues du même âge varie d'un facteur de deux environ. C'est dans les eaux les plus tempérées qu'on retrouve les morues les plus grosses.
La température peut expliquer les écarts entre les taux de croissance des morues qu'on retrouve dans différents stocks, mais elle peut aussi expliquer en partie la variabilité annuelle de la croissance d'un stock donné. Par exemple, le stock de la partie nord-est de la Plate-forme Scotian a été étudiée par Steve Campana et ses collègues; ils ont montré que la température pouvait expliquer 50 p. 100 des modifications annuelles observées dans la taille d'une morue de huit ans.
Depuis le milieu des années 1980, on a été témoin d'une diminution des taux de croissance des morues de la Plate-forme Scotian. En même temps, la région a fait l'objet d'un apport d'eau très froide. Or, ce n'est pas que chez les morues qu'on observe des modifications radicales de la taille. On peut en dire autant de l'aiglefin. Depuis 1985, la taille des aiglefins plus vieux est passée, au cours d'une période de dix ans, d'une taille moyenne d'environ 65 centimètres à quelque 45 centimètres, pour des individus du même âge. Il s'agit là d'un changement spectaculaire.
Nous parlons habituellement de la biomasse des stocks, comme je l'ai dit dans l'introduction. Quand la taille des poissons est faible, à nombre égal, la biomasse est grandement réduite en raison de la modification des taux de croissance.
Le phénomène de la croissance qui dépend de la température n'est pas propre à la Plate-forme Scotian: on l'observe aussi au large de Terre-Neuve. Dans certaines études qu'on y a réalisées, on s'est penché non pas sur la température en soi, mais bien sur ce que nous appelons la couche intermédiaire froide. Sur la Plate-forme, les eaux, en hiver, sont très froides. En fait, leur température chute à -1_ C. En été, les eaux superficielles se tempèrent. Sous cette couche, elles demeurent toutefois très froides. Près du fond, les eaux sont plus tempérées parce qu'elles viennent du large. Ainsi, les eaux qu'on retrouve aux profondeurs intermédiaires sont plus froides que celles qu'on retrouve au-dessus d'elles et sous elles, d'où l'expression «couche intermédiaire froide».
La quantité d'eau que renferme la couche intermédiaire froide, que permettent de mesurer les températures inférieures à 0 degré C, varie d'année en année. Par exemple, au large de la baie de Bonavista, au nord-est de Terre-Neuve, il y avait beaucoup plus d'eau froide en 1991 qu'en 1965.
Le diagramme suivant permet d'établir une comparaison entre la superficie de cette couche intermédiaire froide et la croissance des morues dans la zone 2J, qui se trouve au sud du Labrador (zones 3K et 3L).
Du milieu ou de la fin des années 1970 jusqu'à la fin des années 80, on observe un déclin marqué de la croissance des morues de la zone 2J, soit environ 50 p. 100. La superficie de la couche intermédiaire froide peut expliquer 50 p. 100 des modifications du taux de croissance de la morue du Nord pendant cette période. La température a incontestablement un effet sur les taux de croissance.
J'aimerais maintenant présenter certaines informations sur la répartition. Le capelan est un poisson d'eau froide et la principale source d'alimentation de la morue, au moins pour ce qui est de la morue du Nord. C'est au large du nord de Terre-Neuve qu'on retrouve le stock principal; il existe aussi des stocks dans le nord du golfe du Saint-Laurent et au sud-est des Grands Bancs, près de la pointe.
Au milieu des années 1980, c'est-à-dire au moment où l'eau froide s'est déplacée vers la partie nord-est de la Plate-forme Scotian, ce qui a entraîné une diminution d'environ 1 degré, nous avons commencé à trouver des capelans dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian.
Si nous devions positionner le nombre de capelans présents dans la région à la fin des années 70 et au début des années 80, on n'en retrouverait aucun sur la Plate-forme Scotian. Dans le relevé suivant, on dénote une augmentation spectaculaire des prises de capelan pendant les campagnes d'évaluation du printemps et de l'été. Par rapport aux faibles taux de capture des années 70, les taux de capture élevés des années 90 sont environ 100 fois supérieurs. Au fur et à mesure que les températures diminuent, le nombre de capelans augmente de façon spectaculaire. Les températures sont demeurées froides, et les capelans sont restés dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian.
Il est intéressant de noter que les températures, pendant une période antérieure, se sont refroidies et que le capelan a fait son apparition. On a certes été témoin d'une modification de la répartition du capelan sur la Plate-forme Scotian.
Voici un autre exemple des transformations observées dans la répartition au large de Terre-Neuve. On a montré qu'un indice des températures relevées dans une station près de St. John's était représentatif de toute la région de la Plate-forme. Dans les années 60, les températures étaient relativement douces. Elles ont diminué jusqu'au début des années 90. Depuis, elles ont remonté quelque peu, mais on a incontestablement assisté à un déclin marqué.
Pendant la période où les températures ont diminué, la répartition de quelques espèces s'est transformée. La morue polaire, qui est plus petite que la morue de l'Atlantique et n'est certainement pas aussi importante sur le plan commercial, a connu un changement plutôt radical. Dans les années 70, l'espèce se concentrait principalement au nord du Labrador, et on en retrouvait un peu sur les Grands Bancs, mais pas beaucoup. C'était à la fin des années 70. À la fin des années 80, les morues polaires demeuraient présentes en grand nombre au nord du Labrador, mais elles ont poussé vers le sud. Plus l'eau s'est refroidie, et plus elles étaient présentes en grand nombre plus loin vers le sud. Pendant la période la plus froide du début des années 90, leur incursion vers le sud a atteint son point culminant. Elles sont aujourd'hui fermement implantées dans la partie nord des Grands Bancs. Elles ont aussi poussé une pointe jusque dans la partie nord du golfe du Saint-Laurent. Il s'agit à n'en pas douter d'une modification radicale de la répartition de la morue polaire. Voilà qui met un terme aux illustrations que je voulais fournir des effets généraux de l'environnement sur les poissons. Je veux maintenant vous parler du homard et de la morue du Nord.
Voici un schéma illustrant les prises de homard débarquées dans la région atlantique du Canada. Nous constatons que, au moment de l'ouverture de la pêche, soit vers la fin des années 1880, le nombre de captures était très élevé. Il a chuté au début des années 1900. On pense que le phénomène est imputable au fait qu'on a récolté le surplus, les homards de grande taille. La pêcherie est alors parvenue à ce que certains considèrent comme une période de rendement équilibré, soit environ 20 000 tonnes métriques.
Dans les années 80, cependant, le nombre de prises est monté en flèche, et il a continué d'augmenter jusqu'à la fin de la décennie et au début des années 90. Depuis, il diminue lentement.
Les quantités débarquées observées en divers lieux, de Terre-Neuve jusqu'au Rhode Island, montrent que, dans cette région, presque tous les secteurs ont connu une augmentation extraordinaire du nombre de homards capturés. Dans la plupart des cas, on a atteint des niveaux sans précédent. La seule exception a été le comté de Guysborough et les comtés avoisinants, le long de la côte atlantique de la Nouvelle-Écosse, où le nombre de captures a augmenté, sans toutefois s'approcher des plus hauts niveaux historiques, tant s'en faut.
Le sénateur Stewart: Lorsque je siégeais à la Chambre des communes, je représentais Antigonish, mais aussi le comté de Guysborough. Au début des années 1960, on m'a dit que la pêche au homard le long de la partie est du littoral de Guysborough, disons la baie Chédabouctou, tout juste à l'est de la levée de Canso, avait été relativement bonne, mais après il y a eu un fléchissement. Aujourd'hui, la sagesse locale, qui s'exprime sur les quais, est que la baisse, particulièrement dans la région de la baie Chédabouctou, a été imputable à l'aménagement de la levée de Canso. Auparavant, les eaux tempérées du Golfe charriaient les larves jusque dans les eaux froides de l'Atlantique, mais, une fois la levée aménagée, la migration naturelle des larves a pris fin, de sorte que le homard a pratiquement disparu de la baie Chédabouctou. Dans le comté de Guysborough, les taux de capture de homard ont diminué, mais la levée a été inaugurée en 1955 environ. Avec un peu d'imagination, pourrait-on établir un lien entre, d'une part, la sagesse populaire qui s'exprime sur les quais et, d'autre part, votre graphique?
M. Drinkwater: Oui, c'est possible. En fait, un collègue et moi avons examiné cette question. Au début des années 80 ou à la fin des années 70, on a organisé un atelier sur cette question à St. Andrews. Le débat a été animé. Des scientifiques ont défendu des points de vue opposés, certains affirmant qu'il y avait eu un effet, d'autres, qu'il n'y en avait pas eu.
Depuis, nous avons fait une estimation de la concentration des larves de homard dans la baie St-Georges, au nord de la levée, ainsi que des débits entre la baie St-Georges et la baie Chédabouctou, et il y avait un débit moyen entre le Golfe et l'Atlantique en raison de légers écarts dans le niveau de la mer. Nous avons alors évalué le nombre de larves qui parviendraient à effectuer le passage et établi certains modèles quant au nombre de pertes imputables à la mortalité. Nous en sommes venus à la conclusion qu'il y avait bel et bien eu un effet pouvant avoir contribué au déclin. On a publié un article faisant état de ces résultats. Si vous le souhaitez, je peux vous en faire parvenir une copie.
Le sénateur Stewart: Il est bon de savoir que la sagesse populaire était dans le vrai.
Le président: Oui, s'il vous plaît, faites-nous parvenir l'article, et nous en distribuerons une copie. L'article devrait figurer au compte rendu du comité.
Le sénateur Meighen: À propos de la question des prises débarquées -- mes souvenirs à ce sujet viennent d'articles de journaux que j'ai lus --, est-il vrai qu'on a, dans les années 1960 ou 1970, créé une pêche au homard en eau profonde sur la plate-forme plutôt que sur le littoral? Le phénomène n'explique-t-il pas en partie l'augmentation du nombre de prises?
M. Drinkwater: Oui, mais jusqu'à un certain point seulement. Il y a eu une augmentation des captures au large. Au Canada, on a certes limité le nombre de permis de pêche en haute mer parce que, selon certains, les homards qu'on retrouve en haute mer régénèrent la population de homards sur la côte. Sur le Banc Georges, il existe une pêche en haute mer et, de fait, on a élargi la pêche pour englober des territoires traditionnellement non exploités, ce qui explique en partie l'augmentation. Mais nous ne pensons pas que cela explique tout le phénomène.
Le sénateur Stewart: Avant que vous ne poursuiviez, nous avons parlé de l'exception du comté de Guysborough. Pourriez-vous répéter comment vous expliquez les augmentations dans d'autres secteurs?
M. Drinkwater: J'y viens. Lorsque, dans un premier temps, des scientifiques ont constaté l'augmentation généralisée de Terre-Neuve jusqu'à la Middle Atlantic Bight, ils ont compris que ce n'était manifestement pas sous l'effet des règlements, puisque ces derniers varient. Au départ, ils ont pensé qu'il s'agissait probablement d'un effet de l'environnement. Ils se sont dit que c'était peut-être la température qui changeait parce que, par le passé, les auteurs d'études réalisées dans au moins trois secteurs différents en étaient tous venus à la même conclusion: lorsque les températures augmentent, le nombre de homards capturés tend à augmenter.
Nous avons décidé de nous pencher sur cette question. Nous avons extrapolé les corrélations antérieures pour voir si elles permettaient de prévoir une augmentation de cette ampleur. Le cas échéant, on aurait disposé d'un argument selon lequel c'est la température qui aurait été en cause.
Nous avons procédé ainsi dans trois secteurs différents, le golfe du Maine, la côte de la Nouvelle-Écosse et le plateau Madelinien. Je vais vous montrer les résultats pour le plateau Madelinien. Les résultats obtenus dans les trois secteurs sont exactement les mêmes. Nous avons prévu les captures de homard à la lumière des températures recensées dans une étude antérieure qui portait sur des données allant des années 1940 jusqu'au début des années 70. Nous avons alors utilisé des températures récentes pour prévoir les captures de homard dans les années 1980 et 1990. La température seule ne permettait pas de prédire l'augmentation des prises de homard.
Ces dernières représentent un pourcentage si élevé des populations de homards adultes qu'elles ne donnent pas une mauvaise mesure du recrutement, soit le nombre d'individus jeunes qui atteignent une taille exploitable.
Dans la région qui va de Terre-Neuve jusqu'à la Middle Atlantic Bight, la température n'a pas non plus augmenté de façon uniforme. Nous en sommes venus à la conclusion que l'augmentation récente des débarquements de homard n'était pas imputable à un effet produit par la température, même si, par le passé, il y a eu une corrélation entre les prises et la température. L'un des problèmes que pose ce genre de recherche est que les facteurs qui limitent le recrutement ne sont pas constants.
Permettez-moi de résumer. Cette augmentation importante des prises de homard était largement répandue, et elle n'était pas attribuable à la température. Bon, il y a bel et bien eu une intensification de l'effort de pêche, notamment ce qu'on a déjà dit à propos de l'expansion des lieux de pêche. Il y a aussi qu'on utilise des casiers métalliques, ce qui est plus efficace que les vieilles cages en bois, mais l'intensification de l'effort ne nous paraît pas expliquer en entier l'augmentation des prises.
Le dénombrement du poisson de fond fait à bord des chalutiers et les observations des pêcheurs eux-mêmes ont laissé voir qu'il y avait beaucoup de jeunes homards, durant cette période où les prises augmentaient. À notre avis, c'était là le «pic» du recrutement; il y avait beaucoup de jeunes homards. Pour quelle raison? Nous ne le savons toujours pas.
On a mentionné que cela pourrait être attribuable à une prédation moindre qu'expliquerait la chute des stocks de poisson de fond. Les scientifiques étudient cette possibilité. Du point de vue de la prédation, il ne faut certainement pas regarder du côté de la morue. Des travaux faits à Moncton ont permis d'étudier l'estomac de 15 000 morues, mais on n'y a pas trouvé une quelconque trace de homard. Le chabot est toutefois une espèce dans laquelle on a trouvé du homard. Nous n'avons pas de chiffres concernant l'abondance du chabot -- pour savoir si les stocks ont augmenté ou diminué -- car il ne s'agit pas d'une espèce commercialisée.
Le sénateur Stewart: Vous avez parlé du capelan qui descend le long de la côte du Cap-Breton, ce qui est lié aux eaux froides.
M. Drinkwater: Oui.
Le sénateur Stewart: Maintenant, vous parlez des eaux qui se réchauffent dans le cas du homard.
M. Drinkwater: Le homard aime l'eau chaude. Tout au moins, par le passé, il aimait l'eau chaude. Il y avait un lien entre l'augmentation de la température et l'augmentation des prises. On n'a pas affirmé que les eaux se réchauffaient.
Le sénateur Stewart: Sait-on, par exemple, si les eaux autour des Îles-de-la-Madeleine refroidissaient durant la période où le capelan longeait l'île de Saint-Pierre-et-Miquelon, car les eaux y devenaient plus froides?
M. Drinkwater: Oui, c'est bien le cas. L'eau était plus froide autour de Terre-Neuve, et certainement sur le plateau Madelinien et dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian. Elle ne l'était pas dans le golfe du Maine. De fait, la température de l'eau augmentait dans le golfe du Maine.
Le sénateur Stewart: Mais vous dites que les prises de homard ont augmenté durant cette période.
M. Drinkwater: Tout à fait. La température ne peut expliquer l'augmentation des prises.
Je vais maintenant traiter un peu des prises de morue du Nord. C'est ma vision des choses, mais ce n'est pas forcément celle du Ministère ni peut-être même celle d'un grand nombre de mes collègues.
Ce graphique illustre les prises de morue du Nord. Encore une fois, 2J correspond au sud du Labrador, 3K et 3L du nord du Labrador jusqu'au Grands Bancs.
Le sénateur Jessiman: Je n'arrive pas à lire la dernière ligne.
M. Drinkwater: Ce sont les années. La courbe commence en 1850 et va jusqu'en 1995. Depuis 1995, elle se situe essentiellement à «zéro». Pendant plus de 100 ans, il y a eu une augmentation graduelle, très lente et stable, surtout le long des côtes. Puis, autour de 1960, il y a eu cette augmentation énorme des prises. C'est le moment où les chalutiers ont commencé à pêcher. Les flottes étrangères arrivaient -- les flottes de pays distants comme la Russie, Cuba et ainsi de suite.
Le sénateur Jessiman: Est-ce le poisson qui est pris ou encore le poisson qui est là?
M. Drinkwater: C'est le poisson qui est pris. Ce sont les prises, la «récolte». Les prises sont demeurées élevées et ont même dépassé 800 000 tonnes métriques au début des années 70. Il y a eu un déclin au moment où on a établi la zone de 200 milles délimitant les eaux territoriales. Les prises ont augmenté un peu. Nous pensions qu'elles étaient à la hausse, puis, bien sûr, tout s'est effondré. Le moratoire est appliqué depuis le début des années 1990.
Maintenant, on a montré, et écrit, que la surpêche est probablement la cause principale de l'effondrement des stocks de morue du Nord. Quel rôle a joué l'environnement à cet égard? A-t-il bel et bien joué un rôle? Je crois que c'est le cas.
Au cours des années 60, l'augmentation énorme des prises s'expliquait par la pêche au chalut. La pêche au chalut avait pour effet de prendre les gros poissons, les plus vieux. Le résultat -- c'est ce que nous avons constaté depuis --, c'est que le potentiel de reproduction en souffre. Le poisson plus vieux et plus gros produit des oeufs plus nombreux et de meilleure qualité. En prenant tout ce vieux poisson, nous avons réduit le potentiel de reproduction.
Ensuite, les températures froides que nous avons enregistrées durant les années 80 et au début des années 90 se sont traduites par des taux de croissance moindres de sorte que le poisson n'était pas en aussi bon état. Pour maintenir son quota, il faut alors prendre un plus grand nombre de petits poissons, car les quotas sont exprimés en tonnes, en biomasse. Nous avons certainement observé une diminution de la biomasse des stocks de géniteurs. Or, au moins la moitié de cela, ou à peu près, me paraît attribuable à la perte de poids, et non pas à l'élimination d'un certain nombre de poissons.
Nous avons déjà vu que la température explique environ 50 p. 100 de la réduction des taux de croissance. Elle y est donc certainement pour quelque chose dans la diminution de la biomasse.
Le sénateur Jessiman: La température augmente-t-elle ou diminue-t-elle -- vous avez dit que plus l'eau était froide, plus le poisson était petit?
M. Drinkwater: Il y a deux aspects à cela. C'est variable d'un lieu géographique à l'autre, et d'un stock de poisson à l'autre.
Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que les eaux froides dans le Nord donnaient un poisson plus petit.
M. Drinkwater: Oui. Alors, dans la partie sud du Labrador et la partie nord de Terre-Neuve la température fluctue -- donc si l'eau refroidit, le poisson diminue encore de taille.
Le sénateur Jessiman: Est-ce que l'eau refroidit?
M. Drinkwater: Oui. Lorsqu'il est question de poisson de plus petite taille, il y a aussi la «sélection». Autrement dit, on rejette le petit poisson. Les pêcheurs ont admis qu'ils ont rejeté le petit poisson pour augmenter la valeur des prises. Certes, cela a eu un effet sur le petit poisson, et la température a encore une fois joué un rôle sur ce plan.
Enfin, nous savons qu'il y a eu des problèmes de recrutement, que les nouveaux arrivants étaient moins nombreux. Certes, à mesure qu'a diminué la biomasse des stocks de géniteurs, le nombre d'adultes prêts à frayer a diminué aussi. Il y a donc eu cette perte du potentiel de reproduction attribuable à la pêche faite durant les années 60 et au début des années 70. Il y a eu aussi les températures froides qui, de façon générale, ne donnent pas des années notables du point de vue du recrutement.
Non seulement la morue dans les zones du Nord est plus petite, mais aussi, elle prend plus de temps avant d'arriver à maturité. Alors que la morue dans la région du Banc Georges peut arriver à maturité à l'âge de deux ou trois ans, autour de Terre-Neuve, la morue doit atteindre l'âge de six ou sept avant de vraiment commencer à se reproduire. La pêche a décimé les stocks, mais le poisson a aussi pris pas mal de temps avant de commencer à se reproduire. Il s'écoulera donc beaucoup de temps avant que les stocks relativement faibles ne se régénèrent. Encore une fois, cela est attribuable en partie aux eaux froides où se trouve le poisson.
La morue a eu tendance à se déplacer vers le sud, les déclins les plus importants de l'abondance de morue étant enregistrés dans la région 2J près de la partie sud du Labrador. J'ai déjà montré que les morues de l'Arctique se dirigeaient vers le sud. Ce mouvement de la morue de l'Atlantique est-il attribuable à l'environnement? Nous n'en sommes pas certains. Cela pourrait aussi s'expliquer par le fait que l'abondance est faible -- peut-être le poisson se déplace-t-il en raison de cela. Une prédation accrue de la part des phoques, phénomène qui a été maintes fois évoqué, explique peut-être la chose.
La température y est pour quelque chose dans le déclin de la morue du Nord; toutefois, la documentation montre que les températures et les conditions observées à Terre-Neuve à la fin des années 1980 et au début des années 1990 n'étaient pas pires qu'elles l'étaient à la fin des années 1800. C'était une période où les températures étaient très froides, mais il n'y a pas eu d'effondrement des stocks de morue à ce moment-là. Pourquoi?
À la fin des années 1800, les températures n'avaient pas été aussi froides de récente mémoire. Aujourd'hui, nous avons réduit le potentiel de reproduction en pêchant les gros poissons, et les chalutiers parcourent les zones de frai. À la fin des années 1800, la morue n'a pas beaucoup été pêchée dans ces zones. Il y a déjà eu énormément de morue au large des côtes, de sorte qu'il y avait une espèce de zone tampon dont bénéficiait la pêche sur le littoral. S'il y avait quelques années où le recrutement n'était pas fort, il y avait encore au large des côtes assez de poisson. Celui-ci s'approchait du littoral, et les prises demeuraient importantes. Il n'y avait donc pas d'effondrement des stocks.
Avec les prises énormes enregistrées au tournant des années 1970, nombre des vieux poissons ont été pêchés, ce qui, encore une fois, a eu une incidence sur le potentiel de reproduction. Du début des années 70 au début des années 80, le stock de géniteurs en a beaucoup souffert. Essentiellement, nous avons perdu la zone tampon. De ce fait, s'il y avait quelques années où le recrutement n'est pas fort, nous nous trouverions en difficulté. C'est bien ce qui est arrivé. Voilà, à mon avis, ce qui est arrivé à la morue du Nord et le rôle qu'a pu y jouer l'environnement.
Le président: Pourriez-vous nous donner des exemplaires des deux ou trois dernières feuilles? C'est la meilleure explication que j'ai entendue jusqu'à maintenant.
M. Drinkwater: Nous avons pris les dispositions pour que toutes les diapositives soient copiées.
Enfin, le climat et le milieu marin ont une incidence sur les stocks de poisson, de crustacés et de coquillages. C'est un facteur de croissance, de reproduction, de distribution, de recrutement, et j'en passe. Cela dépend de l'espèce. Les espèces ne réagissent pas toutes de la même façon. Si l'eau refroidit, les diverses espèces n'ont pas toutes la même réaction. Même à l'intérieur d'une même espèce, la réaction peut être variable. Par exemple, la morue de l'Atlantique dans la zone du Banc Georges peut réagir autrement que la morue du Nord, ou autour de Terre-Neuve.
On fait des recherches sur les liens entre l'évolution de l'environnement et les stocks de poissons. Toutefois, il est souvent difficile de prédire les réactions précises à un changement d'environnement, en raison des effets de la pêche. L'interaction entre les espèces est un autre facteur dont il faut tenir compte. Une espèce peut en remplacer une autre, sans que cela ne soit attribuable à une évolution de l'environnement. Il y a eu le cas du hareng dans le golfe du Saint-Laurent. Une fois que la maladie a décimé l'espèce, le maquereau est venu prendre sa place. De même, les bonnes études chronologiques portant sur le recrutement font défaut pour un grand nombre de stocks.
Le sénateur Stewart: Vous avez parlé de l'eau qui refroidit, mais on nous dit que le climat s'adoucit. À coup sûr, là où j'habite, à la baie St. Georges, les glaces profondes de l'hiver ne sont pas ce qu'elles étaient lorsque j'avais 15 ans. L'évolution est remarquable. Je dirais que les eaux sont plus chaudes, mais évidemment, j'ai tort, -- ou, tout au moins, les eaux dont je parle ne sont pas les mêmes que celles dont vous parlez vous-même. Pouvez-vous m'expliquer cela?
M. Drinkwater: Je veux vous montrer d'abord la forme du Labrador et tracer le cheminement de la température aérienne, des vents, ou des glaces, de la zone des glaces marines et de la température près de St. John's. Les résultats laissent voir que les températures aériennes ont diminué depuis les années 60. C'était, à l'époque, une période «chaude» dans la mer du Labrador. La température a diminué depuis de façon variable sur une période d'environ 10 ans, selon les fluctuations observées.
Il y a donc un déclin, plus cette oscillation de 10 ans. Cela est lié aux variations à grande échelle de la pression atmosphérique, et particulièrement à la force de la dépression d'Islande, système de basse pression qui se trouve au-dessus de l'Islande en hiver. Lorsque celle-ci s'intensifie, les vents du nord-ouest gagnent en force au-dessus de la mer du Labrador. Cela pousse l'air froid vers le bas. La formation de glace s'intensifie. L'océan se refroidit. C'est comme cela depuis les années 60, avec cette oscillation de 10 ans. Cela va à l'encontre de la théorie du réchauffement de la planète, mais, dans cette zone particulière, les températures ont baissé.
Certains des modèles récents ont donné à penser qu'il devrait y avoir un refroidissement initial dans cette zone. Les modèles n'ont pas permis de prédire l'ampleur du refroidissement que nous avons observé sur cette période de 30 ans. Quelle qu'en soit la raison, la zone se refroidit.
Au milieu des années 80, les eaux dans la zone des Grands Bancs étaient très froides. Le changement de température était tout à fait notable dans la zone du Banc de Saint-Pierre, dans tout le golfe du Saint-Laurent, et en particulier sur le plateau Madelinien et dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian. Nous n'en connaissons pas la cause avec certitude. Nous faisons actuellement des recherches là-dessus. C'est peut-être attribuable à l'advection d'eaux froides venues du Labrador, vers le sud. Il y a aussi la possibilité d'un refroidissement hivernal dans le golfe du Saint-Laurent et localement.
La Plate-forme Scotian est complexe du point de vue topographique. On trouve de profonds bassins dans le milieu de la plate-forme aussi bien que dans le golfe du Maine. Les bassins en question sont très chauds depuis un certain temps, de sorte que la température des eaux -- lesquelles sont chaudes? lesquelles sont froides? -- varie du point de vue géographique. Elle varie d'un endroit à l'autre. Elle varie aussi selon la profondeur dont il est question. Ces températures très froides se trouvent dans les profondeurs intermédiaires jusque dans le fond, mais dans la partie centrale de la plate-forme Scotian ou du golfe du Maine, les eaux en profondeur sont chaudes, et les eaux dans les profondeurs intermédiaires, froides. C'est donc un peu complexe. Je ne sais pas si j'ai répondu entièrement à votre question.
Le sénateur Jessiman: Vous dites que vous n'êtes pas ichtyobiologiste. Qu'êtes-vous?
M. Drinkwater: Je suis physicien en océanographie physique.
Le sénateur Jessiman: Depuis combien de temps travaillez-vous au Ministère?
M. Drinkwater: J'ai commencé en 1973. J'ai travaillé là pendant quelques années, je suis parti pour un an, puis je suis revenu. J'y travaille depuis 1976.
Le sénateur Jessiman: Vous dites que plusieurs d'entre vous -- je présume que vous parlez des gens du Ministère -- avez des idées différentes quant à ce qu'il faudrait faire ou à ce que nous pouvons faire.
M. Drinkwater: C'est juste.
Le sénateur Jessiman: Faites-vous partie de l'équipe qui recommande ce que le gouvernement devrait faire?
M. Drinkwater: Je ne le sais pas. Le gouvernement a connaissance de nos travaux.
Le sénateur Jessiman: Je viens de lire dans le journal que le Parti réformiste laisse entendre que plusieurs personnes font des recommandations quant à qui devrait être congédié. Savez-vous de quoi il se plaint?
M. Drinkwater: C'est aux échelons très élevés que cela se passe. Je ne suis pas du tout près de cela. C'est à l'échelon du sous-ministre.
Le sénateur Jessiman: Votre emploi n'est donc pas en danger.
M. Drinkwater: J'espère que non.
Le sénateur Jessiman: Nos voisins du sud ont le même problème, n'est-ce pas? Les stocks de morue ne sont-ils pas en baisse aux États-Unis?
M. Drinkwater: Les États-Unis ont connu des difficultés en ce qui concerne l'industrie du poisson de fond. Leurs problèmes sont peut-être un peu différents des nôtres. Je ne suis pas spécialiste du domaine, mais leur politique jusqu'à récemment consistait à permettre une pêche assez intensive. C'est donc ce qui leur a causé des problèmes récemment.
De fait, la morue dans la zone du Banc Georges et du Banc de Browns n'est pas autant en difficulté que notre morue dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian, dans le golfe du Saint-Laurent et ainsi de suite. Les stocks y ont aussi fait l'objet d'une pêche intensive, mais les températures sont beaucoup plus douces, de sorte que le poisson arrive à maturité plus tôt et que les stocks réagissent plus rapidement au déclin. Si l'année n'est pas bonne, par exemple du point de vue du recrutement, les stocks se régénèrent assez rapidement, et cela suffit peut-être à la tâche. Ce n'est là qu'une possibilité.
De même, la population de phoques est beaucoup plus grande au nord des zones en question, et peut-être que les phoques représentent un facteur plus important que nous ayons réussi à le démontrer.
Le sénateur Jessiman: Le moratoire n'a pas accompli ce que nous avions espéré dans le délai que nous souhaitions. Y a-t-il eu une quelconque amélioration, à votre connaissance? D'ici dix ans, la morue sera-t-elle revenue si le moratoire est maintenu?
M. Drinkwater: J'ai assisté aux réunions d'évaluation de la situation de la morue à St. John's à la fin du mois de janvier. Les perspectives ne sont pas bonnes. Il n'y a pas eu de grande régénération des stocks de morue du Nord dans le golfe du Saint-Laurent ou dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian. Les stocks sont aussi faibles, sinon plus faibles qu'ils l'étaient au moment où le moratoire a été décrété.
Le sénateur Jessiman: Si c'est la surpêche qui est en cause, avons-nous pris tant de poissons que les stocks ne pourront jamais se régénérer?
M. Drinkwater: Cela pourrait être le cas. Cela ne veut pas dire que les stocks ne se régénéreront jamais, mais ce n'est certainement pas à cause de la surpêche qu'ils demeurent faibles depuis quelque temps. Nous avons réduit la biomasse des stocks de géniteurs à des niveaux très bas, et les conditions du milieu n'ont pas été extraordinaires. Ces facteurs conjugués ont peut-être pour effet de retarder la régénération.
Le sénateur Jessiman: Le sénateur signale le fait que le moratoire ne s'applique qu'aux Canadiens. Il y a donc des étrangers qui pêchent là, n'est-ce pas?
M. Drinkwater: Il y a des étrangers qui pêchent encore dans certaines zones. Par exemple, dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian et dans le golfe du Saint-Laurent, ce n'est pas un gros problème. Les pêcheurs étrangers ne visent certainement pas la morue. La morue pourrait être pour eux une prise accessoire, mais ce n'est pas le cas en réalité, autant que je sache.
Les stocks de poissons ont beaucoup souffert. J'ai essayé de faire valoir que la morue, en particulier celle du nord de Terre-Neuve, est défavorisée par rapport à la morue de l'Atlantique Nord. Elle vient d'une zone très froide. Elle prend plus de temps pour arriver à maturité et pour croître. Les stocks en sont à des niveaux assez faibles, et le moratoire n'a tout simplement pas eu d'effet sur eux.
Le sénateur Meighen: Pour revenir à la comparaison faite avec nos voisins du Sud pour ce qui touche la pêche au homard, si je comprends bien, les Américains n'ont pas une saison de pêche étalée. Ils pêchent le homard toute l'année durant. Du moins, ils le font dans la baie de Fundy. Les saisons de pêche ici sont étalées. Avez-vous tiré certaines conclusions quant à la valeur de notre façon de procéder, par rapport à la leur?
M. Drinkwater: Encore une fois, malgré les différences notées, l'importance des prises tout au moins a montré que les tendances sont semblables. D'après nos travaux, il y a eu une augmentation générale du recrutement dans toute la zone. Je ne saurais vraiment dire quels effets ces règles ont eus.
Toutefois, devant l'augmentation notée, j'étais certainement d'avis que nous allions assister aussi à un déclin. Nous pouvons peut-être ralentir le déclin en réglementant, mais je ne sais pas si nous pouvons vraiment y changer quelque chose, stabiliser les stocks, avant de bien comprendre pourquoi l'importance du recrutement a augmenté.
Les prises de homard n'ont jamais été aussi importantes. Nous ne pouvons continuer toujours ainsi. Nous savons que l'importance de ces stocks est variable. Je m'attendais à voir une diminution quelconque, et c'est ce que nous observons d'ailleurs en ce moment. Le déclin enregistré n'est pas si rapide, ce qui est certainement encourageant du point de vue du pêcheur au homard.
Le sénateur Meighen: Pour parler maintenant d'un poisson qui ne relève pas de votre champ d'intérêt, le saumon de l'Atlantique, la meilleure théorie avancée jusqu'à maintenant pour expliquer la chute marquée des stocks concerne l'évolution de la température en mer. Avez-vous eu l'occasion de discuter des résultats de vos travaux concernant la température de l'eau avec les gens qui s'intéressent au premier chef au saumon de l'Atlantique?
M. Drinkwater: Oui, j'en ai eu l'occasion. J'ai assisté, en février, à une réunion sur le saumon de l'Atlantique, à Sidney. C'est l'un des rares cas où nous avons utilisé un indice environnemental pour prévoir le nombre d'individus qui reviennent. Il s'agit de travaux que Dave Redden, de Terre-Neuve, et de certains de nos collègues des États-Unis. Un indice thermique sert à mesurer les eaux dont les températures se situent entre 4 et 8 degrés, températures idéales pour le saumon. Le saumon de l'Atlantique migre vers la mer du Labrador durant l'hiver. Lorsqu'il y a dans la mer du Labrador beaucoup d'eau dont la température se situe entre 4 et 8 degrés, le saumon semble bien se porter. Lorsqu'il n'y en a pas beaucoup, le saumon ne semble pas se porter aussi bien. Ces spécialistes ont utilisé l'indice pour prévoir les montaisons.
Cette année, le lançon a quitté les rivières en grand nombre. Comme l'indice thermique donnait à croire que les conditions étaient bonnes, les spécialistes ont prédit des montaisons raisonnables, mais celles-ci se sont révélées faibles en 1997. De fait, elle étaient beaucoup plus faibles que prévu. La discussion a été animée autour de la table, à Sidney. Malheureusement, j'ai dû quitter avant le dernier jour, de sorte que je ne sais pas très bien ce que l'on est parvenu à régler.
Le sénateur Meighen: Rien n'a été réglé.
M. Drinkwater: C'est bien ce que je croyais. Il était très difficile d'expliquer les faibles montaisons. Beaucoup de propositions ont été avancées, mais personne ne pouvait en arriver à une raison concluante.
Le sénateur Meighen: À l'Institut de Bedford, votre financement est-il stable? A-t-il diminué? Doit-il augmenter?
M. Drinkwater: Il a connu une baisse marquée. Nous avons perdu environ le tiers de notre effectif. J'ai quand même entendu dire hier qu'il y aurait de nouveaux fonds, des services votés pour la recherche, si bien qu'il y aura peut-être un accroissement à nouveau.
Le sénateur Adams: Vous avez parlé des phoques à plusieurs reprises. Le nombre de morues que mangent les phoques vous préoccupe-t-il? J'ai assisté à la réunion de la Seals Association à St. John's, à Terre-Neuve. Je ne sais pas si vous y étiez. Vous parliez de la façon dont l'évolution de la température ralentit la croissance de la morue. D'année en année, le quota de chasse aux phoques se situe autour de 280 000. J'ai entendu dire qu'il y a actuellement 5 ou 6 millions de phoques là-bas. Les activistes pour la défense des animaux affirment que les phoques ne réduisent pas le nombre de morues. Qu'en pensez-vous?
M. Drinkwater: Encore une fois, c'est une question qui a certainement été débattue intensément au Ministère comme à l'extérieur. Il y a des tenants des deux écoles de pensée. Dans la partie nord-est de la Plate-forme Scotian, la morue est affectée par l'augmentation notable de phoques autour de l'île de Sable. Les spécialistes de l'évaluation des stocks ont intégré à leurs modèles le nombre de jeunes morues ou de morues adultes que les phoques mangeraient, à partir d'études de leurs habitudes alimentaires qui déterminent la quantité de morue trouvée dans leur estomac. Ils multiplient alors ce chiffre par le nombre de phoques. Les phoques ont certainement une incidence importante sur la mortalité des jeunes morues. Les chercheurs sont à intégrer les chiffres en question à leurs évaluations.
Ils ont moins de données pour ce qui est de Terre-Neuve. Ils n'ont pas fait cela, autant que je sache, dans le cas de la morue du Nord. Les phoques ont certainement un effet. La difficulté, c'est de quantifier cet effet et d'obtenir des chiffres fiables pour les intégrer dans des modèles.
Le sénateur Butts: Je veux revenir très brièvement au moratoire sur la pêche à la morue. Vous avez affirmé que la température avait au moins un certain effet à cet égard. La morue qui se trouve en eau froide n'atteindra qu'à l'âge de 8 ans le stade où elle peut se reproduire. Le capelan y est aussi plus abondant, puisque l'eau est plus froide. Alors pourquoi le moratoire n'a-t-il pas eu l'effet voulu? Faut-il conclure que le moratoire n'aura jamais d'effet bénéfique?
M. Drinkwater: Nous ne pouvons certainement pas tirer cette conclusion. Nous avons toujours de l'espoir, mais cela n'a pas encore marché. Le recrutement n'a pas été bon.
Le sénateur Butts: A-t-on atteint le point limite?
M. Drinkwater: Je ne le sais pas. La plupart des spécialistes de la morue au Ministère, ou du moins ceux à qui j'ai parlé, estiment que ce n'est pas le cas, que la morue reviendra, mais que cela se fera lentement. Lorsqu'on verra le recrutement de morue augmenter, il faudra attendre encore plusieurs années avant de la pêcher, car il faut lui permettre de se reproduire.
Le sénateur Butts: La température est importante pour certains poissons, par exemple le merlu argenté. Le merlu argenté est un poisson qui peut être pêché en plus grand nombre, car les quotas ont été rehaussés. Sera-t-il en péril, étant donné la température?
M. Drinkwater: Le merlu argenté aime quand même ses eaux assez chaudes. Le bassin d'Émeraude sur la Plate-forme Scotian est une zone où les prises sont assez bonnes. De décembre à février, nous avons constaté un important influx d'eau froide dans le bassin d'Émeraude. Si cette eau demeure là pendant longtemps, elle pourrait avoir un effet sur le merlu argenté.
Le sénateur Butts: Comme la température de l'eau produit un tel effet, est-il possible que nous devions plus tard faire varier les saisons de pêche pour obtenir le potentiel que nous voulons?
M. Drinkwater: Oui, c'est possible. La température a certainement une incidence sur le potentiel de capture, de sorte qu'il faudra peut-être modifier la donne en modifiant la saison. Cela exigerait beaucoup de travail, mais le jeu en vaudrait peut-être la chandelle.
Le sénateur Butts: Vous n'avez pas parlé du tout de crevettes. C'est bien l'espèce qui est extraordinairement abondante en ce moment. Cela aura-t-il une incidence sur la crevette aussi? Vous n'en parlez pas dans votre mémoire.
M. Drinkwater: Oui, les stocks de crevettes augmentent en raison des bonnes conditions environnementales, selon nous.
Le président: La séance de ce matin s'est révélée très instructive. Les membres du comité vous sont tous gré d'être venu ici pour nous parler de l'impact des facteurs naturels, d'autre chose que les pêcheurs. Je tiens à signaler que nous apprécions les travaux que vous effectuez à l'Institut de Bedford, aussi bien que dans d'autres instituts de cette nature.
Le sénateur Meighen: J'espère que vous allez obtenir le financement voulu.
Le président: Cela montre que nous avons à peine effleuré les choses ce matin. Vous représentez une des nombreuses disciplines scientifiques en jeu. Encore une fois, nous vous demandons de signaler à vos collègues que nous apprécions les travaux qu'ils effectuent et que nous espérons voir se concrétiser leur demande de financement et les augmentations dont elle peut s'accompagner au fil des ans. Merci beaucoup.
Le comité suspend ses travaux.