Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 6 - Témoignages pour la séance du 30 avril 1998


OTTAWA, le jeudi 30 avril 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 8 h 30 pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nos deux témoins aujourd'hui sont M. Anthony T. Charles, de l'Université St. Mary's, et M. Arthur Bull de Coastal Communities Network.

Je voudrais vous présenter M. Charles et vous faire un bref résumé de ses antécédents. M. Anthony Charles, professeur des sciences de la gestion à la faculté du commerce de l'Université St. Mary's, se spécialise dans la recherche portant sur les pêches et l'aquaculture, en particulier les questions de gestion, de rentabilisation et de politique, ainsi que l'évaluation des ressources.

M. Charles a beaucoup écrit sur les stratégies pour des pêches durables et a été appelé à conseiller les gouvernements, au Canada et à l'étranger, sur la conservation des pêches, la recherche marine et le développement côtier. Il est administrateur de l'Institut canadien des océans, membre de la Fishermen and Scientists' Research Society, coordonnateur de la série de séminaires sur les pêches à St. Mary's et ancien membre du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques. J'ignore s'il lui reste beaucoup de temps libre ou du temps à consacrer à sa famille, mais nous tenons particulièrement à remercier M. Charles d'avoir accepté de venir nous faire part de son point de vue sur le sujet à l'étude.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Charles. Vous avez la parole.

M. Anthony T. Charles, professeur des sciences de la gestion, faculté du commerce, Université St. Mary's: Merci, monsieur le président. Je remercie les membres du comité de m'avoir invité. Chose certaine, vous étudiez ce qui, à mon avis, est l'une des questions cruciales qui se posent dans les pêches partout au Canada; en fait, c'est une question qui, comme vous le savez, est importante à la fois dans le Pacifique et dans l'Atlantique, mais qui, à ce qu'il me semble, a été réglée plutôt mieux dans l'Arctique que sur les deux autres côtes du Canada.

Je vais lire une partie de mon exposé aujourd'hui. Je vous en remettrai le texte après. Je m'excuse auprès des traducteurs, car j'ai fait quelques changements à mon texte depuis que je le leur ai envoyé hier; j'espère que cela ne causera pas d'ennui.

Je vais aborder aujourd'hui quatre thèmes qui, je l'espère, sont pertinents aux travaux de votre comité. Je voudrais d'abord faire un bref rappel, et je suppose que je prends ici un ton professoral, sur la différence entre le droit de propriété et le droit d'utilisateur; c'est une distinction qui, à mon avis, est devenue floue et qu'il importe de tirer au clair. Je parlerai ensuite de l'incidence des quotas individuels sur la conservation, après quoi je traiterai de l'optimalisation des retombées pour l'économie de la côte et des localités côtières. Enfin, mon dernier point sera le choix à faire entre les quotas individuels et d'autres solutions dans des pêches spécifiques.

Je commence donc par le droit de propriété et le droit d'utilisateur. Je rappelle que le MPO a fait la promotion des quotas individuels, en particulier des QIT, dans les Maritimes en disant aux pêcheurs qu'ils seraient essentiellement propriétaires d'une part des poissons. La question de savoir qui est vraiment propriétaire des poissons qui nagent dans l'océan ne laisse planer aucun doute. Le fait est que c'est moi qui en suis propriétaire, et vous l'êtes également, ainsi que tous les Canadiens. En fait, l'une des principales raisons pour laquelle moi-même, en tant que Canadien, et tous les autres Canadiens ont à coeur de préserver nos ressources océaniques, c'est que c'est moi, en tant que Canadien, qui les possède et en tire profit.

Nous arrivons donc à la différence entre le droit de propriété et le droit d'utilisateur. C'est peut-être un fait bien connu de tous, mais je veux seulement répéter que le droit de propriété, c'est le droit associé au fait de posséder un bien. Or, comme je l'ai dit, le poisson appartient aux Canadiens. D'autre part, le droit d'utilisateur, c'est le droit d'utiliser la ressource. Celui qui est titulaire d'un permis de pêche possède un droit d'utilisateur. Le titulaire d'un quota individuel possède également un droit d'utilisateur, sauf que ce droit est fondé sur une quantité chiffrée. De même, le titulaire d'un permis de pêche au homard autorisant un certain nombre de casiers à homard possède un droit d'utilisateur.

Cela dit, il n'y a aucun doute qu'un permis de pêche ou un quota individuel est également une forme de propriété que l'on peut acheter et vendre; que ce soit légal ou non, cela se fait.

Il faut bien comprendre que le poisson demeure propriété publique. Il ne doit y avoir aucun doute là-dessus, et il en est de même pour le pétrole, le gaz, ou encore le bois sur les terres domaniales. Dans tous ces exemples, nous ne donnons pas notre pétrole ou nos arbres, et cetera. Nous donnons des droits d'utiliser les ressources. Ce devrait être la même chose dans le cas du poisson. Cela met fin à ma brève intervention sur cette distinction.

Je voudrais maintenant m'attarder à l'incidence des quotas individuels sur la conservation. À titre de membre du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, et en particulier de président d'un comité de la gestion et de la réglementation, j'ai beaucoup réfléchi à cette question.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais toutefois dire un mot du message que le MPO a transmis au sujet de la conservation et de la mise en oeuvre de quotas individuels. En particulier, je voudrais vous faire remarquer, ce que vous savez d'ailleurs, que les quotas ont été accordés à chaque pêcheur en fonction de son dossier, de ce qu'on appelle l'historique de la pêche. Ce qui est vraiment troublant, pour moi tout au moins, c'est que la période sur laquelle on s'est fondé pour calculer les prises historiques de chacun, c'est-à-dire de 1986 à 1993, correspond précisément à la période pendant laquelle on a détruit les stocks de poisson.

La vérité est bien simple: plus on contournait les règlements pendant cette période, plus on mettait une doublure dans les filets, plus on faisait le tri et plus on rejetait du poisson, autrement dit plus on démolissait les stocks, et plus on est aujourd'hui récompensé à perpétuité par un beau quota bien dodu. Il n'y a absolument aucune justice là-dedans, en tout cas sûrement pas du point de vue de la conservation.

Je voudrais aborder deux points en particulier. Premièrement, les quotas individuels ne favorisent pas la conservation, au contraire. Les pêcheurs se sont toujours endettés pour s'acheter un bateau, après quoi ils doivent pêcher le plus possible pour payer leurs traites. C'est un fait incontournable de la pêche moderne. Les QIT aggravent cette situation. Des pêcheurs achètent à grand prix des quotas d'autres pêcheurs, s'enfoncent encore davantage dans les dettes pour ce faire, et doivent ensuite pêcher encore plus pour joindre les deux bouts. Cette situation n'est pas propice à la conservation.

Ce qu'on rétorque habituellement à l'argument que je viens d'exposer, c'est qu'en fait, il n'y a aucun problème, parce que le TPA protège les stocks. Il y a lieu de signaler deux points à ce sujet. Le premier, sur lequel je reviendrai plus en détail dans un instant, c'est qu'une politique fondée sur un total des prises admissibles présente de sérieux problèmes et de graves lacunes.

Deuxièmement, les quotas individuels encouragent les pêcheurs à rejeter du poisson, à faire le tri de leurs prises dans un effort pour maximiser la valeur de leurs prises. Tout cela est mauvais pour la conservation et cela se produit en dépit du TPA, qui est le total des prises admissibles. En fait, ramener le système des quotas au niveau individuel induit un effet pervers. À mon avis, un QI personnalise l'avantage que l'on peut tirer du rejet sélectif ou global.

Par exemple, supposons que deux jeunes poissons pèsent exactement autant qu'un poisson adulte. Si un pêcheur rejette ces deux jeunes poissons, il lui en coûte le prix minime qu'il aurait pu en tirer en les vendant. L'avantage qu'il en tire, par contre, c'est qu'il peut maintenant pêcher, à même son propre quota, un poisson adulte qui vaut beaucoup plus que les deux petits poissons qui ont été rejetés. Cet avantage personnalisé -- le rejet sélectif et global -- tient à l'existence du quota individuel, mais n'existe pas dans une pêche compétitive où tous les pêcheurs ont accès à la totalité des poissons. En l'absence de quotas individuels, les pêcheurs sont moins incités à faire du rejet sélectif et global.

Soit dit en passant, certains rétorqueront à cela que si les quotas individuels étaient transférables, si on pouvait les vendre et les acheter, le problème que je viens d'évoquer disparaîtrait. C'est tout simplement faux. Le problème serait atténué si l'on pouvait acheter des quotas correspondant essentiellement à ces petits poissons que le pêcheur a pris, mais les petits poissons valent quand même moins que les grands. Un régime de quotas individuels encourage encore les pêcheurs individuellement à faire le tri et à rejeter du poisson. Je me ferai un plaisir de vous en dire plus long là-dessus si vous le souhaitez.

Je passe maintenant à la deuxième grande conséquence du point de vue de la conservation, à savoir que les quotas individuels exacerbent les lacunes fondamentales de tout le système de gestion des quotas, à commencer par le total des prises admissibles. Comme vous le savez, on commence par établir le total des prises admissibles, que l'on subdivise ensuite. Pour comprendre un problème particulier que pose la conservation sous le régime des QIT, il faut comprendre comment cela vient exacerber le problème plus fondamental de la gestion des quotas.

Pour établir les TPA, on prend d'habitude une fraction des stocks totaux de poissons, de la biomasse totale, mais le nombre de poissons dans l'océan est sûrement l'un des chiffres les plus incertains sur terre; c'est extraordinairement incertain et l'on ne pourra jamais le connaître précisément.

Le fait qu'il y a une telle incertitude entourant le stock de poissons signifie que le TPA ne peut pas faire autrement que d'être tout aussi incertain. Ce n'est pas seulement de la théorie. Pour moi, l'une des principales causes de l'effondrement de la pêche du poisson de fond, c'est que l'on croyait que l'on connaissait le nombre de poissons dans l'océan et que l'on pouvait fixer le TPA en conséquence. C'était très naïf. Il est triste de voir que l'on a procédé ainsi.

En théorie, la gestion par quota fonctionne; en pratique, elle a été un échec lamentable. Et je ne parle pas seulement des quotas individuels. Je parle de toute l'approche de la gestion par quota, qui n'existe pas seulement au Canada, bien sûr, mais partout dans le monde. Et cette méthode a posé des problèmes partout dans le monde.

J'aborde maintenant la question de la progression de la saison de pêche. Comme vous le savez, au Canada, dans la pêche au saumon du Pacifique, on fait régulièrement une estimation de la taille des stocks au cours de la saison de pêche et l'on rajuste régulièrement la durée de la pêche, chaque semaine ou même chaque jour, pour tenir compte de ce que l'on apprend au sujet de la taille des stocks.

Que fait-on dans la gestion du poisson de fond de l'Atlantique? Exactement le contraire. Bien que le MPO ait autorisé des changements en cours de saison, ces changements ont rarement été faits en pratique. Malgré le déclin des stocks, le TPA n'a jamais été rajusté au cours de la saison de pêche. Je pense qu'on considérait tout simplement qu'un tel changement serait trop malcommode pour le secteur. Une fois que le TPA était fixé et subdivisé, puis de nouveau subdivisé en allocations pour chaque secteur et ensuite pour chaque pêcheur individuellement, on avait une illusion de certitude du fait que chaque élément au bout de la chaîne, les allocations de quotas, était alors considéré comme sacro-saint et impossible à changer.

Cette rigidité a contribué à de mauvaises pratiques de conservation. Les pires problèmes se sont posés dans les pêches fonctionnant sous le régime des QIT, chaque pêcheur estimant posséder une part du gâteau immuable et garantie, si bien que les gestionnaires hésitaient à modifier la taille totale du gâteau alors qu'il aurait fallu le réduire.

Malheureusement, dans la pêche du poisson de fond, les intervenants sont obsédés par ce découpage du gâteau, comme s'il s'agissait vraiment d'une tarte aux pommes qu'on avait devant soi, sur la table, facile à apprécier et à découper. Les QIT sont tout simplement la pire manifestation de cette obsession, qui a des conséquences terribles pour la conservation et qui nous empêche d'établir le système de gestion solide et adaptatif qu'il faudrait vraiment implanter pour éviter des catastrophes à l'avenir.

Je voudrais maintenant passer de la pêche elle-même à la question de l'optimalisation des profits de la pêche. À ce propos, je voudrais faire ressortir la différence qui existe entre les quotas non transférables et les quotas transférables.

De nombreux économistes, dont je ne fais pas partie, réclament sans cesse la transférabilité des quotas. Ces économistes sont convaincus que les meilleurs pêcheurs achèteront les quotas des autres et que l'efficience globale de la pêche augmentera. C'est la théorie. Cette argumentation comporte toutefois des tares rédhibitoires.

Premièrement, ce ne sont pas, en réalité, les meilleurs pêcheurs qui achètent les autres; ce sont ceux qui ont le plus facilement accès à l'argent nécessaire pour acheter les quotas des autres. Comment trouvent-ils les capitaux voulus? Eh bien, Dieu seul le sait, mais il est possible qu'ils aient amassé de l'argent en prenant de grandes quantités de poissons pendant la période où les stocks de poissons déclinaient. Le système tout entier n'a pas été particulièrement bon pour la conservation. De ce point de vue, la raison d'être des QIT comporte une faille fondamentale.

Il y a toutefois une question encore plus fondamentale, et c'est à mon avis une question absolument cruciale à laquelle j'aimerais bien qu'on consacre plus d'attention. Il s'agit de savoir ce que l'on veut dire par efficience. En voici une définition étroite: tirer le plus de poissons possible de l'océan au moindre coût. C'est l'idée que l'on se fait traditionnellement de l'efficience, du point de vue d'un économiste. C'est désastreux pour la conservation.

Une meilleure façon de considérer l'efficience serait d'obtenir le plus grand bénéfice net par poisson pris. C'est une idée logique. Il faut tirer le plus grand profit possible de ce que nous avons. Comment mesurer les avantages découlant de la pêche? Il ne faut pas s'arrêter seulement aux avantages qu'obtiennent les pêcheurs, c'est-à-dire la valeur des prises; il faut aussi tenir compte des retombées pour les localités côtières, par exemple la création d'emplois de membres d'équipage à bord des bateaux, d'emplois à terre pour la réparation des bateaux ou l'appâtage des hameçons et bien sûr toutes les retombées pour l'ensemble de l'économie côtière.

Comme la pêche est le moteur de cette économie côtière, l'objectif clé, la mesure du succès, devrait être de faire en sorte que ce moteur tourne bien, qu'il fasse son travail pour aider l'économie et les collectivités. Cela veut dire que chaque poisson disponible, non pas tous les poissons de l'océan, mais chaque poisson qui est disponible dans le total autorisé des prises doit être utilisé de façon optimale pour soutenir les localités côtières, pour maximiser les avantages et les retombées qui en découlent, et pour créer le plus d'emplois possible.

Quel rapport tout cela a-t-il avec les quotas individuels transférables et les QI? Partout dans le monde, en Islande, en Nouvelle-Zélande, et aussi dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, l'expérience montre que la transférabilité des quotas aboutit à la concentration des quotas, à la perte d'emplois, et ce sont les collectivités côtières qui en souffrent. La répartition des revenus en souffre. Les plus vulnérables du secteur de la pêche, c'est-à-dire les membres d'équipage, perdent leur emploi sans aucune compensation. Des collectivités entières peuvent se retrouver sans aucun accès à la pêche. La conclusion qui s'impose et que beaucoup d'économistes ne sont pas prêts à accepter, j'en suis sûr, c'est qu'en appliquant une mesure d'efficience très large, on constate que les QIT sont en fait néfastes du point de vue de l'efficience. Le résultat probable de l'introduction des QIT est une baisse des avantages économiques totaux pour l'économie côtière, par poisson pris.

Par contre, il faut dire que des quotas non transférables pourraient en fait stabiliser l'économie locale en faisant ressortir clairement qu'une certaine portion du quota réside dans la localité côtière. Le problème essentiel que soulèvent les quotas individuels non transférables, c'est qu'à ma connaissance, partout où ils ont été mis à l'essai dans le monde, ils ont fini par devenir transférables. Les pressions se sont accumulées, quelqu'un a cédé et les quotas sont devenus transférables. Les collectivités, les membres d'équipages et l'économie locale en ont souffert. Autrement dit, les quotas non transférables peuvent déboucher régulièrement sur la transférabilité, avec tous les dangers que cela comporte.

Ce qui est préférable, à mes yeux, c'est un système ancré dès le départ dans la localité côtière. Je songe aux nouveaux quotas communautaires que nous avons mis en place ici, en Nouvelle-Écosse, pour la pêche du poisson de fond. Ils ont encore tous les défauts d'un régime de gestion fondé sur des quotas, mais s'il faut avoir des quotas, cette façon de faire est préférable.

Les quotas communautaires rassemblent les gens de la collectivité côtière, au lieu de les diviser comme le fait le régime des QIT. Les pêcheurs de la localité gèrent eux-mêmes leurs activités. Ils créent des plans de gestion des pêches correspondant à leur propre situation. Ils divisent le quota, dans un effort délibéré pour maximiser les retombées totales, au lieu de laisser ceux qui ont de l'argent acheter tous les quotas qu'ils peuvent. Pour ce qui est de maximiser les profits, d'importantes initiatives pourraient être prises.

Mon dernier thème est la question du choix entre les quotas individuels et d'autres solutions possibles. Je suis content de voir que le comité a mis en relief ce point particulier. Dans le monde entier, le débat sur les QIT s'est polarisé en deux camps, ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, mais je crois que la vérité est plus complexe.

En bref, voici comment je vois les choses: premièrement, je dois répéter, et c'est un point fondamental, qu'il faut réexaminer toute approche fondée sur les quotas. Dans les pêches où l'incertitude est grande, par exemple la pêche au saumon du Pacifique, il est tout simplement malavisé de fixer des quotas. On s'est maintenant rendu compte que dans la pêche du poisson de fond, l'incertitude est beaucoup plus grande qu'on ne le croyait auparavant, et je m'interroge donc sur la sagesse de l'application de quotas dans ce secteur. En fait, je vous recommande la lecture d'une publication du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques dans laquelle on examine plus en détail les conséquences, sur le plan de la conservation, du contrôle au moyen de quotas et du contrôle de l'effort de pêche.

Mon deuxième point, toutefois, est que si nous insistons pour appliquer une gestion par quota, alors j'ai l'impression qu'il serait également malavisé d'appliquer des quotas transférables dans les secteurs où la pêche est une activité économique qui joue un rôle important dans le soutien des localités côtières. Autrement dit, dès que la pêche joue un rôle important dans l'économie d'une localité côtière, ce serait un critère pour éviter de mettre en place des quotas transférables. Ils sont évidemment à écarter dans la pêche au homard. Ce serait pure folie.

Les quotas transférables ne conviennent pas non plus à la pêche du poisson de fond au moyen de petits bateaux et d'engins fixes, pas plus qu'à la pêche au saumon en milieu rural, disons dans la partie centrale de la côte de l'océan Pacifique. La raison fondamentale en est que la transférabilité est incompatible avec le rôle de la pêche comme moteur économique local, en empêchant de maximiser les profits par poisson pris.

J'ai dit que les pêches de ce genre ne devraient pas être sous le régime des QIT, mais je crois que les QI sont une autre histoire. Ils pourraient fonctionner dans certains cas, pourvu que deux conditions précises soient satisfaites. La première est qu'il faut interdire le transfert permanent ou la vente; par contre, il n'y a pas d'objection à ce qu'un quota soit transféré au cours d'une saison, pourvu que cela ne devienne pas une habitude. La deuxième condition est que les quotas individuels fonctionneraient mieux dans le cadre d'un quota communautaire, de sorte que les règles seraient établies localement et que les pêcheurs de la collectivité exerceraient en groupe un contrôle sur le système de QI.

Cela m'amène à la question suivante: quelles flottes conviennent aux QIT? Des chercheurs se sont penchés sur cette question un peu partout dans le monde. Ma suggestion est qu'il vaut mieux restreindre les QIT aux pêches qui comportent un nombre relativement faible d'intervenants, où les stocks sont relativement stables et où les liens avec la collectivité sont relativement ténus. Autrement dit, les pêches que l'on qualifierait d'industrielles sont de meilleures candidates.

En terminant, je voudrais simplement réitérer mes principaux arguments. Il faut remettre en question notre dépendance envers un système de gestion par quota qui est intrinsèquement mauvais. Deuxièmement, les QIT et les QI exacerbent les lacunes de la gestion par quota sur le plan de la conservation. Troisièmement, s'il faut avoir des quotas, alors les quotas communautaires sont une bonne solution. Enfin, mon quatrième point, ne vous laissez pas convaincre par l'argument voulant que les QIT soient bons pour l'efficience. Ceux qui invoquent cet argument ont une vision étriquée de l'efficience qui néglige le rôle important de la pêche dans les petites localités.

Je vous remercie de votre attention et je vous invite à me faire part de vos commentaires.

Le sénateur Stewart: Le professeur Charles nous a dit que le système des quotas convient peut-être à certaines pêches: là où les pêcheurs sont peu nombreux, où le stock est relativement stable et où les liens avec la collectivité sont plutôt ténus.

Je vous pose la question: à votre avis, quelles sont les pêches de Nouvelle-Écosse, en appliquant ces critères, qui conviendraient à l'application d'un système de quotas?

M. Charles: La difficulté, je suppose, est que ces critères ne sont pas toujours mutuellement compatibles. Autrement dit, beaucoup de pêches aux fruits de mer sont plus stables que les pêches aux poissons, mais comme elles se pratiquent plus près de la rive, elles ont généralement un lien étroit avec la collectivité. La pêche au homard en est peut-être le meilleur exemple.

Par contre, au moins deux pêches correspondent en gros aux critères. J'ai dit au tout début que j'avais de fortes réserves sur la gestion par quota. Nous disons ici que dans certains cas, un régime de quotas global, de total des prises admissibles, pourrait fonctionner.

Une pêche qui vient à l'esprit est la pêche aux pétoncles en haute mer entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Elle est faite par un nombre relativement restreint d'entreprises, ce qui fait que le lien avec la collectivité est moins solide. Les stocks de pétoncles sont relativement stables et des travaux scientifiques l'ont démontré. Ce serait un exemple de pêche qui, à mon avis, conviendrait davantage au système des QIT.

Le sénateur Stewart: Dans votre exposé, vous avez commencé une phrase en disant: «S'il nous faut des quotas...». Il ressort clairement de ce que vous dites que le système des quotas n'est pas souhaitable. Mais si les gens se trompent au point d'insister pour mettre en place des quotas, si l'on ne peut pas faire autrement que d'avoir des quotas, devons-nous comprendre que, si l'on fait exception de pêches comme la pêche aux pétoncles, dont vous venez de parler, et peut-être d'autres pêches semblables, vous préféreriez une gestion beaucoup plus directe de la part du ministère des Pêches et des Océans? Autrement dit, les fonctionnaires suivraient de près, de semaine en semaine, l'évolution des prises par rapport à la biomasse et conseilleraient en conséquence ceux qui seraient chargés de fixer les règles localement, pour reprendre une autre expression que vous avez utilisée? Est-ce le modèle idéal que vous entrevoyez comme solution de rechange?

M. Charles: Pas tout à fait. Vous avez utilisé le terme «gestion directe» par le gouvernement fédéral. Je ne préconise pas précisément une telle méthode. J'essayais de faire ressortir la différence par rapport à la pêche au saumon de la côte Ouest, où l'on applique une approche très souple, et il se trouve que c'est actuellement le fait du gouvernement fédéral, du MPO. Je ne suis pas certain, en fin de compte, que ce soit la meilleure approche pour la pêche au saumon.

Ce que je voulais dire, c'est que le régime est souple en ce sens que chaque semaine, en fait chaque jour, les gestionnaires évaluent l'état des stocks et se demandent s'il y a lieu de permettre la pêche à cet endroit. Je ne propose pas cela pour la pêche du poisson de fond, ni même pour la pêche au homard dans le Canada Atlantique. Le saumon est un cas particulier puisque, comme on sait, les saumons reviennent de l'océan et remontent les fleuves. Il faut surveiller de près cette montaison. Je dirais toutefois, et c'est ce qui me préoccupe dans le système des quotas individuels, que cela crée une illusion de certitude; le quota est accordé pour l'année et l'on s'imagine que cela ne pourra pas changer parce que tout changement serait gênant pour les pêcheurs qui possèdent actuellement des quotas individuels.

À mon avis, la pêche du poisson de fond n'a pas besoin d'être aussi souple, ni d'être contrôlée aussi étroitement que la pêche au saumon, mais il faut pouvoir apporter des changements durant la campagne de pêche si l'on s'aperçoit qu'il ne semble pas y avoir autant de poissons que l'on croyait. Mon argument fondamental, c'est qu'il ne faudrait pas s'en tenir rigoureusement au quota parce qu'il est commode pour le secteur de le maintenir au même niveau. Il faut donc un peu plus de souplesse, mais pas nécessairement une gestion directe par le MPO.

Le sénateur Stewart: Je songe principalement à la côte de l'Atlantique; en fait, je songe surtout à la Nouvelle-Écosse. Vous avez dit que le régime des quotas peut convenir à certaines pêches. Vous en avez mentionné une en particulier. Vous avez touché un mot de la pêche au homard. Pourriez-vous redire ce que vous avez dit et nous donner de plus amples explications?

M. Charles: Au sujet du système de quotas et de la pêche au homard?

Le sénateur Stewart: Oui.

M. Charles: Le régime qui s'applique au homard n'est pas fondé sur un système de quotas; il est fondé sur un contrôle de l'effort. J'ai participé à une étude sur la pêche au homard, faite par le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, et j'ai été étonné de constater l'unanimité avec laquelle les pêcheurs appuient le système de gestion. Ayant étudié tellement intensément la pêche du poisson de fond ces dernières années, j'ai été frappé de voir à quel point les pêcheurs appuyaient les scientifiques. Ils appuyaient aussi leurs gestionnaires, plus ou moins, dans certaines limites. Ils estiment que le système fonctionne dans le cas du homard. On n'y applique pas de quotas. Cette absence de quotas s'explique par des raisons scientifiques et historiques valables.

Le sénateur Stewart: Vous dites que dans le cas de la pêche aux pétoncles, le régime des quotas pourrait convenir, mais qu'il ne convient pas du tout pour la pêche au homard, parce que les méthodes et les techniques en place permettent de conserver et de stabiliser quelque peu les stocks.

Très bien. À quelles pêches, disons en Nouvelle-Écosse, appliqueriez-vous la gestion communautaire?

M. Charles: C'est une excellente question, parce que l'on croyait auparavant que, même si le homard a été traditionnellement géré davantage sur le plan local, il ne serait pas possible d'en faire autant dans le cas du poisson de fond, parce que le poisson de fond, la morue par exemple, se déplace le long de la côte et que l'on ne pourrait donc pas appliquer une gestion communautaire. Ces dernières années, il a été prouvé que c'est faux.

La collectivité de Sambro, il faut l'en féliciter, a lancé l'idée de quotas communautaires pour le poisson de fond. Ce mode de gestion s'est maintenant répandu dans toute la région de Scotia-Fundy, ce qui est à mon avis une évolution très intéressante. En fait, ce n'est pas tout à fait aussi communautaire que je le voudrais. Quelques exemples, notamment à Sambro et à Digby Neck, sont peut-être des exemples éclatants qui se rapprochent passablement d'une véritable gestion communautaire, axée sur la collectivité. Ce que l'on appelle les quotas communautaires sont un pas dans cette direction.

Si les résultats sont satisfaisants pour la pêche du poisson de fond dans Scotia-Fundy, je crois qu'ils le seraient tout autant pour le poisson de fond ailleurs dans le Canada Atlantique. Je ne vois vraiment pas pourquoi cette approche ne pourrait pas être appliquée à d'autres espèces également.

Le sénateur Stewart: Vous dites que l'entité pertinente est la collectivité. Supposons que dans une localité donnée, un bon nombre de garçons -- et peut-être aussi de filles -- décident de ne pas aller habiter à Halifax, où il y a de bons hôpitaux, de bonnes universités, etc., le tout payé par les contribuables de la province; ils décident plutôt de rester dans leur village. Comment vont-ils avoir accès à la prospérité locale dans cette pêche communautaire?

M. Charles: Le premier point, c'est que la pêche ne peut pas faire vivre tout le monde. J'aimerais mieux ne pas avoir à dire cela, mais c'est un fait. Compte tenu des ressources limitées et des progrès technologiques qui sont plutôt irréversibles, il n'y a tout simplement pas assez de poissons pour tous et chacun des pêcheurs potentiels.

Cela dit, j'ai l'impression que la façon dont le poisson de fond est géré dans le Canada Atlantique ne fait nullement attention au point que vous signalez justement. On s'occupe exclusivement des bateaux et du poisson. Bien sûr, il n'y a pas de mal à s'occuper du poisson et même des bateaux, mais on ne tient pas compte de l'économie régionale et locale et de l'intérêt supérieur de cette économie; pas plus qu'on ne prête attention aux localités côtières.

La raison en est, je suppose, que les gens du MPO se concentrent étroitement sur l'analyse de la situation du poisson et des bateaux, tout comme je le faisais à l'origine. Ils ne savent tout simplement pas comment analyser et comment servir au mieux les localités côtières. Cela ne fait peut-être pas partie de leur mandat, mais chose certaine, quelqu'un devrait s'en préoccuper.

Les jeunes qui habitent dans les localités côtières ont un avenir dans la pêche si la pêche est gérée et contrôlée dans toute la mesure du possible au niveau local. Vous entendrez, j'en suis certain, d'autres intervenants des localités côtières, qui sont plus proches de l'action que je ne le suis et qui vous diront comment le faire de façon positive. À mes yeux, il est crucial d'essayer de maximiser les retombées globales pour l'économie côtière.

Le sénateur Stewart: Monsieur Charles, vous présentez la gestion adaptée aux collectivités côtières comme une solution de rechange. À première vue, je trouve cela très attrayant. Puis, je vous demande comment de nouveaux arrivants pourraient avoir accès à cette entreprise communautaire et vous n'avez tout simplement pas répondu à ma question. Je suis déçu parce que j'espérais que vous mèneriez à terme une argumentation qui me semblait très intéressante et convaincante.

M. Charles: Peut-être n'avais-je pas très bien compris la question ou l'argument. Vous demandez comment les gens auront accès à la pêche?

Le sénateur Stewart: Supposons qu'un pêcheur a deux fils qui voudraient tous les deux suivre les traces de leur père, et supposons qu'un voisin soit dans la même situation. Le nombre de demandeurs augmente. Comment va-t-on décider qui pourra devenir pêcheur et qui en sera exclu? Comment la collectivité décide-t-elle? Par tirage au sort?

M. Charles: Je vois. Non, je ne pensais pas à une loterie. Voyez-vous, j'hésite à répondre à cette question parce que je n'habite pas dans une collectivité de pêcheurs, à moins que vous considériez qu'Halifax en est une.

Le sénateur Stewart: Nous savons que c'est une ville de grandes entreprises.

M. Charles: Oui. Merci. Je voulais seulement préciser que dans le cadre de la gestion communautaire, les décisions prises en réponse aux questions que vous soulevez le sont localement, dans la collectivité. Ce pourrait être Sambro ou Queen's Lunenburg, par exemple. L'essentiel n'est pas que je décrive exactement comment cela fonctionnerait, c'est de mettre en place la structure voulue pour que la collectivité puisse prendre la décision.

À titre d'analyste des pêches, je dirais que s'il y a effectivement un nombre croissant de personnes qui veulent se lancer dans la pêche, à un moment donné, la collectivité va probablement dire: «Nous devons limiter le nombre total de personnes dans le secteur de la pêche, mais utilisons les profits de la pêche pour relancer d'autres secteurs de notre économie».

C'est exactement ce que l'on fait à Shelburne, par exemple, dans le cadre du programme de développement de la collectivité, qui s'appelle maintenant RDA; on essaie essentiellement de faire un inventaire des ressources locales et de diversifier l'économie. Ainsi, des jeunes pourront se lancer dans la pêche si le secteur demeure en santé et est contrôlé par la collectivité, tandis que d'autres ne le pourront pas.

En fait, il n'y a pas de réponse facile à votre question, mais je préférerais que ce soit décidé au niveau de la collectivité.

Le sénateur Butts: Merci beaucoup, monsieur Charles. Je trouve que votre message est le bienvenu.

Quelle différence faites-vous entre le droit de propriété et le droit d'utilisateur?

M. Charles: Je viens justement d'enseigner cela dans le cadre d'un cours à St. Mary's et j'espère donc le savoir par coeur, quoique je dois dire que la question n'est pas entièrement claire. En fait, Evelyn Pinkerton, chercheur canadien de la côte Ouest, préfère parler de droit de gestion, c'est-à-dire le droit de participer à la gestion de la ressource, ce qui me semble un argument fort valable.

Disons que le droit de propriété est associé à la possession d'un bien, tandis que le droit d'utilisateur, c'est le droit d'utiliser une ressource ou d'y avoir accès. Ainsi, la personne ou le pays ou le groupe de gens qui possèdent la ressource, qui sont titulaires du droit de propriété à l'égard de cette ressource, sont ceux qui décident de l'attribution du droit d'utilisateur à l'égard de cette ressource.

Comme les Canadiens sont propriétaires des poissons qui nagent dans les océans, nous devrions en tirer un avantage quelconque, comme nous le faisons pour le pétrole et le gaz, et aussi pour le bois d'oeuvre sur les terres domaniales; mais nous devons aussi déterminer, de façon consciencieuse, quel doit être l'accès à cette ressource afin d'en maximiser les avantages que nous voulons en tirer. À mes yeux, la clé est d'avantager au maximum l'économie côtière.

Les détenteurs du droit de propriété, nommément les Canadiens, décident de l'attribution du droit d'utilisateur. Bien sûr, il y a, à l'égard de la pêche, des droits d'utilisateur historiques qu'il importe beaucoup de respecter: la pêche ancestrale des autochtones le long des côtes, et cetera. Il faut aussi prendre une décision quant aux droits d'utiliser la ressource, globalement.

Le sénateur Butts: Je suis entièrement d'accord avec votre théorie. C'est seulement qu'en pratique -- je viens d'assister à une conférence sur le gaz de l'île de Sable et je ne crois pas que j'aurai un jour mon mot à dire dans ce dossier-là non plus. De sorte que la comparaison avec les forêts ou avec le pétrole et le gaz soulève le même problème, du moins dans mon esprit.

Supposons que nous puissions nous mettre d'accord sur des quotas individuels ou des quotas communautaires. Comment pourrions-nous alors empêcher que les quotas ne deviennent transférables? Je pense que vous avez dit qu'ils finissent toujours par être transférables. Avez-vous une idée de ce que nous pourrions faire pour exclure le «T» de l'équation?

M. Charles: Je ne sais trop que répondre à cela. Le régime d'allocations d'entreprise pour le poisson de fond qui a été introduit dans le Canada Atlantique il y a une quinzaine d'années est un régime non transférable, du moins en théorie. Les allocations d'entreprise attribuées aux compagnies de transformation étrangères comme la National Sea Products, Fishery Products International et d'autres encore sont non transférables. Techniquement, elles peuvent être transférées au cours d'une saison entre des compagnies qui doivent avoir quelque souplesse dans leurs quotas et, personnellement, je ne vois rien de mal à cela.

En pratique, nous avons vu des compagnies titulaires de ces allocations d'entreprise fermer des usines de conditionnement du poisson dans le Canada Atlantique, et ces allocations ont alors été déplacées ailleurs. À mon avis, c'est un échec du processus.

Vous vous souviendrez peut-être de Canso. Cela fait plusieurs années maintenant. À ma connaissance, c'est à Canso que revient le mérite d'avoir lancé pour la première fois l'idée d'un quota communautaire. Ils ont dit: «Pourquoi nous, à Canso, ne serions-nous pas propriétaires de ce quota, au lieu que ce soit National Sea Products ou une compagnie quelconque?» Pourquoi pas? Pourquoi ne pas l'attribuer à la collectivité où se trouve l'usine de conditionnement du poisson? Si la compagnie veut déménager l'usine, on pourra dire à quiconque veut l'acheter qu'ils peuvent avoir accès aux quotas de cette collectivité. Cette procédure m'a toujours semblé logique.

Pour moi, fondamentalement, pour exclure le «T» du sigle QI, il faut faire en sorte qu'on fonctionne sur une base communautaire. Je ne connais peut-être pas très bien les localités de pêche côtières, mais je ne pense pas qu'une collectivité côtière vendrait son principal actif, à savoir l'accès à la pêche. Je ne pense pas que cela arriverait.

Donc, si la collectivité contrôle l'ensemble du quota, même si ce quota communautaire se subdivise en quotas individuels, même si un quota communautaire est subdivisé entre les pêcheurs, je pense personnellement qu'il y a là une sauvegarde qui garantit au moins que la collectivité conservera les avantages de ce quota. Pour moi, ce serait un élément clé.

Le sénateur Butts: Donc, la solution, c'est de remplacer les QI par des QC.

M. Charles: Je répondrai à cela que l'Alaska -- cela semble étrange de citer l'Alaska comme exemple -- est le seul endroit au monde, à ma connaissance, où l'on a appelé les quotas «quotas de développement communautaire». Je pense que nous avons quelque chose à apprendre de ce côté-là.

Nous avons des quotas communautaires ici même en Nouvelle-Écosse, dans Scotia-Fundy, y compris le sud-ouest du Nouveau-Brunswick. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est une expérience qui, de l'avis de tous, je crois, a été couronnée de succès.

Le sénateur Butts: Je pense que nous en avons déjà eu en Nouvelle-Écosse, notamment à Cheticamp; je crois que c'était en 1970-1971 et que le quota appartenait à une coopérative.

Je voudrais bien me joindre à votre croisade en faveur des quotas communautaires, comme le sénateur Stewart l'a mentionné, mais je ne peux pas non plus répondre à sa question. Je pense toutefois que ce qui est pertinent, c'est que le système de quotas communautaires, tel que nous avions tenté d'en faire la proposition au Coastal Communities Network, devait être régi par un conseil qui ne comprendrait pas seulement des pêcheurs, mais aussi des dirigeants de la collectivité, des politiciens municipaux, des représentants des églises ou de la chambre de commerce. Le but, en fin de compte, est de soutenir ces collectivités. La tentative reposait sur l'hypothèse qu'il n'y aurait pas beaucoup de croissance, mais que si nous ne faisions rien, ces collectivités disparaîtraient. Je pense que c'était une tentative désespérée. C'est pourquoi j'ignore ce que je ferais si une foule de gens venaient s'installer dans cette collectivité.

Le président: J'ai deux ou trois questions à poser, monsieur Charles.

Apparemment, il n'existe aucune politique gouvernementale sur toute la question de la privatisation. En l'absence de politiques publiques ou gouvernementales, le MPO a pris l'initiative d'établir une politique en la matière. D'après ce que je comprends, chaque secteur est examiné individuellement et, si l'on trouve que ce serait une bonne idée de le commercialiser, le ministère va de l'avant.

Cela peut poser un problème que des pêcheurs m'ont expliqué l'autre jour de la façon suivante. Qu'arrive-t-il si le ministère souhaite privatiser un certain secteur de la pêche? Des rumeurs commencent à circuler, on dit que tel secteur de pêche passera au régime des QIT. Cela exerce des pressions sur les actuels titulaires de permis, qui travaillent actuellement dans le cadre d'une pêche commune et qui s'efforcent d'augmenter leurs prises pour étoffer leur bilan, ce qui entraîne des problèmes dans ce secteur de la pêche. Les stocks commencent à s'épuiser. Au bout du compte, le MPO intervient et dit: «Voyez-moi ce gâchis. Nous devons instaurer les QIT pour mettre de l'ordre dans tout cela». Je vous dis les choses telles qu'un pêcheur me les a décrites.

D'après ce que j'ai vu depuis quelques années, cette théorie est pleine de bon sens, telle que le pêcheur me l'a présentée, mais c'est à cause de l'absence d'une politique publique sur toute la question de la privatisation.

J'ai demandé il y a quelques semaines au président du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques si le conseil serait intéressé à examiner la question des quotas communautaires, de la privatisation, et cetera, dans le but de chercher à résoudre les problèmes de la pêche. Il m'a répondu qu'il n'avait même pas le droit ou le mandat d'amener le conseil à se pencher sur ce dossier. Je trouve cela regrettable car le conseil est le groupe qui se déplace probablement le plus dans les diverses localités de pêcheurs et qui rencontre le plus grand nombre de pêcheurs un peu partout au Canada.

Croyez-vous qu'il serait possible d'élargir le mandat du CCRH afin d'y inclure le dossier de la privatisation ou de la cogestion communautaire?

M. Charles: C'est une bonne question à poser à quelqu'un qui, il y a à peine trois semaines, a terminé son mandat au Conseil poour la conservation des ressources halieutiques. J'étais président d'un comité du conseil qui a produit un rapport, comme je le disais, sur les conséquences du régime des quotas et du contrôle de l'effort sur la conservation des ressources.

Nous n'avons pas étudié les questions de la privatisation ou des quotas individuels en profondeur; nous avons mis l'accent sur les conséquences qui en résulteraient sur le plan de la conservation.

En bref, je crois pouvoir dire que je suis d'accord avec le président du conseil. Le conseil a acquis passablement de crédibilité en évitant fermement de se laisser entraîner à discuter de questions d'allocations, de savoir à qui revient le poisson et quel doit être l'arrangement en matière de gestion dans le secteur de la pêche. Je crois que le conseil a réussi à s'élever au-dessus de la mêlée, si l'on peut dire, en évitant de se laisser entraîner dans ce débat.

Cela dit, j'ai également été très ferme, au comité du conseil que je présidais, dans ma résolution d'étudier les conséquences sur la conservation. Comme j'ai essayé de le montrer dans mon mémoire, les quotas individuels ont une incidence sur la conservation. Ils ont aussi des conséquences d'ordre social et économique, comme je l'ai dit, mais les conséquences sur le plan de la conservation sont sérieuses. Cette question fait assurément partie du mandat du conseil.

En fait, nous avons examiné la question dans le document de discussion que j'ai mentionné et dont je recommande la lecture à votre comité. Pour ce qui est de faire une étude approfondie, je crois que cela dépasserait les attributions du conseil, bien que je répugne à le dire.

Le président: Nous devons nous pencher sur la question de la propriété des ressources dans un régime de quotas privatisés. Le ministère nous dit qu'à son avis, cela confère un quasi-droit de propriété; que ce n'est pas à proprement parler un droit de propriété.

Le droit de propriété est toutefois de compétence provinciale et l'on craint que les tribunaux provinciaux ne voient les choses d'un tout autre oeil. Les tribunaux pourraient bien décider que les quotas ont bel et bien été privatisés et qu'ils appartiennent donc maintenant à quelqu'un. Que répondez-vous à cela?

M. Charles: Je vais répondre dans l'optique d'un argument que j'ai avancé tout à l'heure au sujet de l'avenir des collectivités. Pour ce qui est d'avoir accès à la pêche, les gens de Sambro, localité qui a une forte tradition de pêche, non loin de Halifax, estiment que s'ils n'avaient pas établi de quotas communautaires au moment où ils l'ont fait, ils auraient peut-être tout perdu. Cela s'explique en partie par les craintes entourant le rachat, la consolidation, la concentration des quotas.

La notion de propriété est présente dans ce dossier. Comme je ne suis pas avocat, je ne pourrais pas vous énumérer tous les aspects techniques et juridiques de la propriété, mais ils semblent être présents dans la question à l'étude. Par exemple, un titulaire de quotas peut maintenant donner ceux-ci en garantie pour emprunter. Les quotas peuvent même être divisés en cas de divorce. Une foule d'indices témoignent du fait qu'il y a bel et bien propriété.

J'ai fait la distinction parce qu'il importe à mes yeux de préciser que, quand on envisage la privatisation, j'espère que nous ne sommes pas en train de vendre le poisson qui nage dans l'océan. Ce que l'on possède, c'est le droit de prendre une quantité donnée de poissons. Voilà ce qu'est un quota individuel. Ce droit particulier a une valeur monétaire; les gens peuvent l'acheter et le vendre. Si le quota est transférable, au moins il y a un marché pour ce faire. À mon avis, ce processus implique qu'il y a propriété d'un bien.

Je voudrais vous parler des autres ressources naturelles. D'après ce que je comprends, le gouvernement fédéral, au nom de la population canadienne, peut accorder des baux donnant accès aux terres domaniales pour y faire de l'exploitation forestière ou de la prospection pétrolière. Dans le cas de la pêche, pour une raison quelconque, on donne des droits à perpétuité. Il n'est peut-être pas absolument clair que ces droits sont accordés à perpétuité, mais, chose certaine, aucune échéance n'est associée à un quota individuel. C'est étrange, étant donné que dans tous les autres secteurs de ressources au Canada, on accorde plutôt des baux pour une période déterminée.

Le président: Je reviens à la question de la concentration. Vous y avez fait allusion dans le cas de Canso, où une compagnie qui possédait des allocations d'entreprise a déménagé les prises d'une localité à l'autre. Cette situation illustre ce qui peut arriver quand une compagnie possède des ressources qui sont censées être la propriété de la population canadienne et qu'elle décide de laisser une collectivité les mains vides. Dans cette affaire, les contribuables ont dû aider la collectivité de Canso à survivre. Cela cadre bien avec vos observations préliminaires, quand vous avez dit qu'il y a un coût global à assumer et que ce sont les contribuables qui paient la note.

Si une proportion suffisante des stocks était concentrée et détenue par un nombre de plus en plus restreint de personnes, est-ce que cela ne pourrait pas devenir un bien qui pourrait s'échanger sur un marché boursier, par exemple à la Bourse de Toronto? Les actionnaires seraient-ils plus attachés aux stocks de poissons que les localités qui dépendent de la pêche depuis des siècles? Au bout du compte, qui se souciera de ces stocks?

M. Charles: C'est un très bon point. Je ne suis pas sociologue, mais je sais que beaucoup de travaux de recherche en sciences sociales ont montré que les gens qui vivent le plus près des ressources naturelles ont tendance à être les meilleurs intendants de ces ressources. Ils sont enclins à conserver la ressource, quoiqu'il y ait bien sûr des exceptions.

En général, la proximité de la ressource encourage la conservation. À titre d'exemple, on peut citer les localités côtières, mais aussi les localités intérieures situées en milieu forestier, où les citoyens n'ont pas tendance à brader les possibilités d'emploi.

Par contre, à mesure que la pêche est de plus en plus perçue comme un simple actif parmi d'autres dans un portefeuille de valeurs, on y est de moins en moins attaché. Du point de vue social, il ne saurait en être autrement.

Les économistes nous disent que les QI ou les QIT renforcent l'idée de la propriété de la ressource, ce qui, à son tour, favorise la conservation de la ressource. Comme votre question l'indique, nous devons toutefois envisager que cet argument soit plus ou moins valable.

Il est absolument vrai que je m'occupe de la parcelle de terrain sur laquelle ma maison est bâtie à Halifax. J'en suis le propriétaire et j'en prends soin. La propriété a des avantages. Mais la proximité a aussi des avantages et elle peut encourager les collectivités, les communautés de gens à voir au maintien de la ressource.

Il semble que le MPO soit résolument engagé à mettre en place des QI et des QIT. Le MPO a beaucoup d'employés, mais il ne compte aucun sociologue parmi ses effectifs. C'est ainsi qu'il ne comprend pas comment une collectivité, une communauté peut conserver une ressource. Ce n'est peut-être pas la faute du MPO. Ses employés ne comprennent pas; ils n'ont pas lu les travaux à ce sujet et ne l'ont pas constaté de leurs propres yeux. Ils n'ont peut-être pas visité suffisamment de localités côtières. À mon avis, c'est l'aspect le plus triste de la question.

Le sénateur Stewart: Je viens d'un village de pêche où l'on qualifie souvent les gens du MPO de pêcheurs du canal Rideau.

On a parlé tout à l'heure de Canso. J'étais député d'Antigonish-Guysborough au Parlement à l'époque où Acadia Fisheries a construit à Canso ce qui était à l'époque l'usine de conditionnement du poisson la plus moderne sur la côte est de l'Amérique du Nord. Les contribuables canadiens ont installé un réseau d'aqueducs et d'égouts pour rendre possible la construction de cette usine.

Acadia Fisheries était une compagnie britannique et, pour des raisons qui ne concernaient aucunement le Canada, mais qui avaient beaucoup à voir avec le gouvernement du Royaume-Uni, elle n'a pas pu rester. La compagnie a donc vendu et l'acheteur a décidé de débarquer le poisson près de Halifax et non plus à Canso; c'est ce qu'on a appelé la rationalisation.

Cette expérience, qui a suscité passablement d'amertume, m'amène à poser certaines questions. Premièrement, si l'on donnait aujourd'hui un quota communautaire à Canso, l'état des stocks de poissons permettrait-il de remettre en activité et de rentabiliser cette usine de conditionnement du poisson? Autre question: quelles espèces de poisson sont débarquées à Sambro? Les stocks sont-ils suffisants pour assurer l'avenir de cette exploitation?

M. Charles: J'ai passé cinq ans au Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, et j'ai acquis des convictions très fermes en matière de conservation. Beaucoup d'autres, dans le domaine de la pêche, en sont arrivés aux mêmes conclusions. J'espère assurément que les gens seront très prudents pour ce qui est de réclamer l'ouverture de certaines pêches, par exemple à Terre-Neuve.

J'ai étudié de très près la pêche du poisson de fond dans le Canada Atlantique. J'ai le sentiment que les pêches qui ont été fermées devraient le rester, notamment le secteur 4VsW, sur la côte orientale de la Nouvelle-Écosse. Les stocks sont très mal en point et c'est l'une des situations les plus tristes. Elle est peut-être en partie causée par des facteurs environnementaux, mais la surpêche en est l'une des causes premières. Nous ne savons pas qui en est responsable, mais il y a eu d'énormes quantités de prises non signalées; autrement dit, de la pêche illégale. C'est fort triste.

Mes amis les pêcheurs côtiers de la côte orientale de la province n'ont pas été la principale cause de l'effondrement de ce stock. Ils n'en étaient pas responsables, sinon peut-être de façon minime.

Dans un proche avenir, on ne saurait fonder de grands espoirs pour ce qui est du poisson de fond local, particulièrement autour de Canso. Une usine est actuellement exploitée à cet endroit, mais je ne pense pas qu'on y conditionne beaucoup de poisson de fond. On y traite surtout des crustacés et des coquillages, notamment la crevette et le crabe. L'usine fonctionne, mais je ne pense pas qu'il y ait d'espoir d'agrandissement dans un avenir rapproché. Je n'ai pas sous les yeux le plan d'activité de cette usine, mais je pense que, pour le moment, elle fonctionne à un rythme approprié.

À mon avis, Sambro est l'exemple de tout ce que l'on peut faire sur le plan communautaire. Tout ce qui peut se faire se fait actuellement à Sambro. Les pêcheurs pêchent diverses espèces. Historiquement, ils ont toujours pêché vers le nord, le long de la côte orientale, et vers le sud. Aujourd'hui, ils pêchent seulement le poisson de fond le long de la côte Sud. Ils pêchent aussi le gros poisson comme l'espadon et diverses autres espèces.

Il se fait du travail pour diversifier la pêche. L'usine dirige aussi un programme de recherche en aquaculture qui, espérons-le, débouchera sur une entreprise commerciale. On fait aussi des efforts pour développer le potentiel touristique de la plage de Crystal Crescent, près de Sambro.

Selon moi, l'approche idéale est d'essayer de diversifier dans le secteur de la pêche et dans d'autres secteurs. Je sais que c'est un combat difficile. Je peux seulement imaginer à quel point ce doit être encore plus difficile de diversifier dans un petit village isolé de Terre-Neuve. La diversification n'est pas une tâche facile, mais les gens de Sambro ne ménagent pas leurs efforts pour l'accomplir.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, les gens de Sambro estiment que le quota communautaire est une étape cruciale vers la stabilité qu'ils espèrent atteindre.

Le président: Au nom du comité, je voudrais dire que nous vous sommes reconnaissants d'avoir bien voulu venir nous faire part de vos vues ce matin. Votre présentation sera très importante en vue du rapport que nous remettrons l'automne prochain.

M. Charles: Je remercie les membres du comité et je vous ferai parvenir le texte de mon mémoire très bientôt.

Le président: Le témoin suivant est M. Arthur Bull, qui est coprésident du Coastal Communities Network de la Nouvelle-Écosse. Cette organisation est une association formée de représentants du secteur de la pêche, soit des pêcheurs et des petites entreprises de transformation, et aussi de municipalités, d'organismes de développement économique et d'organisations religieuses et communautaires. Le Network a été fondé en 1992, dans le sillage de la crise de la pêche du poisson de fond.

M. Bull représente également quelque 250 pêcheurs du Fundy Fixed Gear Council. Monsieur Bull, vous avez la parole.

M. Arthur Bull, coprésident, Coastal Communities Network: Je vous remercie de donner l'occasion au Coastal Communities Network de présenter sa position sur cette question qui revêt beaucoup d'importance pour les localités côtières de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Butts en connaît autant que quiconque sur l'histoire et le mandat du CCN. Je m'en remets à elle à cet égard.

Ces dernières années, le CCN s'est penché sur les questions concernant les pêches. Nous avons fait beaucoup de travail de pionnier en matière de cogestion et de gestion communautaire des pêches et nous avons joué un rôle de défenseur des localités côtières de la Nouvelle-Écosse, en particulier dans le dossier des pêches.

Je voudrais ce matin présenter la position du CCN sur la privatisation et les QIT. Je n'offrirai pas beaucoup de données ou de renseignements découlant des recherches ni de renseignements provenant des experts. Je présenterai plutôt une position fondée sur l'expérience des gens qui habitent dans les localités côtières et qui ont été touchés par cette politique.

Je vais mettre l'accent sur les QIT. Je sais que la privatisation peut se faire selon différentes approches de gestion. L'approche des QIT en est une parmi d'autres et c'est cet aspect de la privatisation qui a eu l'incidence la plus grande sur les localités côtières de la Nouvelle-Écosse.

Je vais présenter la position du CCN sur les QIT et vous donner quelques exemples provenant principalement de la région de la Baie de Fundy. Comme vous le savez, je fais également partie du Fundy Fixed Gear Council, qui est le conseil de gestion de la pêche à l'engin fixe de la côte de Nouvelle-Écosse de la Baie de Fundy. Je vais donc m'inspirer de ce secteur, quoique mes observations pourraient également s'appliquer à beaucoup d'autres localités côtières de la Nouvelle-Écosse. Je vous parlerai également de certaines solutions de rechange à la privatisation, notamment la gestion communautaire. Je terminerai en faisant quelques suggestions en vue d'interventions possibles.

La position du CCN sur les QIT est claire et sans équivoque. Nous sommes contre les QIT parce qu'ils détruisent la ressource et les collectivités qui en dépendent. La privatisation sape à la fois la viabilité et la durabilité des localités côtières de la Nouvelle-Écosse qui vivent de la pêche.

Je ferai quelques observations générales sur la politique des QIT, encore une fois du point de vue des gens qui habitent les localités côtières.

Premièrement, ce n'est pas une politique nouvelle, quoique les journaux de l'Ontario semblent faire croire qu'il s'agit d'une approche novatrice. Comme M. Charles l'a fait remarquer, cette approche est appliquée depuis un certain temps et nous avons pu en constater les conséquences sur les localités côtières. Ce n'est pas une question théorique, ni une question de théorie économique. Cette politique a été appliquée et elle l'est encore. Les gens qui sont touchés en voient les conséquences.

Bien que cette politique soit appliquée depuis un certain nombre d'années, bien plus d'une décennie et même, dans certains cas, près de 20 ans -- elle n'a fait l'objet d'aucune évaluation publique.

Les QIT résultent d'une politique publique spécifique et directe. Ils ne sont pas le produit des forces du marché, de l'évolution démographique ou du changement technologique. Ils résultent directement d'une intervention du gouvernement fédéral dans les pêches.

La plupart des habitants des localités côtières qui sont touchés par cette politique s'y opposent. J'habite près de Digby, qui compte moins de 3 000 habitants. En 1996, 1 000 personnes ont manifesté contre les QIT. Le jour de la pire tempête de 1996, avec un préavis d'environ quatre jours, 5 000 personnes ont manifesté à Halifax contre les QIT. Ce n'est pas une politique qui a été introduite à la demande populaire.

Je voudrais aborder la question des QIT comme propriété privée. Du point de vue des gens qui habitent les localités côtières, c'est bel et bien une propriété privée. Du point de vue des gens qui possèdent les QIT, c'est une propriété privée. On les achète, on les vend et on les loue. Je connais au moins un cas d'une décision de tribunal dans laquelle les quotas ont été reconnus propriété privée dans le règlement d'un divorce. Si cela en a toutes les apparences, c'est effectivement un bien dont quelqu'un est propriétaire. De l'avis des localités côtières, il s'agit bel et bien de propriétés.

Je vais dire un mot de la façon dont le MPO a agi dans ce dossier. Il y a eu un manque de clarté, d'information et de transparence dans l'élaboration et la mise en oeuvre de cette politique.

On décrit parfois les QIT en disant qu'il s'agit simplement d'une allocation. On en parle tantôt comme d'une quasi-propriété et tantôt comme d'une véritable propriété. Quelqu'un dans notre localité a essayé de s'enquérir au sujet des allocations individuelles dans le cadre du programme de QIT, mais il a essuyé un refus. Cette personne a alors invoqué la Loi sur l'accès à l'information et s'est encore butée à une porte close. On a justifié le refus en alléguant que les renseignements demandés étaient individuels; c'est-à-dire qu'ils traitaient d'une propriété individuelle.

D'après le compte rendu, je constate que les hauts fonctionnaires du MPO qui ont témoigné devant le comité ont décrit les QIT en termes d'allocations, ou encore, comme M. Charles les a définis, en termes de droits d'utilisateur. Cela crée beaucoup d'ambiguïtés, ne serait-ce que pour les périodes visées. Dans leurs témoignages devant le comité, les hauts fonctionnaires du MPO ont dit que les QIT de poissons de fond avaient une durée de neuf ans. La semaine dernière, j'ai pourtant lu un communiqué de presse du MPO dans lequel on disait que les QIT étaient une allocation permanente.

Les citoyens des localités côtières veulent savoir pourquoi il n'y a aucune clarté à ce sujet. Cette politique permet la privatisation d'une ressource publique sans le moindre débat public et elle a été imposée à des collectivités qui n'en veulent pas. La politique des QIT comporte donc de graves lacunes sur le plan du processus d'élaboration et de mise en oeuvre.

Les partisans des QIT peuvent dire qu'ils n'ont peut-être pas bien expliqué les QIT, mais que ces derniers sont efficaces et donnent de bons résultats. Voyons donc quels en ont été les résultats, du point de vue de la ressource et de l'économie des localités côtières.

Dans le cas de la ressource elle-même, il a été clairement documenté que les QIT font augmenter le tri, le rejet global et sélectif et les erreurs de déclaration. C'est documenté par le MPO lui-même et M. Charles a expliqué pourquoi il en est ainsi. Du point de vue des localités côtières, il importe de comprendre que c'est un dossier très épineux.

Les gens qui habitent dans les localités côtières savent ce qui se passe sur l'eau. Leurs voisins, leurs frères et leurs amis travaillent à bord de ces embarcations et dans des usines de conditionnement. Tout le monde sait ce qui se passe. Il est très difficile d'assister à un gaspillage massif. Quand il survient dans le stock grâce auquel une pêche côtière par petits bateaux est le fondement économique de la localité côtière, la situation devient particulièrement difficile. Cette pêche s'efforce de survivre en ayant un accès très limité à la ressource. La question de la conservation soulève donc de nombreuses difficultés.

Je peux en donner quelques exemples tirés de ma propre expérience de coordonnateur du Fundy Fixed Gear Council. En 1998, une très grande quantité de tout petits aiglefins ont été pris dans un secteur adjacent à Brown's Bank. Tout le monde le savait dans nos collectivités. Quand les pêcheurs au homard vont acheter de l'appât, ils voient ces poissons. Nous savons ce qui se prend et il y a beaucoup de ressentiment à ce sujet.

Cela ne m'a pas frappé jusqu'à ce que je reçoive un coup de téléphone d'un capitaine de chalutier. Il m'a appelé à titre de représentant du Conseil de la pêche à l'engin fixe et m'a dit: «Il faut absolument faire quelque chose à ce sujet. Il faut mettre fin à cette pêche.» Il a parlé de la possible extinction de la ressource, si cette pratique se poursuivait. Il a dit que quatre bateaux sur cinq dans cette flotte pêchaient avec des doublures dans leurs filets. Et c'est un capitaine de chalutier qui me disait cela, un membre de la flotte des QIT.

Quelqu'un a signalé qu'au cours des deux premiers mois de la saison, deux bateaux avaient rejeté plus de 240 000 livres de poisson de fond. Il y avait plus de 100 tonnes de poissons morts dans l'eau. Et celui qui le disait était bien placé pour le savoir.

Ces anecdotes vous donnent une idée de ce qui se passe sur le terrain; de la situation telle qu'elle est dans les localités côtières. Du point de vue des localités côtières de la Nouvelle-Écosse, la politique des QIT comme mesure de conservation est un échec total.

Pour ce qui est de l'incidence économique des QIT, M. Charles a décrit comment on encourageait la concentration de la propriété. C'est assurément ce qui s'est passé dans les flottes où le MPO a introduit les QIT. Comme il l'a signalé, ceux qui ont le plus d'argent, c'est-à-dire les compagnies de transformation, sont capables d'acheter les quotas. De plus, ils peuvent acheter les permis et les entreprises. C'est une combinaison très dangereuse.

La politique de permis du MPO dans la région de Scotia-Fundy prévoit qu'il y a séparation des flottes, c'est-à-dire que l'entreprise doit être exploitée par son propriétaire. Pour avoir un permis, il faut être chef d'entreprise. Cette politique n'est toutefois pas appliquée. Il est possible pour une usine d'acheter non seulement le quota, mais aussi l'entreprise. L'usine peut alors diriger l'entreprise. L'homme qui tient la barre est, sur papier, le propriétaire-exploitant, mais en fait, c'est un employé de la compagnie. C'est ce qui se passe sur une grande échelle partout où l'on a implanté le régime des QIT.

Réfléchissons à la logique de tout cela. Nous avons une ressource publique qui a été privatisée en l'absence de tout débat public et qui s'est retrouvée entre les mains non pas des pêcheurs, mais bien des compagnies qui exploitent des usines.

Quelle est l'étape suivante? Dans les localités côtières, nous ignorons la réponse à cette question. Nous n'avons aucun contrôle là-dessus.

Si le propriétaire d'une grande partie de la flotte, des quotas et des permis était racheté par une compagnie étrangère, une ressource canadienne se retrouverait entre les mains d'une autre compagnie. Cela pourrait arriver dès cette année. Nous n'avons pas besoin de l'AMI pour que la possibilité se concrétise. On peut fort bien imaginer que tel pourrait être l'aboutissement de la privatisation.

L'existence même des localités côtières est fondée sur cette ressource et les gens qui y habitent, en un sens, s'en sont vus interdire l'accès. Je répète que du point de vue économique et du point de vue de la conservation, la politique de QIT a été et continuera d'être ruineuse pour l'existence même des localités côtières de la Nouvelle-Écosse.

Je vais maintenant vous parler des solutions de rechange aux QIT. Je pense qu'il est important que le Coastal Communities Network et les collectivités que nous représentons ne se contentent pas de s'attaquer à cette politique et de la dénoncer comme nocive, mais proposent aussi des solutions de rechange. Je le répète, le CCN a fait beaucoup de travail pour jeter les bases de la cogestion.

M. Charles a parlé de l'émergence de modèles de gestion communautaire qui sont actuellement en place en Nouvelle-Écosse. Il y a d'autres cas de gestion communautaire qui apparaissent ailleurs dans le Canada Atlantique. Il importe de savoir que c'est probablement la principale tendance mondiale dans la gestion des pêches.

En nous efforçant d'apprendre comment implanter la gestion communautaire, nous avons passé beaucoup de temps à étudier ce qui se fait à l'extérieur du Canada. La Banque mondiale est l'hôte d'une conférence sur la gestion communautaire à Washington, à laquelle participent des organisations du monde entier. Comme vous pouvez le constater, c'est une approche qui a une certaine légitimité.

Pendant la période de questions, je me ferai un plaisir de vous donner de plus amples détails sur la gestion communautaire. Pour l'instant, je vais vous décrire les principes en cause.

Le premier principe est que les pêcheurs et leurs collectivités doivent jouer le rôle primordial dans l'intendance de la ressource. Dans ce but, il faut mettre en place des processus de décision clairs, démocratiques et transparents, avec la participation des pêcheurs et de leurs collectivités. C'est l'élément crucial dans la gestion communautaire. Les gens qui sont touchés par les politiques doivent avoir leur mot à dire dans l'élaboration de ces politiques.

Le deuxième principe est que la gestion communautaire permet d'adopter une approche davantage écologique en matière de gestion, une approche axée sur l'écosystème. Je veux dire par là que l'on peut tenir compte de l'interdépendance entre les espèces, l'habitat, les stocks, l'évolution de la pêche; il devient possible de faire les choses de façon globale. C'est très différent de la gestion que nous avons eue sous le régime du MPO, qui a eu tendance à cloisonner les divers éléments que sont les espèces, les bateaux, les types d'engins et tout le reste. Cette approche écologique est très importante dans la gestion communautaire.

Troisièmement, l'expression «gestion communautaire» signifie que la gestion des pêches peut maintenant être élaborée dans le contexte du développement économique durable des collectivités. Nous pouvons donc chercher à créer le plus grand nombre possible d'emplois durables dans cette collectivité. C'est un aspect très intéressant de la gestion communautaire que l'on voit apparaître parce que cela veut dire, du point de vue du public canadien et du contribuable canadien, que nous pouvons envisager la pêche comme un investissement, comme un créateur d'emplois viables. Est-il efficace d'avoir un bateau doté d'un équipage de trois ou quatre personnes, pour un quota qui pourrait faire vivre 60 ou 70 personnes? Voilà le genre de décisions qu'il faut prendre. Il s'agit de gérer la pêche comme partie intégrante du développement économique de la collectivité et c'est probablement l'aspect le plus prometteur de la gestion communautaire des pêches que l'on voit émerger de nos jours.

Je pense que je vais m'en tenir là. J'ai autre chose à dire, mais je pense qu'on en parlera pendant la période des questions. Je vous remettrai également un mémoire écrit à l'appui de mon intervention. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bull. Nous allons commencer par le sénateur Stewart.

Le sénateur Stewart: Je voudrais demander au témoin si j'ai raison de dire qu'il a entendu la discussion que nous avons eue tout à l'heure?

M. Bull: Oui, je l'ai entendue.

Le sénateur Stewart: Dans ce cas, vous connaissez un peu ma position. J'ai trois questions, monsieur le président. Je pense que je vais les poser dans l'ordre croissant d'importance.

Monsieur le président, comme vous le savez, nous avons entendu à notre dernière réunion un témoin défendre très énergiquement le système des quotas individuels transférables (QIT), en s'appuyant sur une pêche particulière de la côte Ouest, la pêche à la morue charbonnière; ce témoignage n'est peut-être pas à la disposition de M. Bull. J'ai ici un document qu'il doit avoir lu. C'est le rapport du comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, qui a été déposé il y a à peine quelques jours. Je vais en lire le paragraphe 66:

Dans South West Nova, par contre, un représentant de la pêche côtière à l'engin mobile a donné un point de vue très différent du système des QIT. Avant la réorganisation et la mise en place des QIT, la flotte avait connu une croissance rapide, en dépit des tentatives visant à limiter l'effort de pêche, avec le résultat que la capacité avait atteint, estime-t-on, 400 p. 100 des besoins. L'adoption du système des QIT a apporté des avantages comme la capacité de planifier les activités de pêche en fonction du marché et de la météo et de la disponibilité de la ressource. Cela a permis également de développer d'autres pêches qui n'auraient pas existé dans un régime de propriété commune à cause des dispositions sur les prises accidentelles.

Maintenant, cette région de la Nouvelle-Écosse est précisément celle dans laquelle vous vivez. On parle ici de la pêche côtière à l'engin mobile. Comment se fait-il qu'un point de vue aussi différent émane de votre région de la côte Est? On peut supposer que ces gens-là ont une bonne raison d'adopter cette position. Savez-vous quelle est cette raison?

M. Bull: J'ignore qui a fait ce commentaire. D'après mon expérience, de façon générale, ce sont les très rares personnes qui sont gagnantes dans le cadre d'une politique des QIT qui appuient habituellement cette politique. Cela se vérifie partout, en Islande, en Norvège ou en Nouvelle-Zélande. Il y a des gagnants, mais ils sont très peu nombreux. Par contre, les milliers de personnes qui ont participé à la marche de protestation à Digby ne se voyaient clairement pas comme des gagnants, mais on peut toujours trouver quelqu'un qui a été avantagé.

Le sénateur Stewart: Vous êtes membre du Conseil de la pêche à l'engin fixe et j'ai bien précisé qu'il s'agit ici de la pêche à l'engin mobile. La différence dans le type d'engin contribue-t-elle à expliquer la divergence des points de vue?

M. Bull: Certains ont proposé d'implanter des QIT dans la pêche à l'engin fixe. Probablement que ceux qui seraient gagnants dans cette pêche précise diraient la même chose. Les quelques bateaux de grande taille ou les compagnies qui obtiennent les quotas et les permis diraient que c'est un excellent système. Le problème, c'est que l'on n'entend pas souvent le point de vue de ceux qui ont été exclus dans leur collectivité.

Le sénateur Stewart: Contrairement à ce que le ministère croit ou affirme croire, vous dites que le système de QIT résulte en un gaspillage énorme. Vous avez parlé de doublures dans les filets. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la gestion communautaire de certaines pêches données mettrait davantage l'accent sur la conservation?

M. Bull: Il y a deux ou trois raisons. Les pêches, au lieu d'être gérées par une compagnie dans une optique de profit, seraient gérées pour assurer la durabilité et la viabilité. Cela me ramène à un point que l'on a soulevé tout à l'heure: les gens dont les familles et les enfants dépendent de cette ressource sont ceux qui sont les mieux placés pour en assurer l'intendance. On adoptera une approche de gestion différente, ne tenant pas compte exclusivement des profits.

Il y a aussi la question de l'application de la politique. D'après mon expérience, les conseils de gestion communautaire obtiennent de leurs membres qu'ils appliquent plus scrupuleusement les mesures de conservation parce qu'elles sont établies par des gens de la place. Par exemple, au Conseil de la pêche à l'engin fixe de Fundy, il y a un comité des infractions qui est composé de pêcheurs. Si quelqu'un ne se conforme pas au plan de gestion, il est convoqué devant ce comité, lequel a le pouvoir d'imposer une sanction. La question n'est plus de savoir comment nous pouvons nous montrer plus malins que le MPO pour prendre plus de poisson. Le comité est très clair: si quelqu'un prend trop de poisson ou enfreint les règles d'une manière quelconque, il se trouve à prendre ce qui appartient à son voisin. Cette approche différente de la gestion des pêches, où les pêcheurs eux-mêmes jouent le rôle d'intendants de la ressource, semble beaucoup plus prometteuse.

Le sénateur Stewart: Quelles espèces de poissons sont pêchées par les membres de votre organisation dans la région de Digby?

M. Bull: Du poisson de fond: morue, aiglefin, goberge, merlu et flétan.

Le sénateur Stewart: J'en arrive maintenant à ce qui est, je crois, ma question la plus importante. Je dois dire que je trouve l'idée de la gestion communautaire très attrayante. La raison en est, monsieur le président, que j'ai suivi de près ce qui s'est passé à Canso, depuis le problème que nous avons eu pour obtenir l'usine Acadia de conditionnement du poisson à cet endroit jusqu'aux avatars qu'a connus cette usine par la suite. La gestion communautaire aurait été très avantageuse pour Canso et pour le Canada.

Je me demande si le témoin est d'avis que toutes les espèces peuvent se prêter à ce type de gestion. La pêche au homard, par exemple? Est-ce davantage nécessaire pour certaines espèces que pour d'autres?

Il y a ensuite toute la question de l'intendance responsable. Je me rappelle, monsieur le président, l'époque où il y avait des coopératives de pêcheurs dans la région du détroit de Northumberland et certaines d'entre elles semblaient fonctionner très bien, presque aussi bien que ce que le témoin anticipe pour le régime de la gestion communautaire globalement. D'autres étaient toutefois très boiteuses.

Je pense que c'est une question difficile, mais c'est à mon avis une question qu'il faut poser. Les adversaires de cette approche demanderont inévitablement si vous ne faites pas des hypothèses quant à la qualité du jugement des gestionnaires dans ces entreprises communautaires. Ne portez-vous pas un jugement très optimiste, peignant un tableau idéal qui masque la dure réalité?

Deuxièmement, je voudrais vous poser la question que j'ai posée tout à l'heure: comment la communauté décidera-t-elle lequel des cinq fils d'un pêcheur remplacera son père dans la pêche?

M. Bull: Je vais répondre à quelques-unes de ces questions. J'ignore si je pourrai les aborder toutes dans le bon ordre. Premièrement, au sujet des autres espèces, je ne crois pas que le poisson de fond ait quoi que ce soit d'unique qui le prédispose à la gestion communautaire. Il semble qu'une initiative de gestion communautaire de la pêche au homard à Terre-Neuve remporte beaucoup de succès. La productivité a augmenté constamment chaque année grâce à l'application de mesures de conservation dans la plupart des secteurs. Je crois que cette façon de faire pourrait fonctionner dans la récolte intertidale des palourdes et des homards. Je ne sais pas très bien où cela s'arrêterait, mais il est certain que cette approche ne vise pas spécifiquement le poisson de fond ou les engins fixes.

Je voudrais commenter brièvement ce que vous avez dit au sujet des coopératives. Il est très intéressant de voir que certains groupes de gestion communautaire commencent justement à envisager de créer des coopératives, des coopératives de mise en marché et d'investissement, qui constitueront logiquement l'étape suivante. Ils estiment que s'il n'y a pas moyen de prendre beaucoup plus de poisson, il leur faudra chercher à accroître les avantages économiques par des programmes de qualité et de valeur ajoutée. Cette tendance fort intéressante commence à émerger dans le cadre de tout ce dossier de développement économique communautaire.

Pour ce qui est d'être optimiste, c'est peut-être la seule attitude possible dans la pêche. Autrement, il faut baisser les bras. Mais je me fonde aussi sur mon expérience des trois dernières années dans la gestion concrète des pêches -- pas moi personnellement, mais les pêcheurs et leurs représentants -- sur la côte néo-écossaise de la Baie de Fundy. Je crois que la clé, qui aide certainement à instaurer un bon leadership et à obtenir de bonnes décisions, c'est d'avoir une organisation très solide; il ne faut pas qu'une poignée de gens disent à une foule de gens ce qu'ils doivent faire.

Dans notre organisation, il y a des représentants élus pour chaque quai. Il y a un comité de la pêche à la ligne à main qui est élu géographiquement; un comité de la pêche à la palangre, un autre pour la pêche au filet maillant et un comité des infractions. Tous ces comités sont formés de membres élus et doivent donc rendre des comptes. Il me semble que, du moment que l'on met sur pied ce processus, il est moins probable qu'une poignée de gens s'emparent des leviers de commande.

J'en arrive maintenant à la question relative aux cinq fils. Je n'ai pas de réponse toute prête à cette question non plus, mais je dirai que le changement clé à cet égard, c'est que toutes ces questions de viabilité, de savoir qui doit faire partie de la pêche et qui doit en être exclu, doivent être décidées dans les collectivités visées. Le gouvernement fédéral ne doit pas nous dire à combien s'élève un revenu acceptable dans nos localités. Pour quelqu'un d'Ottawa, un revenu acceptable tiré de la pêche n'a pas le même sens que pour quelqu'un qui habite à Digby Neck. Peu importe que quatre des fils soient autorisés à pêcher, ou seulement trois, ou deux, ou tous les cinq, la décision doit être prise localement. La question de savoir ce qui est acceptable peut seulement être tranchée localement.

Je voudrais en profiter pour ajouter quelque chose. Quand je dis que les pêcheurs élisent des représentants pour gérer la pêche, il y a parmi les membres du conseil des représentants de la collectivité. En tout cas, il y en a au Fundy Fixed Gear Council. Les pêcheurs ont le rôle primordial de gestion, mais il s'y trouve aussi des représentants de la collectivité, de sorte que le conseil représente l'ensemble de la collectivité.

Le sénateur Stewart: J'ai une dernière question au sujet des compétences. Je parie que si les régimes ont dominé les pêches, c'est notamment parce que les pêches relèvent du Parlement du Canada. La proposition que vous avancez exigerait des structures juridiques qui relèveraient en partie des autorités provinciales.

Je me demande si votre conseil s'est penché sur le problème du partage des compétences. Peut-être la situation insatisfaisante dans laquelle nous nous trouvons actuellement résulte-t-elle du fait que le gouvernement fédéral a abordé cette question essentiellement comme un dossier industriel, tandis que vous adoptez une approche sociale des pêches. Je pense que beaucoup d'aspects de cette question seraient du ressort de la province. Vous êtes-vous penchés sur ce problème?

M. Bull: Non, pas vraiment. Je pense que la question des compétences est vraiment importante. En fait, il s'agit de remettre des pouvoirs et des compétences aux localités côtières. Il faudra selon moi se pencher là-dessus, surtout parce que, si je comprends bien, le gouvernement actuel va présenter encore cette année la Loi sur les pêches, ce qui aura d'importantes conséquences dans le domaine des compétences en particulier, car l'on ne définit pas avec qui le ministre peut signer une entente de gestion. Essentiellement, on ouvre la porte à la légitimation complète de ce droit de propriété et à l'exclusion des collectivités.

Donc, de notre point de vue, cette Loi sur les pêches, si elle est présentée telle qu'elle était en 1997, constitue une très grave menace pour les localités côtières. Pour en faire une mesure législative positive, il faut y prévoir notamment que l'une des normes à respecter pour signer une entente de gestion fera en sorte que la collectivité, les gens visés par cette entente, participeront au processus.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bull. Tout le dossier de la Loi sur les pêches aura en effet une incidence sur la question à l'étude ce matin. Nous devrons remettre à une réunion ultérieure la discussion sur les modalités de la Loi sur les pêches, mais vous avez raison de le signaler.

Le sénateur Butts: Je voudrais donner suite au dernier point soulevé par le sénateur Stewart. Vous aurez peut-être une longueur d'avance si vous essayez de prendre en main la gestion de votre propre quai. A-t-on déjà commencé à le faire?

M. Bull: C'est intéressant parce qu'il me semble que c'est encore un élément qui découle naturellement de la gestion communautaire. Je pense que nous essayons de composer avec cet autre aspect de la privatisation. Même si nous mettons en place tout ce qu'il faut pour la gestion, on pourra nous enlever l'infrastructure concrète nous permettant de pêcher. Cela fait également partie de l'aspect développement économique communautaire de la pêche. Nous devons nous organiser autour des quais, des bouées, etc. Je pense que cela s'inscrit également dans le mouvement général axé sur la prise en charge de leur avenir par les collectivités.

Le sénateur Butts: C'est précisément la raison pour laquelle j'ai soulevé la question. Je pense que si ce même conseil communautaire prenait en main la gestion du quai, il vous faudrait faire payer des frais minimes à chaque utilisateur. Quelle que soit la façon dont vous vous y prendriez, cela ne poserait pas un autre problème de compétence.

J'ai trouvé intéressant que votre présentation porte spécifiquement sur les QIT. Ce que vous avez dit s'appliquerait-il également aux QI?

M. Bull: Je pense que M. Charles en a parlé dans sa présentation. Dans le contexte de la gestion communautaire, une flotte pourrait être gérée dans un régime de QI si les transferts n'étaient pas permanents et n'avaient pas une durée de plus d'un an. Je ne pense pas que ce serait nécessairement un problème. Nous n'avons pas du tout de QI dans notre flotte, mais je sais qu'il y en a dans d'autres flottes qui sont dans la catégorie «gestion communautaire», et je crois donc que c'est possible. La clé, c'est que les transferts ne soient pas permanents afin de ne pas pouvoir être traités comme un bien.

Un autre point qui est vital pour cette politique de propriétaire-exploitant, c'est que ces quotas ne peuvent pas être accordés à quelqu'un qui n'est pas pêcheur, qui n'est pas propriétaire d'une entreprise. C'est également fondamental pour nous.

Le sénateur Butts: Il n'y a pas unanimité là-dessus jusqu'à maintenant, n'est-ce pas? Un témoin de cette région s'est prononcé tout à fait en faveur des QI et des QIT et était convaincu que c'était la voie de l'avenir. Rencontrez-vous de l'opposition de la part de ceux qui défendent ce point de vue?

M. Bull: C'est certain qu'il y a des divergences d'opinions là-dessus. Sans faire de conjectures sur les motifs de quiconque, je ne pense pas que cette approche de gestion soit telle qu'elle ferait quelques gagnants et beaucoup de perdants. Fondamentalement, tous ceux qui sont gagnants, que ce soit en Norvège, en Islande ou en Nouvelle-Écosse, sont fortement en faveur de l'approche. Quant aux gens qui n'ont pas de QIT, disons qu'ils ne sont pas très nombreux à appuyer les QIT.

Le sénateur Butts: Je voudrais que vous m'expliquiez de façon un peu plus détaillée quel serait le rôle du MPO dans votre régime.

M. Bull: Essentiellement, nous venons tout juste d'emprunter la voie de la gestion communautaire. Nous sommes dans une situation quelque peu hybride où le MPO nous a essentiellement attribué un quota fondé sur l'historique des prises de l'ensemble de notre région entre 1986 et 1993. Nous avons encore un système de quota qui nous a été attribué.

Outre qu'il nous donne ce quota et qu'il établit les conditions d'obtention des permis, le MPO ne fait rien. Essentiellement, il dit: «Voici le quota; gérez-le comme vous voulez». Pour faire fonctionner tout cela, nous avons des contrats civils que les pêcheurs signent avec leur propre organisation et par lesquels ils s'engagent à respecter un plan de pêche, etc. Le MPO ne veille pas à l'application de notre plan; nous devons le faire nous-mêmes. En un sens, c'est un mécanisme d'autoréglementation.

Mais à part de nous donner ce quota et de veiller à son application sur l'eau, le MPO joue un rôle très effacé. Toutefois, la question de l'application est importante parce que le MPO a subi de très sérieuses compressions, comme nous le savons, et que l'on fait maintenant très peu d'efforts de surveillance de l'une ou l'autre des flottes.

Nous aimerions avoir un accord plus formel avec le MPO. Nous pourrions nous occuper de bon nombre de dossiers de gestion, l'octroi des permis, etc. Mais il y a des choses dont nous voudrions que le MPO se charge et l'une d'elles est la surveillance sur l'eau.

Le sénateur Butts: Par conséquent, la cogestion communautaire devient un quota communautaire. Ce quota est-il qualifié de communautaire?

M. Bull: Oui. Il l'est actuellement. On le qualifie de «quota communautaire».

Le sénateur Butts: Par conséquent, la cogestion communautaire suppose qu'un quota est attribué à une collectivité?

M. Bull: Oui, et cela nous ramène à la question du droit de propriété. Ce n'est pas que nous voulons posséder ce quota comme collectivité. Nous voulons assumer la gestion de ce quota au nom du peuple canadien. C'est une ressource publique que nous, qui vivons et travaillons à proximité, en un sens, détiendrons en fiducie pour les générations futures.

Le sénateur Butts: Je suis entièrement d'accord avec vous. Je pense toutefois qu'il est très important que vous ne disiez pas seulement «cogestion» ou «partenariat», parce que ces mots ont pris un sens complètement différent au sein du MPO et dans d'autres documents.

M. Bull: Je suis entièrement d'accord avec vous.

Le sénateur Butts: Dans ce régime, quelle place y a-t-il pour les myriades de syndicats de pêcheurs que vous avez en Nouvelle-Écosse, par exemple?

M. Bull: De la façon dont notre conseil est structuré, les associations et les syndicats sont en fait les groupes qui constituent le conseil de gestion. Par exemple, quand on a créé le Fixed Gear Council, il y avait la Island's Inshore Fishermen's Association, la Bay of Fundy Inshore Fishermen's Association et l'Union des pêcheurs des Maritimes. Tous les trois envoyaient des représentants siéger à ce conseil de gestion.

Les syndicats et les associations sont le fondement démocratique du conseil de gestion. Les pêcheurs élisent leurs représentants au sein de l'organisation à laquelle ils payent leurs cotisations et qui leur donne leur carte.

Le sénateur Butts: Serait-il avantageux pour vous d'amalgamer tout cela en un seul syndicat, ou même de vous en passer?

M. Bull: À mon avis, ce serait avantageux, mais beaucoup d'associations du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse remontent à bien longtemps. Les gens estiment qu'il est préférable de conserver la structure existante et qu'il faudra peut-être du temps avant que tout le monde devienne membre du même syndicat. Cela peut arriver, mais je pense que nous y arriverons par la participation de tous à ce processus de gestion.

Le sénateur Butts: Avez-vous réussi au cours de l'année passée, depuis que j'ai quitté la scène, à obtenir des cotisations obligatoires de ces syndicats?

M. Bull: Les cotisations obligatoires n'ont pas été adoptées en Nouvelle-Écosse à l'exception de l'une des régions. En général, elles ne l'ont pas été à cause du taux de participation trop faible. Toutefois, dans notre secteur, nous avons en un sens des cotisations obligatoires. Pour pêcher dans le cadre du plan du Fixed Gear Council, il faut être membre de l'association. Tous ceux qui pêchent deviennent membres. Environ 95 p. 100 sont à jour dans le paiement de leurs cotisations, ce qui est habituellement la vraie façon de mesurer l'appui des pêcheurs.

Le sénateur Butts: Les cotisations syndicales font partie intégrante du permis de pêche?

M. Bull: Oui. Il faut devenir membre de l'association pour pouvoir signer l'un de ces contrats civils.

Le sénateur Butts: Merci beaucoup.

Le sénateur Perrault: Monsieur le président, j'hésite à intervenir dans ce dialogue très instructif. Je suis de la côte Ouest et non pas de la côte Est, mais vos observations très utiles m'ont beaucoup appris.

Nous avons des préoccupations semblables sur la côte Ouest. Je n'entrerai pas dans les détails, ce débat aura lieu au jour et à l'heure dite. Nous en arrivons toutefois à la conclusion qu'il y a une crise mondiale dans la production de poissons destinés à l'alimentation, que cette crise ne sévit pas seulement en Amérique du Nord, mais dans le monde entier, et qu'elle a peut-être quelque chose à voir avec les vastes changements environnementaux, notamment les émissions d'ultraviolets, l'amincissement de la couche d'ozone et la destruction du plancton dont se nourrit la morue.

Je me demande si vous avez une opinion sur ces théories voulant que les facteurs environnementaux soient la cause principale de l'effondrement des stocks? J'aurai ensuite d'autres questions.

M. Bull: Franchement, je ne suis pas en mesure de vous répondre; je n'ai pas le bagage scientifique voulu. Mais des questions de ce genre pourraient être abordées dans le cadre de la gestion communautaire. Les aspects scientifiques et la recherche deviendraient effectivement partie intégrante de la gestion communautaire. S'il y a un changement environnemental dans la Baie de Fundy, les pêcheurs pourraient suivre la situation de près. Cette information, qui influera sur les plans de pêche, pourrait être intégrée au processus de gestion.

Le sénateur Perrault: Sur la côte Ouest, le coho est tout près de l'extinction. Vous avez lancé des idées très positives aujourd'hui sur la façon de mettre en place des systèmes de gestion plus efficaces. Ce qui me préoccupe, c'est que la solution ne réside pas seulement dans des améliorations aux techniques de gestion. Le dossier est beaucoup plus vaste.

Un bon nombre de gens, un peu partout au Canada, ont proposé de confier le dossier des pêches aux provinces. Croyez-vous que des arguments militent en faveur de cette option? Quelle est la position de votre organisation?

M. Bull: Je ne suis pas certain que ce serait une solution facile. Peut-être que la province devrait jouer un rôle plus important et participer aux discussions.

Nous sommes davantage intéressés à faire passer les pouvoirs au niveau communautaire, mais peut-être la situation est-elle différente sur la côte Ouest.

Il sera important que tous les intervenants soient à la table et que cela ne dégénère pas en une lutte interne entre les autorités locales, provinciales ou fédérales. Il est clair qu'il faut s'orienter vers une vue intégrée de la gestion des pêches et que nous devons nous éloigner de cette fragmentation qui est responsable des problèmes.

Nous aimerions bien jouer un rôle plus important. Notre organisation serait ravie de jouer un rôle plus important et il en va sûrement de même pour la province. Je ne suis pas certain que nous voudrions nécessairement transférer tout le dossier. Il est plus important de se pencher sur la gestion locale.

Le sénateur Perrault: Peut-être serait-il très logique, si nous sommes confrontés à une telle crise, que les gouvernements provinciaux participent davantage et travaillent de concert avec les autres paliers de gouvernement et avec des organisations comme la vôtre.

Sur la côte Est, je crois qu'il y a encore eu une baisse des stocks du saumon de l'Atlantique. En a-t-on cerné une raison quelconque?

M. Bull: Là encore, ce n'est pas du ressort de notre organisation. Je n'en suis pas sûr. Je l'ai également entendu dire.

Je pense que la province pourrait jouer un rôle vraiment positif en examinant toute cette approche du développement communautaire et économique, des coopératives et de la valeur ajoutée dans les pêches; c'est-à-dire le dossier de l'amélioration des aspects économiques des pêches.

Le sénateur Perrault: Ce qui améliorerait du coup les perspectives d'emploi et tout le reste. Je pense que vous avez présenté aujourd'hui un document très positif et je tiens à vous remercier, à titre de citoyen de la côte Ouest, pour tout ce que vous faites.

Le président: Merci beaucoup, sénateur Perrault. Monsieur Bull, vous avez fait allusion à une déclaration du ministre dans laquelle il aurait traité les QIT d'allocations permanentes. Je me demande si vous pourriez obtenir la référence ou nous dire où vous l'avez prise. Nous aimerions bien la lire.

Deuxièmement, au sujet des quotas et de la cogestion communautaire, je sais que vous examinez cela sous de très nombreux angles. Mais actuellement, votre quota se limite strictement au poisson de fond. Toutefois, l'un des grands avantages de la cogestion communautaire est que si la pression devient trop forte sur un stock, vous pouvez la déplacer. Un pêcheur peut pêcher une autre espèce de poisson. Votre groupe vise-t-il cet objectif, c'est-à-dire d'adopter une approche axée sur un plus grand nombre d'espèces de poisson? Ou bien est-ce quelque chose que vous ne pouvez pas vous permettre, est-ce utopique pour le moment?

M. Bull: Je pense que c'est une possibilité qui pourrait déboucher de la cogestion communautaire. Vous savez, comme le savent les Néo-Écossais, que la grande force de l'économie, c'est d'avoir une approche axée sur de multiples espèces, d'aborder la pêche avec une plus grande souplesse et de ne pas se concentrer sur une seule espèce. Traditionnellement, c'est ainsi que l'on a réussi. Je pense que nous devrions nous pencher sur nos réussites pour décider comment procéder à l'avenir.

Je suis d'accord avec votre dernière observation, à savoir que cela n'arrivera pas du jour au lendemain. N'oubliez pas que presque tous nos membres, qui pratiquent la pêche à l'engin fixe, sont également des pêcheurs de homard et par conséquent, la possibilité n'est peut-être pas aussi éloignée qu'on pourrait le croire.

Le président: J'ai une dernière question. L'un des inconvénients de la pêche multi-espèces, c'est que si un pêcheur n'utilise pas un permis donné pendant un certain nombre d'années, le MPO a tendance à intervenir et à lui enlever ce permis, ce qui exhorte le pêcheur à l'utiliser. C'est l'un des dangers d'avoir un, deux ou trois permis. La cogestion communautaire atténuerait-elle quelque peu ce problème?

M. Bull: Quand on examine la gestion communautaire, rien n'empêche de penser que l'on pourrait également s'occuper des permis. En fait, les permis feraient partie de la gestion. Notre organisation est en train de créer un comité des permis formé de représentants de la collectivité et des pêcheurs pour établir une politique locale des permis. Là encore, les questions de ce genre devraient être tranchées au niveau communautaire, en fonction de ce qui est le plus avantageux pour la collectivité.

Le sénateur Stewart: Ma question porte sur un sujet très différent. J'ai vu les pêcheurs augmenter leurs immobilisations, s'acheter un bateau et l'équiper de matériel dernier cri. Quand je leur demande s'ils en ont vraiment besoin, ils me disent que non, mais qu'ils y sont poussés par la Loi de l'impôt sur le revenu.

Avez-vous fait l'expérience d'un effet de ce genre que la Loi de l'impôt sur le revenu aurait sur les pêches? Quand on s'achète un meilleur bateau et du matériel de meilleure qualité, il faut prendre plus de poisson pour payer tout cela, et c'est ainsi que le cercle vicieux est attribuable au ministre du Revenu national.

M. Bull: Ce n'est pas tellement un grave problème dans le secteur que nous représentons parce que les pêcheurs survivent par la peau des dents. Il n'y a pas beaucoup d'investissement en capital dans ce secteur de la pêche.

C'est une question intéressante en termes de capacité des pêches. Il est fascinant de voir quel rôle financier ont joué les gouvernements fédéral et provinciaux en finançant la construction de bateaux sur une échelle qui dépassait largement ce que la pêche pouvait justifier.

Ce serait bien d'élargir le débat et de ne pas se limiter au rôle du MPO. DRHC vient de dépenser plusieurs milliards de dollars dans les pêches, ce qui en fait probablement un intervenant important aussi. Je suis certain qu'il se demande s'il en a pour son argent et combien d'emplois sont créés. Cela s'inscrit dans cette réorientation que l'on voit émerger. Je pense que c'est une façon importante de voir les pêches, non pas seulement dans l'optique du MPO, mais en tenant compte de l'ensemble de la situation économique et de la totalité du gouvernement fédéral, incluant DRHC, le revenu, et cetera.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bull. Nous allons mettre fin à la séance. Au nom du comité, je vous remercie d'avoir pris le temps, en dépit d'un horaire très chargé, de comparaître devant nous et de nous faire part de vos connaissances, de votre expérience et de votre expertise sur ce sujet très important.

Il y a peut-être beaucoup à apprendre de votre groupe. L'intervention gouvernementale a parfois des conséquences auxquelles on n'avait pas réfléchi. Peut-être le gouvernement devrait-il envisager d'adopter une approche du gouvernement axée sur l'écosystème.

Cela dit, je vous remercie beaucoup, monsieur Bull. Meilleurs voeux à vous-même et à votre groupe.

M. Bull: Merci, monsieur le président. Je vous remercie de nous avoir donné cette occasion. Je vous enverrai un mémoire écrit.

La séance est levée.


Haut de page