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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 8 - Témoignages pour la séance du 14 mai 1998


OTTAWA, le jeudi 14 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 8 h 30 pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre premier témoin est M. Michael Belliveau, secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes (UPM). Au nombre des membres du syndicat, on retrouve des pêcheurs du golfe du Saint-Laurent, principalement des pêcheurs de homards, et leurs homologues de la baie de Fundy et de la plate-forme Scotian.

L'UPM compte environ 1 700 membres en règle et six sections locales. M. Michael Belliveau occupe le poste de secrétaire exécutif depuis 1987. Par le passé, il a fait bénéficier le comité de certains témoignages très précieux et utiles.

Merci d'avoir accepté de participer à nos audiences. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire au sujet de la privatisation et des quotas individuels.

M. Michael Belliveau, secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes: Merci. L'Union des pêcheurs des Maritimes (UPM) est une organisation de pêcheurs côtiers dont la base est fort large. Nous sommes présents dans jusqu'à 150 ports de pêche répartis dans trois provinces. Nous avons des assises dans les pêches francophones et anglophones.

Nous sommes établis dans les régions du golfe et de Scotia-Fundy, et nous sommes présents dans presque toutes les pêches commerciales des Maritimes. Nous représentons des pêcheurs de homard, de hareng, de maquereau, d'éperlan, de gaspareau, de thon, de pétoncle, de crabe commun, de crabe des neiges, d'huître, de morue, de goberge, d'aiglefin, de plie, et cetera. Néanmoins, un pêcheur peut joindre les rangs de l'UPM du seul fait qu'il compte au nombre des pêcheurs côtiers. Dans l'industrie de la pêche côtière, nous représentons une organisation englobante, par opposition aux organisations qui ne représentent que les pêcheurs d'une seule espèce, qu'un seul type d'engin, qu'un seul quai ou que des intérêts particuliers.

De par notre nature même, nous sommes contraints de tenir compte des intérêts de l'ensemble des pêcheurs côtiers. Nous cherchons à défendre non pas des intérêts particuliers, mais bien plutôt le bien commun. Étant donné notre base large, nous sommes particulièrement vulnérables à la volonté apparente du gouvernement fédéral de privatiser les pêches. Nous allons donc à contre-courant de la vision du MPO, qui semble avoir abdiqué sa responsabilité de gestionnaire de la pêche pour se contenter plutôt de conclure, un peu comme le ferait un courtier, des partenariats avec des groupes d'intérêts particuliers ou des flottilles spécialisées. Notre organisation, qui doit inévitablement assumer les responsabilités dont le gouvernement se déleste dans la recherche de ce que j'appelle le «bien commun», est de ce fait assujetti à un stress énorme.

Depuis un certain temps, nous sommes coincés au beau milieu de la crise qui entoure la gestion des pêches. Cette crise a été provoquée, de façon dramatique, par l'échec de la gestion du poisson de fond, mais elle est aussi le reflet d'une crise étatique plus généralisée. Elle a présidé à l'apparition de nombreux nouveaux visionnaires, qui se font les apôtres des idées qui entourent l'autogestion, lesquelles n'ont pourtant jamais fait l'objet d'un examen.

Malheureusement, les aspirations légitimes des pêcheurs, qui veulent avoir davantage leur mot à dire en ce qui concerne la pêche, ont fait l'affaire des planificateurs du Conseil du Trésor. À notre avis, ces derniers, non contents de chercher à se retirer du secteur de la pêche, espèrent réaliser un profit au passage. Un regroupement de pêcheurs comme l'UPM, dont la base est fort large, se retrouve donc aux prises avec ce que j'appelle les ambiguïtés de la cogestion.

D'une part, les pêcheurs sont de toute évidence attirés par l'idée d'exercer un contrôle plus grand sur les pêches, et nous devons en tenir compte. D'autre part, cependant, le MPO et le Conseil du Trésor, dans le cadre de la «cogestion» ou du «partenariat», expressions qui sonnent bien, poursuivent un programme discutable de privatisation, défendu par le secteur privé, que représente le Conseil canadien des pêches.

Nous nous trouvons donc dans une situation des plus ironiques: la politique dominante du gouvernement du Canada va dans le sens de certains intérêts très particuliers, tandis qu'il incombe au reste d'entre nous de débattre dans la douleur du sort des travailleurs côtiers et de leurs collectivités.

Je tenterai de me montrer plus précis en examinant l'un des modèles de privatisation que prise le MPO, soit ce qu'on a appelé le partenariat conclu avec la flottille de pêcheurs de crabe des neiges du Nouveau-Brunswick. Il s'agit d'un groupe de 81 titulaires de permis de pêche semi-hauturière, qui, au cours des quinze dernières années, s'en sont donné à coeur joie. Selon un comptable respecté à qui j'ai parlé, on peut estimer à quelque chose comme 500 millions de dollars la valeur de ce groupe de 81 titulaires de permis, ce qui veut dire que le titulaire de permis de pêche au crabe des neiges moyen de la zone 12 vaut environ 60 fois plus que le Canadien moyen.

Voilà le groupe que les planificateurs du MPO ont activement courtisé comme partenaire modèle. On peut résumer comme suit les fondements de ce partenariat: le MPO fait appel aux pleins pouvoirs de l'État fédéral pour accorder à ce groupe des droits de propriété sur la plupart, sinon la totalité des ressources en crabes des neiges du sud du golfe du Saint-Laurent. En contrepartie, le groupe de titulaires de permis de pêche au crabe assume une partie des coûts annuels de la gestion de la ressource et de la recherche scientifique.

Tout semble parfait jusqu'à ce qu'on se rappelle qu'il existe une autre flottille dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Cette flottille côtière se compose d'environ 4 000 propriétaires-exploitants qui s'adonnent à la pêche bien structurée et bien réglementée de multiples espèces, en s'en remettant d'abord à la ressource en homards, productive et largement dispersée, puis à un éventail de permis grâce auxquels les intéressés peuvent exercer leur métier pendant toute la saison de pêche. La flottille côtière bénéficie d'un accès permanent à 10 p. 100 de la ressource en crabe des neiges.

Au Nouveau-Brunswick, cependant, la flottille côtière ne bénéficiera d'aucun accès en 1998. Aux termes de la dernière entente conclue entre le MPO et les pêcheurs de crabe du Nouveau-Brunswick, notre flottille de 1 400 navires ne jouira que d'un accès marginal et provisoire, seulement lorsque la valeur brute moyenne des débarquements des titulaires de permis de pêche au crabe aura atteint la base des 500 000 dollars. C'est ce qu'on appelle un seuil. Si la moyenne de 500 000 dollars n'est pas atteinte, le déficit est reporté sur l'année suivante. Il est donc probable que le seuil réel s'établira, en 1999, à quelque chose comme 700 000 dollars par titulaire de permis.

Il s'agit d'un accord intéressant, mais il exclut toute la flottille côtière du Nouveau-Brunswick. Or, le crabe des neiges ne se retrouve pas qu'au milieu du golfe du Saint-Laurent. On retrouve aussi dans les eaux et sur les bords littoraux, et c'est pourquoi nous avons revendiqué un droit d'accès. Nous devons nous interroger sur ce qui motive le gouvernement du Canada à favoriser à ce point les membres d'un seul groupe, au moment même où il fait fi du bien commun de l'essentiel des flottilles côtières du pays, qui sont productives et sont fort larges.

Lorsque le programme dominant s'organise autour du recouvrement des coûts, de la réduction de l'appareil gouvernemental et de la privatisation de la pêche, les considérations touchant la collectivité des pêcheurs n'ont plus droit de cité. On peut imaginer la force du lobby que représentent les particuliers et les groupes en mesure de profiter de la privatisation des ressources marines du pays.

Au Nouveau-Brunswick, il existe une organisation appelée l'Association des pêcheurs professionnels acadiens. Il s'agit d'une organisation vieille de vingt ans qui n'a pu résister au stress causé par la volonté des pêcheurs de crabe de bénéficier d'une propriété privée et exclusive. Il est possible que les organisations se fragmentent en groupes d'intérêts particuliers, qui tentent d'accaparer une part du gâteau, qu'il s'agisse du pétoncle, du thon, de l'aiglefin ou de la crevette.

Le MPO semble ouvert à toutes sortes de propositions. Il signe des accords qui ont d'énormes conséquences sur le bien commun des collectivités littorales, mais ces accords ne sont pas examinés sous l'angle du bien commun.

Certains membres de notre flottille sont acculés à la faillite en raison de chutes localisées des captures de homard et de la chute des prix des oeufs de hareng, sans même parler de l'effondrement des stocks de morue, dont les effets se prolongent. Au vu des effets de la politique publique du MPO, nous refusons de considérer ces faillites comme inévitables.

En raison des exigences du MPO, par exemple les droits de permis, la vérification à quai, les observateurs, les coûts de la recherche scientifique et les droits de quai, nos membres estiment payer de 5 000 à 9 000 dollars en frais nouveaux. Comment peut-on accepter la faillite des petits exploitants, surtout lorsqu'on constate les accords conclus avec d'autres flottilles?

À notre avis, le MPO n'a ni le droit ni le pouvoir moral de décider qui reste et qui part. À nos yeux, c'est précisément l'effet des efforts de privatisation déployés par le ministère. C'est dans ce contexte qu'on demande à des organisations telles que la nôtre d'assumer la responsabilité de la gestion des ressources ou de ce que le MPO appelle la cogestion.

En ce qui concerne l'attribution de permis à quota, j'espère que, dans votre étude, vous ne prendrez pas la proie pour l'ombre. Dans ce cas-ci, cependant, la proie n'est plus que l'ombre d'elle-même. Le régime de gestion des quotas, mis en place en 1977, est en lambeaux. Dans le meilleur des cas, la totalité de la ressource en poissons de fond de la côte Est ne correspond plus qu'à 10 p. 100 de ce qu'elle était il y a 15 ans.

En 1982, on a appliqué le régime des quotas individuels aux pêcheurs de hareng à la senne de la région Scotia-Fundy. Dans la région, la ressource, si elle ne s'est pas effondrée, n'en est pas loin. À l'heure actuelle, le seul véritable régime de QIT visant le poisson de fond se trouve dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Je sais qu'il existe d'autres régimes de QIT, mais c'est le seul qui, pour le moment, semble fonctionner puisque c'est le seul qui s'applique à une région où il y a encore quelques poissons.

Même là, nous observons maintenant certains signaux très troublants dans la pêche à la morue, où les ressources et les efforts se sont déplacés vers l'extrémité ouest de la zone 4X. Comme vous le savez, on a, au cours des dernières années, beaucoup fait état du rôle joué par les scientifiques du MPO dans l'effondrement des stocks de poisson de fond.

Le débat, qui se limite principalement à un débat médiatique sur le rôle qu'a joué la science pour expliquer l'effondrement des stocks des poissons de fond est, à mon avis, largement bidon. Il est bidon parce que les scientifiques de l'extérieur et de l'intérieur du MPO n'ont pas de remarque extrêmement importante à faire à propos des causes de l'effondrement des stocks des poissons de fond, et parce que, en vérité, rien ne valide les allégations selon lesquelles la bureaucratie du MPO a tenté de protéger ses arrières. Ces assertions ne sont pas dénuées de fondement, mais elles intéressent relativement peu les pêcheurs côtiers qui, depuis environ 1980-1982, clament haut et fort que la ressource ne peut soutenir l'effort de pêche massif et vigoureux déclenché par la canadianisation de la pêche au chalutier, depuis l'imposition de la limite des 200 milles.

La croissance marquée de la capacité canadienne de pêche depuis 1977 a annulé les efforts du MPO dans le domaine scientifique, mais il est tout à fait absurde d'imputer aux scientifiques la responsabilité de la situation. Dans un contexte dominé par de puissants intérêts capitalistes, ils n'avaient aucune chance. Invariablement, les intérêts politiques vont dans le sens des intérêts des puissants. N'allez surtout pas penser que nous ne parlons que de National Sea ou FPI.

Voyons les faits en face. Les pêcheurs semi-hauturiers et même les pêcheurs côtiers sont en partie responsables de la destruction des stocks de morue. À l'UPM, nous sommes bien au fait de la situation. L'entreprise du secteur de la pêche ou le pêcheur particulier investit dans un bateau de pêche des plus efficients, habituellement à l'aide de subventions provinciales. Puis, on capture plus de poisson. En fait, on doit capturer plus de poisson. Les navires sont achetés, et l'historique de la capture se gonfle. On aurait peut-être intérêt à revenir sur la question de l'historique de la capture.

En 1988, la flottille mobile de la péninsule acadienne a à son tour présenté des demandes analogues de QIT, et, en 1989, la flottille du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse lui a emboîté le pas, suivie, en 1991, par la flottille mobile composée de navires de moins de 45 pieds de Chéticamp, et cetera. De 1997 à 1982, les entreprises canadiennes du secteur de la pêche hauturière ont gonflé leur historique, puis ils ont commencé à présenter des demandes d'allocation aux entreprises, et ils ont obtenu gain de cause.

Les pêcheurs mêlés à ces demandes de quotas ont rompu avec l'organisation côtière traditionnelle, l'UPM, et créé leur propre groupe d'intérêts particulier, afin d'exercer des pressions en vue de l'obtention de quotas et de droits de propriété. En raison de ces régimes d'allocation aux entreprises et de quotas individuels transférables, ces flottilles ont revendiqué l'essentiel de la ressource future en poisson de fond, qu'elles ont épuisée en 1993. Dans le dossier de l'allocation du poisson de fond, la politique officielle du MPO consiste, à ce jour, à soutenir le statu quo.

Il me semble plutôt extraordinaire que de telles flottilles puissent jouer un rôle direct dans l'épuisement d'une ressource qui a coûté des milliards de dollars au Trésor public. Dans certains cas, ces flottilles se déplacent vers d'autres pêcheries, où le nombre d'individus est à la baisse, tout en conservant malgré tout un droit sur la ressource future en poissons de fond, à supposer qu'elle se rétablisse un jour.

Vous comprenez pourquoi un pêcheur particulier ou une entreprise s'accroche férocement à son pourcentage de la ressource, même s'il n'y a pas de pêche. Ce que nous ne comprenons pas, c'est pourquoi ni le MPO ni les provinces n'ont rien demandé en contrepartie de l'application des programmes de soutien à cette flottille mobile. Elle a eu droit à des paiements d'intérêt différés, à des allocations de crabe et de crevette, on a élaboré des projets expérimentaux coûteux, et cetera.

Il y a quatre ans, nous avons recommandé que le gouvernement rachète les quotas détenus par les sociétés et les titulaires de QIT en renonçant à toute obligation future. Au retour de la ressource, nous serions ainsi en mesure d'adopter une toute nouvelle approche respectueuse de la ressource, dans ce cas-ci, la morue.

Les membres du comité savent bien qu'il existe déjà un exemple très probant d'élimination des allocations de quotas dans le sud du golfe du Saint-Laurent, où, en 1980, la ressource avait pratiquement été épuisée. À l'époque, on a réduit le quota de la grande flottille de senneurs de 80 p. 100 à 20 p. 100. Tout au long des années 80, on a réduit les quotas au point où en est revenu à une pêche côtière. Je puis vous assurer qu'il est très intéressant de procéder à une étude comparative du rendement de la ressource en hareng du golfe du Saint-Laurent, où domine la pêche côtière au filet maillant, et de celle de la région de Scotia-Fundy, où une pêche mobile au senneur plus importante demeure toujours.

Je ne suis pas certain que les deux situations soient assez comparables, mais il s'agit d'une étude très intéressante. Je ne voudrais pas non plus qu'on interprète mal mes propos sur la question de la gestion des quotas. Il semble qu'on doive recourir à une certaine forme de gestion des quotas pour garder un oeil sur les technologies mobiles puissantes. Certains régimes d'attribution de permis à quota peuvent, dans des contextes précis, favoriser le bien commun. Je précise qu'on ne peut certes considérer comme réussie l'expérience pratique et historique des régimes de quota individuel sur la côte est du Canada, ni du point de vue de la collectivité et des pêcheurs dans leurs collectivités, ni de celui de la ressource elle-même.

En général, je crois qu'il est indiscutable que les régimes d'AE et de QIT aliènent les pêcheurs de la ressource, de façon graduelle et parfois radicale. Les entités qui, en réalité, détiennent les quotas sont des entreprises qui, inévitablement, sont intégrées de façon verticale aux sociétés du secteur de la pêche. Je parle non pas d'une société en particulier, mais bien plutôt de tous les genres de sociétés du secteur de la pêche. Ces régimes entraînent des mises à pied, et ils exigent inévitablement des capitaux importants. Plus souvent qu'autrement, ils tendent à se concentrer par le truchement d'accords de partenariat. Ils en viennent même à prendre le contrôle de la recherche scientifique, ou tout au moins à la biaiser.

Ces régimes continuent de réorienter les efforts vers la ressource, fait qu'on a souvent tendance à passer sous silence. Par exemple, la politique provisoire de remplacement des navires a permis à de plus petits titulaires de QIT pour la pêche côtière ou semi-hauturière de remplir des quotas de pêche hauturière dans des zones de pêche côtière, là où les navires hauturiers n'auraient pas pêché, de sorte qu'on réoriente ainsi les quotas. Il existe de nombreux autres types d'exemples de la façon dont on peut, à l'aide de régimes de la sorte, réorienter les efforts.

Je suppose qu'il est impossible d'aborder la question des régimes de QIT sans, d'une façon ou d'une autre, faire référence au problème qu'on rencontre toujours, chaque fois qu'ils sont introduits, à savoir l'écrémage. On en est témoin, d'une façon singulière, dans la pêche au crabe des neiges du sud du golfe du Saint-Laurent. Le régime de quotas individuels ne vise qu'une partie de la pêche. On l'oublie souvent. La personne qui bénéficie d'un quota individuel dans une pêcherie bénéficie souvent d'un avantage bien réel dans une autre pêcherie compétitive. Il vaudrait peut-être la peine d'essayer de fournir quelques explications à ce sujet.

En ce qui a trait à la capacité, je crois que les AE et les QIT ont, jusqu'à un certain point, constitué une ruse. En faisant cette affirmation, je m'avance un peu puisque l'un des objectifs avoués des QIT vise la rationalisation de la flottille. Je n'en suis pas convaincu. Je me rappelle l'époque où Gordon Cummings tentait d'accéder au programme d'allocation aux entreprises. L'entreprise voulait se doter d'un chalutier congélateur, dont la capacité était d'environ 15 000 tonnes de poisson par année. La société a tenté de convaincre l'industrie que, en contrepartie de cette nouvelle capacité, elle allait retirer trois navires dans la région de Canso. Nous avons constaté que la société entendait retirer des navires, ou des permis rattachés à des navires, qui étaient à quai et pratiquement non fonctionnels. Elle a remplacé trois navires qui, auparavant n'étaient pas véritablement fonctionnels, par un nouveau navire doté d'une capacité de pêche de 15 000 tonnes.

C'était en 1984. Il y a trois semaines, j'ai reçu un communiqué du MPO, dans lequel le ministre Anderson annonce une modification des règles qui régissent les navires dans la région de Scotia-Fundy. Dans ce cas, la mesure ne s'applique qu'aux bateaux de pêche du poisson de fond à engin mobile visés par des QIT permanents dans la région de Scotia-Fundy. En vertu de ces nouvelles règles, un navire de 42 pieds peut être converti en un navire de 64 pieds de longueur, et on supprimera les restrictions applicables au volume qui s'appliquaient antérieurement.

Puis, on cite des propos du ministre, selon qui on peut agir de la sorte parce que le programme des QIT confère à chaque titulaire de permis un accès à une partie précise de l'allocation dont bénéficie la flottille. Ces règles concernant le remplacement n'auront pas d'effet sur les capacités puisqu'elles n'auront aucune incidence sur la quantité de poisson que chaque pêcheur peut récolter.

J'ai bien du mal à comprendre. Dans le texte écrit, je lis les mots: «Pour l'amour du bon Dieu; pour l'amour du ciel.» Que se passe-t-il? On peut convertir un navire de 42 pieds en un navire de 64 pieds et 11 pouces, et, en raison de la présence du régime de QIT, il ne s'agit pas d'une augmentation de la capacité. Mais que verrait un témoin venu de l'extérieur, de la planète Mars ou d'ailleurs? Il verrait une capacité accrue.

L'ironie, c'est que dans la pêche côtière à engin fixe, où la taille des navires est bien loin d'avoir une incidence aussi marquée sur la capacité de pêche, nous demandons depuis des années une certaine forme de souplesse, en vertu de laquelle les pêcheurs de homard, qui pêchent dans des navires 33 pieds, seraient autorisés à accroître la taille de leurs embarcations. En 15 ans, nous n'avons jamais, au grand jamais, obtenu une modification de ces règles. Mais, lorsqu'on bénéficie d'un QIT, on peut accroître sa capacité, du seul fait qu'on ne parle pas d'une augmentation de la capacité.

Vous aurez peut-être compris que cet aspect particulier du régime de QIT suscite chez moi une vive réaction. À mes yeux, il s'agit d'une ruse. Dans le contexte de l'effondrement de la ressource, comme celui qu'on connaît dans le poisson de fond, on peut, je pense, parler au propriétaire d'un navire de 42 pieds ou au propriétaire d'un navire de 64 pieds, je ne suis pas certain qu'ils seront d'accord pour se dire égaux. Le propriétaire du bateau de 64 pieds aura tendance, je suppose, à capturer beaucoup plus de poissons que celui qui possède le navire de 42 pieds.

Monsieur le président, c'était là mes commentaires initiaux. Il s'agit d'un vaste sujet. En fait, j'ai fait un collage d'arguments que j'ai défendus dans d'autres contextes, mais j'espère que tout avait malgré tout une certaine cohérence. Peut-être pouvons-nous maintenant passer aux questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Belliveau. Comme toujours, votre exposé s'est révélé convaincant et bien documenté. Nous apprécions votre témoignage.

Le sénateur Stewart: Monsieur Belliveau, l'argument utilisé pour justifier toute forme de limitations d'un bien commun, sur terre ou sur la mer, est qu'il est nécessaire et souhaitable de prévenir une exploitation frénétique de la ressource. Vous avez présenté en détail ce que vous considérez comme les inconvénients de ces limitations Dans votre défense de l'accès au bien commun, vous opposez-vous à ce qu'on régisse l'accès au moyen de permis -- je ne parle pas de quotas --, comme on a fait pour la pêche du homard?

M. Belliveau: Bien sûr que non.

Le sénateur Stewart: En ce sens, vous approuvez la privatisation.

M. Belliveau: Oui, bien entendu. Lorsque nous utilisons le terme «privatisation», nous faisons référence, je crois à une tendance plus large, en vertu de laquelle ce dont s'occupait le gouvernement est cédé au secteur privé. Il ne s'agit pas d'une simple question de propriété privée ou de droit de propriété sur le bien commun. Il y en a beaucoup, nous le savons.

Le sénateur Stewart: Cependant, le permis comporte un élément de privatisation, et on définit ce qui arrive lorsqu'un pêcheur plus âgé passe la main à un autre. Si je comprends bien le régime de quota, que les quotas soient transférables ou non, l'objectif consiste à prévenir l'exploitation frénétique, ce qui, prétend-on, est très préjudiciable pour la ressource et pour les pêcheurs.

Ai-je raison de tenir pour acquis que vous admettriez que, si tout le monde a accès au bien commun, on serait témoin d'une forme d'exploitation frénétique improductive?

M. Belliveau: Je suis au courant des théories que vous évoquez. Je ne suis pas convaincu que, en pratique, les choses se passent de cette manière. À mon avis, il faudrait presque qu'un anthropologue témoigne aussi devant votre comité, mais je ne pense pas que, en pratique, les choses se passent de cette façon. J'ai visité les Pêcheries de l'Afrique de l'Ouest, de l'Inde du Sud et de l'Asie du Sud-Est, et je puis vous donner l'assurance que les pêcheurs côtiers et les pêcheurs artisans du monde entier trouvent des moyens de gérer leur pêche et de s'imposer des limites de diverses façons. Il ne s'agit pas simplement d'une exploitation sauvage et frénétique de la ressource.

En fait, ce qu'on observe dans de très nombreux cas, c'est que la ressource commence véritablement à éprouver des problèmes lorsqu'interviennent les interventions plus raffinées du capitalisme moderne, et cetera.

Le sénateur Stewart: Cette réponse me surprend un peu puisqu'elle sous-entend une approche de la pêche nettement axée sur le laissez-faire, tributaire des forces du marché.

M. Belliveau: Ce n'est pas du tout ce que je voulais laisser entendre. Je m'inscris simplement en faux contre l'image selon laquelle les pêcheurs exploiteront la ressource de façon frénétique, à moins qu'on ne les empêche. Tout ce que je dis, c'est qu'il existe une quantité énorme de documents et de faits montrant que les pêcheurs trouvent des moyens de s'autoréglementer et de gérer la ressource, de façon très stricte, en fait.

À mon avis, c'est lorsqu'on crée ce genre d'accords commerciaux artificiels, en vertu desquels on convertit les poissons en quotas et en documents, qu'on se bute à des problèmes. Là, on se bute à des problèmes. Je ne dis pas qu'il faille éviter tout cela, mais c'est ce dont il s'agit ici.

Nous évoquons un régime de quotas qui a été mis pleinement en application dans l'est du Canada après 1977. On aura beau accumuler les études théoriques, rien n'empêche qu'il n'y a plus de ressources là où la question des quotas a été appliquée de façon raffinée, avec tout l'arsenal de théories hautement perfectionnées de la gestion de la propriété individuelle.

Le sénateur Stewart: Monsieur Belliveau, je ne cherche pas à défendre les quotas. En fait, j'essaie plutôt d'établir si vous avez ou non une solution de rechange pratique à proposer. Si l'accès était illimité, croyez-vous que la pêche serait viable? D'entrée de jeu, vous nous avez dit, par exemple, que vous croyiez à l'attribution de permis dans la pêche du homard. Ce point me semble incompatible avec ce que j'appelle l'approche de l'accès fondée sur le laissez-faire, que vous avez défendue au moyen de preuves anthropologiques puisées dans divers lieux du monde.

Vous ne m'êtes pas aussi utile que vous pourriez l'être puisque je crois déceler une forme d'incohérence, que, jusqu'ici, vous n'êtes pas parvenu à dissiper.

M. Belliveau: Je pense que nous devrions clarifier deux ou trois points. Dans la dernière partie de notre échange, nous avons discuté de la question de la gestion des quotas. La gestion des quotas ne s'applique pas du tout à la pêche du homard; en fait, on se contente de limiter l'accès. Le nombre d'opérations est limité, mais il ne s'agit pas d'un régime de quotas.

Le sénateur Stewart: C'est vrai. Je suis d'accord.

M. Belliveau: Voilà un formidable exemple de la façon dont on peut gérer une pêcherie sans quota. Je ne pense pas qu'on puisse appliquer entièrement à la pêche du poisson, par exemple le hareng ou la morue, ce qui fonctionne pour la pêche du homard. Cependant, on peut commencer à étudier la gestion efficace de la pêche du homard pour définir les aspects qui pourraient être appliqués à la pêche du poisson de fond, à supposer qu'elle se redresse un jour. Voilà, me semble-t-il, le thème que j'essaie de faire ressortir. Je ne vous présente pas les choses en blanc ou en noir. Je suis tout à fait d'accord avec la limitation des pêcheries, mais, ce faisant, on doit tenir compte des collectivités, particulièrement des collectivités côtières qui dépendent de la pêche depuis des siècles.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Au début de votre présentation, vous vous êtes servi de l'exemple de la gérance du stock du crabe des neiges. Je ne crois pas que ce soit le meilleur exemple d'une co-gestion ou d'une gestion d'un stock; je crois que c'est plutôt un exemple que l'on devrait éviter de suivre dans d'autres pêches, pour la simple raison que l'on a réussi dans cette pêche à concentrer la richesse dans les mains de quelques-uns. Les gens qui sont attachés à l'industrie, soit les hommes de pont et les travailleurs d'usine, ne font que recueillir les miettes, et dans certains cas, les pêcheurs côtiers qui, je crois, devraient avoir un certain accès, certaines années n'ont même pas les miettes. Cette année, ils ne participent pas à la pêche. Je crois que l'on devrait continuer à travailler pour s'assurer que les pêcheurs côtiers aient leur juste part. D'après moi certains stocks seraient accessibles aux pêcheurs côtiers et ils devraient y avoir accès. Tout ceci pour dire qu'il faut continuer à travailler dans cette veine-là. Ce n'est pas l'exemple à imiter, mais plutôt un exemple à éviter.

Pour les pêcheurs de notre région, vous connaissez l'importance de la pêche des pétoncles et du homard pour les pêcheurs. Je sais que les pêcheurs de chez nous font des efforts du côté de la pétoncle, soit l'ensemencement, «scallop enhancement». On a fait des pressions auprès du ministre pour faire changer certaines limites de la pêche au homard, soit la grosseur, le nombre de cages ou la grosseur des cages.

Si vous étiez pour nous faire des recommandations vis-à-vis la pétoncle et le homard, qu'est-ce que vous nous diriez ce matin que l'on pourrait considérer, soit quant à l'accès des quotas ou soit juste quant à l'accès limité?

[Traduction]

M. Belliveau: Je vous remercie de vos commentaires. En ce qui concerne la pêche au crabe des neiges, nous n'en sommes certes pas à ce point en 1998. Je pense que l'un des aspects de la question est important pour le comité, s'il étudie la privatisation. Les titulaires de permis de pêche au crabe possèdent non seulement la propriété exclusive de cette ressource sous forme de quota, mais en plus, ils paient la plus grande part des activités scientifiques. Les activités scientifiques incombent toujours au MPO, mais elles sont payées directement par les titulaires de permis de pêche au crabe.

Nous n'avons pas le temps aujourd'hui d'entrer dans tous les détails de l'histoire, mais depuis 1994, il y a eu littéralement des millions de dollars de crabe des neiges qui ont été laissés dans l'eau en raison d'une sous-estimation de ce que la ressource pouvait prendre. Nous parlons ici d'une situation très différente de celle de la morue. On ne pêche que les mâles uniquement, et seulement après leur dernière mue. On ne pêche pas la femelle.

De cette façon, le type de pêche est très limité. Les quotas ultra conservateurs qui ont été établis l'ont été fondamentalement par les détenteurs de permis de pêcheurs au crabe, et il semblerait que c'était parce qu'ils voulaient tenir à l'écart d'autres instances, par exemple nous-mêmes. Résultat: des millions de dollars de vieux crabes ont été laissés dans l'eau pour y mourir et pourrir, parce qu'une fois que le crabe a eu sa dernière mue, il meurt dans les cinq ans.

Je dis ça accessoirement, mais en ce qui concerne votre étude, elle porte, si j'ai bien compris, sur la privatisation et l'octroi de permis à contingent individuel. Les deux ne sont pas nécessairement synonymes, mais ce serait une histoire très intéressante à suivre.

En ce qui concerne une recommandation sur la mise en valeur du homard, je ne peux faire à ce sujet que deux commentaires. Nous pensions que le ministre des Pêches avait réalisé certains progrès ce printemps pour établir une entente plus harmonisée pour le sud du golfe du Saint-Laurent en ce qui concerne la taille minimale du homard. Nous avons constaté au cours des six dernières années que chaque petit secteur avait sa propre taille minimale, ce qui a créé beaucoup de tension entre les pêcheurs. Au cours des prochaines années, ils en viendront à une entente plus harmonisée. Nous appuyons cela, mais nous sommes tout de même un peu déçus.

Nous estimons que les deux tiers des pêcheurs du sud du golfe du Saint-Laurent auraient appuyé un régime de conservation plus strict que celui qui a été établi par le MPO.

Nous estimons qu'une taille minimum de deux pouces et trois quarts dans le sud du golfe aurait été acceptée par la grande majorité des pêcheurs côtiers. Mais je crois savoir que le ministre des Pêches ne pouvait adopter cette norme parce que les pêcheurs de l'Île-du-Prince-Édouard pensaient que ces changements étaient la fin du monde. Je pense que c'est le mieux qu'on pouvait faire, dans ces circonstances.

J'ai un autre commentaire au sujet du homard, mais je pense qu'il est très important et très complexe, et il concerne la relation entre cette question et les collectivités autochtones. Je sais que vous en connaissez pas mal tous les détails. Au Nouveau-Brunswick, nous avons deux assez grandes collectivités indiennes situées tout juste sur la côte au large de laquelle on pêche le homard, et certaines autres plus petites.

Nous avons travaillé durant des années à établir une politique progressive, grâce à laquelle les peuples autochtones pourraient commencer à faire de la pêche commerciale selon les mêmes conditions que tous les autres pêcheurs, et obtiendraient des permis pour ce faire. Mais pour diverses raisons complexes, les peuples autochtones pêchent hors saison, pratiquant ce qu'ils appellent une pêche de subsistance, mais qui est cependant une pêche massive à certains endroits précis. C'est vraiment une pêche commerciale. Cela demeure un problème très très difficile à résoudre pour les pêcheurs de homard de la côte est du Nouveau-Brunswick.

Je sais qu'ils l'ont dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, mais ce n'est pas le même type de problème. Il relève davantage du bracconage comparé à Nouveau-Brunswick.

Il y a beaucoup plus d'Autochtones tout juste sur la côte. Ils devraient avoir accès à la pêche au homard, mais nous pensons qu'elle doit se faire de la façon commerciale habituelle et qu'on devrait les aider à y participer. Ce sont là mes deux commentaires.

En ce qui concerne la mise en valeur du pétoncle, il y a un grand pas à faire dans ce cas, mais notre organisation s'est engagée face à la question et tente de réensemencer les lits de pétoncles sauvages. Ce n'est pas dire que nous commençons à faire de l'aquaculture. Nos membres ne sont pas du tout intéressés à faire de l'aquaculture, mais il y a une façon de capturer les embryons de pétoncles et de les faire grossir dans l'océan, après quoi vous pouvez réensemencer le banc de pêche traditionnel.

Cette activité est très prometteuse. Jusqu'ici, nous avons terminé les étapes expérimentales, et cela augure très bien. Notre taux de production d'embryons, par exemple, est beaucoup plus élevé qu'en Nouvelle-Zélande, par exemple, où l'on a mis de l'avant un programme fructueux.

Le sénateur Robichaud: Mais vous dites essentiellement que, pour le homard et les pétoncles, on ne saurait faire la gestion des quotas, n'est-ce pas?

M. Belliveau: Nous sommes tout à fait opposés à l'établissement de quotas pour le homard. Cette simple idée fait frémir la plupart d'entre nous. Depuis 25 ans, notre ressource de homard s'est progressivement accrue ou est à tout le moins demeurée stable. L'équipement utilisé s'est amélioré de façon spectaculaire, tout comme les capacités de pêche, mais les ressources n'en ont pas souffert. Je pense que nous avons mis sur pied un régime de restrictions et de réglementations qui a permis d'éviter toute cette affaire de quota, laquelle relève quelque peu de l'abstraction.

Si vous commencez à établir des quotas dans l'industrie de la pêche au homard, il se peut que vous nous rameniez sur des sentiers que nous avons déjà foulés. Je n'irai pas jusque-là. Bien simplement, il n'y a aucun intérêt à établir des quotas pour la pêche au homard, et pourquoi diable devrions-nous même tenter de le faire lorsque le régime de gestion que nous utilisons obtient enfin un succès raisonnable?

Les gens oublient parfois que la pêche au homard dans les provinces maritimes suppose à elle seule quelque 10 000 détenteurs de permis et peut-être 25 000 pêcheurs. C'est un type d'entreprise à forte concentration de main-d'oeuvre, et elle s'étend sur toute la côte, de sorte que nous voulons être très prudents.

Le président: Le sénateur Perrault est vice-président du comité et il est évidemment très intéressé par ce qui se passe sur la côte est pour voir si cela peut s'appliquer sur la côte Ouest. Je pense qu'il vous posera certaines questions très intéressantes.

Le sénateur Perrault: Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous avez présenté certaines idées très intéressantes et très utiles. Sur les deux côtes, on joue à se blâmer les uns les autres, et je trouve cela déplorable. Un secteur blâme l'autre, disant que nous n'obtenons pas assez de poisson ou de quoi que ce soit que nous produisons sur la côte Ouest, sous prétexte que l'autre secteur en question en obtient trop.

Aujourd'hui, vous avez vivement critiqué le ministère des Pêches et des Océans, en laissant entendre qu'il ne travaille pas dans l'intérêt public. Selon vous, un genre d'influence corporative exercée sur le ministère explique en partie nos problèmes.

Malgré toute cette foire au blâme, ne devrions-nous pas nous attaquer vigoureusement au problème principal, savoir l'approvisionnement et la nécessité de rétablir l'abondance de notre récolte de poisson et de fruits de mer? Nous traversons une crise sur la côte Ouest: la montée du saumon kéta cette année est pratiquement nulle. Nous avons différentes espèces, mais elles éprouvent elles aussi des problèmes semblables.

Nous ne savons pas pourquoi les récoltes sont aussi mauvaises. C'est tout simplement un horrible désastre. Les scientifiques ne peuvent tout expliquer. Nous savons que, peut-être, trop de pêcheurs capturent un poisson trop rare sur la côte Ouest. Est-il possible que vous viviez le même problème? On soupçonne aussi la pollution. L'amincissement de la couche d'ozone et la destruction massive de planctons dans les océans du monde sont blâmés pour les piètres récoltes de poisson et de fruits de mer.

Vous nous avez parlé des pêcheries qui se meurent sur la côte Est. Vous nous avez parlé de votre préoccupation pour les collectivités environnantes, et elles sont aussi très graves dans notre province. Les collectivités qui vivent grâce à la pêche n'arrivent pas à faire une récolte suffisante pour survivre. Sommes-nous arrivés à un point où nous devons envisager le déplacement, dans des conditions avantageuses, de travailleurs d'une province à une autre, s'ils n'ont plus de quoi vivre dans leurs collectivités et qu'ils ne peuvent pêcher pour faire vivre leur famille et le reste de la population?

Je sais que ce sont là beaucoup de questions, mais vous pouvez y répondre de façon générale. Il me semble que la diminution de cette ressource dans le monde entier ne peut être attribuable à un seul secteur. Nous devons travailler, ici au pays et à l'échelle internationale, pour repeupler les océans. Ceux qui étudient ce qui se passe à ce sujet dans le monde nous ont dit que de précieuses ressources halieutiques disparaissent partout dans le monde. Ils n'ont pas d'explication à nous donner. J'aimerais que vous commentiez la question. Pensez-vous que nous cherchons trop quelqu'un sur qui jeter le blâme?

Je crois, par exemple, que les gens qui travaillent pour le ministère des Pêches sont probablement de très bons Canadiens, qui adoreraient surmonter ces problèmes et qui aimeraient déclarer à qui veut l'entendre qu'il va y avoir une augmentation spectaculaire du nombre de homards et de toutes ces autres espèces.

Je ne pense pas qu'ils travaillent contre l'intérêt public et je ne pense pas que leur fibre canadienne soit moins solide que la nôtre.

M. Belliveau: En ce qui concerne votre dernier commentaire, nous ne remettons pas en question leur loyauté et ne cherchons pas à savoir s'ils sont de meilleurs ou de pires Canadiens que nous tous. En tant que personnes, nous les connaissons. Nous avons travaillé avec eux chaque jour. Nous parlons ici de politique publique, et mes commentaires ont tous concerné la politique publique. Je puis vous assurer que la côte Est n'est pas impressionnée par les politiques publiques du gouvernement du Canada depuis quelques années. Quiconque a été devant l'électorat -- et je connais une personne ici présente qui l'a fait récemment -- sait que le public est furieux de la façon dont on traite la côte Est, et une grande part de ce ressentiment concerne les pêcheries.

C'est de cela que nous parlons ici. Notre organisation et les gens avec qui je travaille ne sont pas prêts à dire que les problèmes de la pêche au poisson de fond découle d'une cause naturelle. Évidemment, certains problèmes naturels y ont contribué, mais ils ne sont pas la cause de notre problème.

Il faut regarder la situation en face. Une surpêche extrême a eu lieu. Les problèmes de la diminution des stocks partout dans le monde y sont attribuables. Ce n'est pas qu'il y a trop de pêcheurs. Examinez simplement la technologie utilisée pour la pêche au poisson de fond depuis 1977 et appliquez-la à l'ensemble de ce secteur partout dans le monde. Ça n'a rien à voir avec un problème strictement canadien.

En ce qui concerne la recherche de quelqu'un à blâmer, je suis d'accord avec vous. Je ne pense pas que quiconque soit réellement intéressé à entendre parler de gens qui en blâment d'autres. Cette semaine, ce sont les scientifiques, et la semaine prochaine, ce sera quelqu'un d'autre. La politique publique découle d'abord et avant tout du Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor doit trouver plus d'argent quelque part.

Le Conseil du Trésor affirme qu'il ne veut plus payer autant que ce qu'il payait pour la pêche, alors il lui faut recouvrer des coûts. Comment y est-il arrivé? Comment a-t-il recouvré de l'argent? Il l'a fait en partie par l'entremise de la pêche au crabe, et la pêche au crabe est devenue le modèle de partenariat dans l'industrie de la pêche. Le ministère l'utilise encore comme modèle.

C'est une façon pour le Conseil du Trésor de percevoir de l'argent, mais cela ne répond pas aux besoins de l'ensemble des pêcheurs du sud du golfe du Saint-Laurent dans le cas qui nous occupe, et c'est pourquoi nous en parlons. Nous détesterions être constamment en conflit avec un autre secteur de la pêche.

Ce n'est pas bon pour notre moral ni pour celui de personne d'autre, mais nous parlons de politique publique et de la façon dont on alloue le poisson. Il y a détérioration constante de la pêche, et cela n'est pas prêt de s'arrêter. Les QIT ne règlent en rien la situation, comme le voudraient tant certaines personnes des divisions chargées d'établir les politique. Voilà, brièvement, comment je réagis à votre commentaire.

En ce qui concerne les déplacements, je crois que vous devriez en parler à mon collègue de Terre-Neuve, qui aime rappeler aux gens ce qui s'est produit lorsque DRHC a voulu aider quelques habitants du Cap-Breton à déménager à London, en Ontario, pour se trouver un emploi. Je dis non à cette formule. Nous cherchons des façons, pour les habitants de la côte Est de demeurer sur la côte Est. Point final.

Le sénateur Butts: Tout d'abord, des membres de votre syndicat sont des pêcheurs authentiques. Qui détermine qu'ils le sont? Est-ce la même chose que des pêcheurs professionnels?

M. Belliveau: L'idée de membres authentiques provient de la politique de droit de permis dans le sud du golfe Saint-Laurent, en 1981. Cette politique avait été proposée par l'Union des pêcheurs des Maritimes et ses membres, et elle a évolué à partir de là. Cela vous permet d'établir qui exerce la pêche en ce moment, qui en dépend pour gagner sa vie. En un sens, oui, si l'on remonte à 1981, le pêcheur côtier atlantique était réellement un pêcheur professionnel.

Il était propriétaire-exploitant et était identifié comme tel. Lorsqu'ils en ont identifié 3 400, ce chiffre a été désigné comme nombre absolu. Depuis ce temps, nous avons toujours eu 3 400 exploitants authentiques dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Des gens de partout au pays se sont beaucoup intéressés à ce système, lequel a de fait été intégré dans le régime général de droit de permis que le Canada possède à la fin des années 90.

Le sénateur Butts: Vous vous plaignez beaucoup de la gestion exercée par le MPO. En fait, vous avez dit à un certain moment qu'il n'avait pas le droit de prendre des décisions qu'il a prises. Selon vous, qui devrait les prendre, comment le régime devrait-il être administré?

M. Belliveau: Je prie les membres du comité de m'excuser si je donne l'impression de n'avoir que des commentaires négatifs à l'endroit du MPO. Les fonctionnaires du MPO savent que nous appuyons la gestion publique de la ressource. Nous appuyons l'instrument fondamental que représente le MPO en tant que gestionnaire de la relation entre la ressource et les pêcheurs.

Le problème vient non pas du MPO proprement dit, mais bien de son idée de privatisation, surtout en ce qui concerne ce qu'on désigne maintenant comme l'entente de partenariat.

L'avez-vous vu essayer d'établir une entente de partenariat avec les milliers de pêcheurs côtiers de la région Scotia-Fundy ou du sud du golfe du Saint-Laurent? Non, il tente de le faire avec un petit groupe d'élite: les détenteurs de permis de pêche au pétoncle, les détenteurs de permis de pêche au crabe, les détenteurs de permis de pêche à la crevette, les détenteurs de permis de pêche côtière au pétoncle du Banc George et certains titulaires de QTI mobile. Voilà les gens avec qui il établit des partenariats.

Le sénateur Butts: Un permis privé, ce n'est donc pas une privatisation.

M. Belliveau: Non, pas dans le contexte dont nous parlons. Évidemment, il s'agit d'un droit de quasi-propriété; nous ne nions pas cela.

Le sénateur Jessiman: Monsieur Belliveau, votre Union des pêcheurs des Maritimes est membre fondateur du Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Ce conseil a-t-il une position à l'égard des permis à contingent individuel: QIT, QI, QNI et AE?

M. Belliveau: Le conseil regroupe diverses organisations de tout le pays qui ont beaucoup d'opinions différentes, de sorte qu'il ne peut réellement avoir une position définitive au sujet des QTI. Cela a été pour nous une question bien difficile, et nous avons fini par nous entendre -- ce qui est fondamental pour le fonctionnement du conseil -- sur le fait que le titulaire de permis, le pêcheur, doit être obligé de pêcher pour obtenir son permis et que, parfois, dans certaines conditions, l'établissement de quotas individuels pourrait être utile. Mais le principe général, c'est que le propriétaire-exploitant doit pêcher pour obtenir son permis. C'est là la clé.

De plus en plus, ce sont de petites et moyennes entreprises qui détiennent les permis et, bien souvent, les pêcheurs qui pratiquent la pêche deviennent de fait des membres de leur équipage ou leurs employés. Nous sommes parvenus à un consensus quant aux problèmes que nous percevions au sujet des pêcheurs propriétaires-exploitants indépendants. Une fois que vous avez établi ce principe, vous pouvez certes recourir à des quotas individuels dans certaines conditions.

Le sénateur Jessiman: Qu'en est-il des quotas transférables individuels? La position de votre syndicat est-elle la même que celle du conseil? Vous avez parlé de quotas individuels. J'ai fait allusion aux quotas transférables individuels, aux quotas de navires individuels ainsi qu'aux allocations d'entreprises. Selon moi, le conseil ne voit pas ces choses de la même façon que votre syndicat. Est-ce le cas?

M. Belliveau: Notre organisation s'est exprimée clairement au sujet du régime de quotas individuels transférables. Nos membres ont énormément de problèmes avec cette question. Ils ont un problème fondamental, parce qu'ils savent que les détenteurs de permis peuvent être dans des bureaux à Toronto, à Chicago ou ailleurs, et que la personne qui pêche n'est pas nécessairement celle qui détient le permis.

En ce qui touche le conseil, je ne crois pas avoir entendu dire qu'il appuyait les quotas transférables individuels. Il réserve ses commentaires sur la question, en fonction de certaines conditions bien définies. Peut-être pourrait-il se prononcer si les pêcheurs décidaient de la question.

Le sénateur Jessiman: Selon vous, les pêcheurs devraient avoir des quotas individuels, mais ils ne devraient pas être transférables. Est-ce cela que vous voulez dire?

M. Belliveau: Ils ne devraient pas être transférables pour le marché tout entier, comme cela se fait en Nouvelle-Zélande. Vous achetez et échangez des quotas comme vous le feriez dans une bourse. Nous ne sommes pas d'accord avec ce genre de transférabilité. Par exemple, dans certaines parties de la Nouvelle-Écosse, les pêcheurs côtiers ont des quotas individuels pour le crabe. Ils ne transfèrent pas le quota, mais ils transfèrent les permis, et avec lui, les quotas.

Le sénateur Jessiman: Croiriez-vous cependant que vous devriez pouvoir les transférer entre des pêcheurs de la même collectivité?

M. Belliveau: Oui, parce qu'il n'y a pas de principe en cause à ce moment-là. Si vous pouvez établir un système qui fonctionne à l'échelle locale, je vous en prie, n'hésitez pas un instant.

Le président: Merci d'avoir comparu devant nous. Vous vous êtes dits fort préoccupés par une politique publique, ce qui est exactement la raison d'être de notre comité et de l'étude à laquelle nous procédons actuellement. Votre contribution ce matin a ajouté beaucoup au débat public qui doit être fait sur ce sujet très important. Merci de votre contribution.

Le sénateur Stewart: Je pense que, d'une certaine façon, nous perdons notre temps. Laissez-moi m'expliquer. M. Belliveau semble alléguer que c'était une erreur de limiter l'accès au patrimoine naturel, et il utilise cet argument pour s'opposer à un régime de quotas. Il est tout à fait prêt à permettre l'octroi de permis et leur transfert dans une collectivité, de sorte que je pense que nous devrions délaisser la question de la limitation de l'accès au patrimoine naturel pour nous concentrer sur l'utilité des quotas et du régime visant à limiter l'accès.

Le président: Nous allons passer à un autre témoin, mais vous avez soulevé là un sujet important, sénateur Stewart.

Notre prochain témoin est M. Jack Boone, directeur général de la Fundy Weir Fishermen's Association. L'association a été créée en 1973, et elle avait tout d'abord pour objectif d'exercer des pressions auprès des gouvernements pour pouvoir continuer de pêcher à la nasse lorsque les stocks diminuaient et que le marché éprouvait des difficultés. Durant un certain temps, l'association a fait l'expérience de l'aide gouvernementale et d'un programme d'assurance du revenu. Elle a également négocié des prix auprès d'un important acheteur et transformateur, Connors Brothers, du Nouveau-Brunswick.

Aujourd'hui, l'association représente 80 p. 100 des pêcheurs à la nasse de la baie de Fundy. Ses 165 membres proviennent du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. En tout, ils capturent quelque 20 000 tonnes de hareng par année, ce qui représente de 85 à 90 millions de dollars pour l'économie locale.

M. Jack Boone, directeur général, Fundy Weir Fishermen's Association: Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de parler d'une ressource et d'un mode de pêche que je chéris beaucoup. Je fais évidemment allusion à la pêche au hareng à la nasse dans la baie de Fundy et le long de la côte est de la Nouvelle-Écosse, la côte Est tout entière, à l'exclusion du golfe.

À St. Andrews, j'ai moi-même pêché le hareng durant 23 ans. Je possède sept nasses et j'ai éprouvé plus de difficulté à gagner ma vie que les pêcheurs de la plupart des autres secteurs de pêche du monde. C'est une industrie vieille de 400 ans, qui s'effrite rapidement. Parmi les raisons qui expliquent cette situation, mentionnons une aquaculture insuffisante, la flotte mobile et les méthodes de capture du hareng dans les marchés auxquels nous avons accès.

Lorsque j'ai commencé à pêcher en 1960, les petites usines du Maine obtenaient leur hareng des pêcheries à la nasse de notre région. En Nouvelle-Écosse, nous avons 15 nasses qui ont été construites l'an dernier, 28 à l'Île Grand Manan, dont nous ne sommes pas responsables, et 88 entre Saint John et St. Stephen.

Comme la plupart d'entre vous le savez déjà, la société Connors Brothers, de Blacks Harbour, est l'une des plus grosses conserveries de sardines au monde. C'est évidemment à elle que nous vendons actuellement 99,9 p. 100 de notre poisson. Le reste va à d'autres pêcheurs, qui nous en achètent de temps à autre pour s'en servir comme appât.

Je me sens très à l'aise de vous parler de la pêche à la nasse et du hareng, parce que nombre de mes amis ont des senneurs mobiles et que j'ai aussi travaillé avec eux lorsque j'ai commencé. Avant qu'ils établissent leur propre méthode de transport, je les suivais au cours des mois d'hiver et pompais le poisson pour eux.

D'après ce que j'ai vécu, je puis vous dire que l'industrie du hareng a toujours fluctué. Si on établissait un tableau descriptif des 50 dernières années, on verrait qu'il y a eu beaucoup de sommets, mais aussi beaucoup de creux.

Après la guerre, nous avons eu une nouvelle technologie. Le sonar a été mis au point, et les gens pouvaient l'utiliser pour trouver le poisson. Nous avons également eu des bateaux plus gros et des filets plus grands, et cette tendance s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui. Les pêcheurs qui transportaient 50 tonnes de poisson il y a dix ans en transportent aujourd'hui de 150 à 200 tonnes, parce que les nouveaux bateaux sont plus gros. Aujourd'hui, nous utilisons d'énormes agrès pour capturer le hareng.

La Fundy Weir Fishermen's Association a vu le jour en 1955. Avec l'accessibilité à la nouvelle technologie, on avait remarqué que la flotte mobile pouvait se rapprocher des nasses, tandis que le hareng se réunissait de temps à autre pour se nourrir de planctons à marée haute. Quand la marée se retirait, le poisson le suivait jusqu'à la clôture et nageait tout le long de la clôture jusque dans la nasse, qui est faite en forme de coeur. L'ouverture est comme un «V» dans le coeur, et le poisson nage en cercle jusqu'à ce qu'il se trouve à l'intérieur, incapable de retrouver l'ouverture dans l'obscurité. Quand le jour se lève, les pêcheurs sortent et jettent un filet sur l'ouverture, pour y maintenir le poisson jusqu'à ce qu'ils puissent l'apporter au marché.

J'ai passé beaucoup de temps à parler de la privatisation des pêches. J'ai parlé à tout le monde: à des membres de mon association, à des fonctionnaires, à des journalistes et à d'autres. Selon moi, la privatisation cause énormément de tort aux pêcheries. Je ne suis pas ici pour déblatérer contre le MPO. Je suis ici pour vous dire que la gestion des pêches devrait être laissée au MPO. Lorsque nous parlons de privatisation, nous parlons du transfert du droit au poisson -- et presque de la propriété du poisson -- à l'industrie privée.

Je ne suis pas d'accord avec la privatisation, et mon association ne l'est pas non plus. Dans notre secteur, la plupart des pêcheurs subissent d'une façon ou d'une autre le contrôle des usines de transformation. C'est même le cas du comité de gestion Scotia-Fundy, qui est censé superviser le rendement global de l'équipe de gestion du MPO. Il y a quatre ans, une personne de l'industrie a été nommée coprésidente de ce comité pour un an. Cinq ans plus tard, cette personne fait toujours partie du groupe.

Mon association est membre à part entière du comité de gestion du hareng Scotia-Fundy, et j'ai présenté des arguments à deux ministres différents et à deux occasions distinctes, pour demander à assister à ces réunions. Toutefois, nous n'avons pu y aller. Il y a cinq ans, vous pouviez déjà voir que les gros intervenants -- c'est-à-dire la flotte mobile et les usines de transformation -- allaient s'occuper de la question de la privatisation. Selon moi, le MPO se décharge des ses responsabilités.

Revenons au comité de gestion du hareng Scotia-Fundy. Les pêcheries n'ont rien à tirer d'un poste de président; elles n'ont rien à craindre et elles n'ont rien à gagner. Elles peuvent donner une opinion impartiale. Si j'étais coprésident de ce comité et que j'avais l'influence qui va avec ce poste, j'essaierais certainement de favoriser les pêcheurs à la nasse, puisque je suis payé par eux. Un secteur n'a pas à contrôler l'utilisation d'une ressource.

Une petite histoire s'est répandue en Nouvelle-Écosse il n'y a pas longtemps. Il y a trois ou quatre ans, notre gouvernement a offert aux habitants des petits villages un certain montant d'argent pour que le village reprenne son quai. Il leur a donné l'argent, et il leur a cédé le quai. Lorsque le quai s'est effondré il y a deux ans, cependant, le village s'est tourné vers le gouvernement pour avoir de l'argent pour le rebâtir.

Lorsque tout va bien, la privatisation ne pose pas de problème. En fait, comme nous l'a montré le rapport Kirby, le soutien gouvernemental n'est pas toujours une solution. Cependant, avec la privatisation, on remet un trop grand contrôle entre les mains d'un trop petit groupe. Ce contrôle sera exercé par ceux qui ont quelque chose à gagner: l'industrie, les transformateurs et les grosses compagnies.

Les pêcheurs sont écartés du secteur. Il y a quatre ans, il y avait 241 permis de pêche à la nasse à la baie de Fundy. Aujourd'hui, il y en a 188, et le nombre diminue rapidement. Ceux qui restent ne font plus partie du réseau. Où sont-ils allés? Ce qui s'est produit, c'est que les gros bonnets leur ont tendu 50 000 $ et ont acheté les permis. Ces pêcheurs n'avaient peut-être pas attrapé un seul poisson durant des années, ils connaissaient peut-être des difficultés financières, et c'est pourquoi ils ont pris l'argent. Le permis est parti; il n'est plus dans le système. L'un de nos membres, parmi les plus féroces opposants à l'expansion de l'aquaculture, a vendu son permis la semaine dernière, et le permis n'existe plus.

La pêche à la nasse dans la baie de Fundy génère entre 80 et 100 millions de dollars pour l'économie locale. Ces chiffres proviennent du MPO, du MAE et des chambres de commerce.

Il s'agit d'une industrie qui exige beaucoup de main-d'oeuvre. Les femmes se servent de ciseaux pour couper la tête et la queue du poisson, puis elles mettent le poisson en boîte. Il existe maintenant des machines qui finiront par prendre la place de ces femmes. Dans son énoncé de principes, remis récemment au gouvernement provincial, la société Connors Brothers affirme qu'il y a dans notre région plus de 2 000 emplois associés à l'industrie du hareng.

Dans nos pêcheries, nous avons permis que la science fasse partie de la gestion des pêches, plutôt que de seulement servir de conseil à la direction dans le domaine. Au fil des ans, nous avons dépensé beaucoup d'argent pour évaluer les stocks. Le résultat est que personne ne sait très bien ce qu'il y a dans la mer. Certains milieux scientifiques dans le Maine prétendent que la région qui va de Georges Bank à Jeffrey's Ledge renferme probablement trois millions de tonnes de hareng. Un autre scientifique déclare que la région est en situation de crise, et qu'il y en a peut-être 500 000 tonnes. Il y a tout un écart entre ces deux chiffres.

Le poisson que nous pêchons au Nouveau-Brunswick est censé provenir du golfe du Maine. Le poisson pris dans nos nasses en Nouvelle-Écosse provient de la zone 4X, c'est-à-dire la zone qui va de Digby à Yarmouth. C'est une affaire très délicate.

Permettez-moi de m'attarder sur le cas du hareng. Les seuls gens qui avaient les moyens d'acheter les permis en question, comme cela s'est fait dans le cas de la flotte mobile en guise de contrôle des quotas, n'étaient pas des pêcheurs. Ils ont dû user de méthodes frauduleuses pour acheter les permis en question -- le bateau devait être inscrit au nom d'un pêcheur, pour que l'on puisse obtenir le transfert du bateau et se faire attribuer le quota. Dans les documents de pêche, les pêcheurs sont désignés comme étant les propriétaires, mais, en réalité, ils n'ont pas investi un cent dans le bateau.

On contourne les règles régissant les quotas. Pis encore, ces dernières années, les quotas étaient si bas que les pêcheurs de la flotte mobile devaient verser plus de 40 $ la tonne, après avoir épuisé leur quota, afin de pouvoir aller à la pêche.

Regardons ces chiffres. Le poisson débarqué au quai vaut 133 $ la tonne. Le quota de 700 tonnes vaut donc moins de 100 000 $. N'importe qui pourrait vous dire qu'on ne peut se permettre d'avoir un bateau de deux millions de dollars en faisant moins de 100 000 $. De la même façon, on ne peut payer sept marins. De ce fait, les pêcheurs sont transformés en menteurs et en escrocs, car ils essaient de trouver des façons de contourner le quota.

Pour la première fois, les pêcheurs à la nasse en Nouvelle-Écosse produisent 3 000 tonnes de poisson par année. C'est là une moyenne échelonnée sur dix ans, et cela m'étonne énormément. Cette année, pour la première fois, nous avons un quota. Le quota s'élève à 3 200 tonnes. C'est censé être un quota concurrentiel, qui représente 20 p. 100 du total des prises admissibles. La difficulté, par contre, c'est que le quota est «partagé» avec les pêcheurs au filet maillant, de façon concurrentielle. Si ceux-ci prennent tout le poisson en premier, ou si les pêcheurs à la nasse le font, subitement, tous les autres ne sont plus en affaires.

Lorsque vous parlez de privatisation, j'aimerais que vous vous penchiez sur le cas de la pêche aux oeufs de poisson, qui est devenu une forme légale de pêche en vue de la production de la farine de poisson. La farine de poisson nous a déjà beaucoup compliqué la vie, comme vous le savez. La pêche a été interdite dans certaines zones, et on a mis dans la Loi sur les pêches une disposition précisant qu'il ne peut y avoir de pêche sélective en vue de la production de la farine de poisson dans l'industrie du hareng. Par contre, nous avons fait des pressions pour que cette disposition ne figure pas dans la nouvelle loi.

Le hareng qui n'est pas de la bonne qualité sert à la production de la farine de poisson. Certains pêcheurs, lorsqu'ils constatent que le poisson n'est pas de la bonne qualité, le sort des filets. Les scientifiques peuvent bien prétendre ce qu'ils veulent: ce poisson est mort. Il s'éloigne bien à la nage, mais il va mourir sous peu.

Si nous souhaitons vraiment protéger l'industrie du hareng et les nasses, il faut permettre à ces gens de gagner leur pain. Il doit y avoir des règles, et les règles doivent être appliquées, ce qui m'amène à parler d'une autre question. En ce qui concerne les nasses, le règlement sur la pêche n'a été aucunement appliqué au hareng dans notre région ces dernières années.

La semaine dernière, nous sommes allés en cour à Digby. Un de nos membres, Stanley Stanton, a dû recourir à son propre avocat pour engager des poursuites. Un senneur s'activait près de sa nasse, ce qui va à l'encontre des règles, et il a dû recueillir la preuve à cet égard lui-même. Le MPO ne pouvait le faire; c'est donc l'un des miens qui a dû le faire. Stanley Stanton n'est pas formé pour veiller à l'application de la loi, et le MPO ne fait pas son travail.

Nous avons privatisé jusqu'à un certain point les services d'inspection du poisson; maintenant, il appartient aux transformateurs de s'assurer que le poisson est de bonne qualité. Nous avons fait cela dans le cas du poulet, du boeuf, des pommes de terre et de tout le reste. Tout de même, quand il est question de bétail et d'agriculture, on peut contrôler ce qui se passe dans le champ ou sur la vigne. Le cas du poisson est toutefois différent, car on ne peut contrôler le milieu où il vit. On peut seulement contrôler le poisson une fois qu'il est pêché. L'inspection est une pratique adoptée partout dans le monde, mais je ne sais pas si c'est la bonne façon de procéder.

Nous devons nous demander si nous réagissons aux problèmes qui touchent les pêches, plutôt que de devancer les coups. Cela me réjouit de voir que le gouvernement a attribué des fonds à des anciens pêcheurs pour procéder à de nouvelles recherches. En même temps, je dois me demander s'il est vraiment utile de survoler l'océan pour dénombrer le poisson.

J'ai des amis qui ont des années d'expérience dans les pêches. Tous les jours depuis 30 ans, ils gagnent leur pain à travailler avec les stocks. Je crois leur parole à eux à propos de l'état des stocks, avant l'estimation de quiconque.

À de nombreuses reprises, j'ai imploré les politiciens d'écouter les pêcheurs. Lorsqu'ils le font, par contre, ils ne peuvent les mettre dans la même pièce que le transformateur qui est propriétaire de leur maison et de leur bateau, et qui exercent sur eux un pouvoir absolu.

Les stocks ont augmenté, mais ce n'est pas le cas du prix du poisson. Les pêcheurs ont déjà été dans une position de force pour négocier le prix, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous n'avons pas la force nécessaire et, à mes yeux, cette manie du consensus est ridicule. Nous n'arrivons pas à nous entendre sur les choses les plus simples, et nous parlons de consensus à propos de toutes les questions qui touchent les pêches. Ce n'est pas de cette façon que les choses fonctionnent; voilà pourquoi nous avons besoin d'une personne courageuse à la tête de l'équipe de direction, quelqu'un d'imperméable aux menaces et aux faveurs. Cette personne ne peut représenter un seul et unique secteur.

Les gens viennent témoigner devant vous et vous disent qu'ils savent tout ce que l'on peut savoir à propos des pêches. Or, personne ne sait tout ce qu'on peut savoir à propos des pêches. De fait, à mon avis, nous en savons très peu sur les pêches. Aux commandes de mon avion, j'avais l'habitude de regarder la mer. Je me demandais comment quiconque pouvait jamais savoir ce qu'il y avait là. C'est tellement énorme, comme vous le savez tous.

Nous avons des parcs de pêche dont l'activité est florissante, mais cela s'effrite rapidement en raison de l'aquaculture, de la flottille mobile et, à mes yeux, des stocks. Les scientifiques nous disent que les stocks ont l'air d'être nettement mieux cette année. Le total des prises admissibles a été porté de 50 000 à 95 000 tonnes. Les scientifiques ont une nouvelle méthode pour chercher le poisson. Tout de même, n'importe quel pêcheur de métier vous le dira, on peut voir tout un lot de poisson un soir et estimer qu'il y a là 200 000 tonnes. Le lendemain, il n'y a peut-être plus de poisson au même endroit, mais les 200 000 tonnes en question peuvent se trouver ailleurs. Est-ce qu'il s'agit d'autres poissons, ou encore est-ce le même poisson qui s'est simplement déplacé?

Les nouvelles méthodes acoustiques d'évaluation n'ont pas subi l'épreuve du long cours. Hier, je lisais sur Internet un texte sur les méthodes scientifiques de détection du hareng employées au Japon, en Norvège et en Écosse. C'est le même point de vue que l'on fait valoir; il est très difficile de déterminer le nombre de poissons qu'il y a dans l'eau. Il est encore plus difficile de le contrôler et, malheureusement, ce contrôle est à 99 p. 100 entre les mains des transformateurs et des grandes sociétés -- ils ont le portefeuille bien garni.

Les groupes en question continuent d'acheter des pêcheurs à la nasse. Ils viennent justement d'en acheter deux la semaine dernière. Ils acquièrent les meilleurs et achètent les bateaux senneurs pour obtenir les quotas. Je ne sais pas combien ils en ont acheté. Le MPO a été mis au fait de la situation, mais rien ne s'est produit.

Il est triste de voir les petits pêcheurs et les Canadiens perdre leur emprise sur une ressource. Cela vaut pour n'importe quelle ressource, mais c'est particulièrement vrai dans le cas des pêches. J'espère que vous comprenez notre point de vue. Il est difficile pour moi de venir ici: mon salaire m'est versé par Connors Brothers.

Nous obtenons une redevance sur le poisson que nous vendons à l'entreprise, redevance que nous partageons avec Grand Manan, en fonction de celui qui a pêché le poisson. L'an dernier, nous vendu 25 000 tonnes de poisson, ce qui en a fait la meilleure année depuis 1989 au chapitre des ventes. Cela pourrait faire penser qu'il y a beaucoup de poisson, mais ce n'est pas le cas. L'an dernier, le marché pouvait absorber 25 000 tonnes de poisson. C'est un marché qui n'était pas là d'autres années. Il y a quelques années, cela a été la grosse affaire pour Grand Manan, et les pêcheurs ont eu la chance de vendre beaucoup de poisson, mais le marché est limité. Il y a des quotas. Je peux vous dire qu'on manipule le régime des quotas, qui souffre de graves lacunes en ce qui concerne le contrôle à quai. Les observateurs angoissent les pêcheurs.

Le président: Vous avez apporté une contribution énorme à notre débat avec l'information que vous nous avez révélée ce matin. L'association que vous représentez devrait être fière de vous.

La pêche à la nasse représente probablement la façon de pêcher la plus ancienne en Amérique du Nord. Nous ne songeons pas souvent à la méthode très passive qui permet de prendre le poisson ainsi.

Le sénateur Stewart: D'après votre témoignage, je déduis qu'il faut un permis pour avoir une nasse. Est-ce bien cela?

M. Boone: Oui.

Le sénateur Stewart: Vous avez dit que le nombre de pêcheurs à la nasse est passé de 241 à 188. Dois-je comprendre que certains des propriétaires ont vendu leur permis?

M. Boone: Oui, c'est cela.

Le sénateur Stewart: D'une certaine façon, alors, le permis est un bien privé. On peut le vendre.

M. Boone: La propriété du permis peut être transférée ou vendue. Elle n'est pas vraiment vendue, elle est plutôt transférée en échange d'une somme d'argent importante, que paient les gens pour aménager une zone d'aquaculture.

Le sénateur Stewart: Vos zones sont les zones 4X et 5Y. Comment le hareng est-il «réparti»parmi les 10 flottilles et engins dans ces zones? Quelle part est attribuée à la flottille mobile?

M. Boone: La région de Scotia-Fundy ne comprend pas les zones 4X et 5Y. La zone 5Y se trouve de fait dans le Golfe du Maine. Il n'en est donc pas question ici. Notre région va jusqu'à la Baie Chédabucto. Un TPA s'applique à toute la région, y compris la Baie de Fundy. De ce TPA, 80 p. 100 vont à la flottille mobile, qui a été réduite jusqu'à avoir maintenant 26 ou 27 senneurs actifs. Permettez-moi de vous dire qu'il y a déjà eu 60 senneurs là. Cette année, pour la première fois, les pêcheurs au filet maillant, et les pêcheurs à la nasse ont un quota concurrentiel. Ce n'est pas un QIT. C'est un quota concurrentiel qui s'applique aux 20 p. 100 qui restent.

Le sénateur Stewart: À l'occasion, j'ai lu quelque part qu'il y a des senneurs russes qui pêchent près de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse. Ma mémoire est-elle bonne et, si elle l'est, comment ont-ils accès au hareng dans cette région?

M. Boone: Je crois que vous êtes mal renseigné. Au meilleur de ma connaissance, les Russes sont arrivés pour acheter du hareng à Yarmouth 4 ou 5 ans de suite. Cela s'est fait par l'entremise d'une entreprise de Dartmouth du nom de Jaymer, qui a servi d'intermédiaire à l'équipage russe.

La Russie, comme vous le savez, a fait faillite il y a trois ans, et le TPA global est passé de 151 tonnes métriques, ce qu'il était il y a huit ans, à 50 tonnes métriques, il y a deux ou trois ans seulement. Cela a eu pour effet d'éliminer les Russes du jeu, car on croyait que tout le poisson pouvait être pris en charge par les transformateurs de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Stewart: Vous avez parlé d'une pêche sélective pour la production de la farine de poisson. Est-ce dire qu'on prenait du poisson expressément pour qu'il soit transformé en farine?

M. Boone: Oui.

Le sénateur Butts: Vous dites que le MPO veut gérer les pêches et qu'il a le droit de le faire. La difficulté, selon vous, réside dans la façon dont le MPO a géré les pêches. Est-ce bien cela?

M. Boone: Oui, jusqu'à un certain point.

Le sénateur Butts: Est-ce que vous imposeriez une limite aux rachats dont vous avez parlé? Souhaiteriez-vous que le MPO procède ainsi, ou croyez-vous qu'il devrait éliminer simplement les rachats?

M. Boone: Lorsque j'ai appris qu'il y avait cette hémorragie en ce qui concerne les permis, j'ai abordé immédiatement Connors Brothers. J'ai demandé combien il fallait de permis pour soutenir les pêches. L'entreprise n'était pas consciente du fait que les permis se perdaient.

Ayant dit cela, je me suis adressé à Neil Bellefontaine. Je lui ai dit qu'il nous fallait un moratoire sur l'achat des quotas, jusqu'à ce que nous puissions nous asseoir pour réfléchir à ce qui se passe. J'ai dit la même chose à des hauts fonctionnaires des pêches, mais, jusqu'à maintenant, rien ne s'est fait. Encore une fois, nous attendons la catastrophe pour réagir, plutôt que de prendre les devants. Ce serait très responsable de notre part d'imposer un moratoire pour un an ou deux, jusqu'à ce que nous puissions tous nous asseoir et discuter de ce qu'il nous faut vraiment. Pouvons-nous nous permettre de laisser les senneurs sortir le poisson des petites anses? Devons-nous leur permettre d'aller dans les zones de frai et de tuer les mamans avec leurs bébés? Pouvons-nous permettre cela et soutenir toujours une pêcherie? Ce sont des questions auxquelles il faut trouver des réponses, si nous voulons stopper cette hémorragie de permis.

Le sénateur Butts: Vous avez dit qu'il y a déjà eu 60 senneurs, qu'il n'y en a maintenant que 27. Les 27 en question prennent-ils le même nombre de poissons?

M. Boone: Avec les moyens qu'ils ont à leur disposition aujourd'hui, ils peuvent récolter un nombre beaucoup plus grand de poissons que nous pouvons en traiter à terre -- un jour donné, une semaine donnée, un mois donné -- à moins que nous n'aménagions une industrie de farine du poisson à fort volume.

Le sénateur Butts: Recommanderiez-vous une augmentation de 20 p. 100 du TAP par rapport à ce qu'il est aujourd'hui?

M. Boone: Ce n'est pas la solution à mes yeux. Je ne pense que les quotas fonctionnent. L'an dernier, nous avons établi un quota de 58 000 tonnes métriques. Nous avions 26 bateaux, et les prises ont produit entre 400 000 $ et 900 000 $. Prenons 700 000 $ pour moyenne. On multiplie cela par 26 bateaux; où ont-ils trouvé l'argent? Il fallait que cela provienne du poisson.

Notre quota était fixé à 58 000 tonnes. Entre les bateaux à filets maillants et les barques de pêche, nous avons pris au total 48 000 tonnes. Multipliez cela par 133 $, et vous obtenez 6 384 000 $ pour notre pêcherie. Maintenant, prenez 26 bateaux et multipliez ce nombre par 500 000 $, et cela donne 13 000 000 $. À vous de déterminer si les quotas fonctionnent.

Une fois qu'un pêcheur a atteint son quota de 700 ou 800 tonnes, ou pris tout ce qu'il peut prendre sans que personne ne le sache, il doit commencer à «acheter» le quota de l'entreprise ou du propriétaire qui en a à vendre. Selon moi, les quotas ne fonctionnent pas en ce qui concerne cette pêcherie.

On peut faire valoir qu'il serait possible d'améliorer la surveillance. C'est comme essayer d'attraper quelqu'un qui ferait de l'excès de vitesse: pour piéger l'automobiliste, il faut engager deux personnes. Cela ne pourrait simplement pas se faire. C'est trop lourd, et les pêcheurs vont dans toutes les directions. Ce sont des grosses affaires dont il est question ici. On ne parle pas de dépanneur du coin. Les quotas de hareng n'atteignent pas l'objectif voulu, et c'est pour cela que je m'y oppose.

Le sénateur Jessiman: D'après mes calculs, à partir des chiffres que vous donnez, il y a 53 permis de moins aujourd'hui qu'il y en avait en 1988. Vous dites qu'il y en avait 241 en 1988 et qu'il y en a maintenant 188. Vous avez dit aussi que certains d'entre eux, sinon tous ont été rachetés aux fins de l'industrie de l'aquaculture. Est-ce que c'est tous les permis qui ont été rachetés ainsi ou certains d'entre eux?

M. Boone: Certains d'entre eux seulement ont été rachetés. Ce n'est pas le cas de tous les permis.

Le sénateur Jessiman: Combien faudrait-il de gens pour avoir un permis de pêche à la nasse par opposition à un permis d'aquaculture?

M. Boone: Je crois qu'il y a beaucoup plus de gens dans le cas de l'aquaculture. Multiplions 188 pêcheurs à la nasse par quatre. Cela nous donne environ 800 pêcheurs «directs», par opposition aux 1 500 travailleurs dont parlent les responsables de l'aquaculture -- ils ont 83 sites.

Le sénateur Jessiman: Est-ce qu'il y a certains pêcheurs à la nasse qui renoncent à leur permis et s'engagent dans l'industrie de l'aquaculture?

M. Boone: Il y en a qui l'ont fait au départ. Les arrangements financiers ont toutefois changé. L'État est moins présent, et le financement est moindre, de sorte qu'il y a moins de pêcheurs à la nasse qui font ça maintenant. Je peux compter ce qu'ils ont fait au départ sur les doigts de mes mains, et il restera des doigts. À l'époque, le poisson valait 7 $ la livre; aujourd'hui il vaut 3,20 $.

Le sénateur Jessiman: Si les 188 permis de pêche à la nasse étaient troqués contre l'aquaculture, est-ce qu'il y aurait plus de gens qui travailleraient dans la région?

M. Boone: Le nombre de travailleurs à terre n'est pas le même s'il est question d'aquaculture ou s'il est question de hareng. Celui qui transforme un seul saumon transforme dix livres de poisson. Pour la mise en boîte du hareng, il faut au moins deux poissons et cela peut aller jusqu'à 14. Il faut faire beaucoup de travail avec les ciseaux d'abord, pour enlever la tête et la queue. Ce sont des machines qui mettent le poisson en boîte maintenant, mais le travail pour couper les têtes avec les ciseaux exige beaucoup de main-d'oeuvre.

Le sénateur Jessiman: Il y aurait plus de gens qui travailleraient directement en aquaculture, mais un plus grand nombre travailleraient directement et indirectement dans la pêche à la nasse.

M. Boone: Cela me paraît juste.

Le sénateur Perrault: Je suis originaire de la côte Ouest, et je n'ai jamais entendu parler de la pêche à la nasse. Votre témoignage est très utile. Vous semblez vous opposer avec véhémence à la privatisation. À long terme, vous croyez qu'un MPO bien dirigé vaut davantage qu'un programme de privatisation. C'est l'inverse de ce que certains témoins nous ont dit.

M. Boone: Comme je l'ai dit dans mon introduction, les menaces et les faveurs m'importent peu. Si je peux faire quelque chose pour aider à soutenir l'industrie du hareng dans la baie de Fundy, j'en serai très fier à la fin de ma vie.

Le sénateur Perrault: Il y a eu énormément de dissension sur les deux côtes; et il y a eu des conflits entre ceux qui sont pour l'investissement public et ceux qui sont pour l'investissement privé. Si vous étiez ministre, que feriez-vous en tout premier lieu?

M. Boone: Ma première tâche, ce serait de m'asseoir avec M. Clinton et de régler la question du saumon.

Deuxièmement, j'étudierais la question de la privatisation. Je réunirais les pêcheurs et je donnerais suite aux déclarations, comme celles que j'ai faites ici. Je ne les réunirais pas avec les transformateurs. Je les accueillerais un à la fois pour qu'ils puissent parler ouvertement et librement, comme je l'ai fait ce matin. Mes observations ce matin me coûteront probablement très cher, mais je ne suis pas ici pour vous mentir. J'essaie d'apporter une petite contribution au débat.

Si j'étais ministre, je réunirais les pêcheurs et les hauts fonctionnaires. Je discuterais aussi avec eux, comme le faisait Roméo LeBlanc au moment où il était ministre. Je les convoquerais, je m'assoirais avec eux pour discuter, comme nous le faisons ici aujourd'hui.

Le sénateur Perrault: Les produits de Connors Brothers sont très populaires en Colombie-Britannique; les gens aiment bien leurs sardines. J'ai remarqué que des entreprises américaines de conditionnement, de la Nouvelle-Angleterre, ont maintenant des produits sur les tablettes en Colombie-Britannique, et je n'arrive pas à comprendre comment cela peut se produire.

M. Boone: Le libre-échange a accompli beaucoup de choses du point de vue de la privatisation. Les Néo-Écossais vous diront que, avec l'adoption du libre-échange, le poisson va de la Nouvelle-Écosse directement à la Nouvelle-Angleterre pour y être transformé. Selon une estimation prudente, cela coûte 3 000 emplois à la Nouvelle-Écosse.

Quant aux sardines sur la tablette, 30 p. 100 de toutes les sardines sont empaquetées par Connors Brothers, puis vendues aux États-Unis. Il y a donc là un échange de bons procédés. Si nous ne sommes pas tout à fait à la hauteur en ce qui concerne les produits sur les tablettes, c'est que nous n'avons pas fait suffisamment de promotion. J'ai toujours dit que nous ne faisions pas suffisamment la promotion du hareng, que ce soit les transformateurs ou les pêcheurs eux-mêmes. Personnellement, je fais la promotion du hareng et je fais la promotion du Canada, et je continuerai de le faire aussi longtemps que je suis en vie, car c'est le hareng qui me permet de gagner ma vie.

Le Nouveau-Brunswick devrait être reconnu comme faisant partie intégrante de la pêcherie, au même titre que la Colombie-Britannique et Terre-Neuve. La première fois que j'ai été élu maire de St. Andrews, en 1974, la station de biologie employait 220 personnes. Aujourd'hui, elle en emploie 71. Cela me trouble: les pressions faites pour garder cette station n'ont apparemment pas porté fruit. Sous bien des aspects, cette station était un chef de file mondial pour les questions scientifiques touchant les pêches.

Le sénateur Perrault: Vous laissez entendre qu'en termes nets, cela n'a pas été bon pour le pays.

M. Boone: Cela n'a pas du tout été bon, et je crois que le moment est venu de modifier les choses. Le moment est venu de commencer à neuf avec des stocks frais, avec une perspective fraîche et positive.

Comme je l'ai dit dans mon introduction, je ne suis pas venu ici pour critiquer quiconque. Je suis venu ici pour faire des suggestions et pour agir en vue de soutenir une pêcherie qui a été très bonne pour le Nouveau-Brunswick et pour le Canada.

Le sénateur Stewart: Monsieur Boone, croyez-vous qu'on devrait permettre qu'il y ait une pêcherie sélective pour les oeufs dans votre région?

M. Boone: Il y a quelques années, le TPA s'élevait à 151 000 tonnes. Cette année, le TPA proposé est 95 000. Lorsque les stocks sont bas, comme ils semblent l'être, je crois qu'il faudrait fermer le secteur des oeufs de poisson pendant les trois semaines que dure le frai.

Brian Tobin m'a posé la même question à Ottawa il y a trois ou quatre ans, et je lui ai dit de songer à ma suggestion. Un an plus tard, lorsque la crise est arrivée, il a admis qu'il aurait dû regarder cela de plus près. C'est le gros bon sens; si vous tuez les bébés et les mères, où allez-vous pêcher le poisson? Malheureusement, avec le projet de loi, les gens de l'industrie s'apprêtent à récolter plus de poisson pour les oeufs ou pour la farine.

J'ai fait ce métier toute ma vie. Vous pouvez imaginer l'état dans lequel se trouve le poisson qui est pêché au banc Georges, puis transporté pendant 18 ou 20 heures jusqu'à Yarmouth. Peu importe la réfrigération, peu importe les mesures. La semaine dernière, dans le Maine, on a rapporté des ventres de poisson. Pourquoi fait-on cela? Pourquoi prendre ce poisson pour les oeufs? Pourquoi ne pas se concentrer sur le poisson destiné à la consommation humaine, ce qui permettra de créer du travail à terre et de nourrir bien des gens? Je ne comprends pas cela, et, si j'étais ministre, j'agirais pour régler la question.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Boone, de nous avoir présenté un merveilleux exposé. Votre témoignage a été extrêmement utile.

La séance est levée.


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