Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Pêches
Fascicule 8 - Témoignages pour la séance du 21 mai 1998 (après-midi)
OTTAWA, le jeudi 21 mai 1998
Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui, à 15 h 10, pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.
Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous avons le grand plaisir d'accueillir M. Parzival Copes, professeur émérite à l'Université Simon Fraser. M. Copes est le fondateur et l'ancien chef de l'Institute of Fisheries Analysis de cette université. Il a été chef du Département d'économie et de commerce de Simon Fraser et le directeur fondateur du Centre for Canadian Studies.
M. Copes est un spécialiste de renommée internationale dans le domaine de l'économie et de la gestion des pêches et il a une vaste expérience de consultant auprès des agences gouvernementales et des organisations internationales.
Il y a plus de 20 ans, M. Copes avait signalé que les pêches de Terre-Neuve n'étaient pas gérées de façon écologiquement viable. Comme on l'a vu par la suite, ce qu'il avait dit s'est avéré exact.
Plus récemment, à la demande du ministre des Pêches de la Colombie-Britannique, M. Copes a étudié la crise du saumon coho et a déposé un rapport sur la question. C'est un sujet dont nous pourrons peut-être discuter aujourd'hui.
Monsieur Copes, bienvenue parmi nous. La parole est à vous.
M. Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser: Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui. J'aime toujours parler des pêches. Je suis intarissable sur le sujet et il se peut que vous ayez à m'interrompre si je prends trop de temps.
[Français]
C'est un grand plaisir pour moi d'avoir l'occasion de parler avec vous. Malheureusement, je ne peux pas m'exprimer convenablement en français et pour cette raison je donnerai ma présentation entièrement en anglais.
Le président: Votre français est excellent, monsieur Copes.
M. Copes: Je pense que j'ai un accent passable mais un vocabulaire trop restreint.
[Traduction]
J'aimerais d'abord discuter de la question de savoir si les quotas individuels transférables, ou QIT, peuvent être considérés comme une forme de privatisation, comme beaucoup de partisans de la privatisation le souhaiteraient. Selon moi, ils ne peuvent l'être pour deux raisons. D'abord, la privatisation a pour objectif d'assurer à une activité le rendement de l'entreprise privée. Ce n'est absolument pas possible dans le cas de la pseudo-privatisation des pêches. Pour que les pêches soient plus efficientes dans le cadre de la privatisation, il faudrait internaliser les effets externes de la gestion des pêches.
Le problème dans le cas des pêches c'est que nous avons affaire à une ressource en copropriété. Tout le monde exploite la même ressource et on prive l'autre du poisson qu'on pêche. Personne ne possède la ressource et personne ne s'en occupe. Les QIT ne font rien pour régler le problème.
Pour régler le problème de rendement, il faudrait pouvoir attribuer aux particuliers et aux entreprises du secteur des pêches certains poissons ou groupes de poissons. Ce n'est pas possible à cause de l'énorme mélange des stocks de poisson. On ne peut pas isoler les poissons comme un producteur agricole peut isoler ses animaux de ferme. Le producteur agricole contrôle tous les éléments qui concourent à la mise en valeur de ses animaux sur le marché.
Les QIT ne permettent pas d'identifier les poissons mis en valeur. Le système des QIT sert à accorder aux pêcheurs le droit de pêcher une certaine quantité de poisson; il ne les oblige pas à préserver la ressource. Les quotas ne font qu'inciter les pêcheurs à exploiter abusivement les stocks de poisson de différentes façons. Je vais vous en donner des exemples plus tard.
Le système de QIT rend la ressource accessible à moins de pêcheurs. Immanquablement, il crée un mécanisme qui permet à ceux qui ont les ressources financières voulues d'acheter plus de quotas leur assurant un plus grand accès aux stocks de poisson. Ainsi, les ressources halieutiques deviennent accessibles à un plus petit nombre de pêcheurs. On ne peut pas parler de privatisation des pêches dans ce cas, mais de «corporatisation» des pêches, puisque les ressources deviennent de plus en plus accessibles à ceux qui ont les moyens financiers d'acheter cet accès.
J'aimerais maintenant parler de trois aspects très importants de la gestion des pêches, la conservation biologique, l'efficacité économique et l'équité sociale. Ce sont les trois grands principes à prendre en considération dans le secteur des pêches. Selon moi, les QIT sont régressifs pour deux de ces principes, la conservation biologique et l'équité sociale. Dans l'ensemble, ils empirent la situation au lieu de l'améliorer.
Les QIT sont une invention d'économistes et, dans ce sens, on pourrait s'attendre à ce qu'ils offrent certains avantages sur le plan de l'efficacité économique, troisième des grands principes en cause. Je dirais que c'est le cas. A court terme du moins, les QIT permettent d'améliorer l'efficacité économique. Malheureusement, ils sont nuisibles sur le plan de la conservation biologique. Donc, à long terme, la détérioration de la ressource nuit à l'efficacité économique, parce qu'une ressource mal exploitée s'appauvrit. Enfin, aucun argument plausible ne permet d'affirmer que les QIT sont avantageux sur le plan de l'équité sociale.
Permettez-moi de vous exposer quelques-unes des raisons pour lesquelles les QIT ne sont pas compatibles avec une saine conservation biologique et pourquoi ils contreviennent au principe de prudence. Le mode de gestion des QIT est fondamentalement incompatible avec une saine conservation.
D'abord, le système des QIT suppose qu'on divise le total des prises admissibles en quotas individuels. Ce total doit être établi au début de la saison de pêche. Ainsi, les pêcheurs peuvent gérer leurs quotas individuels de la façon la plus efficiente possible. Ils peuvent décider quand et où pêcher et à quel moment mettre leur poisson sur le marché. Dès le début de la saison, ils connaissent leur quota et peuvent l'exploiter aussi efficacement que possible. Pour assurer le meilleur rendement possible, le total des prises admissibles doit être connu au début de la saison.
Dans les autres systèmes de gestion des pêches, le total des prises admissibles établi au début de l'année est prédictif. Les biologistes l'établissent en fonction de leur évaluation des stocks. Ils continuent de suivre les ressources tout au long de l'année et s'ils constatent que leurs prévisions initiales ne se réalisent pas -- que les stocks sont moindres que prévu -- ils peuvent fermer la pêche par mesure de précaution.
C'est très difficile d'appliquer une mesure de ce genre avec les QIT parce qu'on s'est engagé à l'avance à accorder un certain total de prises admissibles. Si on ferme la pêche on milieu de la saison, les pêcheurs qui n'ont pas atteint leur quota seront pénalisés, même s'ils pensaient bien faire en attendant plus tard dans la saison pour capturer une grande partie du poisson auquel ils ont droit.
La crédibilité du système est en cause si le total de prises admissibles peut changer au cours de l'année. Il est très difficile, avec le système des QIT, d'établir un total des prises admissibles fiable qui n'aura pas à être rajusté.
Ce système comporte beaucoup d'autres inconvénients. Il y a des cas où les incitatifs qu'il confère aux pêcheurs vont à l'encontre des meilleurs intérêts de l'ensemble des pêcheurs. Je vais vous donner deux exemples.
Dans un de mes articles, j'ai énuméré 14 problèmes que le système des QIT pourrait entraîner. C'était des problèmes que je prévoyais parce que j'ai écrit cet article avant que ce système soit bien établi, mais je pense que tous ces problèmes sont survenus.
Je vais vous en citer seulement deux à titre d'exemple. Le premier est le problème d'application des règles surtout quand il y a beaucoup de petits bateaux de pêche et donc beaucoup de pêcheurs. Pour la pêche au saumon en Colombie-Britannique, on compte 7 000 pêcheurs et 4 000 bateaux qui peuvent débarquer leurs prises et vendre leur poisson ailleurs à bien des endroits.
Il est difficile de vérifier si les quotas sont respectés dans ce système. Va-t-on surveiller chacun des 4 000 bateaux pour s'assurer que personne n'a dépassé son quota de 10 p. 100 ou n'a vendu son poisson ailleurs? Le respect des quotas est très difficile à vérifier sauf quand les débouchés sont limités, que la pêche est réservée à de gros bateaux et donc à un moins grand nombre de bateaux. Le respect des quotas pose souvent un problème.
Quand il n'en pose pas, un autre problème important survient, celui de la bonification des prises. Quand vous avez le droit de pêcher trois tonnes de poisson par année, vous voulez vous assurer que chaque kilogramme de poisson que vous vendez vous rapporte le plus possible. Comme un pêcheur de la Nouvelle-Écosse me le disait, vous gardez le poisson d'un dollar et vous rejetez celui qui vaut 0,60 $. On rejette énormément de bons poissons à la mer simplement parce qu'ils sont d'une catégorie inférieure à d'autres ou valent légèrement moins sur le marché. Ce n'est pas une bonne raison pour rejeter le poisson. Dans d'autres systèmes, on pêche et on vend les deux types de poisson.
Ces rejets sélectifs ont causé beaucoup de problèmes sur la côte Est du Canada il y a quelques années, avant l'effondrement des stocks de poisson de fond, parce qu'on ne les signalait pas. Les biologistes évaluaient les stocks à partir des quantités de poissons débarqués, sans tenir compte des quantités de poissons rejetés. Il faut en tenir compte, mais personne ne les rapporte.
Ce ne sont là que quelques-uns des problèmes liés à la conservation biologique. Il y en a beaucoup d'autres dont je ne parlerai pas en raison du temps dont nous disposons.
Je vais maintenant passer au principe de l'équité sociale. À peu près personne ne conteste le fait que les QIT ont tendance à concentrer l'accès des ressources halieutiques parmi les mieux nantis; ainsi, les droits de pêche des pêcheurs et des petites communautés de pêche qui dépendent de cette ressource nationale en copropriété, parfois depuis des siècles, risquent de passer aux mains des entreprises qui achètent de gros quotas et concentrent la base de pêche et la transformation du poisson dans moins de grands centres.
Les petites communautés y voient une menace et c'est avec raison je crois. J'ai déjà dit qu'un trop grand nombre de communautés de pêche et de pêcheurs nuisait à la santé de la ressource, mais la concentration qui découle des QIT peut entraîner très souvent le contraire. Les communautés de pêche doivent pouvoir continuer d'exploiter la ressource halieutique comme ils l'ont fait depuis des siècles pour assurer leur avenir. Cependant, si les pêcheurs qui prennent leur retraite ne peuvent résister à la tentation de vendre leur affaire au plus offrant, les populations côtières vont perdre l'accès à la ressource dont ils dépendent depuis longtemps.
Les partisans des QIT prétendent que ce système fonctionne très bien, qu'on a réussi à rationaliser les pêches et à réduire le nombre de bateaux en trop, ce qui, je l'admets, est un avantage possible. Le système peut régler les problèmes de surcapacité assez efficacement, mais il y a d'autres moyens d'y parvenir.
Examinons maintenant la situation des trois pays où l'effet des QIT s'est fait le plus sentir. En Islande et en Nouvelle-Zélande, les QIT sont à la base de presque tous les systèmes de gestion des pêches. Au Canada, le système des QIT est le système privilégié pour la gestion des pêches et, sur la côte Est, bien plus de la moitié des pêches ont adopté ce système.
Au début des années 1990, il y a eu effondrement des stocks de poisson de fond au Canada. C'était la première fois qu'une chose pareille arrivait. C'est survenu environ dix ans après l'adoption et l'augmentation graduelle des QIT sur la côte Est. Le problème des rejets sélectifs s'est fait sentir au même moment. Est-ce une pure coïncidence si nous avons connu cette crise précisément au moment où on pouvait s'attendre à ressentir l'effet de plusieurs années d'application des QIT, surtout avec le problème des rejets sélectifs?
En Islande, le système des QIT est en vigueur depuis plus d'une décennie et la morue, le plus important stock de poisson du pays, est à son niveau le plus bas. Cela survient encore une fois dix ans après l'implantation du système.
Dans le cas des pêches scandinaves, un partisan des QIT en Norvège a étudié le rendement de quatre pays nordiques, dont seulement un, la Norvège, n'avait pas adopté le système des QIT. Il en est arrivé à la conclusion que seule la Norvège s'était bien occupée de ses ressources. Les stocks de morue étaient en bien meilleur état en Norvège qu'en Islande, dans les îles Féroé ou à Terre-Neuve, qui appliquaient tous les trois le système des QIT. Les conclusions de cette étude n'indiquent pas que les QIT sont bien valables. Évidemment, il y a peut-être d'autres facteurs qui peuvent expliquer la détérioration des stocks de morue ou d'autres poissons de fond, mais il est assez frappant que ce soit dans les pays qui utilisent les QIT qu'on observe de graves problèmes dans le domaine des pêches.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur. Comme nous avons prévu pas mal de temps pour vous, si vous voulez apporter d'autres explications en cours de discussion, n'hésitez pas à le faire.
Le sénateur Stewart: Merci monsieur de nous avoir exposé votre opinion de façon très claire et très convaincante. En fait, ce que vous nous avez dit avec autant de conviction m'amène à vous demander pourquoi le ministère des Pêches et des Océans a adopté les QIT et pourquoi il continue de fonctionner selon ce système?
M. Copes: C'est une bonne question. Elle met peut-être indirectement en doute ma crédibilité, même si je sais que ce n'est pas là votre intention. Je dois admettre que je suis un économiste dissident. La plupart des économistes sont de fervents partisans du système des QIT. Ce système est effectivement très attrayant parce que, selon une théorie d'économie naïve et simpliste, il semble idéal sur le plan économique.
Pour certains de mes collègues économistes, ce qui est bon pour un objet quelconque est bon pour n'importe quoi. On réduit ainsi l'économie à la fabrication d'objets quelconques et on applique à la pêche les mêmes règles qu'à la fabrication de ces objets. Effectivement, si on pouvait comparer la pêche à la fabrication d'objets, le système des QIT serait idéal.
Mais la pêche est une activité énormément plus compliquée. Beaucoup de mes collègues, je le crains, se laissent bien trop impressionner par les théories simplistes qu'ils élaborent pour montrer l'efficacité des QIT, et ils n'en démordent pas. Ils ont fini par convaincre le ministère des Pêches et des Océans, qui éprouvait de graves problèmes de gestion, que le système était la solution au problème, et le ministère l'a adopté.
Malheureusement, il est difficile de revenir en arrière. Les QIT ont été attribués gratuitement au départ. Ils valent maintenant des millions de dollars. Si le gouvernement voulait revenir en arrière, il devrait compenser ceux qui ont acheté de bonne foi ces QIT, dont certains ont coûté plusieurs centaines de milliers de dollars. On est plus ou moins coincé avec ce système. Il est possible de changer les choses, mais c'est assez difficile à faire. J'ai déjà réfléchi à la question. C'est possible mais ce n'est pas facile.
Le sénateur Stewart: Vous avez dit que le ministère avait un grave problème de gestion à régler. Vous semblez aussi très convaincu que le système des QIT n'est pas valable. Comme il est nécessaire et grandement souhaitable d'assurer la conservation de la ressource halieutique et la santé des communautés côtières, avez-vous une solution de rechange à la théorie économique simpliste de certains de vos collègues?
M. Copes: Oui, j'ai fait des propositions à ce sujet. Avant d'adopter les QIT, on s'orientait dans la bonne direction. On s'intéressait à un système à accès limité. Mais on a commis plusieurs erreurs au sujet de la mise en oeuvre des systèmes de ce genre. Essentiellement, les systèmes à accès limité peuvent être assortis d'un certain nombre de mécanismes supplémentaires, comme les systèmes de rachat des permis pour régler le problème de la surcapacité, ou des modalités élaborées de clôture de la pêche, à différentes dates et dans différents secteurs. Je pense qu'on peut adapter un système à accès limité pour qu'il réponde assez bien à nos besoins, sûrement mieux que le système des QIT.
Le sénateur Stewart: Je viens d'une communauté côtière de la Nouvelle-Écosse où j'ai entendu parler de la bonification des prises. Vous avez signalé que ce phénomène est un des inconvénients des QIT. La bonification des prises n'est-elle pas possible dans le cadre d'un système à accès limité?
M. Copes: Les possibilités sont beaucoup moins grandes. S'il n'y a pas de limite à la quantité de poissons que vous pouvez capturer, il est certain que vous voudrez pêcher ceux qui valent le plus cher. Mais pourquoi jeter le poisson qui vaut 60 cents si vous pouvez l'ajouter à celui qui vaut un dollar? On rejette toujours du poisson à la mer même dans le cadre d'un système à accès limité. Mais c'est du poisson de rebut qui n'est pas rentable de rapporter à l'usine de transformation. On ne le rejette pas à la mer pour accroître la valeur de ses prises, mais parce qu'il n'a aucune valeur. On ne cherche pas à pêcher seulement le meilleur poisson.
Le sénateur Butts: Merci monsieur Copes. Je tiens à vous féliciter pour les prédictions que vous avez faites. Ça prouve que vous aviez raison. J'espère que vous en ferez d'autres.
Vous dites que le poisson est une ressource en copropriété qui n'appartient à personne en particulier. Cela nous incite à trouver un moyen de mesurer sa véritable valeur, pas seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan social. Est-ce là où vous voulez en venir?
M. Copes: Oui. Je crois beaucoup en une approche multidisciplinaire dans le secteur des pêches. Comme je l'ai dit, je suis économiste de formation, mais je ne néglige jamais les autres aspects de la gestion de cette ressource, la conservation et l'équité sociale.
Le sénateur Butts: Je crois que vous avez écrit quelque part qu'on ne doit pas choisir le mode de gestion de façon dogmatique. Est-ce vrai?
M. Copes: Oui, je crois que c'est vrai. Je disais souvent à mes étudiants avant de prendre ma retraite il y a neuf ans que, pour assurer une bonne gestion des pêches, il fallait adapter le système aux circonstances, c'est-à-dire aux stocks de poisson en cause. Les stocks réagissent tous de façon différente sur le plan biologique. Ils sont exploités de différentes façons avec des engins de pêche différents. La situation sociale dans laquelle ils sont exploités varie aussi énormément. Il y a tellement de différences d'une pêche à l'autre qu'il est fou de penser qu'un seul système peut convenir à toutes les espèces.
Je me rappelle avoir expliqué à des finissants en économie ce qu'était l'économie dans le secteur des pêches. Un de mes jeunes collègues, qui venait d'obtenir son doctorat, a contesté mes dires et a voulu me prouver qu'il pouvait utiliser le même système autant pour la gestion des chênes que pour la gestion des huîtres. Quand trop d'économistes se mêlent de gestion des pêches, ils traitent ce secteur comme n'importe quel autre.
Le sénateur Butts: Je suis d'accord avec vous. Si nous décidons qu'il devrait y avoir un éventail d'options de gestion, ne s'ensuivrait-il pas que les collectivités elles-mêmes devraient établir ces systèmes de gestion?
M. Copes: Oui. Je suis aussi convaincu maintenant qu'il est très souhaitable que la collectivité participe par l'entremise d'un système de cogestion.
Le sénateur Butts: N'est-ce pas particulièrement vrai du fait que la majorité des pêcheurs, du moins sur la côte est, sont des petits exploitants?
M. Copes: Il en va de même sur la côte Ouest. La pêche au saumon, la plus importante, se pratique principalement au moyen de petites embarcations.
Le sénateur Butts: Comment allons-nous décider maintenant de ce que le MPO devrait faire?
M. Copes: C'est une très bonne question. J'essaie moi-même de trouver une solution à ce problème. Le gouvernement de la Colombie-Britannique m'a demandé récemment de l'aider à cet égard. Par bonheur, le gouvernement fédéral et la Colombie-Britannique ont conclu un accord de coopération en matière de gestion des pêches. J'espère que cette collaboration s'intensifiera et que nous pourrons exercer une influence sur le MPO afin de trouver d'autres outils de gestion de la pêche. J'aimerais participer à un processus de ce genre.
Le sénateur Butts: Vous n'allez pas jusqu'à confier cette tâche aux provinces?
M. Copes: Non.
Le sénateur Butts: Nous nous situons quelque part au milieu.
M. Copes: Certainement pas sur la côte est parce que cela morcellerait la pêche. Vous seriez alors aux prises avec un grand nombre de problèmes, les provinces se bousculant pour se positionner et essayant de se voler mutuellement la pêche. Ce serait vraiment une mesure rétrograde.
Je crois que la cogestion est à l'ordre du jour et que les provinces doivent emboîter le pas. En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral exerce une compétence sur la gestion de la ressource. Il prend sa tâche au sérieux même s'il n'a pas choisi les bons outils de gestion. Par exemple, le ministre Anderson a vraiment la conservation à coeur. Qui dit gestion dit surtout conservation de la ressource. Le gouvernement fédéral a donc une double responsabilité.
Cependant, on risque ainsi d'accorder moins d'attention aux répercussions possibles du système de gestion sur la population. Nous attachons-nous trop à la ressource au détriment de l'élément humain? En fait, dans le récent rapport que j'ai préparé pour le gouvernement provincial j'avais pour mandat d'humaniser le problème de gestion. Aussi importante que soit la conservation, elle ne doit pas être de notre seule préoccupation. Nous devons aussi tenir compte des répercussions sur les collectivités. En dernière analyse, la gestion de nos ressources halieutiques doit privilégier le bien-être de la population.
Le sénateur Butts: Je crois comprendre, lorsque vous utilisez le mot «cogestion», que vous englobez au moins à trois groupes, à savoir le gouvernement fédéral, les provinces de même que les collectivités ou les municipalités.
M. Copes: Oui. Le gouvernement provincial doit veiller au bien-être des collectivités et c'est ce que nous constatons en Colombie-Britannique à l'heure actuelle. Il lui importe au plus haut point que le MPO recoure à des outils de gestion qui ne défavorisent pas les petites collectivités. Un grand nombre d'entre elles sont parfaitement viables tant qu'elles conservent l'accès à la ressource qui est à leur portée. Nombreuses sont celles qui ne survivront pas si cela signifie qu'en vertu des systèmes en place les droits d'accès à la ressource seront accordés à de moins en moins de gens et, à la longue, à des sociétés principalement.
Le sénateur Perrault: C'est beaucoup d'honneur que vous nous faites, M. Copes, de nous prêter main-forte. Vos antécédents sont incomparables en ce qui a trait à la conservation des ressources halieutiques.
Monsieur Copes, beaucoup de personnes avec qui nous avons discuté de cette question croient qu'à l'heure actuelle d'autres facteurs à l'échelle de la planète contribuent à réduire les stocks de poisson comestibles. Il est question de la couche d'ozone et de la disparition du plancton dont se nourrissent les poissons. Il est aussi question de la pollution. La surpêche y est certainement pour quelque chose. Il y a peut-être d'autres raisons que l'on ne connaît pas encore. Croyez-vous qu'à l'échelle planétaire des changements fondamentaux sont la cause du déclin de pêches précieuses dans diverses parties du monde?
M. Copes: Il y en a toujours. Les écologies des océans connaissent différents cycles. Vous constaterez qu'il arrive parfois que certaines espèces soient fortement touchées alors que d'autres en retirent des avantages. Comme nous pouvons le constater El Ni<#00F1>o a un effet dévastateur sur certains stocks et, très probablement, l'effet contraire sur d'autres.
Le sénateur Perrault: On a laissé entendre que le maquereau, par exemple, détruit une bonne partie des stocks de saumon.
M. Copes: C'est exact et, malheureusement, le maquereau va très bien merci! La Colombie-Britannique devrait songer sérieusement à autoriser la pêche au maquereau pour ramener les stocks à un niveau normal dans une certaine mesure étant donné qu'ils engloutissent nos jeunes saumons qui nous sont beaucoup plus précieux. Le maquereau pose un problème qui est directement attribuable à El Ni<#00F1>o. Le réchauffement de l'eau auquel donne lieu ce courant nous amène cette espèce.
Le sénateur Perrault: En fin de semaine à Nantucket, j'ai participé à des réunions sur les pêches où des Américains nous ont dit qu'ils capturent du saumon provenant de la partie supérieure de la rivière Skeena. Ils croient toutefois qu'il ne s'agit pas de quantités excessives. D'après eux, nous devrions considérer l'ensemble de la ressource et nous désintéresser de sa provenance. Les Américains font valoir toutes sortes d'arguments.
M. Copes: Oui.
Le sénateur Perrault: Peter Pearse, qui a comparu devant notre comité l'autre jour, estime que le gouvernement peut bien faire comprendre que l'ancien système n'est plus une option. Il doit non seulement le préciser mais aussi supprimer les subventions et les anciens régimes de soutien de revenu et insister sur le fait que les pêches font partie intégrante de son programme de restrictions financières et de dépendance accrue des marchés pour gérer l'activité économique.
Vous abondez dans le sens de M. Pearse, je crois, lorsqu'il dit que nous nous y prenons mal pour exploiter nos ressources halieutiques. Vous ne partagez toutefois pas son avis en ce qui concerne les quotas individuels transférables.
M. Copes: C'est exact.
Le sénateur Perrault: Il comprend mal comment un observateur intelligent puisse favoriser la pêche commerciale «à volonté». A son avis, les pêches à travers le monde qui sont surtout gérées de façon traditionnelle, sous le ressort des états côtiers et en haute mer, sont une honte des points de vue environnemental et économique. Il n'y va pas de main morte.
M. Copes: Oui.
Le sénateur Perrault: Quelle est la solution à tous les problèmes que nous connaissons?
M. Copes: Je crois que M. Pearse mélange deux systèmes lorsqu'il parle des anciens systèmes. Nous avons eu des pêches à accès libre, c'est-à-dire que n'importe qui pouvait se procurer une embarcation et aller pêcher. L'accroissement de la population et le fait que de plus en plus de gens essaient de tirer avantage des pêches à accès libre accentueront de toute évidence la pression sur les stocks. Je parle d'un autre système que nous sommes à mettre au point au Canada, la pêche à accès limité, qui limite le nombre d'embarcations.
Il n'est pas question de revenir à la liberté d'accès même si c'est tout à fait justifiable lorsque nous parlons d'espèces de faible valeur et peu attrayantes. Cela signifie qu'il y a au moins une exploitation marginale de ces stocks. On ne peut condamner en bloc un système à liberté d'accès. Il arrive qu'il s'agisse du meilleur système dont on dispose pour un stock de poissons en particulier.
Dans l'ensemble, nous avons été aux prises avec un problème sérieux, à savoir la surexploitation des stocks pour lesquels l'accès était libre, surtout dans les eaux internationales. Aucune autorité ne pouvait alors être exercée pour discipliner les pêcheurs et réduire les prises tandis qu'à l'heure actuelle, avec les zones de 200 milles, la majorité des stocks de poissons mondiaux relèvent de la compétence de chaque pays qui peut ainsi mettre en place un système de gestion pour empêcher la surpêche.
Un bon système à accès limité, bien administré, est supérieur à un système de quotas individuels transférables et ce, pour un certain nombre de raisons. Dans certains cas, le QIT peut se révéler le meilleur système à utiliser. Comme toutes les pêches sont différentes, il est possible que les problèmes auxquels risque de donner lieu un système de QIT soient très faciles à régler pour certaines d'entre elles. Il se peut donc qu'un système de quotas individuels transférables fasse l'affaire dans un certain cas.
Selon moi, un système de QIT conviendrait pour une petite partie des stocks de poissons mondiaux.
Le sénateur Perrault: Le système de QIT pose de véritables problèmes en ce qui a trait à la surveillance.
M. Copes: Oui.
Le sénateur Perrault: Il est très coûteux et très difficile de prendre en défaut les gens qui ne respectent pas les lignes directrices. Comment parvenons-nous à responsabiliser ceux qui accroissent la valeur des prises? Je dirais que dans cette industrie il est assez facile de ne pas respecter les lignes directrices si l'on est enclin à le faire.
M. Copes: Un régime à accès limité ne donne pas les mêmes avantages parce qu'on ne vous dit pas que vous avez seulement droit à tant de tonnes de poisson. Vous êtes autorisé à capturer le poisson pendant la période de pêche et aucune limite ne vous est ainsi imposée. Si la pression devient trop forte, les gestionnaires peuvent décider de fermer la pêche. Vous essayez de constituer une flotte et de la ramener à la taille qui convient au stock que vous exploitez.
L'un des problèmes que pose le système de pêche à accès limité c'est qu'on ne l'applique pas de façon assez rigoureuse. Vous avez ici des systèmes ridicules comme la saison de pêche du flétan en Alaska qui s'échelonne sur presque toute l'année parce que l'espèce est disponible pendant toute cette période. Dans ce cas-ci, les pêcheurs capturaient en quatre ou cinq jours toutes les prises auxquelles ils avaient droit en raison du nombre de bâtiments disponibles.
Un système à accès limité doit être appliqué avec de la rigueur. Vous devez disposer d'un système de rachat de permis et ramener la flotte de bâtiments à la taille qui convient à la ressource. Les avantages d'un tel système sont considérables par rapport à un système de QIT même si ce n'est pas le cas pour toutes les pêches. Pour certaines d'entre elles, j'opterais pour le système de QIT.
Le sénateur Perrault: Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Robichaud: Je vais vous poser une question hypothétique et j'aimerais si possible que vous ne réclamiez pas, comme le font les politiciens, ne jamais répondre à des questions hypothétiques.
Si vous étiez ministre des Pêches et des Océans pour une période d'un an, comment vous y prendriez vous pour instaurer un système de gestion qui viserait cette équité sociale dont vous parlez, tout en respectant une certaine efficacité économique et les stocks de poissons?
[Traduction]
M. Copes: Je veux bien répondre à des questions hypothétiques, mais j'aurais du mal à vous donner une réponse d'ici deux heures. La question est dense. J'y répondrais petit à petit parce que j'examinerais chaque pêche séparément. Comme je l'ai déjà dit, je crois qu'il faut ajuster le système à chaque pêche. Le système de quotas individuels transférables de même que les systèmes à accès limité comportent des variantes de manière à s'ajuster aux différentes pêches. Nous n'avons pas affaire en fait à deux systèmes seulement. Il s'agit plutôt de deux familles de systèmes qui offrent des outils de gestion supplémentaires permettant de régler les problèmes particuliers de certains stocks.
Je considérerais une pêche à la fois dans la mesure où les pêcheries composent avec des stocks distincts. Je songerais à mettre au point un bon système de gestion pour chaque pêche tout en étant conscient qu'il faut tenir compte des gens dont la pêche est le métier pour faire régner la justice sociale. Ce qui sur papier semblerait la façon la plus efficace d'organiser la pêche est peut être plus difficile à appliquer au groupe de pêcheurs auquel vous avez affaire.
Faute de grives on mange des merles. Si nous parvenons à les convaincre d'aller dans la bonne direction et de parcourir la moitié de la distance, cela vaut mieux que d'abandonner et d'accepter que nous ne parvenions jamais à une entente. Il s'agira d'un long et lent processus. Si l'on me confiait un mandat d'un an seulement, je voudrais que l'on me dise que quelqu'un continuera sur ma lancée, sinon l'exercice serait futile.
Vos actions devraient être poursuivies. Il est possible de faire beaucoup en un an, mais la réforme du système canadien nécessitera beaucoup plus de temps.
Le sénateur Robichaud: Si vous considérez la pêche à accès limité et que vous voulez traiter avec équité les collectivités disséminées le long de la côte, envisageriez-vous d'accorder des permis en proportion de la population? Tiendriez-vous compte des prises? Comment concilieriez-vous les deux en respectant un certain sens de la justice? Cela pose un véritable problème dans les collectivités vu qu'il y en a toujours une qui se sent lésée par rapport à la suivante.
M. Copes: C'est un problème politique avec lequel nous sommes constamment aux prises. Tout le monde croit être une victime d'une injustice et se sent lésé par rapport à quelqu'un d'autre. C'est tout à fait vrai dans le secteur des pêches, même lorsque l'on a affaire à différents engins. Dans le cas de la pêche du saumon, nous avons les senneurs, les bateaux de pêche aux filets maillants et les chalutiers. Nous avons sondé l'opinion des équipages de chacun d'entre eux. Ils croient fermement que le MPO les trompe et qu'il favorise les autres groupes.
Je n'envie pas la tâche du ministre des Pêches qui doit composer constamment avec cela. C'est un problème sérieux. Nous ne parvenons pas à satisfaire tout le monde. Quelle tâche épuisante pour le ministre des Pêches que de régler ces problèmes.
J'examinerais un certain nombre de modèles pour les pêches. La plupart tomberaient dans une catégorie ou l'autre. Pour les pêches hauturières, où vous avez affaire à des bâtiments de gros tonnage exploités par des entreprises -- le seul moyen efficace d'exploiter de grosses flottes de chalutiers au large des côtes -- un système de quotas peut parfois convenir et être souhaitable. Il s'agirait de répartir les quotas entre un certain nombre d'entreprises.
Sur la côte Est, il y a essentiellement un groupe de trois entreprises, un autre groupe de deux entreprises et enfin, un troisième groupe composé d'entreprises spécialisées dans la pêche du poisson de fond. Alors que je peux y voir certains avantages, j'y vois aussi un inconvénient en ce qui a trait au problème de l'accroissement de la valeur des prises, qui n'a pas été très bien réglé. Cependant, la solution consiste peut-être à placer des observateurs à bord de ces bâtiments. Il est possible que l'on puisse opter pour les systèmes de quotas individuels transférables ou de quotas individuels pour les gros chalutiers. Les systèmes d'accès limité conviendraient aussi dans ce dernier cas. Il faudrait se pencher sur cette pêche en particulier et déterminer si les stocks sont assez stables pour fixer des quotas raisonnables ou s'il faut opter pour un système à accès limité.
Dans une certaine mesure, les systèmes se chevauchent. Dans un système de quotas individuels, on limite le nombre d'entreprises ayant un quota. Il s'agit donc de décider si vous optez pour un système à accès limité avec ou sans quotas, la ressource étant totalement incontrôlée pendant la saison de pêche.
Il faut aussi déterminer si les collectivités ont tendance à gérer leurs pêches par l'entremise de la collectivité et s'il est préférable d'accorder les permis à titre individuel de sorte que le ministère des Pêches et des Océans puisse administrer un système de permis individuels dans une région beaucoup plus vaste, une province ou un littoral. Les pêcheurs connaissent les stocks de poissons dans leur secteur. Si nous avons un système de cogestion et que nous confions à la collectivité les responsabilités en matière de pêche, nous pourrions disposer d'un système à accès limité dans la collectivité.
On pourrait bien attribuer toute une série de permis à une communauté qui, si elle est d'accord, pourrait les distribuer à sa guise à ses pêcheurs.
Dans un système plus large de petits exploitants, il est possible d'assurer la gestion à long terme d'un système à accès limité sans recourir au transfert. Les systèmes à accès limité et les systèmes de QIT créent des problèmes sociaux parce que beaucoup d'économistes -- sauf moi -- ont insisté pour que les droits, les quotas et les permis soient transférables. Le transfert donne lieu à la spéculation, et les permis ou les quotas sont achetés en bloc par un petit nombre d'exploitants. Les problèmes sociaux vont exister tant que le transfert des permis sera possible.
Je plaide en faveur de permis non transférables. La chose est possible dans un système de petits exploitants. Il suffit de limiter le nombre de permis pour que la pêche ne soit pas accessible à tous. Les petits exploitants vont avoir des équipages de deux, trois ou quatre matelots de pont d'expérience qui peuvent prendre la relève et espérer devenir à leur tour des exploitants indépendants. Il y aurait donc une liste de matelots de pont chevronnés tout à fait prêts à prendre la relève quand les détenteurs de permis de pêche voudront vendre leur bateau pour prendre leur retraite. Il est possible de s'assurer que les permis sont transmis à des particuliers dans un système de petits exploitants. On pourrait avoir un système où la communauté attribue elle-même les permis qui lui sont accordés.
On peut s'attendre à ce qu'il y ait des luttes entre les communautés pour savoir combien de permis chacune d'elles obtiendra. On peut régler ce problème en se fondant sur les précédents, c'est-à-dire le nombre de prises enregistrées par le passé dans les différentes communautés.
Le président: En l'absence de politique officielle sur la privatisation, des groupes de droite ont formulé des revendications discutables qui paraissent coïncider avec les plans de privatisation du ministère des Pêches et des Océans.
Dans une brochure intitulée «Fish or Cut Bait!», Elizabeth Brubaker d'Environment Probe écrit au sujet des quotas transférables, et je cite:
Un système à propriétaires uniques aurait pour effet de dissuader les exploitants de chercher à bonifier leurs prises, ou à rejeter à la mer les plus petits poissons, étant donné que cette pratique qui tue le poisson nuirait aux perspectives d'avenir des pêcheurs.
Quel est votre avis là-dessus? Selon cette économiste, la bonification des prises serait une pratique moins courante dans un système à propriétaires uniques.
M. Copes: Cette économiste montre qu'elle ne sait pas comment se pratique la pêche. Il est tout aussi désavantageux de rejeter à la mer de bons poissons, parce qu'on détruit les stocks, dans un système à accès libre. Le même problème se pose dans ce cas. Collectivement aussi les pêcheurs ont tout avantage à assurer la stabilité optimale des stocks de poissons.
Le problème c'est que le système des QIT ne correspond pas à une véritable privatisation de la pêche. L'attribution de quotas ne signifie pas que le poisson vous appartient et qu'il faut vous en occuper parce que c'est vous qui allez subir les conséquences d'une détérioration des stocks. Le poisson est une ressource commune et tout le monde se sert au même endroit. Si vous voulez tirer le maximum d'un système de QIT, vous allez rejeter à la mer les poissons qui ont moins de valeur et garder ceux qui valent plus cher, et c'est exactement ce qui se passe.
Je ne peux pas croire que l'économiste que vous avec citée s'y connaît dans le domaine des pêches si elle ne comprend pas ça.
Le sénateur Stewart: Comme je l'ai dit au début, vous nous avez présenté un exposé très clair et très convaincant. J'ai pensé un moment donné que c'est un système de cogestion que vous vouliez recommander, même si ce n'était pas de façon catégorique. Mais vous avez dit ensuite que chaque pêche devait être étudiée séparément.
Disons que je suis sous-ministre des Pêches et qu'un savant professeur me dit que chaque pêche doit être étudiée séparément. Certaines pêches se prêteraient bien à la cogestion communautaire et d'autres, aux systèmes de quotas. J'aurais différents régimes à gérer simultanément, et il faudrait que je demande plus de personnel au premier ministre. Est-ce que j'exagère les choses?
M. Copes: Vous soulevez là un vrai problème. C'est donc dire qu'il faut veiller à ce que le système de gestion utilisé, quel qu'il soit, soit rentable, ce qu'on n'a pas fait par le passé. Les dépenses des ministères des Pêches ont été énormes par rapport à la valeur de la ressource. Ce problème a toujours existé.
J'ai toujours préconisé une certaine rationalisation de la pêche. C'est un objectif de tout nouveau système de gestion des pêches, que ce soit un système à accès limité ou un système de QIT. Mais ces systèmes peuvent être très coûteux. Il y a des pêches dont l'accès doit rester libre parce que, si on en limite l'accès ou qu'on fixe des quotas, la gestion va augmenter.
Je comprends très bien ce que vous dites. C'est un problème. Avant d'adopter un système de cogestion il faut se demander s'il sera rentable. S'il suppose que tout le monde soit consulté, il faut s'attendre à avoir des réunions interminables et beaucoup de frais pour réunir tous les intervenants chaque fois qu'il y a une décision à prendre. Ça ne vaut peut-être pas la peine.
Il faut que ça soit rentable. Certains systèmes peuvent être plus rentables que d'autres, et il faut toujours tenir compte des coûts quand on veut adopter un nouveau système.
Le sénateur Stewart: En Nouvelle-Écosse, on dit parfois qu'un des grands problèmes de conservation des stocks est causé par les dragueurs ou les chalutiers qui, malgré l'amélioration des filets, ne choisissent pas les poissons qu'ils capturent. Par conséquent, un pêcheur d'aiglefin, par exemple, peut tuer beaucoup de poissons qu'il n'est pas censé capturer. On entend parler des eaux qui sont rouges à cause des poissons pris au filet qui sont rejetés à la mer.
Auriez-vous des informations fiables sur l'incidence de la pêche à la drague ou au chalut sur la conservation des stocks de poisson.
M. Copes: Je n'ai pas étudié la question, mais je suis au courant du problème et j'ai lu sur le sujet. Le problème est très grave pour certaines pêches et il l'est beaucoup moins pour d'autres. Il est attribuable en partie au genre d'engins utilisés et à la façon dont on les utilise. Dans certains cas, on devrait peut-être fermer la pêche jusqu'à ce qu'on ait trouvé des engins plus sélectifs.
C'est un problème pour la pêche au saumon en Colombie-Britannique parce que c'est important d'utiliser des engins de pêche qui permettent de préserver les stocks plus faibles et d'exploiter les plus forts. C'est un aspect fondamental de la gestion des pêches. Mais le problème ne se pose pas de la même manière pour toutes les pêches, et il est difficile de trouver une solution qui s'applique dans tous les cas.
Le sénateur Stewart: Disons que le premier ministre est très préoccupé par les pêches au Canada et qu'il croit avoir doté le ministère d'administrateurs de haut calibre qui ont de l'expérience au gouvernement -- mais parfois dans des ministères qui n'ont rien à voir avec la mer --, et que le ministère a embauché des économistes de renom, mais que les résultats ne semblent pas entièrement satisfaisants. Qui le ministère devrait-il recruter pour le conseiller sur les questions de politique? Où faudrait-il aller chercher le personnel compétent, peut-être parfait pour ce genre de travail? Dans la marine, on doit rechercher des gens qui ont réussi dans la marine; dans l'armée, on cherche des gens ayant une expérience militaire. Où iriez-vous chercher ces employés -- je ne parle pas de ceux qui tiennent les livres, mais de ceux qui conseillent le ministère des Pêches et des Océans sur les questions de politique?
M. Copes: C'est une bonne question. Les gens qui feraient l'affaire sont peu nombreux. Ce qu'il faut pour élaborer une politique dans le domaine des pêches, c'est une approche multidisciplinaire. Les universités offrent encore une formation dans un domaine particulier, et la plupart des universitaires voient les choses du point de vue de leur discipline de formation. Ceux qui feraient les meilleurs conseillers sont ceux qui ont une vision multidisciplinaire et ont acquis des connaissances dans d'autres disciplines.
Un certain nombre de programmes universitaires favorisent la multidisciplinarité et offrent la possibilité de faire un doctorat dans des conditions spéciales. On peut ainsi adapter un programme interdisciplinaire à l'étudiant. Il y a quelques personnes -- et j'en ai formé une ou deux moi-même -- qui ont des compétences dans plusieurs disciplines liées aux pêches. Ce sont elles qui sont les mieux placées pour fournir des conseils sur les questions de politique parce qu'elles étudient le problème sous plusieurs angles.
Le président: Si le premier ministre nous demande des conseils à ce sujet, nous vous consulterons peut-être pour avoir les noms de ces personnes.
Le sénateur Perrault: Cette discussion a été intéressante et même fascinante. Monsieur Copes, vous critiquez les QIT. Combien de systèmes de QIT existe-t-il dans le monde d'aujourd'hui? Ces systèmes sont-ils assez répandus?
M. Copes: Dans les pays industrialisés, ils deviennent plus populaires. Il y a deux pays auxquels je pense qui ont adopté ce genre de système, l'Islande et la Nouvelle-Zélande. En fait, en Islande, l'adoption de ce système a soulevé beaucoup de protestations. Un large secteur de la pêche des petits exploitants a été exclu, et on essaie de tout changer le système dans ce pays.
Le sénateur Perrault: Est-on en train de réévaluer la situation là-bas?
M. Copes: Oui, même s'il est difficile de remplacer un système de QIT par un autre.
L'autre pays qui s'est entièrement converti aux systèmes de QIT est la Nouvelle-Zélande. Certains stocks ont été surexploités avec ces systèmes. Beaucoup de pêcheurs sont satisfaits de la situation, mais ce sont généralement ceux qui détiennent des QIT. Il y en a qui ont perdu leur place dans l'industrie. Le système se fait critiquer.
Le sénateur Perrault: On ne sait pas encore à quoi s'en tenir.
M. Copes: C'est ça, mais le Canada est bien placé parce qu'il a été à l'avant-garde dans le domaine de la gestion des pêches et il l'est toujours.
Le sénateur Perrault: Vous avez été un des pionniers dans le domaine.
M. Copes: Oui, mais il y en a plusieurs autres, et certains ont commencé à s'y intéresser quelques années avant moi.
Le Canada a été le premier à proposer de nouveaux systèmes, mais il a très souvent commis de grosses erreurs qui ont nui à leur mise en place. Nous avons été les premiers, il y a des années, à adopter un système à accès limité complet pour la pêche du saumon du Pacifique, qu'on a appelé le «Plan Davis».
Le sénateur Perrault: Je me rappelle bien de ça.
M. Copes: Cependant, on a insisté pour que les permis soient transférables, et je pense que c'est ce qui a détruit le système. Il s'est effondré parce que les permis transférables coûtaient trop cher à racheter. Nous avons commis des erreurs en cours de route.
Je le répète, les premiers défenseurs des systèmes de QIT étaient bien souvent d'éminents économistes canadiens, mais le critique le plus en vue de ces systèmes est également canadien.
Le sénateur Perrault: C'est notre style.
Je voulais vous demander si le ministère des Pêches et des Océans avait suffisamment étudié les techniques de capture d'un point de vue scientifique, mais je pense que vous avez répondu à la question. Nos scientifiques ont étudié le problème, mais leur contribution a-t-elle été suffisante?
M. Copes: Elle ne l'est jamais assez. C'est une tâche qui n'est jamais vraiment terminée. Je pense que la crise que connaît actuellement la Colombie-Britannique nous donne l'occasion de convaincre l'industrie qu'elle doit trouver des moyens pour rendre les techniques de pêche plus sélectives. J'insiste là-dessus depuis longtemps. L'occasion se présente maintenant et je discute avec beaucoup de membres de l'industrie. Je pense qu'on est conscient du problème. Il va falloir modifier les engins de pêche, utiliser de nouveaux engins et pêcher différemment.
Le sénateur Perrault: Ma question peut prêter à controverse, mais appuyez-vous le principe du contrôle des pêches par les provinces? Des premiers ministres provinciaux l'ont revendiqué. Ils veulent pouvoir exercer plus de contrôle sur les pêches.
M. Copes: J'y suis un peu plus sympathique aujourd'hui que je l'ai été par le passé à cause des récents échecs de l'administration fédérale dans le domaine. Je ne suis toujours pas convaincu que les provinces devraient tout contrôler. Ce vers quoi semble s'orienter la Colombie-Britannique peut être utile, c'est-à-dire que, si on se dirige davantage vers un système de cogestion, les gouvernements fédéral et provincial auront un rôle à jouer. Je crois qu'un contrôle essentiellement provincial va balkaniser la pêche, surtout sur la côte Est, ce qui va créer beaucoup d'autres problèmes.
Le sénateur Perrault: Il pourrait y avoir différentes formules dans les différentes régions du pays.
M. Copes: Oui. Dans l'ensemble, le gouvernement fédéral doit s'occuper de ce qui se passe près de la zone de 200 milles des eaux territoriales où nous aurons toujours des problèmes avec les autres pays. Nous en avons de graves avec les États-Unis. Seul le gouvernement fédéral peut s'occuper de ces questions internationales.
Le sénateur Perrault: On nous a dit que les États-Unis ont imposé un moratoire de quatre ans sur les nouveaux programmes de QIT. En octobre 1996, le président Clinton a signé une mesure législative qui rétablit la Magnuson Fishery Conservation and Management Act pour, entre autres, retarder de quatre ans l'approbation des nouveaux programmes de QIT dans les eaux fédérales américaines. Ce délai est en vigueur jusqu'en l'an 2000, en attendant les résultats de l'étude de deux ans effectuée par la National Academy of Sciences et l'intervention du Congrès concernant les futurs plans de QIT. Êtes-vous au courant de la chose?
M. Copes: Oui.
Le sénateur Perrault: Que signifie cette décision prise par les États-Unis? Sont-ils moins enthousiastes au sujet des QIT?
M. Copes: Oui. Il n'y a que quelques programmes de QIT qui sont en vigueur aux États-Unis. La plupart des pêches ne fonctionnent pas selon ce système. Les QIT causent tellement de problèmes que les groupes de pêcheurs refusent de s'engager dans cette voie. On critique beaucoup les QIT malgré le fait que les économistes y soient en général favorables.
Je suis toujours un dissident parmi les économistes, mais je pense que la plupart des économistes sont des pousse-crayons qui ne connaissent pas toutes les complexités de l'industrie de la pêche. C'est pourquoi ils acceptent sans discuter les QIT dans bien des cas. En théorie, c'est un merveilleux système, mais seulement en théorie.
Le président: Monsieur, j'aimerais dire en terminant que la Colombie-Britannique est très chanceuse de vous avoir et qu'elle doit continuer de profiter de vos connaissances et de vos compétences dans le domaine des pêches. Il est vrai que ce n'est pas seulement la côte Ouest qui a pu profiter de votre savoir parce qu'en fait vos écrits et vos activités ont souvent très bien servi autant la côte Est que la côte Ouest du pays. Nous vous remercions de continuer à vous intéresser à cette importante question d'intérêt public.
Nous avons besoin de dissidents, et pas seulement d'économistes pousse-crayons. Nous sommes chanceux de pouvoir compter sur vous. Merci d'avoir apporté votre contribution au débat.
M. Copes: C'est bien gentil de votre part.
La séance est levée.