Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Pêches
Fascicule 9 - Témoignages pour la séance du 27 mai 1998
OTTAWA, le mercredi 27 mai 1998
Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 17 h 40 pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Le comité se réunit aujourd'hui pour poursuivre ses travaux sur l'ordre de renvoi qu'il a reçu du Sénat, en vue d'effectuer une étude sur les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada. Le premier témoin que nous entendrons ce soir est M. Chris Newton, directeur de recherches à la Pacific Salmon Alliance.
La Pacific Salmon Alliance est une large coalition d'intervenants qui ont en commun de se préoccuper de l'avenir de la pêche au saumon en Colombie-Britannique. Plus de 40 particuliers et groupes représentant les Premières nations, les milieux universitaires et industriels, les syndicats, les groupes communautaires et de défense de l'environnement ont fondé l'organisation en avril 1996 à l'occasion d'une assemblée tenue à Nanaimo. L'alliance constitue une tribune pour discuter de diverses questions et faciliter l'établissement de réseaux parmi ses membres.
Monsieur Newton, je vous souhaite la bienvenue au comité. Je vous cède la parole et vous invite à nous donner votre exposé.
M. Chris Newton, directeur de recherches, Pacific Salmon Alliance: J'aurais aimé décrire l'expérience de la Pacific Salmon Alliance autrement qu'en des termes négatifs. L'alliance a réagi très positivement aux objectifs de réduction de la flotte de pêche exposés dans le plan Mifflin. Nous avons mis l'accent sur la nécessité de séparer les bateaux appartenant à des entreprises de ceux exploités par leur propriétaire et de traiter différemment chacun de ces secteurs. L'élément le plus important actuellement à l'étude est la question de la privatisation et il semble qu'il soit nécessaire de dire, au premier abord, que la Pacific Salmon Alliance se prononce contre la privatisation des pêches du Canada.
Premièrement, il est important de faire l'historique des quotas individuels transférables, ce qu'on appelle les QIT. Cette pratique a été inaugurée par la Nouvelle-Zélande, qui s'en est servie comme d'un outil pour nationaliser l'accroissement à 200 milles marins de la zone de la Nouvelle-Zélande. Ce mécanisme a également été appliqué par l'Australie, en particulier dans le secteur de la pêche au thon rouge, la flotte passant de milliers de bateaux à seulement 15 bateaux en l'espace d'un an. L'Islande est dans une situation particulière qui ressemble peut-être à ce que Terre-Neuve a connu.
L'expérience des QIT n'a pas été couronnée de succès partout dans le monde, faute de tabler sur une base biologique suffisamment solide. On peut en donner comme exemple l'effondrement de la pêche au hoplostète orange en Nouvelle-Zélande. La surpêche de l'ormeau en Colombie-Britannique en est un autre exemple. Par contre, les QIT ont été appliqués avec succès à certaines pêches spécifiques, notamment celle des myes dans l'est des États-Unis et en Colombie-Britannique. C'est peut-être parce qu'historiquement, la pêche des myes s'est faite selon un système de concessions et en raison de la territorialité de cette espèce.
Les QIT ont bénéficié de l'appui généralisé de la communauté scientifique des pêches en Amérique du Nord depuis les années 1900. Les QIT, de même qu'un objectif chiffré pour un rendement équilibré, sont les principaux outils de gestion par objectifs dans presque toutes les pêches du monde industrialisé. L'effondrement du rendement équilibré maximal est essentiellement attribuable à l'énorme surcapacité des flottes de pêche, en particulier les bateaux industriels.
Au cours des 15 années que j'ai passées à l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, j'étais en partie responsable du contrôle de la flotte mondiale. Nous estimions que la valeur de remplacement de la flotte de pêche industrielle mondiale était de l'ordre de 329 milliards de dollars, ce qui est à peu près égal à la valeur de remplacement de l'ensemble de tous les navires de la marine marchande. Cette flotte s'efforce de se partager des prises mondiales d'espèces marines qui sont d'une valeur au débarquement de 70 milliards de dollars. Compte tenu de ces chiffres, je soutiens que les concepts de la gestion des pêches et du rendement équilibré maximal n'ont aucun avenir.
Étant donné les contraintes financières imposées par les gouvernements des États-Unis et du Canada, il semble que les administrateurs des pêches n'aient pas d'autre option que les QIT pour réduire la flotte. Ils n'ont tout simplement pas les ressources ou l'accès au financement voulu pour réduire avec succès l'ampleur de la flotte et la ramener à un niveau durable. Il faut ajouter à cela l'action de la Banque mondiale qui s'efforce d'encourager les pays à adopter les QIT pour renforcer les garanties offertes en contrepartie des prêts bancaires destinés à investir dans l'infrastructure, y compris l'achat de bateaux. De même, la grande multilatérale espagnole Pescanova encourage l'Argentine, le Pérou et le Maroc à adopter les QIT pour avoir un meilleur accès aux ressources halieutiques de ces pays et mieux les contrôler. Le Pérou et le Maroc ont tous deux rejeté les QIT, y voyant un transfert de propriété de leurs ressources naturelles à des intérêts non nationaux.
Notre deuxième préoccupation est que les pêches sont, presque partout dans le monde, un bien commun appartenant à la collectivité. Dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, on dit que les États peuvent délivrer des permis ou des autorisations permettant aux navires de pêche de naviguer et de se livrer à leurs activités. L'accord conclu à l'ONU en 1995 sur les stocks de poissons chevauchants et les stocks de poissons migrateurs reprend cette formulation. Le ministre canadien des Pêches et des Océans est habilité à délivrer et à retirer des permis de pêche autorisant les navires de pêche à se livrer à leurs activités. Cela semble conforme au point de vue adopté par le Parlement, à savoir que les pêches sont des ressources publiques et un bien commun. Pour les privatiser, il faudrait sûrement le consentement du Parlement et peut-être même un amendement constitutionnel.
Le troisième point est l'incidence de la politique des QIT. Il est indéniable qu'elle fera disparaître des localités côtières les petits pêcheurs indépendants possédant de petits navires. Il est certain que les quotas se retrouveront dans les mains du secteur de la transformation, qui peut profiter de son mécanisme de fixation des prix et tabler sur ses besoins de base pour s'approprier sa part de la ressource disponible.
On peut se demander pourquoi l'on voudrait faire disparaître la flotte de petits bateaux, sinon pour des raisons d'efficience. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer prévoit que la conservation et la gestion des ressources halieutiques doivent tenir compte des besoins économiques des localités côtières. La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement recommande que les États protègent les pratiques, les besoins et les intérêts des villages de pêcheurs indigènes et locaux. On y reconnaît en effet le lien qui existe entre ces villages de pêcheurs indigènes et locaux et l'intendance des ressources halieutiques adjacentes. La flotte de petits bateaux est souple, coûte moins cher, exige moins de la ressource et est moins influencée par la technologie. Il ne faut pas perdre de vue que des pêcheurs embarqués à bord de petits bateaux pêchent la morue dans les Grands Bancs depuis plusieurs siècles.
En conformité avec diverses conventions et ententes des Nations Unies dont le Canada est signataire, la politique du MPO devrait commencer par protéger les intérêts des pêcheurs indigènes et non indigènes qui exploitent de petits bateaux. Ensuite, le ministère peut chercher à identifier les pêches spécifiques qui exigent une technologie industrielle et à effectuer dans ces secteurs une forme quelconque de privatisation qui ne sape pas la propriété canadienne des ressources ni l'aspect propriété collective.
Dans le cas de la pêche au saumon, le plan Mifflin a eu des conséquences catastrophiques sur la communauté côtière. Quand le plan Davis a introduit les permis individuels en 1969, la proportion des pêcheurs à la senne dans l'ensemble de la flotte de petits bateaux était d'un sur quinze, c'est-à-dire qu'un petit bateau sur 15 était équipé d'une senne. Avec le temps, cette proportion est passée à un sur sept, par l'application du programme de limitation des permis. À la fin du plan Mifflin, la moitié des petits bateaux feront la pêche à la senne. Quelle que soit la façon d'envisager les choses, cela veut dire que la flotte de pêche au saumon est en train de s'industrialiser. Par conséquent, les collectivités sont coupées de la ressource.
Le saumon dépend pour sa survie de l'habitat en eau douce. Cet habitat est constamment érodé. L'argument voulant qu'il existe un véritable lien économique entre les collectivités et la pêche est sûrement valable. Si les collectivités s'intéressent à la pêche au saumon, elles chercheront sûrement à préserver l'habitat en eau douce et même à le réhabiliter. De la façon dont vont les choses, les populations locales finiront par être totalement coupées de la pêche et les gens feraient aussi bien de combler les ruisseaux pour en faire des stationnements parce qu'ils en tireront des revenus plus substantiels que de la pêche au saumon. On peut en dire autant des poissons plats, des crustacés et des mollusques. Toutes ces espèces dépendent à un moment ou à un autre de leur cycle de vie de l'existence de baies peu profondes ou des eaux côtières.
Il faut aussi reconnaître que si nous avons investi plus de 500 millions de dollars dans les permis de pêche au saumon sur la côte du Pacifique, nous n'avons presque rien investi dans la restauration de l'habitat. Il y a là un déséquilibre flagrant. Nous devrions chercher à établir un véritable lien économique entre les collectivités côtières et les ressources adjacentes.
Il est irréaliste de s'attendre à ce que ces collectivités s'occupent des ruisseaux et de l'habitat crucial pour permettre ensuite à une flotte industrielle issue des milieux urbains de venir récolter la ressource. En conséquence, à long terme, la privatisation réalisée sous cette forme entraînera la disparition de nombreuses espèces. La pêche au saumon doit maintenant mettre l'accent sur la mise au point de méthodes de récolte à faible coût afin de faire concurrence à la culture du saumon. D'autres pêches doivent également mettre l'accent sur des méthodes de récolte qui ne coûtent pas cher, afin que nous puissions répondre aux énormes besoins économiques qui se sont accumulés dans la quasi-totalité de nos pêches.
Le sénateur Butts: Pourriez-vous me dire ce que vous entendez exactement par territorialité?
M. Newton: La territorialité signifie que l'on peut presque définir la propriété sur une base spatiale, en délimitant un territoire. Un parc de myes ou un périmètre d'exploitation pris à bail comporte une limite définissant un secteur dans lequel les pêcheurs peuvent exploiter leurs droits de récolte. Par exemple, il y a territorialité parmi les pêcheurs au homard du Maine, et c'était aussi le cas auparavant pour la pêche aux huîtres dans la baie de Chesapeake.
Le sénateur Butts: La territorialité convient à quelques espèces?
M. Newton: Exact. Imaginez une clôture entourant un stock particulier; vous comprendrez que, même s'il s'agit de la récolte d'une espèce sauvage, le concept de la culture peut s'appliquer. Quand les stocks sont mobiles, comme c'est le cas des poissons qui se nourrissent au fond de la mer et aussi des poissons pélagiques qui nagent en surface, la territorialité est extrêmement difficile à appliquer.
Il y en a des applications dans presque tous les États côtiers du monde, où une zone côtière de cinq, de sept ou de douze milles est réservée à la pêche sur une petite échelle. Cela peut donner l'impression d'être un exemple de territorialité ou une quasi-territorialité. On pourrait soutenir que les espèces sédentaires, comme les homards, les crabes, les myes, les mollusques et les huîtres, présentent moins de problèmes parce qu'elles restent dans les eaux côtières et ne se déplacent pas sur de grandes distances. Dans le cas des espèces qui se déplacent beaucoup, cela devient par contre extrêmement compliqué.
Le sénateur Butts: Je songeais au fait que le saumon remonte une rivière qui est souvent presque entièrement de propriété privée. Y a-t-il une différence dans ce cas?
M. Newton: Je crois que les rivières Miramichi, Restigouche et Saint-Jean, sur la côte Est, sont privées, mais sur la côte du Pacifique, tout l'habitat en eau douce est propriété commune.
Le sénateur Butts: Les gens qui vivent le long de cette rivière n'ont aucun titre de propriété?
M. Newton: Cela fait partie du problème; vous avez tout à fait raison, sénateur. Si une tribu d'une Première nation qui vit dans le cours supérieur du fleuve Fraser a le droit de prendre du poisson pour des fins de subsistance et si le poisson ne revient pas, en quoi cette tribu est-elle encouragée à restaurer l'habitat et à s'en occuper? Nous soutenons qu'il doit exister un véritable lien économique afin de reconnaître les intérêts de tous ceux qui peuvent influer sur l'habitat.
Le sénateur Butts: C'est ce à quoi je veux en venir. Il est très important pour les gens qui habitent le long de ce fleuve et qui exploitent des camps de pêche et d'autres entreprises que cet habitat soit préservé, et on a soutenu que ces gens-là s'en occuperont mieux.
M. Newton: J'en conviens. De même, les gens qui habitent à l'embouchure des fleuves sont ceux qui peuvent exercer l'influence négative la plus lourde sur l'habitat en eau douce, à moins qu'il soit de leur intérêt de s'en occuper. On n'a pas reconnu cela. C'est le chaînon institutionnel manquant et, à mon avis, c'est là qu'il faut déployer les plus grands efforts pour rétablir les stocks.
Le sénateur Perrault: M. Newton a fait aujourd'hui une déclaration très constructive. Ses antécédents internationaux et sa réputation mondiale sont susceptibles d'intéresser les membres du comité.
Monsieur, existe-t-il des réussites dans ce domaine? Il doit y avoir d'autres pays qui essaient de décider combien de poissons ils devraient posséder dans une ressource donnée. Emploie-t-on ailleurs des méthodes dont nous pourrions peut-être nous inspirer?
M. Newton: Il n'y en a pas beaucoup que je pourrais vous signaler. Nous pourrions nous tourner vers les Norvégiens pour avoir un exemple de méthodes nouvelles et extrêmement pratiques d'aborder le problème. Nous pourrions aussi étudier le groupe islandais, qui est fortement privatisé; toutefois, il ne faut pas oublier que l'Islande est une petite île dont les habitants sont tous voisins et dont l'économie se résume à peu près au poisson. On pourrait la comparer à Terre-Neuve.
Le sénateur Perrault: Sur quoi se fonde le succès des Norvégiens?
M. Newton: Ils n'ont rien privatisé; leur programme consiste plutôt à restreindre l'entrée. Ils établissent un équilibre entre leur flotte industrielle et les localités côtières. Ils appliquent des politiques visant directement à maintenir la viabilité de leurs localités côtières, de sorte que quand la culture du saumon s'est répandue, l'infrastructure était déjà en place pour permettre à ces petits villages de passer de la pêche à la transformation de saumon cultivé.
Le sénateur Perrault: Les Islandais ont-ils des voisins qui convoitent leur poisson?
M. Newton: Les Russes et les Norvégiens ont trouvé une solution novatrice quand les pêcheurs russes ont commencé à prendre dans les eaux de leur propre pays des morues juvéniles qui, une fois adultes, seraient passées dans la zone norvégienne. Étant donné l'appétit des pêcheurs russes, aucun poisson juvénile ne pouvait survivre et atteindre l'âge adulte. Comme les poissons adultes ont beaucoup plus de valeur, les Norvégiens ont invité les Russes à venir pêcher dans la zone norvégienne, sous surveillance norvégienne, dans le cadre d'un arrangement de partage des quotas. Ce compromis a résolu un problème difficile. De même, les Norvégiens ont donné aux Britanniques et aux Islandais la permission de venir pêcher dans leur zone.
Le sénateur Perrault: Croyez-vous qu'une approche pragmatique de ce genre pourrait être appliquée sur cette côte-ci relativement aux pêcheurs des États-Unis et de l'Alaska?
M. Newton: Je crois que le principe est exactement le même. Nous essayons, chacun de notre côté, d'empêcher l'interception de notre poisson en déplaçant la pêche en direction des fleuves d'où les poissons proviennent. Le seul moyen de s'y prendre, c'est de faire en sorte que les pêcheurs de l'Alaska pêchent les stocks de la rivière Skeena, dans le bassin de la Skeena, sous notre surveillance, au lieu de pêcher des stocks de poissons mixtes dans le fleuve Fraser, sur la côte ouest de l'île de Vancouver, dans les États de Washington ou de l'Oregon. De la même manière, les bateaux canadiens pêcheraient au large de Washington et de l'Oregon jusqu'à hauteur de leur part des stocks. On peut s'inspirer de ce modèle.
Le sénateur Meighen: Monsieur Newton, je connais mieux la côte Est que la côte Ouest. Il me semble vous avoir entendu dire qu'en principe, la Pacific Salmon Alliance s'oppose généralement aux QIT. Cela s'applique-t-il même aux secteurs où, dans d'autres pays, on a enregistré certains succès?
M. Newton: L'alliance compte parmi ses membres des groupes de défense de l'environnement et ceux-ci s'opposent à la privatisation de la pêche, certains en invoquant des intérêts multinationaux et d'autres parce que cela provoque l'aliénation des intérêts de la collectivité. D'autres groupes encore représentent les pêcheurs côtiers qui exploitent de petits bateaux et qui s'aperçoivent qu'ils n'ont pas accès aux ressources adjacentes à leur localité. Je crois que tous ces groupes défendent cette position.
Les gens des Premières nations ont très peur, surtout parce qu'ils n'ont pas le même accès aux capitaux que les citadins. Habituellement, un pêcheur hypothèque la maison familiale pour acheter un permis. Une maison dans une localité côtière éloignée de la Colombie-Britannique vaut environ 120 000 $; à Vancouver, la même maison peut valoir 600 000 $ ou 700 000 $. Par conséquent, l'habitant d'une localité côtière ne peut pas faire concurrence aux citadins pour ce qui est de trouver des capitaux pour maintenir ou accroître sa participation dans le secteur de la pêche.
Le sénateur Meighen: La principale objection semble être -- et je n'ai absolument rien à redire à cette position -- que le T dans le sigle QIT signifie inévitablement que les quotas vont se retrouver concentrés entre les mains des entreprises ou de quelques particuliers. Serait-il possible, en termes pratiques, de mettre en place un QITL, c'est-à-dire un quota individuel transférable, mais de façon limitée? Il me semble que l'on pourrait apaiser certaines objections en spécifiant que les quotas ne peuvent être transférés qu'à l'intérieur d'une certaine catégorie de personnes, dans un secteur géographique donné. Par contre, comme je suis avocat, je me rends compte en disant cela que les avocats sont payés très cher pour trouver des moyens de contourner les règlements. Votre réponse serait-elle que l'on trouverait probablement un moyen de contourner les limites de transférabilité, peu importe ce que l'on pourrait dicter à cet égard?
M. Newton: Je le crains, sénateur. Nous l'avons essayé dans la pêche au hareng du Pacifique; on avait accordé des permis non transférables à des particuliers. Immédiatement, le pêcheur s'est constitué en société, parce que le permis devenait ainsi indéfini. De plus, comment expliquer à une veuve dont le mari vient de mourir noyé dans le naufrage de son bateau que le permis ne vaut plus rien? Ce n'est pas une solution pratique.
Il semble y avoir aussi une autre objection, à savoir que les pêcheurs qui cèdent leurs quotas à bail ne sont plus des pêcheurs légitimes. Sur cette côte-ci, on tient fermement à ce que les pêcheurs soient légitimes. Autrement, quel est leur véritable intérêt et que font-ils pour contribuer à préserver la ressource?
J'estime que la question de la cession à bail sape complètement le concept du QIT, parce que cela ne réduit pas vraiment les pressions qui s'exercent sur les ressources. On a peut-être réduit le nombre de bateaux, mais l'octroi de permis à bail et le rachat des quotas ne réduisent pas le capital total investi dans la ressource, lequel doit être payé à même l'extraction de cette ressource.
Le sénateur Meighen: C'est manifestement un problème terriblement compliqué. Pour essayer d'y trouver une solution, votre groupe est-il d'avis qu'il faut y aller au cas par cas, pour chaque espèce, mais qu'il faut laisser tomber les QIT parce que cela ne marchera pas?
M. Newton: Je crois qu'il existe toute une gamme d'autres possibilités. Par exemple, au lieu du plan Mifflin, qui confère essentiellement un avantage économique à la flotte de grands bateaux, au détriment des petits bateaux, on a proposé d'instaurer un équilibre entre les intérêts des entreprises et ceux des propriétaires-exploitants. Par conséquent, on a proposé que les pêcheurs qui souhaitent se retirer soient autorisés à remettre leur permis au gouvernement, en retour d'une rente. Au lieu de vendre leur permis dans le cadre d'un programme de rachat, disons pour la somme de 80 000 $, ils pourraient remettre leur permis à l'État et toucher 8 000 $ par année pendant dix ans, après quoi ils ne toucheraient plus rien. Un tel mécanisme permettrait de réduire constamment le nombre des permis et le gouvernement pourrait alors décider s'il souhaite en redélivrer un certain nombre ou les éliminer. En même temps, on propose de traiter les bateaux qui appartiennent à des entreprises comme on traite les grandes entreprises; le régime pourrait comporter des QIT, mais sans leur dimension sociale.
On soutient que l'attribution des quotas se fait sur des bases historiques en fonction des types d'engin, que les flottes doivent être rajustées pour tenir compte de ces attributions et que l'échec du programme d'entrée limitée est attribuable au fait que nous avons été incapables de gérer le changement technologique. La pêche à la senne est une méthode de récolte extraordinairement novatrice et efficace, tout comme les moissonneuses-batteuses en agriculture. En conséquence, nous devrions probablement avoir un ratio de 20 pêcheurs à la senne pour chaque petit bateau. Or, c'est un fait que nous sommes en train de passer d'un ratio de 15 pour 1 à un ratio de deux bateaux de pêche à la senne pour chaque petit bateau. Nous nous orientons dans la mauvaise direction. Nous n'avons pas réussi à gérer la technologie.
Le sénateur Adams: Vous avez mentionné les Premières nations à quelques reprises durant votre exposé. J'ai entendu dire que certaines associations de pêcheurs se sont plaintes parce que les autochtones sont autorisés à pêcher dans les rivières, tandis que les pêcheurs commerciaux peuvent seulement pêcher dans la mer. Avez-vous des objections à la façon dont les futurs stocks de poisson seront réglementés par le ministère des Affaires indiennes?
Là où j'habite, dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons par exemple la pêche à l'omble de l'Arctique, à laquelle certaines restrictions s'appliquent. Vous avez mentionné la pêche au saumon le long du Fraser et l'aquiculture. Comment a-t-on amorcé l'élevage du saumon et comment s'y prend-on pour attraper le saumon? Dans l'aquiculture, il faut bien des oeufs pour obtenir des poissons, n'est-ce pas? Dans l'intervalle, peut-être bien qu'aucun règlement n'empêche les autochtones de pêcher où ils veulent. Quel est votre point de vue sur les stocks de poisson et sur l'incidence de la pêche sur d'autres gens?
M. Newton: Sénateur Adams, j'estime que l'un des principaux changements survenus le long de cette côte s'est produit lorsque des collectivités autochtones et non autochtones se sont serré les coudes pour affronter la crise de la pêche. Les deux collectivités sont en train d'être coupées de la pêche. Comment peut-on interdire à un village autochtone l'accès au hareng ou au saumon qui vient s'échouer sur les battures? Comment peut-on autoriser une flotte industrielle de bateaux de pêche à la senne à récolter la rogue de hareng, qui vaut très cher, sous les yeux d'une collectivité autochtone dont les membres n'ont pas le droit de participer à cette récolte? C'est pourtant le résultat de la politique des permis, et en particulier du plan Mifflin. Certaines collectivités autochtones ont des entreprises d'élevage du poisson en plein devant leur porte. Ils ne bénéficient aucunement des retombées de ces exploitations, mais ils souffrent des effets de la dégradation environnementale, notamment la putréfaction du fonds de l'eau causée par les déchets et les aliments pour poisson.
Par contre, en éveillant l'hostilité des zones côtières, le plan Mifflin a aussi eu pour effet d'en rassembler les collectivités. Sur la côte ouest de l'île de Vancouver, les collectivités indiennes et les villes de Tofino et d'Ucluelet envisagent de créer un office régional de gestion des pêches, qui leur permettrait de prendre ensemble des décisions difficiles en matière d'attribution des prises et, en même temps, d'évaluer les possibilités de rétablir la montaison des saumons dans leur secteur et de restaurer l'habitat perdu.
Trop souvent, les autochtones qui habitent beaucoup plus en amont, dans le cours supérieur du Fraser ou même au Yukon, et cetera, sont laissés pour compte, même s'ils ont exactement la même revendication. Ils vivent également le long des rivières, contrôlent l'habitat et s'attendent à pouvoir récolter le poisson qui remonte. À quel moment du dialogue peuvent-ils faire entendre leur voix?
La leçon de la Pacific Salmon Alliance est qu'il est possible de réunir un groupe d'intervenants divers qui vont apprendre, dégager un consensus et présenter des recommandations positives. Ce n'est pas un processus difficile, mais le groupe se voit refuser l'accès au processus des affaires courantes du MPO. Le ministère accepte de traiter avec les pêcheurs autochtones en bloc, ou bien il traite avec un secteur d'engin de pêche, mais il refuse de traiter avec un groupe d'intervenants diversifiés qui ont tous des opinions et qui peuvent contribuer au débat.
Le sénateur Adams: Les gens qui vivent le long de la rivière et qui sont autorisés à pêcher dans la rivière peuvent-ils aussi participer à la pêche commerciale au saumon, à la traîne? Est-ce que n'importe quel propriétaire d'un bateau de pêche aux lignes traînantes, y compris un autochtone, peut aller en mer et participer à la pêche commerciale au saumon?
M. Newton: Aux termes du plan Davis, on avait créé des permis appelés permis A1 pour les Indiens qui voulaient pêcher le saumon ou d'autres espèces. Un programme d'aide aux pêches autochtones garantissait que ces derniers avaient accès à des prêts pour acheter des bateaux pour pouvoir pêcher. Ce plan a existé jusqu'à l'introduction du plan Mifflin. Les collectivités autochtones ont été parmi les plus importantes collectivités à perdre ou à vendre leurs permis en raison du plan Mifflin. Elles sont essentiellement coupées des pêches, à moins de pouvoir pêcher aux termes de la stratégie des pêches autochtones, qui prévoit des possibilités offertes exclusivement aux autochtones. Il y a des pêches réservées aux autochtones dans le cadre de la stratégie des pêches autochtones, et pourtant, il existe des villages entiers où aucun pêcheur autochtone ne possède de permis lui permettant de pêcher dans les secteurs adjacents.
Le sénateur Adams: Vous avez mentionné l'aquiculture. Remet-on en liberté une partie des poissons quand ils atteignent l'âge auquel on peut les récolter? Les rejette-t-on en mer? S'en vont-ils ailleurs? Y a-t-il un marché? Comment ce système fonctionne-t-il?
M. Newton: Tout le poisson est conservé dans des enclos aménagés dans des baies peu profondes. Les poissons sont donc enfermés, exactement comme des animaux de ferme, on les nourrit puis on les récolte sélectivement. L'ampleur de cette industrie, surtout en Norvège où la production atteint 500 000 tonnes par année, a influé sur le prix mondial du saumon; dans la pêche commerciale, le prix n'est plus aussi élevé qu'il l'était avant l'arrivée du saumon de culture.
Compte tenu de la technologie associée à l'élevage du saumon, des aliments spécialisés, des maladies et inoculations, il faut beaucoup de capitaux pour se lancer dans l'aquiculture. Cela peut expliquer pourquoi les bandes autochtones ne possèdent pas de telles exploitations.
Le sénateur Stewart: Je suis de la Nouvelle-Écosse, monsieur Newton, et je connais assez bien la pêche au homard qu'on y pratique. Comme vous le savez, c'est une pêche à accès limité régie par des permis. Ces permis peuvent être transférés, mais si je comprends bien, le transfert est contrôlé et il est impossible que les permis soient concentrés entre les mains d'une seule personne, que ce soit une personne morale ou naturelle, pour utiliser du jargon juridique. À supposer qu'un système de quota comporte des avantages, et en supposant que les quotas puissent être transférés, le système ne fonctionnerait-il pas aussi bien, pourvu que l'on applique aux quotas les mêmes contrôles que pour les permis?
M. Newton: Je ne peux pas prétendre être un expert en pêche au homard, mais pour ce qui est du permis, qu'il s'agisse du homard ou du saumon, c'est habituellement défini en termes d'équivalence entre les bateaux, d'après la longueur du bateau ou des restrictions qui s'appliquent aux bateaux. L'achat d'un autre permis permettrait à un pêcheur d'agrandir son bateau ou, dans le cas de la pêche aux casiers à homard, d'augmenter le nombre de casiers.
En Australie, par exemple, la pêche au homard de l'Ouest est régie par une limite quant au nombre de casiers; ainsi, chaque pêcheur de homard a un permis lui permettant d'exploiter 30 casiers. Grâce au mécanisme de transfert, un pêcheur peut acquérir un autre quota de 30 casiers et exploiter 60 casiers au total. Ce système fonctionne extrêmement bien depuis plus de 30 ans, sauf que la plus grande efficacité technologique des nouveaux engins a entraîné une augmentation correspondante de l'efficacité de la pêche. En réaction à cela, le gouvernement a dit aux pêcheurs qu'ils ne peuvent plus exploiter les 60 casiers pour lesquels ils détiennent un permis; ils doivent renoncer à 30 casiers. Le revenu des pêcheurs n'a pas changé, ils pêchent simplement beaucoup plus rapidement avec seulement 30 casiers et obtiennent un rendement équivalent à celui qu'ils avaient avec 60.
Bien sûr, comme vous le dites, sénateur, il y a des limites. Aucun pêcheur ne pourrait acquérir la totalité des casiers exploités et, dans une pêche au homard, c'est le nombre de casiers qui est le facteur de limitation. Mais le homard est une espèce relativement sédentaire. Dans le cas du poisson de fond, ce sont les pêcheurs qui prennent leurs prises le plus rapidement qui sont gagnants. La technologie a pour résultat de continuer à encourager les pêcheurs à surinvestir dans l'achat d'un bateau. Il n'est pas facile de restreindre la taille des bateaux et des filets.
Ce que j'essaie de dire, c'est que dans le cas d'une pêche au casier, l'engin lui-même est relativement inefficace, tandis que dans la pêche à la traîne, il n'est pas facile de réglementer la taille du navire, le quota attribué au navire ou la taille du filet, de la même manière. C'est pourquoi j'ai dit que les quotas individuels transférables fonctionnent bien pour certains types de pêche. Dans beaucoup d'autres pêches, surtout lorsque les stocks sont mobiles, il n'y a pas beaucoup d'exemples positifs et l'expérience mondiale est trop limitée pour en arriver à une conclusion définitive.
Le sénateur Stewart: Je voudrais m'attarder au contrôle qui, si je comprends bien, est appliqué sur la côte de l'Atlantique dans le cas de la pêche au homard. Le détenteur d'un permis est autorisé à exploiter 300 casiers, et c'est tout. La durée de la saison est limitée. Peu importe qu'un pêcheur ait beaucoup d'argent, ou qu'il puisse se permettre d'acheter un bateau énorme et très efficace, le nombre de casiers autorisés par permis est de 300. Un contrôle strict est exercé. Même si le permis est transférable, il ne sert à rien d'essayer d'accumuler les permis. Ma question est celle-ci: supposons que l'on applique les mêmes contrôles dans le cas d'un quota, en le rendant transférable, mais en limitant la capacité de concentration. Le quota est défini et est attribué spécifiquement à un exploitant et à un bateau. Pourquoi cela ne serait-il pas acceptable, alors que le permis transférable assorti de contrôles est acceptable?
M. Newton: Je crois que le problème est que vous évoquez la pêche au homard, et moi la pêche aux myes et autres coquillages, et ce sont des secteurs où les QIT ont connu beaucoup de succès. Mon argument est que pour les espèces sédentaires comme le homard et le crabe, un système de QIT est probablement tout à fait applicable. Par contre, quand il s'agit du poisson de fond, comme la morue, le hareng et les stocks pélagiques, il devient extrêmement difficile d'en discerner les avantages.
La seule difficulté serait de savoir si la collectivité, les pêcheurs pourraient se permettre d'acheter 300 casiers à quelqu'un d'autre. Si les permis sont transférables, on peut supposer qu'un pêcheur peut acheter 300 autres casiers pour un total de 600, n'est-ce pas?
Le sénateur Stewart: Non, ce n'est pas permis. La limite est de 300.
M. Newton: Aux termes de votre proposition, sénateur, si les quotas étaient transférables, un pêcheur pourrait passer à 600.
Le sénateur Stewart: Non. Un fils ou un voisin pourrait acheter un permis, mais un particulier ne peut pas accumuler des permis donnant chacun le droit de pêcher avec 300 casiers.
M. Newton: C'est permis aux termes du régime des permis transférables, mais ce n'est pas permis dans le cas des casiers?
Le sénateur Stewart: On peut transférer un permis, mais l'on ne peut pas accumuler les permis.
M. Newton: Je crois que cela dissipe une grande partie des préoccupations.
Le sénateur Stewart: Le même régime ne pourrait-il pas s'appliquer aux quotas?
Je vais poser ma deuxième question. D'après ce que je peux comprendre, le principal argument en faveur du quota individuel transférable pour certaines espèces est qu'il élimine la tendance des pêcheurs à se précipiter pour prendre du poisson le plus rapidement possible. Ils savent quel est leur quota et peuvent étaler leurs activités en fonction de leur disponibilité ou de leur interprétation du marché.
Est-ce un argument valable en faveur du système des quotas, ou bien sommes-nous en train de nous gourer? Si c'est un argument valable, comment pouvons-nous atteindre le même objectif sans mettre en place un système de quota?
M. Newton: Les QIT permettent effectivement d'étaler la récolte et c'est l'argument qu'on invoque en faveur de ce système. Dans la pêche au flétan du Pacifique, la saison a été prolongée et l'offre de produits frais a augmenté considérablement. Au contraire, aux États-Unis, la pêche au flétan est une pêche à entrée limitée et la saison n'a duré qu'une journée et demie; il n'y avait rien à en tirer. Cela ne veut pas dire que ce système permet d'étaler la récolte dans toutes les pêches. La pêche au flétan était un bon candidat parce qu'il n'y avait en fait que trois principaux ports pour débarquer les prises: Seattle, Prince Rupert et Kodiak.
Dans d'autres pêches, par exemple la pêche au hoplostète orange de la Nouvelle-Zélande, les QIT ont bel et bien provoqué une course au poisson, qui est abondant au début de l'année, ce qui permet des prises intéressantes. À la fin de la saison, quand le stock est clairsemé, il faut redoubler d'efforts pour maintenir le même taux de prise. C'est une restriction particulière à une espèce dont il faut tenir compte. Ce n'est pas le cas pour la pêche au flétan, et quant à la pêche au homard, je n'en suis pas certain.
Dans la pêche au hareng, l'expérience islandaise est que les QIT ont créé des rejets massifs. Comme les quotas limitaient le nombre de poissons que l'on pouvait prendre, les pêcheurs ne gardaient que les gros harengs et rejetaient tous les autres par-dessus bord. Les Islandais ont réglé ce problème en adoptant un quota qui est fonction du revenu individuel; au lieu d'avoir un quota exprimé en tonnes de hareng, les pêcheurs se voient attribuer un quota en dollars, ce qui rend tous les poissons rentables, qu'ils soient petits, moyens ou gros.
Dans le cas de la plupart des espèces de poisson de fond, on peut difficilement dire que la course a été ralentie ou que l'efficience technologique des bateaux n'était plus un avantage. Il y a un changement à cet égard à mesure que diminue le nombre de détenteurs de quota. Par exemple, il est très facile pour 15 ou 20 détenteurs de quota de se mettre d'accord pour que seulement cinq d'entre eux fassent de la pêche et pour se répartir les revenus qu'ils en tirent. Il y en a d'ailleurs des exemples dans la pêche au hareng de l'Alaska.
Les QIT ne résoudront pas les problèmes de toutes les pêches. S'il y a des pêches où les QIT conviennent parfaitement, dans d'autres cas, ce n'est pas du tout la solution souhaitable. Il faut tenir compte du nombre de points d'entrée sur le marché et de la demande locale d'une espèce donnée.
La pêche au thon rouge en Australie est donnée en exemple de la réussite éclatante des QIT, mais même dans ce cas, il y a des problèmes. Le nombre des permis de pêche de cette espèce est passé de plusieurs milliers à 15 en une seule année. Aujourd'hui, ces 15 détenteurs de permis débarquent du thon rouge à l'extérieur de la zone des 200 milles et, en fait, ils ne signalent pas la totalité de leurs prises qu'ils transbordent sur des bateaux japonais. Les pêcheurs sont encore incités à sous-déclarer et à tricher. Le système des QIT n'est pas pour le moment un outil de gestion applicable à 100 p. 100.
Le président: Nous allons maintenant entendre Mme Kathy Scarfo, présidente de la West Coast Trollers Association.
La West Coast Trollers Association représente les intérêts de quelque 439 détenteurs de permis qui pêchent au large de la côte ouest de l'île de Vancouver. Les bateaux de pêche aux lignes traînantes naviguent en haute mer tout le long de la côte du Pacifique pour y prendre du saumon. Les lignes sont dotées de différents appâts pour prendre du saumon. Les appâts différents et leur disposition permettent aux pêcheurs à la traîne de cibler les espèces recherchées. Dans le cours de ses travaux, le comité a appris récemment que certains pêcheurs ont hâte de mettre à l'essai un système de quotas individuels dans le secteur du saumon.
Je vous cède maintenant la parole, madame Scarfo.
Mme Kathy Scarfo, présidente, West Coast Trollers Association: Je représente 468 pêcheurs aux lignes traînantes de la côte ouest de l'île de Vancouver. Dans le passé, il y en avait plus de 2 000 dans cette région. Avec la restructuration de l'industrie, nous avons réduit l'ampleur de la flotte dans ce secteur particulier. Nous sommes des propriétaires-exploitants indépendants, des entreprises familiales, habituellement établies dans les collectivités où nous pratiquons la pêche. Nous produisons un produit de meilleure qualité et, par conséquent, nous ne vendons pas habituellement aux grandes compagnies. Le gros de notre poisson est vendu à de petits transformateurs indépendants, ou bien nous le vendons nous-mêmes puisque nous pouvons aussi le congeler à bord.
La pêche sélective se pratique sur la côte ouest de l'île de Vancouver depuis plus d'un siècle. Ce sont les autochtones de cette région qui ont été les premiers à le faire. La proposition d'envisager un quota individuel émane d'un ou deux représentants de la flotte de pêche aux lignes traînantes, ceux dont les bateaux sont les plus anciens, et non pas de l'ensemble du secteur de la pêche aux lignes traînantes. Nous trouvons que le concept des quotas est attrayant à certains égards, et nous allons étudier la question, mais nos membres ont essentiellement dit non aux quotas individuels pour le moment.
Nous sommes une association relativement nouvelle qui compte de très nombreux membres. Nous sommes nés avec la restructuration et nous connaissons donc très bien la situation actuelle dans le secteur de la pêche aux lignes traînantes et de la pêche commerciale en Colombie-Britannique. Nous nous sommes rendu compte il y a quelques années que l'on ne pouvait plus continuer à pêcher comme on le faisait avant, que les choses avaient changé et que l'avenir serait différent du passé. Pour relever le défi, nous devons prendre des décisions très difficiles. Ces choix doivent être fondés sur certains principes que nous devons définir.
Nos pêcheurs se sentent très proches des collectivités auxquelles nous livrons le poisson. Quand nous parlons de répartition et d'attribution des quotas, nous n'envisageons pas tellement un quota individuel par bateau, mais plutôt un quota régional. Nous voulons maintenir l'accès à une région de la côte, afin de pouvoir conserver l'infrastructure, le savoir-faire local. Essentiellement, c'est une approche de la pêche beaucoup plus raisonnable que l'approche actuellement appliquée pour la pêche au saumon, avec ses quotas individuels par bateau. Dans notre secteur, la pêche est une activité assez changeante. On ne sait jamais à l'avance quelle sera la composition des stocks en termes d'espèces ou de quantités. Par conséquent, les quotas individuels deviennent impossibles à gérer. Les quotas régionaux sont plus logiques parce qu'ils nous permettent de maintenir un certain pourcentage. Nous avons examiné la possibilité d'établir des quotas régionaux dans notre région, dans le cadre de négociations que nous avons comme Premières nations en vue d'obtenir un traité provisoire, de concert avec d'autres secteurs. Ce serait une nouvelle méthode. Nous travaillons très étroitement avec les Autochtones, les pêcheurs sportifs et commerciaux, et avec les pêcheurs qui ont des droits acquis. Nous adoptons une approche différente par rapport à ce qui s'est fait dans le passé, alors que les négociations relativement aux traités se faisaient à une table, tandis que la politique d'octroi des permis était décidée ailleurs.
Si vous examinez la façon dont nous avons géré nos pêches et attribué les prises au cours des dernières années, notre secteur a payé le prix de la réallocation des ressources à d'autres secteurs. Nous avons trouvé cela très difficile. Nous avons été sacrifiés dans le traité canado-américain et nous avons également été sacrifiés en faveur de la réallocation aux bateaux de pêche à filets maillants et aux grandes entreprises, lesquelles n'achètent pas le poisson pêché aux lignes traînantes, parce que nous produisons de la qualité, et non pas de la quantité.
Ces dernières années, nous avons entendu énoncer de nombreuses raisons pour lesquelles les pêcheurs aux lignes traînantes devraient envisager des quotas individuels, parce que nous ne sommes pas rentables actuellement. Notre rentabilité dépend de notre accès. Si la ressource fait constamment l'objet de réallocation à d'autres secteurs et que notre accès n'ait aucune stabilité, alors il est certain que nous ne sommes pas viables. Nous sommes confrontés à cette réalité: nous payons le prix de la conservation et nos marchés se rétrécissent. Nous cherchons donc à obtenir peut-être la stabilisation de la part qui nous est attribuée, plutôt qu'un système de quotas individuels. Si cela doit se traduire par un quota régional, de manière que nous puissions continuer à prospérer, eh bien, soit.
J'avais espéré préparer à votre intention toute une trousse de documents, mais vous n'ignorez pas que nous traversons actuellement une grave crise dans les pêches sur la côte Ouest. J'arrive tout juste d'une réunion où nous avons tenté de nous attaquer au problème de la gestion du coho. Vous savez peut-être que le ministère des Pêches a annulé hier le processus multi-intervenants et nous a laissés essentiellement dans le noir, dans l'incertitude. Notre principale crainte est que l'on assiste à une réorientation de la répartition des prises. On discute peut-être de nouvelles façons de s'y prendre pour cette répartition, mais quand le comité aura terminé ses délibérations, il est bien possible que beaucoup d'entre nous aient disparu.
Je dois m'excuser de n'avoir pas préparé un mémoire avec des données. Je sais que M. Newton connaît très bien ce qui se fait dans le monde pour l'allocation des ressources. Nous avons examiné la question du point de vue des principes. Le Canada a établi de très bons principes et nous avons pris des engagements à cet égard sur la scène internationale, par exemple pour le code de déontologie des Nations Unies. Nous produisons constamment des documents sur la durabilité des pêches. Nous voudrions bien que ces principes soient appliqués, au lieu de s'empoussiérer quelque part sur les tablettes. Voilà le genre de discussions et de critères qui déboucheront sur des pêches durables et sur la stabilité dans la répartition des ressources et l'accès régional, ce qui est vraiment notre objectif.
Je voudrais ajouter que je m'intéresse aux pêches depuis nombre d'années, à la fois comme universitaire et sur le terrain. Ce qu'il faut vraiment, c'est regrouper les différents niveaux de discussion dans un processus de planification intégrée. Il y a à l'heure actuelle un niveau incroyable de méfiance envers la politique gouvernementale. Toutes les décisions prises dans ces dossiers, par exemple l'établissement de quotas individuels, doivent mettre en cause les personnes qui sont à la base, les intervenants, ceux qui sont intéressés au premier chef. Certaines questions doivent être discutées au niveau régional, non pas seulement par moi-même à titre de titulaire de permis, mais par les collectivités qui ont beaucoup en jeu dans ces discussions. Dans notre cas, la collectivité comprend une importante composante autochtone. Les questions dont il faut discuter sont: les effets régionaux des quotas individuels ou du transfert des permis; la valeur des permis comme marchandises échangeables, par opposition à la valeur du poisson récolté; et la répartition entre les diverses collectivités des avantages tirés de la ressource.
Je sais qu'aux États-Unis, de sérieuses réserves ont été exprimées au sujet des quotas individuels. En fait, ils ont imposé un moratoire de plusieurs années pour examiner certaines répercussions de ces quotas. Il faut reconnaître que le saumon ne reste pas toujours à la même place. On ne sait jamais d'une année à l'autre, et même d'un mois à l'autre, dans quelle mesure les saumons seront de retour. La plupart des systèmes de quota individuel sont en place dans des secteurs de pêche où l'on peut cesser de pêcher pendant quelques semaines pour revenir prendre le poisson un peu plus tard. Dans notre cas, le poisson arrive en grande quantité pendant une très brève période, et il faut donc aborder de façon légèrement différente la pêche aux espèces de poissons pélagiques.
Le président: Vous avez évoqué les problèmes que vous éprouvez actuellement avec le coho. Je crois savoir que vous pêchez surtout le coho et le quinnat et que c'est une pêche très sélective. Nous comprenons vos craintes et le besoin de vous faire participer à toute décision future.
Vous avez aussi mentionné ce qui se fait actuellement aux États-Unis, et ce que vous dites est vrai. La loi Magnuson a été reconduite pour un certain nombre d'années afin de stopper toute nouvelle privatisation ou l'établissement de régimes de QIT.
J'ai dit tout à l'heure, dans mes observations liminaires, que le comité a appris récemment, durant le cours de ses délibérations, que certains pêcheurs ont hâte de mettre à l'essai un système de quotas individuels dans le secteur de la pêche au saumon aux lignes traînantes. Le témoin en question était Bruce Turris, directeur exécutif de l'Association des pêcheurs de morue charbonnière du Pacifique, qui a dit croire que certains pêcheurs au saumon ont maintenant très hâte de mettre à l'essai un système de quotas individuels dans le secteur de la pêche à la traîne et qu'il n'y a aucune raison qu'un tel système ne fonctionne pas dans ce secteur.
Je dis cela simplement pour préciser la source de mes commentaires de tout à l'heure. Sauf erreur, vous avez dit que telle n'est pas la position de votre secteur.
Le sénateur Stewart: Vous dites que vous prenez du poisson de grande qualité que vous congelez à bord. Ai-je raison de supposer que les bateaux qui appartiennent à vos membres pêchent dans les mêmes eaux que d'autres types de bateaux? Dans l'affirmative, comment pouvez-vous avoir l'assurance que vous prenez les meilleurs poissons?
Mme Scarfo: Notre qualité est garantie par notre procédé de pêche. Nos bateaux pêchent effectivement dans les mêmes secteurs que les autres. Nous avons une flotte de bateaux de pêche à la traîne qui naviguent dans les mêmes eaux que les pêcheurs à la senne et aux filets maillants. La différence tient en grande partie à la façon dont nous manutentionnons le produit. L'année dernière, dans le même secteur, on a récolté 1,5 million de saumons sockeye en dix heures. Il a fallu 48 jours aux pêcheurs de mon groupe pour récolter cette quantité de poissons. Nous les prenons en fait un par un. Chaque poisson est ramassé individuellement et une grande partie de nos prises est congelée à bord le jour même de la pêche. Cela nous permet de trouver un débouché plus intéressant pour un produit de qualité qui est manutentionné avec soin. Le poisson n'est pas écrasé quand il est embarqué; il est saigné. C'est vraiment un produit complètement différent. C'est pourquoi les grandes compagnies ne veulent plus acheter notre produit. Elles ne devraient vraiment pas parler en notre nom ni prétendre le faire. Nous avons nos propres marchés et nous voulons continuer à les exploiter. Mais il nous est très difficile de le faire parce que notre accès à la ressource ne cesse de diminuer.
Le sénateur Stewart: Vous avez dit compter 468 membres. Ai-je raison de supposer qu'il y a 468 permis, ou bien certains de vos membres possèdent-il plus d'un permis?
Mme Scarfo: Je représente une flotte de 468, dont 350 sont actuellement membres de notre organisation, qui existe depuis deux ans. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos membres, au niveau de la base, pour nous assurer qu'ils ont leur mot à dire. Dans ma région, il y a 468 permis.
Le sénateur Stewart: Il n'y a qu'un seul permis par bateau, n'est-ce pas?
Mme Scarfo: Il est possible de cumuler les permis. Depuis le plan Mifflin, je peux acheter un autre permis pour aller pêcher dans une autre région. Certains de mes bateaux exploitent ainsi plusieurs permis.
Le sénateur Stewart: Avez-vous des objections à cela?
Mme Scarfo: Non. J'ai quelques réserves quant à la façon dont le plan Mifflin a été appliqué et je me demande si les limites qui ont été tracées sur la carte ont du sens. Je ne suis pas certaine que les secteurs de la côte que l'on nous a attribués soient raisonnables. Chacun de ces secteurs côtiers donne un accès incertain à la ressource, et l'accès aurait dû être défini au départ. Comme outil de gestion, nous avons restreint l'ampleur de la flotte.
Le sénateur Stewart: Vous dites que les quotas régionaux sont souhaitables. C'est un concept très intéressant. Toutefois, n'ai-je pas raison de supposer que seuls ceux qui sont assez riches pour acheter un permis peuvent pêcher dans une région donnée?
Mme Scarfo: Nous avons essentiellement des permis régionaux actuellement. Quand vous avez appliqué le plan Mifflin, vous avez établi des secteurs. Pour chacun de ces secteurs, on a droit à un certain type d'engin. De la façon dont nous avons traditionnellement réparti la ressource dans le secteur commercial, les pêcheurs à la traîne, aux filets maillants et à la senne avaient chacun un pourcentage des prises totales. Aujourd'hui, on dit que, dans le secteur de la pêche aux lignes traînantes, chacune de ces régions a droit à un pourcentage des prises de la pêche à la traîne. Dans le secteur de la pêche à la traîne, nous avons en fait dégagé un consensus qui reflète le choix en matière de permis et les prises historiques. Autrement, il y aurait constamment des conflits en matière d'attribution, ce qui est un problème séculaire. Depuis qu'il y a du poisson, on se dispute l'accès à la ressource. Cela a donné une certaine stabilité qui nous permet de maintenir l'infrastructure, le savoir-faire local et la distribution régionale.
Cela voulait dire aussi que nous n'étions plus engagés chaque année dans un conflit pour transférer les ressources d'une région à une autre. Nous avons établi un barème d'allocation des ressources en équivalents sockeye. Je sais que traditionnellement, j'ai toujours pêché le coho et le quinnat, qui représentent l'essentiel de notre revenu. Mais dans le processus de répartition du saumon, nous nous partageons le fardeau de l'effort de conservation en calculant tout en équivalents sockeye. Autrement dit, si je renonce à pêcher le quinnat dans un secteur donné, à des fins de conservation, je dois obtenir en retour un pourcentage important des prises totales, qui peuvent être du saumon rose, du kéta ou du sockeye. Il s'est révélé incroyablement important de maintenir cette équivalence en sockeye, parce que les pêcheurs n'habitent pas tous à la source de la ressource qu'ils récoltent. Par conséquent, si j'habite dans une région et que j'aie à côté de chez moi une rivière à saumon sockeye, il est tout aussi important pour moi d'assurer l'intendance de cette rivière, peu importe que je récolte ce sockeye, du quinnat ou du coho, parce qu'à long terme, tout est pris en compte dans le calcul de ma part des prises. Cela permet de maintenir ce sentiment d'être propriétaire de l'ensemble de la ressource et responsable de la protection de l'habitat et de l'intendance partout en Colombie-Britannique.
Le sénateur Stewart: Dites-moi en quoi je me trompe quand je dis ceci: il me semble que vous dites être en faveur de limiter le nombre de personnes autorisées à pêcher, tout en voulant recevoir l'assurance que votre région aura un certain pourcentage du total des prises admissibles. Ne voulez-vous pas ainsi gagner sur tous les tableaux?
Mme Scarfo: Depuis de nombreuses années, la pêche commerciale est limitée en raison des permis et de l'accès. Il faut avoir une idée quelconque du régime auquel on a adhéré, autrement c'est un très mauvais investissement et les pêcheurs ne continueront pas à investir dans cette ressource. Si je sais que le secteur commercial a accès à, disons, 80 p. 100 des prises admissibles totales, alors je sais qu'à titre de pêcheur à la traîne dans ma région, parce que nous avons maintenant des permis régionaux, je devrais avoir accès au même pourcentage des prises totales. Ainsi, je peux continuer à investir. Dans la situation actuelle, en l'absence d'une certitude quelconque pour ce qui est de la répartition des prises ou de l'attribution de quotas par région, et je n'ai pas défini les régions, j'aurais pu continuer à pêcher tout le long de la côte. Cela n'aurait fait aucune différence pour moi. Mais si nous avons cet accès régional, je dois savoir que je peux être aussi rentable que possible et que je peux compter sur une certaine stabilité. Ainsi, je vais continuer d'investir non seulement dans mes débouchés, mais aussi dans mon infrastructure, pour maintenir le savoir-faire qui existe dans cette région et avoir un accès continu. Autrement, on assistera à la persistance des conflits en matière d'accès en Colombie-Britannique.
Je ne pense pas que vous vous trompiez. Oui, je veux gagner sur tous les plans. Si j'achète un permis de vente d'alcool ou si vous me donnez 200 sièges la semaine prochaine, je pense que n'importe quel homme d'affaires voudrait savoir qu'il aura accès à 200 sièges et non pas à dix.
Le sénateur Butts: Je me demande si votre groupe fait partie de la Pacific Salmon Alliance dont nous venons d'entendre un représentant?
Mme Scarfo: Oui, nous avons participé aux travaux de la Pacific Salmon Alliance. Nos efforts sont fondés sur le principe que nous ne pouvons plus nous débrouiller seuls, que nous devons élargir nos cadres. Le «partenariat» est un mot clé que le gouvernement fédéral utilise, quoique sa notion de partenariat, d'après ce que nous avons vu, c'est essentiellement que nous payons le prix mais qu'il continue à tout contrôler.
Les partenariats que nous essayons de bâtir sont quelque peu différents. En reconnaissant que nous avons affaire à une ressource de propriété commune, nous souhaitons que l'on applique certains principes dans notre secteur de pêche. Nous devons travailler d'une manière plus globale, plus holistique, en respectant ces principes. Nous travaillerons avec des organisations autochtones, des groupes de défense de l'environnement, des collectivités, beaucoup plus que nous l'avons fait dans le passé. Nous sommes aussi membres du processus du traité Nuu-chah-nulth, par l'entremise du Aquatic Management Resource Board, et nous sommes membres des fondations pour les pêches durables. En fait, nous sommes membres d'à peu près toutes les organisations qui existent.
Le sénateur Butts: Vous êtes très souples. Vous avez toutefois des idées très différentes sur le plan Mifflin, n'est-ce pas?
Mme Scarfo: Personnellement, je n'ai pas beaucoup d'estime pour le plan Mifflin. Il n'a pas atteint les objectifs qu'on s'était fixés au départ, à savoir de réduire la capacité de la flotte et d'accroître la rentabilité. Je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui ait accru sa rentabilité en s'endettant davantage. Le plan Mifflin a entraîné un transfert des ressources des régions rurales aux régions urbaines, et du propriétaire-exploitant indépendant aux grandes entreprises. Ce n'est peut-être pas évident à première vue ni facile à prouver, mais quand on voit qui récolte le poisson et qui fait des profits à même les ressources de la Colombie-Britannique de nos jours, je pense que c'est très clair.
Le sénateur Butts: Au lieu de vous y opposer, vous vous êtes efforcés de vous y adapter. Est-ce juste?
Mme Scarfo: Non, je suis contre le plan Mifflin, mais je n'ai pas le choix et je dois m'en accommoder. Le fait de devoir fonctionner dans ce cadre a posé beaucoup de problèmes. L'année dernière, nous avons perdu une part importante des ressources halieutiques qui nous étaient attribuées parce que quelqu'un a tracé sur la carte une ligne invisible qui ne correspondait pas aux objectifs de conservation, ce qui veut dire qu'il aurait fallu laisser tomber toute tentative de conservation pour pêcher comme nous étions censés le faire ou obligés de le faire pour obtenir notre part. Au lieu de laisser tomber la conservation, nos pêcheurs, depuis deux ans, ont renoncé volontairement à des possibilités de pêche, sans attendre que le ministère nous arrive avec des plans de pêche. Nous avons dit que nous ne pêcherions pas certaines espèces de poisson. Le plan Mifflin n'est pas souple; nous avons été obligés de payer nos efforts de conservation à même notre portefeuille, tout en voyant quelqu'un d'autre en récolter les avantages.
Le sénateur Butts: Je trouve très intéressante votre notion d'un quota régional et je voudrais savoir comment on s'y prend pour en obtenir un.
Mme Scarfo: Depuis le plan Mifflin, nous participons à des processus de répartition. Quand le plan Mifflin a été appliqué, ils ont dit au début qu'ils définiraient l'allocation afin que nous sachions dans quoi nous investissions, la stabilité étant un facteur très important. Cela aurait dû être défini avant que l'on soit tenu non seulement de choisir nos engins de pêche, mais aussi notre secteur. Personnellement, j'ai continué à pêcher tout au long de la côte, en utilisant divers engins. Quand il faut prendre une décision, comment choisir un secteur précis alors qu'on ne sait pas quel accès à la ressource ce secteur nous donnera? C'est comme si l'on nous obligeait à choisir en jouant aux fléchettes, ou à choisir le type de pêche qui nous semblait le plus raisonnable. Personnellement, j'ai choisi la pêche à la traîne parce que c'est une pêche plus sélective, que la valeur des prises est plus élevée, et que c'est une pêche plus respectueuse de l'environnement. C'était un choix personnel fondé sur ces raisons et aussi sur le fait qu'il n'y aurait pas d'écart flagrant par rapport aux prises historiques.
C'est pourtant ce qui s'est passé et l'on a assisté à d'importants changements par rapport aux prises historiques. Dans le plan Mifflin et dans les données que l'on a distribuées à la table ronde et aux titulaires de permis de pêche commerciale, dans ce que nous appelons le prospectus et qui est le seul document que nous ayons, on a établi très clairement les prises traditionnelles en équivalents sockeye pour chaque raison et pour chaque type d'engin. Dans mon secteur, nous récoltions historiquement 30 p. 100 des prises commerciales. Dans ma région, nous en récoltions 52 p. 100. Sur la côte ouest de l'île de Vancouver, c'était 14 p. 100, et je crois que c'est 32 ou 34 p. 100 dans le Nord.
Nous avons dit que pour maintenir la stabilité de l'accès dans ces régions, il faut maintenir ces proportions historiques de l'accès au poisson. Autrement, nous perdrons notre infrastructure. Nous avons vu un transfert massif et cela ne peut plus continuer. Ces transferts massifs dans la répartition des prises d'une région à l'autre sont à l'origine d'une grande partie des bouleversements et de l'instabilité financière dans nos localités côtières.
Sur la côte Est, on a envisagé d'attribuer des quotas à des collectivités pour maintenir ce sentiment d'appartenance à la «communauté territoriale», qui est l'expression utilisée par les Nations Unies. Nous, nous disons qu'au lieu de donner un permis et un quota à une collectivité, il faut plutôt les donner à la région pour que tous puissent participer. Il n'est pas nécessaire d'habiter dans la région; le permis donne le droit de pêcher dans cette région. Personnellement, je n'habite pas dans la région où je pêche. J'y passe plus de six mois par an; j'y dépense une grande partie de mon revenu; et j'y débarque mon poisson, de sorte que je suis intégrée économiquement à cette communauté régionale et que j'y ai des intérêts. Il n'est pas nécessaire que j'habite personnellement là-bas. Beaucoup de ces régions ne peuvent pas accueillir une collectivité. Le concept des conseils tribaux que nous tenons des Premières nations correspond à ces grandes régions.
Le sénateur Butts: La superficie des régions est-elle définie, ou bien le nombre de pêcheurs par région est-il spécifié?
Mme Scarfo: Le ministère des Pêches a délimité nos régions dans les dispositions du plan Mifflin relatives à l'octroi de permis par secteur. Essentiellement, nous avons actuellement des secteurs délimités. Malheureusement, il n'y a pas de nombre défini de titulaires de permis, parce que le plan Mifflin n'est pas fixe. Le plan Mifflin continuera de changer l'accès à la ressource si nous laissons les choses aller telles quelles.
Autrement dit, je pourrais étouffer les pêcheurs à la traîne de la partie nord de la côte en ne leur donnant pas accès à la ressource. Ensuite, je pourrais acheter un permis de l'un de ces pêcheurs à la traîne du Nord et appliquer ce permis à une région différente. Comme pêcheur, individuellement, je pourrais prendre ce permis et aller pêcher ailleurs, là où on pourrait m'autoriser à prendre du poisson. Toutefois, cette région, cette communauté territoriale, a perdu son accès à la ressource. On vient de faire passer l'allocation d'un secteur rural à un autre secteur, habituellement urbain, en se rapprochant d'une pêche plus centralisée et plus facile à gérer. Je dis «plus facile», mais ce n'est pas à mes yeux quelque chose de plus facile à gérer. Il y a un défi qu'il faut relever au chapitre de la gestion.
Le sénateur Butts: La province a-t-elle son mot à dire dans cette régionalisation?
Mme Scarfo: Il existe un protocole d'entente entre les gouvernements fédéral et provincial, mais on n'en a aucunement tenu compte. Voyez comment on s'est attaqué à la crise du coho. Ces trois derniers jours, on a discuté d'une réaffectation massive de la ressource non pas seulement d'une région à l'autre, mais d'un secteur à l'autre. En d'autres termes, on a essentiellement jeté par-dessus bord le concept du partage du fardeau de la conservation. Les principes qui président à la répartition ont été abandonnés. Il faut que la province participe aux discussions, parce que les conséquences économiques de ce dont on discute sont absolument écrasantes. Le ministère des Pêches n'a ni la capacité ni l'expertise voulue pour mener à bien des débats de ce genre. Pourtant, on en débat ici, à Ottawa, à huis clos, en excluant les principaux intervenants. La province doit absolument participer aux discussions de ce genre.
Le sénateur Butts: Croyez-vous que la technique de la pêche aux lignes traînantes soit préférable pour la qualité du poisson ou pour la préservation de l'habitat, en comparaison d'autres engins de pêche?
Mme Scarfo: Je suis personnellement intéressée en la matière et je pourrais donc vous vanter les mérites de mon procédé de pêche.
Le sénateur Butts: Pourquoi avez-vous choisi cet engin?
Mme Scarfo: J'ai choisi la pêche à la traîne parce que le type d'appât que j'utilise dicte à bien des égards le type de poisson que je prends, la vitesse à laquelle je travaille, le secteur et le temps de l'année où je pêche. Nous avons toute une série d'outils de gestion que nous pouvons appliquer pour pêcher de façon très sélective. Nous n'avons pas tiré le maximum de ces techniques dans le passé. Essentiellement, l'objectif était de prendre la mer et de massacrer le poisson. Les pêcheurs de mon groupe avaient coutume de prendre un grand nombre de cohos. Aujourd'hui, ils peuvent aller pêcher et ne pas prendre un seul coho. Nous sommes capables de changer.
Quand on manutentionne le poisson en grandes quantités, c'est comme pour n'importe quel autre produit, on n'est pas aussi soigneux. En appliquant une méthode de récolte plus lente, nous pouvons maintenir la qualité. Sélectivement et environnementalement, j'estime que nous sommes tout à fait compatibles avec les objectifs des pêches durables. Nous récoltons à un rythme beaucoup plus lent, ce qui réduit d'autant la probabilité de commettre une grave erreur en faisant de la surpêche ou en prenant un trop grand nombre d'individus d'une espèce menacée en une très brève période.
En continuant à contrôler soigneusement la pêche, on peut tirer le maximum de ces outils. Nous avons envisagé de travailler avec M. Carl Walters, de l'Université de la Colombie-Britannique, et d'autres spécialistes, afin de mettre au point une méthode d'évaluation des stocks plus sélective et améliorée. Pour gérer une pêche quelconque, il faut le plus de renseignements possible, surtout dans le cas d'espèces qui surviennent en grand nombre et quand certains types de pêche, notamment la pêche à la senne, offrent une grande capacité de récolte.
En 1994, nous avons laissé libre cours à la flotte de pêche à la senne, face à ce que nous pensions être une montaison très importante de saumon sockeye dans le fleuve Fraser. Nous n'avions pas prévu le point culminant et la répartition de cette pointe. Nous savions quelle était l'abondance du poisson dans un secteur donné, mais nous n'avions pas prévu ces points culminants pour la répartition de la ressource. Ce qu'il faut faire, c'est prendre du poisson de façon ponctuelle ici et là, tout en se renseignant le plus possible, et les scientifiques du comité d'examen de l'évaluation des stocks du Pacifique ont très clairement identifié le besoin d'obtenir davantage de données, de façon constante et de différentes régions, pour évaluer la survie océanique, la répartition des stocks et les taux de dispersion. Nous pouvons fournir cette information. Notre flotte a été réduite au point qu'il y a maintenant 468 bateaux de pêche aux lignes traînantes sur la côte Ouest, alors qu'il y en avait plus de 2 000 il y a à peine deux ans, dans la même région où nous n'hésitons pas à donner les coudées franches à 400 000 pêcheurs sportifs, qui sont assujettis à très peu de règles et de règlements.
Nous avons les compétences voulues. J'estime que mon secteur de pêche est tout à fait durable. Nous venons de terminer un projet sur les pêches durables de concert avec la Communauté économique européenne. Certains pêcheurs de la Baltique viennent chez nous pour voir comment nous gérons nos pêches dans un cadre axé sur la collectivité et la famille, de façon à en maximiser la valeur, d'une manière sélective et en récoltant lentement. Les pêcheurs de la Baltique utilisent des pièges et des parcs de pêche, mais les poissons piégés se font manger par les phoques et leurs poissons meurent à un rythme incroyable.
Nous avons une pêche qui pourrait être la pêche de l'avenir. Malheureusement, c'est au cours des deux ou trois prochaines semaines que l'avenir de notre pêche sera décidé.
Le sénateur Meighen: Vous parliez des phoques dans la Baltique?
Mme Scarfo: Oui. Dans les pièges et les parcs de pêche, les phoques font des ravages incroyables comme prédateurs. À l'heure actuelle, on envisage en Colombie-Britannique de recourir à de nouvelles technologies sans même avoir fait d'études pour en déceler les problèmes éventuels. On propose de nouvelles solutions sans faire le moindre essai, sans recherche qualitative sur l'un ou l'autre de ces changements en profondeur.
Le sénateur Meighen: Vous avez dit que la flotte est passée de plus de 2 000 à 468, à peu près. Sur quelle période cette réduction a-t-elle eu lieu et quelle en a été la principale raison? Était-ce parce que la pêche n'était pas rentable, ou bien les pêcheurs ont-ils été forcés de quitter la pêche?
Mme Scarfo: J'ignore si vous connaissez bien le plan Mifflin. Il a été mis en oeuvre sous prétexte de conservation et de gestion de la flotte.
Le sénateur Meighen: Il a été appliqué il y a seulement un an à peu près, n'est-ce pas?
Mme Scarfo: C'était il y a deux ans.
Le sénateur Meighen: Deux ans, et la flotte est passée de 2 000 à 468 bateaux?
Mme Scarfo: En un mois, le nombre a chuté brutalement, à partir des 2 000 pêcheurs qu'il y avait dans cette région. En fait, il y en avait encore plus que cela, si l'on tient compte des bateaux polyvalents. On a le droit d'installer plusieurs engins sur un petit bateau. Mon bateau était un bateau polyvalent. On aurait pu, à une date donnée, ouvrir la pêche au sockeye sur la côte ouest de l'île de Vancouver et voir 4 000 bateaux prendre la mer. C'était un nombre de bateaux trop difficile à gérer. Nous ne savions pas ce qui se passait. Nous avons donc introduit les permis donnant droit à un seul type d'engin. Nous avons aussi introduit les permis sectoriels et mis en oeuvre un programme de rachat. C'est ainsi que nous sommes passés d'un potentiel de 4 000 bateaux de pêche dans cette seule région à seulement 468, ce qui représente donc une réduction massive. La flotte de petits bateaux a été divisée en régions beaucoup plus petites que dans le cas des bateaux de pêche à la senne, pour lesquels il n'y a que deux régions. En fait, tous ces bateaux cumulent les permis. Je crois qu'il n'y a maintenant que 60 bateaux qui n'ont qu'un seul permis. La capacité réelle de la flotte de pêche à la senne dans une région donnée n'a pas été réduite et l'on n'a pas tenu compte du concept du maintien de l'égalité entre les secteurs pour le rachat. Nous nous sommes retrouvés avec ce qui nous en donnait le plus pour notre argent, en achetant les bateaux les moins chers. Les petits bateaux des propriétaires-exploitants étaient moins chers, mais beaucoup appartenaient à des pêcheurs autochtones habitant de petites localités qui ont été dévastées par cette perte.
Le sénateur Meighen: J'ai trouvé assez convaincants vos arguments quant aux avantages de cette pêche. Je me rends compte que vous êtes personnellement intéressée au secteur de la pêche à la traîne, par opposition à d'autres méthodes. Très bien.
Premièrement, le poisson débarqué par un bateau de pêche aux lignes traînantes, par exemple, a-t-il une valeur beaucoup plus grande que le poisson pris par un bateau de pêche à la senne? La différence est-elle de 10 p. 100, 20 p. 100, 30 p. 100?
Mme Scarfo: J'obtiens 6 $ la livre pour le saumon sockeye récolté au large de la côte ouest de l'île de Vancouver et congelé frais en mer. Le sockeye du Fraser, récolté à l'embouchure du fleuve Fraser, où il est préparé et vendu sur le marché dès le lendemain, vaut 80 cents la livre.
Le sénateur Meighen: Cela me semble très attrayant, si je veux me lancer en affaires. Je comprends pourquoi vous avez choisi cette méthode de pêche.
Si vous étiez le successeur de M. Mifflin et que vous puissiez changer le règlement d'un coup de baguette magique, ne serait-il pas très logique d'essayer d'inciter les gens à abandonner la pêche à la senne pour se lancer dans la pêche aux lignes traînantes? Premièrement, c'est intéressant financièrement. De plus, c'est avantageux sur le plan de la conservation et pour bien d'autres raisons que vous avez mentionnées.
Mme Scarfo: C'est un argument très intéressant. Vous avez utilisé un mot qui ne s'applique plus au ministère des Pêches et des Océans: le mot «logique». Je travaille dans la pêche depuis une vingtaine d'années, depuis l'évaluation des stocks jusqu'à l'achat en passant par la pêche proprement dite, et nous n'utilisons plus le mot «logique» quand nous parlons de la politique du ministère des Pêches et des Océans.
Oui, la pêche de l'avenir réduirait la capacité et augmenterait le nombre de bateaux. Il ne faut pas qu'il y ait trop de bateaux poursuivant trop peu de poissons; s'il y a trop de pêcheurs, on ne tire pas la valeur maximum de la ressource et on ne la répartit pas bien non plus. Je dirais que oui, il faut augmenter le nombre des petits bateaux, distribuer la richesse entre les diverses collectivités, et multiplier la valeur de cette ressource pour les Canadiens. Malheureusement, la flotte des petits bateaux n'a pas une voix très puissante et aucun d'entre nous ne joue au golf avec Jean Chrétien.
Le sénateur Meighen: Comment persuaderiez-vous un senneur, par exemple, de se lancer dans la pêche à la traîne? Premièrement, il faut le compenser pour le coût de son équipement, n'est-ce pas?
Mme Scarfo: Au point où nous en sommes, une grande partie de la flotte de bateaux de pêche à la senne appartient d'une manière ou d'une autre à la compagnie. On achète un permis, on contracte un emprunt, ou bien on est forcé de vendre son poisson et il faut donc signer un contrat. Essentiellement, on se trouve à vendre son âme à la compagnie. Quand on a affaire à la flotte de pêche à la senne, nous avons affaire aux grandes compagnies, et les grandes compagnies ont des liens très étroits avec le ministère des Pêches et des Océans. En fait, leurs principaux lobbyistes sont d'anciens fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans. Quand nous participons à des discussions sur la répartition, nous ne savons jamais à qui nous avons affaire. Michelle James représente le MPO et, un mois plus tard, voici qu'elle est devenue lobbyiste et qu'elle représente les compagnies.
La philosophie des compagnies est qu'elles peuvent continuer à mettre en conserve jusqu'au dernier poisson de la Colombie-Britannique; il leur faut du poisson en quantité et nous, nous ne sommes pas rentables parce que nous faisons concurrence aux élevages de poisson qui appartiennent aussi à la compagnie. Le raisonnement selon lequel nous ne serions pas rentables est vraiment d'une logique faussée. Je fais concurrence aux élevages de poisson, qui sont fortement subventionnés par les mêmes compagnies qui essaient de m'enlever la ressource dans la récolte du poisson sauvage. Ces mêmes compagnies sont accusées de fixation des prix en Alaska.
Oui, ce serait logique, mais comme je l'ai dit, il ne semble plus y avoir de logique.
Les services du vérificateur général nous ont donné de magnifiques critères pour une gestion durable de nos pêches. Je ne les vois jamais appliqués dans les politiques. Le plan Mifflin opère une restructuration massive de l'industrie sans préciser clairement quel en est l'objectif, sans jamais présenter un éventail d'options ni les répercussions de ces options, et sans tenir compte du coût entier des conséquences sociales, culturelles et économiques de ces décisions.
Je suis justement en train de vivre un autre processus où, une fois de plus, on opère une restructuration en profondeur de nos pêches en Colombie-Britannique. On opère une réaffectation massive d'un secteur à un autre; l'instabilité est à son comble; et il n'est nullement question des aspects scientifiques ou de l'application des données scientifiques; de l'effet des décisions prises, ou d'un éventail d'options quant à la façon de s'y prendre pour s'en sortir. On est en train de nous passer sur le corps et, en ce moment, j'ai l'impression d'avoir été écrasée par une locomotive. Je suis épouvantée quand je songe aux conséquences des décisions qui sont prises en ce moment. Oui, nous devrions envisager les choses autrement, mais je ne sais plus quoi faire pour y arriver.
Le sénateur Meighen: Je crois savoir que la pêche sportive, mesurée en recettes brutes pour la province et d'après le montant qu'on en tire, est actuellement plus importante que la pêche commerciale. Il m'a semblé déceler une inflexion légèrement désobligeante quand vous avez dit qu'on avait laissé libre cours à 400 000 pêcheurs sportifs. C'est impossible. Quelle est la place de la pêche sportive ou de loisir dans ce sombre tableau que vous venez de nous dépeindre? Y a-t-il place pour ces pêcheurs?
Mme Scarfo: En Colombie-Britannique, nous sommes actuellement au bord du gouffre. Les décisions que nous prenons vont décider de l'existence future de la pêche dans cette province et, le cas échéant, de la nature de ces pêches. Je crois fermement que s'il n'y a plus de flotte commerciale, de pêcheurs sportifs, il n'y aura plus de ressources de saumon sauvage, parce qu'il n'y a pas d'encouragement. Les participants à une récente conférence tenue à Prince Rupert ont clairement fait savoir, en examinant les possibilités qu'offre l'océan, qu'ils ne cherchent plus à exploiter le poisson, parce que cette ressource leur a été enlevée. Ils se tournent plutôt vers l'extraction minière océanique.
Il nous faut faire appel à tous les intendants possibles de la ressource. Il nous faut un programme complet qui fasse place à la table à tous les intervenants, travaillant ensemble pour rétablir la ressource. Nous ne pouvons pas continuer à nous diviser et à dire que le secteur sportif, le secteur de la senne ou même le secteur autochtone est plus important. Nous devons tous prendre place à la table et nous rendre compte que nous devons partager la responsabilité et les obligations, autrement il y aura les «nantis» et les «démunis». Personne ne veut discuter sérieusement s'il s'imagine avoir une meilleure solution, nommément le lobbying politique. Les représentants du secteur sportif ont quitté les discussions cette semaine en disant qu'ils n'avaient pas besoin de négocier parce qu'ils obtiennent ce qu'ils veulent au moyen du lobbying politique. C'est une façon de procéder qui est fort malsaine.
Si nous gérons bien le dossier et que nous forcions tous les intervenants à prendre place à la table de négociation, il y a place pour nous tous, mais la gestion doit être équitable pour tous. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé. On ne peut pas permettre à une flotte très mobile et dévastatrice de 400 000 pêcheurs sportifs de continuer à causer des ravages considérables. L'année dernière, ils ont récolté 80 p. 100 de la montaison de saumon en Colombie-Britannique. Nous ne pouvons pas laisser cela continuer. Nous devons discuter et établir des plans complets en travaillant ensemble. Mais pour ce faire, il faut une méthode et chacun doit savoir quelle est sa part et doit être déterminé à faire en sorte de pouvoir continuer à pêcher, pourvu que ce ne soit pas au détriment de quiconque.
La Colombie-Britannique a besoin de pêches diversifiées. On ne peut pas se contenter d'avoir une seule pêche. La solution ne réside pas dans la pêche sportive exclusive en Colombie-Britannique. Une bonne partie de l'infrastructure que nous avons sur la côte ouest de l'île de Vancouver est actuellement menacée à cause de la réallocation des ressources. Des quais tombent en ruine. Nous avons de petites localités autochtones qui n'ont aucune route d'accès et qui étaient auparavant desservies par une barge commerciale qui servait à pêcher et aussi à transporter du combustible, mais la barge ne vient plus dans la localité parce qu'il n'y a plus de pêche, le secteur commercial ayant été dévasté et réduit dans ce secteur. Tout à coup, les conséquences s'en font sentir sur le secteur sportif parce qu'il nous faut aussi les mêmes infrastructures: des quais pour ravitailler en carburant, des hôtels, des restaurants, des magasins qui font la réparation. Nous sommes compatibles, mais nous ne le serons plus si nous essayons tous, chacun de notre côté, de prouver que nous sommes plus importants que les autres.
Il y a quelques années, une étude effectuée par un expert-conseil a fait ressortir que le secteur sportif était plus important, économiquement parlant, que le secteur commercial. Les experts-conseils économiques ont comparé les dépenses totales dans le cadre d'une expédition de pêche sportive et la valeur des prises débarquées dans l'ensemble du secteur commercial. Au lieu de s'attarder aux avantages économiques que nous apportons tous à ces collectivités régionales, on nous a accordé, à moi ainsi qu'aux pêcheurs à la senne, une valeur réduite.
Le secteur sportif est très important, c'est certain. Il faut le gérer, tout comme notre pêche doit être gérée. Il ne peut pas y avoir de pêche non réglementée. Nous devons adopter une approche très prudente et graduelle. Nous devons faire des pêches expérimentales et contrôler l'effort par région. J'ai été cynique quand j'ai parlé des 400 000 pêcheurs sportifs. C'est terrifiant et irritant de voir une horde de 400 000 pêcheurs sportifs envahir les pêches. Cela étouffe nos efforts potentiels. On continue de nous critiquer et de dire que notre flotte n'est pas gérable.
Malheureusement, quand nous participons aux discussions sur les plans de gestion, les représentants de ce secteur sportif sont les exploitants de grandes pourvoiries. La personne qui veut aller à la pêche pendant une fin de semaine n'est pas là. Les exploitants de pourvoiries soutiennent qu'il faut faire la promotion du poisson de Colombie-Britannique à l'étranger, et ce n'est pas nécessairement indiqué à ce moment-ci.
Le sénateur Meighen: Qui, à votre avis, devrait être chargé de rassembler tous les intervenants? L'industrie elle-même, un politicien de la Colombie-Britannique ou d'Ottawa, ou bien un fonctionnaire? Qui peut le faire?
Mme Scarfo: Dans le passé, j'aurais dit que c'était notre responsabilité, mais étant donné l'extraordinaire instabilité et l'incertitude qui ont été créées -- et pas seulement par des facteurs comme El Ni<#00F1>o -- l'incertitude quant à la répartition, les changements brusques de politique, je dirais qu'à l'heure actuelle, il faut que quelqu'un prenne les leviers de commande, et cela n'est pas arrivé. Je souhaite participer au processus décisionnel. Ce n'est pas ce qui se passe. On nous consulte à mort. Je pourrais passer tout mon temps assise sur une chaise, dans des réunions. Voilà le processus auquel nous participons.
À l'heure actuelle, nous n'avons pas de processus global permettant de nous rassembler tous pour nous mettre à l'oeuvre. Nous en avons fait la demande au gouvernement fédéral et j'estime qu'à bien des égards, les gouvernements fédéral et provincial ont tous deux la responsabilité de nous aider, de faire preuve de leadership, de mettre en place un processus de ce genre pour que nous puissions commencer à rebâtir. Dans le chaos actuel, des groupes comme la Pacific Salmon Alliance tentent de le faire, mais il nous faut quelque chose de plus grand, de plus profond, qui inspire davantage confiance, pour nous rassembler. Les gouvernements provincial et fédéral doivent travailler ensemble. Le niveau de stress et d'animosité entre les deux ne peut plus être toléré.
Le président: Votre témoignage convaincant nous sera très utile. Je fais remarquer que le comité étudie maintenant cette question depuis un certain temps, et ce, de façon délibérée. Nous avons décidé de faire cette étude sans précipitation. L'un des grands avantages est que cela nous donne l'occasion d'entendre des témoignages probants de la part de gens comme vous-mêmes. Parfois, quand on procède de façon trop hâtive, on perd l'occasion d'entendre des témoignages intéressants comme ceux que nous avons entendus cet après-midi.
Voulez-vous dire un dernier mot avant que nous levions la séance?
Mme Scarfo: Nous sommes en situation de crise, nous sommes menacés par une réallocation massive. J'espère que mes collègues pêcheurs et moi-même pourrons continuer à participer à ce secteur pendant encore bien des années. Quant à savoir si je serai encore là quand vous présenterez votre rapport, il est évident que cela dépendra en grande partie des décisions qui devront être prises au cours des prochains jours. Je vous serais reconnaissante de tout ce que vous pourriez faire pour vous assurer qu'on répartisse uniformément le fardeau et qu'on ne procède pas à une réallocation massive, à une restructuration de l'industrie et à la privatisation de la ressource.
Au point où j'en suis, je ne peux rien faire d'autre que d'appeler à l'aide. Les conséquences sont sévères, autant pour la ressource que pour les humains. Je suis allée sur place, dans ces collectivités, et j'ai été témoin de la ruine des familles et des collectivités. Je suis absolument terrifiée en songeant que les mesures que l'on prendra dans un avenir rapproché ne correspondront peut-être pas à ce qu'il faut faire pour rebâtir une industrie durable en Colombie-Britannique.
La séance est levée.