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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 1er octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, pour examiner des questions de privatisation et d'attribution de permis de quota dans l'industrie des pêches du Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Avant de vous présenter le témoin de ce matin, je vous annonce que nous avons une nouvelle greffière. Beaucoup d'entre vous connaissent déjà Barbara Reynolds, qui travaille sur la Colline depuis des années. Barbara qui passe maintenant au Sénat sera la greffière de notre comité. Au nom de tous les membres, je vous souhaite la bienvenue, Barbara. Nous connaissons tous l'efficacité avec laquelle vous travaillez et nous sommes heureux de vous compter parmi nous.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des questions de privatisation et d'attribution de permis de quota dans l'industrie des pêches du Canada. Ce matin, nous accueillons comme témoin M. Philip M. Saunders, professeur agrégé à l'École de droit et à l'École des études sur les ressources et l'environnement de l'Université Dalhousie. M. Saunders est aussi chercheur universitaire au Centre des études en politique étrangère. Il enseigne le droit de la mer et de l'environnement et le droit international de la pêche, abordant des sujets tels que les recours judiciaires, les revendications et les délits internationaux. Il fait aussi de la recherche sur les aspects juridiques des quotas individuels.

Monsieur Saunders, nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps, en dépit de votre lourde charge d'enseignement, de venir aider notre comité ce matin. Je crois savoir qu'il vous a fallu modifier votre horaire. Sachez que nous vous en savons gré. Monsieur Saunders, vous avez la parole.

M. Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit et École des études sur les ressources et l'environnement de l'Université Dalhousie: Monsieur le président, c'est avec beaucoup de plaisir que je profite de cette occasion de prendre la parole devant votre comité et, peut-être, de répondre à certaines questions. Je ne me prétends ni un expert économique ni un spécialiste des autres aspects des QIT et d'autres questions liées à la privatisation. Cependant, la privatisation et les QIT donnent naissance à d'importantes interrogations, sur le plan juridique, qui devraient nous inciter à la prudence. Le fait que le comité prenne le temps de creuser cette question me réjouit.

Je sais que des témoins vous ont expliqué la raison d'être des QIT -- c'est-à-dire des quotas individuels transférables -- et où ils s'insèrent dans la notion juridique des droits de propriété et de pêche. Je m'arrêterai brièvement aux arguments invoqués en faveur de cette approche et de ses présumés avantages. J'aurai aussi quelques mots à dire au sujet de la validité de ces arguments et j'irai peut-être jusqu'à mettre en doute quelques-uns d'entre eux. Enfin, à défaut de conclusion, j'aurai peut-être des mises en garde à vous faire, car j'estime que nous ne sommes pas encore prêts à tirer des conclusions de ce que nous savons de toutes ces questions.

En ce qui concerne le contexte, il importe de se rappeler que le recours au QIT et à d'autres formes de contingentement n'est pas une théorie complètement nouvelle ou différente des autres approches de gestion des pêches. Essentiellement, la plupart des approches de gestion reposent sur deux hypothèses centrales concernant la propriété en common law des ressources halieutiques. La première hypothèse, c'est que le poisson est une ressource publique, de propriété commune, qui n'appartient à personne jusqu'à ce qu'elle soit prise, ce qui était vrai jusqu'ici au Canada et dans d'autres juridictions de common law. La seconde hypothèse, c'est que, s'il n'est pas réglementé, le comportement individuel et compétitif entraînera inévitablement la destruction de cette ressource en raison d'un manque de propriété privée et d'incitatifs à la conservation. Par conséquent, nous pouvons soit privatiser la ressource, ce qui est souvent peu intéressant sur le plan politique, ou prendre des mesures réglementaires en vue de reproduire l'effet de la propriété privée.

La plupart des régimes de gestion des pêches cherchent d'une façon ou d'une autre à reproduire les effets de la propriété privée, par opposition à ceux de la propriété commune. Qu'il s'agisse de limiter le nombre de participants, d'imposer des contingentements, d'attribuer des quotas, de limiter le nombre de sorties ou de donner des allocations aux entreprises, tous ces modèles sont en règle générale populaires pour les mêmes raisons, mais certains se distinguent parce que, plutôt que de simplement chercher à limiter la capacité ou les méthodes, ils cherchent à attribuer des droits de propriété ou de quasi-propriété au sein d'une pêche particulière.

Les allocations aux entreprises, surtout dans le passé, n'étaient pas perçues comme de véritables droits de propriété au même titre que le bien personnel et le bien franc. Cependant, si la propriété sous-entend une foule de droits, alors de toute évidence ces allocations se rapprochent de la notion de propriété. La plus importante caractéristique dans ce contexte serait l'exclusivité, ce qui signifie que vous avez la possession exclusive de la ressource, que vous pouvez empêcher les autres de l'utiliser, qu'une durée maximale ou permanente de ce droit sera imposée, qu'il y a inamovibilité, que vous pouvez compter que vous êtes propriétaire et, enfin, que le droit est transférable, c'est-à-dire que vous pouvez le vendre ou le transférer, l'aliéner comme bon vous semble.

Les allocations aux entreprises et les autres formes de contingentement possèdent certaines de ces caractéristiques, mais elles sont habituellement assorties de pas mal de restrictions, par exemple en ce qui concerne leur aliénation, leur vente, leur transfert. Elles peuvent aussi être assorties d'échéances.

Les QIT représentent en réalité, dans un contexte plus général, une autre étape dans l'échelle continue menant au plein droit de propriété, même s'ils n'en sont pas vraiment. En règle générale, selon le régime, lorsque des quotas individuels transférables sont mis en oeuvre, il n'existe pas vraiment de droit plein ou absolu de propriété. Cependant, ils se rapprochent davantage des droits de propriété que l'allocation aux entreprises ou le contingentement. La clé semble être leur transférabilité, c'est-à-dire la capacité de les vendre ou de les transférer même s'ils ne sont pas libres de toutes restrictions. Par conséquent, être titulaire ou propriétaire d'un QIT ne revient pas à exercer la propriété de plein droit. La plupart des tenants responsables des QIT laisseraient au gouvernement un quelconque pouvoir de réglementation qui lui permettrait de retirer ou de réduire ces quotas au besoin, sans quoi le principe est extrêmement dangereux.

On peut, par exemple, les assortir de restrictions sur le plan de la conservation de sorte qu'il soit possible, en fin de compte, de les retirer. Cependant, cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas une forme de propriété. Par exemple, même ici, dans les limites de la loi, des droits de propriété peuvent être retirés par expropriation. La durée des QIT peut être limitée. C'est une question à régler. On peut aussi limiter les personnes auxquelles ces quotas peuvent être transférés. J'y reviendrai plus tard.

Le QIT demeure une forme de propriété. Ce n'est pas la ressource qui appartient au titulaire, mais le quota comme tel. La distinction est importante. Il s'agit de savoir à quel point vous voulez vous rapprocher de la propriété privée. C'est un droit plus ou moins permanent; on a plus ou moins le pouvoir de le céder à d'autres. L'important pour l'industrie, c'est probablement de savoir s'il permet de faire la même chose que la propriété. Ainsi, peut-on obtenir un prêt en fonction du quota? Peut-on trouver un acheteur disposé à acquérir ce bien parce que la permanence du droit est suffisante? Peut-on faire respecter un contrat de vente? Si le régime est bien structuré, la réponse à la plupart de ces questions devrait être oui.

D'autres régimes et quotas sont utilisés. En fait, en ce qui concerne d'autres quotas prévus dans les régimes de gestion, tout indique qu'ils peuvent être traités comme de la propriété aux fins, par exemple, de vendre des biens.

Si c'est ce qu'ils sont -- une étape de plus vers la pleine propriété, sans forcément le devenir -- , quels arguments peut-on invoquer à la défense de cette approche? On ne se dirigerait probablement que vers la création de quasi-droits de propriété, conscients que cette orientation va à l'encontre de plusieurs siècles d'évolution du droit. Nous le ferions parce que nous percevons des avantages particuliers sur le plan de la gestion. Les arguments en faveur de cette approche varient d'une personne à l'autre.

Tout revient à certaines questions essentielles. Tout d'abord, l'accroissement de l'efficacité du point de vue industriel, tout comme, jusque dans une certaine mesure, les allocations aux entreprises. On soutient que l'utilisation du capital et de la main-d'oeuvre est plus efficace. La ressource est exploitée selon la logique de l'industrie et du marché plutôt qu'en fonction d'une structure réglementaire bizarroïde que tous cherchent immédiatement à contourner. De plus, comme l'a dit M. Lane qui a comparu devant votre comité, les QIT permettent de mieux planifier à long terme l'investissement. Je reviendrai également sur ce point.

L'efficacité administrative est le deuxième grand argument invoqué -- il est plus facile pour les gestionnaires de planifier. Sous pareil régime, le nombre de joueurs tend à diminuer en raison de l'éventuelle concentration et accumulation de QIT. Ce qui est probablement plus important, c'est qu'on n'essaie pas tant de réglementer comment et quand ils font leur travail, ce qui réduit le besoin de faire de la microgestion. Du moins, c'est ce qu'on prétend. D'autres répondraient qu'on continue d'inciter à trouver les failles du système, naturellement, puisqu'il s'agit d'un régime de quotas.

Je n'ai pas l'intention de m'arrêter longtemps sur ces deux supposés avantages. Les porte-parole du gouvernement et d'autres organismes qui sont à mon avis plus compétents que moi pour en juger ont témoigné. Je préfère m'arrêter plutôt au dernier type d'argument, au fait que, quand vous accroissez les caractéristiques de quasi-propriété des QIT, vous favorisez la conservation durable de la ressource.

Au moins trois arguments généraux sont avancés à cet égard. Le premier, c'est que vous pouvez peut-être réduire la surcapacité de pêche. Un nombre réduit de titulaires de droits tentant de faire une exploitation plus efficace en fonction d'une allocation de ressource garantie est censé réduire l'apport en capital et, par conséquent, la surcapacité de pêche, sous-produit de l'argument d'efficacité invoqué par l'industrie. Le deuxième argument, c'est qu'une approche plus facile à faire respecter sera en réalité respectée. Cela vaut mieux que des lignes directrices plus rigoureuses qui ne seront peut-être pas du tout respectées, de sorte que la conservation s'en trouve améliorée. Le troisième argument, défendu le plus ardemment par M. Lane devant votre comité, c'est que les titulaires individuels de droits se préoccuperont davantage de la ressource en vue de protéger leur investissement, de protéger ce qui leur appartient. Cet argument relève davantage du domaine psychologique -- le QIT entraîne un changement d'attitude, il responsabilise.

Ces arguments sont-ils valables? Je commencerai par émettre certains doutes au sujet de ces arguments, par me faire l'avocat du diable un instant, bien que je ne sois pas tout à fait opposé à l'idée. Tout d'abord, en règle générale, contrairement aux affirmations, il n'est pas si évident que cela que les QIT ou d'autres approchées basées sur la propriété produisent d'office ces avantages ou qu'ils les produiront toujours.

Si l'on commence par examiner la surcapacité de pêche, on peut supposer que c'est le seul ou le grand problème. Dans certains exposés, après avoir lu leur transcription, je remarque que l'on établit à l'occasion un lien entre la surcapacité et le nombre de joueurs qui pratiquent une pêche donnée, ce qui n'est tout simplement pas le cas. Du moins dans certains cas, il est possible que d'autres problèmes aient autant d'influence, par exemple la destruction de l'habitat, la technologie des engins de pêche, le changement climatique et l'interaction avec le cycle naturel de la ressource. Nous avons peut-être repéré le problème comme étant un manque de droits de propriété. Nous constatons donc qu'il faut le régler en ayant recours à des droits de propriété et en les bonifiant. Cependant, cette conclusion est fausse si l'hypothèse de départ est fausse. C'est un peu comme si l'on se promenait avec un marteau et que tout commençait à ressembler à un clou.

De plus, même si la surcapacité de pêche est le problème central, qu'est-ce que cela signifie? Il importe de se rappeler que la surcapacité de pêche ne se définit pas en fonction d'un quelconque nombre absolu. Elle est fonction de plusieurs facteurs. Tout d'abord, elle est fonction du rapport entre la capacité de pêche et la ressource, une ressource qui fluctue avec le temps. La fameuse analyse faite par Garrett Harden de la tragédie du patrimoine naturel reposait sur une ressource essentiellement statique pour laquelle la seule véritable variable était la quantité exploitée. De toute évidence, dans le domaine des pêches, la ressource fluctue par elle-même, en partie à cause de son exploitation par l'homme, mais en partie pour d'autres raisons. Par conséquent, on peut peut-être abaisser la capacité au niveau désiré et constater, l'année suivante, qu'elle demeure excessive parce que la ressource n'est pas statique. C'est un ratio, plutôt qu'un nombre absolu.

Les titulaires de QIT sont-ils moins susceptibles que les groupes de titulaires de quotas d'exercer des pressions sur le ministre pour le convaincre de ne pas réduire leur allocation à ce moment-là? L'alternative, si les QIT sont permanents ou que leur échéance est plus longue, pourrait être que le ministre ne puisse réduire la capacité quand il le faut, et il n'existe alors pas de solution au problème de la surcapacité de pêche.

Comme deuxième point, j'aimerais dire que le genre de capacité est important. La première chose qui nous vient à l'idée à ce moment-là a tendance à être la grosseur et le genre de navire. Ces caractéristiques sont évidemment importantes, mais il existe un autre problème. De simples calculs de la capacité pourraient ne pas suffire, en partie à cause des fluctuations dans le temps, mais aussi parce qu'il faut tenir compte du genre de propriétaire et de la structure des entreprises. La capacité a-t-elle le même impact quand le navire est la propriété d'une petite entreprise peut-être plus flexible que lorsqu'il est la propriété d'une société dont les actions sont cotées en bourse par exemple? Pourriez-vous soutenir que les pressions exercées sur une société en vue d'obtenir des rendements constants sur l'investissement, trimestre après trimestre, seraient plus grandes? Dans l'affirmative, cette forme de capacité devient beaucoup plus continue et l'élément temps compte. Un tel genre de capacité ou une pareille entreprise est incapable de s'accommoder des inévitables revirements de Dame Nature et du cycle de la ressource. C'est en tous cas possible.

Qu'en est-il de la possibilité de faire respecter les QIT? Je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet, mais je dirai que oui, en théorie, on peut les faire respecter. Toutefois, leur exécution pourrait poser deux problèmes. Le premier, c'est que le fait d'être plus facilement exécutable que le régime actuel ne résout pas toute la question. Il faut prendre du recul et décider si les gains sur ce plan peuvent être réalisés par des moyens autres que le recours à des droits de propriété. Second problème, il demeure important de savoir ce qu'on fait respecter. À moins d'être disposé à sacrifier toute prétention à la conservation, il faut un quelconque mécanisme de contrôle réglementaire. Il faut qu'il inclue à tout le moins la capacité de réduire les QIT lorsqu'en raison de son cycle naturel, la ressource baisse. Même si vous avez bien effectué tous vos calculs sur le plan de la capacité, sur le plan de la reproduction de la ressource, comme nous l'avons appris, cette ressource peut quand même être affectée par des facteurs environnementaux imprévus ou d'autres facteurs qui exigent une réduction.

Voilà qui nous amène à la question du caractère exécutoire sur le plan politique, un problème que nous avons déjà eu dans le passé et qui pourrait bien s'aggraver sous un tel régime. Prenons l'exemple d'une très forte concentration de la propriété des QIT au sein d'une entreprise à intégration verticale. Il n'est pas nécessaire que le régime soit ainsi, mais s'il l'est, quel genre de pressions cet intérêt unique peut-il exercer sur le ministre en vue d'éviter une réduction, même si elle est essentielle du point de vue de la conservation? Quand il y a danger qu'on mette au chômage toute une collectivité ou un groupe de collectivités d'un seul coup, à quel point est-ce exécutoire en réalité?

Enfin, il y a la question du changement d'attitude, l'aspect psychologique. Bien qu'on en parle souvent comme d'un simple fait, y compris dans certains exposés, cette question pose problème parce qu'elle est spéculative, même dans un contexte individuel. Il convient de soulever quelques points au sujet de l'endroit où ces instruments seront plus ou moins efficaces en ce qui concerne les changements d'attitude, la responsabilisation.

Plus particulièrement, j'en reviens à nouveau au contexte des sociétés dont les actions sont cotées en bourse. Supposons qu'il y a accumulation des QIT et supposons qu'ils se retrouvent entre les mains d'une grande société. Comment peut-on soutenir qu'une société dont la direction se trouve en un lieu, les actionnaires en un autre et le conseil d'administration et les employés ailleurs répondra aux mêmes motivations psychologiques quant à sa propriété qu'un individu? Le droit considère peut-être les sociétés comme des personnes morales, mais il est bien le seul.

Qu'est-ce qui motive une entreprise? Sa motivation peut varier. Elle peut comprendre, pour des raisons financières, de protéger son avoir en capital. Ce point a son importance, mais il y a beaucoup plus. Ainsi, la société subit les caprices de la bourse. Aujourd'hui, étant donné la rapidité des transactions et l'impact que cela a rapidement sur une société, on pourrait prétendre que les sociétés subissent des pressions en vue d'afficher un profit chaque trimestre ou d'en subir les conséquences, même si cela devait entrer en conflit avec le cycle d'une ressource qui ne peut soutenir ce genre de pression constante.

Le rendement de l'investissement est en réalité la clé de nombreuses décisions prises par les entreprises. Théoriquement, elles pourraient être tout à fait disposées à détruire une ressource et, en corollaire, une collectivité, et de passer à autre chose, de s'installer ailleurs si le rendement sur l'investissement est suffisant.

À titre d'exemple, je vous rappelle que des richesses naturelles du sous-sol comme le minerai et, peut-être dans une moindre mesure, la forêt ont été exploitées en fonction de droits de propriété quasi privés déjà. En toute logique, en raison de la nature du commerce, des sociétés se sont avérées à l'occasion tout à fait disposées à épuiser une ressource ou à abandonner et à détruire une collectivité une fois que l'investissement a été rentabilisé. C'est la responsabilité qu'elles ont à l'égard de leurs actionnaires. Nous ne pouvons pas avoir l'assurance qu'il en serait autrement dans les pêches.

Par contre, il se peut que la motivation ou l'échéancier d'un membre de la collectivité ou peut-être de la collectivité comme telle repose sur une échéance plus longue qu'un trimestre financier parce que cette personne a l'intention de rester.

En guise de conclusion, les QIT et d'autres solutions fondées sur le principe de la propriété pourraient convenir dans certains contextes et ne pas convenir dans d'autres. S'ils ne sont pas assortis de restrictions, l'accumulation et la concentration pourraient éliminer certains des principaux avantages que l'on pourrait en obtenir. On pourrait soutenir qu'il serait des plus avantageux que ces QIT soient plus limités en termes de transférabilité. Ainsi, on pourrait peut-être exiger qu'ils demeurent au sein d'une collectivité, limiter la taille des entreprises suffisamment pour que la notion de propriété et de responsabilité ait un sens, limiter l'accumulation, qui élimine la possibilité d'une gestion locale, autre avantage qui a du potentiel.

Ces solutions pourraient être idéales pour certains types de pêche, par exemple, si l'on se fie à l'expérience, pour une ressource plus statique comme la palourde ou une méthode de pêche plus statique, comme celle du hareng. Celles-ci semblent se prêter davantage aux notions de propriété en raison de leur nature statique.

Il faut ensuite bien tenir compte des causes du problème que l'on essaie de régler. Les QIT règlent peut-être le problème des droits de propriété, mais le manque de pareils droits n'est peut-être pas le seul problème. Il faut vérifier que ce manque est la cause principale ou l'unique cause.

Après avoir évalué l'expérience vécue avec les QIT ailleurs et au Canada, je vous conseillerais d'attendre un peu. Souvent, ces solutions sont qualifiées de succès et de panacée avant qu'on ait en main les données à long terme. Je lisais un article rédigé en 1988 au sujet de l'énorme succès remporté, sur le plan de la conservation, par les allocations aux entreprises sur la côte est du Canada. Il a fallu bien des années avant de vraiment détruire la pêche sur la côte Est. On apprend maintenant, du moins à partir d'un exemple en Nouvelle-Zélande, que l'effet à long terme, une fois que la ressource a fait un cycle complet, pourrait être différent. Assurez-vous que les conditions sont les mêmes à l'endroit où la mesure a connu du succès que là où l'on projette de l'appliquer au Canada.

Enfin, lorsqu'on évalue la contribution des QIT à la durabilité, il faut définir cette durabilité comme étant quelque chose de plus que de la simple efficacité. Nous avons besoin d'une industrie durable, nous avons besoin d'une collectivité durable et nous avons besoin d'une ressource durable. Le mot ne désignera pas la même réalité, selon la personne qui l'utilise.

Dernier point, je vous inciterais à prendre garde aux arguments voulant qu'un simple changement dans le rapport juridique avec la ressource résolve tous les problèmes que suscite la gestion des ressources naturelles. Peu importe à quel point elles sont bien structurées, les obligations juridiques, qu'elles aient trait au total des prises admissibles ou aux quotas, ne forceront pas la ressource à se comporter de façon prévisible et agréable, en accord avec le plan d'entreprise. Voilà où le bât blesse. Je suis inquiet quand j'entends dire que l'un des principaux avantages des QIT, c'est qu'ils permettront à l'industrie de planifier ses investissements à plus long terme. Un témoin qui m'a précédé l'a affirmé. Je lui réponds que cela lui permettra peut-être de faire semblant de planifier son investissement, mais qu'à moins de pouvoir convaincre le poisson de coopérer, cette planification est en grande partie illusoire.

Le président: Merci de votre exposé, monsieur Saunders. Il y avait un aspect de notre étude à propos duquel nous avions besoin de plus d'explications et vous venez justement de nous les fournir ce matin. Votre exposé tombe également à point nommé parce que nous recevrons, à notre prochaine séance du 20 octobre, des témoins de la Nouvelle-Zélande qui ont entièrement privatisé leurs ressources. Votre témoignage va nous aider à préparer les questions que nous pourrons leur poser.

Cela dit, je vais céder la parole aux membres du comité, et d'abord au sénateur Stewart.

Le sénateur Stewart: J'abonde dans le même sens que vous, sénateur, pour dire que l'analyse des aspects juridiques des quotas individuels est extrêmement utile. Nous sommes tous très heureux, j'en suis sûr, que M. Saunders nous ait fournit ces explications.

J'ai d'ailleurs une bonne raison de remercier M. Saunders pour son exposé parce que j'ai soutenu devant le comité qu'un permis de pêche pour le homard, par exemple, est une forme de propriété de sorte que les quotas individuels transférables ne constituent pas une approche de gestion des pêches entièrement nouvelle. Ce que vous nous avez dit ce matin montre comment la notion de propriété est compliquée.

Vers la fin de votre exposé, vous avez rapidement signalé que les quotas individuels transférables vont favoriser la gestion des ressources naturelles. Ce qui m'inquiète, c'est le problème des prises accidentelles. Le quota peut viser une espèce, mais qu'en est-il des autres espèces pêchées par accident? Les quotas individuels transférables pourraient-ils favoriser une meilleure gestion des ressources naturelles, compte tenu des prises accidentelles, que les quotas généraux ou les quotas collectifs, par exemple?

M. Saunders: C'est une excellente question, sénateur. Je vous répondrai que non, je ne pense pas. Quand j'ai parlé des avantages sur le plan de la gestion, j'ai formulé des arguments de base avec lesquels je ne serais pas nécessairement d'accord. Le problème du contournement des règles est le même avec n'importe quel sorte de quota, même les QIT. Ce qu'on veut c'est pêcher l'espèce pour laquelle on a un quota. C'est ce qu'on fait et le problème des prises accidentelles reste grave.

Ça prouve deux choses: premièrement, qu'il faut déterminer le problème de gestion sous-jacent avant de décider si c'est une solution; deuxièmement, que ces quotas pourraient peut-être mieux convenir à certains types de pêche où il y a moins de risque de prises accidentelles. J'en conviens et ces deux aspects sont à considérer.

Le sénateur Stewart: Maintenant, sur un autre sujet, j'ai une question un peu plus générale à vous poser et peut-être un peu plus difficile à répondre. Elle a trait au rapport entre la société et l'industrialisation. Avez-vous pensé aux répercussions sur les gens de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau- Brunswick et de Terre-Neuve de l'implantation du modèle de l'usine, du modèle industriel? C'est un modèle qui se répand en agriculture où les exploitations agricoles sont plus importantes, les troupeaux plus grands et la production de lait accrue. Aujourd'hui, trois ou quatre exploitations produisent autant que 20 ou 24 fermes autrefois. On se demande jusqu'où aller dans ce sens.

Dans l'industrie de la pêche, la société existe-t-elle pour le marché ou utilisons-nous le marché dans l'intérêt de la société? Est-ce que les moyens, ou un des moyens, deviennent une fin dans le mode de gestion adopté et, plus précisément, quand on applique les quotas individuels transférables?

M. Saunders: Sénateur, je vous préviens tout de suite que je ne suis pas un expert en économie et en sociologie, mais je vais vous donner mon opinion, qui est celle de quelqu'un qui vient d'une petite localité de cette région. En fin de compte, le débat devrait traiter de la viabilité des localités de la côte Est. Les gens là-bas ont un mode de vie bien à eux. Je pense qu'on ne peut pas discuter seulement de la viabilité d'une industrie ou d'une entreprise au sein d'une industrie. M. Charles a étudié la question et s'est justement demandé pourquoi ne pas tenir compte du coût social associé au mode de gestion utilisé dans le cas d'une ressource qui a été publique.

Si les QIT ne sont pas limités ni réglementés, on soutient que nous nous orientons vers ce que vous appelez le «modèle industriel». Je crois que ce modèle entraînera la disparition des petites localités et que c'est la société et non l'industrie qui, d'une certaine façon, en paie le prix. Je ne pense pas qu'il faille aller dans cette direction.

Par contre, la dure réalité commerciale impose sa solution. Je ne pense pas que ce soit une voie à suivre parce que, comme je l'ai dit, cette approche ne tient pas compte des inévitables fluctuations à long terme des ressources peu importe le mode de gestion qu'on adopte. L'industrie de taille réduite, plus diversifiée et plus souple peut, en fait, être plus efficace à très long terme. Ça ne paraît pas être le cas à court terme parce qu'il est beaucoup plus efficace de pêcher beaucoup de poisson et de le vendre plus rapidement, mais ce n'est pas nécessairement vrai si, à long terme, la pêche entraîne essentiellement ou effectivement la disparation des ressources.

Le sénateur Robertson: Monsieur Saunders, vos explications de ce matin m'ont éclairée sur les droits de propriété, la propriété des permis à quotas. Dans bien des cas, les quotas peuvent être donnés en garantie pour obtenir un prêt bancaire et ils pourraient même être divisés en cas de divorce. Pour le MPO, un permis de pêche est un privilège qui permet à son titulaire, à la discrétion du ministre des Pêches et des Océans, de participer à une pêche donnée. Ce n'est pas un droit de propriété à l'égard de la pêche ou du poisson; il ne s'agit donc pas d'une privatisation des ressources. Le ministère semble avoir une idée assez claire de la question.

Sur le plan juridique, dans quelle proportion, en pourcentage, les permis de pêche accordent-ils un droit de propriété, et dans quelle proportion constituent-ils un privilège? Le MPO refuse toujours d'admettre qu'ils accordent un droit de propriété. Je ne dis pas qu'il a tort mais c'est très déroutant.

M. Saunders: Vous avez raison, c'est déroutant. Vous avez déjà entendu parler de documents comme la Grande Charte. J'essaie d'éviter d'en parler parce que j'ennuie royalement mes étudiants quand je le fais, mais je n'ai pas le choix ici. La Grande Charte précise ce sur quoi le MPO se fonde pour dire qu'un permis de pêche n'accorde pas de droit de propriété. Nous n'avons pas à nous occuper de ce qui s'est passé avant sa signature. Depuis son adoption, ni le gouvernement ni la Couronne n'accorde ce droit, mais les assemblées législatives pourraient le faire en adoptant une loi claire et explicite en ce sens.

On exagère peut-être en disant qu'un permis de pêche est simplement un privilège. En pratique, il constitue plus qu'un privilège parce qu'il y a des contraintes et des dispositions administratives qui définissent les considérations d'équité à respecter pour le retirer.

De plus, autant que je sache, on peut acheter ou vendre des permis, ce qui en fait une propriété à bien des égards. Je dirais que ce qui peut être acheté et vendu est une propriété à presque 50 p. 100, même si je n'aime pas donner de chiffres.

Un quota individuel transférable est plus qu'un permis. Il accorde un droit tangible. Selon la façon dont il est structuré et la façon dont le ministre peut le supprimer, parce que tout cela doit être prévu dans la loi, c'est plus ou moins une propriété. Il constituerait une propriété à plus de 50 p. 100 compte tenu de la façon dont on l'a utilisé. Il faut voir si chaque titulaire de permis, de quotas ou d'allocations aux entreprises s'en sert comme d'une propriété. Peut-il s'en servir pour garantir un prêt? Peut-il le vendre à son voisin? Peut-il s'en servir pour empêcher l'accès de quelqu'un à cette pêche? Voilà les questions à poser pour définir si un quota est, oui ou non, une propriété.

Dans le cas de la pêche au hareng, le permis constitue une propriété dans une proportion beaucoup plus grande qu'un simple permis de pêche, un permis général de pêche commerciale, qui se situe au bas de l'échelle.

Le sénateur Robertson: Monsieur Saunders, avez-vous travaillé avec le gouvernement sur le projet de loi sur les pêches ou agi à titre de consultant auprès du MPO?

M. Saunders: Non, pas du tout.

Le sénateur Robertson: Alors vous ne pourrez peut-être pas répondre à ma prochaine question. Un député nous a affirmé que cette nouvelle loi sur les pêches supprimera le droit public de pêcher. Cela semble bien aller dans ce sens. Connaissez-vous assez le projet de loi pour commenter cette déclaration?

M. Saunders: Oui, dans une certaine mesure. Je crois que le MPO adopterait probablement un point de vue de ce genre, et M. Wildsmith a écrit quelque chose à ce sujet. Le droit public de pêcher existe et ne peut être supprimé qu'en vertu d'une loi. Il n'est pas tout à fait juste de dire que ce droit public est éliminé, parce qu'il était depuis toujours accordé sous réserve des règlements adoptés par l'assemblée législative, en toute légitimité. On débat de la question et je crois qu'il y a actuellement un procès à ce sujet, où il est soutenu qu'en procédant par voie administrative l'État agirait clairement sans autorisation explicite de la loi, ce qui serait nier le droit public de pêcher, un droit qui est admis depuis la signature de la Grande Charte. Je suppose que ce sera aux juges d'en décider.

Le problème que soulève le projet de loi -- et c'est en partie un débat politique -- est le degré de latitude à donner au ministre pour accorder ces droits ou les retirer. On pourrait soutenir que, si le ministre avait une latitude trop grande et pouvait, en somme, retirer le droit public de pêcher, il agirait sans l'accord explicite de l'assemblée législative et que c'est la Couronne qui s'en serait occupé. Il faudrait vraiment soumettre cette question aux tribunaux.

Le président: Avant de passer à la prochaine question, j'aimerais poursuivre dans le même ordre d'idée avec la question de la quasi-propriété ou de la propriété.

Prenons un exemple. Supposons qu'un détenteur de QIT engage des poursuites judiciaires afin de faire déterminer une fois pour toutes si les permis qu'il détient constituent une propriété. Cette personne peut vouloir vendre ses permis, QIT, QI ou AE, a une entreprise étrangère qui lui offre un meilleur prix. Supposons que le ministre dise «non, ce n'est pas possible, parce que nous ne le voulons pas». Supposons que cette personne porte la question devant un tribunal en soutenant que c'est sa propriété et qu'elle a le droit d'en faire ce qu'elle veut. Nous savons que le MPO est très favorable au concept des QIT et d'aucuns pourraient penser qu'il serait tout aussi disposé à reconnaître que les QIT constituent une propriété.

Je pourrais donner quelques exemples. Récemment, le MPO a émis des communiqués de presse indiquant que les QIT étaient permanents. À ma connaissance, le ministère s'est prononcé en ce sens à deux reprises. Pour moi, ça ressemble tout à fait à une propriété.

La plupart des quotas individuels sont très rapidement devenus transférables. Encore là, ça respecte les droits de propriété.

J'aimerais souligner que, plus récemment, à la suite de l'annonce par le ministre de la mise sur pied d'un comité chargé d'étudier la question du partenariat, un communiqué de presse a indiqué que les intervenants appuyaient dans l'ensemble le concept de partenariat. J'en ai été étonné. On ajoutait que ce n'était pas le concept de partenariat qui posait problème, mais plutôt la manière dont il serait appliqué. Là encore, j'ai été quelque peu surpris. Je ne m'attarderai pas sur la manière dont cette question a pu être abordée dans le communiqué de presse. Quoi qu'il en soit, il me semble que certaines affirmations douteuses ont été faites.

Revenons à l'exemple de la personne qui traîne le ministre devant le tribunal. D'après vous, que se passerait-il? Je sais que je vous pose une colle. Si vous ne pouvez y répondre, je vais vous poser une autre question.

Si le détenteur de QIT avait gain de cause, que se passerait-il? Sa propriété ne serait-elle pas alors régie par la province si bien que le gouvernement fédéral n'aurait plus rien à dire sur ce que le détenteur fait de son permis?

M. Saunders: Votre question est excellente quoique hypothétique il est vrai, monsieur le président. D'abord, la vente de son permis sans restriction à un pays étranger, par exemple, dépend entièrement des restrictions prévues dans la loi à ce sujet. Il faut se rappeler que si le quota peut constituer un droit de propriété, ce qui est le cas, c'est grâce à ce que prévoit la loi, sinon il ne peut exister en raison de la nature des pêches en common law.

Le permis constitue une forme de propriété mais, si le système est bien structuré, on limite comment et à qui le permis peut être transféré. S'il n'y a pas de limite, je crois que le détenteur de permis dans un cas pareil aurait gain de cause et que rien ne l'empêche de vendre son droit, mais il y a d'autres moyens de le limiter.

Pour ce qui est de l'application de la loi provinciale, il y a une nuance à apporter. C'est le gouvernement fédéral ou le Parlement qui établit le droit. Il peut être assujetti aux lois provinciales s'il constitue une propriété visée par une «loi sur la vente d'objets» provinciale, par exemple. Dans ce cas, dans la province, il est considéré comme un bien qui peut être échangé, mais ça n'élimine pas le droit de regard du gouvernement fédéral qui a compétence dans le domaine des pêches.

Un gouvernement n'en engage pas un autre, même si on prétend que le droit est permanent. Si le gouvernement fédéral a le pouvoir de supprimer un droit, c'est finalement son pouvoir législatif sur les pêches qui primerait. D'après moi, ce droit régi par la loi provinciale reste tributaire de ce qui est prévu au niveau fédéral. Ce serait une façon acceptable de voir les choses, sans éclipser la compétence fédérale.

Le président: Je reviens à l'idée de limiter le transfert des permis dans la loi. Vous savez probablement très bien que, en principe, le transfert des QIT en Nouvelle-Écosse est limité à 2 p. 100. Il faudrait peut-être vérifier si cette règle est vraiment suivie ou si elle est loin de l'être.

Cela dit, je cède la parole au sénateur Butts.

Le sénateur Butts: Bienvenue, monsieur. Vous nous avez beaucoup éclairés. Sans vouloir vous mettre dans l'embarras, j'aimerais vous poser une question sur la copropriété et la propriété privée. J'aimerais savoir si vous favorisez davantage la propriété privée ou les QIT, ou les QIT dans la mesure où ils n'appartiennent pas aux grosses entreprises, ou encore si vous privilégiez la copropriété?

M. Saunders: Il y a beaucoup d'éléments dans votre question.

Le sénateur Butts: Je vous ai donné trois possibilités, plus peut-être celle de toutes les rejeter.

M. Saunders: Je crois que la copropriété est une option utile qui est souvent critiquée injustement. Le système de copropriété peut-être géré avec efficacité. J'ai travaillé dans de nombreux autres pays, même dans le domaine des ressources terrestres. J'ai travaillé il y a longtemps dans les régions rurales du Botswana aux prises avec le problème du surpâturage. On a voulu régler le problème en privatisant certains pâturages communs, mais ça n'a pas marché. La source du problème ne venait pas du surpâturage mais de toute une série d'autres facteurs l'ayant entraîné et, en fait, certains champs communs étaient bien gérés.

Je suis pour le régime en copropriété là où il fonctionne, parce qu'il peut aider les collectivités à subvenir à leurs besoins. Je suis pour l'attribution de QIT, mais seulement là où une telle formule peut être appliquée. Je crois également en faveur de l'imposition de restrictions à l'égard des QIT, afin de s'assurer qu'ils se retrouvent entre les mains de personnes qui seront le mieux à même d'exercer le genre de contrôle de gestion que nous voulons. Il faut éviter que les deux parties adoptent des positions idéologiques bien arrêtées. On peut être totalement contre les QIT si on a l'impression qu'ils entraînent la privatisation de la ressource. On peut être totalement pour les QIT si on a l'impression qu'ils vont nous permettre de nous enrichir. Dans les deux cas, on fait fausse route. Il faut voir les choses sous leur aspect pratique, pas idéologique. Les QIT peuvent fonctionner dans certains cas, et ne pas fonctionner du tout dans bien d'autres cas.

Un des sénateurs a déclaré, au cours d'une réunion antérieure, que le MPO semblait vouloir, dans ce dossier-ci, passer en quatrième vitesse. Je pense qu'il risque d'aller trop vite. Il faudrait, à mon avis, prendre le temps d'ajuster notre tir.

Le sénateur Butts: Vos commentaires sont utiles. Ce qui m'inquiète, c'est que si je dois attendre de voir s'ils fonctionnent, je ne serai plus là. Seriez-vous en faveur de l'attribution de quotas collectifs, et est-ce que ces quotas permettraient de venir à bout de certaines des réserves que vous avez formulées au sujet des QIT?

M. Saunders: Oui, j'ai toujours été en faveur de l'attribution de quotas collectifs qui sont appliqués correctement. Ils conviennent parfaitement à la pêche qui est pratiquée dans une région restreinte, les zones de pêche locales, traditionnelles. En Nouvelle-Écosse, les gens savent où ils peuvent pêcher, peu importe ce que laisse entendre le MPO. Les droits collectifs sont très importants. J'admets, toutefois, qu'il est facile de s'écarter de la réalité, car il y a des groupes et des intérêts au sein de la plus petite collectivité qui peuvent mener au même genre de problèmes. Ce n'est pas une panacée, mais je crois qu'une approche axée sur la collectivité constitue, en bout de ligne, la solution idéale dans ce coin-ci du pays.

Le sénateur Butts: Quand la copropriété cesse-t-elle d'exister? Y a-t-il des limites qu'on ne peut franchir?

M. Saunders: Non. Vous posez là une question intéressante et des plus complexes. Je me suis penché là-dessus dans le passé. J'ai fait des recherches en Asie du Sud-Est et ailleurs sur la pêche en copropriété, et j'ai comparé les résultats à certaines études qui avaient été réalisées dans la région nord-est des États-Unis et en Nouvelle-Écosse où l'on a déjà pratiqué la pêche en copropriété, mais selon un régime collectif plutôt que de façon illimitée. Pour nous, la pêche en «copropriété» est synonyme de pêche libre, non réglementée. On pourrait soutenir que la pêche, du moins sur cette côte-ci, n'a jamais été illimitée, même avant que le gouvernement n'adopte des règlements. Elle a toujours été privée, dans une certaine mesure, et les collectivités en sont parfaitement conscientes.

Il existe une différence entre le droit de propriété collective à l'égard d'une zone ou à d'une ressource, et le droit de copropriété absolue assortie d'un accès illimité. Nombreux sont ceux qui estiment que la pêche en copropriété a été détruite par les systèmes d'octroi de permis. Je ne crois pas que ce soit le cas. Ces permis ont été octroyés de façon informelle au niveau des collectivités, et le sont toujours. Certaines personnes se sont même lancées des menaces à cause de cela au cours de la dernière année. Cet incident, bien que déplorable, dénote l'existence d'un problème.

Le sénateur Stewart: Monsieur le président, comme nous avons avec nous un expert qui connaît très bien les aspects juridiques du problème, nous devrions profiter pleinement de sa comparution. J'aimerais lui poser deux ou trois questions sur les règles de droit qui s'appliquent dans ce cas-ci.

Le sénateur Comeau vous a demandé si, par suite de l'instauration d'un régime de quotas individuels transférables, qui seraient considérés comme un droit de propriété ou de quasi-propriété, ce droit de propriété tomberait sous le coup du pouvoir législatif non pas du Parlement du Canada, mais des assemblées législatives provinciales. C'est une question très simple.

Je sais que le comité judiciaire du Conseil privé a été appelé à se prononcer à maintes reprises sur le sens du mot «propriété» qui est utilisé à l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il y a sûrement une cause qui a été portée non pas nécessairement devant le Conseil privé, mais devant la Cour suprême du Canada à ce sujet, n'est-ce pas? Dans l'affirmative, de quelle cause s'agissait-il?

M. Saunders: Je ne suis pas un spécialiste du droit de propriété, tel qu'il est défini dans la Constitution. Je ne sais pas s'il y a déjà eu une telle cause. Je peux vérifier auprès de mes collègues, mais j'ai eu l'occasion de discuter de cette question avec certains d'entre eux, et nous avons conclu qu'il n'y a pas nécessairement de conflit, qu'un bien obtenu dans le cadre d'une loi fédérale peut être régi par une loi provinciale, c'est-à-dire la Loi sur la vente d'objets et autres lois.

Toutefois, cela ne met pas fin à la compétence qu'exerce le fédéral sur ce bien, sauf si, bien entendu, cette compétence s'étend à d'autres questions comme le transfert. Il est clair, d'après la loi constitutionnelle générale, que la compétence du gouvernement fédéral demeure intacte, tant et aussi longtemps qu'il continue de l'exercer.

S'il n'y a pas de conflit entre les deux, que la province exerce sa compétence sur la propriété et les droits civils et que le gouvernement fédéral n'intervient pas dans ce domaine, il n'y a pas d'incompatibilité avec la loi fédérale. Il n'y a pas nécessairement de conflit dans ce cas-là. Il pourrait y en avoir un si le gouvernement fédéral, par exemple, imposait une restriction sur le transfert de la propriété et que la province essayait d'abroger cette restriction. Dans ce cas-là, il est clair que la loi fédérale primerait.

Le sénateur Stewart: Il serait bon de savoir s'il y a déjà eu une telle cause.

J'aimerais poser une autre question d'ordre juridique. Quand vous avez parlé plus tôt de la Grande Charte, vous avez dit que, en raison de cette Charte, les droits de pêche privés étaient assujettis non seulement aux restrictions imposées par la Couronne, mais également aux restrictions et conditions imposées par les assemblées législatives. Ce qui m'amène à la question suivante: quand le Parlement du Canada a-t-il autorisé la mise en oeuvre, par le ministère des Pêches et Océans, du régime des QIT?

M. Saunders: La notion de partenariats soulève des problèmes, et la question a été portée devant les tribunaux. La Loi sur les pêches conférait au ministère suffisamment de pouvoir pour instituer des quotas et autres systèmes du genre de ceux que nous avons connus dans le passé. Ce pouvoir pourrait être contesté, mais je crois que s'il y avait contestation, l'assemblée législative pourrait intervenir pour remédier à la situation.

Par ailleurs, je crois que le fait de considérer les ententes de partenariat comme des dispositions administratives, de considérer la pêche comme une propriété privée et de restreindre le droit public de pêcher, peut constituer une abrogation inacceptable de ce droit. À mon avis, c'est là que se situe le problème.

Le sénateur Stewart: Vous dites que le ministère a le droit de procéder de cette façon en vertu de la Loi sur les pêches. Quand a-t-on modifié la Loi sur les pêches et ainsi permis au MPO d'affirmer -- d'une manière peu convaincante, bien entendu -- qu'il a le droit de prendre de telles mesures?

M. Saunders: Je ne peux pas vous donner de date précise, mais il faut aussi tenir compte des règlements. Je pense que la plupart de ces mesures ont été institées par voie de règlements au cours des années 70 et 80, le système ayant été modifié pendant cette période.

Le sénateur Stewart: Monsieur le président, je pose cette question parce que j'ai dit devant le comité que, dans son champ de compétence, le ministre des Pêches détient plus de pouvoir que tout autre ministre fédéral. C'est peut-être inévitable, mais les formulations de portée générale dans les lois m'inquiètent beaucoup. Je sais qu'on doit les employer dans certains cas, mais je me suis souvent demandé si on aurait accepté la chose si la Chambre des communes ou le Sénat avait dit autoriser ainsi le ministre à implanter les quotas individuels? Aurait-on approuvé cela? Cette disposition du projet de loi n'aurait-elle pas été rejetée? Je pense que oui.

Le président: On pourrait peut-être fouiller la question. Je suis heureux que vous ayez soulevé la chose, sénateur. On voudra peut-être examiner certains des commentaires faits au sujet de ce vaste pouvoir discrétionnaire que nous avons accordé à une personne et à ces collaborateurs.

Le sénateur Perrault: Monsieur le président, l'exposé de M. Saunders a été très instructif. Je viens de la côte Ouest où nous avons des problèmes. Ce ne sont pas exactement les mêmes que ceux de la côte Est, mais ils existent.

Vous avez dit, monsieur Saunders, que nous devons pouvoir convaincre le poisson de coopérer. Il est certain que la diminution croissante des espèces de poisson comestibles est un problème de fond partout dans le monde.

La semaine dernière sur la côte Ouest, David Suzuki a rendu public un rapport alarmiste qui indique que les espèces de poisson importantes disparaissent et continueront de disparaître à moins que nous remédiions à la situation d'une façon quelconque. Il a souligné que l'amincissement de la couche d'ozone a un effet sur le plancton et les organismes dont se nourrissent les poissons. Je sais que ce n'est pas précisément le sujet dont vous êtes venu nous parler, mais est-ce que la pêche de poissons riches en protéine vous inquiète tout autant?

M. Saunders: Sénateur, je pense que c'est une partie du problème. En fait, ce que j'ai dit, c'est qu'à moins de pouvoir convaincre le poisson de coopérer la planification est illusoire. C'est le problème. Je sais que je simplifie à l'extrême, mais ce qui arrive partout dans le monde c'est qu'on essaie d'ajuster le comportement d'une ressource naturelle imprévisible et fluctuante à des plans d'investissement de cinq ans ou de dix ans. Ça ne fonctionne pas.

Ce n'est pas la faute des scientifiques ou d'autres si on ne peut faire de prévisions. Ce sont des choses imprévisibles; il y a toute une série de facteurs qui font que le poisson est une ressource naturellement imprévisible dans une certaine mesure. Pourtant, tout ce qu'on a essayé de faire depuis les négociations sur la Convention sur le droit de la mer, à la fin des années 60 et au début des années 70, suppose qu'on fasse des prévisions, qu'on fixe un total de prises admissibles et que tout ira bien. Ça ne fonctionne pas de cette façon.

Il faut faire preuve de souplesse. Cela rend parfois les choses difficiles pour les grandes entreprises qui doivent planifier à plus long terme. Dans le cas de la morue du Nord, les gens ont planifié en fonction d'un quota, mais «un quota» n'est pas un poisson.

Le sénateur Perrault: Ils ont oublié de tenir compte des impondérables.

M. Saunders: Oui, on croit que si on fait tout dans les règles, il n'y aura pas de problème, mais ça ne fonctionne pas de cette façon.

Le sénateur Perrault: Sur la côte Ouest, par exemple, on a dit que trois grands navires-usines pourraient capturer tout le saumon pêché chaque année en Colombie-Britannique. Cependant, il y a des gens qui viennent de petites localités où la pêche est la base de l'économie et qui veulent maintenir leur mode de vie. Nous vivons peut-être de grands changements.

M. Saunders: Peut-être, mais nous pouvons revenir en arrière. J'aime bien qu'il y ait de petites communautés de pêche parce que je crois que les gens devraient pouvoir choisir leur mode de vie. Qui plus est, comme il faut faire preuve de souplesse, je pense que les petites communautés et les petites pêches sont peut-être celles qui vont survivre parce qu'elles peuvent plus facilement que les pêches à forte densité de capital se passer d'une ressource si cela s'avère nécessaire.

Le sénateur Perrault: Vos explications sont très utiles.

Le président: Monsieur, au nom du comité, nous vous remercions de votre exposé de ce matin. Il a été très instructif. Vous nous avez apporté beaucoup d'explications que nous n'avions pas encore obtenues. Je vous laisse faire un dernier commentaire, si vous voulez.

M. Saunders: Merci de m'avoir accueilli aujourd'hui. Je crois vraiment que vos travaux auront une incidence déterminante sur ce que le MPO va faire dans les prochaines années.

Le président: Nous sommes d'accord avec vous. Nous aurons sûrement des choses à dire sur ce vers quoi on semble s'orienter.

La séance est levée.


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