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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 12 - Témoignages du 27 octobre 1998


OTTAWA, le mardi 27 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 19 heures pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous reprenons ce soir notre étude concernant la privatisation et l'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada. Notre premier témoin est M. John Annala, du ministère des Pêches néo-zélandais. Il comparaît ce soir grâce à la technologie des vidéoconférences.

M. Annala est entré au ministère des Pêches néo-zélandais en juillet 1995. Il a un doctorat de l'Université du New Hampshire et compte plus de 20 ans d'expérience en matière de recherche sur les pêches marines, d'évaluation des stocks et de gestion des pêches en Nouvelle-Zélande et à l'étranger.

Au milieu des années 80, M. Annala a participé à l'instauration des QIT en Nouvelle-Zélande. Depuis septembre 1997, il est membre du comité d'étude du Conseil national de recherche des États-Unis chargé d'examiner les quotas individuels transférables aux États-Unis.

Monsieur Annala, vous avez peut-être des observations liminaires à faire après quoi plusieurs membres du comité voudront probablement vous poser quelques questions. Merci beaucoup d'avoir accepté de comparaître devant nous pour nous expliquer ce qui se passe en Nouvelle-Zélande. Cela nous sera très utile.

Allez-y, s'il vous plaît.

M. John Annala, gestionnaire, Politiques scientifiques, ministère des Pêches, Nouvelle-Zélande: Honorables sénateurs, c'est un honneur et un privilège pour moi que de comparaître devant votre comité.

J'aimerais tout d'abord vous décrire brièvement le système néo-zélandais de quotas individuels transférables et résumer certaines des leçons que nous avons tirées de l'expérience des douze dernières années.

La Nouvelle-Zélande a commencé à imposer des QIT dans toutes ses pêches en 1986. C'est probablement le pays qui a la plus longue expérience de la gestion des QIT au monde, à l'exception peut-être de l'Islande. C'est relativement une très longue expérience. Plus de 90 p. 100 de toutes les espèces, pour ce qui est de la valeur totale débarquée, sont maintenant gérées par QIT.

Lorsque les QIT ont été introduits en 1986, on poursuivait deux buts très précis. Un des atouts du système, c'est que les buts et objectifs étaient clairement énoncés. Il y avait un but de conservation, pour limiter les prises à des niveaux qui permettraient une production maximale à partir des stocks. Il y avait aussi un but de répartition pour optimiser le rendement économique pour le pays.

Le système des QIT présentait un certain nombre d'éléments essentiels. Le droit de propriété fondamental est le quota individuel transférable. Le QIT est accordé à perpétuité et ne peut à aucun moment revenir à l'État.

Des restrictions ont été imposées au contrôle étranger. Il est actuellement limité à 40 p. 100; toutefois, ce pourcentage est actuellement réexaminé. Il y a des limites de concentration imposées aux propriétaires, selon les pêches. Pour les petites pêches côtières, qui sont essentiellement le fait de petits propriétaires, comme le homard et l'ormeau, la limite de concentration est aussi faible que 2 p. 100. Pour les grandes pêches industrielles hauturières, cela peut aller jusqu'à 35 p. 100.

Les QIT peuvent être achetés, vendus ou loués librement. Il existe un certain nombre de mécanismes très souples permettant le transfert des QIT. Les TPA sont rajustés par des QIT proportionnels plutôt que par le gouvernement qui entrerait sur le marché pour acheter et vendre des quotas. Le principal mécanisme de surveillance et d'application est un document informatisé des prises par rapport aux quotas.

Je vais rapidement passer en revue l'expérience des douze premières années, tant pour les avantages ou gains que cela représentait pour la gestion des pêches locales que pour les coûts et certains des problèmes que nous avons rencontrés.

La situation biologique de la ressource s'est améliorée. Lorsque les QIT ont été instaurés en 1986, la plupart des pêches côtières de poisson et, à un moindre égard, de crustacés faisaient l'objet d'une forte surpêche tant du point de vue biologique qu'économique. Les premiers TPA ont réduit les prises de 25 à 75 p. 100. Aussi, les premiers TPA ont eu un effet important sur les niveaux de prises qui a permis aux stocks de poisson côtiers de se reconstituer ces douze dernières années.

Les QIT ont également donné un accès sûr à cette ressource. Comme je le disais, les QIT peuvent être achetés, vendus et négociés librement. Cela a donné aux intéressés, en particulier aux pêcheurs commerciaux, un intérêt direct dans les pêches et leur a garanti un accès sûr. Il y a aussi eu un effet secondaire sur les investissements dans le secteur des pêches à divers égards auxquels je reviendrai tout à l'heure.

Il est évident que les forces du marché structurent une industrie orientée sur le marché. Cela permet aux détenteurs de QIT de structurer leurs opérations, d'optimiser leur rendement économique plutôt que d'aller se battre pour attraper le poisson les premiers comme ils étaient obligés de le faire avec les TPA ou dans une pêche avec limitation de l'effort. À cet égard, cela a été très avantageux pour ce secteur.

Avant l'instauration des QIT pour la pêche au homard, la majeure partie du produit était vendue à l'étranger sous forme de queues congelées. Ce secteur a maintenant restructuré ses opérations et 80 p. 100 des prises sont vendues sous forme de homard vivant. Les prises sont en fait étalées sur toute l'année pour pouvoir profiter des périodes de pointe du marché.

Une situation très similaire a vu le jour dans le secteur côtier très important qu'est celui du vivaneau, où une bonne part des prises sont maintenant vendues réfrigérées. Les pêcheurs ont restructuré leurs opérations pour obtenir ce résultat.

Un des arguments importants qui avaient été invoqués en faveur des QIT était une réduction de la surcapitalisation dans ce secteur. Malheureusement, nous n'avons pas réuni de statistiques économiques en Nouvelle-Zélande pour savoir si cela s'est vraiment produit.

Les QIT ont d'autre part donné plus de liberté, de souplesse et de sens des responsabilités à ce secteur. J'ai parlé brièvement de la plus grande latitude dont jouissent les pêcheurs pour structurer leurs opérations.

Le secteur des pêches a certainement assumé une responsabilité accrue en matière d'intendance des ressources et de conservation. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dépassement de quota ni de braconnage. Il y en a. Toutefois, le secteur finance ses propres recherches. Pour les pêches en eaux profondes, ils consacrent environ 1 million de dollars à leurs propres évaluations indépendantes des stocks. C'est la même chose pour la pêche au homard.

Un autre argument invoqué au début du système des QIT était une moins grande ingérence gouvernementale. Cela ne s'est pas vérifié pour tout un éventail de raisons, l'une étant que l'industrie a demandé un système de gestion souple. Malheureusement, cela n'a pas entraîné d'allégement de la réglementation gouvernementale. Le gouvernement néo-zélandais est néanmoins en train de réexaminer entièrement ce secteur, ce qui devrait aboutir à la présentation d'un nouveau projet de loi avant Noël.

Le dernier avantage que j'aimerais signaler et qui avait été aussi annoncé avant l'introduction des QIT était une plus grande rentabilité, une plus grande compétitivité et un accroissement des bénéfices dans ce secteur. Étant donné que nous n'avons pas compilé les données économiques nécessaires, nous n'avons pas d'analyses sérieuses à ce sujet. On a toutefois l'impression que l'industrie a bénéficié de tout cela.

Pour ce qui est de la pêche polyvalente, essentiellement du chalutage pour les pêches côtières, il y a eu des problèmes de prises accidentelles. Initialement, il était difficile pour les propriétaires de quotas d'équilibrer prises et quotas; toutefois, nous avons adopté plusieurs mécanismes souples pour y remédier. Malheureusement, cela a donné un système très compliqué pour équilibrer les prises et les quotas. Là encore, c'est quelque chose que nous examinons pour le moment.

Un autre problème que nous avons connu au début était le dépassement des quotas, surtout dans les pêches côtières de grande valeur, en particulier le homard et l'ormeau. D'après certaines estimations, le dépassement des quotas pouvait atteindre 50 p. 100 les premières années; et 25 p. 100 pour le homard. Comme vous le savez probablement, il est très difficile d'avoir des chiffres exacts sur le degré de dépassement des quotas pour une espèce ou une autre.

Nous avons aussi eu des problèmes de rejets sélectifs et de tri éliminatoire, ce qui est en fait une autre forme de dépassement des quotas. Toutefois, tous les renseignements anecdotiques qu'on a pu tirer de sondages auprès des intéressés indiquent que cela aurait diminué. Cela existe encore, mais a un degré moindre.

Une autre chose dont on discute fréquemment à propos des QIT est la concentration des quotas et l'élimination des petits joueurs. Je crois que la Nouvelle-Zélande se trouve dans une situation unique parce que le moteur de la pêche est en fait la pêche hauturière en eaux profondes où il s'agit essentiellement d'entreprises à intégration verticale.

Il est certain que quelques pêcheurs de homard côtiers s'inquiètent qu'une plus forte proportion des quotas de telles espèces tombe dans les mains des grosses entreprises. Si vous considérez les chiffres depuis 1986, quelque 60 p. 100 des quotas étaient alors détenus par les 10 plus grosses entreprises. C'est passé à 80 p. 100 au début des années 90 pour revenir à environ 60 p. 100 en 1998. Cela ne règle pas le problème des entreprises de pêche côtière plus petites.

Quiconque envisage de passer à un système de QIT a intérêt à ne pas négliger certains des problèmes que nous essayons de régler en Nouvelle-Zélande. Tout d'abord, lorsqu'on accorde un droit de propriété tel que le QIT à une flotte commerciale, il est très difficile de le lui retirer. Certes, en Nouvelle-Zélande, le secteur des pêches estime que ce droit lui revient à perpétuité. C'était d'ailleurs l'intention initiale. Toute tentative de retirer ce droit suscite des demandes d'indemnisation et des litiges.

En outre, lorsque des droits de propriété sont reconnus au secteur commercial, les autochtones, dans notre cas les Maoris, et le secteur de la pêche récréative insistent pour en obtenir. Le gouvernement néo-zélandais a réglé les droits commerciaux et de récolte traditionnels des Maoris. Nous discutons actuellement d'une politique de la pêche récréative qui comportera peut-être une sorte de droit de pêche récréative négociable. Nous entamons seulement les consultations à ce sujet.

Un autre point important, est l'introduction du recouvrement des coûts. Actuellement, en Nouvelle-Zélande, le régime prévoit que 77 p. 100 de l'ensemble des coûts de la recherche, de la gestion, de la mise en application et de l'administration sont recouvrés en percevant des droits auprès de ce secteur. Cela met beaucoup de pression -- et je ne dis pas cela de façon péjorative -- sur l'organisme gouvernemental chargé de la gestion des pêches qui doit agir efficacement et économiquement.

En Nouvelle-Zélande, nous essayons de confier la responsabilité des contrats de recherche, d'une bonne part de l'administration de nos pêches -- qui consiste à équilibrer les prises et les quotas -- et les responsabilités d'observation non statutaires, entre autres, au secteur commercial. De cette façon, celui-ci qui peut réellement gérer ses affaires comme il l'entend, ce qui impose à l'organisme gouvernemental de mener une action efficace.

Personnellement, je trouve que c'est bien. Cela a donné plus de responsabilité au secteur qui s'occupe davantage de recherche et de gestion. Il devient plus directement touché par l'intendance de cette ressource.

J'arrêterai là mes observations liminaires et me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président: Le sénateur Stewart va commencer. Il vient de la Nouvelle-Écosse qui, comme vous le savez, a un secteur des pêches assez important, notamment pour le homard, le poisson de fond et beaucoup d'autres espèces.

Le sénateur Stewart: Le comité voudra bien m'excuser d'indiquer que la semaine dernière, nous avons entendu des témoins de l'Islande grâce à ce même miracle technologique que ce soir.

J'ai été frappé par les différences qui existent entre la pêche en Islande et dans ma région du Canada. J'ai trouvé cela intéressant parce que j'en ai conclu que le système des QIT pouvait peut-être très bien convenir à l'Islande mais qu'étant donné la nature de ce secteur dans ma région du Canada, il n'était pas forcément adapté, du moins pour certaines des espèces que nous pêchons. C'est dans ce contexte que je voudrais vous poser mes questions.

Tout d'abord, j'aimerais vous poser une question d'ordre territorial. Quelles sont les dimensions de votre mer territoriale et les pêcheurs étrangers en sont-ils exclus? Dans l'affirmative, est-ce pour des raisons historiques ou est-ce une entente avec vos voisins?

M. Annala: Par mer territoriale, voulez-vous dire la zone allant jusqu'à l'ancienne limite de 12 milles?

Le sénateur Stewart: J'entends par là la zone sur laquelle s'applique votre réglementation en matière de pêche.

M. Annala: Je ne peux pas vous dire au pied levé quelles sont les dimensions de la zone économique exclusive de la Nouvelle-Zélande mais d'après certaines statistiques, elle se situe entre la quatrième et la sixième zone économique exclusive du monde, après les États-Unis.

Le sénateur Stewart: Autorisez-vous les bateaux ou les navires d'Australie, par exemple, ou peut-être de certaines des îles françaises, à pêcher dans votre zone économique exclusive?

M. Annala: La politique actuelle du gouvernement est d'accorder des QIT à des ressortissants étrangers si les pêcheurs néo-zélandais ne peuvent prendre le total des prises admissibles (TPA). Actuellement, il n'y a pas de pêche qui soit ouverte à des ressortissants étrangers parce que le TPA est entièrement pêché par des bateaux néo-zélandais.

Le sénateur Stewart: Pour ce qui est de la valeur des débarquements, quelles sont vos meilleures espèces?

M. Annala: Les principales espèces sont l'hoplostète orange et le hoki, dont la valeur des débarquements est d'environ 150 millions $NZ chacun. Le homard représente environ 80 millions $NZ et l'ormeau, environ 50 millions $NZ.

Le sénateur Stewart: Dans le cas du homard et de l'ormeau, dans quelle mesure s'agit-il de pêche côtière?

M. Annala: Il s'agit exclusivement de pêche côtière, habituellement à moins de 20 kilomètres de la côte alors que le hoki et l'hoplostète orange sont beaucoup plus loin, en eaux profondes.

Le sénateur Stewart: Je m'intéresse particulièrement au homard parce que là où je vis, c'est de façon générale l'espèce la plus précieuse. Quelles sont les dimensions des bateaux? Y a-t-il des limites à la taille des bateaux de pêche côtière?

M. Annala: Non. Quand la Nouvelle-Zélande est passée aux QIT en 1986, on a supprimé ces contrôles. Il n'y a pas de limite à la taille des bateaux.

Le sénateur Stewart: Y a-t-il une forte concentration dans la propriété des bateaux en Nouvelle-Zélande? Je vis dans un village de pêche et l'une des craintes des pêcheurs est ce que j'appellerais la «prolétarisation». Ils sont actuellement propriétaires de leurs propres bateaux et en sont très fiers et ils respectent les règlements parce que c'est un village et qu'ils comprennent que si quelqu'un enfreint les règlements, cela touche tout le monde. Ils craignent qu'avec les quotas individuels transférables, les pêches connaissent le phénomène des fusions et que les pêcheurs artisanaux ne soient bientôt plus que des hommes de pont sur un bateau appartenant à une grosse société. Je ne veux pas dire que ce sera nécessairement une grande société internationale, mais c'est une autre crainte. Que pouvez-vous nous dire sur les transferts en Nouvelle-Zélande?

Je poserai une autre question à ce sujet. Y a-t-il chez vous des restrictions sur les transferts? J'ai été surpris d'apprendre qu'en Islande, ils tiennent compte des circonscriptions politiques quand il s'agit d'approuver un projet de transfert. En va-t-il de même en Nouvelle-Zélande?

M. Annala: Non, monsieur. Dans le sens de l'économie de libre-échange, la Nouvelle-Zélande applique le principe de vente de gré à gré. Il y a des limites au regroupement dans les différents secteurs de pêche. Pour les pêches côtières du homard et de l'ormeau, cela va de 2 à 5 p. 100.

Le sénateur Stewart: Pour les bateaux côtiers appartenant à des particuliers ou pour les autres?

M. Annala: De 2 à 5 p. 100 du quota pour la langouste et l'ormeau. Aucun détenteur de quotas ne peut avoir plus de 2 à 5 p. 100 du TPA. Jusqu'à ce plafond, tous les transferts sont autorisés. Il n'y a aucune restriction.

Je sais que certains s'inquiètent de la concentration des quotas et des effets de la transférabilité sur les villages de pêcheurs dans d'autres régions du monde. Je connais le système utilisé en Alaska pour le flétan et la morue charbonnière où il y a un système à cinq niveaux pour protéger les petits pêcheurs individuels. Il est possible de concevoir un système de QIT qui tienne compte de ce problème.

Le sénateur Stewart: Vous n'avez pas eu de gros problèmes à ce sujet en Nouvelle-Zélande; c'est ce que vous nous dites?

M. Annala: En effet. Cela ne pose pas de problème en Nouvelle-Zélande, du fait de la nature de l'économie et du fait qu'il y a très peu de localités qui dépendent exclusivement ou essentiellement de la pêche. Notre économie est très diversifiée. Ce problème ne s'est pas posé.

Le sénateur Robertson: Monsieur Annala, bienvenue à notre discussion de ce soir. Vous avez un pays magnifique. J'espère avoir la possibilité d'y retourner un jour.

Je voudrais revenir un peu plus en détail sur certaines des questions soulevées par le sénateur Stewart, et notamment sur la procédure d'élaboration du système des QIT de la Nouvelle-Zélande, qui a été décrit, je crois, comme un système complet de droits de propriété. J'aimerais savoir comment on a consulté les participants du secteur des pêches. Par exemple, est-ce que les petits pêcheurs soupçonnaient les décideurs politiques d'avoir des objectifs secrets favorisant un système de pêche fondé sur des droits de propriété, avec l'intention d'imposer ce système aux petits exploitants, dont les intérêts ne seraient pas pris en compte? J'aimerais connaître les mesures que vous avez prises pour parvenir à un consensus. Y a-t-il eu des audiences publiques ou un débat parlementaire? Comment avez-vous géré les conflits suscités par l'octroi des QIT? Quelles leçons pouvons-nous tirer de votre expérience à cet égard?

M. Annala: Vous me ramenez à ce qui s'est passé au début et au milieu des années 80, et mes souvenirs peuvent être un peu nébuleux sur certains détails. Avant l'introduction du système des QIT dans toutes les pêches de la Nouvelle-Zélande en 1986, le gouvernement a mis en place, en 1983, ce que vous appelez au Canada un régime d'allocations aux entreprises pour les pêches en eaux profondes. En vertu de ce régime, les sociétés de pêche en eaux profondes recevaient des allocations concernant des zones situées bien au-delà de la limite historique de la pêche côtière en Nouvelle-Zélande.

En Nouvelle-Zélande, le secteur des pêches est très jeune par rapport aux pêches canadiennes. Il n'y avait pratiquement pas de pêche en eaux profondes avant l'imposition par la Nouvelle-Zélande d'une limite de 200 milles en 1977. La Nouvelle-Zélande est passée d'un tonnage nul pour la pêche en eaux profondes en 1977 à 250 000 tonnes en 1983. Le développement a été très rapide. L'industrie a pu ainsi se doter d'une base économique très solide qui lui a servi de plate-forme.

Lors de l'introduction des QIT, qui visaient essentiellement à régler les problèmes de surpêche dans la pêche côtière, il y a eu de très larges consultations. L'un des principaux promoteurs de la mise en place des QIT était le secrétaire de l'Association des pêcheurs commerciaux, qui représente les petits pêcheurs propriétaires. Il s'était bien renseigné et en était venu à la conclusion que les QIT étaient la meilleure solution. On a constitué un comité consultatif mixte réunissant le gouvernement et les pêcheurs, qui a fait directement rapport au ministre. On a tenu une cinquantaine de réunions dans l'ensemble du pays pour consulter tous les pêcheurs commerciaux.

Il en est résulté un vote fictif. On peut dire qu'il y a eu consensus, et même si nous ne sommes pas totalement satisfaits des QIT, c'est le meilleur outil de gestion dont nous disposons.

À l'issue des consultations, le comité consultatif a recommandé la mise en place des QIT. L'opération a abouti parce que l'industrie a donné son accord dès le début et parce que ce sont ses représentants qui ont proposé l'adoption des QIT.

Le sénateur Robertson: C'est intéressant. D'après ce que vous dites, les résultats ont été positifs en Nouvelle-Zélande. Je remarque dans votre document qu'il n'y a pas eu de tentative officielle d'évaluation des avantages et des coûts du système des QIT. Cela signifie sans doute que les participants ont leur propre point de vue quant à son efficacité. Les impressions l'emportent peut-être sur des conclusions d'évaluation concrètes, n'est-ce pas?

M. Annala: Certainement. La seule évaluation rigoureuse qu'on ait faite des effets du système des QIT porte sur les niveaux durables des stocks. Nous les avons mesurés régulièrement et nous produisons un relevé annuel. Nous surveillons les avantages du système quant à la conservation des stocks, et non pas quant à ses effets socio-économiques et culturels.

Le sénateur Robertson: Vos efforts de surveillance quant à la conservation sont-ils assez exacts? Avez-vous eu de la chance dans vos activités de surveillance des stocks?

M. Annala: Oui, c'est une bonne façon de présenter les choses. Nous avons eu de la chance, mais nous avons fait également de la bonne gestion. Dans les pêches en eaux profondes, il s'agit des premières campagnes d'exploitation de stocks vierges, et les pêches sont donc en excellent état.

Le sénateur Robertson: Ce système des QIT a-t-il permis aux pêcheurs propriétaires dans les collectivités de la côte d'accroître leurs revenus? Est-ce qu'ils gagnent bien leur vie?

M. Annala: Encore une fois, je n'ai pas d'informations précises à ce sujet, mais c'est du moins l'impression qu'on a lorsqu'on s'entretient avec les pêcheurs qui n'ont pas renoncé à leur activité. Il y a eu certains déplacements au début, mais le gouvernement a instauré un programme de rachat des quotas les plus modestes auprès des pêcheurs dont l'activité était à peine rentable. D'après certaines informations anecdotiques et d'après des impressions personnelles, il semble que les collectivités rurales aient connu certains déplacements, surtout au début.

Le sénateur Robertson: Je suppose que vos pêches ne sont pas suffisamment développées pour que vous ayez à vous inquiéter de la surpêche.

M. Annala: Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il y avait surpêche dans la plupart des pêches côtières d'un point de vue biologique et économique au moment de l'introduction des QIT en 1986. Cependant, les évaluations de 1998 indiquent que les stocks sont en bon état. Plusieurs d'entre eux ont atteint les niveaux fixés comme objectifs dans la Loi sur les pêches, à savoir une biomasse permettant un REM. Pour les stocks qui sont encore en deçà de ce niveau cible, nous avons des stratégies de rétablissement qui comportent des délais et des mesures de rendement.

Le sénateur Perrault: On nous a dit à plusieurs reprises que les quotas privés incitent fortement les pêcheurs à se débarrasser des poissons de petite taille et de faible valeur qui seraient imputés sur leur quota individuel, en particulier lorsqu'ils sont trop petits pour être rentables.

Est-ce que le tri éliminatoire est un problème dans les pêches néo-zélandaises actuelles et cet usage est-il légal?

M. Annala: Le tri éliminatoire a certainement diminué depuis l'introduction du système de gestion par quota en 1986, d'après deux sondages effectués depuis lors auprès des pêcheurs commerciaux.

Il est interdit de se débarrasser des poissons de taille inférieure et des espèces régies par le système de gestion des quotas, mais cette interdiction ne porte pas sur les poissons non régis par le système, qu'on qualifie généralement de poissons rebuts.

La Nouvelle-Zélande a mis en place un système très complexe pour faire face aux questions de prises accessoires, de tri éliminatoire et de pêches de plusieurs espèces au chalut. Nous avons un système très souple qui permet des échanges de quotas d'une espèce à l'autre. Le pêcheur qui dépasse son quota dans une espèce peut imputer l'excédent sur son quota d'une autre espèce. Lorsqu'il pêche, il peut appeler un autre pêcheur par téléphone cellulaire ou par radio pour négocier un échange de quota, une vente ou un prêt. Les pêcheurs ont intérêt à débarquer toutes les prises dépassant leur quota s'il s'agit de prises fortuites, ce qui les dissuade de rejeter du poisson à la mer ou de faire du tri éliminatoire. Ils ont deux possibilités: ils peuvent débarquer du poisson et le céder pour sa valeur nominale au gouvernement, ou payer ce qu'on appelle la valeur présumée, ce qui leur permet de vendre leur poisson et d'acheter le quota correspondant. Le quota acheté avant la fin de l'année permet aux pêcheurs de se faire rembourser.

On a donc un système très souple, qui permet de faire face aux problèmes de tri éliminatoire et de rejets et qui, de façon générale, semble efficace.

Le sénateur Perrault: On a dit à ce comité que certaines autorités néo-zélandaises ont du moins l'impression que le tri éliminatoire constitue une sérieuse menace à la conservation. Est-ce que des mesures ont été prises pour y remédier?

On nous a dit que le tri éliminatoire peut être pratiqué en particulier par les pêcheurs qui se sont endettés pour acheter des quotas dans l'espoir d'obtenir un rendement raisonnable. Nous aimerions savoir si le nouveau système comporte toujours la même faiblesse.

Le sénateur Butts: Les démarches entreprises en 1986 ont-elles comporté une modification de la Loi sur les pêches? Par quelle procédure avez-vous mis en place ce régime des QIT?

M. Annala: L'introduction des QIT a nécessité une modification de la Loi sur les pêches, qui n'a été adoptée qu'en 1983, et qu'il a donc fallu modifier très peu de temps après sa promulgation.

La loi de 1983 comportait des plans de gestion semblables à ceux qui ont été mis en place aux États-Unis par l'intermédiaire des conseils de gestion des pêches. Le système des QIT est bien différent. On passe d'un contrôle des intrants primaires -- contrôle de l'effort de pêche, des zones pêchées, et cetera -- à un contrôle portant strictement sur les extrants. Pour cela, il a fallu modifier fondamentalement la loi.

Le sénateur Butts: Est-ce que vous avez ce que nous appelons des pêcheurs à temps partiel?

M. Annala: Oui, car n'importe qui peut acheter un quota et aller à la pêche. Il y a une limite minimale combinée de cinq tonnes sur le poisson proprement dit et d'une tonne sur le homard et l'ormeau. On peut même acheter un quota et faire de la pêche à temps partiel si l'on veut.

Le sénateur Butts: Est-ce qu'une communauté ou un groupe de pêcheurs à temps partiel peuvent acheter un quota?

M. Annala: Oui. Il n'y a rien dans la loi néo-zélandaise qui empêche cela. Il y a un groupe d'îles à environ 400 milles à l'est de la Nouvelle-Zélande, les Îles Chatham, où la communauté locale est allée jusqu'à créer une entreprise commerciale constituée en société. Cette entreprise commerciale communautaire est propriétaire d'un quota et a des mécanismes pour partager ce quota entre les membres de la communauté. Je ne connais pas exactement les détails, mais ils ont des règles par exemple pour voter, tout comme une société.

Le sénateur Butts: Est-ce qu'il faut payer pour obtenir un QIT? Est-ce que le gouvernement doit approuver les transferts?

M. Annala: Le seul coût, c'est le prix d'achat qu'on verse au détenteur du quota. Quant à l'approbation du gouvernement, il y a seulement les limites de la propriété étrangère.

Le sénateur Butts: Est-ce que le détenteur d'un quota fixe librement le prix lorsqu'il vend?

M. Annala: Oui.

Le sénateur Butts: Certains critiquent les QIT parce qu'ils encouragent la concentration. Vous n'êtes pas d'accord avec cette critique?

M. Annala: Comme je l'ai dit plus tôt, les compagnies qui s'adonnent à la pêche côtière en eaux profondes sont verticalement intégrées. Elles sont propriétaires des embarcations et de toutes les installations jusqu'aux usines de transformation, et dans certains cas elles s'occupent également de la mise en marché. Je n'ai jamais entendu de critiques en ce qui concerne une concentration excessive dans le domaine de la pêche hauturière. Par contre, j'ai entendu des critiques à ce sujet dans le domaine de la pêche côtière. À mon avis, ce n'est pas très répandu, mais cela pourrait changer.

Ce qui est critiqué surtout, ce sont les propriétaires absentéistes de pêche côtière. Lorsque les détenteurs d'un QIT prennent leur retraite ou cessent cette activité pour d'autres raisons, ils vendent leur quota à d'autres détenteurs de quotas. En Nouvelle-Zélande, il n'y a aucune restriction sur l'achat de quota. N'importe qui peut acheter un quota et demander à quelqu'un d'autre de pêcher à sa place. Les pêcheurs côtiers, en particulier, les pêcheurs de homard, ont critiqué l'absentéisme chez les propriétaires de quota. Mais là encore, on pourrait adopter des règles et des règlements pour régler ce problème, le cas échéant.

Le sénateur Butts: Est-il exact que vous consommez tout le poisson que vous pêchez?

M. Annala: Non, en fait, 90 p. 100 du poisson pêché en Nouvelle-Zélande est exporté. Quatre-vingt-dix pour cent des débarquements.

Le sénateur Butts: Vous ne gardez que le homard?

M. Annala: Non, la proportion d'exportation est encore plus élevée pour le homard. En effet, comme le homard se vend très cher sur le marché asiatique, près de 98 p. 100 des homards sont exportés.

Le sénateur Robichaud: J'aimerais revenir un instant au homard. Vous connaissez nos saisons de pêche sur la côte Est du Canada. Selon les régions, les saisons diffèrent, et il est possible de mettre en marché à différents moments de l'année pour obtenir de meilleurs prix. Vous avez dit que lorsque les QIT ont été introduits, cela avait changé les habitudes de pêche au homard. Comment avez-vous fixé les saisons? Avez-vous des saisons? Comment cela s'est-il réparti dans l'ensemble du pays?

M. Annala: Non, nous n'avons pas de saisons. Il n'y a pas de saisons où la pêche est fermée, sauf dans une région, et dans ce cas-là, c'est pour des raisons sociales. Le principal mécanisme de gestion en ce qui concerne la pêche au homard, c'est la taille légale minimale, et également l'interdiction de débarquer des femelles qui portent des oeufs. Et nos pêcheurs de homard avaient la concurrence de nos bons amis, les Australiens, sur les marchés asiatiques. C'est pendant l'hiver néo-zélandais qu'on obtient les meilleurs prix pour le homard, mais en même temps, c'est le moment où les conditions de pêche sont les plus difficiles. Traditionnellement, c'était une pêche de printemps, d'été et d'automne, mais à cause des prix plus élevés pendant l'hiver, on pêche de plus en plus en hiver et on essaye d'atteindre les marchés avant les Australiens. Autrement dit, les habitudes de pêche tiennent à des questions purement économiques. À l'heure actuelle, la majeure partie des homards pris en Nouvelle-Zélande sont débarqués pendant l'hiver.

Le sénateur Robichaud: Ce sont les pêcheurs qui ont décidé cela eux-mêmes, à cause des avantages économiques, c'est ce que vous nous dites?

M. Annala: Oui.

Le sénateur Robichaud: Supposons que je possède une part du total des prises admissibles (TPA), je vais être tenté d'exercer des pressions sur les autorités pour qu'elles augmentent le total des prises admissibles, ce qui fera augmenter mes bénéfices. Est-ce que le secteur exerce des pressions pour qu'on augmente le TPA, ou pour qu'on l'empêche de diminuer?

M. Annala: Nous avons un système d'évaluation des stocks entièrement transparent, et nous fixons également les TPA de façon transparente. Les groupes intéressés sont invités à participer à cet exercice. Les intérêts commerciaux, les groupes récréatifs, les groupes de défense de l'environnement et les organismes maoris participent activement à ce processus de consultation ouvert qui sert à conseiller le ministère des Pêches et le ministre. En dehors de ce processus, les divers secteurs font du lobbying et défendent leur point de vue, et dans l'ensemble, le ministre néo-zélandais se range à l'opinion des collaborateurs du ministère et ensemble, ils se rangent du côté de la conservation.

Le sénateur Robichaud: Les gens qui veulent un quota supplémentaire prétendent-ils que les chercheurs et les fonctionnaires évaluent les ressources de façon très conservatrice?

M. Annala: Oui. On voit cela dans tous les systèmes démocratiques de gestion des pêches. Un désavantage du système des QIT, c'est que ce système est extrêmement transparent et existe maintenant depuis 12 ans, si bien qu'une proportion importante des groupes d'intéressés, y compris les éléments commerciaux, ont fini par faire confiance aux résultats de l'évaluation des stocks. Ils dépensent de l'argent pour embaucher des experts du Canada et des États-Unis qui assistent à nos réunions d'évaluation des stocks et contestent les évaluations du ministère, et à cause de cela, le résultat final inspire beaucoup de confiance. Dans l'ensemble, ils assument la responsabilité et ne réclament pas d'augmentation des TPA et ne protestent pas contre des réductions des quotas lorsque ces mesures sont justifiées par l'évaluation des stocks. C'est un changement très positif qui s'est produit ces 10 ou 12 dernières années.

Le sénateur Robichaud: Est-il arrivé qu'on réduise le TPA pour certaines espèces et que l'industrie réclame un dédommagement au gouvernement?

M. Annala: Cela s'est certainement produit par le passé, au début du système des QIT. Lorsque les QIT ont été introduits en Nouvelle-Zélande en 1986, ils étaient calculés sur la base d'un tonnage fixe, si bien que pour réduire les quotas, le gouvernement devait racheter des QIT. À la fin des années 80, très vite il est devenu évident que nous avions surestimé le rendement durable de l'hoplostète orange, la plus importante pêche en eaux profondes, et très rapidement nous avons dû ramener le TPA de 60 000 tonnes à 20 000 tonnes. Le gouvernement est ensuite passé à un système de TPA proportionnel qui ne dédommageait pas l'industrie en cas de réduction, mais ensuite, on en a tenu compte en négociant un dédommagement de 100 millions de dollars. Ce fut une décision politique qui facilita les choses lors des réductions des TPA et qui permit de dédommager les détenteurs de quotas au cours de cette période de réduction importante.

Le sénateur Robichaud: Et ces dernières années, cela ne s'est plus produit?

M. Annala: Non, cela ne s'est pas produit depuis 1990, pas depuis huit ans.

Le président: Nous allons maintenant passer à notre province qui se trouve le plus à l'est, la plus éloignée de la Nouvelle-Zélande, mais une des plus sympathiques. Vous devez avoir entendu parler des problèmes de cette province dans le secteur des pêches. Évidemment, c'est de Terre-Neuve que je parle et le sénateur Cook a quelques questions à vous poser.

Le sénateur Cook: Ce sont des questions d'ordre général. Pour commencer, quelle est l'importance du secteur des pêches pour l'économie de votre île?

M. Annala: L'économie de la Nouvelle-Zélande repose principalement sur l'exportation de divers biens et services. Évidemment, c'est un pays exportateur. L'industrie des pêches est notre cinquième source de revenus tirés des exportations, c'est donc une partie très importante de notre économie. Cela vient tout de juste après le mouton, la production de viande, la production laitière et la production forestière. Il y a également le tourisme qui est devenu une de nos plus importantes industries.

Le sénateur Cook: Est-ce que vos pêcheurs sont syndiqués?

M. Annala: Nous avons ce que nous appelons la Fishing Industry Guild (Guilde de l'industrie de la pêche). Cet organisme fournit des équipages aux gros bateaux des compagnies. Les petits propriétaires-exploitants et leur équipage ne sont pas syndiqués. Seuls ceux qui travaillent sur des bateaux qui appartiennent à une compagnie sont syndiqués.

Le président: J'ai une question au sujet des amendements apportés à votre Loi sur les pêches en 1986. Tout comme le Canada, la Nouvelle-Zélande fait partie du Commonwealth. Votre constitution est fondée sur la common law parlementaire britannique, c'est donc très comparable à la situation au Canada. Nous avons dû accepter des dispositions qui remontaient à la Magna Carta de 1215 et cela a forcé le ministre à reconnaître que les ressources halieutiques étaient une propriété commune. J'imagine que c'est le cas également en Nouvelle-Zélande, et j'aimerais que vous me le confirmiez. Votre ministre a dû se présenter devant votre Parlement pour demander le droit de distribuer des QIT. C'est bien l'objet de la loi adoptée en 1986, n'est-ce pas?

M. Annala: La Nouvelle-Zélande n'a pas de constitution, mais la loi s'inspire évidemment de la common law britannique. Je ne me souviens pas exactement quand, en 1985, la loi a été présentée. Je ne pense pas que le ministre ait eu à le faire.

En Nouvelle-Zélande, les lois doivent se conformer au Traité de Waitangi, conclu entre la Couronne britannique et les Maoris en 1840. Il a donc fallu se reporter à ce traité. Les négociations portant sur le règlement des droits de pêche des Maoris ont été longues et ont finalement abouti en 1992.

Le président: Nous pouvons sans doute obtenir ce renseignement d'une autre source. C'est une question d'ordre juridique qui porte sur la raison d'être de la loi.

Fait-on le traitement du poisson en mer sur des chalutiers-usines réfrigérés en Nouvelle-Zélande?

M. Annala: Oui.

Le sénateur Stewart: N'existe-t-il pas en Nouvelle-Zélande le concept du «pêcheur authentique»? Ce concept existe au Canada. Il s'agit d'empêcher les avocats et les médecins de posséder des pièges, des filets et des quotas de pêche.

M. Annala: La répartition initiale des quotas en 1986 se fondait sur les prises antérieures et sur la participation à l'industrie. Elle se fondait sur le concept du pêcheur authentique.

Les quotas peuvent maintenant être vendus à n'importe qui. Un médecin, un avocat ou un comptable peut en acheter un pourvu qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts.

Le sénateur Stewart: Vous avez fait allusion à l'intégration verticale. Combien de sociétés l'intégration verticale vise-t-elle vraiment?

M. Annala: Entre 10 et 12 grandes sociétés. Ces sociétés récoltent sans doute 80 p. 100 des quotas de pêche en haute mer.

Le sénateur Stewart: Vous avez dit que vos exportations étaient élevées. J'ai été tout particulièrement surpris par l'importance des exportations de homard vers l'Asie du Sud-Est et d'autres parties de ce continent. La crise financière dans cette partie du monde a-t-elle eu une incidence sur votre commerce? La demande de homard a-t-elle diminué?

M. Annala: Je crois que la demande a décliné et que le prix des homards a aussi diminué. Les exportateurs de homard doivent trouver d'autres marchés pour leurs produits. Ils ont dû le faire très rapidement au cours des trois à six derniers mois.

Le sénateur Stewart: Outre le homard, de quelles espèces s'agit-il?

M. Annala: Des espèces de grande valeur comme l'ormeau.

Le sénateur Robertson: Vous semblez être assez content du système, monsieur. Que reproche-t-on surtout en Nouvelle-Zélande aux QIT?

M. Annala: Ceux qui ne font pas partie du système soutiennent que cela revient à céder une ressource publique à des intérêts privés. Il s'agit d'une opinion politique ou d'une question de principe.

Le sénateur Robertson: Que serait-il advenu de votre secteur des pêches, à votre avis, si vous n'aviez pas adopté un système de quotas?

M. Annala: Il est très difficile de répondre à cette question. Lorsque la Nouvelle-Zélande a adopté les QIT en 1986, il existait très peu de contrôle dans le domaine des pêches. Les TPA et les mesures de contrôle étaient presque inexistants. Le secteur était presque ouvert à tous. Nous devions intervenir. Il fallait soit mettre en oeuvre des mesures de contrôle rigoureuses, soit adopter des QIT.

Si nous n'avions pas adopté les QIT, nous ferions face à bon nombre des mêmes problèmes auxquels sont confrontés à l'heure actuelle la plupart des pays occidentaux, c'est-à-dire la surcapitalisation de la flotte de pêche et sa capacité excédentaire. Sans l'adoption de mesures de contrôle et la limitation des prises totales par l'établissement de quotas et de limites au nombre de voyages de pêche, l'état de nos ressources halieutiques serait beaucoup moins bon qu'il ne l'est à l'heure actuelle.

Le sénateur Perrault: La notice biographique de M. Annala montre qu'il compte beaucoup d'expérience dans le secteur. Il est sans doute favorable aux recherches dans le domaine des pêches. Nous venons d'apprendre que contrairement aux attentes, les titulaires de QIT ne génèrent pas les fonds nécessaires pour que de la recherche de qualité soit menée en Nouvelle-Zélande. Est-ce vraiment le cas? Un témoin nous a dit que le système n'avait pas produit les incitatifs à la recherche que les gestionnaires avaient escomptés.

M. Annala: Je pense que c'était certainement le cas au début. Lorsque nous sommes passés au recouvrement des coûts en Nouvelle-Zélande, nous avons récupéré 78 p. 100 des coûts de la recherche et des activités de gestion auprès de l'industrie. La formule a été adoptée en 1994.

Parce que nous sommes très transparents au sujet des activités de recherche que nous finançons, l'industrie a réclamé avec force que nous diminuions ces activités ou que nous les supprimions. La dernière ronde de consultations sur les recherches a pris fin la semaine dernière. L'industrie a appuyé environ 75 p. 100 des activités de recherche que nous avons proposées.

L'industrie a progressivement appuyé davantage d'activités de recherche. Il reste encore du travail à faire.

Le sénateur Perrault: On nous a dit qu'en 1993, les trois plus importantes sociétés de pêche possédaient 50 p. 100 des quotas. Cette tendance s'est-elle maintenue ou s'est-elle accentuée?

M. Annala: Comme je l'ai dit, les statistiques pour 1986 et 1998 sont les mêmes. Les 10 plus grandes sociétés de pêche possèdent environ 60 p. 100 des quotas. Je ne sais pas où on a tiré ce chiffre pour les trois plus grandes sociétés. Je ne peux pas confirmer son exactitude. Le chiffre que je viens de vous donner provient du Seafood Industry Council.

Le président: Honorables sénateurs, si vous le permettez, nous prendrons en compte le mémoire que M. Annala nous a fait parvenir avant sa comparution. Est-ce que vous êtes d'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Je vous remercie, monsieur Annala. Nous tiendrons compte de votre témoignage dans notre étude des QIT et de la privatisation. Nous vous souhaitons bon succès dans vos activités futures.

M. Annala: Je considère comme un privilège le fait d'avoir pu témoigner devant le comité.

Le président: Nous accueillons maintenant Mme Catherine Wallace. Mme Wallace est chargée de cours principale en politique publique et économie à la School of Business Administration and Public Management de l'Université Victoria de Wellington en Nouvelle-Zélande. Depuis 1987, Mme Wallace enseigne l'économie et la politique publique et s'intéresse tout particulièrement au droit environnemental. Elle est une économiste bien connue qui a participé activement à l'étude de diverses questions environnementales en Nouvelle-Zélande ainsi qu'à l'échelle internationale. Mme Wallace dirige la Environment and Conservation Organization of New Zealand Inc., plus communément appelée l'ECO -- une coalition d'organisations non gouvernementales oeuvrant dans le domaine de l'environnement, de l'action communautaire et de la santé. En 1981, elle a reçu le prix Goldman en reconnaissance de ses efforts et de ses réalisations.

Nous avons reçu votre mémoire. Vous pouvez commencer.

Mme Catherine Wallace, School of Business Administration and Public Management, Université Victoria de Wellington, Nouvelle-Zélande: Je vous remercie d'avoir entrepris une étude aussi approfondie. Ce que vous faites contraste avec ce qui a été fait dans mon pays. Vous m'impressionnez beaucoup.

Je pense vous avoir entendu dire que j'oeuvrais dans le domaine du droit environnemental. Je tiens cependant à préciser que je ne suis pas avocate, mais économiste.

En Nouvelle-Zélande, on ne m'appelle pas professeure, mais chargée de cour principale. Je crois que c'est la façon dont on désigne mon poste en Amérique du Nord.

Je travaillais dans le domaine de la gestion des pêches en Nouvelle-Zélande au moment du débat sur le système de gestion des quotas et lorsque la Nouvelle-Zélande a prolongé sa zone économique exclusive. La gestion des pêches a fait l'objet d'un grand débat. À cette époque, j'étais d'avis que la gestion des quotas ne fonctionnerait pas. J'ai étudié l'aspect économique du système.

J'ai passé un certain temps à étudier la question des pêches, mais je me suis ensuite intéressée à d'autres sujets. J'ai pu constater lors de réunions où il était question de politiques que les sociétés de pêche affichaient un comportement qui ne cadrait pas avec la prédiction théorique que les pêcheurs pourraient très bien gérer la ressource une fois qu'ils obtiendraient des quotas.

Cette question m'a intriguée. J'ai pensé que ce serait une bonne idée d'étudier le fonctionnement du système de gestion des quotas en Nouvelle-Zélande, surtout parce qu'on en disait tant de bien.

J'ai pensé qu'il convenait de voir si la théorie économique correspondait à la réalité.

J'ai rédigé un certain nombre d'études et notamment l'étude que je vous ai fait parvenir. Je m'en excuse auprès de vous, mais cette étude n'a pas été spécifiquement rédigée pour vous, mais dans le cadre d'une conférence sur le commerce et sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a eu lieu en juillet en Norvège. Elle porte sur des questions se rapportant au système des quotas. Vous connaissez de toute évidence le sujet. Je n'ai cependant pas pu inclure tous les renseignements dont je disposais dans cette étude.

Mon impression, c'est que le système de la Nouvelle-Zélande a eu moins de succès que nous l'avions anticipé du début jusqu'au milieu des années 80. Il faut l'examiner sous de multiples angles. Si l'on veut mesurer le succès en fonction d'une gamme de critères, il y a certes ceux de la rentabilité et des gains d'efficacité économiques. Dans toute pêche ouverte, il est essentiel de passer du libre accès à un accès restreint, et de limiter les prises totales. Je suis tout à fait en faveur d'établir ces quotas.

Cela dit, je ne suis pas certaine que nous puissions le faire sans imposer en même temps une multiplicité d'autres contrôles. En Nouvelle-Zélande, le système a été avantageux pour les grandes entreprises de pêche. Certaines entreprises plus modestes ont été écartées du secteur. Cela peut être efficient sur le plan économique, mais il faut reconnaître que les autres intervenants du secteur ont été grandement marginalisés pour toutes sortes de raisons. Premièrement, dès que l'on accorde des droits de propriété indéfinis à un groupe, d'autres groupes risquent d'être pénalisés en comparaison.

On a gravement porté atteinte au droit qu'a la collectivité dans son ensemble de jouir d'un environnement intact, et notamment, à celui des pêcheurs sportifs, des pêcheurs traditionnels maoris et même des scientifiques qui auraient voulu que certaines zones soient protégées. Cela m'inquiète. Cependant, cette situation est due en partie au système de gestion des quotas. Elle n'est pas due uniquement au fait que les pêcheurs et les intervenants du secteur de la pêche sont des membres influents de la collectivité. Leur pouvoir et leur domination relative du processus de décision se sont trouvés sensiblement renforcés par le fait qu'ils possèdent leurs propres quotas.

Il faut dire aussi que les titulaires de permis n'ont pas été aussi motivés que nous l'avions prévu du début au milieu des années 80 pour ce qui est de veiller à la sécurité des stocks. Nous avions cru qu'en devenant propriétaires des stocks, en acquérant le droit d'exploiter la ressource -- il ne s'agit pas d'un droit de pêche directe, mais d'un droit d'accès -- ils veilleraient à l'intégrité des stocks.

D'entrée de jeu, disons que ce n'est pas la mentalité qui semble avoir cours. De fortes pressions s'exercent pour maintenir des limites de prises élevées. En fait, ces pressions sont devenues plus intenses à mesure que se précisait la définition du droit de propriété.

Chose frappante, le secteur était très enthousiaste à l'idée d'avoir des quotas qui soient négociables en banque. Les titulaires de quotas peuvent les inscrire sur leur bilan et obtenir des prêts en contrepartie. L'une des conséquences de cela, c'est qu'ils sont encore plus réticents à accepter des réductions des limites de prises, car il s'agit d'un actif en contrepartie duquel ils ont obtenu un prêt.

Cela semble poser un dilemme sérieux pour les gestionnaires des pêches. Pour assurer l'intégrité des stocks, il faut avoir un système souple qui puisse réagir en cas d'apparente surpêche.

Les pêcheurs ont continué de vouloir hausser les limites des prises. Ils ont exercé de fortes pressions pour les maintenir à un niveau élevé, même lorsque les données relatives aux stocks militent contre cette situation.

Un des problèmes liés à la conception de ces systèmes, si nous considérons les choses du point de vue de l'approche économique du tableau noir, c'est que nous pensons que la limite de pêche est établie à la suite d'un processus scientifique quelconque. En Nouvelle-Zélande, le processus est extrêmement politisé. La limite n'est pas établie par des experts indépendants. Elle est assujettie aux pressions de tous les intervenants. Ces derniers souhaitent récolter des profits maintenant et profiter d'escomptes intéressants plutôt que d'attendre pour recueillir les fruits liés à une croissance ultérieure des stocks. Ils ont constamment insisté pour imposer des délais de paiement de trois ou quatre ans, ce qui est loin des 10 ans que nous avions espérés. Cette attitude est dictée par la nécessité pour eux de payer leurs bateaux, et cetera, mais chose certaine, le système de gestion des quotas n'a pas eu pour effet de régler le problème comme nous l'avions souhaité.

Il faut envisager toute une gamme de contrôles additionnels, qui s'ajouteront aux limites des prises. Il faut aussi nommer à la barre des institutions chargées de fixer ces limites des gens de conviction. On doit aussi prévoir des contrôles pour protéger les invertébrés et les oiseaux marins, ainsi que les zones endommagées par le chalutage, le dragage ou quoi que ce soit d'autre.

Lorsque le système de gestion des quotas a été implanté, on a jugé inefficiente l'idée d'imposer des contrôles additionnels.

On a prêté peu ou pas d'attention aux mesures de protection de l'environnement. Il est essentiel qu'un système de quotas prévoie des zones protégées dont les limites sont bien établies, un processus rigoureux d'évaluation des répercussions environnementales et la prise en compte de l'incidence de méthodes différentes sur divers sols marins, ainsi que sur la faune des mammifères et des oiseaux marins, quels qu'ils soient. Nous avons fait trop peu d'efforts en ce sens.

Cela dit, notre système a beaucoup évolué. Au lieu d'établir des quotas qui représentent un tonnage absolu, nous fixons maintenant les quotas en tant que pourcentage des prises totales, ce qui fait assumer le risque non plus au gouvernement, mais aux pêcheurs. Quoique utile, cette mesure a eu un autre effet, soit que les intervenants du secteur sont devenus beaucoup plus réticents à accepter un retour en arrière des limites, étant donné que toute réduction de la limite des prises touche immédiatement leur part proportionnelle.

Il n'est pas facile d'anticiper la pression qui s'exercera sur les décideurs. Nous n'avons pas su anticiper l'incidence de cette dynamique sur la prise de décisions et nous n'avons pas su non plus mesurer l'influence de ceux détenant un pouvoir relatif.

Je vous conseillerais de vous assurer que des droits clairs et bien définis soient accordés à d'autres parties et qu'il y ait également un système sans faille pour assurer la protection de l'environnement. Les autres parties doivent pouvoir prendre part au processus de décision.

L'un des problèmes tient au fait que nous n'avons pas mis des ressources à la disposition des pêcheurs sportifs, des organismes de protection de l'environnement et d'autres intervenants. Les organismes de protection de l'environnement sont particulièrement mal financés chez nous. Ils ne peuvent compter sur des allégements fiscaux, des fondations, et cetera. Des gens comme moi, qui ont d'autres emplois, doivent faire de leur mieux tout en assumant d'autres responsabilités. Inévitablement, cela signifie que nos efforts et notre préparation ne sont jamais à la hauteur de ceux d'un secteur dont les goussets sont bien remplis. D'habitude on comptera un ou deux environnementalistes, un ou deux représentants de la pêche sportive et une vingtaine de porte-parole de l'industrie de la pêche aux réunions où se prennent les décisions. À lui seul, le poids du nombre fausse les décisions en faveur du secteur commercial, aux dépens des autres intérêts.

Au bout du compte, nous avons fini par adopter certaines mesure législatives raisonnables, notamment la Loi sur les pêches de 1996, mais le ministre des Pêches ne l'a tout simplement pas mise en oeuvre et n'a pas autorisé de crédits dans le budget. Cela n'est pas attribuable à l'incompétence inhérente du gouvernement, mais plutôt à la position d'un ministre très antipathique qui estime qu'en principe, l'État n'a pas sa place dans la vie des citoyens et qu'il convient de tout remettre entre les mains du marché.

Cette situation résulte également des pressions très fortes que le secteur exerce sur le ministère. Les exigences de l'industrie sont satisfaites surtout parce qu'on sait qu'elles sont susceptibles d'être appuyées par des poursuites en justice. Les représentants du secteur commercial savent que leurs opposants n'ont pas les moyens d'entamer des recours juridiques. Résultat, des mesures de contrôle environnementales valables n'ont pas encore été mises en oeuvre.

Pour l'année en cours, le ministre a prévu 73 000 $NZ pour l'ensemble de la politique opérationnelle concernant l'incidence de la pêche sur l'habitat aquatique.

Étant donné qu'il s'agit d'une zone 15 fois plus grande que la superficie terrestre de la Nouvelle-Zélande, c'est une somme tout simplement dérisoire. Les autorités commencent à se rendre compte qu'elles auraient dû faire un meilleur travail, mais l'industrie réclame sans relâche. «Nous voulons ces réformes institutionnelles. Nous voulons la cogestion. Nous voulons telle ou telle autre chose.» C'est ce qui a retenu au premier chef l'attention du ministère.

Je ne peux pas faire d'affirmation catégorique, mais il est vrai qu'étant donné qu'ils ont des quotas, on prête une oreille beaucoup plus favorable à leurs arguments qu'à ceux d'autres intervenants. En un sens, la légitimité, ce pouvoir juridique et politique que leur confère la propriété des quotas fait d'eux des joueurs dominants.

Dans le secteur, les grandes entreprises ont de loin dominé les petites. C'est une question dont nous avons parlé ici.

Nous faisons face à d'importants problèmes de divers ordres car nous avons un système de recouvrement des coûts en vertu duquel l'industrie de la pêche est tenue de payer le coût de la gestion de la pêche. C'est logique, en ce sens que toute cette idée d'accorder à un joueur la gestion des pêches vise à accroître la rentabilité du secteur moyennant une surpêche énorme, à accroître les loyers économiques et, en même temps, à améliorer le système biologique.

Conséquemment, l'industrie a été extrêmement réticente à ce qu'on injecte des fonds dans la recherche sur les pêches, la protection de l'environnement ou toute autre mesure de protection de l'intérêt public. En effet, elle paie 70 p. 100 des coûts de ce que fait ou commande le ministère. Les fonds consacrés à la recherche, qui n'étaient déjà pas très considérables, ont subi des compressions radicales dans le secteur des pêches. Dans mon document, je donne des chiffres. Parallèlement, il y a des lacunes énormes dans notre information. Nous savons très peu de choses au sujet de certains de ces stocks.

Je ne sais pas si vous avez la version anglaise ou française, ou si votre pagination est la même que la mienne, mais dans la deuxième colonne de la page 7, vous trouverez la rubrique «Documentation sur l'évaluation annuelle des stocks».

Le président: Oui.

Mme Wallace: Ce que j'essaie de faire comprendre, c'est qu'en dépit du fait que plusieurs estiment que le système de gestion des quotas de la Nouvelle-Zélande est un succès, si l'on regarde l'information disponible au sujet des stocks de poisson, on constate que bien souvent nous n'avons aucune idée de leur importance, de leur rendement, de la façon dont ils se comparent à un rendement durable optimal, à l'état original de biomasse, et cetera.

Ce qui me frappe dans le cas de la Nouvelle-Zélande, c'est qu'on dit beaucoup de choses alors qu'on en sait si peu. Nous savons qu'environ 50 à 60 p. 100 du total des prises commerciales autorisées sont risquées, soit parce que nous ignorons leur rendement, soit parce que les limites des prises sont deux fois plus élevées que tout rendement durable. Cela représente un dépassement énorme. En fait, nous n'avons d'information sur les stocks de poisson que pour quelques stocks. Certains d'entre eux sont véritablement en péril alors que d'autres ne le sont pas.

Pour vous donner un exemple des plus dramatiques, l'un des stocks d'hoplostète orange a été ouvert à la pêche pour la première fois en 1994, et ce, intégralement sous le régime de gestion des quotas. Or, l'évaluation du stock effectué cette année montre que la biomasse originale a subi une perte de 4 p. 100. Et pourtant, cette espèce est gérée par une association de titulaires de quotas d'hoplostète orange qui est censée s'occuper de ces problèmes. Nous ignorons si une biotoxine a éradiqué le stock, s'il y a eu surpêche ou si les estimations étaient erronées, mais tout cela augure mal. Un certain nombre de stocks sont encore bien en deçà du rendement équilibré maximal, qui est l'objet de la mesure législative. Or, les pressions favorables à la surpêche continuent, en dépit de ces éléments.

Nous ne sommes pas convaincus que la création d'associations de titulaires de quotas protégera nécessairement les stocks, mais en théorie, c'est ce à quoi on se serait attendu. L'idée d'un club réunissant des gens ayant des idées analogues a pu laisser croire que ce serait le cas, mais d'après l'expérience, ce ne l'est pas.

L'absence d'information est endémique dans tout le système. Cette lacune est attribuable au système de recouvrement des coûts et à la domination des pêcheurs. D'une certaine façon, l'octroi de quotas n'a pas été suffisant, c'est le moins qu'on puisse dire, et cela a peut-être même empiré les choses.

Je ne pense pas que quiconque préconiserait le maintien d'un arrangement d'accès libre. Je ne pense pas non plus que l'on doive imposer des contrôles excessifs sur les intrants dont le seul effet serait de faire disparaître les rentes économiques pour des raisons d'inefficience. Honnêtement, je ne peux affirmer que le système de gestion des quotas a résolu ne serait-ce que le problème de l'intégrité des stocks, et je sais pertinemment qu'il n'assure pas la protection de l'environnement. Dans certaines zones, les invertébrés marins sont constamment attaqués.

Les prises de mammifères marins sont considérables et la population d'oiseaux marins décline. En outre, nous avons noté avec soin des différences dans la façon dont les observateurs gouvernementaux et les observateurs de l'industrie font leurs rapports. Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais si cela vous intéresse, je pourrais vous les communiquer. Il y a eu des cas où des observateurs gouvernementaux étaient sur certains bateaux, des observateurs de l'industrie sur d'autres et où ce sont les propriétaires de bateaux eux-mêmes, les pêcheurs, qui ont signalé des prises de mammifères marins. Il y a eu des écarts allant jusqu'à 59 p. 100 entre les rapports des observateurs de l'industrie et du gouvernement au sujet des prises de certains de nos mammifères marins les plus rares. Récemment, l'écart est tombé à 10 p. 100. Les observateurs commerciaux ne signalent qu'une prise de mammifères marins sur 10 alors qu'il est obligatoire de les signaler toutes.

Pour toutes ces raisons, nous hésitons beaucoup, comme on le propose ici, à céder à l'industrie la gestion des bases de données et les systèmes d'information qui sont vitaux. Nous hésitons également à leur confier la gestion de la recherche, et à accepter une suggestion qu'ils ont faite récemment, c'est-à-dire de rédiger les plans de gestion durable des pêches. Nous craignons très fort que cette stratégie ne soit très risquée. En tout cas, cela désavantagerait considérablement d'autres intérêts de l'environnement marin, et en particulier les groupes environnementaux, les pêcheurs sportifs et les pêcheurs maoris coutumiers.

Je pourrais en dire beaucoup plus, mais peut-être le moment est-il venu de vous laisser poser des questions si vous avez besoin de détails que je ne vous ai pas donnés.

Le président: Merci beaucoup, madame Wallace. Voilà un exposé particulièrement efficace. La Nouvelle-Zélande a de la chance que vous soyez là pour défendre l'environnement, et cetera, un secteur d'activité que le SGQ n'avait pas prévu. Il faut espérer qu'avec le temps viendront des changements qui vous donneront à vous, et à d'autres, ce moyen important d'administrer ce secteur de la plus haute importance. Nous prendrons contact avec vous pour obtenir les rapports que vous avez accepté de nous communiquer. Cela nous sera très utile.

Les membres de notre comité attendent impatiemment de vous poser des questions; nous allons donc commencer.

Le sénateur Stewart: Cette divergence d'opinions entre deux experts aussi sincères que compétents est particulièrement révélatrice. Cela montre à quel point le problème est complexe. J'allais demander si notre témoin pouvait expliquer ce contraste, mais je m'en abstiendrai.

Je connais très mal l'économie de la Nouvelle-Zélande. Je vais donc vous poser des questions au sujet de la participation directe ou indirecte des grosses compagnies dans d'autres types d'industrie. Est-ce que vous avez des compagnies de pêche qui possèdent des filiales avec des intérêts dans l'élevage du mouton, ou bien encore, y a-t-il des directeurs de grosses compagnies de pêche qui jouent un rôle important dans d'autres secteurs de l'économie?

Mme Wallace: Oui. Je sais que plusieurs personnes qui jouent un rôle important dans le secteur des pêches oeuvrent dans d'autres secteurs également, mais je ne pourrais pas vous citer des recherches systématiques et détaillées dans ce domaine car je n'en ai pas fait.

J'aimerais dire aux membres du comité que je n'ai pas assisté à l'exposé de M. Annala. Je ne pourrai donc pas le commenter si vous ne me dites pas ce qu'il a dit.

Toutefois, je peux vous dire qu'il travaille pour le gouvernement, que j'ai le plus grand respect pour lui, mais qu'effectivement, nous ne sommes pas d'accord sur les réalisations du ministère dans le domaine de l'environnement, pas d'accord non plus en ce qui concerne ce que le ministère a fait pour d'autres parties prenantes.

Le sénateur Stewart: Peut-être serait-il utile de nous dire plus précisément ce que vous enseignez à l'école de commerce et d'administration publique. Je vous pose la question car lorsque je parle à un professeur d'une école d'administration, je suppose qu'elle (ou il) doit avoir une position assez différente de la vôtre. Toutefois, vous avez peut-être une spécialité à part.

Mme Wallace: Comme la plupart des gens, j'ai effectivement des spécialités. J'enseigne n'importe quoi, à partir de la première année d'économie, macro et micro, jusqu'à la politique publique avancée, et en particulier l'économie de l'environnement et des ressources. Les pêches sont une de mes spécialités.

Ce qui m'intéresse, c'est de voir les ressources de la nature dans leur ensemble, de concevoir un mode de traitement efficace de l'ensemble de l'environnement, et de ne pas tenir compte uniquement des aspects financiers. Je pense qu'à l'heure actuelle de nombreux économistes adoptent la même démarche.

Le sénateur Stewart: Vous avez dit que les conclusions n'étaient pas toujours les mêmes selon les observateurs. À quoi attribuez-vous cette différence? Est-ce que les observateurs des compagnies sont plus endormis, disons, que les observateurs du gouvernement? Au Canada, on nous a dit que lorsque les observateurs étaient en mer, ils ne quittaient jamais leurs couchettes pendant très longtemps. À quoi attribuez-vous cette différence dans les résultats?

Mme Wallace: Il y a une plaisanterie selon laquelle les mammifères marins sont uniquement attirés par les bateaux des observateurs du gouvernement.

Il est certain qu'il y a des divergences entre les différents rapports. En réalité, pour une raison quelconque, les rapports ne sont pas fournis. Nous ne savons pas pourquoi. Est-ce que ces gens-là dorment trop? Est-ce que les équipages ont du respect pour eux? Est-ce qu'ils mentent? Nous ne le savons pas. Ce que nous savons, c'est que d'après les statistiques, la fréquence des rapports est très différente et nous ne savons pas pourquoi.

Le sénateur Stewart: Vous avez fait une analyse cinglante des conséquences du système de quotas individuels transférables qui existe en Nouvelle-Zélande. Vous avez dit également que l'accès libre n'était pas une bonne idée.

Avez-vous une meilleure solution à proposer que le système des QIT? Il serait injuste de vous demander de nous l'expliquer en détail, mais pourriez-vous au moins nous donner une idée des principes qui pourraient figurer dans un système amélioré?

Mme Wallace: Je comprends que dans votre pays les opinions sont polarisées entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre un système de gestion des quotas. J'avais pensé que cela donnerait de bons résultats, et j'étais en faveur de cette idée. Toutefois, je me suis aperçu que les résultats n'étaient pas aussi bons que les économistes l'avaient prédit. Voilà ma position.

Je me demande ensuite: omment se fait-il que les arrangements institutionnels soient toujours décevants? Comment se fait-il que la prise de décisions laisse toujours à désirer? Qu'est-ce qui ne va pas dans la définition des droits de la propriété? Que faut-il penser des autres contrôles qui ont été imposés ou rejetés, qui ont bien fonctionné ou qui ont été décevants?

Si on donne des droits à quelqu'un, il faut en donner à tout le monde. Autrement, ceux qui ont des droits clairement définis se trouvent marginalisés. Si nous voulons protéger efficacement l'environnement, il faut que cela soit énoncé noir sur blanc, dès le départ. Il faut organiser les choses de façon à ce que les règles puissent être respectées, et cela veut dire que quelqu'un doit avoir de bonnes raisons de s'en occuper, des raisons financières, entre autres.

En Nouvelle-Zélande, nous aurions besoin d'une sorte de ministère de la gestion de l'impact des activités maritimes qui viendrait contrebalancer les pressions exercées par l'industrie et protégerait ainsi l'environnement. Peut-être que notre ministère de la Conservation devrait être officiellement propriétaire du fond marin et des invertébrés. Nous sommes toujours en pourparlers à ce sujet, nous essayons de trouver une solution qui fonctionne.

Nous nous engageons dans la voie de la cogestion, mais en fait, lorsque l'industrie s'empare de la gestion des pêches, c'est aux dépens de tous les autres intérêts, et il est à peu près certain que cela ne fonctionnera pas. C'est une stratégie extrêmement dangereuse. Les gens qui s'adonnent à la pêche récréative, les pêcheurs coutumiers maoris, devaient avoir des droits très clairs, des droits qui seraient établis en même temps qu'on met en place un système de gestion par quota pour les pêcheurs commerciaux.

Le sénateur Perrault: À votre avis, est-ce que l'ensemble de la planète se heurte au même problème fondamental, par exemple la diminution de la couche d'ozone et ses effets sur le plancton et les autres systèmes de l'environnement marin? Est-ce qu'on exagère ce danger?

Mme Wallace: Certaines tendances mondiales sont évidentes, et il est certain que la réduction de la couche d'ozone dans la stratosphère cause un problème. Les chercheurs marins nous ont dit: «Si l'avenir de la mer vous inquiète, vous devriez commencer par vous inquiéter de tout ce qui peut avoir un impact sur les poissons».

Il est certain qu'il faut s'attendre à un changement climatique mondial, à la diminution de la couche d'ozone et à l'invasion d'espèces venues d'ailleurs, du moins en Nouvelle-Zélande. Ce sont des sujets de préoccupation, mais pour les gestionnaires des pêches, la question la plus importante, c'est la gestion des pêcheurs, c'est la nécessité de s'assurer qu'ils ne causent pas plus de dommages que nécessaire, et que tout type d'exploitation est durable, à la fois par son impact et par la quantité de prises.

Le sénateur Perrault: Vous avez parlé de l'hoplostète, et vous avez dit qu'il y avait une région de la Nouvelle-Zélande où il n'y avait plus que 4 p. 100 de la biomasse. C'est un scénario désastreux. Qu'est-ce que l'association de l'hoplostète fait à ce sujet puisque, apparemment, la baisse catastrophique des prises ne l'inquiète pas?

Mme Wallace: Leur première réaction est de contester la validité de l'évaluation des stocks. C'est en général ce qui se produit. Les gens ont tendance à discuter de l'évaluation des stocks pendant trois ou quatre ans, alors que les chiffres ont perdu toute validité. En attendant, rien ne se fait, et la situation ne cesse d'empirer.

Je ne sais pas ce que les gens qui s'occupent de l'hoplostète font, mais ils ne font rien de particulièrement dynamique pour essayer d'améliorer la situation. Personne ne comprend ce qui s'est passé.

Le sénateur Perrault: Vous le savez peut-être, c'est un poisson que les Canadiens importent volontiers, mais il semble qu'on le voie de moins en moins. Est-ce que c'est à cause de la situation dans ce secteur?

Mme Wallace: Dans notre pays, les pêcheurs ont tendance à épuiser complètement une zone de pêche avant de passer à une autre. C'est seulement en 1978 que la Nouvelle-Zélande a déclaré sa zone économique exclusive et depuis lors, nous pratiquons la pêche intermittente. Nous exploitons un stock jusqu'à ce qu'il n'en reste pratiquement pas, puis nous passons à un autre stock, et ainsi de suite. C'est ainsi que nous avons eu des bénéfices extrêmes, sur le plan économique. Les pêcheurs se déplacent d'une zone à l'autre. Ils éliminent un stock, et ils passent au suivant.

Le sénateur Perrault: Les critiques du système néo-zélandais signalent un haut degré de concentration, et vous en avez parlé également. De grosses compagnies, des compagnies verticalement intégrées, contrôleraient pratiquement tout le secteur des pêches. En 1993, les trois plus grandes compagnies, Sealord, Sanford et Amaltal, étaient apparemment propriétaires de plus de 50 p. 100 des quotas. Est-ce que cette proportion est restée la même, ou bien est-ce plus ou moins?

Mme Wallace: J'ai essayé de déterminer cela, mais c'est très difficile car il y a d'autres compagnies et les liens entre diverses compagnies sont difficiles à déterminer. Le ministère des Pêches lui-même ne réussit pas à le faire, et pourtant, la loi est censée imposer une limite de concentration. Comme je n'ai pas trouvé un moyen de retracer tous ces liens de propriété, je n'ai pas de réponse.

Toutefois, il semblerait que la proportion continue à augmenter, mais je n'ai pas de données claires à ce sujet.

Le sénateur Robertson: Vos observations nous ont été extrêmement utiles, et vous avez déjà répondu à certaines questions que je me posais. Vous nous avez parlé des frustrations que vous donnaient la théorie et la pratique, et cela m'a amusée. Nous savons tous par expérience que la théorie et la pratique ne vont pas souvent de pair.

Est-ce que les environnementalistes néo-zélandais ont participé à l'élaboration du système de gestion des quotas, ou bien est-ce que la question de l'environnement s'est posée plus tard?

Mme Wallace: J'ai participé au processus, mais pas en qualité d'environnementaliste. J'étais là à titre d'économiste. Je pourrais vous répondre de diverses façons. Effectivement, j'ai participé au processus et, effectivement, nous avions certaines préoccupations, mais dans l'ensemble, il est probable que nous les avons mises de côté. À l'époque, nous pensions: ces gens-là ne comprennent pas à quel point ce régime de droits de propriété va être utile, à quel point cela va limiter les activités de pêche et imposer des limites de prise quantitatives, des limites très fermes. Je continue à penser que c'est important.

Tout comme les autres intervenants, il est exact qu'aujourd'hui j'accorde plus d'importance à l'aspect environnemental, et nous considérons tous que le monde naturel est un capital que nous devons préserver avec autant de soin, sinon plus, que le capital financier, par exemple. En fin de compte, l'environnement marin nous offre toutes sortes de services, et si nous n'en prenons pas soin, il y a des choses que nous allons perdre irrévocablement.

Le sénateur Robertson: Je reviens à la question de la surpêche dont certains de mes collègues ont parlé. En Nouvelle-Zélande, quelles sont les peines prévues lorsque quelqu'un dépasse les limites de prises?

Mme Wallace: S'ils sont pris sur le fait, les pêcheurs s'exposent individuellement à certaines peines. Toutefois, le système qui doit déterminer ce que les gens prennent et ce qu'ils sont censés prendre ne fonctionne pas très bien.

En principe, il doit y avoir une vérification, mais l'équipe de vérification néo-zélandaise s'est pratiquement désintégrée, et les principaux administrateurs du secteur des pêches eux-mêmes reconnaissent qu'ils ne réussiront à examiner les activités d'une entreprise de pêche que tous les 50 ou 150 ans. À ce compte, il est peu probable qu'on détecte quoi que ce soit. L'idée de ces associations de détenteurs de quota est valable, à la condition que ceux-ci peuvent se surveiller mutuellement, mais malheureusement, s'ils ont tous intérêt à faire de la surpêche, ils peuvent se mettre d'accord entre eux pour le cacher. Lorsqu'il s'agit de ressources renouvelables, si on considère les principes économiques et environnementaux, lorsqu'il s'agit d'une espèce à croissance lente, une espèce qui se reproduit peu et qui a une valeur élevée, si de plus elle est relativement facile à prendre, ou si le coût de ces prises n'augmente pas de façon marquée, selon toute probabilité, il va y avoir surpêche. Économiquement parlant, c'est une bonne idée d'exploiter la ressource à fond et de mettre les bénéfices à la banque.

Il n'y a rien dans les nouveaux arrangements institutionnels qui puisse mettre fin à cela. Les gens ne vont pas arrêter de surpêcher, ils vont surpêcher ensemble.

Le sénateur Robertson: M. Annala nous a dit que ce système TPA n'avait pas un impact négatif sur les communautés côtières ni peut-être sur les pêcheurs à temps partiel. Dans notre pays, c'est l'inverse qui s'est produit. Pouvez-vous nous expliquer quel est l'impact de votre système de quotas sur les communautés côtières qui, le plus souvent, abritent les petites entreprises?

Mme Wallace: Cela dépend énormément des autres intervenants dans un secteur donné. Lorsqu'il s'agit de petites communautés relativement statiques -- toutes au même endroit, très attachées à cet endroit et à ce stock --, ces communautés-là ont tendance à préserver le stock grâce au système de gestion par quota. Par contre, lorsqu'à côté de ces pêcheurs de la communauté il y a d'autres compagnies qui sont beaucoup plus mobiles, qui peuvent épuiser les stocks dans une région avant de passer à une autre, ces communautés-là ont beaucoup souffert. Elles ont vu les gros chalutiers s'installer dans leurs eaux, prendre tout le poisson et partir en les laissant sans ressources. C'est l'un des domaines où le système de gestion par quota doit être complété par d'autres types de contrôle pour limiter l'épuisement localisé de certains stocks lorsque des communautés locales ou l'environnement dépendent de ce stock.

La situation varie, cela dépend de l'homogénéité d'une pêche, de l'attachement d'une population locale à un stock local.

Le sénateur Butts: Professeur Wallace, si j'ai bien compris, vous n'avez rien contre le QIT en soi. À votre avis, quelles dispositions précises faudrait-il ajouter au QIT pour le rendre viable?

Mme Wallace: Comme vous le savez, c'est un problème très difficile, et je ne suis pas absolument certaine de la réponse, mais je peux essayer.

Je ne sais pas si je suis contre le QIT ou pas. J'aimerais prendre position clairement, mais c'est impossible. Au départ, j'étais tout en faveur de ce système, mais de plus en plus, j'ai des doutes. J'estime que ce système comporte des problèmes inhérents.

Si vous vouliez mettre en place un système de QIT, et en même temps éviter certains des problèmes, je pense que vous devriez vous assurer que les autres modes d'exploitation de l'environnement marin sont bien reconnus, vous devriez avant toute chose, légitimer ces autres secteurs et prévoir des droits à la propriété. Ces autres secteurs devraient avoir les ressources nécessaires pour négocier avec l'industrie. Dans tout système où on laisse les gens se réunir tous ensemble pour négocier, on verra forcément les gros intérêts dominer l'industrie.

Tout système qui laisse le secteur de la pêche sportive libre de s'organiser sans lui donner les ressources nécessaires, va forcément échouer parce que ce genre de transaction coûte très cher. Si les pêcheurs de ce secteur-là sont très nombreux, et s'ils sont très isolés les uns des autres, cela peut être difficile. Tout système qui ne protège pas non plus les droits d'exploitation coutumiers se heurtera forcément à de graves difficultés.

Ce qui est encore plus problématique, c'est la protection de l'environnement. Il faut arrêter des règles très solides sur la prise de décision, et il faut également financer la participation aux négociations ou aux discussions du secteur de l'environnement, des chercheurs et autres communautés d'intérêt. Je crois que chez vous les intervenants sont beaucoup mieux financés; ils ne le sont pas du tout ici.

Il faut mettre en place des systèmes solides, avec des experts indépendants qui possèdent des données très complètes sur l'évolution des stocks de poisson, et tout cela doit être bien distinct des autres processus. Autrement, le pouvoir politique de l'industrie va forcément repousser les limites de prises, supprimer les contrôles environnementaux, diminuer la recherche environnementale, et cetera. Vous ne devez pas oublier que plus l'industrie aura de droits, plus elle les utilisera pour dominer la prise de décision.

J'aimerais pouvoir vous donner une réponse plus claire que celle-ci.

Le sénateur Butts: Est-ce que les petits propriétaires et les petites communautés, les pêcheurs sportifs, est-ce que ces gens-là sont les grands perdants?

Mme Wallace: Effectivement, je le pense, sauf dans les régions où ils sont les seuls intervenants. Partout où il y a un mélange de petites et de grosses entreprises, ce sont les petits qui ont tendance à perdre.

La Nouvelle-Zélande a pris une décision affreuse. Avant de mettre en place le système de gestion par quota, nous avons expulsé de l'industrie, d'un simple trait de plume administratif, quiconque gagnait moins de 10 000 $ ou tirait moins de 80 p. 100 de ses revenus de la pêche. Nous avons tout simplement jeté ces gens-là dehors avant même l'introduction du système de gestion par quota. On l'a fait pour économiser sur les coûts des transactions qu'on aurait eues pour les gérer. C'était terriblement injuste et cela a été une terrible épreuve pour beaucoup de gens.

Bref, nous avons causé une partie des dommages avant la mise en place du système de gestion par quota. Nous pouvons vous dire également que l'environnement y perdra beaucoup si vous ne réussissez pas à contrôler l'impact du chalutage, du dragage et de diverses autres pratiques.

Le sénateur Butts: Est-ce qu'on fait de l'aquaculture dans les petites communautés de Nouvelle-Zélande?

Mme Wallace: Nous avons plusieurs exemples d'aquaculture, c'est un secteur qui se développe très rapidement. À l'heure actuelle, il n'est pas particulièrement bien contrôlé ou administré, je pense en particulier à l'impact cumulatif de ce type de culture.

Le sénateur Butts: Est-ce que les informations que vous souhaitez recueillir existent quelque part? Est-ce que le gouvernement possède ce genre de données? Si ce n'est pas le cas, avez-vous une loi sur la liberté d'information qui vous permettrait de les obtenir?

Mme Wallace: Nous avons une loi sur la liberté d'information. Le problème, c'est que pour obtenir ce genre d'information, il faut souvent payer de 700 $ à 900 $. L'information existe, mais l'obtenir est une autre paire de manche.

À l'heure actuelle, le processus d'évaluation des stocks est très libre, et les intéressés parlent volontiers de ce qui se passe. Ce qui n'est pas facile à obtenir, ce sont les données économiques, les données sur la structure de la propriété, et cetera. Cela n'existe pas sous une forme facile à obtenir.

Ce qui nous inquiète surtout, c'est que le système de gestion par quota exige que l'on comprenne parfaitement ce qu'est un stock, ce qu'est le rendement, ce que sont les prises, l'effort de pêche, les prises par unité. Toute contamination ou distorsion de ces données peut avoir des effets désastreux sur la prise de décision. Ce qui nous inquiète, c'est que notre gouvernement obtient toutes ces informations relatives au système de quota et à l'évaluation des stocks par l'entremise de l'industrie. Ces gens-là ont de puissantes raisons pour introduire des distorsions ou contaminer les données. Compte tenu de ce que nous savons de leur manque d'honnêteté dans le cas des observateurs et des prises accessoires, nous avons de bonnes raisons de douter de ces sources d'information.

Nous nous demandons donc ce que nous réserve l'avenir si on confie les systèmes d'information, les données et la recherche à l'industrie sous prétexte de cogestion.

On dit que si l'industrie est chargée de tout cela, elle en comprendra mieux la raison, et elle sera plus convaincue de la nécessité de le faire, mais le problème, c'est que si les données sont contaminées, tout le système s'effondre.

Le sénateur Robichaud: Est-ce que ce problème d'évaluation des stocks se pose de la même façon pour la pêche hauturière et pour la pêche côtière.

Mme Wallace: Dans tous les cas, la nature des stocks prête énormément à controverse. Nous en savons beaucoup moins sur les stocks en eau profonde, en haute mer, car on a commencé à les évaluer beaucoup plus récemment. D'un autre côté, la pêche côtière met en cause un plus grand nombre de groupes de pêcheurs exploitants, et ils contestent volontiers les données. Les divergences d'opinions sont donc plus fréquentes lorsqu'il s'agit des informations sur la pêche côtière, simplement parce qu'en haute mer, il n'y a pratiquement que des pêcheurs commerciaux.

Les informations que nous avons en Nouvelle-Zélande sont très incertaines. Comme je l'ai dit, depuis 1990, plus du quart de notre budget de recherche a été coupé et ce n'était déjà pas très élevé au départ.

Le sénateur Robichaud: Que pense la communauté des pêcheurs de ce manque de données sur l'évaluation des stocks? Lorsqu'ils constatent ce genre de chose dans le cas d'un stock particulier, ont-ils peur des répercussions négatives que cela pourrait avoir pour eux lorsque les stocks qu'ils exploitent seront en cause?

Mme Wallace: Cela est assez évident. Depuis cinq ans, j'assiste à ces réunions, et je n'ai jamais entendu le représentant d'une compagnie de pêcheurs ou un chercheur qu'ils ont embauché, dire qu'un stock donné pourrait être en difficulté et qu'il faudrait peut-être ralentir les activités dans ce secteur. Je ne l'ai jamais entendu. Par contre, j'ai entendu mille et une raisons de ne pas croire les données sur la baisse des stocks. Le poisson se cache quelque part, ou encore les pêcheurs ne savent pas pêcher, ou encore la température de l'eau est mauvaise. Au bout de cinq ans, je me suis rendu compte que ces gens-là n'avaient jamais admis la possibilité d'un problème, jamais admis qu'il serait peut-être bon d'y consacrer un peu d'argent.

Comme n'importe qui, je suis renversée de voir des gens qui possèdent un quota se comporter de cette façon-là. Et pourtant, c'est ce que je constate. En ces conditions, quand on assiste à de tels comportements, quand on voit ce que deviennent nos stocks de poisson, quand on constate que la Nouvelle-Zélande qui est si fière de son système de gestion par quota ne possède pas ce type d'information, quand on pense aux coupures dans le domaine de la recherche, quand on tient compte de tout cela, on est forcé de se dire que les mesures prévues pour encourager la préservation des stocks ne doivent pas être très efficaces. Vous et moi aurions pu nous attendre à l'inverse, mais apparemment, cela n'a pas été le cas. Je n'en connais pas la raison. Apparemment, les escomptes sont beaucoup plus élevés que nous le pensions, et nous incitons les gens à ne voir que les gains à court terme, sans tenir compte des conséquences.

Le sénateur Robichaud: Autrement dit, si j'étais Néo-Zélandais, si j'étais propriétaire d'une partie de ces stocks, je ne ferais pas forcément tout mon possible pour les protéger?

Mme Wallace: C'est ce que nous avions prévu, mais ce n'est pas le cas. Cela dit, nous ne savons vraiment pas pourquoi. Quand on considère les données, le manque d'information au sujet des stocks, quand on voit les efforts de l'industrie pour relever les limites des prises et couper le budget destiné à la recherche, il faut bien se dire qu'ils sont motivés par autre chose. Ils sont propriétaires de ces quotas, on pourrait penser qu'ils voudraient protéger l'espèce, mais ce n'est pas le cas. Il faut finalement nous rendre à l'évidence et nous dire que nous n'avons pas prévu ce qui se passe, que le système n'a pas bien fonctionné, et que dorénavant, la plus grande prudence s'impose. Je n'ai pas d'explication. J'avais les mêmes illusions que vous.

Le sénateur Robichaud: Si on assiste à un effondrement général du secteur des pêches, j'imagine que le gouvernement va être tenu pour responsable?

Mme Wallace: L'industrie des pêches a tendance à passer d'un stock à l'autre dans la zone économique exclusive de la Nouvelle-Zélande, et de plus en plus en Antarctique, et par conséquent, l'industrie ne s'effondre pas.

Le sénateur Perrault: A-t-on jamais réduit les quotas en pleine saison ou même fermé une pêche gérée par quota en plein milieu de la saison?

Vous dites qu'il faudra peut-être plus d'armes pour perfectionner ce système de quota, mais toute loi ne vaut que dans la mesure où on l'applique. Avez-vous été témoin de l'application de la loi en Nouvelle-Zélande?

Mme Wallace: À ma connaissance, il n'y a pas eu de réduction de quota pendant la saison, mais on pourrait me contredire sur ce point. D'ordinaire, il s'exerce une pression considérable pour augmenter le total autorisé des captures. C'est quelque chose qui peut s'ajuster d'année en année. Par exemple, cette année, certains d'entre nous auraient aimé que l'on étudie, entre autres, les répercussions de la drague à pétoncles sur les fonds de Spirit's Bay juste à la pointe de la Nouvelle-Zélande. Les savants là-bas ont découvert des ensembles plutôt inhabituels d'invertébrés marins, y compris 15 espèces qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Les dragues et les chaluts leur font un tort énorme. Le gouvernement refuse à tout prix d'en parler et encore moins de remédier à la situation.

Ce genre de chose se produit à cause des pressions de l'industrie. L'application de la loi laisse à désirer et on pourrait l'améliorer, à mon avis. Tout est fonction de la dynamique de cette puissance que donnent à l'industrie les quotas et dont elle se sert pour intimider le gouvernement. Il faut trouver une façon de limiter et contrôler ce pouvoir.

Par exemple, le lion de mer de la Nouvelle-Zélande, une espèce endémique et en danger, a été dévasté. Plus tôt cette année, parce qu'il y avait une biotoxine qui tuait le lion de mer, nous avons demandé aux pêcheurs d'aller ailleurs et de ne pas cibler le calmar, qui était malmené lui aussi. L'industrie n'était pas du tout enthousiaste à cette idée, même s'il est très rare que la population du lion de mer soit ainsi dévastée. Les pêcheurs ont pris tout ce qu'ils avaient le droit de prendre pour la saison et ensuite, parce que les ministres ont exercé des pressions importantes, ils ont fini par s'en aller. De toute façon, ils n'ont pas montré beaucoup de respect pour une espèce à l'agonie.

Le président: Vous avez dit qu'au départ vous étiez tout à fait en faveur de tout ce concept du SGQ, mais que les calculs théoriques n'ont pas été étayés, au fil des ans, par le vécu de la situation. Y en a-t-il de plus en plus comme vous, madame Wallace, qui s'aperçoivent que les calculs théoriques ne s'avèrent pas?

Mme Wallace: Un collègue australien, un économiste, a dit à une conférence réunissant des experts en économie l'an dernier, que parmi tous les systèmes de cogestion mis en oeuvre, il n'y en avait probablement pas un seul qui était encore satisfaisant après cinq ans. Il s'agit de voir comment on les conçoit et de comprendre quel autre assortiment d'incitatifs serait meilleur. Ce n'est pas en imposant le modèle du droit de propriété qu'on trouvera la solution toute faite. Il faut un ensemble de politiques, et tous les intervenants, les savants et les gens au pouvoir doivent surveiller le système de très près. J'aimerais pouvoir vous donner une réponse toute faite. Je connais beaucoup de Néo-Zélandais qui vous donneront une réponse toute faite, mais il y a déjà 12 ans que le système existe et je crois qu'il n'a pas connu le succès que nous avons souhaité. L'industrie en a tiré son profit, mais l'environnement et les autres intervenants n'y ont guère trouvé leur compte.

Le président: D'après beaucoup de témoins canadiens, les systèmes néo-zélandais, le SGQ, est un idéal que le Canada devrait chercher à imiter, à avaliser et à faire sien. Nous dites-vous qu'il nous faudrait peut-être revoir certaines de ces personnes qui nous ont proposé la Nouvelle-Zélande en modèle et les questionner à nouveau?

Mme Wallace: Vous devriez étudier la base empirique des affirmations qu'elles ont faites. Il y a beaucoup de Néo-Zélandais qui prétendent que ce qui s'est passé est absolument merveilleux. En général, tout cela est fondé sur la théorie et l'espoir, pas sur des preuves empiriques concernant ce que nous savons des stocks, des rendements et du sérieux des informations. Il y a beaucoup de gens ici qui disent que c'est merveilleux. Moi, je les interpelle: «Avez-vous vu les chiffres sur les stocks?» Pour la plupart, c'est non. Tout ça, c'est fondé sur la foi.

Le président: Vous avez souligné que l'industrie a réussi à contraindre le ministre à plusieurs reprises. À la page 9 de votre mémoire, vous mentionnez que l'industrie a pu imposer une série d'injonctions visant à empêcher la réduction du TPA demandé par le ministre. En fait, l'industrie a réussi à infirmer la décision du ministre et à réduire le TPA. Nous, ici au Canada, nous verrions cela avec un mauvais oeil. Est-il vraiment arrivé que l'industrie a réussi à annuler une réduction du TPA.

Mme Wallace: C'était un cas intéressant, parce qu'il a passé de la Cour supérieur à la Cour d'appel. Ce qui est arrivé, c'est que la Cour d'appel a infirmé la réduction des prises essentiellement pour une question de procédure -- les calculs liés à l'analyse coûts-avantages n'avaient pas été faits. Néanmoins, le jugement de la Cour d'appel a été très utile, parce que la Cour a dit très clairement que, même si l'industrie avait des droits de propriété, ils étaient soumis au contrôle social.

L'industrie n'en tient pas compte. Le hic ici, c'est qu'aucune organisation environnementale ou sportive, aucune organisation traditionnelle maori, ne possède les fonds lui permettant d'intenter une action en justice et de faire appliquer les dispositions environnementales de la loi. Généralement, l'industrie exerce bel et bien des pressions sur le ministère. Le ministre est plutôt content de faire objet de ces pressions -- cela fait son affaire du point de vue idéologique. À l'heure actuelle, l'industrie essaie d'intimider le ministère, en disant que si le gouvernement n'adopte pas les projets de cogestion dont ils sont saisis, elle entamera des poursuites en demandant le maximum en dommages-intérêts.

Cela constitue un problème. Je crois que le fait qu'ils sont si riches a influencé la décision de leur accorder des quotas aussi élevés sous forme de droits acquis. C'est la société qui leur a donné ces quotas, qui valaient environ 1,8 milliard de dollars. C'est une somme considérable en Nouvelle-Zélande, mais pas ici, sans doute. Vous devriez vous demander si vous avez des ressources solides qui vous permettront d'accorder des fonds aux autres intervenants et à la société.

Le président: Madame Wallace, j'aimerais profiter de cette occasion, au nom du comité, de vous remercier de nous avoir consacré de votre précieux temps afin de nous aider à approfondir nos connaissances sur la question de la privatisation en Nouvelle-Zélande. C'est un honneur pour nous.

Mme Wallace: Monsieur le président, je suis très impressionnée par l'ampleur de votre démarche. J'ai hâte de lire votre rapport. Pouvez-vous me dire quand vous comptez déposer votre rapport?

Le président: Nous allons déposer le rapport le 2 décembre 1998, si les choses vont comme prévues. Nous devons le déposer avant le 10 décembre. C'est certain que le rapport fera référence à votre témoignage.

Je propose que le mémoire présenté par Mme Wallace soit consigné au compte rendu du comité. Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

La séance est levée.


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