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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 26 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 8 h 30 pour examiner les questions de privatisation et d'attribution de permis à contingent individuel dans le secteur des pêches au Canada.

Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Conformément à notre ordre de renvoi, nous reprenons notre examen de la privatisation et de l'attribution de permis à contingent individuel dans le secteur des pêches au Canada. Avant de donner la parole à notre témoin, je voudrais faire quelques brèves remarques liminaires.

Comme nos délibérations aujourd'hui sont télédiffusées encore une fois, nous saluons tout particulièrement tous nos téléspectateurs. Nous sommes ravis d'accueillir ce matin l'honorable David Anderson, ministère des Pêches et Océans.

Au cours des derniers mois, le comité a examiné la question de la privatisation et de l'attribution de permis à contingent individuel dans le secteur des pêches commerciales au Canada. À cette fin, nous avons organisé de nombreuses vidéoconférences et obtenu les vues de Canadiens représentant un grand nombre de secteurs différents. Nous avons également reçu les témoignages d'experts en Islande et en Nouvelle-Zélande, puisque ces deux pays sont considérés comme des chefs de file sur le plan de la privatisation des pêches. Nous sommes donc très reconnaissants à tous nos témoins, au Canada et à l'étranger, et nous les remercions de leur précieuse contribution.

Bien que la privatisation désigne un grand nombre de possibilités, le débat au Canada concerne surtout la possibilité de permettre aux pêcheurs et aux entreprises de pêche de posséder une proportion des stocks de poissons sous forme de permis à contingent ou à quota individuel, qui sont désignés par les sigles QI, QIB, QIT et AE. Ces permis de pêche donnent aux pêcheurs ou aux entreprises le droit de capturer chaque année une certaine quantité de poissons -- comme une sorte d'inventaire vivant. Les permis à quota représentent un grand changement par rapport à la méthode de gestion traditionnelle des pêches axée sur la concurrence, et la possibilité d'attribuer de tels permis suscite donc de vives émotions sur les deux côtes du Canada. Il existe une grande divergence d'opinions à ce sujet parmi les pêcheurs du Canada.

Le processus de privatisation des droits de pêche au Canada s'est amorcé vers le début des années 80. Je devrais préciser que cela s'est fait progressivement jusqu'à présent, au cours du mandat de plusieurs ministres des Pêches et de plusieurs gouvernements successifs. Par conséquent, nous sommes saisis d'une question qui a de nombreuses facettes mais n'est aucunement entachée de sectarisme.

Je tiens à déclarer publiquement, monsieur Anderson, que nous sommes parfaitement conscients des difficultés qui sont associées au portefeuille dont vous êtes chargé. Le secteur des pêches vit actuellement un moment difficile. Le mandat, les programmes et les services du ministère des Pêches influent directement sur la vie et les moyens de subsistance de plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont actives dans les secteurs de la pêche intérieure et hauturière. Ils influent aussi sur la vie de nombreux Canadiens qui dépendent du secteur de la pêche dans leurs diverses localités. Vous êtes appelé à prendre des décisions qui touchent les opérations de pêche dans de nombreuses régions du pays et, ce faisant, à équilibrer des demandes parfois antagonistes.

Mais le ministre sait ce que c'est que les activités aquatiques difficiles. Je fais allusion à son passé de champion olympien et de l'aviron. Je dois dire que les membres du comité ne vous envient pas d'avoir à relever ce défi de taille.

Nous avons donc très hâte d'entendre vos remarques liminaires et de dialoguer avec vous au cours de la période de questions qui va suivre.

L'hon. David Anderson, ministre des Pêches et Océans: Étant donné que le secteur des pêches fait l'objet de pressions extrêmes et souvent antagonistes, il importe de pouvoir bénéficier d'une analyse objective et approfondie de tous les enjeux en l'absence des considérations sectaires qui peuvent parfois influencer les élus. Ainsi, je suis convaincu que l'étude qu'entreprend le comité sénatorial cadre parfaitement avec le rôle traditionnel et très important qu'il joue à cet égard. Je suis très content d'avoir aujourd'hui l'occasion de connaître vos vues sur la question, et je suis honoré d'avoir été invité à comparaître aujourd'hui.

[Français]

Je tiens tout d'abord à saluer le bon travail des membres du comité au sujet de la privatisation et des quotas des permis de pêche au Canada.

Ces enjeux sont très importants, et vous avez investi beaucoup de temps pour interroger les témoins et recueillir les informations provenant des autres pays qui pêchent. J'attends avec impatience de lire votre rapport qui, je crois, sera publié en décembre.

Comme c'est la première fois que je me présente devant votre comité, j'aimerais vous exposer brièvement mes objectifs à long terme et vous informer des progrès accomplis par mon ministère à l'égard de certaines initiatives importantes en matière de politiques. Ensuite, je reparlerai de la privatisation et des quotas de permis pêche.

[Traduction]

Pour des raisons évidentes, votre attention -- et la mienne -- se sont plutôt portées sur les pêches. Les pêches du Canada sont menacées, et certaines pêches sont même gravement menacées. Par conséquent, nous avons dû agir énergiquement pour changer notre façon de gérer les pêches -- notamment dans les cas du saumon du Pacifique et du homard de l'Atlantique, pour ne citer que ces deux exemples -- afin de préserver nos ressources et d'empêcher l'apparition de problèmes plus graves encore.

Toutefois, je dois souligner que l'état des pêches actuel, aussi troublant qu'il puisse être, n'est pas notre unique sujet d'inquiétude. Mon ministère doit voir au bien-être des pêches et des océans, et nos océans, eux aussi sont en très mauvais état.

Pour ce qui est des pêches, le message que je veux vous communiquer aujourd'hui est très simple. Ce message, je m'efforce de le communiquer à tous les intéressés depuis juin 1997, date à laquelle je suis devenu ministre des Pêches et Océans. Ce message est donc le suivant: la conservation doit être notre priorité absolue. Lorsqu'il s'agit de gestion des pêches, la conservation est ma première priorité, ainsi que celle de mon ministère.

[Français]

La conservation doit être notre priorité absolue. Lorsqu'il s'agit de gestion des pêches, la conservation est ma première priorité ainsi que celle de mon ministère.

[Traduction]

J'ai souvent résumé la situation ainsi: s'il n'y a pas de poisson, il n'y a pas de pêcheurs. Voilà une vérité très simple qu'il faut bien comprendre. Oui, il faut avoir l'occasion de pêcher, mais il faut aussi comprendre que le secteur dans son ensemble va disparaître à moins que nous ne protégions bien les stocks de poisson.

Dernièrement, j'ai été profondément honoré de recevoir le Prix international de la Fédération du saumon Atlantique. J'ai accepté ce prix dans un esprit de partage avec de nombreuses personnes qui habitent près des côtes et des rivières des provinces de l'Atlantique et du Québec. J'ai dit à l'époque que ce prix revenait aux hommes et aux femmes de mon ministère, Pêches et Océans Canada, qui sont aux premiers rangs de la recherche scientifique et de la gestion des stocks de poisson du Canada. Je les ai remerciés tous pour leur diligence et leur dévouement, leur patience et leur persévérance dans leurs efforts pour mener à bien la difficile tâche de la conservation.

Si je vous parle de la Fédération du saumon Atlantique, c'est parce qu'il y a 50 ans, avant de prendre place au Sénat, un sénateur très distingué, le sénateur Hartland Molson, a fondé cette organisation avec d'autres personnes. Le sénateur Meighen continue d'en être un membre très actif. L'intérêt des sénateurs pour les activités de la Fédération du saumon Atlantique et même pour la conservation en général est bien connu et fort apprécié.

[Français]

La conservation et la protection des stocks de poisson et de leur habitat n'est pas une chose facile. Par le passé, nous avons échoué en nous en remettant aux inévitables pressions politiques visant à subordonner les intérêts à long terme de l'espèce aux possibilités de pêche à court terme. S'il en était encore ainsi, nous connaîtrions de nouveaux échecs, tant aujourd'hui que dans l'avenir.

La conservation doit avoir préséance sur tout le reste, pour la raison bien simple que si nous ne protégeons pas nos stocks de poissons, il n'y aura plus de pêches.

[Traduction]

Il ne fait aucun doute que nous sommes parvenus à un point critique où nous nous devons de passer à l'action. Il n'est pas trop tard pour empêcher l'effondrement total de nos stocks de poissons, mais nous ne pouvons plus nous permettre de remettre la tâche à plus tard et il n'y a pas de place pour les compromis. Voilà pourquoi je considère la conservation comme ma grande priorité. Nous voulons tous que l'industrie de la pêche canadienne soit productive, mais auparavant, nous devons assurer la survie des stocks. Ceci dit, je crois que nous pouvons conserver nos stocks de poisson et permettre à l'industrie de la pêche d'être en bonne santé économique, si nous la gérons efficacement.

Voici ma vision des pêches de demain, vision que nous nous efforçons dès à présent de concrétiser: des pêches viables, durables et gérées avec efficacité. Nous avons besoin de pêches qui assureront un bon revenu aux propriétaires-exploitants professionnels ainsi qu'aux employés et qui stimuleront l'économie locale; nous avons besoin de pêches en bonne santé dans les secteurs côtiers, semi-hauturiers et hauturiers. Nos pêches doivent soutenir une industrie souple, polyvalente et autonome, être autorégulatrice en grande partie et capable d'assurer leur viabilité sans bénéficier de subventions gouvernementales. Cette industrie pourra s'accommoder de tous les types de pêche -- commerciale, autochtone et récréative, et elle favorisera la collaboration des gouvernements et des pêcheurs et entreprises pour réaliser ces objectifs.

Si nous réussissons à mettre en pratique tous les éléments de cette vision, nos pêches seront saines et les collectivités de pêcheurs seront florissantes pour le siècle à venir. Si nous échouons, cependant, nous perdrons une ressource irremplaçable et nous léguerons à nos enfants et à nos petits-enfants un monde infiniment plus pauvre que celui que nous avons reçu.

Honorables sénateurs, je sais que vous avez passé beaucoup de temps à étudier la question des contingents individuels. Nous n'avons pas le temps aujourd'hui d'examiner en détail l'histoire de la gestion des pêches au Canada, mais je me permets tout de même de vous signaler que le premier système de contingents a été mis en place en 1970 au lac Winnipeg.

Par le passé, divers plans de gestion ont été appliqués à différentes pêches, notamment depuis 1977, année où le Canada a étendu sa zone économique exclusive à 200 milles. Ces plans se fondaient sur l'émission de permis de pêche limités, où l'on prévoyait des restrictions pour le bateau et l'équipement en vue de contrôler la capacité de pêche. Ces plans étaient jumelés à des mesures destinées à limiter le nombre de prises et à protéger les ressources, comme par exemple, l'établissement du total des prises admissibles, des programmes de protection des poissons de remonte et des stratégies de recrutement. Cependant, nous reconnaissons à présent qu'une gestion dite compétitive qui encourage les pêcheurs à prendre un maximum de poissons avant les autres donne lieu à une augmentation constante de l'effort de pêche et à une capacité de pêche excessive.

Afin de contrer la tendance à la surpêche dans plusieurs secteurs, le MPO a favorisé l'adoption de nouveaux régimes de gestion. Parmi ces régimes, citons les quotas individuels, ou QI; les quotas individuels transférables, ou QIT; les quotas individuels des bateaux, ou QIB; et les allocations aux entreprises, ou AE. On désigne l'ensemble de ces régimes par le terme «programmes de QI».

Il y a trois choses que nous ne devons pas oublier à propos des QI.

Premièrement, les QI limitent la quantité de poissons qu'un pêcheur peut prendre, ce qui le dissuade d'augmenter sa part des prises. Nous espérons que les pêcheurs tenteront plutôt d'optimiser leur efficacité et le rendement économique de leur allocation fixe. Certains prétendent que les programmes de QI ont pour effet d'augmenter les rejets de poissons trop petits ou indésirables. Mais dans la pratique, les QI ont favorisé la conservation et la réalisation de nos objectifs économiques plus que ne le faisaient les régimes de gestion précédents.

Deuxièmement, les régimes de QI n'octroient pas de droits de propriété relativement à la pêche ou au poisson. Les QI correspondent aux conditions d'un permis qui donne le droit aux pêcheurs de capturer une certaine quantité de poisson. Il s'agit d'un simple prolongement du régime de pêche à accès limité qui est d'usage plus généralisé. L'attribution de ces quotas au contingent ne crée pas -- en tout cas, pas obligatoirement -- de droits privés.

Troisièmement, seuls certains QI sont transférables. Ces quotas transférables, ou QIT, ont suscité des inquiétudes, et je sais que certains d'entre vous partagent ces inquiétudes concernant la possibilité que les gros exploitants s'approprient une bonne partie des quotas. Cependant, rappelez-vous que la plupart des QI ne sont pas transférables. Et même lorsqu'ils le sont, le pourcentage que peut détenir un seul titulaire est limité. Pour les pêches où la transférabilité est autorisée, nos lignes directrices prévoient que le quota qu'une même personne peut détenir est limité à un petit pourcentage du total. Le ministre se réserve d'ailleurs le droit d'autoriser de tels transferts.

Finalement, deux enquêtes exhaustives sur les programmes de QI menées par le MPO depuis 1990 démontrent que les QI profitent autant aux responsables de la gestion des pêches qu'aux pêcheurs. La plupart des pêcheurs qui en ont fait l'expérience préfèrent ce mode de gestion des pêches.

[Français]

Le taux de participation aux QI démontre leur popularité auprès des pêcheurs. Ces arrangements volontaires représentent maintenant plus de 50 p. 100 de la valeur débarquée sur les deux côtes combinées.

Les QI ne sont qu'un des multiples outils de gestion que nous utilisons pour gérer les pêches. L'adhésion à la plupart des programmes est facultative et leur mise en oeuvre se fait en fonction des recommandations de l'industrie. Ils facilitent la coopération entre les gestionnaires et les pêcheurs, en plus d'encourager la conservation. Et ils facilitent notre approche de cogestion des pêches par le gouvernement et les pêcheurs.

[Traduction]

Monsieur le président, ni moi ni le gouvernement n'avons l'intention de privatiser les pêches canadiennes. Nous sommes convaincus qu'il y a moyen de faire équilibrer les prises et la capacité de la ressource. Les QI sont l'un des outils de gestion que nous avons utilisés à cette fin, et nous les avons trouvés très efficaces.

[Français]

Les quotas individuels ne représentent pas un pas vers la privatisation mais plutôt un pas vers la pêche du futur. Je vous rappelle qu'un des éléments de notre vision pour cette pêche du futur, c'est la capacité de l'industrie à se réglementer elle-même.

[Traduction]

Après les QI, la prochaine étape à franchir pour concrétiser cette vision sera la mise en oeuvre d'un régime de cogestion. Cependant, l'existence de contingents individuels n'est pas une condition préalable pour la mise en oeuvre d'un régime de cogestion. Ce régime de cogestion s'appliquerait à toutes les pêches et à tous les systèmes de gestion des pêches. D'ailleurs, un certain nombre de pêches sont gérées à présent à l'aide de systèmes de gestion coopérative, et ces systèmes donnent de très bons résultats.

En septembre dernier, j'ai mis sur pied une commission d'enquête indépendante pour conseiller le MPO sur la meilleure façon de parvenir à une entente de partenariat et sur le cadre législatif à adopter à cette fin. La commission examinera ce qui a été fait en matière de cogestion jusqu'à présent, ainsi que les attentes du public vis-à-vis du partenariat. De plus, elle se penchera sur les préoccupations qui sont les plus fréquemment exprimées par les intéressés, à savoir la procédure d'approbation, la durée des accords de gestion des pêches et les moyens à prendre pour garantir la transparence. Je devrais recevoir le rapport de la commission le mois prochain.

Monsieur le président et membres du comité, merci de m'avoir donné l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. J'attends avec impatience la possibilité de lire votre rapport final en décembre. Je serai maintenant très heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Stewart: Vous avez mis l'accent sur la conservation au tout début de votre déclaration liminaire. Je ne crois pas que quiconque soit en désaccord avec vous sur la nécessité d'un tel objectif à long terme. Mais s'il s'agit là d'un objectif à long terme, il faut bien comprendre que la conservation doit également être un objectif pour le gouvernement dans l'immédiat.

En vous écoutant tout à l'heure, j'avais l'impression que tout allait très bien. Vous sembliez reconnaître qu'il existe actuellement certains problèmes, mais que la situation progresse et que tout va bien dans l'ensemble. Je voudrais justement vous poser une question sur une affirmation de votre mémoire qui donne l'impression inverse. À la page 2 de votre texte, vous dites que certaines des grandes pêches canadiennes sont menacées, et vous donnez l'exemple du saumon du Pacifique et du homard de l'Atlantique. Pouvez-vous me dire quels sont ces problèmes qui menacent la pêche du homard, qui est une pêche traditionnelle au Canada atlantique?

M. Anderson: Sans vouloir vous donner l'impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, je tiens à préciser que les débarquements au Canada atlantique sont à la hausse, par rapport à 1989, qui est l'année de référence.

Sur les rives du Québec, les pêches ont connu une augmentation d'environ 39 p. 100 en ce qui concerne la valeur de leurs débarquements. Au Canada atlantique, il s'agit d'une hausse de 18 à 19 p. 100. Donc, malgré les mauvaises nouvelles que nous avons eues au cours des huit ou neuf dernières années, la valeur des débarquements a augmenté. Il y a donc lieu d'accueillir l'avenir avec optimisme, à condition de continuer à bien gérer cette pêche.

Le secteur des pêches continuera de revêtir une très grande importance pour l'économie du Canada, notamment celle du Canada atlantique. L'augmentation du produit intérieur brut de Terre-Neuve cette année sera attribuable, non pas au projet Hibernia mais plutôt à l'augmentation des débarquements de poisson.

Pour répondre à votre question concernant le homard de l'Atlantique, cette pêche nous inquiète même si les quantités de homards actuellement disponibles sont très élevées. En fait, elles sont deux ou trois fois plus élevées qu'elles ne l'ont été par le passé.

Cette ressource se trouve actuellement au sommet d'un cycle que nous observons depuis plusieurs dizaines d'années. Nous voulons nous assurer qu'elle reste au sommet aussi longtemps que possible, et nous souhaitons surtout éliminer la chute qui jusqu'à présent a toujours suivi l'atteinte d'un tel sommet. Nous avons donc décidé de doubler la production d'oeufs. Nous nous sommes dit qu'en doublant le nombre d'oeufs de homard, nous éviterions peut-être certaines difficultés, telles que l'affaiblissement des stocks de homard que nous observons au Maine et dans d'autres États américains.

De plus, nous avons pris des mesures pour exiger que la carapace des homards capturés soit désormais plus longue. Cette mesure a d'ailleurs été assez bien accueillie par l'industrie et les pêcheurs eux-mêmes, même si elle était tout à fait inhabituelle. Il y a eu des plaintes dans certaines régions du pays, notamment sur la côte nord de l'Île-du-Prince-Édouard. En fait, le terme «plainte» est peut-être un peu trop faible pour décrire certaines des critiques qui ont été formulées à cet égard. Disons simplement que nous avons dû prendre des mesures très impopulaires. Les gens pensent que la situation actuelle va toujours exister. Ils ont tendance à croire que s'il y a une baisse, ce sera ni cette année, ni l'année prochaine, et qu'on peut donc continuer à faire ce qu'on fait actuellement.

Prendre des mesures par anticipation, quand tout va bien dans le secteur des pêches, est une stratégie inhabituelle. Voilà le contexte des remarques que j'ai faites tout à l'heure au sujet de la pêche du homard. Cela dit, je dois vous dire que rien n'indique la possibilité de problèmes majeurs dans le secteur de la pêche du homard. Nous nous attendons au contraire à ce que le homard continue d'être un élément très important de l'industrie des pêches. Le homard constitue la ressource halieutique la plus précieuse de l'Atlantique. Rien ne semble indiquer que nous pourrions bientôt nous trouver dans le creux du cycle. Par contre, nous savons que cela peut arriver et nous devons donc essayer d'équilibrer les choses en évitant une baisse trop importante.

Nous avons donc adopté un plan sur quatre ans en vue de doubler la production d'oeufs. Dans l'ensemble, les pêcheurs se sont montrés très coopératifs, et ont fait preuve de beaucoup d'imagination dans les propositions d'amélioration qu'ils nous ont faites. Les pêcheurs du homard méritent d'ailleurs nos félicitations pour avoir si bien accueilli ces mesures. On ne peut jamais être sûr d'avoir pris les mesures les plus appropriées. On ne peut jamais non plus être sûr que le moment est bien choisi. De telles décisions reposent nécessairement sur des conjectures raisonnées et à ce titre, ne pourront jamais être acceptées par tout le monde. J'avoue cependant que les propos bienveillants du sénateur Robichaud me rassurent.

Le sénateur Stewart: En parlant tout à l'heure des mesures à prendre, vous n'avez mentionné qu'une seule de ces mesures -- à savoir les exigences accrues en ce qui concerne la longueur de la carapace. Les autres mesures concernent-elles la taille des casiers et des dispositifs de sortie pour les petits homards? Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit?

M. Anderson: Vous avez parfaitement raison. J'ai parlé de celle qui était la plus inhabituelle et qui a suscité le plus de controverse. Nous avons également procédé au marquage des femelles, pour que toute femelle portant une marque triangulaire soit remise à l'eau. Nous avons fait des expériences et nous avons employé cette méthode dans certains contextes.

Nous avons également prévu de nouvelles limites pour éviter que les plus gros homards ne soient capturés. Les gros homards sont généralement des femelles et produisent le plus grand nombre d'oeufs, vu leur taille. Nous avons donc imposé des limites, pour que les gros homards -- c'est-à-dire le groupe le plus productif, ne puissent pas être récoltés.

Des changements ont également été apportés à la conception des casiers. Lorsqu'un casier se perd, l'action de la corrosion provoque la chute de la porte en métal, pour que les homards puissent s'échapper. Il s'agit là d'une importante mesure de conservation, car on veut éviter que les homards qui restent pris dans des casiers perdus meurent sur le fond de l'océan.

Nous avons pris de nombreuses mesures du même genre, mais la plus importante et la plus controversée était certainement celle qui consistait à modifier les exigences relatives à la longueur de la carapace afin de garantir que plus de jeunes homards puissent frayer. Par exemple, seulement 10 p. 100 environ des femelles dont la carapace mesure 2,5 pouces vont frayer. Si on permet aux pêcheurs de prendre des homards de cette longueur, 90 p. 100 des femelles ne pourront jamais frayer. Mais en augmentant de façon minime -- d'un centimètre ou deux -- la longueur de la carapace requise, ces 10 p. 100 passent rapidement à 20 p. 100.

Le sénateur Stewart: À l'époque où j'étais député à la Chambre des communes, je représentais la circonscription électorale de Antigonish--Guysborough. Le comté d'Antigonish se trouve du côté du golfe en Nouvelle-Écosse, alors que celui de Guysborough se trouve du côté de l'Atlantique. Quand j'ai commencé à visiter le comté de Guysborough à titre de député, je me retrouvais souvent dans des petits ports où 15, 16 ou même 20 pêcheurs de homard avaient des bateaux. À l'heure actuelle, il y a beaucoup moins de pêcheurs de homard dans cette zone du comté de Guysborough.

À l'époque, on m'avait expliqué que la levée empierrée construite entre la partie continentale et l'île du Cap-Breton -- c'est une levée solide, à part la zone où se trouve l'écluse -- empêchait les larves de passer des eaux relativement chaudes du golfe dans les eaux plus froides de l'Atlantique. Il y a quelques semaines, un scientifique qui a comparu devant le comité nous disait que les données recueillies jusqu'à présent semblent soutenir la thèse des pêcheurs. Est-ce que votre ministère et Transports Canada ont étudié la possibilité de pratiquer une passe migratoire dans la chaussée de Canso? Je sais qu'on a posé la même question concernant la chaussée de l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Anderson: En ce qui concerne la sagesse des pêcheurs, je dois dire que j'ai essayé au ministère d'éliminer les conflits entre les scientifiques et les pêcheurs. Le fait est que les pêcheurs sont sages et ont beaucoup de connaissances à force d'observer le comportement des espèces. La plupart d'entre eux sont d'excellents naturalistes. Ils observent de près les phénomènes de la nature, et ils ont non seulement le temps mais le désir d'élaborer des théories qui peuvent être très intéressantes et utiles. Jusqu'à présent, il n'y a guère eu d'interaction entre les scientifiques et les pêcheurs. Nous avons essayé d'éliminer les obstacles à cette interaction, car après tout, qu'est-ce que la science si ce n'est l'élaboration de principes généraux fondés sur l'observation? Nos efforts à cet égard commencent à porter des fruits, et je constate que les deux groupes semblent se faire davantage confiance. Je suis bien content que votre question m'ait donné l'occasion d'aborder ce point.

En ce qui concerne la possibilité de construire une passe migratoire, je vais demander à Jacque Robichaud de vous répondre, puisqu'il connaît l'origine de cette proposition.

M. Jacque Robichaud, directeur général, Direction générale de la gestion des ressources, ministère des Pêches et Océans: Si ma mémoire est bonne, cette même question a été soulevée par le sénateur lorsque j'ai comparu devant le comité en compagnie d'un scientifique ministériel. Je me souviens qu'on a parlé de l'incidence de la chaussée de Canso. Ce scientifique a parlé de l'importance de l'habitat pour la production des oeufs, la survie des larves et la migration. À l'époque, on n'avait pas encore réussi à déterminer quels en seraient les effets directs. Je ne sais pas non plus si des discussions auraient été entamées avec le ministère concernant la possibilité de créer une passe migratoire.

M. Anderson: Nous allons nous renseigner et transmettre la réponse par écrit dans les plus brefs délais.

Le sénateur Stewart: L'effet sur les pêches est une des préoccupations qui a été exprimée lorsqu'on planifiait la construction d'une chaussée à l'Île-du-Prince-Édouard, et j'espère que ce facteur sera également pris en compte dans le nord-est de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Robertson: Mes questions vont surtout être en rapport avec le travail que nous effectuons depuis plusieurs mois. Je vais essayer de ne pas m'en écarter, mais je voudrais tout de même réagir à votre affirmation concernant la valeur accrue des pêches. Nous en sommes tous ravis, bien entendu, et nous savons très bien que c'est grâce à la diversification. La pêche des crustacées, notamment au large de la côte nord du Labrador s'est beaucoup améliorée, et les prises de homard sont également bonnes. Nous sommes donc très contents de connaître ces résultats, mais notre inquiétude concerne autre chose.

Je vais essayer d'être précise, car je suppose qu'il est plus facile de répondre à des questions précises. À la page 4 de votre texte, vous décrivez votre vision des pêches de demain, et à cet égard, je vous souhaite bonne chance. Vous dites ceci:

des pêches qui assureront un bon revenu aux propriétaires-exploitants professionnels ainsi qu'aux employés et qui encourageront l'économie locale.

Ma question porte sur la concrétisation de cet élément-là de votre vision.

Selon les témoignages qu'a reçus le comité, certains craignent que l'attribution de quotas transférables conduise à un problème de concentration si quelques rares personnes ou compagnies privilégiées se retrouvent avec la majorité des permis. Ils redoutent également la disparition des petites communautés situées le long des côtes si les contingents et les opérations de traitement du poisson sont transférés à d'autres zones côtières. D'ailleurs, le rapport que nous allons présenter en décembre abordera certainement la question.

Les témoins nous ont dit qu'un meilleur moyen de gérer les stocks de poisson et de protéger le climat local et les petites localités situées le long des côtes serait d'opter pour un régime de gestion et de contingents communautaires. Je sais très bien que le modèle communautaire n'est pas aussi bien défini ou développé que le modèle de gestion axée sur les contingents individuels, et nous en parlons justement dans notre rapport. Le comité a reçu des témoignages assez convaincants qui laissent supposer que c'est le modèle des quotas communautaires qu'il faut adopter si nous voulons protéger les emplois et garantir la survie des collectivités situées le long des côtes.

Dans quelle mesure un régime de gestion communautaire s'intègre-t-il dans votre vision des pêches de demain, c'est-à-dire des pêches qui favoriseront la santé économique des localités côtières?

M. Anderson: La gestion communautaire peut être un très bon outil, mais c'est un modèle qui n'a pas toujours le soutien des pêcheurs. Sur la côte ouest du Canada, un programme de rachat de permis a été créé en juin et est actuellement en voie d'implantation. J'ai mené un petit sondage auprès des titulaires de permis sur la côte ouest. Je leur ai demandé si je devrais tenir compte des préoccupations de certains relativement à leur collectivité et à l'incidence économique du programme de rachat. Quatre-vingt pour cent des pêcheurs m'ont dit non -- une réaction de rejet très claire. Je ne dis pas qu'ils ont tort ou raison, mais voilà l'opinion qu'ils ont exprimée.

Les pêcheurs ont tendance à croire qu'ils sont parfaitement capables de prendre eux-mêmes la décision de vendre ou de garder un quota. Ils sont réticents à accepter la notion selon laquelle le gouvernement est mieux placé qu'eux pour savoir s'ils devraient ou non avoir le droit de vendre leurs quotas.

Nous sommes parfaitement disposés à établir des quotas communautaires. Si les titulaires de permis actuels sont d'accord, nous adopterons ce concept. C'est d'ailleurs un régime qui a connu un certain succès parmi les Premières nations. À notre avis, les QIT ne conduisent pas nécessairement à une forte concentration des permis chez les grandes sociétés. Après tout, dans toute transaction, il y a forcément un acheteur et un vendeur. S'ils sont convaincus de la valeur de leurs quotas, les petits pêcheurs les conserveront sans doute.

J'ai fréquemment entendu dire, notamment de la part des représentants syndicaux, que les grandes compagnies veulent acheter des permis. Or nous avons constaté à maintes reprises que les entreprises de pêche ne souhaitent pas acheter des permis, et certains de leurs dirigeants me l'ont même fait savoir verbalement et par écrit. Ils me demandent pourquoi ils devraient se procurer un permis. Ils veulent qu'on les approvisionne régulièrement en matière première, mais ils ne veulent pas avoir à passer par la procédure d'attribution des permis -- c'est-à-dire être titulaires de permis, exploiter des bateaux et engager des pêcheurs pour travailler. À leur avis, non seulement ce n'est pas nécessaire, mais ça coûte cher et c'est compliqué. De plus, ça crée des problèmes de main-d'oeuvre et des dépenses d'investissement. Donc, instinctivement, les grandes sociétés ne cherchent pas à créer ce genre de concentration.

Cela ne veut pas dire qu'une telle chose ne pourrait pas se produire. C'est possible. Dans ce contexte, il s'agit de faire appel à son expérience. On pourrait facilement imposer certaines restrictions aux propriétaires-exploitants, si telle est la volonté des intéressés. Mais les pêcheurs eux-mêmes s'opposent fréquemment à ce genre d'approche.

Le sénateur Robertson: Je reviens à ma question concernant les pêches qui «encourageront l'économie locale». Je suppose que vous envisagez d'autres possibilités, à part la pêche, si ces petites localités ne vont pas pouvoir conserver leurs activités traditionnelles. Le ministère a-t-il une politique sur les quotas communautaires?

M. Anderson: Eh bien, notre ministère n'est pas responsable des collectivités côtières, bien entendu. Nous travaillons en étroite collaboration avec Développement des ressources humaines Canada, et notamment avec les administrations provinciales dont relèvent surtout les usines de transformation du poisson, par exemple. Par suite d'une décision du Conseil privé en 1929, nous n'avons pas le pouvoir de réglementer les usines de transformation; ce pouvoir appartient plutôt aux provinces.

Évidemment, nous voulons des collectivités côtières prospères. Mais elles ne vont jamais être prospères si on se contente d'assurer la survie de groupes de pêcheurs presque indigents ici et là. Pour nous, ce n'est certainement pas la solution. Notre préoccupation plus générale concerne la nécessité d'avoir des masses critiques.

Par exemple, si une collectivité devient trop petite, il ne peut y avoir d'usine de transformation. J'ai parlé hier à des pêcheurs de la basse côte nord du Québec qui pêchent dans la zone se trouvant entre la frontière du Labrador et l'île Anticosti. Ils m'ont dit que leurs opérations de pêche cesseront d'être viables si la population se rétrécit trop, parce qu'ils ne pourront plus faire transformer le poisson.

Donc, nous avons de sérieuses préoccupations à cet égard. En tant que Canadiens et élus siégeant au Sénat et à la Chambre des communes, nous voulons assurer la survie de ces petites localités. Mais nous nous heurtons à un problème critique, car de temps en temps l'industrie doit se concentrer davantage, ce qui nécessite une réduction du nombre d'acteurs. Par contre, les gens qui résident dans les petites localités nous disent qu'ils veulent simplement maintenir leur population. Ainsi nous nous trouvons dans une situation où une force irrésistible s'oppose à un objet immuable, et dans ce contexte nous préférons laisser le soin aux pêcheurs de prendre la décision. C'est eux qui doivent décider où ils veulent vivre.

Sur la côte ouest, cependant, c'est un peu plus compliqué. Le plus important port de pêche en Colombie-Britannique est celui de Vancouver. Autrement dit, les pêcheurs veulent vivre à Vancouver. Ils vont peut-être s'installer sur la côte est de l'île de Vancouver, ou encore en plein milieu de la côte ou dans le nord, mais bon nombre d'entre eux veulent vivre à Vancouver. Mais dans certaines collectivités, on nous dit constamment qu'il faut imposer des restrictions, de façon à les obliger à vivre dans la zone où ils pêchent.

En règle générale, les gouvernements ne font pas ce genre de chose. Pour moi, c'est une question de liberté. Sur le plan purement idéologique, nous estimons que c'est aux pêcheurs de décider où ils veulent être et quel genre de vie ils veulent mener.

Le sénateur Robertson: À ce sujet, je ne peux certainement pas être en désaccord avec vous.

Je n'ai pas l'intention de parler de la situation sur la côte ouest, mais plutôt des pêches au Canada atlantique. Les petites localités dans cette région du pays vont nécessairement rétrécir. Si les pêcheurs ne peuvent plus pêcher, ils vont devoir s'installer ailleurs. C'est aussi simple que ça. Si on les oblige à partir, ces petites localités vont disparaître. C'est d'ailleurs le sort qui nous poursuit depuis un moment au Canada atlantique. Les témoins qui ont comparu devant le comité sont très mécontents de la situation. La plupart des gens qui vivent dans les petites localités le long des côtes ne veulent pas déménager, mais si leur moyen de subsistance disparaît en raison des politiques qui sont adoptées ou de la dégénération des stocks de poisson, ils seront bien obligés de déménager. Ensuite il ne restera plus que de petites unités qui ne seront peut-être pas viables.

Je vais donc suivre de très près les mesures que vous allez prendre pour concrétiser ce deuxième élément de votre vision des pêches de demain, car pour moi c'est un élément très important. Il ne faut surtout pas le négliger.

M. Anderson: Ce n'est pas une réponse complète, sénateur, mais notre programme de 730 millions de dollars sur la côte est et notre programme de 400 millions de dollars sur la côte ouest incluent certaines sommes pour le développement communautaire. Je pense qu'il s'agit de 100 millions de dollars sur la côte est et de 30 ou 40 millions sur la côte ouest. Cet argent est destiné à des activités autres que la pêche. Même si on a l'impression qu'il s'agit d'un programme de pêche, nous insistons beaucoup sur les débouchés qui peuvent exister dans le secteur du tourisme ou agricole, par exemple. Nous essayons d'encourager la diversification.

Vous avez bien défini le problème épineux auquel nous nous trouvons confrontés. Nos efforts pour assurer la viabilité du secteur des pêches influent nécessairement sur les collectivités. Si nous essayons de maintenir la population des collectivités, nous pourrions finir par détruire l'efficacité de la pêche. Il y a constamment des compromis à faire, et dans ce contexte, c'est la compassion et la compréhension, plutôt que l'idéologie, qui doivent primer. Je serai donc ravi d'en reparler avec vous en temps et lieu.

Le président: Nous allons y revenir. Je voudrais maintenant parler de la situation sur la côte ouest.

Le sénateur Perrault: Monsieur le président, j'avoue que j'ai peut-être un parti pris, mais je trouve que la déclaration du ministre est extrêmement positive. L'information qu'il nous a fournie ce matin m'a beaucoup encouragé, surtout que tant de prophètes de malheur n'arrêtent pas d'affirmer que les ressources halieutiques s'amenuisent dangereusement.

Dans certains cas, on nous a dit que les quotas individuels -- qu'ils soient transférables ou non -- ont permis à certaines personnes de devenir millionnaires dans un secteur qui compte trop de participants, tous à la recherche de ressources souvent surexploitées. On peut donc se demander s'il y aurait lieu de limiter les revenus des titulaires de quota individuel en leur demandant de verser des droits en échange du privilège assez exclusif de pratiquer la pêche, ou en recouvrant les coûts des programmes de gestion des pêches. Le ministère a-t-il une politique sur le recouvrement des coûts des pêches contingentées?

M. Anderson: Nous comprenons très bien l'opportunité des mesures qui permettent de toucher la rente économique des pêches, et c'est justement ce que nous avons essayé de faire dans le cadre de plus programmes différents. Ce chiffre est approximatif, mais je crois savoir que nous percevons environ 50 millions de dollars sous forme de frais et de droits divers qui représentent essentiellement des frais d'utilisation de la ressource. C'est une ressource qui leur est accordée gratuitement. Donc, pour répondre à votre question, nous avons déjà pris ce genre de mesures, et elles présentent à notre avis des possibilités très intéressantes.

Par contre, une fois que les pêcheurs ont réussi, en réduisant le nombre de bateaux de même que la capacité, à créer une flottille efficace, ils peuvent évidemment gagner des sommes substantielles. Là nous nous trouvons devant un dilemme, car une fois qu'ils ont fait les sacrifices nécessaires pour rationaliser leurs opérations et en faire une industrie viable et même profitable, ils réagissent très mal quand le gouvernement leur dit: «Puisque vos opérations sont maintenant rentables, nous allons vous enlever vos profits. Ils se demandent alors pourquoi ils s'y sont lancés au départ. Ils estiment qu'ils auraient mieux fait de ne pas suivre nos conseils sur la nécessité de rentabiliser leurs opérations.»

En ce qui concerne la possibilité de restrictions, il y a partage au-delà de certaines limites dans le cas du crabe et de la crevette du Nord. Par conséquent, nous avons déjà essayé jusqu'à un certain point de faire ce que vous proposez.

Pour ce qui est de la possibilité de concentration, souvent on peut résumer ainsi le problème: s'il y a trop de pêcheurs, personne ne pourra faire de bénéfice. Tous vont devoir se contenter de rentrer dans leurs frais. Et si vous examinez la situation mondiale, vous constaterez que les gouvernements un peu partout accordent environ 50 milliards de dollars par an à leur secteur des pêches. Mais il faut tout de même donner des encouragements à ceux qui font l'effort de rationaliser leurs opérations et de prendre les bonnes décisions économiques qui permettent justement d'éviter le problème auquel le comité se trouve confronté. Autrement dit, on veut éviter qu'ils se trouvent pénalisés si on leur enlève ces crédits.

Par exemple, en 1989, avant qu'on attribue des quotas individuels aux bateaux en Colombie-Britannique, 46 bateaux pêchaient la morue charbonnière dans la province. En 1990, il n'y en avait plus que 30. Il s'agit d'une réduction d'un tiers. Le chiffre actuel correspond donc aux deux tiers de ce qu'il représentait autrefois. À présent ces pêcheurs gagnent beaucoup d'argent. Sur la côte de la Colombie-Britannique, le prix d'un permis de pêche de la morue charbonnière est de l'ordre de 2 millions de dollars. Cela n'a rien à voir avec le gouvernement. Ce sont des particuliers qui décident entre eux que tel permis vaut cher; par contre, il ne vaudrait plus très cher si l'accès à cette pêche était libre.

À titre d'information, sur les menus de restaurants, ce poisson est désigné par le nom «Alaskan black cod» plutôt que «sablefish». Donc, le nom change, mais il s'agit néanmoins d'une pêche très rentable, sans doute l'une des plus rentables dans toute la Colombie-Britannique.

Le sénateur Robichaud: S'agit-il d'une espèce menacée d'extinction?

M. Anderson: Pas du tout. Dans ce secteur en particulier, le nombre de participants est limité, et comme ils ont de très bons revenus, ils s'inquiètent autant de la conservation que n'importe quel représentant du ministère, du gouvernement du Canada ou d'un parti politique. Je trouve très intéressant de constater que face à cette situation, les préoccupations latentes des pêcheurs relativement à la conservation ont la possibilité de se manifester. Quand ils ont des factures à payer et des paiements hypothécaires à faire, ils disent: «Attendez un an ou deux. Après tout, les stocks ne sont pas en si mauvais état.» Ils ont alors tendance à se préoccuper moins de la conservation. Quand le secteur des pêches est efficace, personne ne s'inquiète plus de la conservation que les pêcheurs eux-mêmes.

Le sénateur Perrault: Nos témoins ont exprimé des vues extrêmement divergentes sur la question des QIT: certains sont d'ardents défenseurs de ce régime, alors que d'autres prétendent que l'application générale de ce système sonnera le glas du secteur des pêches.

La plupart des économistes recommandent au Canada de suivre le modèle néo-zélandais. Grâce à une liaison par satellite, nous avons pu recueillir les témoignages de responsables néo-zélandais à ce sujet. Les Canadiens qui ont contribué à définir le régime néo-zélandais le présentent en général sous un angle très favorable. On nous a dit qu'il y a eu de grandes consultations auprès de tous les intéressés avant l'adoption de la loi en 1986.

En Islande -- et encore une fois, nous avons pu recevoir des témoignages grâce à une liaison par satellite avec l'Islande -- où une loi complète sur les QIT a été adoptée en 1990, il semble qu'il y ait également eu de grandes consultations à ce sujet. Ici au Canada, un responsable du MPO nous a dit qu'il n'y a pas vraiment eu de débat public mais qu'un grand nombre d'ateliers avaient été organisés pour discuter de cette question.

Aux États-Unis, il existe peu de programmes d'attribution des QIT. Il paraît, cependant, que certains auraient de graves préoccupations concernant l'opportunité d'un régime de permis à quotas. Lorsque la Magnuson Fishery Conservation and Management Act a été autorisée en octobre 1996, les États-Unis ont suspendu l'attribution de nouveaux QIT aux divers secteurs jusqu'en l'an 2000, pour étudier les conséquences d'un changement de ce genre. Je trouve intéressant que les États-Unis aient adopté cette position. Êtes-vous en faveur de l'idée de tenir un débat au Parlement sur l'opportunité d'attribuer d'autres contingents individuels au Canada?

M. Anderson: Merci pour vos remarques, et surtout pour votre excellent résumé des témoignages que vous avez reçus.

En ce qui concerne la Nouvelle-Zélande, il faut se rappeler qu'à l'époque la situation économique de ce pays était assez grave. Ils avaient totalement éliminé les subventions agricoles, qui étaient parmi les subventions les plus généreuses du monde entier.

Le sénateur Perrault: Et ils en ont privatisé beaucoup, aussi.

M. Anderson: C'est exact. À cause de leur situation, ils ont pris des mesures assez radicales. Au Canada, il n'est encore jamais arrivé que la population soit convaincue de la nécessité de prendre des mesures radicales pour éviter la catastrophe. Malgré les préoccupations exprimées par certains à l'égard des déficits, le niveau d'inquiétude de la population n'a jamais été aussi élevé qu'il l'était en Nouvelle-Zélande. Nous avons continué de mettre l'accent sur l'effort volontaire.

À notre avis, les QIT peuvent être intéressants, mais au Canada, nous essayons en général de parvenir à un consensus sur les dispositions à prendre. Nous ne sommes pas un État unitaire comme la Nouvelle-Zélande, où ils vont plutôt imposer leur volonté. Notre régime fédéral est composé de nombreux éléments qui permettent d'équilibrer les pouvoirs.

Le sénateur Perrault: Oui, y compris le Sénat.

M. Anderson: J'allais justement ajouter que le Sénat est l'un des organes les plus importants du régime fédéral.

Dans l'ensemble, nos efforts dans ce domaine ont donné d'assez bons résultats. Environ 50 p. 100 de nos pêches reposent maintenant sur un régime de QIT ou de QI, ou éventuellement une variante. Les allocations aux entreprises ont été introduites vers le milieu des années 80, comme le recommandait le rapport du sénateur Kirby. Voilà un autre sénateur qui s'intéresse vivement au secteur des pêches et qui a suivi de très près son évolution. Il y a donc eu un réalignement important des programmes en fonction de ce concept.

Votre dernière question est tout à fait appropriée, à savoir convient-il de tenir un débat politique pointu sur la question? Je ne suis pas convaincu que les débats de ce genre débouchent sur un consensus. Encore une fois, c'est peut-être parce que les élus n'ont pas l'apanage de la sagesse. Dans certaines circonstances, une position plus discrète peut être préférable à un débat politique pointu. À mon avis, bon nombre de pêcheurs demeurent assez méfiants et voient tout le concept des QIT avec suspicion. Il leur faudra un certain temps pour accepter que les QIT ont donné de bons résultats ailleurs.

Le sénateur Perrault: Nous avons exactement la même impression -- c'est-à-dire qu'ils ne sont pas tout à fait sûrs encore. Selon la pêche concernée, l'attribution de QIT peut être une solution plus appropriée.

Le sénateur Butts: Merci infiniment de votre présence, monsieur Anderson. J'ai beaucoup apprécié le fait que vous mettiez tant l'accent sur la conservation au début de votre déclaration liminaire. Certains éléments de votre vision me plaisent, mais d'autres, non. Je voudrais en revenir à la question des localités situées le long des côtes.

Au Cap-Breton, nous avions des quotas communautaires au début des années 70. Certaines coopératives ont connu beaucoup de succès, mais elles ont disparu. À l'heure actuelle, il y en a deux ou trois sur la côte de la Nouvelle-Écosse qui ont été mises sur pied à titre de projets pilotes. A-t-on cherché à étudier ou évaluer ces coopératives depuis qu'elles ont été créées à titre de projets pilotes?

M. Anderson: Je vais demander à M. Robichaud de vous donner les détails concernant une étude qui aurait pu être menée à ce sujet. Je me permets de répéter, cependant, que nous ne nous y opposons pas. En ce qui nous concerne, c'est un concept valable.

Il faut reconnaître, toutefois, que la solution ne consiste pas nécessairement à faire passer les pressions politiques à un palier inférieur en attribuant des quotas aux localités. Il arrive qu'on résiste aussi mal aux pressions politiques exercées au niveau local qu'à celles exercées à tous les autres paliers -- intermédiaire, provincial, ou fédéral.

Hier nous avons approuvé un quota de 750 tonnes de turbot pour la ville de Canso.

Le sénateur Butts: Mais c'est pour la transformation uniquement.

M. Anderson: C'est exact. Mais il faut que le poisson en question soit débarqué dans la localité.

Le sénateur Butts: Oui, et cela a suscité plus de controverse que n'importe quel autre projet sur la côte est, parce que ce sont les étrangers qui capturent à présent le turbot.

M. Anderson: Il est vrai que dans ce cas particulier, 40 p. 100 du turbot qui sera débarqué à Canso aura été capturé par des étrangers. Mais l'alternative -- alternative que nous a présentée une entreprise et que nous avons ensuite vérifiée -- consisterait à laisser le turbot dans l'eau. Autrement dit, si un bateau étranger ne prenait pas ce turbot entre hier et la fin de l'année, le poisson resterait dans l'eau et 200 emplois seraient perdus à Canso.

En ce qui concerne les controverses qu'aurait suscitées cette décision, tout ce que je peux vous dire, c'est que le premier ministre de la province, de même que les partis d'opposition en Nouvelle-Écosse étaient tous d'accord. Au niveau fédéral, les partis conservateur et néo-démocrate appuient la position adoptée par le gouvernement, et il en va de même pour le syndicat et le maire.

Le sénateur Butts: Je ne dis pas le contraire, mais le problème, c'est que d'autres provinces maritimes prétendent que leurs pêcheurs pourraient très bien capturer ce turbot.

M. Anderson: Il est certain que cette décision est controversée. C'est pour cela qu'on ne peut se permettre d'être dogmatique dans le secteur des pêches et d'imposer sa volonté aux autres.

Il faut bien reconnaître que dans ce cas particulier, il était nécessaire d'autoriser une exception au principe de la canadianisation afin de protéger les emplois de la collectivité de Canso. Telle est la position qu'a adoptée l'entreprise concernée, qui a déclaré que ce turbot ne pourrait pas être capturé par des Canadiens parce qu'il était impossible de trouver un bateau canadien qui accepte de le faire. Voilà la raison pour laquelle nous avons accepté de faire une exception.

Maintenant on nous reproche d'avoir pris cette décision. C'est tout à fait légitime -- la critique est tout à fait autorisée dans notre société -- mais cette décision a été prise pour protéger non seulement la collectivité elle-même, mais les emplois qui y existent. Nous n'avons pas pu prendre une décision purement idéologique en affirmant que notre désir de canadianiser la flottille de pêche nous oblige à faire souffrir les membres de cette collectivité.

Le sénateur Butts: Mais dans ces collectivités, il y a deux groupes: ceux qui capturent le poisson et ceux qui le transforment. Cette décision suscite de graves conflits entre les membres de ces collectivités, ce qui ne fait qu'aggraver leurs problèmes.

M. Anderson: Je vous fais remarquer que nous avons réalisé un degré élevé de canadianisation de la flottille. Les chiffres indiquent à présent qu'il y a eu une forte baisse, et que seulement 2 à 3 p. 100 des poissons sont capturés par des bateaux étrangers. Cela ne représente plus que quelques centaines de tonnes de poisson, et cela arrive seulement lorsqu'un pêcheur canadien ne veut pas récolter une certaine espèce de poissons. Dans pareille situation, le droit international nous oblige à l'offrir à un autre pays.

Je peux demander à M. Robichaud de vous indiquer les zones où les bateaux étrangers continuent de pêcher sur la côte est, mais je peux vous affirmer que cela correspond à présent à moins de 3 p. 100 du poisson récolté.

M. Robichaud: Je voudrais faire une remarque au sujet de la pêche étrangère et de la pêche du turbot. Quelqu'un a soulevé la question du transfert à l'entreprise d'une allocation de 1 900 tonnes métriques, grâce à laquelle les petits bateaux pouvaient pêcher toute l'année. Cette pêche est pratiquée dans le nord au large de la pointe du Labrador. Nous avons essayé d'obtenir un bateau canadien pour le mois, mais vu les mauvaises conditions météorologiques qui touchent actuellement cette zone, nos efforts ont échoué. Le ministre a donc approuvé cette allocation qui permet de créer 740 semaines de travail dans la collectivité de Canso, plutôt que de laisser le poisson dans l'eau.

Sur les 5 500 tonnes métriques qui sont récoltées dans cette zone, seulement 750 tonnes seront prises par un bateau étranger cette année. Parmi les autres espèces récoltées sur la côte est par des bateaux étrangers, mentionnons le sébaste, dont une toute petite quantité est prise dans une zone située près de la limite des 200 milles, et le merlu argenté, en petite quantité également. L'objet de cette mesure est de créer des emplois.

Le président: Nous nous écartons beaucoup du sujet de notre étude. Nous pourrons peut-être en faire l'objet d'une étude future, sénateur Butts, mais pour le moment, nous n'examinons pas la question de la pêche étrangère.

Le sénateur Butts: J'étais très surprise d'apprendre que les QIT et les QI sont généralement bien reçus. Dans le cadre de nos audiences, nous avons appris que ceux qui détiennent des QIT et des QI les trouvent formidables. Le problème concerne plutôt ceux qui n'en ont pas, ou qui ont dû les abandonner parce qu'il ne reste plus rien pour les pêcheurs côtiers une fois que les gros exploitants ont pris tout le poisson avec leurs gros bateaux. Disons simplement que là-dessus, nous ne sommes tout simplement pas d'accord.

Au dernier point de votre vision, vous parlez de pêches qui permettent au gouvernement et à l'industrie de travailler conjointement. Avec quels membres de l'industrie travaillez-vous actuellement?

M. Anderson: Pour moi, l'industrie comprend tout le monde: les matelots qui travaillent dans le bateau, les travailleurs des usines de transformation, et les personnes qui s'occupent des ventes des entreprises. Je dirais même qu'elle comprend les vendeurs de produits canadiens à Boston et à New York.

De plus, l'industrie englobe un grand nombre de personnes qui dépendent du poisson récolté par les bateaux étrangers, poisson qui est transformé au Canada dans les usines de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve pour ensuite être vendu aux États-Unis. Donc, l'industrie comprend également plusieurs centaines d'emplois qui dépendent de l'accès aux matières premières récoltées par les bateaux étrangers. Pour moi, l'industrie englobe tout le monde.

Quand on parle de collaboration, il est plus approprié dans certains cas de parler des pêcheurs eux-mêmes. Dans d'autres cas, il peut être plus approprié de parler de collaboration avec une entreprise, ou encore une association de pêcheurs ou d'entreprises. À mon sens, l'industrie englobe tous les acteurs, quels qu'ils soient.

Le sénateur Butts: Oui, c'est probablement vrai en théorie, mais les pêcheurs nous ont dit à maintes reprises que personne ne les écoute, qu'ils n'arrivent pas à se mettre en rapport avec le ministère, que les responsables ministériels refusent de leur parler, et que par conséquent ils ne savent pas ce qui se passe. C'est pour ça que je me demande qui participe à tous ces efforts de cogestion, de partenariat et de consultation.

M. Anderson: En réponse à votre question, tout ce que je peux vous dire, c'est que les difficultés que nous rencontrons actuellement dans le secteur des pêches remontent à plusieurs décennies. Si vous ne pouvez attribuer que 90 p. 100 du poisson, parce que les quotas ont été réduits, 10 p. 100 des pêcheurs vont se plaindre. Mais si tout le monde obtient tout ce qu'il veut, cela ne se produira pas.

Depuis très longtemps, les membres de l'industrie y voient en quelque sorte un jeu à somme nulle. Autrement dit, ce que vous vous obtenez, moi je ne l'obtiens pas, et par conséquent, nous devons nous battre pour obtenir le plus possible. Il n'y a rien de plus violent que les batailles entre ministres provinciaux des Pêches. Ces batailles opposent les provinces, les pêcheurs, selon qu'ils utilisent un type ou un autre d'engin de pêche et qu'ils pratiquent la pêche hauturière, mi-hauturière et côtière, les gens qui utilisent des filets et ceux qui se servent d'hameçons. Tous ces gens-là suivent une longue tradition, qui consiste à se battre pour essayer d'obtenir le poisson qu'il y a à récolter. Cela a toujours été un jeu à somme nulle.

Malgré moi, j'en suis venu à la triste conclusion que quiconque s'attend à ce que les gens soient satisfaits de mes décisions se leurrent. On peut au contraire s'attendre à ce qu'il existe toujours un degré de mécontentement à cause du problème d'allocation. Par contre, du moment qu'on parle de questions de principe telles que la conservation, il devient beaucoup plus difficile de parvenir à un consensus. Malheureusement, comme ce secteur compte trop de participants actifs depuis trop longtemps, il s'est beaucoup politisé et se caractérise maintenant par un degré élevé de sectarisme. Les gens estiment qu'il faut détruire l'autre pour satisfaire les besoins de son groupe ou de sa collectivité.

Voilà donc mon opinion après 18 mois dans ce poste, sénateur. Je dois me rendre à l'évidence qu'il n'est tout simplement pas possible d'amener les groupes de pêcheurs, les collectivités de pêche ou même les provinces à s'entendre. Les gens estiment que si leur voisin obtient quelque chose, c'est parce qu'on le leur a enlevé. Et ce problème continuera d'exister tant que nous aurons à limiter l'effort de pêche, soit parce qu'il y a trop de pêcheurs, soit parce que les progrès techniques permettent aux pêcheurs de récolter plus efficacement le poisson.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Monsieur le ministre, je concède que dans les pêches, il n'y a rien de facile. Toutes les décisions sont pénibles pour celui qui les prend et pour une certaine partie de ceux qui les subissent. J'applaudie les mesures que vous avez prises pour la conservation du homard, surtout dans notre région. Je pense que cela s'imposait depuis un bout de temps. Je vous applaudie pour cela et j'appuie votre décision.

Vous parliez de partenariat dans votre discours et j'applaudie aussi ces efforts. Je pourrais mentionner des exemples où il y a eu coopération pour l'ensemencement de la pétoncle. Dans notre région, certains groupes travaillent au développement de cette culture en milieu marin. On a eu la coopération du ministère des Pêches et des Océans et du ministère des Ressources humaines. Cela a fait son chemin et il faudra faire plus.

J'aimerais parler du petit crabe ou du crabe commun. Il y a quelques années dans le détroit de Northumberland, des permis exploratoires ont été donnés à certains pêcheurs. On a trouvé que cette pêche pouvait s'exercer, avec des limites assez strictes, tout en tenant compte de la ressource. C'est une pêche qui est viable.

Il y a deux ans, on a ouvert cette pêche à plus de pêcheurs que ceux et celles qui détenaient les permis exploratoires. Dans un cas, on a eu une expérience d'un quota communautaire qu'on avait donné à une communauté de pêcheurs tout près du nouveau pont qui traverse l'Île-du-Prince-Édouard. Les pêcheurs se sont organisés pour envoyer deux ou trois bateaux pêcher, parce que c'était très restreint, et cela leur a rapporté peut-être 1 000 $ chacun, ce qui était important pour eux parce qu'ils n'ont que la pêche au homard. Dans ce coin de ma région, la pêche au homard n'est pas si bonne que peut-être elle ne l'est un peu plus au nord. Les pêcheurs pensaient que cette expérience allait continuer.

Cette année, suite à toutes sortes de négociations, on pensait qu'on aurait peut-être un quota. On leur a donné le privilège d'aller pêcher trois cages. Là aussi on s'est regroupé, mais l'exercise n'en valait quasiment pas la peine pour la simple raison que pour trois semaines de travail, ils ne recevaient que 500 $ chacun. Lorsque l'on considère cela et le système d'assurance-chômage pour les pêcheurs, dans certains cas ils étaient perdants.

Pourquoi on n'a pas continué cet exercice dans cette communauté? On cherche des exemples positifs de partenariat.Le travail de partenariat de cette communauté a donné des résultats positifs. Si vous me dites que, oui, il faut se préoccuper de la conservation, je suis d'accord. Ce n'était pas un problème de conservation cette fois-ci parce qu'on a augmenté le quota de ceux qui avaient des permis exploratoires en fin de saison. Je vois mal pourquoi on n'a pas profité de l'occasion pour que cet effort supplémentaire soit dirigé vers cette communauté qui en avait besoin, qui ne menaçait d'aucune façon le stock. Cela aurait été pour eux un signe que l'on peut faire un partenariat avec le ministère des Pêches et des Océans et que cela peut marché. Je dois vous dire qu'ils commencent actuellement à se poser des questions.

M. Anderson: Il y a toujours un problème quand vous avez une pêche exploratoire pour de nouvelles espèces et quand on essaie de diversifier. Au moment où l'on trouve qu'il y a là une bonne pêche, les gens qui étaient là les premiers disent qu'ils ont eux-mêmes fait l'exploration et pris les risques et qu'il faut donc leur donner davantage de quotas, et qu'il ne faut pas laisser entrer les autres. Ce problème existe toujours.

M. Robichaud: Monsieur le président, le sénateur Robichaud soulève un point intéressant. Le ministre faisait allusion à l'expansion des pêches exploratoires. Le ministère essaie de diversifier dans d'autres espèces en plus de partager, lorsqu'il est possible, les espèces de genre d'exploration.

La situation et l'expansion de la pêche exploratoire aux crabes tourteaux en est une qui a connu une certaine expansion progressive au cours des 15 dernières années. Près de 150 permis exploratoires ont été partagés: 50 à l'Île-du-Prince-Édouard, 50 au Nouveau-Brunswick et 50 en Nouvelle-Écosse.

Les pêcheurs de homard, par prise accidentelle, prennent ce crabe tourteau, le brissent et l'utilisent comme appât. Il y avait cette quantité qu'on ne sait pas et cette pêche exploratoire. Ceux qui étaient dans la pêche exploratoire étaient peut-être des pêcheurs de Murray's Corner, entres autres. Ils ont eu une grande série de discussion et de consultation dans le sud du golfe avec les representants des associations de l'Île-du-Prince-Édouard et de l'UPM pour obtenir des permis réguliers. Pour avancer il fallait avoir des meilleures données. Il a fallu parler de vérification à quai, de livre de bord, et cetera. Toute cette vérification et ce suivi additionnel ont causé un certain émoi. Finalement, on a décidé de progresser lentement avec le transfert exploratoire régulier.

Combien y a-t-il de permis dans le coin auquel le sénateur Robichaud fait allusion? Je ne pourrais vous le dire précisément. Mais il est évident que l'on essaie d'avoir l'heure juste de ce qui se fait dans la pêche accidentelle ainsi que dans la pêche régulière. On essaie aussi d'avoir une évolution mais sous des contrôles précis et, peut-être, rencontrer l'objectif du sénateur Robichaud. Je pourrais avoir plus d'information plus tard.

Le sénateur Robichaud: Cela porte sur la distribution de la ressource. C'est ce que fait notre étude, que les quotas soient transférables ou non. Je comprends ce que vous dites. Il faut y aller avec beaucoup de précaution. Il ne faut surtout pas faire de la surpêche parce qu'on va payer pour cela. Mais dans ce cas particulier, il y a eu un effort supplémentaire de fait après la pêche régulière; les pêcheurs qui avaient des permis exploratoires avaient fait une pêche dans le cadre de leur permis en début de saison. Ce qui me cause un problème ce n'est pas les quotas mais leur distribution.

Vous vous rappelé sans doute la situation du crabe des neiges. Je ne suis toujours pas d'accord avec les décisions prises à ce sujet. On dit qu'on garde un certain niveau afin de s'assurer que cette pêche soit rentable. Là où je trouve qu'il y a problème, c'est au niveau trop élevé que l'on garde pour ces gens. On pourrait se servir de l'occasion pour en donner à ceux qui doivent se satisfaire des miettes dans le secteur des pêches. Je parle des pêcheurs de homard. Si vous comparez les pêcheurs de homard qui ne font pas si bien que cela mais qui s'arrache une vie. Et pour le pêcheur du crabe des neiges, alors là ça ne va plus du tout. La décision a été prise au niveau régional. Vous n'étiez probablement pas au courant, mais il y a des gestionnaires de Pêche et Océans dans les régions qui ne profitent pas -- et je me sers d'une formule douce -- des occasions pour faire valoir les mérites d'un partenariat et du travail avec la communauté.

M. Anderson: L'allocation des quotas est faite, dans ce cas particulier, par les associations des pêcheurs. La décision n'a pas été prise par le ministère des Pêches et des Océans à Moncton. Les pêcheurs eux-mêmes l'ont proposé. C'est un des problèmes de la décentralisation et de la cogestion. Il faut parfois accepter les résultats. Les discussions politiques sont un peu difficiles à faire parce que c'est après le fait et cela n'a pas la même importance que si je prenais moi-même cette décision.

[Traduction]

Le sénateur Adams: Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord vous féliciter pour votre périple dans le Nord, qui vous a amené à visiter Iqaluit et Pangnertung. J'aimerais vous poser quelques questions au sujet des espèces et des quotas.

La pêche est assez limitée au Nunavut, mais nous avons tout de même une usine de transformation du poisson à Pangnertung qui traite le turbot. Peut-être pourriez-vous me dire quelles sont les perspectives d'une zone comme celle-là. Pangnertung sera-t-elle la seule localité où on pourra récolter du poisson, ou y aura-t-il d'autres zones de pêche également?

M. Anderson: J'ai visité Pangnertung juste avant de partir pour New York, et mon vol a été retardé en raison d'une tempête de neige. J'étais très satisfait de ma visite à l'usine de transformation du poisson à Pangnertung, qui est l'usine située le plus au nord. Ils font un excellent travail de marketing et font quelque chose qui est si important dans le secteur des pêches, à savoir qu'ils donnent un certain cachet au poisson du nord, qui est maintenant acheté par les restaurants du sud comme un poisson de première qualité. Ils peuvent ainsi éviter certains problèmes financiers liés à leurs coûts. Donc, je félicite grandement la population locale, qui a mis sur pied ce système avec relativement peu d'aide -- financière ou autre -- gouvernementale.

Voilà ce que nous devons continuer à faire, non seulement dans le Nord, mais dans les autres régions du Canada. Nous devons viser les créneaux à valeur élevée, car c'est cela qui permet de mettre de l'argent dans les poches des pêcheurs. Pour moi, il n'est plus question de s'intéresser exclusivement au nombre de tonnes de poisson que nous récoltons. Nous devons surtout nous assurer de capturer du poisson de grande valeur.

Pangnertung est donc un bon exemple du succès des efforts déployés pour donner un certain cachet au poisson capturé au nord du cercle polaire et axer la publicité là-dessus. J'ai donc été très content de pouvoir visiter cette localité.

Sénateur, votre autre question concernait les quotas. Nous avons effectué un transfert. C'est-à-dire que nous avons déplacé les quotas d'une région à l'autre du Canada -- en l'occurrence, le transfert concerne les zones 0 et 1.

À l'heure actuelle, plus de 25 p. 100 des quotas sont attribués aux pêcheurs locaux de cette région, et cette tendance va se maintenir. Je sais que vous-même et le député qui représente cette région suivent de très près la situation. Si je ne m'abuse, la proportion est passée de 8 p. 100 à 28 p. 100, et cette progression va continuer.

Évidemment, cela perturbe la situation des gens de Terre-Neuve et de Nouvelle-Écosse qui pêchaient précédemment dans cette zone. Face à ce genre de conflit interrégional, je dois prendre des décisions difficiles.

Nous aimerions faire plus de recherche scientifique dans le Nord sur les mammifères marins, entre autres, le morse, le narval, le béluga et la baleine boréale. Ces animaux revêtent une importance particulière pour les personnes qui croient en la chasse et la pêche de subsistance ou qui estiment qu'il faut vivre des aliments qu'on trouve localement. Nos recherches scientifiques à cet égard sont insuffisantes. Nous ignorons le degré de mixité des populations du Groenland et du Nunavut. Dans l'Arctique occidental, nous ignorons aussi le degré de mixité des populations de la Sibérie et du bassin du Mackenzie. Il est donc essentiel de faire d'autres recherches à ce sujet, et en attendant les résultats, de faire preuve de prudence.

Encore une fois, il faut reconnaître que la population est à la hausse dans votre région du monde, c'est-à-dire dans le nord du Québec, au Nunavut et dans l'ensemble de l'Arctique. Beaucoup de jeunes gens veulent incorporer les traditions dans leur mode de vie. Il s'ensuit que la demande et l'utilisation des ressources du Nord augmenteront. Il nous faut donc acquérir des connaissances scientifiques plus complètes concernant ces ressources si nous voulons être en mesure de répondre aux besoins de ceux qui veulent les utiliser.

Je dois vous dire, sénateur, que nous n'avons pas mis suffisamment l'accent sur la recherche scientifique dans le Nord -- ni du côté des pêches, ni du côté océanographique. J'aimerais en faire beaucoup plus.

Je suis heureux de vous annoncer que j'ai pu accueillir le Des Grosseilliers lorsqu'il est revenu de son séjour de 14 mois dans l'Arctique pendant la période d'englacement. C'est le premier bateau à rester volontairement pris dans la glace depuis celui de Nansen en 1904. Mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire avant que nos connaissances soient suffisantes.

Je suis sûr que vous soutiendrez nos efforts pour améliorer notre base de connaissances pour que nous puissions prendre de meilleures décisions de gestion.

Le sénateur Adams: Le comité a rencontré des pêcheurs autochtones de la Colombie-Britannique qui sont venus témoigner devant nous. Ils nous ont parlé des difficultés qu'ils connaissent actuellement sur la côte ouest. Auparavant, il y a avait suffisamment de place pour tous les membres de la collectivité, y compris les pêcheurs autochtones et sportifs. Ce qui m'a semblé préoccupant, c'est que certains ont des quotas mais ils ne peuvent pas pêcher. Entre-temps, ils se sont adressés à nous. Vous avez interrompu la pêche en juin. Pour moi, vous avez des problèmes parce que certains pêcheurs ne peuvent pas pêcher. Et les gens se font dire que rien n'a été fait jusqu'à présent.

Pourquoi avez-vous décidé d'éliminer la pêche sportive en même temps que la pêche au saumon? Dans ces localités, ils ont des camps de pêche pour touristes. Mais maintenant, les pêcheurs, comme tous les autres, n'ont plus aucune activité.

C'est par rapport à ces deux questions que j'aimerais avoir votre opinion sur les perspectives d'avenir de cette région, monsieur le ministre.

M. Anderson: Nous avons eu des problèmes sur la côte ouest. Mais la politique est très claire. Les autochtones seront les premiers à pouvoir pêcher, et ce pour des raisons cérémoniales, sociales ou de subsistance. Autrement dit, une fois que nous aurons pris les décisions qui s'imposent pour protéger la ressource, nous autoriserons ce genre de pêche.

De plus, là où il existe des programmes pilotes de vente dans les collectivités autochtones, ces programmes démarreront dès l'ouverture des pêches commerciales. Donc, ils pourront également profiter de cette possibilité-là.

Pour ce qui est de la pêche sportive, on oublie parfois que la flottille commerciale ou les collectivités autochtones capturent plus de 97 p. 100 du poisson récolté en Colombie-Britannique. Les pêcheurs sportifs locaux, à la fois autochtones et non autochtones, et les étrangers qui viennent pratiquer la pêche sportive prennent moins de 3 p. 100 du poisson récolté. Je constate qu'on a parfois tendance à exagérer l'ampleur du problème.

Cela dit, j'admets que la situation se complique un peu lorsqu'on fait la ventilation des cinq espèces de poissons. Même dans le cas du saumon quinnat, les pêcheurs sportifs prennent beaucoup moins de poisson que les pêcheurs commerciaux. Si je pouvais persuader les pêcheurs de l'Alaska de réduire encore leurs prises, je serais beaucoup plus content. Ce n'est pas parce que les pêcheurs sportifs prennent plus de poisson que ce problème existe.

J'avoue avoir du mal à comprendre ce que j'appellerais la «politicaillerie idéologique» qui se pratique en Colombie-Britannique. Nombreux sont ceux qui s'opposent à la stratégie relative aux pêches autochtones parce qu'ils prétendent que ces pêches sont fondées sur des critères raciaux. À mon avis, cette position est à la fois injuste et injustifiée. De plus, elle ne tient aucunement compte de l'histoire. Si je comprends bien la nature des premiers contacts entre les Autochtones et les Européens, c'est-à-dire les hommes de Boston, les hommes du roi George et des gens comme Alexander Mackenzie, ils ne pêchaient pas. Ils se contentaient d'acheter du poisson aux pêcheurs autochtones. Dans ce sens-là, les pêches commerciales autochtones remontent au tout début de nos contacts.

À mon avis, il serait imprudent et inadmissible d'oublier ce fait historique et de prétendre maintenant que la situation qui existait autrefois est sans importance ou ne doit pas être prise en considération. C'est une réalité incontournable.

Nous devons également nous rendre compte que certains pêcheurs autochtones font partie de la flottille commerciale. Ils s'opposent à la stratégie relative aux pêches autochtones parce qu'ils gagnent beaucoup d'argent grâce à la flottille commerciale. Ainsi il y a des contre-courants. Tous les pêcheurs autochtones ne sont pas sur la même longueur d'ondes.

De plus, l'expansion de la pêche sportive au cours des 20 dernières années vient compliquer la situation. En Colombie-Britannique, l'apport économique de la pêche sportive est plus important que celui de la pêche commerciale traditionnelle. Les deux positions se défendent, mais au fond, la situation est claire.

Étant donné que la Colombie-Britannique est la seule province au Canada à être touchée par une récession, nous devons commencer à tenir compte de l'impact économique des 3 p. 100 du poisson récolté dont la valeur correspond à celle des autres 97 p. 100. Nous avons du mal à voir quelle stratégie il faut adopter pour favoriser le tourisme en Colombie-Britannique.

Tout ce que je peux vous dire, sénateur, c'est qu'en fin de compte, il nous incombe de respecter nos obligations en ce qui concerne la stratégie relative aux pêches autochtones. Pour moi, ces pêches reposent sur des faits historiques. Il ne convient donc pas à mon avis de les éliminer, comme proposent si souvent certains habitants de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Adams: Pourriez-vous nous expliquer la question de l'indemnisation des pêcheurs autochtones?

M. Anderson: Oui. Plusieurs programmes d'indemnisation ont été mis sur pied pour permettre aux pêcheurs déplacés de travailler à la réhabilitation des frayères et de ce genre de choses. Nous avons consacré au moins 30 millions de dollars à ces initiatives au cours des deux ou trois dernières années.

Nous avons également créé des programmes spéciaux de recyclage. Cependant, sur la côte de la Colombie-Britannique, les opérations de pêche des collectivités côtières sont au troisième rang après d'autres activités économiques, comme l'exploitation forestière. Mais dans les collectivités autochtones, il s'agit souvent de la plus importante activité économique.

Nous n'avons pas réussi à satisfaire tout le monde dans toutes les régions, surtout dans le contexte d'une baisse de l'activité dans le secteur des pêches. Nous nous efforçons d'intensifier la collaboration avec Développement des ressources humaines et le MAINC, bien entendu.

Le sénateur Forrestall: Monsieur le ministre, vous comprendrez que pour moi qui vient de la Nouvelle-Écosse, il est difficile de concevoir qu'un ministre de la Colombie-Britannique puisse déclarer que sa province est la seule à être touchée par une récession à l'heure actuelle. C'est peut-être vrai; je n'en sais rien.

M. Anderson: C'est triste, mais c'est vrai.

Le sénateur Forrestall: J'ai plusieurs questions à vous poser au nom de notre collègue, le sénateur Pat Carney, concernant la conservation, les modalités de l'indemnisation qui est prévue pour les pêcheurs de la côte ouest, le protocole d'entente, et la dichotomie qui semble en découler.

Y a-t-il un plan de secours en vertu duquel les collectivités pourraient obtenir des crédits en attendant que le programme soit prêt à être exécuté en bonne et due forme et que les fonds prévus à cette fin soient versés aux intéressés? Je crois comprendre qu'environ 100 millions de dollars ont déjà été versés dans le cadre du programme de rachat, y compris pour les bateaux de différentes tailles et pour les permis. Cela n'a rien à voir avec l'aide que requièrent les membres de ces collectivités qui dépendent de la pêche pour survivre.

Deuxièmement, quelles mesures le gouvernement compte-t-il prendre pour rétablir la crédibilité du protocole d'entente? La politique du gouvernement à ce sujet consiste-t-elle à laisser les choses en plan en ce qui concerne le protocole d'entente et à ne pas y attacher beaucoup d'importance pour le moment?

Il devient difficile de parler de mesures de conservation quand on sait que tant de poissons sont détruits à l'heure actuelle, et que cette destruction a de graves conséquences pour les habitants des collectivités situées le long des côtes. Le sénateur Carney se demande donc à quel moment on peut, par rapport à l'incidence sur les collectivités côtières, parler, non pas de gestion, mais de mauvaise gestion des pêches.

À cet égard, y a-t-il un message que vous aimeriez communiquer à la population de la Colombie-Britannique et d'ailleurs? Vos remarques ce matin ont été très générales, et vous avez abordé de nombreuses questions différentes. Avez-vous défini des mesures concrètes qui permettraient de conserver le rôle de protecteur des ressources de ces collectivités? Et dans le même ordre d'idées, que faut-il faire pour protéger le droit des personnes appropriées d'accéder à cette ressource?

J'aurais aussi une observation à faire concernant la capacité insuffisante du secteur de la pêche de la crevette du Nord. J'ai du mal à accepter ce que vous dites. Ma fille travaille justement dans le secteur de la pêche de la crevette du Nord, et ce qu'elle me dit ne cadre pas avec vos déclarations.

M. Anderson: Je présume que vous parlez de la distribution des crédits en Colombie-Britannique. Le fait est que nous y avons régulièrement consacré de très grosses sommes. Nous avons également créé des partenariats avec d'autres organismes. La majorité des crédits ont donc été versés à des organismes directement ou indirectement associés au Syndicat des pêcheurs et travailleurs assimilés ou contrôlés par ce groupe. Telle a été la pratique au cours des deux ou trois dernières années. DRHC a accordé des crédits de l'ordre de 8 à 10 millions de dollars cette année.

Par contre, le programme de rachat relève de la responsabilité du ministère des Pêches et Océans. Mais vu les restrictions et la répartition des compétences que prévoit la Constitution, les autres activités relèvent de la responsabilité de DRHC ou du MAINC. Il reste que des fonds ont été régulièrement versés aux intéressés.

J'ai donc un peu de mal à accepter que des représentants syndicaux -- qui ont reçu 14,7 millions de dollars de crédits gouvernementaux au cours des deux dernières années pour mettre sur pied des programmes destinés aux pêcheurs déplacés -- prétendent que seulement deux millions de dollars ont été accordés pour ce genre d'initiative. Eux-mêmes ont été chargés d'administrer 14,7 millions de dollars sur les 30 millions que nous avons prévus au départ. Il faut bien reconnaître que c'est dans l'intérêt de certains de toujours critiquer. On peut certainement faire plus, mais l'aide que nous avons fournie est déjà considérable. Certaines personnes qui étaient chargées de mettre en oeuvre cette initiative se sont plaintes par la suite de ce que le travail n'ait pas été fait -- et c'est un peu ironique -- ou plutôt qu'il ait été mal fait.

Le protocole d'entente que nous avons signé avec la province de la Colombie-Britannique est important. Quand nous parlons du saumon, nous parlons d'un poisson anadrome, et la protection des habitats est tout à fait critique dans la protection des poissons anadromes. Si certains facteurs ne sont pas réunis: suffisamment d'eau, la température appropriée et une végétation suffisante le long des cours d'eau -- le saumon ne sera pas en mesure de se reproduire. Si vous ne faites rien pour empêcher des problèmes d'envasement à cause des pratiques des compagnies d'exploitation forestière, le saumon ne sera pas en mesure de se reproduire.

Il est donc essentiel que le gouvernement ait de bons rapports de travail avec la province de la Colombie-Britannique. Ces rapports n'ont pas toujours été bons par le passé, et pour moi, le protocole d'entente que nous avons signé voilà deux ans était l'occasion rêvée de changer les choses.

J'ai tout de même été déçu par l'attitude antagoniste des responsables provinciaux. Le protocole d'entente n'est pas pour le moment un outil de collaboration efficace. Mais la situation change, notamment parce que les sondages indiquent très clairement que la population de la Colombie-Britannique rejette cette attitude antagoniste. Par conséquent, nous avons à présent de meilleurs rapports.

Il importe que la province de la Colombie-Britannique ait un ministère des Pêches, car ce ministère pourra ensuite faire valoir ses arguments auprès du gouvernement provincial sur la question de la protection des cours d'eau et des pratiques forestières.

Donc, nous n'avons certainement pas décidé d'abandonner le protocole d'entente. Nous aimerions au contraire l'élargir, mais nous ne pouvons le faire seuls. Nous voulons renforcer nos liens de coopération, mais si nos interlocuteurs veulent simplement s'en servir pour taper sur le gouvernement fédéral, il faudra bien reconnaître que c'est une perte d'argent et de temps, pour les responsables tant fédéraux que provinciaux -- et que cela n'apporte rien au poisson de continuer dans cette voie.

J'ai essayé à maintes reprises de favoriser la coopération avec la province de la Colombie-Britannique, comme je l'ai fait pour toute province dont le secteur des pêches est en difficulté. Même au Québec, nous avons moins de problèmes qu'en Colombie-Britannique. La question des pêches dans cette province a jusqu'à présent été entachée d'extrême sectarisme, ce qui n'a aidé ni les pêcheurs, ni la ressource. Pour moi, la situation est en train de changer. Je souhaite vivement qu'elle change, et je suis prêt à rencontrer les responsables de la province de la Colombie-Britannique et à collaborer avec eux sur toute question intéressant les pêches et la conservation.

À partir de quel moment peut-on dire qu'il y a mauvaise gestion des pêches? Eh bien, je dirais que cela se produit quand ses décisions deviennent à ce point politisées qu'on ne tient plus du tout compte des faits scientifiques et des besoins de la ressource. Cela se produit quand on essaie de faire plaisir aux nombreux groupes qui ont parfois des intérêts opposés et qui réclament tous le droit de pêcher, car on oublie que son devoir est d'abord et avant tout de protéger la ressource. Il ne faut jamais oublier que son rôle primordial consiste à protéger la ressource; il ne s'agit pas simplement de donner à tous et à chacun la possibilité d'exploiter la ressource. C'est alors qu'on pourrait parler de mauvaise gestion, et ce en ce qui concerne les deux côtes.

Quant à l'élaboration de mesures concrètes visant les collectivités, à cet égard, l'action de notre ministère est évidemment un peu limitée. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, la responsabilité du développement régional ne relève pas de nous. Nous n'avons pas les mêmes responsabilités que DRHC ou le MAINC. Mais nous allons certes collaborer étroitement avec ces deux ministères. Comme les pêcheurs sont des électeurs qui vivent très fréquemment dans ces petites localités, nous comprenons très bien leur importance.

Et on ne rend certainement pas service à une collectivité côtière en permettant à une industrie importante de s'effondrer et de disparaître. C'est d'autant plus vrai si elle disparaît à cause de votre incapacité de prendre les mesures qui s'imposent, soit pour protéger la ressource, soit pour permettre à ceux qui continuent de pratiquer ce métier d'en tirer un revenu raisonnable.

Un pêcheur vivant dans une petite localité qui ne touche qu'un revenu de subsistance a tout de même des enfants à l'école. Il a besoin des routes et des services que lui offre cette collectivité, mais en raison de son revenu insuffisant, il ne peut y apporter grand-chose. C'est certainement un dilemme. Nous essayons de collaborer avec d'autres ministères pour agir sur le problème, mais notre principal responsabilité consiste à protéger la ressource elle-même.

Le sénateur Forrestall: Monsieur le ministre, sans vouloir vous contredire, vous deviez certainement avoir élaboré un plan au moment d'accorder les 400 millions de dollars en avril ou mai. Sept ou huit mois plus tard, il ne semble pas y avoir beaucoup d'activité. Avez-vous décidé de répartir ces crédits sans avoir un plan en place, plan que vous êtes maintenant en train d'élaborer progressivement? Y a-t-il de grands obstacles qui vous empêchent de le faire? Pourquoi ces crédits n'ont-ils pas été distribués aux membres des collectivités concernées?

M. Anderson: Non, il n'y a pas de grands obstacles. Il existe un plan, et les crédits en question sont utilisés correctement. Il ne s'agit pas là d'une simple affectation de fonds ministériels pour cette année. C'est sans doute la dernière fois qu'une somme aussi importante sera jamais consacrée à une initiative de ce genre. Je ne m'attends pas à ce que les gens de la côte ouest bénéficie à l'avenir d'un apport aussi massif de crédits. D'ailleurs, cette région n'a jamais fait l'objet d'une injection d'argent aussi importante avant cette année.

Sénateur Forrestall, vous faites de la politique depuis beaucoup plus longtemps que moi, mais il reste que nous nous connaissons depuis une trentaine d'années -- depuis notre élection en 1968 et 1972, lorsque nous sommes tous les deux devenus membres du Comité des pêches de la Chambre des communes. Je n'ai jamais vu un apport de capital aussi massif jusqu'à présent, ni vous non plus. On ne va certainement pas nous forcer à utiliser ces crédits rapidement; nous voulons surtout bien les utiliser.

Mais le fait est que ces crédits sont actuellement utilisés. Nous avons déjà entamé une première série de rachats de permis. Nous avons d'ailleurs reçu environ 600 propositions. Nous avons également mis sur pied des programmes de formation destinés aux pêcheurs déplacés. Nous consacrons des fonds à des initiatives de remise en état et de protection des habitats. De plus, nous avons réservé environ 18 millions de dollars pour le développement communautaire, à part de ce qui est consacré au secteur des pêches proprement dit. Si quelqu'un a un projet touristique à proposer, des crédits sont disponibles pour ce genre d'initiative. Nous avons également prévu des fonds pour favoriser la diversification. Donc, les témoins qui sont venus vous dire qu'il ne se passe rien admettent indirectement qu'ils n'ont tout simplement pas pris le temps de se renseigner.

Je vais m'assurer de vous faire parvenir toutes les données pertinentes concernant l'utilisation de ces crédits. Mais je peux vous affirmer que je n'ai pas l'intention de tout dépenser en un délai de 12 mois. Certains des crédits seront utilisés sur trois ans. Si nous avons du mal à obtenir le nombre de permis approprié, l'utilisation de certains crédits sera reportée au-delà du délai de trois ans. Nous ne pouvons nous permettre de donner l'impression que le gouvernement fédéral a une grosse somme à dépenser et que pour des raisons politiques, il veut la distribuer rapidement pour stopper les plaintes. Nous voulons au contraire utiliser cet argent de façon intelligente, frugale et prudente. Pour cela, nous avons besoin de mécanismes appropriés et les gens doivent bien comprendre les objectifs que nous nous sommes fixés.

Le sénateur Mahovlich: Le secteur de la pêche du homard est prospère. Ma femme et moi allons souvent dîner au restaurant, et elle préfère le homard au bifteck qui vient de l'Ouest. Mais pourquoi coûte-t-il si cher?

M. Anderson: Je comprends très bien que vous préféreriez que cela vous coûte moins cher, puisque c'est vous qui devez payer l'addition à la fin du repas, mais à notre avis, il est bon que vous payiez cher le homard que vous consommez. C'est un produit qui est demandé sur les marchés internationaux. Les Français l'aiment beaucoup, et d'autres Européens également. Les Américains l'adorent. Je rencontre souvent l'acheteur de la chaîne Red Lobster aux États-Unis. Je pense que cette chaîne compte 3 200 restaurants. Les poissons et fruits de mer canadiens sont de première qualité, et les pays du monde entier reconnaissent que nos normes d'inspection sont des plus exigeantes. Et cet argent retourne directement dans les collectivités côtières et dans les poches des pêcheurs.

Le homard est un produit qui a connu un succès phénoménal, mais vous avez raison: les clients qui le consomment au restaurant doivent payer un peu plus à cause du prix.

Le sénateur Mahovlich: J'ai visité la région de la Miramichi il y a deux ou trois semaines. L'année dernière, ils ont eu des problèmes. Un ami à moi -- Ted Williams -- a un chalet là-bas et pêche souvent. Pourriez-vous me dire quelle somme a dû être engagée pour rectifier ce problème qui, d'après ce qu'on m'a dit lors de ma récente visite, n'existe plus.

M. Anderson: En tout, nous y consacrons 160 millions de dollars.

Le sénateur Mahovlich: Cent soixante millions de dollars en tout?

M. Anderson: Oui, et ce sur 10 ou 15 ans.

Le sénateur Mahovlich: Je vous parle uniquement de la région de la Miramichi.

M. Anderson: Je présume que vous parlez du programme de rachat et des mesures de protection des cours d'eau également.

S'agit-il de la somme consacrée à la région de la Miramichi, monsieur Robichaud?

M. Robichaud: Non, c'est la somme prévue pour l'ensemble des provinces de l'Atlantique en vue de conserver le saumon de l'Atlantique.

Le sénateur Mahovlich: Est-il vrai que le problème n'existe plus? Les personnes à qui j'ai posé la question représentaient le secteur des pâtes et papiers qui était responsable du problème de pollution. Ce problème a-t-il été corrigé?

M. Anderson: Sénateur, pour ce qui est de cette rivière en particulier, je vais devoir vous transmettre l'information par écrit. Peut-être pourrions-nous déjeuner ensemble si vous avez des questions à poser au sujet de cette lettre quand vous l'aurez reçue.

Le sénateur Mahovlich: Très bien.

M. Anderson: Nous engageons des sommes substantielles pour protéger le saumon du Canada atlantique. Nous avons dû prendre des décisions très difficiles, y compris celle de mettre un terme aux opérations commerciales de pêche au filet sur la basse côte nord du Québec et la côte du Labrador. Nous avons d'ailleurs persuadé les Danois et les Groenlandais de suivre notre exemple. Pour la première fois depuis des siècles, il n'y aura plus d'opérations commerciales de pêche du saumon au filet dans la zone nord-ouest de l'Atlantique. Il sera désormais possible d'assurer la gestion de la ressource rivière par rivière, et comme les opérations de pêche se dérouleront uniquement dans les rivière, on peut plus facilement faire des rajustements en fonction de l'abondance des ressources halieutiques.

Comme vous et votre ami, M. Williams, le savez certainement, nous avons un système de couleurs -- «rouge, ambre et vert» -- qui est fonction de la température de l'eau. Nous modifions les règlements au jour le jour, s'il le faut, en fonction des conditions locales. Donc, il y a vraiment de l'espoir pour le saumon de l'Atlantique.

Les conditions de survie dans l'océan sont différentes de celles qui existaient autrefois. Cela rejoint la question du sénateur Adams concernant la recherche qui est faite dans le Nord. Si nous n'étudions pas suffisamment l'évolution de la calotte glacière de l'Arctique, nous n'aurons pas suffisamment d'information concernant l'évolution des températures océaniques. Cela pourrait avoir des conséquences pour le saumon du Pacifique et notamment pour le saumon de l'Atlantique.

Nous observons une diminution des températures, notamment dans les strates inférieures des eaux de l'Atlantique, ce qui constitue un obstacle pour les populations de saumon de l'Atlantique, et d'autres espèces également. C'est en rapport avec les difficultés dans l'environnement océanique en général -- pas seulement dans l'Atlantique mais dans l'Arctique également.

Sénateur Mahovlich, je m'engage à vous transmettre cette information. Je serais ravi de déjeuner avec vous et M. Williams, s'il vient à Ottawa, pour qu'on en discute, si vous le souhaitez.

Le président: Dans le texte de votre déclaration liminaire, vous dites que les pêches sont actuellement subventionnées; j'ai noté que vous aviez utilisé le terme «subventionnées». Si les pêches sont subventionnées, pourriez-vous me dire quels secteurs et quels pêcheurs en particulier bénéficient de ces subventions?

M. Anderson: Dans le monde entier, les pêches bénéficient de subventions d'une valeur de 50 milliards de dollars -- et ça, c'est en plus de la valeur de 80 milliards de dollars que représentent les pêches mondiales. Au Canada, on évalue la valeur de nos exportations à 3 milliards de dollars. Quatre-vingt pour cent de nos produits sont exportés, ce qui donne un total de 4 milliards de dollars. Notre ministère dépense environ 1,1 milliard de dollars, mais cette somme n'est pas consacrée uniquement aux pêches.

Vu la nature de cette ressource, le gouvernement consacre beaucoup plus de fonds à cette industrie qu'à la plupart des autres secteurs d'activité. Il est difficile d'indiquer avec précision ce qui est subventionné. Ce matin, nous avons parlé de la nécessité de protéger les collectivités. Une subvention peut ne pas prendre la forme d'un versement direct de fonds; il peut aussi s'agir d'une approche qui a pour résultat de créer un manque à gagner ou d'éliminer des profits.

Il ne fait aucun doute que le secteur des pêches au Canada dépend beaucoup des crédits gouvernementaux à l'heure actuelle. Mais je ne peux pas vous donner de chiffres précis concernant le montant que consacre le Canada aux subventions dans ce domaine.

Le président: J'ai trouvé surprenant qu'un ministre de la Couronne emploie le terme «subvention», étant donné qu'il suscite de vives réactions de nos jours dans le contexte du commerce international. Les journalistes emploient parfois ce terme à tort et à travers, mais je dois dire que j'étais un peu surpris qu'un ministre l'utilise.

Vous avez dit dans votre déclaration liminaire que la perception -- et j'insiste bien sur le fait qu'il s'agit d'une simple perception -- des programmes de QI, c'est qu'ils font augmenter la quantité de poissons indésirables qui est rejetée. Le ministre estime-t-il qu'il s'agit d'une simple perception et que la réalité est toute autre?

M. Anderson: Non, le problème du rejet est un problème majeur qui concerne tous les secteurs de l'industrie des pêches. Nous essayons de l'éliminer par l'entremise de programmes de vérifications à quai et à bord des bateaux. Ces programmes ont d'ailleurs donné d'assez bons résultats.

Le meilleur moyen demeure cependant la déontologie; il faut que les exploitants de la flottille de pêche reconnaissent qu'une telle pratique est tout à fait contraire aux principes déontologiques. Cette attitude est de plus en plus répandue. Si les pêcheurs veulent se comporter de façon déshonorable et malhonnête, on ne pourra jamais les empêcher de rejeter dans l'eau les plus petits poissons. Il peut parfois être utile de comparer les prises des bateaux qui pêchent dans la même zone. Ainsi on peut facilement savoir quelles sont les pratiques des bateaux si les poissons capturés par l'un sont en moyenne plus gros que ceux de l'autre. Quand des cas de ce genre surgissent, il y a deux conséquences possibles: ou alors les collègues vont faire pression sur les personnes qui s'adonnent à ces pratiques pour les forcer d'être responsables, ou alors ils vont adopter cette conduite irresponsable en constatant que quelqu'un réussit à faire de l'argent en contournant le système.

À notre avis, nous sommes sur la bonne voie. Quand les pêcheurs deviennent titulaires de QI, ils ont le sentiment d'avoir de plus lourdes responsabilités, ce qui nous aide à éliminer le problème de l'écrémage, c'est-à-dire du rejet à l'eau des poissons qui sont plus petits ou de moindre valeur.

Le président: Dans vos remarques liminaires, vous avez parlé de deux enquêtes exhaustives menées par le MPO sur les programmes de QI depuis 1990. Ces enquêtes auraient démontré que les QI profitent autant aux gestionnaires qu'aux pêcheurs et qu'ils ont davantage favorisé la conservation et la réalisation des objectifs économiques que des régimes de gestion antérieurs.

Je n'ai pas nécessairement besoin de cette information aujourd'hui, mais j'aimerais que le ministre nous transmette les résultats de ces deux enquêtes exhaustives. Nous aimerions les examiner. Nous n'avons certainement pas pris connaissance de ces documents au comité.

Nous aimerions également que le ministère nous explique ce qu'il entend par «objectifs économiques», c'est-à-dire les objectifs que vous et les intervenants de l'industrie essaient d'atteindre. Nous n'avons pas besoin de cette information ce matin, mais puisqu'il s'agit d'information fort utile en ce qui nous concerne, nous aimerions obtenir des réponses plus tard.

Ma dernière question porte sur le transfert des permis et la concentration. Selon vos hauts fonctionnaires, les limites fixées pour la concentration dont il est question dans votre déclaration liminaire sont-elles actuellement respectées?

Les témoignages que nous avons reçus de différents représentant de l'industrie sont contradictoires. De plus, nous avons dans nos dossiers une lettre rédigée en 1996 par le ministre de l'époque, qui indique que les règles relatives à la concentration n'étaient pas appliquées à l'époque. Affirmez-vous aujourd'hui que d'après vos hauts fonctionnaires, il n'y a pas de telle concentration?

M. Anderson: Nous allons vous fournir une analyse des quotas individuels, et dans la lettre qui accompagne cette information, nous vous donnerons d'autres explications concernant les objectifs économiques, si les deux rapports ne donnent pas suffisamment de détails à ce sujet.

En ce qui concerne la concentration, la plupart des programmes de QI au Canada prévoient des règles anticoncentration sous une forme ou une autre. Je vais m'assurer que l'énoncé dont vous avez parlé il y a quelques instants a été actualisé et on vous en fournira une copie. Le ministère s'est toujours soucié de cette question et compte bien suivre de près l'évolution de la situation.

Il s'agit surtout de savoir si les préoccupations exprimées sont justifiées ou non. Cette distinction-là n'est pas toujours faite. Nous nous engageons cependant à vous fournir une analyse de la situation, pour que vous la compariez aux préoccupations exprimées par les témoins.

Le sénateur Stewart: Nous n'avons pas consacré beaucoup de temps à la question qui fait l'objet de l'ordre de renvoi du comité, à savoir les quotas individuels transférables.

Le ministre parle sans arrêt de «l'industrie», ce qui suggère un certain modèle, le modèle de l'entreprise commerciale. Nous sommes à une époque où la fusion d'entreprises commerciales semble être la grande mode.

Ce matin, on nous a parlé de l'éventuelle fusion d'Exxon et de Mobil. Les magasins d'alimentation fusionnent également. Les banques cherchent à se regrouper. Le simple fait qu'on qualifie ce secteur d'«industrie» laisse supposer qu'il va y avoir concentration, conformément au modèle industriel.

Les propos du ministre nous offrent peut-être une explication. Il a parlé de la répartition des responsabilités. Le secteur des pêches proprement dit relève de lui. Il y a aussi les ministères du Développement régional et des Ressources humaines. À votre avis, serait-il possible d'agir sur le problème plus efficacement si les trois ministères se penchaient sur la question des quotas communautaires et des éventuelles conséquences de ce régime pour les bancs de poisson, et cetera, plutôt que de maintenir le régime actuel?

M. Anderson: Sénateur, nous nous efforçons toujours de coordonner le plus possible nos activités avec celles des deux autres ministères fédéraux et des ministères provinciaux concernés. Par conséquent, nous sommes parfois appelés à travailler en étroite collaboration avec des administrations régionales.

Vous avez fait preuve d'une grande perspicacité en mettant le doigt sur un problème qui ne va jamais complètement disparaître. Mais en suivant vos conseils en ce qui concerne la coopération et la collaboration, nous ferons certainement l'impossible pour atteindre ce résultat.

Le sénateur Cook: Quand je suis arrivé à cette table, monsieur le ministre, cette étude était déjà en cours. Je dois donc essayer de séparer les réactions émotives des véritables enjeux. Il ne fait aucun doute que nous devons changer notre façon de faire les choses, parce que les méthodes que nous avons employées jusqu'à présent n'ont pas donné de bons résultats. Je ne peux m'empêcher de penser que nos efforts de conservation ne serviront à rien tant que la surpêche étrangère, qu'elle soit réelle ou imaginaire, continue d'être un facteur.

Depuis 15 ou 20 minutes, j'entends le mot «mondial», et cela m'encourage. La question de savoir comment et pour quelles raisons nous devons changer nos méthodes a déjà été longuement débattue. Mais tout cela n'aura servi à rien si nous ne nous attaquons pas au problème fondamental qu'est la protection de cette ressource qui circule dans les océans du monde entier. Nous devons absolument établir des partenariats à un haut niveau afin d'assurer la pérennité de cette ressource pour l'ensemble de l'humanité. Nous avons examiné les modèles adoptés par l'Islande et la Nouvelle-Zélande. Nous essayons de voir comment nous pouvons assurer la gestion efficace de cette ressource au niveau mondial, et je vous exhorte à ne pas négliger ce facteur très important quand vous prenez des décisions.

M. Anderson: Je vous remercie pour cette recommandation très précise que je prends d'ailleurs très au sérieux. Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il y a des mesures qu'on peut prendre au Canada, notamment à l'égard des poissons qui sont plus statiques et se déplacent moins. Nous nous devons de faire tout notre possible dans nos propres eaux. Mais il ne faut pas oublier que nous avons affaire à un système océanique. Des poissons comme le thon rouge font des dizaines de milliers de kilomètres chaque année. Certains poissons traversent des océans, et on ne peut pas assurer la protection de poissons migratoires en se concentrant uniquement sur ce qui arrive à l'intérieur de ses frontières ou de la zone économique exclusive de 200 milles, même si l'on décide d'élargir cette zone.

Donc, la coopération mondiale est une priorité qui me tient vraiment à coeur. Je n'aurais pas pu mieux expliquer l'importance de ce dossier. Pour moi, ce sera l'enjeu le plus important du prochain siècle. Au cours du siècle actuel, une déontologie de la terre s'est définie, et au prochain siècle, on peut espérer qu'une déontologie de la mer se définisse également. À l'heure actuelle, 70 p. 100 de la surface de la terre est couverte d'eau, et si nous n'élaborons pas cette déontologie, cette partie-là de la surface de la terre se transformera en désert et ne soutiendra plus les organismes vivants et la vie humaine. Si nous n'acceptons pas cette notion de partenariat, de partage et de coopération, nous ne pourrons jamais faire notre devoir, pas seulement temporairement, à titre d'élus, mais vis-à-vis des générations futures.

Le sénateur Cook: J'ouvre une parenthèse pour vous rappeler qu'il y 500 ans, mon peuple a traversé l'océan à la recherche d'un nouveau mode de vie. Ce mode de vie est maintenant menacé par la façon dont nous menons nos activités, et il faut absolument que ça change.

Le sénateur Robertson: Le ministère pourrait-il nous fournir une analyse coûts-bénéfices des différents modèles de gestion des pêches, y compris des quotas communautaires?

Le ministre s'inquiète-t-il de ce que le ministère semble, aux yeux de certains, ne plus être en mesure de jouer son rôle d'intermédiaire impartial à l'égard du développement futur du secteur des pêches? Certaines personnes ont l'impression que le modèle des QIT fait l'objet d'une promotion énergique de la part de ses partisans au MPO et des entreprises en général.

M. Anderson: Du moment qu'on essaie de faire croire que l'ensemble du personnel d'un ministère a des arrières-pensées malveillantes ou des intentions cachées, on doit se demander dans quelle mesure de telles affirmations sont crédibles. C'est là que le débat s'envenime, parce que des vies humaines sont en cause.

Comparons ma situation à celle du ministre de l'Industrie. Les gens qui travaillent pour une entreprise ne s'attendent pas à traiter directement avec le ministre. Dans le secteur des pêches, toutefois, les rapports sont directs, et on se trouve devant une situation très différente. La perception des gens est extrêmement importante.

En ce qui concerne la gestion des pêches, j'espère que nous avons tiré les bons enseignements de nos erreurs. Peut-être avons-nous compris qu'une approche fortement régionale et sectaire -- la notion du jeu à somme nulle -- n'a pas aidé le Canada dans son ensemble, le secteur des pêches, les pêcheurs en tant que groupe, et certainement pas les pêcheurs en tant qu'individus.

J'espère que nous réussirons à laisser derrière nous ces attitudes sectaires et à favoriser un meilleur dialogue entre les scientifiques et les pêcheurs pour éliminer toutes ces barrières. J'aimerais qu'il y ait plus de franchise et de transparence en ce qui concerne les rapports avec le public. J'ai déjà affirmé, par exemple, que les scientifiques du ministère sont libres d'exprimer leurs opinions avec sincérité. Nous ne cherchons aucunement à les contrôler.

Par contre, les gens doivent reconnaître que cela ne leur donne pas le droit d'affirmer, en citant des phrases ici et là qu'aurait prononcées tel scientifique, que le ministère ne tient nul compte des conseils des scientifiques, alors que 95 p. 100 des autres experts scientifiques ont une opinion différente. Nous devons tous nous rendre compte -- la presse aussi -- que nous sommes confrontés à un problème particulièrement ardu. Les ressources qui constituent un bien commun sont les plus difficiles à gérer. Votre approche me semble tout à fait appropriée.

Le sénateur Perrault: Monsieur le ministre, vous avez dit que l'état actuel des océans du monde devrait nous inquiéter sérieusement. Vous êtes depuis toujours un grand écologiste, et j'espère que vous pourrez revenir pour discuter de cela avec les membres du comité. Si les espèces de poissons de grande valeur périclitent dans le monde entier en raison de facteurs écologiques, est-ce vraiment important de privilégier un type de contingent par rapport à un autre? Toutes nos ressources halieutiques vont peut-être disparaître pour la seule raison que les océans du monde se réchauffent. N'y a-t-il pas quelque chose qui menace l'existence même de toute vie marine?

M. Anderson: Vous avez raison. Pour faire une analogie qu'on privilégie beaucoup en Colombie-Britannique, il ne faut pas que les arbres cachent la forêt. Sinon, nous allons finir par suivre la ligne de conduite peu judicieuse que vous avez décrite. Il faut commencer à voir tous ces éléments dans le bon contexte. On ne peut s'intéresser qu'à une seule espèce. Il faut tenir compte du réseau trophique des différentes espèces. Il faut tenir compte de leur écosystème. En ce qui concerne les océans, il faut reconnaître à présent que nous arrivons à un point où les techniques sont si avancées et les pressions si extrêmes que la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement n'a rien de comparable avec ce qui existait avant la Seconde Guerre mondiale ou même avant les années 70. Cette coopération et cette compréhension mondiale sont indispensables.

Le sénateur Perrault: Vous avez dit que les nations du monde évoluent ensemble. Sont-elles au courant de la crise actuelle?

M. Anderson: Nous sommes sur la bonne voie. Mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Jusqu'à présent, nous n'avons fait que les premiers pas d'un très long voyage.

Le sénateur Robichaud: Pendant nos discussions sur les quotas et sur la création de différents régimes, on nous a dit que le secteur de l'industrie des pêches qui s'en tire le mieux est celui qui est contrôlé par d'ex-fonctionnaires du MPO qui sont passés dans le secteur privé après avoir préparé leurs soumissions. C'est une critique très sévère à formuler à l'endroit des fonctionnaires du MPO, car pour moi, il y en a qui font un excellent travail. Suivez-vous la situation des fonctionnaires qui quittent leur poste, se trouvent des associés et commencent tout de suite à toucher un salaire très élevé? Je voudrais surtout éviter que cette perception se généralise, car la crédibilité de vos gestionnaires locaux serait gravement compromise.

M. Anderson: Il est vrai que certaines personnes ont l'impression que bon nombre de nos ex-employés connaissent beaucoup de succès sur le secteur privé. C'est une épée à double tranchant. Si les entreprises privées sont prêtes à leur payer un salaire aussi élevé, on peut supposer qu'ils sont très efficaces et compétents. Il est vrai que nous avons d'excellents employés, et aucun ministère des pêches ailleurs au monde ne possède autant de compétence technique que le nôtre. Certains ex-fonctionnaires décident de travailler pour des organisations de pêcheurs; ils deviennent directeurs de ces associations. D'autres optent plutôt pour le milieu universitaire. Ils se dirigent vers les quatre coins du monde.

Pour moi, leur situation n'est pas plus grave ou plus inquiétante que celle de nos excellents militaires qui quittent les Forces armées à la fin de leur carrière et commencent à travailler pour l'industrie privée. Il en va de même pour d'autres bons éléments de la fonction publique qui décident de travailler pour le secteur privé. Mais cette perception existe et elle est effectivement problématique. Il faut faire comprendre aux gens que lorsque quelqu'un quitte le ministère afin de travailler pour un autre organisme, ce n'est pas forcément quelque chose de négatif.

Depuis trop longtemps nous y voyons un jeu à somme nulle: autrement dit, si l'autre obtient quelque chose, ce qu'obtient l'autre, moi, je perds. Quand les gens se rendent compte d'un changement, leur réaction instinctive est de se dire: «Si cette personne ne travaille pas pour moi, je suis nécessairement lésé si elle travaille pour quelqu'un d'autre». Ce n'est pas nécessairement vrai, mais cette perception existe certainement.

Le président: Vous avez consacré beaucoup de temps au comité ce matin, et nous vous en sommes très reconnaissants.

Vous nous avez défini votre vision en nous expliquant clairement et sincèrement les domaines qui vont assurer l'avenir du secteur des pêches. Certains d'entre nous ne partagent pas nécessairement votre vision, surtout en ce qui concerne le manque de participation communautaire et votre affirmation que les pêcheurs ne souhaitent pas participer. Il y a d'autres questions qui m'inquiètent aussi, et par conséquent, il va falloir d'autres discussions parlementaires sur la situation actuelle du secteur des pêches.

Merci infiniment de votre présence.

M. Anderson: C'est un dossier extrêmement complexe. Mais aucun autre organe au Canada ne possède sans doute l'objectivité et l'étendue des connaissances du Sénat du Canada. J'attends avec impatience une autre occasion de travailler avec vous.

La séance est levée.


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