Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Pêches
Fascicule 20 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 11 mai 1999
Le comité sénatorial permanent des pêches, auquel a été renvoyé le projet de loi C-27, Loi modifiant la Loi sur la protection des pêches côtières et la Loi sur la marine marchande du Canada afin de mettre en oeuvre, d'une part, l'Accord aux fins de l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs et, d'autre part, d'autres ententes ou traités internationaux en matière de pêche, se réunit aujourd'hui à 17 h 40 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Cet après-midi, honorables sénateurs, nous entendrons d'abord M. Donald Barry de l'Université de Calgary. Il sera suivi par M. Clyde Sanger. En soirée, nous clôturerons en compagnie de l'ambassadeur Alan Beesley qui, je le mentionne à l'intention des membres du comité, nous écoute à partir de Victoria. Il sera en mesure d'entendre toutes nos questions perspicaces.
Avant de lui céder la parole, je présente au profit des membres du comité une brève biographie de M. Barry.
M. Barry est professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary. Il est l'auteur d'un article intitulé «The Canada-European Union turbot war: Internal politics and transatlantic bargaining» qui a été publié dans le numéro du printemps 1998 de l'International Journal. Le compte rendu pénétrant et détaillé qu'il fait des événements ayant marqué la guerre du turbot qui a opposé le Canada à l'UE en 1995 s'inspire d'entrevues menées auprès de représentants du gouvernement, de l'Union européenne et de l'industrie de la pêche.
Nous avons pensé que M. Barry pourrait nous brosser le portrait de la situation qui a mené au déclenchement de la guerre du turbot en 1995. Je pense qu'il serait utile que nous soyons en mesure de situer nos travaux d'aujourd'hui dans un contexte historique.
Monsieur, la parole est à vous.
M. Donald J. Barry, Ph.D., professeur, département de sciences politiques, Université de Calgary: Monsieur le président, je tiens à vous remercier, vous et les membres du comité, de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. L'exploitation des stocks chevauchants est l'un des enjeux les plus importants auxquels sont confrontés les États côtiers et ceux qui leur font face. On trouve dans l'entente des Nations Unies sur le poisson une base de règlement.
Je crois comprendre que M. Beesley et M. Sanger débattront du fond du projet de loi C-27 et de l'entente sur les pêches. Je centrerai donc mon exposé sur le contexte historique de ces mesures de même que sur les principaux événements qui nous ont menés là où nous sommes aujourd'hui.
En janvier 1977, le Canada s'est associé à d'autres États côtiers pour étendre la zone de pêche à 200 milles. L'action gouvernementale faisait suite au déclin alarmant des stocks de poisson amorcé dans les années 50, en raison de l'augmentation marquée de l'activité des pêcheurs étrangers et de l'incapacité des mécanismes existants de contrôler la pêche au-delà de la mer territoriale qui, en 1970, avait été étendue de 3 à 12 milles.
Ottawa avait pour but de canadianiser la pêche à l'intérieur de la limite des 200 milles dans le cadre d'un régime de gestion conservationniste faisant la promotion de la reconstitution des stocks. Entre-temps, le Canada continuait d'allouer aux États qui allaient traditionnellement pêcher dans la zone de pêche des stocks excédentaires et, dans certains cas, des stocks non excédentaires, à condition de recevoir certains avantages en échange. Le plus important de ces avantages avait trait à la coopération en matière de conservation de même qu'à des compensations commerciales, c'est-à-dire l'accès à des marchés étrangers.
La création de la limite des 200 milles n'a cependant pas assujetti l'ensemble du plateau continental au contrôle du Canada. Environ 10 p. 100 du Grand Banc se trouvent à l'extérieur des eaux territoriales du Canada dans des zones connues sous le nom de «nez» et de «queue» du Grand Banc. D'importants stocks commerciaux, y compris la morue, la plie, le sébaste et le turbot, chevauchent la limite.
En 1979, on a créé l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, ou OPANO, pour conserver et gérer la pêche dans l'Atlantique Nord-Ouest, à l'extérieur de la limite des 200 milles. L'organisation a acquis une importance plus grande lorsque la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, qui affirmait le droit des États côtiers d'établir des limites de 200 milles, s'est révélée incapable d'apporter une solution viable au problème des stocks chevauchants.
L'OPANO se compose du Canada et d'États qui disposent de flottes hauturières dans la région. L'OPANO est responsable de la réglementation des divers stocks qui s'étendent au-delà de la zone territoriale canadienne, seule ou en coopération avec le Canada.
Chaque année, l'OPANO établit le total des prises admissibles, ou TPA, des quotas et des mesures de conservation pour les stocks qu'elle contrôle, compte tenu des avis du conseil scientifique de l'organisation, composé de scientifiques des parties contractantes. Les décisions de l'OPANO sont prises par consensus ou par vote majoritaire. Aux termes de la constitution de l'organisation, cependant, tout membre qui s'oppose à une décision concernant les quotas dans un délai de 60 jours n'est pas tenu par la mesure. Les mesures touchant l'application doivent faire l'objet d'un consensus parmi les parties contractantes.
Hormis le Canada, le membre le plus important de l'OPANO est l'Union européenne. La pêche par les États membres de l'Union est régie par la politique commune des pêches de l'Union. En vertu de cette politique, la Commission européenne, organe exécutif de l'Union, détient le pouvoir exclusif de négocier et de conclure des accords relatifs aux pêches avec des tierces parties ainsi que de représenter l'Union au sein d'organismes internationaux du secteur des pêches. Habituellement, les engagements sont approuvés par le conseil des pêches, composé des ministres des Pêches des États membres. Tandis que la politique relève de l'UE, la mise en oeuvre et l'application sont laissées aux soins des États membres.
Jusqu'en 1985, l'UE a coopéré avec l'approche de gestion axée sur la conservation adoptée par l'OPANO au Canada: des chalutiers ouest-allemands, après avoir pêché les quotas qui leur avaient été accordés en vertu de l'Accord de pêche à long terme conclu entre le Canada et la communauté européenne en 1981, ont commencé à pêcher la morue sur le nez du Grand Banc. En vertu de l'accord, les flottes de l'UE pouvaient pêcher des stocks de morue excédentaires dans les eaux canadiennes en échange d'un accès aux marchés pour les produits du poisson canadien et d'une promesse de coopération dans le dossier de la conservation.
L'incident de 1985 s'est réglé au niveau diplomatique. L'entrée imminente de l'Espagne et du Portugal dans l'Union en 1986, laquelle allait accroître la capacité de pêche de l'UE de près de 75 p. 100 représentait cependant un enjeu beaucoup plus grave. Sans allocations additionnelles accordées dans ces eaux déjà surpêchées et avec des perspectives limitées ailleurs, l'UE sous la pression de l'Espagne et du Portugal, de leurs gouvernements et de leurs industries de la pêche, a commencé à exercer des pressions en vue de l'adoption d'un régime de gestion plus libéral et de quotas nettement plus considérables dans la zone réglementée par l'OPANO.
De 1986 à 1992, l'UE a invoqué à 53 reprises la procédure d'opposition de l'OPANO pour fixer des quotas autonomes nettement plus élevés que ceux qu'avait établis l'OPANO. Elle a alloué les parts les plus grandes à l'Espagne et au Portugal, dont les prises étaient en réalité encore plus importantes. Ces événements se sont produits dans le contexte de la crise de plus en plus grave que connaissait la pêche de la côte Est, à la suite du déclin marqué des stocks de poisson de l'Atlantique Nord. On a imposé de strictes restrictions à l'activité des pêcheurs canadiens, ce qui s'est soldé par le moratoire de la morue du Nord en 1992 et par la fermeture ou la réduction des quotas d'autres poissons de fond dans les eaux canadiennes en 1994.
Parallèlement au problème de la surpêche des flottes de l'UE, on assistait à une augmentation sensible de la pêche de parties non contractantes, c'est-à-dire de parties non membres de l'OPANO, en particulier de navires arborant un pavillon de complaisance et de navires apatrides dont bon nombre appartenaient en réalité à des intérêts portugais et espagnols et étaient exploités par eux. Les intérêts en question disposaient ainsi d'un moyen additionnel de contrecarrer les efforts de l'OPANO et d'accroître le total de leurs prises.
Le gouvernement canadien a pris un certain nombre de mesures pour tenter de s'attaquer au problème de la surpêche. Au niveau de l'OPANO, il a déployé des efforts pour tenter d'obtenir que la procédure d'opposition de l'organisation soit modifiée et que sa faible capacité d'application soit renforcée, mais sans grand succès. En outre, Ottawa n'a pas renouvelé l'entente relative aux allocations annuelles conclues avec l'UE, qui autorisait les navires de l'Union à pêcher la morue dans la zone des 200 milles, et il a fermé les ports canadiens aux navires de l'UE en 1987. Il a également renoncé à l'approche qui consiste à échanger des quotas de pêche contre un accès au marché en raison de son inefficacité.
En 1989, le Canada a lancé une initiative majeure visant à convaincre l'UE d'adopter une approche davantage axée sur la coopération. On a ainsi fait des ouvertures sur le front diplomatique à l'UE et à ses États membres, entrepris une campagne de relations publiques destinée aux Européens et lancé l'initiative sur le plan juridique afin de combler les lacunes de la Convention sur le droit de la mer.
Les mesures prises par Ottawa ont eu peu d'effet immédiat, même si l'initiative juridique allait déboucher sur la signature de l'entente des Nations Unies sur le poisson.
À terme, le déclin des stocks de poisson de l'Atlantique Nord-Ouest et les restrictions imposées par le Canada ont amené l'UE à adopter une approche davantage axée sur la coopération. De 1992 à 1994, soit au moment où l'OPANO a commencé à interdire ou à réduire la pêche dans la zone réglementée, l'UE a accepté toutes les décisions de l'organisation en matière de conservation. Elle a également uni sa voix à celle du Canada pour demander à des États de radier du registre des navires battant leur pavillon de complaisance, bien que les efforts déployés en ce sens n'aient réussi qu'en partie.
Cependant, le gouvernement canadien se disait préoccupé par la capacité de l'UE de contrôler le comportement des pêcheurs de ses propres flottes. Le Canada et l'Union ont conclu un accord bilatéral sur les pêches en 1992, mais ce dernier a échoué quand, au Canada, on s'est mis à nourrir des doutes quant à l'application des dispositions par l'UE. Ottawa était également préoccupé par le problème persistant de la pêche non réglementée pratiquée par des bateaux arborant un pavillon de complaisance et les bateaux apatrides.
Profitant de l'impulsion donnée par son prédécesseur, le gouvernement actuel a pris le pouvoir en promettant de prendre des mesures décisives pour lutter contre le problème de la surpêche étrangère. En avril 1994, il a ordonné la saisie du Kristina Logos, chalutier appartenant à des Canadiens mais dont l'équipage se composait de ressortissants portugais, qui pêchaient illégalement sur la queue du Grand Banc. Le mois suivant, le Parlement a adopté le projet de loi C-29, Loi modifiant la Loi sur la protection des pêches côtières, qui conférait au gouvernement du Canada le pouvoir de prendre des règlements pour assurer la conservation des stocks chevauchants du nez et de la queue du Grand Banc, y compris l'utilisation de la force contre certaines catégories de navires. Le gouvernement a soustrait la mesure à la compétence de la Cour internationale de Justice. Les premiers règlements pris en application de la loi ciblaient les bateaux arborant un pavillon de complaisance et les bateaux apatrides.
Le départ de ces bateaux du nez et de la queue du Grand Banc consécutif à l'intervention du gouvernement canadien a permis à Ottawa de tourner son attention vers les activités de pêche des flottes de l'UE. La situation a atteint un point de non-retour à l'automne 1994: en effet, c'est alors que l'OPANO a pour la première fois fixé une limite de prises pour le turbot, qui constituait le plus important stock chevauchant restant.
Depuis 1960, le turbot faisait l'objet d'une pêche commerciale au large de Terre-Neuve. La quasi-totalité des poissons était pêchée dans les eaux canadiennes, le Canada comptant pour 67 p. 100 du total annuel moyen des prises. Au début de 1990, cependant, le stock a migré de son habitat traditionnel pour se rendre dans les eaux plus profondes de la limite du Grand Banc, où les flottes étrangères se sont adonnées à une pêche intensive. Le total des captures signalées est passé de 27 000 tonnes en 1990 à 62 000 tonnes en 1994. Les flottes de l'UE comptaient pour 75 p. 100 du total, l'essentiel des poissons, soit 80 p. 100, étant capturés par des pêcheurs espagnols. La part du Canada a chuté à 10 p. 100.
En réaction aux préoccupations de scientifiques concernant l'état du stock de turbot, le gouvernement canadien a pressé l'OPANO d'établir un total des prises admissibles à l'occasion de son assemblée annuelle de septembre 1994. L'assemblée a consenti à l'établissement d'un TPA de 27 000 tonnes, mais a remis la prise d'une décision concernant les quotas à une assemblée spéciale devant se tenir à Bruxelles à la fin du mois de janvier 1995.
Entre-temps, Ottawa, inquiet du nombre de plus en plus grand d'infractions commises par des chalutiers espagnols et portugais dans l'Atlantique Nord-Ouest, y compris l'utilisation d'engins illégaux, les fausses déclarations, le débarquement de petits poissons et la capture de poissons visés par le moratoire, a fait part de ses préoccupations à l'UE de même qu'aux autorités espagnoles et portugaises. Outre la promesse de tenir de nouveaux pourparlers, aucune mesure n'a cependant été prise.
Le Canada s'est rendu à l'assemblée de l'OPANO déterminé à tirer le meilleur parti possible de sa position. M. Tobin, alors ministre des Pêches, a, à l'occasion de sa rencontre avec la commissaire Bonino, à la veille de la séance, répété ses préoccupations concernant les pratiques de pêche des flottes de l'UE. Cette dernière a accepté de traiter des plaintes formulées par le Canada, mais a refusé tout lien entre les violations et les quotas de turbot. Dès le début de l'assemblée, les deux parties ont fait valoir leurs droits sur la majeure partie du TPA. Après des négociations très difficiles, les parties contractantes ont décidé d'assigner 16 000 tonnes, soit 60 p. 100 du TPA, au Canada, et 3 400 tonnes, ou 12,6 p. 100, à l'UE.
Mécontente de la décision et soumise à d'intenses pressions de la part de l'Espagne, l'UE a invoqué la procédure d'opposition de l'OPANO et établi un quota unilatéral de 18 630 tonnes, ou 69 p. 100 du TPA. Le Canada a réagi en élargissant le règlement pris en application de la Loi sur la protection des pêches côtières: il a ainsi interdit aux navires espagnols et portugais de pêcher le turbot sur le nez et la queue du Grand Banc et déclaré un moratoire de 60 jours sur la pêche au turbot à l'intérieur et à l'extérieur de la limite des 200 milles. Face au refus des navires de l'UE d'obtempérer, le Canada a saisi l'Estai, chalutier espagnol qui pêchait dans la zone litigieuse. L'inspection de l'Estai a révélé de nombreuses infractions, que le ministre des Pêches a habilement utilisées pour étoffer la position du gouvernement, qui disait avoir agi dans l'intérêt de la conservation, de même que pour réfuter les prétentions de l'UE, selon qui le gouvernement avait agi illégalement.
Les révélations ont permis au Canada de remporter une importante victoire de relations publiques sur l'UE. C'est ainsi qu'Ottawa a été en mesure de prendre plus facilement des mesures d'application contre l'UE à deux autres reprises, afin d'obliger l'Union et l'Espagne à appuyer l'entente négociée entre les deux parties.
En vertu de l'entente qui a finalement été conclue, on a augmenté l'allocation de turbot de l'UE et constitué un régime complet de contrôle et d'application pour régir la pêche à l'extérieur de la limite des 200 milles. Chacune des parties s'est ainsi vu allouer 10 000 tonnes des 27 000 tonnes du TPA de turbot, 7 000 des 10 000 tonnes du Canada étant réservées au Canada dans les eaux canadiennes. On a aussi, pour 1996 et au-delà, établi un accord de distribution établissant une distinction entre le stock des eaux internationales et celui de la zone canadienne des 200 milles. En vertu de la formule arrêtée, l'UE se voyait octroyer 50 p. 100 du TPA dans les eaux internationales, total qui a par la suite été majoré à 55,35 p. 100, avec 15 p. 100 pour le Canada et 35 p. 100 pour les autres parties contractantes. Le Canada bénéficiait d'un accès exclusif à la portion du TPA dans ses propres eaux. L'entente prévoyait de même un régime global de contrôle et d'application comprenant une surveillance complète par des observateurs et une surveillance par satellite de 35 p. 100 pour une période d'essai de deux ans. En 1997, le programme a été prolongé pour une période additionnelle de un an. En 1998, il est devenu permanent, la surveillance complète par satellite devant entrer en vigueur en 2001.
L'entente a donné lieu à une amélioration sensible des relations entre le Canada et l'UE dans le domaine des pêches. Le Canada a facilité les choses en rouvrant ses ports aux navires de l'UE en 1996.
La guerre du turbot a suscité un vif débat concernant les répercussions juridiques des mesures prises par le Canada et leurs effets probables sur les négociations entourant l'entente des Nations Unies sur le poisson, qui en était au stade final. Bon nombre d'observateurs conviennent aujourd'hui que la guerre du turbot, en faisant ressortir les lacunes du cadre juridique régissant l'exploitation des stocks chevauchants, a favorisé la conclusion de l'entente. Comme, en fin de compte, l'OPANO a adopté l'entente, ses pouvoirs au chapitre de l'application et de la gestion des pêches ont de plus été renforcés, ce qui est conforme avec l'entente des Nations Unies sur les pêches.
Monsieur le président, voilà qui conclut mes remarques.
Le sénateur Perrault: Votre exposé, fort intéressant, se révélera utile pour le comité. On note partout dans le monde des crises dans le dossier des pêches, n'est-ce pas?
M. Barry: Oui.
Le sénateur Perrault: Nous sommes en voie d'épuiser rapidement les richesses des océans. En un sens, la conservation est une science inexacte, n'est-ce pas, monsieur? Il est difficile de mesurer avec précision le nombre de poissons se trouvant dans un lieu à un moment donné. Je viens de la Colombie-Britannique. Vous connaissez probablement ce poste avancé situé dans l'Ouest et les problèmes qu'on y éprouve dans le dossier des pêches.
Monsieur le président, je vais en rester là pour le moment.
Le sénateur Robichaud: Monsieur Barry, je tiens à vous remercier d'avoir brossé pour nous l'historique de tout ce processus, qui devait être consigné au procès-verbal. On l'a fait à quelques reprises, mais dans des termes différents et sans toucher l'ensemble du processus qui a débouché sur la signature de l'entente des Nations Unies sur le poisson.
Vous avez indiqué que le ministre de l'époque avait fait preuve de beaucoup d'adresse dans le domaine des relations publiques en se rendant à New York. Là, sur une barge, il a révélé le véritable enjeu au monde entier, particulièrement en donnant à voir les filets de l'Estai. Croyez-vous que cette mesure ait vraiment incité des nations à signer l'entente?
M. Barry: En réalité, c'est la crise elle-même et son règlement qui ont contribué à faire avancer les négociations, mais à mon avis, l'incident du filet a constitué un élément important de la guerre du turbot.
Le sénateur Robichaud: Oui, les pratiques sont alors devenues évidentes et apparentes. Avant, on n'avait affaire qu'à des allégations. Personne ne pouvait prouver quoi que ce soit. À l'occasion d'une assemblée de la FAO tenue à Rome, j'ai eu sous les yeux des représentants des autres nations européennes. Même si elles ne soutenaient pas ouvertement le Canada, il apparaissait clairement qu'elles étaient heureuses du dénouement. En fait, la flotte espagnole posait des difficultés pour certains pays européens, n'est-ce pas?
M. Barry: Oui, en particulier les Britanniques.
Le sénateur Robichaud: Lorsque l'ambassadeur Frith a visité les ports britanniques, les drapeaux canadiens ont bénéficié de toute une campagne de soutien.
M. Barry: Oui. La mise au jour des violations commises par l'Estai s'est révélée très importante, mais l'utilisation de la force a également joué un rôle. Lorsque l'UE et le Canada en étaient aux derniers stades de la négociation, le Canada a à deux reprises pris des mesures d'application, d'abord en coupant les funes d'un chalutier espagnol, puis en dépêchant la marine avec l'ordre de protéger tout équipage d'arraisonnement canadien attaqué par un navire espagnol. Nous avions décidé d'arrêter plus de navires espagnols afin de forcer l'Espagne d'accepter l'accord conclu avec l'Union européenne. Ces mesures ont également eu leur importance.
Le sénateur Robichaud: Jusque là, les nations en question doutaient de notre volonté de passer de la parole à l'acte. Les mesures qui ont été prises les ont convaincues que nous nous étions donné les pouvoirs d'intervenir.
M. Barry: Oui.
Le sénateur Robichaud: Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment, en vertu du projet de loi C-29, nous nous sommes donné le pouvoir d'intervenir à l'extérieur de la limite des 200 milles, sans être assujettis au tribunal international?
M. Barry: Nous avons soustrait la mesure à la compétence du tribunal.
Le sénateur Robichaud: Les Européens ont mis en doute la validité de cette décision?
M. Barry: Oui, ils n'étaient guère satisfaits. Les Espagnols ont fini par saisir le tribunal de cette question, mais ce dernier a statué qu'il n'avait pas compétence pour instruire cette affaire.
Le sénateur Robichaud: Le seul commentaire que je puisse faire à ce propos, c'est que nous aurions dû agir avant. Je vous remercie, monsieur.
Le président: Sénateur Robichaud, vous avez fait allusion au geste de Brian Tobin, ministre de l'époque. En effet, ce dernier a tenu un tout petit poisson dans ses mains et a montré au monde comment il s'était pris dans le filet utilisé par les Espagnols. Ses commentaires, que je ne peux que paraphraser, étaient relativement hyperboliques. En effet, il a déclaré que les vilains petits poissons, qui étaient mal aimés et qui s'accrochaient pour ainsi dire au fond du Grand Banc étaient pêchés au point où ils risquaient l'extinction. En fait, il tenait peut-être le dernier à la main. Ne pouvions-nous pas quelque chose pour le sauver?
Visuellement, c'était très efficace. Pour ma part, j'aimerais posséder l'art de faire image de la sorte.
Nous allons maintenant passer au sénateur Stewart.
Le sénateur Stewart: J'ai trois questions. D'entrée de jeu, je précise que j'ai deux chevaux de bataille. Le projet de loi à l'étude devant le comité m'intéresse, mais je m'intéresse aussi à nos relations avec l'Union européenne.
Si je me rappelle bien, l'appui des pays de l'Union européenne pour la position canadienne, à l'époque de la guerre du turbot, n'était guère conséquent. On a fait référence à notre ex-collègue, le sénateur Royce Frith, et à son excursion à Cornwall, mais la réaction prêtée à la Grande-Bretagne semble avoir été le fait, dans une grande mesure, de M. Frith lui-même et non du gouvernement britannique. J'ai entendu dire que nos appuis les plus solides étaient venus non pas du Royaume-Uni, mais plutôt de l'Allemagne.
Vous êtes-vous penché, monsieur Barry, sur la participation de l'Union européenne à la crise du turbot? Êtes-vous en mesure de nous dire si l'Union européenne s'est crue obligée de prendre le parti des Espagnols ou les États membres ont-ils, pour la plupart, jugé des plus répréhensibles les actes dont nous accusions les Espagnols? Peut-être pourriez-vous établir une distinction entre ce qu'on a dit en public et ce qu'on a dit en privé.
M. Barry: Il ne fait aucun doute que la position des Britanniques a, à certains égards, compliqué les délibérations de l'UE. Toutefois, il importe de noter que, aux derniers stades des négociations entre le Canada et l'UE en vue de la conclusion de l'entente, il n'y a pas eu, au cours des sept à dix derniers jours, de dissensions parmi les pays de l'UE.
Les Espagnols ont exercé de fortes pressions sur le président du conseil de l'UE -- à l'époque, un Français -- au nom de la solidarité entre pays de l'UE. Pour les pays de l'UE, ce point revêtait une grande importance.
Les membres étaient solidaires. C'était à ce moment que les pressions exercées par le Canada ont joué un rôle de premier plan dans la conclusion de l'entente. Je fais référence à l'ordre donné aux équipes canadiennes d'arrêter les bateaux de pêche espagnols le vendredi qui a précédé la conclusion de l'entente et la décision de dépêcher nos navires de guerre avec ordre d'ouvrir le feu sur les bateaux espagnols en cas de représailles contre les équipes d'arraisonnement.
Le sénateur Stewart: Il semble que les gouvernements de certains pays européens se préoccupaient davantage de préserver l'harmonie au sein de la Communauté européenne que de protéger les intérêts de leurs propres pêcheurs.
M. Barry: Ils ont adopté une position. Par la suite, ils s'y sont tenus, du moins pour l'essentiel. Pour les membres de la Communauté, la solidarité est un principe des plus importants et les Espagnols ne manquaient pas de le leur rappeler.
Le sénateur Stewart: Le jour où s'est tenu le référendum sur la création d'un éventuel Parlement écossais, je me trouvais dans une petite ville de la côte ouest de l'Écosse. Je suis parti en promenade. Sur la plage, j'ai fait la connaissance d'un pêcheur qui radoubait son bateau. Nous avons eu une bonne discussion, et j'ai eu le culot de lui demander s'il avait voté. Il m'a répondu que non. Je lui ai alors demandé s'il entendait le faire. Comme il en avait effectivement l'intention, je lui ai demandé comment il allait voter. Il m'a dit qu'il allait voter pour un Parlement écossais. Je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu que les gouverneurs de Londres avaient permis que les étrangers vident le détroit de Minch de son poisson; tout ce qui les préoccupait, à ses yeux, c'était de maintenir des relations diplomatiques harmonieuses avec les autres pays européens.
Voilà ce qui confirme ce que vous dites à propos de la grande importance que les gouvernements de la Communauté européenne, à l'époque, attachaient à l'harmonie gouvernementale entre et parmi les pays de l'Union.
Dans quelle mesure pensez-vous que le projet de loi à l'étude devant le comité réglera le genre de problèmes auxquels nous avons été confrontés à l'époque de la guerre du turbot?
M. Barry: Lorsqu'on fait retour non seulement sur la guerre du turbot elle-même, mais aussi sur l'historique des relations entre le Canada et l'UE dans le dossier de la pêche depuis 1985, on constate que les deux principaux problèmes ont été l'application et le règlement des différends. L'entente des Nations Unies sur le poisson dispose de ces deux questions.
Je ne suis pas un spécialiste de l'entente, mais il me semble qu'on y jette les bases d'un règlement. On prévoit un rôle pour l'OPANO, et il importe que les dispositions de l'entente soient à la fin intégrées dans les activités de l'OPANO.
Le sénateur Stewart: Ma dernière question porte sur le champ de spécialisation avoué de M. Barry. Je vais la poser parce qu'il en sait peut-être beaucoup plus qu'il n'est prêt à l'admettre.
À la suite de la confrontation entre l'Union européenne et le Canada, le Canada a été victime de sanctions commerciales. L'Union européenne est allée de l'avant et a conclu un accord bilatéral avec les États-Unis. Nous avons tenté de nous y associer. Si je me rappelle bien, le premier ministre s'est rendu à Rome pour signer un accord tripartite et est rentré bredouille. On ne lui a pas donné l'occasion de participer.
Voici l'une des questions que nous nous posons actuellement au comité des affaires étrangères: le plan d'action arrêté par le Canada avec l'Union européenne rétablit-il les relations parallèles qui existaient auparavant entre l'Amérique du Nord, d'une part, et l'Union européenne, d'autre part, ou allons-nous continuer d'être pénalisés par l'Union européenne, qui agit comme procureur ou fondé de pouvoir de l'Espagne.
M. Barry: Je ne le crois pas, mais il ne fait aucun doute que l'Espagne est responsable du retard qu'a accusé la conclusion du plan d'action avec l'Union européenne. Le plan d'action des États-Unis a été conclu en 1995, et le nôtre ne l'a été qu'à la fin de l'année suivante. Depuis, les États-Unis et le Canada sont allés plus loin.
En mai 1998, les États-Unis ont conclu un accord de partenariat économique transatlantique avec les Européens, et en décembre, on a signé l'équivalent canadien. Il s'agit de l'initiative commerciale UE-Canada. Il s'agit du point culminant d'une série d'accords conclus entre les États-Unis et l'UE de même qu'entre le Canada et l'UE depuis 1990 le premier étant les déclarations transatlantiques, qui étaient parallèles. Puis, en 1995 et 1996, nous avons établi les plans d'action, qui étaient parallèles. Essentiellement, ils avaient pour but la création d'un programme de coopération entre les États-Unis et l'UE de même qu'entre le Canada et l'UE.
Les accords plus récents ont pour but de mieux cibler les plans d'action. L'accord conclu par le Canada ne correspond pas à nos attentes, mais il semble que ce soit tout ce que nous ayons pu obtenir dans les circonstances. Cependant, je ne crois pas que le phénomène s'explique par les contrecoups de la guerre du turbot. Je pense que la difficulté qu'éprouve le Canada à signer le genre d'accord qu'il souhaite avec l'UE s'explique par d'autres raisons. Au départ, bien entendu, nous voulions signer un accord de libre-échange, ou bien entre nous et l'UE ou entre l'Amérique du Nord et l'UE, mais cette volonté est restée lettre morte et le demeurera probablement.
Le sénateur Stewart: Je devrais probablement m'abstenir de poser la question, mais le plan d'action É.-U.-UE est-il meilleur que le plan d'action Canada-UE?
M. Barry: Pensez-vous à l'accord de 1998 conclu entre les États-Unis et l'Union européenne?
Le sénateur Stewart: Le plus récent.
M. Barry: Les accords de 1998 sont semblables. L'Union européenne et les États-Unis envisageaient un accord beaucoup plus vaste qu'un simple partenariat économique transatlantique. L'Union européenne avait proposé la conclusion d'un important accord commercial entre les États-Unis et elle au mois de décembre 1997. On a arrêté des plans en ce sens, mais, en mars 1998, les Français, qui considèrent le bilatéralisme comme une dérogation au principe du multilatéralisme, ont sabordé l'accord.
Cependant, le partenariat économique transatlantique auquel ils ont abouti équivaut essentiellement à celui que le Canada et la UE ont conclu en décembre de l'année dernière. Il s'agit d'un programme de coopération bilatérale jetant les bases de la coopération pour mettre en branle la prochaine ronde de négociations commerciales multilatérales.
Le sénateur Stewart: Il semble donc que les mesures que nous avons prises à propos des stocks chevauchants n'altéreront plus nos relations avec l'Union européenne dans des dossiers économiques généraux?
M. Barry: C'est ce que je pense.
Le sénateur Perrault: Monsieur Barry, je suppose que tout accord ne vaut que dans la mesure où les signataires s'y conforment.
Il y a quelques instants, vous avez fait allusion au front commun, à la position intégrée adoptée par les Britanniques. À cette époque, je me souviens cependant d'avoir entendu une femme ayant son franc-parler, qui représentait l'Écosse au Parlement européen, pointer les Espagnols du doigt et les accuser d'être des pharisiens. Ils parlaient de conservation, mais elle ne les croyait pas même capables d'épeler le mot. Elle soutenait également que leur gouvernement subventionnait l'installation de fausses cales dans leurs navires. De toute évidence, elle n'était pas du côté des représentants londoniens de la délégation.
Les attitudes ont-elles changé sensiblement au fil des ans? Vous laissez entendre que la situation s'est améliorée ou qu'elle s'améliorera pour peu que les accords soient respectés. À votre connaissance, viole-t-on aujourd'hui délibérément les accords?
M. Barry: Pensez-vous à l'utilisation d'observateurs et à la surveillance par satellite qui font maintenant partie intégrante de l'accord?
Le sénateur Perrault: Exactement. Je me posais simplement des questions à propos du plan général.
M. Barry: Je crois comprendre que les violations majeures ont diminué de 80 p. 100 depuis la mise en place du plan.
Le sénateur Perrault: C'est une bonne nouvelle.
M. Barry: Oui.
Le sénateur Perrault: Dans ce cas, j'espère que nos relations s'amélioreront aussi sur un autre front. À l'occasion de la rencontre de la délégation canadienne avec le comité du Parlement européen, la décision de nous permettre de prendre la parole n'a été votée qu'à onze voix contre dix. À l'époque, c'était préoccupant. À votre avis, la situation s'est toutefois améliorée?
M. Barry: Je dirais que oui.
Le sénateur Butts: J'aimerais, monsieur Barry, revenir à la question des stocks chevauchants. Ces stocks posent-ils des problèmes dans d'autres régions du monde? Le cas échéant, quelles sont les parties en litige et comment font-elles face au problème? Je songe aux signataires de la convention déjà en place.
M. Barry: Un certain nombre de pays ont des plates-formes côtières qui s'étendent au-delà de leur limite de 200 milles, et il existe d'autres organisations régionales. Je tiens pour acquis que ces pays seront régis par le cadre de l'entente des Nations Unies sur le poisson.
Le sénateur Butts: Dans la convention, retrouve-t-on une liste précise des stocks chevauchants ou le nom des poissons concernés?
M. Barry: Je suppose que non.
Le sénateur Butts: J'essaie de comprendre pourquoi le Canada semble mettre du temps à signer la convention. Voyez-vous d'autres raisons susceptibles d'expliquer cette hésitation?
M. Barry: Non, je n'en vois pas.
Le président: Au début des années 80, les relations entre l'EE et le Canada ont longtemps posé problème. Pendant la majeure partie de cette période, la Convention des Nations Unies, dont le Canada est signataire, était en place.
M. Barry: Oui.
Le président: La convention aurait pu faciliter les choses si elle avait été appliquée, mais je crois comprendre que la plupart des ratifications ne sont venues qu'en 1994.
M. Barry: Oui.
Le président: En fait, le Canada n'a toujours pas ratifié la Convention des Nations Unies. Avez-vous une idée de ce qui fait que le Canada n'a toujours pas signé ce document? Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Barry: Non, pas vraiment.
Le président: À l'occasion, on a fait allusion aux lacunes de la convention, aux éléments qui devraient s'y trouver, mais qui ne s'y trouvent pas.
M. Barry: Oui.
Le président: À mon avis, nous devrions signer la convention, malgré ses lacunes, et travailler ensuite à partir de ce que nous avons.
M. Barry: Oui.
Le président: Le fait que la convention demeure durant des années me préoccupe quelque peu; je suis inquiet à la pensée que le Canada qui, à juste titre, a la réputation d'être un chef de file dans le dossier du règlement des différends internationaux, laisse la convention en suspens -- un peu comme le pauvre vieux turbot accroché au Grand Banc. Je me sens très mal à l'aise à l'idée que le Canada n'a toujours pas ratifié la convention, et je m'explique mal pourquoi il ne l'a pas fait.
M. Barry: Peut-être un autre témoin pourra-t-il vous fournir sur ce point une réponse plus éclairée.
Le sénateur Robichaud: Pour revenir à ce que vous avez dit, l'UNCLOS ne s'attaque pas de façon majeure à la question des stocks chevauchants, n'est-ce pas?
M. Barry: Si je comprends bien, on s'est simplement contenté d'enjoindre aux États côtiers et aux États qui leur font face de coopérer dans le cadre d'organisations régionales. Je ne crois pas qu'on soit allé plus loin.
Le sénateur Cook: Monsieur Barry, la plupart de mes questions et de mes préoccupations ont déjà été abordées, dans les documents ou dans la période de questions.
Au moment où l'Estai faisait son entrée dans le port, je me trouvais parmi la foule. Nous étions mal à l'aise parce que, depuis des générations, des hommes comme ceux qui composaient l'équipage de l'Estai avaient joué au soccer sur nos quais et arpenté nos rues. Je me pose encore la question. Avons-nous réalisé des gains? Les plaies ont-elles été pansées? Le jeu en valait-il la chandelle?
M. Barry: Du point de vue des relations Canada-UE?
Le sénateur Cook: Oui.
M. Barry: Je suis d'avis que nos relations se sont sensiblement améliorées. La conclusion des plans d'action a posé certaines difficultés, le nôtre n'ayant été arrêté qu'en décembre 1996, mais je pense que l'UE et le Canada sont satisfaits de l'accord sur le turbot. L'Union européenne a réalisé certains gains dans la mesure où on a confirmé son droit de pêcher le turbot dans la zone extracôtière. Ses navires ont obtenu un quota plus élevé que celui qui leur avaient au départ été alloué à l'occasion de l'assemblée de l'OPANO. Le Canada a obtenu ce à quoi il tenait depuis un certain temps, à savoir un régime efficace de surveillance et de contrôle pour régir la pêche à l'extérieur de la limite des 200 milles.
Je pense que la Commission européenne a probablement été aussi satisfaite de l'accord dans la mesure où il lui a donné une assurance additionnelle que les États membres respecteraient leurs engagements, ce que la Commission aurait eu beaucoup de mal à faire seule puisque, en vertu du principe de subsidiarité de l'UE, les décisions relatives à la mise en oeuvre et à l'application des règles et des règlements concernant les pêches sont laissées à la discrétion des États membres eux-mêmes.
Le sénateur Cook: Étant donné que le turbot présenté au monde par M. Tobin était si petit qu'il tenait dans le creux de sa main -- au point il était difficile de croire qu'il s'agissait bel et bien d'un turbot -- peut-on penser que les stocks se sont reconstitués?
M. Barry: Les stocks de turbot?
Le sénateur Cook: Oui.
M. Barry: Tout ce que je puis vous dire, c'est le peu que je sais à propos de l'importance du TPA au cours des dernières années. Il a été de 20 000 tonnes pour la période de 1996 à 1998. Aujourd'hui, il est en hausse pour s'établir à 24 444 tonnes.
Le sénateur Cook: La taille des poissons a sans nul doute augmenté.
M. Barry: Pardonnez-moi, sénateur, mais je ne puis rien vous dire à propos d'une éventuelle augmentation de la taille des poissons.
Le président: Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Clyde Sanger. M. Sanger a travaillé comme journaliste à titre de rédacteur en chef du Central African Examiner, à titre de conseiller à la rédaction du magazine Drum à Lagos et à titre de correspondant en Afrique du Guardian. Il a ensuite agi comme correspondant du Guardian aux NU et en Amérique latine. Il a été éditorialiste et chroniqueur parlementaire pour The Globe and Mail, en plus d'agir comme correspondant canadien du Economist. Il a été adjoint spécial du président de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ainsi que directeur adjoint des communications du Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Il a aussi été directeur de l'information du Secrétariat du Commonwealth. Il est l'auteur de quelques ouvrages, y compris Ordering and Oceans: The Making of the Law of the Sea, publié en 1986, que je vous recommande à tous. On me dit qu'il s'agit d'une lecture des plus intéressantes.
Monsieur, nous vous souhaitons la bienvenue au comité, et je vous invite à commencer par votre déclaration préliminaire.
M. Clyde Sanger, auteur: Je vous remercie, monsieur le président. Je suis ravi de comparaître devant le comité, au moment où nous nous approchons de la fin d'un long voyage qui a débuté en 1967 par le discours de l'ambassadeur de Malte, Arvid Pardo, sur l'héritage commun de l'humanité de même que par l'établissement du Comité des Nations Unies sur les fonds marins, qui a conduit à la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer.
L'adoption du projet de loi que vous étudiez, soit le projet de loi C-27, est une étape qui nous permettra de ratifier l'Accord aux fins de l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs -- accord que M. Wiseman, en cela fidèle à son nom, a proposé que nous appelions simplement l'entente des NU sur le poisson. Ratifier l'entente ne constitue qu'une étape -- un mini-traité a dit Alan Beesley -- en vue de la ratification finale par le Canada de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. C'est là le véritable objectif qui nous attend.
À propos de l'importance cruciale que revêt la Convention sur le droit de la mer, permettez-moi de citer l'ex-sénateur Allan MacEachen.
La Convention sur le droit de la mer, et la Convention seule, jette les bases d'une conduite pacifique des affaires océanes au cours des prochaines années. Elle comptera parmi les plus grandes réalisations des Nations Unies. À ce titre, elle mérite le soutien de toutes les nations.
Je suis heureux d'être si bien entouré ce soir. J'en veux pour preuve tous les sénateurs ici présents, mais je songeais en fait à Donald Barry et à l'ex-ambassadeur Alan Beesley. Essentiellement, comme vous l'avez dit, je suis journaliste et auteur d'ouvrages. Je suis également professeur adjoint à l'université Carleton, et j'ai brièvement été au service du ministère des Affaires étrangères.
Permettez-moi de relater brièvement une anecdote. C'est en 1980 que j'ai apporté ma contribution la plus mémorable au ministère des Affaires étrangères. J'agissais alors comme agent d'escorte auprès de deux sénateurs et de douze députés qui effectuaient une tournée dans des institutions européennes. À Strasbourg, j'ai perdu John Crosbie, qui a filé en douce dans une vaine tentative de renverser le gouvernement Trudeau.
Navigant entre l'université Carleton et le ministère des Affaires étrangères, j'appartiens moi-même en quelque sorte à un stock chevauchant.
Mon intérêt pour le droit de la mer remonte à 1967, époque à laquelle j'agissais comme correspondant du Manchester Guardian aux Nations Unies. Journaliste du Globe and Mail à Ottawa, j'ai fait part à Alan Beesley de mon intention d'écrire un livre. Heureusement, je n'ai pu à l'époque obtenir les fonds nécessaires. C'était trop tôt.
C'est en 1983 que j'ai entrepris la rédaction du livre mentionné par le président. En Jamaïque, à Washington et ailleurs, je suis parvenu à interviewer la plupart des membres de la joyeuse bande d'avocats qui, au fil des ans, avaient constitué un groupe remarquable. S'il leur arrivait souvent de défendre des intérêts contradictoires, ils n'en étaient pas moins voués à l'avancement du droit international. Ils étaient originaires de nombreux pays -- de Singapour et du Sri Lanka, d'où venaient les présidents --, d'Indonésie, de Fidji, de la Nouvelle-Zélande, du Kenya, de la Tanzanie, de l'Irlande, de l'Autriche, de la Norvège et des États-Unis, pour n'en citer que quelques-uns, mais plus particulièrement du Canada. L'équipe canadienne -- Len Legault, Paul Lapointe et d'autres, sous la direction d'Alan Beesley au début et à la fin -- était tout à fait remarquable et a dirigé bon nombre d'initiatives.
À l'occasion d'une allocation prononcée en juin dernier, M. Beesley a dressé la liste des mesures les plus importantes qui, ainsi qu'il l'a dit, ont donné à la délégation canadienne la réputation de constituer l'une des forces les plus radicales, mais aussi les plus créatives de la conférence. La signature en décembre 1982, à Montego Bay, a été l'un des moments les plus glorieux du Canada dans l'histoire de la diplomatie mondiale.
Le traité de 1996 sur les mines terrestres en a été un autre, à l'instar de la loi de 1998 instituant la Cour criminelle internationale. Cependant, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dont la portée était beaucoup plus vaste, a exigé un effort soutenu pendant bien plus longtemps. Soit dit en passant, Philippe Kirsch, président du comité plénier de la Conférence de Rome sur la Cour criminelle internationale était un jeune avocat du ministère des Affaires étrangères et qui n'avait que 26 ans lorsqu'il a pris part à l'assemblée de Caracas de la Conférence sur le droit de la mer. Il y a donc continuité.
Dans mon livre, j'espère avoir rendu justice à l'imagination raisonnée et aux compétences en négociation des membres de l'équipe canadienne, issus de nombreux ministères aussi bien que du ministère des Affaires étrangères, et en particulier à ces avocats. Dans sa zone économique de 200 milles, l'une des plus grandes, le Canada a tiré d'énormes profits de la convention, au chapitre de la gestion des pêches, de la prévention de la pollution, y compris l'article 234, qui porte sur les zones recouvertes par les glaces dans l'Arctique, et cetera.
Tandis que les années filaient sans que le Canada ratifie la convention, j'ai partagé la frustration de ces avocats. À la suite d'un échange qu'ont eu la semaine dernière le sénateur Robichaud et M. Wiseman, on peut avoir l'impression que ce sont les ambiguïtés des articles de la convention portant sur les stocks chevauchants qui ont différé la ratification. Au sens strict, c'est ce qui a retenu le Canada dans les années subséquentes, mais le principal point d'achoppement était la Partie XI, en particulier la section portant sur l'exploitation minière du fonds marin. Cette section troublait le président Reagan, et même le mettait en furie, même si sa mise en oeuvre, du point de vue du prélèvement rentable de nodules de manganèse du fonds marin, ne pouvait être envisagée avant 20 ans. Le Canada a été amené à jouer un rôle dans ce retard lorsque six conglomérats d'exploitation minière en mer ont été constitués: la société Noranda a été recrutée à titre d'associé minoritaire dans un conglomérat dirigé par Kennecott, et Inco comptait parmi les quatre associés d'un autre conglomérat. Des avocats américains représentant ces conglomérats ont exercé des pressions pour modifier les dispositions concernant l'Autorité internationale des fonds marins et l'entreprise commune dont, ironiquement, Henry Kissinger avait été l'auteur initial.
À l'époque, on a relégué les avocats canadiens sur les lignes de touche, et il a fallu attendre jusqu'en juillet 1999 pour que la Partie XI soit modifiée à la satisfaction des États industriels qui avaient fait front avec les États-Unis. À ce moment, naturellement, la question de l'exploitation minière des fonds marins recoupait celle des stocks chevauchants. Une fois de plus, le Canada, et John Crosbie au premier chef, a porté cette question à l'attention des NU. D'avril 1993 à août 1995, il aura fallu six sessions pour que les détails de l'entente des Nations Unies sur le poisson soit arrêtée, sous la gouverne d'un avocat fidjien chevronné, Satya Nandan. Il aura donc fallu environ un an de plus que prévu puisque ce n'est qu'en décembre 1995 que l'entente a pu être signée.
Le Canada compte parmi les 59 pays qui ont signé l'entente. À ce jour, 21 pays l'ont ratifiée. Les progrès sont lents. Lorsque, en juin dernier, le comité des pêches de la Chambre des communes s'est réuni, 18 États avaient ratifié l'entente, et seulement trois autres l'ont fait depuis. Si l'Union européenne le ratifie à son tour, 15 pays s'ajouteront à la liste -- et non 16 puisque l'Italie a déjà ratifié l'entente. D'ici la fin de l'année, on aura donc franchi le cap établi, à savoir 30 ratifications, si bien que l'accord entrera en vigueur six mois plus tard.
On a l'impression que la Convention des NU sur le droit de la mer est déficiente en ce qui concerne les stocks chevauchants, en raison d'ambiguïtés et de vagues exhortations à la coopération. En fait, le mot «ambigu» a été utilisé à ce propos dans des communiqués de presse du ministère des Affaires étrangères. On semble faire référence à la formulation de l'article 117, mais M. Alan Beesley a relevé trois autres articles, c'est-à-dire les articles 116, 118 et 300, qui, à son avis, imposent une obligation légale de coopérer. Je suis certain qu'il aura des commentaires à faire à ce propos. En ce qui concerne les divergences de vue qui se sont fait jour à l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest en 1994 et 1995 relativement aux quotas et au total des prises admissibles, M. Beesley a déclaré, sur un ton quelque peu sardonique, je crois, «qu'on n'étire pas indûment les règles d'interprétation en affirmant que l'obligation de coopérer pourrait même s'étendre au processus décisionnel des organisations régionales en question. Franchement, je ne doute pas qu'une obligation de coopérer qui s'évapore dès que le processus décisionnel s'enclenche constitue non pas une obligation, mais bien plutôt une simple façade.» Les honorables sénateurs ont été mis au courant des 59 oppositions soulevées par l'OPANO au nom de l'Union européenne.
En même temps, M. Beesley, dans un discours prononcé en novembre 1995, a énuméré dix caractéristiques positives de l'entente de 1995 sur le poisson, y compris l'accent mis sur le principe de précaution, le petit nombre de ratifications nécessaires pour que l'accord entre en vigueur -- 30 par rapport aux 60 dont on avait eu besoin pour la Convention sur le droit de la mer -- et les dispositions relatives à l'application. Il s'agit d'un ajout crucial à la Convention sur le droit de la mer.
À la lecture de la transcription de votre séance du 6 mai, je me suis dit que les témoins et les sénateurs évitaient prudemment la question du projet de loi C-29, adopté au beau milieu d'une session portant sur les stocks chevauchants présidée par Satya Nandan. Si ces sessions avaient été menées à bien dans le délai prévu et que l'entente des NU sur le poisson avait été prête, quoique ni signée ni ratifiée, aurions-nous pu éviter tout le brouhaha qui a entouré la guerre du turbot et les problèmes avec l'Espagne et l'Union européenne que nous a valus le projet de loi C-29? Je ne fais que réfléchir à voix haute.
À l'époque, j'ai soutenu que le projet de loi C-29 était nécessaire pour lutter contre la surpêche à l'extérieur de la zone des 200 milles et qu'il s'agissait d'un moyen légitime d'étendre de façon unilatérale l'application du droit international. Après la saisie du chalutier espagnol Estai, j'ai participé à un débat houleux devant le Groupe des 78, association de 200 internationalistes canadiens. Je débattais avec Fergus Watt, représentant du Mouvement canadien pour une fédération mondiale, qui soutenait que le Canada, en agissant de la sorte, compromettait l'ensemble du Traité sur le droit de la mer et agissait par avidité plutôt que dans l'intérêt de la conservation. Certains ex-ambassadeurs présents lui ont donné raison. À les entendre, nous n'aurions pas dû défier les navires espagnols. Cependant, j'ai été ravi que nul autre que le regretté Maxwell Cohen, qui avait siégé comme juge à la Cour internationale de justice, prenne la parole à trois reprises dans le cadre du débat pour faire valoir que l'évolution du droit international dépendait de mesures unilatérales raisonnées et qu'il s'agissait en l'occurrence d'une illustration valable de ce principe. C'est exactement ce que j'essayais de montrer. C'est aussi la ligne de conduite que le Canada avait adoptée en 1970 dans le contexte de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, qui compte aussi au nombre des réalisations de M. Beesley.
Le projet de loi C-29, cependant, nous posait des problèmes. En ratifiant le Traité sur le droit de la mer, le gouvernement craignait d'être traîné devant le tribunal de La Haye dans le dossier de l'Estai. Qu'importe si le projet de loi C-29 ne s'appliquait qu'aux pavillons de complaisance et aux navires apatrides en révoquant un décret ou l'accord provisoire des mois après la saisie.
En juin dernier, des fonctionnaires d'Ottawa ont calmement expliqué que, au moment où le comité des pêches de la Chambre des communes s'est réuni, c'est Brian Tobin qui faisait obstacle à l'avancement du traité, mais que le projet de loi C-27 et l'Entente des NU sur le poisson allaient déblayer la voie. De fait, des membres de l'opposition siégeant au comité de la Chambre ont tenté de faire assigner M. Tobin à comparaître. Battus au vote par les membres appartenant au Parti libéral, ils ont, en guise de protestation, refusé de participer aux travaux du comité. Par conséquent, Patrick McGuinness, du Conseil des pêches, et moi-même avons comparu plutôt brièvement devant le comité.
Voilà qui m'amène à un point particulier soulevé à propos du projet de loi C-27 par Patrick McGuinness, à ce moment-là, et par le sénateur Robichaud, la semaine dernière: la modification de l'article 7 de la Loi sur la protection des pêches côtières proposée dans le nouveau paragraphe 7.01(1). Dans la disposition, on fait référence à un garde-pêche qui a des motifs raisonnables de croire qu'un bateau de pêche étranger s'est livré, en eaux de pêche canadiennes, à une pêche non autorisée. L'aspect important a trait au consentement. On lit en effet:
Le garde-pêche [...] peut [...] avec l'agrément de cet État, prendre toute mesure d'exécution de la présente loi.
M. McGuinness a soutenu en juin dernier que le Canada n'avait pas besoin d'un consentement en eaux canadiennes, où nous sommes souverains, ni en haute mer, où la signification d'un avis et une période d'attente de trois jours constituent les seules exigences. J'ignore si la disposition en question a été rédigée de nouveau depuis juin dernier, mais, sur ce point, la question de la semaine dernière m'a semblé un peu confuse. M. Wiseman a affirmé que, en dernière analyse, M. McGuinness avait accepté une explication, mais je suis pour ma part toujours en proie à la confusion.
En dernier lieu, j'aimerais souligner une fois de plus ce que M. Beesley a à quelques reprises affirmé en termes des plus éloquents: en ce qui concerne le Traité sur le droit de la mer, le Canada ne peut choisir que les dispositions qui lui conviennent. M. Beesley a qualifié cette attitude de «déplorable». Au cours des dernières années, c'est ce qu'il nous est arrivé de faire à l'occasion.
Je veux maintenant citer un passage d'une allocution prononcée par M. Beesley, en juin dernier, à Vancouver, devant l'Association des Nations Unies. Il a déclaré:
Tout au long des négociations, le Canada, plus que tout autre pays, s'est prononcé contre l'approche qui consiste à ne retenir que les dispositions jugées satisfaisantes. En vertu d'une telle approche, les articles de la Convention jugées acceptables par un État auraient été traités à titre de «loi instantanée», tandis que les autres auraient fait figure de simples dispositions d'un traité non acceptées par l'État en question. Hormis l'hypocrisie et le cynisme inhérents à une telle approche, on bafoue et on rejette, en l'adoptant, la notion de la règle de droit. En ce qui concerne le Canada, la non-ratification entraîne en outre un certain nombre de coûts et d'inconvénients très clairs.
M. Beesley décrit deux de ces désavantages: premièrement, l'incapacité d'invoquer un mécanisme de règlement des différends dans la querelle du saumon de la côte Ouest et, deuxièmement, l'incapacité de contester une lacune de la convention relative à l'OPANO.
M. Beesley termine sur une note triste:
En fait, le Canada va jusqu'à contester la compétence de la Cour internationale dans la querelle du turbot qui l'oppose à l'Espagne. Quel embrouillamini! Voici un autre exemple clair d'une dérogation à la règle de droit par l'entremise d'une politique fondée sur l'approche qui consiste à ne retenir que les dispositions jugées avantageuses.
Nous avons au moins l'occasion de repartir de zéro et de rétablir la crédibilité du Canada. Nous avons obtenu que la Cour internationale renonce à tenir des audiences dans l'affaire qui nous opposait aux Espagnols, une fois de plus grâce au travail de Philippe Kirsch, mais ce n'est pas une victoire glorieuse dont nous aurions lieu de nous enorgueillir.
Nous sommes sur le point d'adopter le projet de loi C-27 et, du même coup, d'être en mesure de ratifier l'entente des NU sur le poisson qui, peut-on présumer, nous donnera la possibilité de confiner le projet de loi C-29 dans un coin poussiéreux des archives législatives. Cependant, nous ne devrions pas nous reposer sur nos lauriers tant et aussi longtemps que nos lois nationales n'auront pas été harmonisées avec le Traité sur le droit de la mer. Dieu sait que nous avons eu largement le temps de le faire. Nous devrions ratifier la convention de 1982. Nous aurions dû être le premier pays à le faire, ou peut-être le deuxième après l'Islande, et non venir après les 125 États ou plus qui nous ont précédé.
Nous devons ratifier dès maintenant l'accord afin de rétablir la réputation du Canada sur la scène internationale. C'est le moins que nous puissions faire pour la génération d'avocats qui ont travaillé d'arrache-pied à cette grande entreprise.
Le président: En conclusion, monsieur Sanger, vous avez laissé entendre qu'il faudrait reléguer le projet de loi C-29 dans un coin obscur des archives. J'ignore où en est aujourd'hui le projet de loi C-29. Il s'applique toujours. À ma connaissance, il a toujours force de loi; on ne l'a envoyé nulle part.
M. Sanger: Je m'exprimais en termes métaphoriques. Le projet de loi sera assujetti à tout le reste, n'est-ce pas?
Le président: Il fait toujours partie de la loi du pays.
M. Sanger: Oui, nous pourrions l'expédier à St. John's.
Le sénateur Stewart: Si je comprends bien, vous pensez que le projet de loi C-27 nous permettra d'actualiser notre position dans le dossier des stocks chevauchants. Vous ai-je bien compris?
M. Sanger: Oui.
Le sénateur Stewart: Croyez-vous que nous devrions adopter le projet de loi sans modifications?
M. Sanger: Certainement. Le paragraphe 7.01(1) pourrait être expliqué. Je ne le comprends pas.
Le sénateur Stewart: C'est le seul aspect qui vous pose un problème, et vous convenez que la question a peut-être trouvé réponse.
M. Sanger: Pour un profane comme moi, ce n'est pas facile. Il faut lire en parallèle la Loi sur la protection des pêches côtières et une autre loi et tout mettre en relation. En soi, il ne s'agit pas d'une loi complète. C'est une loi modificative.
Le sénateur Stewart: Oui.
M. Sanger: À ma connaissance, personne n'a soulevé d'objection à son propos.
Le sénateur Stewart: Étant donné la vaste expérience que vous possédez de ces questions, il est très rassurant de vous entendre. Pour en revenir à la même question, mais de façon plus précise, pensez-vous que nous renonçons maintenant à ne retenir que les dispositions qui nous conviennent comme on a pu auparavant nous accuser de le faire?
M. Sanger: Pas tout à fait. Nous n'y renoncerons qu'une fois que nous aurons ratifié en entier la Convention sur le droit de la mer. Nous avons évoqué différents éléments de la convention, en particulier la zone économique des 200 milles. On en parle comme si nous avions déjà ratifié la convention. Nous l'avons signée en 1982, mais, tant et aussi longtemps que nous ne l'aurons pas ratifiée en entier et que nous ne disposerons pas d'un mécanisme de règlement des différends, on pourra nous accuser que de ne retenir que les dispositions qui font notre affaire. Je ne suis pas en mesure de vous citer des cas ou nous avons évoqué les États côtiers en relation avec la pollution et des questions de ce genre, mais je pense que nous l'avons probablement fait.
Le sénateur Stewart: En ce qui concerne le droit intérieur canadien, l'adoption du projet de loi C-27 donnerait-il à l'organe exécutif du Canada, parfois désigné sous le nom de Couronne, la possibilité de ratifier la Convention sur le droit de la mer?
M. Sanger: J'ai discuté avec M. Tellier du service juridique du ministère des Affaires étrangères. Il est d'accord avec ce qu'a dit M. Beesley en juin dernier, c'est-à-dire qu'il reste certains aspects à harmoniser. Peut-être voudrez-vous en discuter plus à fond avec lui?
Le sénateur Stewart: Oui. À votre connaissance, l'harmonisation oblige-t-elle le gouvernement à adopter une loi? S'agit-il d'une prérogative de la Couronne?
M. Sanger: Je ne suis pas la personne à qui poser cette question. Vous avez un spécialiste sous la main.
Le sénateur Robichaud: En réponse à un commentaire du sénateur Stewart, vous avez indiqué que nous devrions adopter le projet de loi sans modification et le plus rapidement possible, afin de renoncer à ne retenir que les dispositions qui nous conviennent, comme nous l'avons fait par le passé.
M. Sanger: Oui, c'est ce que j'ai dit. C'est une première étape. Nous devons ratifier l'entente des NU sur le poisson, puis ratifier la convention sur le droit de la mer. Ce n'est que lorsque nous aurons ratifié la Convention sur le droit de la mer que nous devrons renoncer à la tentation de choisir les aspects qui, à notre avis, s'appliquent chez nous au détriment des autres. Il s'agit donc d'un processus en trois étapes -- d'abord le projet de loi C-27, puis l'entente des NU sur le poisson et, enfin, la Convention sur le droit de la mer.
Le sénateur Robichaud: Une fois ratifiée l'entente des NU sur le poisson, devrions-nous enclencher le plus rapidement possible une procédure de ratification de la Convention sur le droit de la mer?
M. Sanger: Oui, certainement. Le Canada et les États-Unis sont les deux derniers États industrialisés à ne pas l'avoir fait. L'Union européenne l'a maintenant fait.
Le sénateur Robichaud: Entrevoyez-vous des problèmes majeurs de nature à nous empêcher d'aller de l'avant à plein régime?
M. Sanger: Pas du tout. D'aucuns, dont certains responsables du ministère des Affaires étrangères, soutiennent qu'on devrait attendre un peu et voir comment l'entente des NU sur le poisson évolue, comment les mécanismes de règlement des différends fonctionnent, et cetera. Ce n'est pas le genre de courage dont nous avons fait preuve à l'occasion de la Conférence sur le droit de la mer ni dans le dossier des mines terrestres. Ces mesures ne sont pas exactement des sauts dans l'inconnu. Ce sont des mesures que nous pouvons prendre avec la certitude absolue d'avoir raison.
Le sénateur Robichaud: Vous nous dites donc que l'approche prudente préconisée par le ministère des Affaires étrangères ne se justifie pas.
M. Sanger: Je ne le crois pas. L'entente des NU sur le poisson doit faire l'objet d'un examen officieux tous les deux ans et d'une conférence d'examen complète cinq années après son entrée en vigueur. Ai-je raison? En tout cas, on ne me contredit pas.
Le sénateur Butts: Je connais mal la Convention des NU sur le droit de la mer, mais le comité a passé six mois à discuter des questions de propriété commune, de quotas individuels, de propriétés privées et de bon nombre d'autres jolis enjeux de ce genre. Sont-ils ne serait-ce que mentionnés dans la Convention sur le droit de la mer? Le savez-vous? En fait-on mention?
M. Sanger: Oui. Tout dépend d'où débutent les fonds marins. On fixe à 12 milles la limite de la mer territoriale et à 200 milles la zone économique aux fins de l'accord sur la pêche et d'autres modes de gestion par les États côtiers, ce qui signifie que tout ce qu'on retrouve dans la haute mer, sous réserve bien entendu de l'accord sur les stocks chevauchants, fait partie du «patrimoine commun de l'humanité». Voilà qui a une incidence particulière sur l'exploitation minière des fonds marins: en effet, la plupart des nodules de manganèse se retrouvent loin dans l'océan Pacifique. Ils n'attendent qu'on les aspire. Ils sont censés faire partie du patrimoine commun de l'humanité, et c'est pourquoi on a constitué l'autorité des fonds marins, dont le siège social se trouve à Kingston, en Jamaïque. La propriété des nodules était au coeur du litige. L'établissement d'une entreprise conjointe du secteur privé et des Nations Unies est la solution que M. Kissinger a mise au point. Si l'exploitation du cuivre, du manganèse et d'autres ressources présentes dans les fonds marins devient un jour profitable, les Nations Unies en tireront automatiquement des revenus. Certains ont dit que les nodules de manganèse pourraient constituer une forme de revenu supérieure à la taxe Tobin.
Le sénateur Robichaud: Plus vite nous ratifierons l'UNCLOS, avez-vous dit, plus vite nous pourrons l'utiliser dans les négociations sur le saumon pour régler le différend qui nous oppose aux États-Unis. Pourriez-vous être plus explicite?
M. Sanger: Cette question nous amène au coeur des mécanismes de règlement des différends qui font partie de la convention.
Je ne suis pas un spécialiste des espèces anadromes. Dans les négociations qui se sont tenues à Caracas par la suite, le saumon a joué un rôle important. Les négociateurs ont fait appel à des personnes admirables, comme Roderick Haig-Brown, pêcheur à la mouche, pour écrire un ouvrage sur le saumon. Nous avons vraiment poussé la réflexion, mais il s'agit d'un problème d'une catégorie tout à fait différente de celui qui se pose sur la côte Est. Je suis certain qu'Alan Beesley en dira plus sur ce point, mais je pense qu'il sera d'accord avec moi pour dire que, une fois que nous aurons ratifié la Convention sur le droit de la mer, nous nous trouverons dans une situation différente dans le dossier de la guerre du saumon. Le problème, c'est que les États-Unis ne l'ont pas encore ratifié, et ils risquent de jouer un jeu de cette nature.
Le sénateur Robichaud: Quand et comment les États-Unis s'y conformeront-ils? Ils ont la réputation de trouver des moyens de contourner de tels instruments; nous en avons fait l'expérience dans le cadre de l'ALENA et du contentieux du bois d'oeuvre. Les décisions rendues doivent l'être de la même façon à trois reprises pour qu'ils les acceptent enfin.
M. Sanger: Les traités posent un problème pour les États-Unis. Ils aiment les traités bilatéraux, mais pas le multiculturalisme, du moins pas en ce qui concerne les traités. C'est Reagan qui a poussé cette logique à la limite. Il a chargé un homme de faire avorter le Traité de la Lune, puis, dans les années 1980-1982, il a fait appel au même homme pour tenter de faire avorter le Traité sur le droit de la mer. Cependant, Ratiner, qui était un avocat de principe, a décidé qu'il s'agissait d'un traité valable et qu'il refusait de se prêter au jeu. Néanmoins, les États-Unis ont amené un certain nombre d'États industriels -- la Grande-Bretagne de Mme Tatcher et l'Allemagne du chancelier Kohl, entre autres -- à ne pas signer le Traité sur le droit de la mer. En fait, les États en question ont dû, le moment venu de signifier leur adhésion, le signer et le ratifier en même temps.
Les États-Unis, cependant, ne l'ont toujours pas fait. La question doit faire l'objet d'un débat au Congrès, et ce dernier se plaît souvent à attacher d'autres questions à des projets de loi particuliers.
Le président: J'ai quelques questions à poser au sujet du lien entre le projet de loi C-27 et l'accord des NU sur le poisson. Premièrement, j'aimerais établir un lien entre les deux. Le projet de loi C-27 ne coïncide pas toujours avec le contenu de l'entente des NU sur le poisson. Dans l'entente, par exemple, on prévoit qu'il faut de «sérieuses raisons» pour arraisonner un navire en eaux canadiennes, tandis que, dans le projet de loi C-27, on n'exige que des «motifs raisonnables». Il y a d'autres exemples. Le cabinet peut modifier certaines choses, par exemple le préavis de trois jours. L'entente des NU sur le poisson prévoit un préavis de trois jours. Or, un délai de 72 heures ou de trois jours ouvrables correspond à l'intention de la réglementation.
Ce que je veux dire par là, c'est que, même si nous avons signé l'entente des NU sur le poisson, notre législation ne reprend pas le contenu de l'entente. Cela posera-t-il des problèmes? D'autres pays pourront-ils adopter des lois qui ne correspondent pas nécessairement à l'entente des NU sur le poisson?
M. Sanger: Je crois savoir que vous avez soulevé ces questions avec M. Wiseman, qui s'en est remis à Nadia Bouffard, ici présente. Je ne suis pas un spécialiste. Confronté à une conseillère juridique de Pêches et Océans Canada, je me rangerai à son opinion.
Le président: Serons-nous en mesure d'éviter de futurs problèmes si notre législation et l'entente ne correspondent pas?
M. Sanger: En ce qui concerne le délai de trois jours, vous avez évoqué Noël, et cetera.
Le président: Oui. Il ne faut pas oublier non plus que, dans l'entente, on utilise l'expression «sérieuses raisons», tandis que nous disons «motifs raisonnables». Qu'arriverait-il si la Communauté européenne utilisait l'expression «motifs déraisonnables» plutôt que «sérieuses raisons» ou «motifs raisonnables»? Ce n'est pas en modifiant l'intention ou la formulation de l'entente des NU sur le poisson au gré de la volonté de chacun des pays que nous la mettrons en oeuvre.
M. Sanger: Dans le contexte de la Cour criminelle internationale, l'utilisation des mots «et» et «ou» a posé un problème analogue. Dans ce cas, on a opté pour un mot plutôt que pour l'autre. Peut-être vaudrait-il mieux utiliser les deux et opter pour l'expression «motifs sérieux et raisonnables».
Le président: Je suppose que nous pouvons nous en remettre aux juristes. S'ils nous disent que nous pouvons aller de l'avant, nous le ferons.
M. Sanger: Je serais porté à leur faire confiance.
Le sénateur Stewart: Vous voudrez peut-être poser la question à nos prochains témoins.
Le président: Oui. Nous y reviendrons probablement jeudi.
Nous avons signé l'entente des Nations Unies sur le poisson, mais nous ne l'avons pas ratifié. Si nous adoptions le projet de loi C-27, est-ce que cela équivaudrait à une ratification? J'essaie de voir les mécanismes de cette question.
M. Sanger: Ce sont des questions à poser aux fonctionnaires. Je devrais connaître la réponse, mais je passe si peu de temps aux Affaires étrangères à tenter de surveiller John Crosbie que je n'en connais pas la réponse. Le gouvernement agit sûrement à l'initiative du parlement et ratifie tous les documents qui s'imposent.
Le sénateur Stewart: Je ne veux rien inscrire au compte rendu qui pourrait nous tromper.
D'après ce que je comprends, un ambassadeur à l'étranger peut très bien signer un traité. Ce document est ensuite renvoyé au gouvernement du pays, et la Couronne, dans le cas du Canada, détermine s'il convient ou non de le ratifier. Cependant, au Canada, la seule ratification par la Couronne ne ferait pas en sorte que le traité soit entériné par le droit de notre pays, car c'est uniquement dans ce cas qu'il se traduirait par une loi du Parlement.
La situation est différente à Washington, où le Congrès participe à l'établissement des traités. Le Parlement du Canada ne participe ni à l'établissement ni à la ratification des traités. Il promulgue des lois qui donnent aux modalités du traité, dans la mesure où cela s'impose, une assise juridique dans le droit canadien; autrement, le traité ne pourrait être appliqué au Canada. C'est ce que je comprends. Nous pourrions vérifier cela auprès de M. Beesley, qui est une autorité sur cette question.
Le président: Monsieur Sanger, certains d'entre nous tentent encore de comprendre ce processus. Pour bon nombre d'entre nous, il s'agit de quelque chose de tout à fait nouveau, et nous tentons d'avoir l'avis d'experts d'un peu partout.
M. Sanger: Je souhaiterais être assis non pas tout seul ici, mais avec les trois autres experts dans la pièce. Peut-être qu'elles pourront répondre à ces questions jeudi.
Le président: Comme elles écoutent les questions et les réponses, elles auront probablement les réponses jeudi.
M. Sanger: Oui.
Le président: Pourquoi voudrions-nous ratifier l'entente des Nations Unies sur le poisson avant de ratifier la convention? N'aurait-il pas été plus logique de ratifier la convention plutôt que l'entente?
M. Sanger: Il s'agit d'un ajout à la convention. Évidemment, nous aurions pu ratifier la convention puis l'entente. Cependant, puisque l'entente est là, il est certain qu'elle renforce énormément les articles 117 à 120 et l'article 300.
Je vais lire rapidement les dix arguments formulés par Alan Beesley au sujet des caractéristiques positives de l'entente des Nations Unies sur le poisson. Ce sont notamment les suivantes: sa nature exécutoire; son système de collecte de données; son accent sur l'approche préventive. Il y a aussi le système de partage de données; son accent sur la pêche de subsistance; le renforcement des organismes régionaux; les dispositions relatives à la transparence; celles qui ont trait au règlement des différends, qui sont contenues dans le droit de la mer mais qui sont répétées ici; l'entrée en vigueur provisoire pour que cela se fasse plus rapidement; et, enfin, ses dispositions d'exécution. Ensemble, toutes ces mesures constituent un bon ajout à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Si nous les ratifions et que nous ratifions aussi le document de base, les deux tomberont en place.
Le président: L'an dernier, le Canada a affirmé devant la Cour internationale de La Haye qu'il ne reconnaissait pas l'autorité de la Cour mondiale. Si je comprends bien les témoins du ministère, nos motifs pour ce faire étaient que nous ne couvrons qu'un sujet limité. N'y a-t-il pas un risque d'aller dire à la Cour internationale que nous ne reconnaissons pas sa juridiction? Quel que soit le mérite qu'on puisse accorder à ce sujet particulier, si nous réduisons la juridiction du tribunal sur ces questions, est-ce que nous ne réduisons pas nous-mêmes la valeur de la Cour mondiale? Devrions-nous alléguer devant elle qu'elle n'a pas juridiction sur certaines questions?
M. Sanger: Je ne veux pas voir le jour où nous devrons faire cela. Nous avions des réserves semblables pour la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques de 1970. Cependant, les Américains ne nous ont pas traînés devant les tribunaux dans ce cas. Ils ont eux-mêmes exprimé des réserves pour plusieurs choses, par exemple l'exploitation minière dans les ports du Nicaragua, et ainsi de suite. Toutes ces choses restreignent l'ampleur de la juridiction du tribunal.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Sanger d'avoir accepté de venir nous parler ce soir.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Alan Beesley. M. Beesley est un avocat et un diplomate canadien à la retraite ainsi qu'un expert reconnu du droit international qui a dirigé la délégation canadienne au cours des négociations relatives au droit de la mer de 1967 à 1982. Il a été président du comité de rédaction du droit de la mer, a été ambassadeur du Canada dans un certain nombre de pays et de missions des NU et a été ambassadeur du Canada à la protection des mers. Je tiens à souligner qu'il a, à ce titre, mis en branle la rédaction des dispositions de la Convention du droit de la mer.
Il a également été conseiller environnemental spécial du ministre des Affaires extérieures de 1989 à 1991. Il est titulaire d'un doctorat honorifique en droit de l'université Dalhousie, il a obtenu en 1994, ainsi que d'un doctorat honorifique en études environnementales de l'Université de Waterloo, qui lui a été décerné en 1983. On lui a en outre décerné de nombreuses médailles et distinctions honorifiques, et il est membre d'un certain nombre de conseils et de conseils consultatifs.
Je tiens à souligner que lorsque certains des représentants du ministère ont découvert que M. Beesley compterait parmi nos témoins, ils ont demandé d'assister à la séance de ce soir, requête qui leur a été accordée.
Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Beesley. Nous sommes heureux que vous ayez pu venir nous parler. Nous vous écoutons.
M. J. Alan Beesley, O.C., c.r., ex-ambassadeur aux Nations Unies: Monsieur le président, j'aimerais commencer par certains commentaires généraux sur mon optique du droit international.
Premièrement, j'aimerais reprendre une citation que j'ai déjà utilisée une ou deux fois. Lester B. Pearson a déjà dit que la diplomatie est, en grande partie, l'art de faire en sorte qu'une indiscrétion ait l'air d'un lieu commun, tandis que la politique est l'art de faire en sorte qu'un lieu commun soit assimilé à une prise de position. Je ne suis pas sûr à quoi vous pourrez assimiler mes commentaires, mais je vais vous donner mon point de vue honnête lorsque vous me demanderez de le faire.
Ma thèse fondamentale est celle-ci: aucun système de droit national conçu jusqu'ici n'a pu éviter que des infractions soient faites à la loi, depuis la fraude jusqu'à la violence, malgré une expérience qui s'étend sur des générations, la mise sur pied de superstructures juridiques complexes et l'établissement d'un système pénal strict. Il est simpliste et superficiel de rejeter ou de nier l'existence du droit international parce qu'il a été incapable d'éviter ou de punir ces infractions au droit sur la scène internationale.
Deuxièmement, outre le processus continuel de développement du droit coutumier international par la pratique d'État, qui est, d'une certaine façon, analogue au processus du droit coutumier, il existe un immense réseau, qui est sans cesse croissant, de traités bilatéraux et multilatéraux, dont bon nombre sont de portée mondiale, qui ont pour effet de réglementer les relations entre les États sur des questions aussi diverses que les frontières, le droit commercial, le contrôle des armes, les normes en matière de santé, l'environnement et les pêches. J'ai participé à la négociation sur tous ces sujets.
Troisièmement, contrairement à une perception répandue dans le public, les États cherchent toujours à respecter les obligations qui leur sont faites dans un traité avec un autre pays, ne serait-ce que parce que c'est dans leur intérêt de le faire.
Quatrièmement, les lacunes de l'application du droit international découlent souvent non pas de faiblesses de la loi élaborée au moyen de négociations entre les États, mais d'un manque de volonté ou d'une hésitation des États, dont le Canada et ceux qui ont une constitution semblable, lorsqu'il s'agit de promulguer des lois intérieures nécessaires et d'établir les mécanismes qui s'imposent.
Cinquièmement, pour des questions aussi complexes et inextricablement liées que les affaires des océans, une constitution mondiale sur les océans s'impose, particulièrement dans le domaine des pêches, mais aussi à d'autres égards.
Sixièmement, la Convention sur le droit de la mer des Nations Unies de 1982 comporte justement une telle constitution des océans, et elle enchâsse non seulement un ensemble complet de règles importantes et légalement applicables sur les utilisations de l'océan, mais aussi l'ensemble le plus complet de mécanismes d'évitement et de règlement de conflit jamais vu, dont je vous reparlerai un peu plus tard.
Septièmement, même si la Convention est en vigueur depuis le 16 novembre 1994, ni le Canada ni les États-Unis ne l'ont ratifiée. Par conséquent, comme l'a souligné M. Sanger, chacun se sent libre d'invoquer les droits enchâssés dans la convention pour les rares éléments qui font son affaire, sans accepter les obligations correspondantes. Je suis tout à fait persuadé qu'on ne saurait, pour quelque système de loi que ce soit, invoquer les droits en faisant fi des obligations.
Enfin, la convention n'a pas l'impact qu'avait prévu le négociateur, surtout lorsqu'il s'agit d'éviter et de régler les conflits entre les états.
Je passerai maintenant, si vous me le permettez, à quelques arguments qui ont été soulevés. Je ne suis pas en désaccord avec quiconque, mais quelqu'un a fait allusion à la relation entre le plateau continental et les stocks chevauchants. Il n'y a pas de relation entre ces deux éléments. Le plateau continental est un terme spécialisé qui désigne le fond de la mer et le sol sous-marin qui forment le prolongement dans la mer de la masse terrestre submergée. C'est le plateau continental, et le nôtre est fort étendu, surtout au large des côtes de Terre-Neuve. La délégation canadienne a fait des pieds et des mains pour faire accepter cet immense plateau continental. Les eaux qui le recouvrent peuvent être situées à 200 ou à 350 milles des côtes, mais le pays n'a de compétence, pour les pêches et la lutte contre la pollution, que sur une zone qui s'arrête à 200 milles des côtes, sauf s'il y a eu une entente quelconque sur les stocks chevauchants. Je demande simplement que nous n'utilisions pas à tort le terme «plateau continental» comme cela se fait souvent. Plus nous nous éloignons vers l'Est, plus le terme est utilisé à mauvais escient -- à mon avis, bien innocemment -- mais cela embrouille le problème.
J'aimerais également souligner que M. Barry a présenté un exposé extrêmement impressionnant. J'ai été moi-même impressionné. En tout cas, je l'ai aimé. Cependant, je ne suis pas d'accord avec lui sur une chose. Il a dit que la Convention sur le droit de la mer ne s'attachait pas véritablement à la question des stocks chevauchants. C'est faux. Le problème, c'est qu'elle misait sur la bonne foi des pays signataires -- et, au bout du compte, des parties -- pour toute une série de dispositions créant l'obligation légale d'établir des ententes de coopération pour l'administration des stocks chevauchants. Un mythe s'est créé, encouragé par certaines instances, selon lequel on est simplement tenu de coopérer. Si ce devoir n'est pas vu comme une obligation en bonne et due forme, alors on interprète simplement mal la loi. Je n'en citerai pas les dispositions; elles sont contenues dans certains des textes que je vous ai distribués au préalable. Cependant, je vous indiquerai où les trouver si vous le voulez.
J'aimerais dissiper dès le départ le mythe, qu'on pourrait assimiler à une escroquerie, selon lequel il y a eu une manigance pour faire en sorte que la Convention sur le droit de la mer ne tienne pas compte en quelque sorte des stocks chevauchants. Croyez-moi, nous nous sommes battus durant longtemps pour faire appliquer des dispositions très strictes. Nous avons considéré que ce que nous avions obtenu était suffisant parce que nous pensions qu'il serait dans l'intérêt de tout le monde de collaborer pour préserver les stocks dont tout le monde a besoin. Je me rappelle que mon prédécesseur, Alf Needler, un scientifique extraordinaire, croyait réellement, tout comme nous, que les états européens ne trouveraient pas qu'il vaut la peine de traverser l'océan pour venir pêcher dans les régions que nous désignons depuis le tout début comme celles où se trouvent les «stocks chevauchants». Ce n'est pas une découverte nouvelle.
Loin de moi l'idée d'offenser Earl Wiseman et ses collègues, mais après avoir difficilement réussi à faire ce que nous avons fait au cours de la conférence sur le droit de la mer, nous avons confié l'application de ses dispositions au MPO, et il a conçu le traité de l'OPANO. Malheureusement, c'est dans ce traité que se trouve l'échappatoire, et non pas dans la Convention sur le droit de la mer. On l'appelle procédure d'objection, et c'est une échappatoire si grosse qu'on pourrait y faire passer un bateau-usine. Ce n'est pas que nos collègues du MPO aient fait preuve de naïveté, parce que le tout fonctionnait bien lorsque les gens négociaient de bonne foi. Cependant, lorsque l'Espagne et le Portugal ont joint les rangs de l'Union européenne ou de la Communauté européenne ou quoi que ce soit qui en tenait lieu à l'époque, tout a changé et ils ont commencé à se faire accompagner d'avocats, mais avec des intentions malhonnêtes, que j'ai assimilées à un abus de droit dans une série d'articles. L'un d'entre eux a été mentionné par M. Barry, mais j'en ai écrit en tout 12 pour des revues savantes, signalant que le Canada était accusé de prétendre qu'il y avait des stocks chevauchants alors qu'il y avait plein de poissons et que nous voulions tout simplement étayer notre argumentation. C'est faux. Cependant, nous avons jugé nécessaire de prendre des mesures strictes pour rectifier la situation.
Je m'en souviens très clairement que j'ai été la première personne à compter le nombre de fois où une procédure d'objection a été utilisée pour bloquer une entente à l'OPANO. J'étais abasourdi. Cela s'est produit 53 fois en 10 ans. On faisait fi du traité de l'OPANO et aussi de la Convention sur le droit de la mer. J'ai dit plusieurs fois, en ma qualité d'ambassadeur pour la conservation des ressources marines, que le recours à cette procédure ne respecte pas les dispositions de la Convention sur le droit de la mer, qu'elle ne les contourne même pas, et qu'elle y est carrément contraire. Nous avons fini par décider que nous devions faire quelque chose à ce sujet.
Je relevais alors directement de trois ministres du cabinet, dont l'un était John Crosbie, homme d'une grande intégrité qui, comme vous le savez bien, n'est pas du genre à choisir ses mots en fonction de son audience. Il n'aimait pas l'idée d'une action unilatérale, et l'idée d'une guerre commerciale le rebutait particulièrement. Nous avons tout fait pour en éviter une. Lorsque j'ai finalement dû remettre ma décision en raison de la maladie que m'avaient annoncée tous mes amis si je prenais ce travail de fou, il n'est pas venu me parler de cela personnellement, mais un de ses collègues l'a fait, et j'ai effacé par la suite une phrase de ma lettre de démission qui disait: «Si vous, les pêcheurs, en avez assez de cette situation et exigez une action unilatérale, je voudrai bien admettre que vous avez raison.» C'est tout ce que j'ai dit, mais on m'a demandé de retirer ce passage parce qu'il heurterait les sensibilités, et c'est ce que j'ai fait. Cependant, c'est ce que tout le monde pensait à l'époque. Bien sûr, je savais que Brian Tobin le pensait aussi, parce qu'il ne l'a pas caché. Et voilà pour la mise en contexte.
Lorsqu'on m'a chargé de ce travail, j'avais déjà exprimé mes opinions avant d'être embauché quant à la stratégie qu'il fallait suivre. Nous devions adopté une approche à trois volets.
Le premier était appelé, par euphémisme, la voie diplomatique, qui suppose une négociation. C'était nécessaire et essentiel, et nous l'avons suivi constamment.
Le suivant, qui s'est révélé à l'occasion être un échec monumental, était la voie des relations publiques. Nous y avons consacré d'interminables heures et beaucoup d'argent, en plus d'envoyer une foule de gens en Europe, mais nous n'avons trouvé personne pour nous appuyer. Il n'y avait personne pour écouter ni pour réagir lorsque nous avons présenté diverses approches du problème de la conservation. Fondamentalement, on nous écartait du revers de la main. Cependant, nous n'avons pas abandonné. Nous avons tenu bon.
Le troisième volet était ce qu'on appelait la voie juridique. Je connais cette question. J'ai été accusé de l'avoir inventé jusqu'à ce qu'elle commence à connaître du succès, après quoi plus personne ne s'est rappelé que j'y avais été mêlé. J'ai présidé la première réunion qui a mené à la convention dont vous parlez maintenant, et j'en suis fier, parce que je croyais qu'il était possible de réaliser une telle chose.
Pour être bien franc avec vous, je dois dire que le succès que nous avons obtenu a été bien supérieur à ce que j'aurais prédit. Les représentants du MPO, des Affaires extérieures et de nos ambassades à l'étranger ont fait un travail aussi solide qu'exceptionnel, et il en a résulté un excellent traité. Quand j'entends les gens dire, comme l'a fait Brian Tobin à Halifax, que nous n'avions pas de traité ou de mécanisme de règlement des différends et que nous avons maintenant les deux, cela me brise le coeur.
Jetez un coup d'oeil à la partie VIII de l'entente sur les pêches. On y intègre simplement par référence les dispositions de règlement des différends déjà contenues dans la Convention sur le droit de la mer. Je suis très étonné que les gens disent cela. Je n'ai pas répondu à l'époque, mais le président de la réunion a résumé, une fois le premier ministre Tobin parti, en disant ceci: «Quelle pitié. Je me demandais lorsque j'étais à New York pourquoi nous faisions tout cela, et maintenant je le sais. Il n'y a pas de disposition de règlement de différends ni de loi.» J'ai parlé le lendemain, comme je le fais aujourd'hui, pour dire que s'il n'y a pas de disposition de règlement des différends, pourquoi ne pas intégrer simplement au nouvel accord ceux qui sont déjà prévus dans la Convention sur le droit de la mer? Voilà une malhonnêteté nouveau genre au Canada. On n'a qu'à penser que des promesses de ratification ont été faites en Chambre, et qu'elles ne se sont jamais concrétisées.
Mes commentaires ne visent aucun parti ni aucun politicien en particulier, mais pour remettre un peu plus les pendules à l'heure, je vais, si vous le voulez bien, faire une analogie.
Admettons que nous nous soyons battus comme nous l'avons fait. C'était une bataille héroïque. La bataille avait lieu pour une noble cause, et nous avons obtenu un traité sur les mines terrestres. Nous ne voulions pas que certains pays, dont nos voisins du Sud qui sont si portés sur la primauté du droit, n'acceptent pas le traité sur les mines terrestres. Ils sont libres de placer leurs mines terrestres n'importe où, même à nos frontières. Comme c'était le cas pour la Convention sur le droit de la mer, c'était: «Allez, tout le monde. Allons de l'avant et faisons ceci. Lorsque nous arriverons à la fin, nous aurons quelques réserves.»
Que se serait-il passé si nous avions dit: «Pour les mines terrestres, nous ne sommes pas sûrs; nous pourrions conclure un autre mini-traité pour celles qui sont conçues pour amener les enfants à les ramasser parce qu'elles ressemblent à des jouets. Insistons là-dessus durant quelques années. Si nous pouvons le faire ratifier, peut-être que nous ratifierons alors le traité général»? Nous aurions l'air d'une bande d'hypocrites. Pourquoi? Parce que c'est ce que nous serions.
Maintenant, nous avons l'air d'une bande d'hypocrites. Pourquoi? Parce que c'est ce que nous sommes. Nous sommes toujours prêts à préconiser un développement du droit international, particulièrement du droit environnemental, mais lorsque nous réussissons, nous ne l'appliquons pas. Je n'arrive pas à comprendre cela. Pire encore, je n'arrive pas à comprendre pourquoi personne, exception faite du sénat, ne prend la peine de dire que ce n'est pas correct.
Quelles en sont les raisons? Lorsque vous les demandez, personne ne vous les dit. Je connais la raison. Je ne vous en parlerai pas sauf si vous insistez. Il y avait une crainte de poursuite devant les tribunaux. Et voilà que nous vendons les splendides mécanismes de règlement des différends. Quelqu'un a parlé de la valeur pratique de ces mécanismes. Si nous avions mené la question, il y aurait pu y avoir un tel élan que les États-Unis auraient eux aussi ratifié le traité.
N'oubliez pas que nous avons signé le traité. Les gens disent: «Tout le monde peut signer un traité; ce n'est qu'un bout de papier.» Ce n'est pas aussi simple. Si un État signe un traité, il a le devoir de ne pas prendre de mesures qui sont contraires à l'objet et aux objectifs de ce traité. Pensez-y un instant. Nous sommes-nous toujours conduits d'une façon conforme à la Convention sur le droit de la mer? Je ne vais pas me prononcer là-dessus; mais nous avons effectivement une obligation de ne pas volontairement y désobéir pour faire les choses les plus révoltantes. Nous publions des documents pour faire de la publicité sur les retombées de la Convention du droit de la mer, nous plaçons des autocollants sur nos pare-chocs et nous attirons honnêtement l'attention sur la question. Quelqu'un dit: «On n'y parle pas de saumon ou du plateau continental.» On pourrait aussi dire qu'on n'y parle pas de mines terrestres ou de non-prolifération. Évidemment pas. C'est déjà prévu dans l'autre convention intégrée dans le nom de ce traité. Je ne suis pas d'accord avec Earl Wiseman, qui était mon ami jusqu'à ce qu'il oublie mon nom la semaine dernière.
Pensez au nom complet de la convention: elle doit commencer par une allusion à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, et c'est ce qu'elle fait, parce que c'est son origine. Il s'agit d'un traité modificatif. Cependant, nous devons tous prétendre que nous avons réinventé la roue et que tout vient de commencer.
Je suis troublé, non seulement parce que j'ai passé plus de 12 ans de ma vie à travailler là-dessus, mais parce que c'est aussi le cas de tant d'hommes et de tant de femmes aux compétences et au dévouement irréprochables qui proviennent de tous les secteurs de la société. Je ne parle pas seulement de gens du gouvernement. Je parle aussi du syndicat des pêcheurs, de la fraternité des autochtones, et du chef Jimmy Seaweed de la Colombie- Britannique, porte-parole très éloquent pour les droits de pêche sur la côte ouest. Sur la côte est, nous avions Cabot Martin, qui a fait honneur à son nom dans tous les sens du mot en disant: «Qu'est-ce que vous faites à présent? Vous concluez une entente au détriment de Terre-Neuve.»
À mon avis, il était prudent que, vu l'éventail de questions dont il fallait nous occuper, notre délégation comportait des gens d'une foule de secteurs. Nous avions des gens d'une foule de secteurs de l'industrie, des environnementalistes, des Autochtones et des bureaucrates qui ne s'entendaient pas les uns avec les autres. Cependant, personne n'a jamais amené un diplomate canadien à en contredire un autre.
Lorsque je dis «diplomate», je ne parle pas des Affaires étrangères. D'après mon expérience -- qui a été très longue --, les Canadiens ont réellement un don, un instinct, je dirais presque une intuition pour la diplomatie -- non pas l'art de la diplomatie, qui, aux yeux de certains gens, signifie savoir organiser un cocktail dans les formes, mais la façon de voir les deux côtés de chaque question et de chercher instinctivement à les conjuguer. C'est dans ça que nous sommes bons. Nous étions si bons là-dedans que les gens d'autres délégations venaient nous dire: «Pouvons-nous vous emprunter John Cooper?» Il est mort récemment. C'était le meilleur ingénieur hydrographe de la conférence. Don Crosby et lui pouvaient expliquer qu'il y avait des choses comme la dérive des continents et que, par conséquent, par exemple, l'Inde devait se joindre à nous pour la question du plateau continental. Et nous pouvions prêter une personne de ce genre durant un moment.
Nous n'avions qu'un seul principe: interdit de mentir et de tricher. Nous étions honnêtes. Personne n'a jamais dit: «Faisons de l'intégrité notre mot d'ordre», mais c'est ainsi que c'était. Un auteur bien connu me taquinait récemment en disant: «J'ai vu Alan Beesley faire le tour des membres de la délégation pour vendre son huile de serpent.» Je lui ai dit: «Qu'est-ce que je vendais?» Il a répondu qu'il ne l'a jamais su. J'aurais pu lui dire que c'était uniquement de l'honnêteté pure et simple. Cela fonctionnait.
Nous sommes rentrés à la maison contents par la suite, et pour toutes sortes de raisons, mais quelqu'un a dit plus tard que nous n'étions qu'une bande d'escrocs -- le pays qui exigeait le plus, le pays qui a obtenu le plus, le pays le plus critiqué, par exemple, pour son avidité, et ainsi de suite. Nous n'avons pas réagi. Nous avons clamé nos réalisations à qui voulait les entendre, en disant: «Oh, nous avons obtenu 200 milles, et nous allons faire des revendications pour le plateau continental.» Nous ne disons pas d'où cela est venu. Même aujourd'hui, nous entendons des allusions à la limite des 200 milles sans que personne ne dise que nous en avons jeté les fondements dans les négociations sur le droit de la mer. C'était une retombée. Il y en a eu plusieurs.
L'Arctique en est un exemple classique. Nous étions soumis à d'intolérables pressions. Fondamentalement, nous allions à l'encontre de toutes les valeurs occidentales, du onzième commandement, la liberté de navigation. Nous avions l'air de campions qui ne comprenaient pas et qui s'entêtaient. On pouvait compter sur les doigts d'une seule main le nombre de nos alliés des pays industrialisés. Nos alliés étaient l'Islande, la Norvège -- de façon générale, mais pas toujours -- la Nouvelle-Zélande et, parfois, l'Australie, si la Grande-Bretagne ne l'avait pas d'abord mise de son côté. Hormis ceux-là, nos alliés étaient les pays en développement. Pourquoi nous aimaient-ils? Tout d'abord, parce que nous ne leur mentions jamais et, ensuite, parce qu'ils considéraient que nous les avions débarrassé d'une image de hors-la-loi pour en faire des pionniers.
Quelqu'un a mentionné la question de la mesure unilatérale et de son acceptation. J'ai été honoré qu'on ait cité mon fameux discours devant les Nations Unies, dans lequel je disais que c'est par une mesure unilatérale qu'on établit la territorialité sur la mer et que c'est de cette façon que le système direct de départ a été établi. J'ai dit que ce n'est pas seulement une façon appropriée de faire; mais dans certains cas, il est essentiel de procéder ainsi.
Cela joue-t-il dans ce cas, compte tenu de ce que M. Tobin a fait? Je pense que oui. Je pense qu'il avait une justification. Je pense qu'il n'est pas seulement un maître des communications. Je pense qu'il a fait preuve de courage encore et encore, et qu'il a persévéré. Je pense qu'il mérite tout le crédit, y compris celui qu'il se donne.
Une chose m'inquiète: il doit savoir qu'il travestit la réalité -- tant les faits que le droit -- lorsqu'il dit: «malheureusement, il n'y avait pas de loi et pas de dispositions de règlement des différends». J'étais assis à dix pieds de lui dans l'assistance à Halifax en automne dernier, et je me posais une question: «Où était-il?»
Je ne veux pas violer mon serment professionnel -- quoiqu'il y a si longtemps que je l'ai prêté qu'il ne s'applique probablement plus --, mais il n'est pas connu de tout le monde que j'ai été, après ma retraite, embauché par le ministère des Pêches et Océans pour faire une étude sur la mesure unilatérale. Ils ont fait preuve de beaucoup de prudence lorsqu'ils ont utilisé l'expression «mesure unilatérale», parce qu'ils craignaient d'être congédiés s'ils le faisaient, et ils avaient raison de le craindre. Je n'avais pas cette crainte, parce que j'avais déjà pris ma retraite. La première phase de mon étude a été terminée le 25 novembre 1993. La deuxième, le 27 décembre 1993. Je n'ai pas le loisir de vous dire ce que j'ai proposé, mais je peux vous dire que j'ai formulé 23 recommandations. Plus tard, ce n'était pas par simple curiosité que j'ai exercé des pressions pour que quelqu'un m'indique par écrit combien d'entre elles avaient été acceptées. La réponse a été 21 recommandations sur 23. Dans l'intervalle, diverses personnes que je ne nommerai pas ont inventé la mesure unilatérale. Je n'ai pas eu à inventer beaucoup; je me suis simplement fondé sur l'expérience que j'avais acquise, sur ce que j'avais vécu et sur les mesures unilatérales qui avaient été prises au cours des ans.
Les autres délégués se sont mis à m'appeler «M. Discret Empiètement», et j'ai dû plaider coupable. Nous prenons toujours des mesures unilatérales. J'ai ici quelque part une liste des traités bilatéraux que j'ai négociés, basés sur nos mesures unilatérales.
J'ai été abasourdi récemment lorsque j'ai lu un discours d'un autre «Alan» qui disait l'avoir négocié. Je me suis dit: «C'est un plagiat qui dépasse tout.»
J'ai négocié des traités, notamment avec le Danemark, la France, la Norvège, le Portugal, l'Espagne, le Royaume-Uni et Cuba; le dernier portait sur la piraterie aérienne. Il n'était pas facile à l'époque de revendiquer des droits de souveraineté sur le Golfe. La question était très controversée. On me conspuait partout, parce qu'il y avait tant de protestations. J'ai toujours espéré être appuyé par des ministres et des premiers ministres, et cela s'est produit. Je n'inventais pas ces positions. Elles étaient toujours autorisées d'abord par le Cabinet, après quoi il incombait à mes collègues et à moi-même de les faire adopter.
Nous avons finalement rencontré les Espagnols. Nous avons délibérément retardé la rencontre jusqu'en tout dernier, parce que nous savions qu'ils seraient les interlocuteurs les plus difficiles. Ils affirmaient n'avoir rien à négocier, qu'ils pêchaient dans les eaux du golfe depuis le XVIe siècle et que c'était la haute mer. Le golfe du Saint-Laurent ne voulait rien dire pour eux, affirmaient-ils.
Nous avons tenté d'être prudents avec eux. Nous avons observé tout le protocole, même si cela n'est pas mon point fort. Nous les avons fait entrer. Nous les avons rencontrés à la porte de l'Édifice de l'Est. Nous les avons fait asseoir. J'ai fait une déclaration liminaire, et je venais à peine de commencer qu'un individu qui avait l'air d'une brute a dit: «Ha!»
J'ai dit: «Le gouvernement canadien --»
«Quel gouvernement?» a-t-il dit en m'interrompant.
Finalement, lorsque j'ai terminé, les représentants espagnols ont parlé, et j'ai été heureux de constater que l'homme en question a agi de la même façon avec eux. Nous avons envoyé un agent subalterne demander aux Espagnols de faire en sorte que leur pêcheur se conduise un peu mieux. Ils ont répondu: «Nous pensions que c'était l'un des vôtres».
Nous avions fait entrer quelqu'un de la rue, et il cadrait parfaitement dans le décor. Le même agent subalterne l'a fait sortir en moins de cinq minutes sans trop de difficultés. Des années plus tard à Cuba, je lui ai demandé comment il avait réussi à le faire sortir si vite, et il m'a répondu: «Je lui ai donné 10 $ pour une bouteille de vin.»
Les Espagnols n'étaient pas offensés. Ils ont enfin accepté de se retirer des eaux que nous considérions à bon droit comme nous appartenant.
Il y a une tradition d'unilatéralisme au Canada. Les gens savent peut-être ce qui s'est passé à propos de l'Arctique. Ils savent ce qui s'est passé récemment. Nous avons eu recours à l'unilatéralisme toutes les fois où nous avons été convaincus que la loi ne répondait tout simplement plus aux besoins de notre époque, comme c'était le cas quand nous avons entrepris les négociations relatives au droit de la mer.
Nous avons intégré de nouveaux concepts à la loi et marché sur les pieds de bien des gens. Les Britanniques n'ont jamais oublié la fois où je leur ai dit, à propos de la Grande-Bretagne, que si elle était jadis une puissance navale, elle est maintenant une puissante rivale. Pour ne pas me laisser l'avantage, ils m'ont répondu par une blague. Je leur ai dit que si ça leur déplaisait que nous ayons ces droits divins, on pourrait peut-être tout simplement les qualifier de délégation de pouvoirs, et dire que nous agissons au nom de la communauté internationale. Un sage britannique a écrit un poème, que j'ai cité en partie dans un discours que j'ai prononcé récemment:
Avec une délégation de pouvoirs nous pourrons tout avoir parce que, comme le dit Beesley Nos droits sont trop limités.
J'ai entendu tant de choses du genre.
Pour terminer, j'aimerais vous dire que nous n'avons pas besoin de trouver de raisons spéciales pour appuyer l'entente qui commence par une allusion à la Convention sur le droit de la mer. Cela va de soi, même s'il s'agit d'une entente modificative. À mon humble avis -- en fait, il n'est peut-être pas si humble --, le texte mérite tout à fait d'être ratifié.
Je ne pense pas qu'il nous suffit de rentrer à la maison et de dire que nous y sommes arrivés, comme cela a été le cas pour les mines terrestres. Non. Il n'est même pas question de déblayer le terrain pour la ratification de la Convention sur le droit de la mer. Les deux devraient aller de pair. Bien franchement, nous devrions ratifier d'abord et avant tout la convention dont découlent toutes les autres.
On m'a accusé d'être le parrain de la Convention sur le droit de la mer. Je ne le suis pas, mais on pourrait dire que je suis la sage-femme de la convention sur les pêches.
Soit dit en passant, nous ne devrions pas l'appeler la convention sur le poisson. Elle a un nom bien à elle. Nous devrions le claironner haut et fort toutes les fois où les gens nous en parlent pour leur rappeler d'où elle vient. Je vais vous lire son titre, d'après l'exemplaire que j'ai en main: «Accords aux fins de l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs».
Qu'est-il arrivé à cela? Avons-nous oublié la Convention sur le droit de la mer? Je ne le pense pas. Nous en avons même intégré certaines des dispositions, y compris celles qui ont trait à une résolution paisible -- à tout le moins lorsque quelqu'un ne va pas alléguer que ces dispositions n'existent pas, même dans la Convention sur le droit de la mer.
Cependant, ce qui me trouble réellement, c'est que, à maintes reprises, nous prélevons des dispositions de la Convention sur le droit de la mer et les intégrons en bloc dans le traité sur les pêches. Nous l'appelons le traité sur les pêches pour dissimuler le fait que le texte provient de la Convention sur le droit de la mer. Les dispositions censées être, selon certains, une simple obligation de coopérer sont reproduites dans le nouvel accord.
Il y a d'autres dispositions -- et Clyde Sanger a eu la gentillesse de citer l'une de mes déclarations lorsqu'il a dit que si ces dispositions étaient si mauvaises, nous n'aurions pas dû les reproduire dans la nouvelle entente.
Le temps de l'honnêteté est venu. Peut-être que c'est notre dernière chance. J'ai déjà lu ce qu'il y avait à lire de vos audiences. Je suis conscient du fait que le président de votre comité considère que votre rôle concerne tout autant l'éducation que la prise de décisions. Je fais peut-être preuve d'arrogance simplement en faisant un commentaire là-dessus, mais c'est une mesure que j'applaudis. Éduquons la Chambre des communes. Éduquons le gouvernement. Éduquons le peuple canadien. Éduquons quelques journalistes, qui ne sont pas tous des hommes aussi cultivés que Clyde Sanger. Éduquons quelques professeurs, qui croient réellement que si vous devez citer quelqu'un au sujet des mesures unilatérales, vous devez citer l'autre «Alan», qui a ramassé des choses ici et là, mais qui n'était jamais là lorsque les choses se sont produites.
Moi, j'étais là. J'ai reçu des notes de protestation de tant d'amis que j'ai fini par les leurs remettre en disant: «J'en ai déjà reçu une comme celle-là» ou «J'ai déjà vu ça». Pourquoi disent-ils toujours les mêmes choses? Tous nos alliés de l'OTAN nous font part des mêmes protestations. Étrangement, les ministres du Cabinet adoraient cela. Ce n'est pas qu'ils se régalent d'histoires de David et de Goliath; c'est juste qu'ils aiment voir des Canadiens être appuyés par d'autres Canadiens parce qu'ils ont été déçus à d'autres sujets récemment. Si nous tournons le dos à la convention sur les mines terrestres de la même façon que nous avons tourné le dos à la Convention sur le droit de la mer, il ne me resterait plus qu'à devenir Américain. L'éthique n'aurait plus d'importance pour nous, et je pourrais tout aussi bien émigrer.
J'ai parlé plus longtemps et de façon plus intense que je ne l'avais prévu, mais comme vous pouvez le voir, la question me préoccupe encore. Je voulais que vous sachiez que, pour reprendre une expression utilisée par une personne bien mieux connue que moi, les rapports sur mon décès ont été grandement exagérés.
Le président: Merci, monsieur Beesley. Votre passion transparaît dans ce que vous dites. Ne vous arrêtez pas. Nous avons besoin de vos enseignements sur le sens de cette convention.
Le sénateur Stewart: Monsieur, Beesley, la première question était la suivante: pourquoi, selon vous, la Convention sur le droit de la mer n'a-t-elle pas été ratifiée par le Canada? Ensuite, compte tenu de vos commentaires, les questions suivantes me sont venues: vos motifs étaient-ils personnels? Étaient-ils politiques? Étaient-ils importants? Si c'est le cas, pourriez-vous nous dire ce qu'ils étaient?
M. Beesley: Je vais tenter de répondre à cette question aussi honnêtement que possible, au meilleur de ma connaissance et en toute honnêteté. Je m'attacherai même au choix que vous m'avez donné.
Je pense que les motifs étaient personnels dans une certaine mesure, étant donné qu'il est parfois difficile de modifier notre position. Ils étaient politiques, parce que cela est évident. Si un gouvernement ne prend pas de mesures unilatérales lorsqu'il est pressé de le faire tout le temps et qu'un autre gouvernement le fait, alors on doit considérer que ce motif est politique. Cependant, je ne critique personne pour cela. C'est ainsi que nous nous gouvernons.
Le motif principal me fait honte. C'est parce que nous ne voulions pas porter l'affaire devant les tribunaux et perdre. En même temps, nous donnions des coups de poing sur la table et disions que nous agissions en conformité avec les lois, qu'il y avait abus par la CE pour tout le processus, qu'on contrevenait à la loi sur la pêche, qu'il y avait surpêche par l'Espagne et que nous pouvions le prouver.
L'idée de tenir en l'air un petit poisson ne vient pas de Brian Tobin. John Crosbie l'a fait aussi, et c'était encore plus amusant lorsqu'il l'a fait, mais il n'a pas la capacité de susciter autant d'attention que M. Tobin, alors je veux bien lui concéder cela. Cependant, je vous avouerai que c'était parce que nous avions peur de nous retrouver devant les tribunaux avec l'Espagne.
Comme Clyde Sanger, le fait que nous ayons évité la question de la juridiction du tribunal me fait honte. Je n'ai pas honte de nos mesures unilatérales. Dans les 23 recommandations que j'ai formulées, je l'avais incluse, mais je disais également qu'il s'agissait d'une mesure provisoire et que nous devions ratifier la Convention sur le droit de la mer et appliquer les principes que nous préconisons.
Quant à la raison pour le delai, la réponse est simple. Au départ, nous nous sommes tenus en retrait par déférence pour les Américains. Nous n'avions rien contre la disposition sur l'exploitation minière du fond de la mer. En fait, nous avons rédigé en langue juridique la proposition d'approche axée sur une entreprise en participation formulée par Henry Kissinger. Nous pouvions compter sur certaines des meilleures personnes au monde, et elles ne venaient pas des Affaires extérieures. Elles venaient d'Énergie, Mines et Ressources, comme Don Crosby et Dave Pasha. C'est pour cette raison que nous nous sommes tenus en retrait; mais cela ne voulait pas dire que le Canada se cachait. Mais le Canada n'a pas dit: «Dieu merci, l'affaire est réglée. Il ne nous reste plus qu'à la ratifier.» Cependant, les stocks chevauchants commençaient déjà à ce moment-là à poser problème.
Lorsque ce genre de situation se produit, les gens timorés -- ceux que les Anglais appellent des «nervous Nellies», n'en déplaise à certaines femmes -- commencent à gagner leur point. N'importe quel diplomate pourra vous donner huit raisons de ne pas faire quelque chose. Celui qui fait quelque chose se met la tête sur le billot. Alors nous avons commencé à utiliser des euphémismes. Nous vivions près du peuple le plus porté sur les euphémismes au monde, et nous commençons à lui ressembler. Nous ne reconnaissons même pas la vérité lorsqu'on nous la dit -- mais vous, vous la reconnaissez, parce que vous appartenez à une certaine génération.
Il y a un mélange de motifs personnels et politiques et de questions de fond. Il y a toute sorte de problèmes sur le plan international dont nous pourrions choisir de ne pas nous occuper, dont les mines terrestres et la non-prolifération des armes nucléaires. Nous étions le seul pays que je connaisse qui possédait la technologie, et nous y avons volontairement renoncé. Il fallait un réel courage et beaucoup de clairvoyance.
Est-ce que nous agirions ainsi aujourd'hui? Nous tournerions autour du pot. Je ne sais pas ce que nous dirions, mais je crois que nous n'agirions pas ainsi.
Le sénateur Stewart: En ce qui concerne les stocks chevauchants, le projet de loi C-27, s'il est adopté, réglera-t-il la situation?
M. Beesley: Je ne suis plus mêlé d'aussi près à la question, mais je crois qu'il la réglera, à tout le moins pour ce qui concerne les stocks chevauchants.
Le sénateur Stewart: Par conséquent, vous recommanderiez au comité de proposer au Sénat d'adopter le projet de loi?
M. Beesley: Certainement. Je l'appuie avec ferveur. Ce n'est pas parce que le traité principal permet des atermoiements qu'il faut condamner celui-là aussi. Celui-là est valable. Il est complet en soi même si l'on voit clairement qu'il découle de la Convention sur le droit de la mer. Alors, sans hésiter, je l'appuie. Après tout, j'ai participé à sa création.
Le sénateur Perrault: Quel dommage que nous ne puissions inciter M. Beesley à sortir de la retraite pour travailler de nouveau pour le pays. Il est l'un des fonctionnaires les plus exceptionnels que notre pays ait produits.
Je pense que votre exposé de ce soir tombait tout à fait juste. Vous avez le courage d'appeler un chat un félin lorsqu'il faut le décrire de cette façon.
Même si vous dites que certaines modifications du libellé peuvent améliorer ce projet de loi, vous nous invitez à l'appuyer. Je serais très heureux de le faire en me fiant uniquement à votre recommandation.
Y a-t-il des changements que vous recommanderiez d'apporter au projet de loi C-27, à présent ou plus tard? Y voyez-vous des lacunes?
M. Beesley: Il me faudrait commencer depuis le début. Lorsque j'y travaillais, je le pensais adéquat. À présent, la règle des 72 heures me trouble un peu. Je pense que c'est une bonne entente, particulièrement la partie qui est empruntée à la Convention sur le droit de la mer. Je ne souhaite aucunement le voir changer.
Le sénateur Perrault: Vous êtes fier d'en avoir la paternité. C'est très rassurant de votre part.
Le sénateur Robichaud: J'aimerais vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous donner l'information que vous avez. On peut certainement dire que cela jette de la lumière sur UNCLOS, et votre témoignage renforcera notre résolution d'aller de l'avant et d'adopter l'entente sur les pêches des Nations Unies à UNCLOS pour que nous puissions l'utiliser dans nos discussions sur le saumon.
On pourrait dire les choses plus crûment, mais vous semblez persuadé qu'il pourrait jouer un rôle.
M. Beesley: Pas l'entente sur les stocks chevauchants -- je sais que ce n'est pas ce que vous avez dit --, mais UNCLOS nous fournit non seulement le fondement, mais aussi le libellé réel utilisé non seulement pour les stocks chevauchants mais aussi pour le saumon.
J'ai défendu en public et rédigé 12 documents sur la question du turbot. L'un a été mentionné par Donald Barry, et je l'en remercie. J'ai fait cette bataille gratuitement, comme d'habitude, bien longtemps après avoir pris ma retraite. Cependant, pour ce qui concerne le saumon, j'ai en fait été rémunéré par le gouvernement de la Colombie-Britannique pour réaliser certaines études, et il les a publiées. J'étais en vacances à Genève, et les fonctionnaires ont organisé une conférence téléphonique. Je leur ai dit que je parlerais à quelques journalistes, mais il y en avait 30 dans la pièce, et ils m'ont posé une foule de questions. Cependant, cela ne menait à rien, parce que les gens ne veulent voir que ce qu'ils veulent bien voir. Ils sont en quelque sorte bornés et n'iront pas dire: «Ceci est le traité fondamental; voici les traités secondaires, et voici les changements que nous n'aurions pas dû faire. Passons à la question essentielle.» La triste vérité est qu'un négociateur du MPO avait changé le libellé de la Convention sur le droit de la mer, fait qu'il m'a récemment admis.
Nous avons ainsi joué le jeu des habitants de l'Alaska, qui agissent comme si leur État était indépendant. Ils sont bien en avant du Kosovo. J'ai été le seul à dire cela, et je le suis encore. Je pense que David Anderson est un bon ministre et une bonne personne. Je le connais depuis bien des années, lorsqu'il était au contentieux et que j'étais son patron -- dans la mesure où quelqu'un a déjà été son patron. À l'époque, il était en congé chez lui à Victoria et a pensé que, puisqu'il y avait une élection, qu'il essaierait de se faire élire. Il était un rebelle à l'époque, mais j'ai bien travaillé avec lui parce qu'il voulait faire quelque chose à propos des superpétroliers qui passent en avant de l'endroit où je vis.
Il n'a pas gagné cette élection-là, mais il a vraiment essayé, et il est maintenant forcé de devenir un joueur d'équipe. Cette chose n'a essentiellement pas changé. Quelqu'un doit avoir le courage de dire ce qui doit être dit, et il ne s'agit habituellement pas d'un fonctionnaire.
Je pense que, pour la question du saumon, nous n'avons pas fait valoir nos meilleurs arguments. Comment pouvons-nous invoquer la Convention sur le droit de la mer pour une espèce en particulier lorsque nous n'avons pas ratifié la Convention? Les Américains peuvent faire ce qu'ils veulent pour l'aquaculture, puisqu'ils ne l'ont pas ratifiée non plus. Ils nous ont attirés et nous ont trompés. On est ravi maintenant sur la côte Ouest qu'ils aient nommé un poids lourd pour négocier avec nous. Nous croyons que cela montre qu'ils parlent sérieusement. Je connais Lloyd Cutler. Il prend la chose au sérieux; il n'est pas porté sur la facilité.
Les choses ne vont pas changer sauf si nous revenons à ce que nous avions lorsque je participais à l'affaire, nommément une approche collégiale, une approche interministérielle et un président qui relève du président d'un comité du Cabinet; alors, nous sommes forcés de résoudre les problèmes. Ne comptez pas sur une délégation qui travaille dur pour réussir les choses qui sont à la base de tout. Les Américains étaient nos alliés sur la question du saumon, comme les Russes, les Britanniques et les Irlandais. Nous avons livré un bon combat et nous avons gagné; nous nous sommes ensuite tournés vers le MPO, et il a gâché toute l'affaire. Tout le monde peut faire des erreurs, mais faut-il les répéter? Il faut vraiment le faire exprès. Il ne s'agit pas d'erreur de gestion des pêches; ce sont des erreurs de jugement. Ces gens devraient savoir les éviter.
J'ai travaillé avec les gens du MPO et je les engagerais demain, surtout des gens comme Earl Wiseman, quand il se rappelait encore mon nom. Cependant, la semaine dernière, il l'a oublié. Je pense qu'ils lui ont dit de ne pas parler de moi. Earl est un homme intègre. Je ne peux que me demander comment il a pu mettre son nom sur de telles foutaises.
Ils ont réellement produit ce qu'ils désignent comme le projet de loi initial sur tout ce qui concerne le droit de la mer. Les pauvres, ils n'ont même pas remarqué qu'on avait inscrit la mention Convention sur le droit de la mer dans les notes marginales. Ils ont retiré cette mention lorsque je la leur ai fait remarquer. Cependant, ils ont toujours revendiqué la souveraineté sur l'espace aérien situé au-dessus de la zone contiguë, ce qui est totalement illégal. Il m'a fallu environ six mois pour corriger cela.
Le problème, c'est que les fonctionnaires ont peur d'admettre une erreur. J'en ai certainement commis beaucoup -- il y avait toujours beaucoup de gens pour me les faire remarquer.
Nous devons repenser notre façon d'examiner les problèmes. Ne parlons pas seulement des tueries qui ont eu lieu au sud de la frontière ou en Alberta. S'il n'y a pas de fondement éthique pour notre politique étrangère, où le trouvera-t-on?
Le sénateur Robichaud: Je voulais vous dire que Earl Wiseman connaît Alan Beesley, parce qu'il est avec nous, ici, et qu'il écoute votre témoignage.
M. Beesley: Je le savais.
Le sénateur Robichaud: Je voulais être sûr qu'il se souvient de votre nom. Je suis sûr qu'il s'en souvient.
Le président: L'État de l'Alaska a invoqué le principe du pâturage, qui lui donne le droit légal de capturer du saumon de la Colombie-Britannique en raison du temps qu'il a passé durant sa vie dans ce qui est considéré comme des eaux américaines. Je crois comprendre que l'État de l'Alaska est celui qui propose cette mesure. Cet argument est-il défendable?
M. Beesley: Absolument pas. Il a tout autant de mérite que ce que vous trouvez sur le sol du pâturage une fois que les moutons s'en sont allés. Croyez-moi, c'est de la bouillie pour les moutons. Cet argument est si fallacieux qu'il était une blague jusqu'à ce que les Canadiens commencent à le prendre au sérieux et qu'ils disent: «Nous n'avons pas examiné les documents, mais nous ne pensons pas que cet argument soit valide.» Ce n'est pas la façon d'aborder la question. Vous n'avez pas à contester un tel argument, vous n'avez qu'à en rire. Sinon, les gens commencent à vous le seriner sans cesse. J'en ai entendu parler le premier jour. Une personne que je ne nommerai pas, mais qui a déjà été ministre des pêches, était responsable, et l'un de ses subalternes est venu me voir, tandis que nous étions dans la même pièce pour une autre conférence, et je me suis mis à rire. Croyez-moi, je riais de bon coeur. J'ai laissé échapper un mot grossier qui voulait dire que tout ça était de la foutaise, et j'ai demandé combien de pays pouvaient invoquer des droits de pâturage. «Vous mettez-vous à suivre le saumon, comme ils le font maintenant pour la rondelle de hockey? Vous mettez un petit point rouge dessus et, chaque fois que l'animal traverse la frontière de l'État, vous renoncez à vos droits de pâturage?» Quel argument illogique!
Quoi qu'il en soit, le droit, le seul droit, la Convention sur le droit de la mer, ne dit rien de la sorte. Nous nous sommes battus pour la faire adopter, comme l'ont fait les États-Unis, qui comprenaient l'Alaska à l'époque, comme l'ont fait les Russes, les Irlandais et les Britanniques.
Pour répondre à votre question plus sérieusement, il est encore tellement illogique que le seul crédit qui ait été accordé, c'est le sérieux avec lequel le Canada a répondu. Il y a bien des façons d'être un bon diplomate, et l'une d'entre elles consiste à rire d'une chose de bon coeur. Les Russes ont toujours utilisé ce truc. S'ils n'ont pas de proverbe adéquat, ils en inventent une.
Je me suis réellement engagé dans cette question. Ce qui m'a troublé, c'est que les gens adoraient ce que je disais ou écrivais, mais alors ils disaient: «On reconnaît bien là monsieur Beesley.»
La Convention sur le droit de la mer est un document intimidant. Quoi qu'il en soit, lorsque j'étais président du comité de rédaction, nous l'avons passé en revue une ligne après l'autre et y avons apporté 7 000 corrections. La plupart d'entre elles étaient accessoires, mais vous n'apportez pas de changement sans raison valable. Je trouve que de nos jours, les gens fonctionnent à l'instinct. Peut-être qu'ils ne vont plus à l'école; ils arrivent dans un ministère et commencent à s'ouvrir le clapet.
Le sénateur Stewart: Je me rappelle d'une fois où je discutais avec le sénateur Eugène Forsey, et il me disait: «Vous savez, les avocats de la Cour suprême du Canada ne savent rien du droit constitutionnel, parce que cette branche du droit n'est pas importante en pratique privée.»
«Ils peuvent être de bons avocats criminalistes ou s'y connaître en droit commercial, et ainsi de suite, mais ils n'ont aucune expérience pratique de l'interprétation de la Constitution.»
Quel est l'état de nos connaissances du droit international au Canada? Est-ce un domaine qui est suffisamment rentable pour attirer de jeunes avocats qui espèrent gagner leur vie?
M. Beesley: Tout d'abord, nous avons certains des meilleurs avocats du droit international au monde. L'un d'eux est Ron McDonald. Fait typique, il vient de Halifax, une des villes qui exportent le plus de cerveaux. Il a traversé l'Atlantique et ils l'ont créé juge d'une cour européenne, parce qu'il était en tous points excellent. Il vient tout juste de prendre sa retraite. Un autre, c'est Don McRae, que nous avons emprunté ou volé de la Nouvelle-Zélande.
Je pourrais vous nommer une foule de personnes prestigieuses, et est-ce qu'elles gagnent leur vie avec ça? Bien sûr que non. Pire encore, et je dis cela à titre personnel, la plupart des avocats ne prennent pas le droit international au sérieux. Certains juges n'admettent même pas qu'il existe. C'est une question difficile. Quoi qu'il en soit, le droit international est important. Sans lui, nous serions tous plongés dans des problèmes, surtout les pays qui ont relativement peu de pouvoir comme le Canada. Nous avons besoin, plus que quiconque, de la règle de droit, et lorsque nous la dénigrons, ce qui arrive à l'occasion, et que nous commençons à couvrir les choses, nous rendons réellement un bien mauvais service à la règle de droit.
Je dois dire que j'aime votre question, parce que presque toutes les autres branches du droit sont plus rémunératrices.
J'ai réalisé une étude pour le compte du Sierra Legal Defence Fund, dont je suis administrateur. J'ai consacré beaucoup de temps à analyser quatre conventions internationales et à les appliquer à une situation très controversée, l'affaire du détroit de Clayoquot. J'en étais arrivé à la conclusion que le Canada commettait une infraction au droit international et que ces questions devaient être débattues devant la Cour suprême du Canada. Elles ne l'ont pas été. L'avocat qui faisait la plus grande part du travail pour le Sierra Legal Defence Fund -- un homme que j'admire beaucoup et dont l'intégrité ne fait aucun doute -- m'a finalement dit qu'il ne croyait pas réellement au droit international. Alors nous ne nous sommes pas dépêchés.
Je me rappelle, par exemple, que lorsqu'il y a eu un conflit sur les droits miniers au large des côtes entre le gouvernement du Canada, la Couronne du chef du Canada et la Colombie-Britannique, j'ai rédigé des articles dans des revues savantes dans l'espoir que les juges les lisent et qu'ils y trouvent quelques points de droit. C'est toujours un problème grave.
Cependant, savez-vous qui prend le droit international au sérieux? Vous mêmes. D'après mon expérience, le Centre parlementaire, avec Peter Dobell, prend le droit international au sérieux. J'ai toujours pu bénéficier d'une oreille attentive de la part des députés et des sénateurs. J'ai constaté que les gens qui ont pour fonction de créer les lois ont tendance à regarder un peu plus loin que le bout de leur nez. Je ne peux pas généraliser, mais j'aimerais que mon fils fasse une carrière en droit international. Cependant, lorsque je lui ai suggéré cela, il m'a répondu: «Mais papa, il faut bien que je gagne ma vie.» Et il a raison.
Le président: J'aimerais remercier M. Beesley d'être venu nous parler ce soir.
J'aimerais aussi remercier MM. Barry et Sanger de nous avoir fait part de leurs expériences ce soir et de nous avoir permis d'élargir nos connaissances.
M. Beesley: Monsieur le président, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité. J'en ai été honoré. Je vous remercie également d'avoir eu la courtoisie de m'écouter. Ce n'était pas seulement flatteur. C'était rassurant.
La séance est levée.