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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 2 juin 1999

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 15 h 50 pour examiner le Budget des dépenses du ministère des Pêches et des Océans pour l'exercice se terminant le 31 mars 1998 (Rapport sur les plans et les priorités et Rapport sur le rendement) ainsi que d'autres questions se rapportant à l'industrie de la pêche et pour en faire rapport.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous recevons cet après-midi l'honorable David Anderson et un certain nombre de ses collègues qu'il nous présentera plus tard.

Je dois tout d'abord m'occuper d'une petite question de régie interne. Je crois que le sénateur Mahovlich a une motion à présenter.

Le sénateur Mahovlich: Je propose que le document «Réponse de Pêches et Océans au Rapport du Comité sénatorial permanent des Pêches: Privatisation et allocation de quotas dans les pêches canadiennes» daté du 14 avril 1999, soit imprimé en annexe aux délibérations de ce jour.

Le président: Y a-t-il quelqu'un pour appuyer la motion?

Le sénateur Meighen: J'appuie la motion.

Le président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: Adoptée.

Au nom des membres du comité, ministre Anderson, je vous remercie une fois de plus de prendre le temps de comparaître devant nous, en dépit de votre horaire très chargé. Nous vous en savons gré. La réunion de cet après-midi portera surtout sur des questions qui découlent de notre rapport de décembre sur l'allocation des quotas dans les pêches canadiennes et certaines de nos questions feront écho à la réponse à nos recommandations. Je crois comprendre, monsieur le ministre, que vous avez une déclaration liminaire. Nous vous poseront ensuite des questions.

M. David Anderson, ministre des Pêches et des Océans: Monsieur le président, merci de m'avoir invité à comparaître devant vous. J'ai beaucoup aimé notre dernière réunion et j'attendais celle-ci avec impatience. S'il reste des questions, je serai heureux de revenir. C'est un plaisir d'être à nouveau devant vous. Comme vous le savez, lorsque j'ai comparu devant le comité, en avril dernier, vous n'aviez pas eu le temps d'étudier la réponse du gouvernement à votre rapport. Je suis donc accompagné aujourd'hui de plusieurs membres de l'équipe de direction du ministère des Pêches et des Océans qui vont m'aider à répondre à vos questions.

Avant cela, toutefois, j'aimerais vous expliquer comment nous en sommes venus à la situation actuelle dans les pêches et vous dire, je l'espère, vous dire un ou deux mots sur la direction que nous suivons. De toute évidence nous savons tous très bien qu'au Canada Atlantique et, il va sans dire, dans les régions maritimes du Québec, la pêche a été, pendant des générations, le fondement de tout un mode de vie. Puis, au début des années 90, s'est produit l'effondrement généralisé des stocks de poissons de fond de l'Atlantique. Un certain nombre de facteurs ont contribué à ce déclin, notamment la surpêche par les navires tant étrangers que canadiens et les changements dans les conditions de l'océan. Mais, ce n'était pas les seules causes de l'effondrement et je crois que nous devons accepter une certaine responsabilité.

J'ai mentionné la surpêche par les navires canadiens, certaines pratiques de pêche qui ont entraîné le gaspillage et la destruction des stocks ainsi que l'augmentation excessive de la capacité de pêche en cette période optimiste des années 70 lorsque nous avons obtenu cette limite de 200 miles. Nous avions tout simplement trop de bateaux qui pêchaient une ressource trop rare.

Pour parler brièvement de la côte Ouest, les stocks de coho et d'autres espèces de saumon ont aussi subi les affres de la surpêche, de la détérioration de l'habitat et de la variation des conditions de l'océan. J'ajouterais aussi que notre incapacité à conclure avec nos voisins du Sud des ententes sages en matière de conservation a constitué un autre facteur.

[Français]

Ces facteurs ont eu des effets dévastateurs, mais ils nous ont aussi lancé un signal d'alarme. Ils nous ont démontré que le statu quo n'avait plus sa place. Le MPO a réagi à ce signal d'alarme, et l'industrie également. Nous travaillons ensemble au développement d'une pêche qui soit durable sur le plan écologique, viable sur le plan économique et capable de s'adapter à elle-même.

Nous avons modifié de fond en comble notre approche de la gestion des ressources. La conservation passe avant tout et nous n'allons pas la sacrifier au bénéfice d'autres objectifs. Cela signifie que ceux qui voudront pêcher ne pourront pas tous le faire. Nous ne pouvons pas nous servir de la pêche comme d'un instrument de création d'emploi si nous voulons qu'il reste une pêche à exploiter.

[Traduction]

Des mesures de restructuration comme la réforme de la politique de délivrance des permis, des programmes de retraits de permis et des programmes de retraits anticipés ont eu un effet positif pour mettre en équilibre la capacité de pêche avec l'abondance de la ressource. À long terme, cela va procurer plus de stabilité et de sécurité à ceux qui continueront de compter sur la pêche pour gagner leur vie.

Nous travaillons aussi de concert avec l'industrie afin de donner aux personnes oeuvrant dans le secteur un rôle à jouer dans sa gestion. Nous aurons ainsi une pêche de l'avenir qui sera capable de s'ajuster d'elle-même, une pêche à qui l'on aura donné la capacité de maintenir à long terme un juste équilibre entre la capacité de prise et l'abondance de la ressource.

La cogestion est l'un des moyens que nous employons à cet effet. Environ 30 p. 100 des 140 pêches principales au Canada sont gérées selon l'approche de cogestion, complétée par les quotas individuels, c'est-à-dire les QI.

Les QI ne sont pas parfaits. Ils ne sont pas une panacée. Ils ne conviennent pas forcément à tous. Souvent, toutefois, le régime de QI s'est révélé utile pour éliminer bon nombre des problèmes qui se posaient dans les pêches concurrentielles -- des problèmes comme la mentalité de la ruée vers le poisson, la surcapitalisation, la médiocrité des contrôles de la qualité et la tendance à négliger la sécurité en mer. La cogestion donne aux intervenants une responsabilité accrue et les engage dans le processus de la prise de décisions relatives au fonctionnement de l'industrie de la pêche. Voilà qui concorde avec les recommandations du comité indépendant d'étude du partenariat que j'ai formé l'automne dernier.

Dans son rapport, déposé en décembre, le comité a constaté qu'il serait prématuré pour l'instant de fixer un cadre législatif pour régir le partenariat en vertu d'une Loi sur les pêches revue et corrigée. Du même coup, par contre, le comité a pressé le gouvernement fédéral de poursuivre ses initiatives de cogestion.

J'ai accepté les recommandations du comité et je n'ai pas l'intention, pour l'instant, de proposer une refonte en profondeur de la Loi sur les pêches. Je vais plutôt me concentrer sur l'élaboration d'un cadre politique qui nous aidera à réaliser notre objectif, soit de développer les pêches de l'avenir. Cette décision a été bien reçue par mes homologues provinciaux lors de la réunion des ministres des Pêches à Québec, le 12 avril dernier, ainsi que par l'industrie.

Monsieur le président, je tiens à remercier le comité encore une fois pour son travail considérable et le rapport qu'il a produit sur la privatisation et l'attribution des quotas dans les pêches canadiennes.

[Français]

Nous avons tiré une dure leçon de l'effondrement des stocks de poisson de fond de l'Atlantique et du déclin de certains stocks du saumon du Pacifique. Nous comprenons que nous devons nous adapter et apporter des changements à notre façon de faire. À cette fin, nous reconnaissons qu'il faudra continuer de travailler en contact étroit avec les autres gouvernements, les groupements de l'industrie, les Premières Nations, les collectivités côtières, les pêcheurs ainsi qu'avec les intervenants afin d'assurer un avenir à nos océans et aux ressources halieutiques.

[Traduction]

Vos travaux, monsieur le président et membres du comité, nous serons d'une grande utilité dans la révision des politiques que nous avons entreprise pour répondre à ces impératifs.

Le président: J'ai plusieurs questions à vous poser, mais je vais d'abord laisser la parole à mes collègues. Sénateur Adams, avez-vous des questions à poser pour lancer le débat?

Le sénateur Adams: Vous avez dit que vous aviez trop de navires et trop de pêcheurs. Croyez-vous qu'il faudra réduire la pêche? Comment vous y prendrez-vous?

M. Anderson: Certes, sénateur Adams. Par exemple, le nombre de navires enregistrés au Canada en 1988, une année de pointe, a atteint 86 367. En 1997, c'est-à-dire la dernière année pour laquelle je dispose de données complètes, le nombre a baissé de 23 p. 100 pour s'établir à 66 259. Comme vous le savez, sénateur, le 19 juin 1998, j'ai annoncé d'autres mesures de réduction de la flottille, de sorte que la baisse sera encore plus marquée cette fois. La flottille a sensiblement diminué.

Le sénateur Adams: Nous avons entendu certains témoins nous dire que les quotas sont réduits parce que vous souhaitez exercer plus de contrôle, étant donné la grosseur des flottilles. Y a-t-il trop de navires ou souhaitez-vous réduire les quotas de manière à ménager les ressources pour l'avenir?

M. Anderson: Il faudrait certes préciser que le nombre de titulaires de permis de pêche de poissons de fond a reculé, passant d'environ 17 000 en 1992, quand le ministre Crosbie a pour la première fois pris des mesures de contrôle du poisson de fond, à 11 000 cette année. À nouveau, il y a une baisse de 6 000. Quant à la réduction du nombre de navires et de pêcheurs, cela n'affecte pas le total réel de prises admissibles, c'est-à-dire le TPA. En d'autres mots, un nombre inférieur de pêcheurs fait plus de prises. Le quota ne disparaît pas simplement. Le total de prises admissibles est maintenu, de sorte qu'un nombre réduit de pêcheurs se partagent les prises. Bien sûr, le TPA variera, mais en fonction des enjeux de la conservation, plutôt que du nombre de pêcheurs.

Le sénateur Adams: Vous avez mentionné le saumon de la côte ouest. En quoi le régime est-il différent sur la côte ouest et sur la côte est en ce qui concerne le saumon et le poisson de fond?

M. Anderson: De nombreux pêcheurs de saumon détiennent un permis de pêche d'autres espèces sur la côte ouest. Mon premier emploi était dans une usine de transformation de poisson. J'avais 16 ans. Je connais donc bien l'industrie et je crois que la plupart des pêcheurs de saumon ne pêchent que le saumon. C'est une supposition, évidemment. Nous avons à nouveau considérablement réduit le nombre de pêcheurs sur la côte ouest.

Nous avons accepté 746 des offres qui nous ont été faites, ce qui représente une réduction de 23 p. 100. Cette réduction s'est appliquée à toutes les zones de la flottille. La même flottille a été réduite de 27 p. 100, et le prix moyen des permis était d'environ 450 000 $. La flottille de pêche au filet maillant a été réduite de 20 p. 100, et le prix moyen de ce permis était, je crois, d'environ 86 000 $. Le nombre de navires de pêche à la traîne a été réduit du quart. Le comité de pêcheurs chargé de gérer le plan de réduction a décidé où seraient effectuées les réductions. Je souligne à nouveau que ces réductions sont toutes facultatives. Ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui décident s'ils veulent profiter du programme. Ils soumettent une offre et, si leur offre est raisonnable, elle peut être acceptée. Si elle est trop élevée, de toute évidence, elle sera rejetée.

Le sénateur Mahovlich: Vous avez dit qu'environ 30 p. 100 des 140 principales pêcheries du Canada sont exploitées en fonction du principe de cogestion. Pourquoi 30 p. 100 seulement?

M. Anderson: Je laisse à M. Robichaud le soin de répondre à cette question. Toutefois, l'une des raisons, c'est que nous mettons la pédale douce. Par exemple, nous insistons pour que 60 p. 100 des pêcheurs de la flottille aient demandé des quotas individuels avant d'appliquer l'approche de cogestion. Bien que les quotas individuels aient leurs avantages, nous faisons en sorte que ceux qui ne les connaissent pas sont d'accord avec le principe des quotas individuels pour des raisons idéologiques ou autres et qu'ils n'ont pas l'impression de se faire imposer cette approche. Toutefois, Jacque Robichaud pourrait peut-être vous en dire quelques mots.

M. Jacque Robichaud, directeur général, direction générale de la gestion des pêches, ministère des Pêches et des Océans: La cogestion est une nouvelle approche qui a évolué au cours des trois dernières années. Le programme des quotas individuels existe depuis pas mal de temps. Les quotas individuels ne sont pas forcément une condition préalable à la cogestion.

La cogestion est une approche facultative dans le cadre de laquelle celui qui détient un enjeu, le pêcheur, souhaite participer à l'établissement des objectifs du plan de gestion, prendre des décisions et assumer certaines responsabilités. C'est un programme facultatif qui n'est exécuté qu'à titre de projet pilote. Comme l'a indiqué le ministre, pour l'instant, 30 p. 100 seulement des pêcheries sont exploitées ainsi, mais nous sommes ouverts à l'idée d'augmenter le pourcentage. Il faut du temps pour le faire, et il y a des limites à ce qu'on peut faire d'un coup.

Le sénateur Mahovlich: Nous allons privilégier une autogestion accrue.

M. Robichaud: Oui. Il y en aura plus. Tous les trois ou quatre mois, leur nombre augmente.

Le sénateur Meighen: Quand vous parlez de cogestion, cela inclut-il la cogestion par la collectivité ou est-ce la forme que prend la cogestion essentiellement?

M. Robichaud: Selon nous, il y aurait moyen de faire de la cogestion au niveau de la collectivité. Des titulaires de permis de la collectivité pourraient décider de se regrouper en deux ou trois flottilles différentes et de se doter d'une approche commune. Par exemple, c'est ce qui se produit dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Les flottilles ne sont pas forcément visées par une entente de cogestion, mais je peux en concevoir la possibilité. Un véritable exemple de cogestion est la pêcherie de homard de Eastport, au large de la côte de Terre-Neuve, où les titulaires de permis se sont regroupés dans le cadre d'une entente de cogestion visant à conserver les homards et, par conséquent, leur gagne-pain. C'est un exemple, mais en règle générale ce sont les flottilles ou une flottille de titulaires de permis regroupés qui s'assoient à la même table et décident d'en assumer la responsabilité.

Le sénateur Meighen: Vous parlez d'une flottille par opposition à quoi?

M. Robichaud: Je parle d'une flottille par opposition à la collectivité.

Le sénateur Meighen: Le ministère a-t-il une opinion au sujet de la cogestion au niveau de la collectivité ou faites-vous l'étude au cas par cas, comme vous venez de le mentionner dans votre exemple de Terre-Neuve?

M. Robichaud: Il s'agit d'une approche facultative. Si la collectivité ou le groupe de pêcheurs qui y habitent le souhaite, nous l'adopterions certes. Toutefois, pour l'instant, il faut que le ministère traite surtout avec le détenteur de permis parce que c'est à lui que le ministre consent des droits de pêche. Les titulaires de permis peuvent se regrouper au sein de la collectivité. Nous serions très réceptifs à une pareille idée.

Le sénateur Cook: Je suis en train d'examiner les recommandations et la réponse qui y est faite. Je n'arrive pas à comprendre. Par exemple, examinons le deuxième paragraphe.

M. Anderson: Oui. Je comprends votre dilemme et je le partage. Une des difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises est la diversité des pêches au Canada et les différents contextes historiques. On ne peut tout simplement pas mettre sur un même pied certaines collectivités autochtones de la côte ouest du Canada, dans l'île de Vancouver par exemple, et certaines collectivités qui ne se trouvent pas très loin et qui ont une base strictement industrielle. Il y a là une distinction. Il existe une stratégie de pêche autochtone qui comporte des variantes.

De la même façon, sur la côte est, la pêche est une pêche très sociale dans certaines régions, de sorte qu'il serait extrêmement difficile d'en faire ce qu'un homme d'affaires estimerait être une véritable pêche commerciale. Nous insistons toutefois sur une approche plus industrielle et nous sommes en train de faire la transition.

Par là, j'entends que, pour maximiser le taux de rendement des pêcheurs, il faut pouvoir garantir du poisson aux fournisseurs. Il faut pouvoir garantir la qualité du poisson. Il faut pouvoir garantir les livraisons tout au long d'une certaine période. C'est pourquoi les QI intéressent tant certains pêcheurs, parce qu'ils améliorent considérablement leurs revenus.

Si nous souhaitons augmenter le revenu des pêcheurs, il faut faire en sorte qu'une partie des 2,2 milliards de dollars qui affluent dans les collectivités côtières, en termes de valeur des exportations, y demeure. Il faut les doter d'une base industrielle sensée. On ne peut plus simplement faire sécher la morue, la mettre en paquets et la traiter comme une marchandise, au même titre que des copeaux de bois. Ce n'est tout simplement pas possible quand le produit est destiné à des restaurants haut de gamme.

M. Decker, un pêcheur extrêmement intelligent à l'esprit très fin de la côte nord de Terre-Neuve, me disait qu'auparavant, il prenait 60 000 tonnes de morue. À son avis, si le total atteignait 20 000 tonnes à nouveau, leur revenu serait probablement tout aussi élevé en raison du changement survenu sur le marché. Cela exige une certaine structure industrielle. On ne peut pas simplement aller là-bas et continuer de faire ce qu'on faisait. Les pêches haut de gamme peuvent rapporter beaucoup d'argent. Ainsi, Pangnirtung, au Nunavut, fait une pêche très efficace, mais il ne peut tout simplement pas livrer concurrence. L'écart de prix par rapport aux prises du Sud débarquées à Halifax ou dans une autre ville du Sud est d'environ 20 à 30 p. 100.

Les pêches du Nord peuvent rivaliser si elles livrent à des restaurants qui annoncent du «poisson pêché au nord du cercle polaire», du «poisson provenant des eaux les plus froides du monde» ou, encore, «de la fine cuisine». Le plat principal qui coûte 20 $ peut-être monte à 22 $. Vous avez alors un marché et une exploitation commercialement viables.

Si ces gens se contentaient de simplement produire du poisson de faible valeur, soit une pêche de subsistance, ils détruiraient l'économie qu'ils sont en train de construire. Nous mettons l'accent sur le poisson de qualité supérieure, mais nous refusons de le faire à toute vapeur. Nous reconnaissons qu'il existe des régions au pays où il n'est pas possible de faire cette transition.

Le sénateur Cook: Avec un peu de chance, votre nouveau cadre politique pourrait aider à s'orienter vers ce genre de collectivité et à tout mettre en place pour pratiquer cette pêche.

M. Anderson: Nous le faisons certes constamment dans tous nos programmes de pêche. Nous rencontrerons de la résistance. Par exemple, les QI offrent certains avantages, et je souligne que la question de la sécurité en est un très important, mais il existe des gens qui n'y croient tout simplement pas; ce sont des partisans de la pêche concurrentielle et ils croient être les meilleurs pêcheurs. C'est une question d'idéologie, et nous déployons des efforts en vue d'adopter une approche plus commercialisée, fondée sur les quotas individuels, mais nous le faisons en douceur. Nous nous efforçons vraiment de ne pas imposer cette approche, mais quand il y a autant de gens qui sont aussi pauvres, le dilemme est de trouver d'autres solutions.

Le président: Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que nous nous souvenons tous qu'au Canada Atlantique, la pêche a été, pendant des générations, le fondement de tout un mode de vie. J'insiste sur le verbe «a été». D'après vos observations, on veut maintenant mettre l'accent sur la valeur ajoutée plutôt que sur la morue salée, par exemple, qui est une denrée. Manifestement, quelque part à Ottawa, il a été décidé que ce mode de vie n'était plus viable. Vous allez donc imposer vos valeurs aux collectivités côtières, contre vents et marées. Vous allez décider ce qui convient ou non à ces communautés. C'est ce qui semble se passer, même si j'exagère un peu.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Bon nombre des collectivités du Canada Atlantique dépendent de l'exploitation forestière, de la pêche, du tourisme, de l'exploitation minière et de l'agriculture. Chacun de ces secteurs de l'économie est important, mais le Canada Atlantique n'a pas des ressources économiques illimitées, comme on en trouverait dans une grande ville urbaine. Depuis des générations, quand un secteur battait de l'aile, les habitants se dirigeaient vers un autre; d'exploitants forestiers, ils devenaient pêcheurs ou agents touristiques, et voilà que vous supprimez l'un des principaux secteurs pour ces communautés côtières. Vous dites: «Cela ne fait plus partie du mode de vie de la communauté. Nous avons pris une décision, ici à Ottawa, et il vous faudra l'accepter».

Êtes-vous sûrs que c'est ainsi que nous devrions procéder? Permettez-moi de vous donner un exemple de ce que nous faisons lorsque nous envoyons des travailleurs sociaux en Afrique. D'entrée de jeu, nous leur disons: «N'imposez pas les valeurs canadiennes à la population locale, respectez leur mode de vie. Soyez sensibles au contexte historique, social et culturel de cette communauté». Cependant, on fait ici exactement le contraire de ce que nous disons à nos représentants de faire à l'étranger. Pourquoi faire cela au Canada alors que nous ne nous permettons pas de le faire dans d'autres pays? J'aimerais avoir vos commentaires. À mon avis, cela va au coeur de la réflexion du comité, et si j'en juge certains de vos propos en réponse au sénateur Cook, je pense que nous sommes aux deux extrêmes de l'opinion dans ce dossier.

M. Anderson: Je pense que ce sont les changements survenus dans la ressource qui ont motivé les changements, et non pas une décision ministérielle qu'aurait prise M. Crosbie, ou n'importe quel autre de ses successeurs ou moi-même. Vous avez donné un exemple intéressant en parlant d'une communauté fondée sur une économie mixte et nous ne voulons aucunement modifier cela à son détriment.

Cependant, j'estime que l'idée de maximiser le revenu de la collectivité est embrassée par la majorité des habitants de la communauté. Il ne s'agit pas d'essayer de détruire leur approche; il s'agit de les rendre plus aptes à maintenir un niveau de vie qui a été durement touché par le déclin des stocks. Par conséquent, il ne s'agit pas d'imposer quoi que ce soit aux habitants.

Ainsi, les stocks de morue du Nord, qui se chiffraient à 70 000 tonnes, s'établissent cette année à 7 500 tonnes, et les gens se réjouissent que le niveau soit si élevé. Cela représente environ un dixième de ce qu'il était. Le niveau de la partie sud du Golfe est en baisse encore une fois; c'est ce qu'on a annoncé hier. Il se situe à un dixième de ce qu'il était.

Le ministère n'a pas imposé ces changements aux citoyens. Si nous avions continué à pêcher comme nous le faisions dans le passé, avec le même nombre de pêcheurs, je peux vous garantir que ces pêcheurs toucheraient tous moins d'un dixième du revenu qu'ils touchaient auparavant. Car bien entendu, le coût demeure le même, même s'il n'y a qu'un dixième du poisson à pêcher. Ces changements ont été dictés par des circonstances indépendantes de ma volonté, et notre mission maintenant est de faire en sorte qu'en collaboration avec les autres ministères du gouvernement, et en particulier celui de l'Expansion économique régionale, nous soutenions ces communautés en rendant le secteur à tout le moins viable et en en faisant une source de revenu raisonnable pour les personnes dont vous avez parlé. À défaut d'apporter certains changements, nous savons que le secteur ne générera aucun revenu pour les résidents des communautés côtières, qui seront essentiellement pauvres, en tout cas, pour ce qui est du revenu tiré de la pêche.

Voilà la dure réalité à laquelle nous faisons face. Il y a certaines limites. Comme je m'adresse à des politiciens d'expérience, je n'ai pas besoin de souligner que les hiérarchies gouvernementales, dans différents gouvernements, jouent des rôles différents. Notre mandat vise les pêches, mais nous collaborons néanmoins étroitement avec Ressources humaines et en particulier, avec les organismes de développement économique régional pour favoriser un déplacement des efforts vers le tourisme.

Dans une région de la Colombie-Britannique, par exemple, les visiteurs viennent pour voir le poisson. Ils ne le pêchent même pas. L'expansion de la pêche sportive génère davantage de revenus pour la collectivité et tue moins de poisson que la pêche commerciale. Nous avons vivement essayé d'élargir ce type d'initiative.

Je ne prétend pas que nous avons résolu les problèmes de ces collectivités. C'est un problème très ardu. Il est très important que les Canadiens comprennent qu'avec un revenu aussi réduit, le gouvernement doit jouer un rôle de soutien.

Ainsi, en France, le gouvernement a décidé qu'il allait consentir des subventions très généreuses pour garder à tout le moins certains habitants sur la terre. Ils l'ont fait à un coût très lourd, mais il s'agit là d'un objectif social légitime. Nous n'avons jamais vraiment défini aussi clairement ce que nous essayons de faire pour ces communautés côtières. Je peux vous dire, cependant, que leurs résidents ne peuvent revenir à leurs anciennes méthodes d'exploitation des ressources halieutiques sans essentiellement détruire cette ressource.

Le président: Je ne pense pas que vous ayez compris mon argument, mais nous y reviendrons plus tard.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Ce que vous venez de dire en réponse à la question du président me plaît et j'y reviendrai. Cependant, il y a autre chose qui me plaît moins et que j'aimerais partager avec vous. Cela concerne la neuvième recommandation de notre rapport, à savoir que le ministère des Pêches et des Océans répartisse plus équitablement la ressource afin que les petits pêcheurs puissent partager les fruits de leur pêche.

Chez nous, la ressource est assez limitée. Vous me direz probablement que celle que je vais mentionner n'est pas aussi abondante qu'on le croit, c'est-à-dire le crabe des neiges. Cela dépend des chiffres employés. Si on emploie le chiffre de 500 000 $ par année pour assurer les gros pêcheurs, je ne suis pas d'accord. Tandis que les autres, les côtiers, se partagent le homard.

Cette année, le hareng n'apparaît pas en aussi grande quantité que les années passées. Vous venez d'annoncer la fermeture de la pêche aux pétoncles dans notre zone à cause d'une situation désastreuse. On ne connaît pas vraiment les causes, l'une est probablement la surpêche, mais il y a aussi les effets de la construction du pont de la Confédération qui se font sentir maintenant.

Pour revenir à cette pêche très lucrative du crabe des neiges, dans les années passées, une répartition a été faite sur une base temporaire, laquelle a prouvé être tout à fait formidable pour les pêcheurs côtiers. On ne semble pas trouver une formule pour permettre à ces pêcheurs, sur une base un peu plus permanente, de participer à cette pêche.

Je ne voudrais pas anéantir ceux qui sont déjà là, car ils ont connu un certain niveau de revenu considérable. Cependant, je crois fermement qu'il y aurait de la place pour que les petits pêcheurs puissent participer un peu plus à cette pêche. Dans la réponse à la recommandation numéro neuf, on dit qu'on va aller vérifier historiquement comment la pêche s'est effectuée, mais l'histoire nous dit qu'il y a 130 permis qui ont été livrés à des personnes qui ont profité exclusivement de cette ressource et qu'elles ont très bien fait. Si on se fie sur les précédents, cela ne changera pas. J'aimerais qu'on puisse briser cette tendance et permettre à plus de pêcheurs, non pas de tout aller chercher, mais au moins de participer un peu.

M. Anderson: Le vérificateur général nous a critiqués sévèrement parce qu'on se mêle trop souvent du domaine social et pas toujours du domaine des pêches. Du point de vue du crabe et des zones 12, c'est assez technique. Il est possible d'avoir un changement pour les petits pêcheurs. C'est toujours possible de partager, d'aller plus loin avec les permis de pêche et les quotas, mais la situation du crabe est un peu spéciale parce que nous sommes en train d'avoir un accord de cinq ans. Nous en sommes à la troisième année.

M. Robichaud: En premier lieu, lors de la politique de révision des permis de l'Atlantique, il a été retenu qu'on devrait, lorsque c'est possible, assurer un partage de la ressource. Cela permettrait aux gens d'avoir des activités diversifiées. Lorsqu'une des espèces chute, ils pourraient profiter d'une autre. D'ailleurs, les détenteurs de permis dans le sud du golfe, les pêcheurs bona fide ont une gamme de permis à leur disposition qui leur permettent une certaine diversité. Pour le poisson de fond par exemple, il n'y a que 6 000 tonnes métriques. Cela permet tout de même, après avoir finalisé les plans, une certaine diversité; outre le homard et le hareng qui, cette année, semblent être moins performants au printemps et ce, même si on a augmenté un peu le TPA.

Il est vrai aussi que lorsqu'on a amorcé l'approche de partage, on a identifié trois principes: respecter la conservation, maintenir la viabilité des pêcheurs réguliers et permettre temporairement un partage. Le ministre disait que le vérificateur général nous a critiqués de partager un peu trop souvent. On a souligné que cela était temporaire et basé sur certains barèmes. Le barème a été établi au début de l'entente à un revenu de 500 000 $. Cette entente approuvée par le ministre sera au stade de rediscussion cet automne et, de part et d'autre, on réévaluera ce barème. Comme le soulignait le sénateur Robichaud, ceci nous a permis un partage sur trois ans. Il est vrai que les deux dernières années, nous n'avons pas partagé la ressource dans le crabe, zone 12. Il appert maintenant qu'elle est en amélioration, donc c'est positif de ce côté.

Comme le disait le vérificateur général, le danger lorsque nous assurons une permanence dans le poisson de fond, comme en 1992, c'est de se retrouver avec quelque 17 000 détenteurs de permis. Lorsque vous imposez une certaine dépendance ou régularité, à un moment donné, il se produit une diminution dans la ressource et vous êtes pris avec ce nombre de personnes sous votre dépendance. C'est la préoccupation du vérificateur général. Nous avons rappelé, lors d'une session récente, que ce n'est qu'un partage temporaire et lorsque la ressource le permet et que le niveau à partager y est, nous pouvons assumer ce partage.

Le sénateur Robichaud: Cela fait plusieurs fois que vous nous donnez cette réponse. Cette année, les pêcheurs côtiers avaient demandé une zone où on retrouve normalement du crabe mousseux, qui est de valeur inférieure parce qu'il demande plus de transformation -- ce qui d'ailleurs ferait le bonheur des gens qui travaillent dans les usines de transformation. Ce crabe, c'est un phénomène naturel, il meurt tout simplement.

On n'a pas cru bon, même si c'était pour 100 pêcheurs, de les laisser aller dans une zone. Je préférerais qu'on leur accorde un quota permanent du quota global, 30 ou 35 p. 100 réparti entre 700 ou 800 pêcheurs, peut-être plus, de la côte du Nouveau-Brunswick, qui pourraient participer comme dans le passé par un tirage à la loterie. Ils étaient contents de cela.

On semble pris dans ce cadre où il ne faut toucher à rien. J'admets que dans le passé, il y a eu des démonstrations assez violentes. Il ne faudrait pas se laisser embarquer dans le piège que les détenteurs de permis nous ont tendu. C'est là où on se trouve actuellement.J'aimerais ouvrir les esprits pour trouver une façon d'y aller sans anéantir la pêche et l'amener dans un état critique. Le crabe se porte bien, il a un cycle normal. Dans ce cycle, on pourrait faire mieux.

Je reviens maintenant à ce que vous disiez tantôt. La ressource diminue. Il y a toujours un certain nombre de personnes dans les communautés qui en dépendent. Vous travaillez avec les autres ministères pour trouver des façons d'alléger les misères de ces communautés. Cela me plaît énormément. Dernièrement, on a commencé dans le détroit de Northumberland et sur la côte du Nouveau-Brunswick -- cela se faisait déjà aux Îles-de-la- Madeleine -- l'ensemencement du pétoncle. C'est un problème.Les pêcheurs ont commencé mais ils n'ont pas tous les fonds nécessaires. Ils y mettent du temps, leur bateau, et cetera. Les ministères du Développement des ressources humaines et des Pêches et des Océans ont contribué un peu, mais il faudrait en faire un peu plus. Vous dites que vous allez être ouvert. Personne n'a d'argent pour l'aquiculture en milieu marin. Est-ce que vous êtes en train de dire qu'on pourrait aller chercher des fonds en quelque part pour donner une chance à ces communautés de développer une ressource?

M. Anderson: Quand il y a une possibilité de développer les ressources, on est prêt à encourager cela. Nous avons des fonds spéciaux même pour le développement des nouvelles pêches. Nous faisons ce qu'on peut avec les fonds disponibles mais avec un budget bien réduit.

S'il y a des occasions favorables pour les pêcheurs avec des nouveaux poissons, on veut exploiter ces ressources. Les problèmes surviennent quelquefois au début de l'exploitation. Celle-ci devient parfois un marché fermé aux autres. C'est là où cela devient difficile.

En ce qui concerne le problème du crabe, surtout dans votre région, nos mains sont liées à cause de cet accord de cinq ans. On a essayé d'étudier, comme vous l'avez suggéré, une zone côtière. Malheureusement, il n'y avait pas assez d'appuis des autres secteurs. Ceux qui pouvaient en profiter étaient prêts à le faire. Ceux qui voyaient cela comme un défi ont refusé d'accepter une telle chose et nous avons décidé de ne pas procéder.

Le sénateur Robichaud: Si on me demandait de piger dans mon compte de banque, je dirais simplement non. C'est un peu ce qu'on demandait aux gens qui étaient là: voulez-vous partager? Ils ont répondu non.

M. Anderson: Il est toujours possible des faire des changements pour tel ou tel groupe. On peut toujours le faire. N'oubliez pas les groupes désavantagés. Pour les ressources halieutiques, il y en a très peu qui ne sont pas exploitées par tel ou tel pêcheur. Il n'est pas facile de changer les quotas d'un côté ou de l'autre.

Le sénateur Robichaud: Je ne dis pas que c'est facile, il n'y a rien dans les pêches qui est facile. Ce qu'on donne à quelqu'un, on le réduit à quelqu'un d'autre. J'essaie d'établir un peu d'équité dans le partage de cette ressource.

M. Anderson: Je sais bien que vous avez une connaissance très profonde de cette question. Lorsque M. Mifflin ou M. Tobin était ministre, vous étiez le secrétaire d'État qui prenait part aux décisions au sujet du crabe. Vous avez peut-être plus de connaissance des raisons de ces décisions. J'ai les mains liées pendant encore deux ans à cause des accords signés il y a trois ans.

Le sénateur Robichaud: L'accord McKenna?

M. Anderson: Vous étiez dans ce temps le ministre responsable. Je ne sais pas.

Le sénateur Robichaud: Non.

M. Anderson: Vous étiez près du ministre qui prenait la décision. Il est très difficile de changer un accord de cinq ans en plein milieu. Il n'y avait pas assez d'accords entre les différents secteurs et les provinces pour faire les changements désirés.

Le sénateur Robichaud: L'accord dont vous parlez a été signé dans des conditions difficiles où il était question de violence.

M. Anderson: C'est autre chose, quelquefois il y a des groupes qui gagnent avec des méthodes illégales ou à tout le moins inacceptables.

Le sénateur Robichaud: J'en conviens.

M. Anderson: Par exemple, l'occupation illégale d'un vaisseau pendant 11 jours en Gaspésie, l'occupation de tous les bureaux de pêche de la côte ouest de Terre-Neuve pendant une semaine ont profité à certains groupes.

[Traduction]

Le président: M. Robichaud a évoqué le fait que vous avez été critiqué par le vérificateur général pour avoir pris des décisions sociales. J'ai passé en revue le dernier rapport du vérificateur général et j'ai l'impression que le ministère ne s'est pas doté du mandat d'examiner les considérations sociales. Voilà pourquoi le vérificateur général a critiqué le ministère. En effet, ce dernier a pris des décisions relevant de la politique sociale, ce qu'il avait dit qu'il ne ferait pas. Je vous renvoie aux observations figurant dans le rapport du vérificateur général.

D'après lui, l'objectif du ministère est de nature économique, écologique et scientifique. Au début de la vérification, les représentants du ministère ont informé les vérificateurs que la conservation telle qu'elle se faisait en l'occurrence, visait l'aspect biologique de la pérennité et n'englobait pas d'enjeux sociaux et économiques plus larges. En outre, il est précisé que le ministère ne fait rapport ni au Parlement ni aux intervenants au sujet des répercussions des décisions de gestion de la pêche. Cela a été confirmé par un haut fonctionnaire du ministère devant le Comité des comptes publics. Le ministère a confirmé qu'il n'appuie pas l'idée prendre en compte des facteurs sociaux. Ce que vous reproche le vérificateur général, c'est de prendre dans les faits des décisions de nature sociale sans pour autant vouloir assumer cette responsabilité. N'est-ce pas là l'objet de ses critiques?

M. Anderson: Le vérificateur général a été très critique. Selon lui, nous devrions jouer un rôle plus restreint. Par ailleurs, sans vouloir critiquer le rapport, le fait est que nous consacrons beaucoup de temps à collaborer avec un autre ministère qui, lui, assume cet autre mandat. Parfois les mécanismes de prestations de service ne relèvent pas clairement d'un ministère ou de l'autre. J'estime que cet aspect n'a pas été exploré adéquatement dans le rapport. C'est sans doute notre faute car nous n'avons pas établi clairement qu'en fait, nous collaborons étroitement avec des ministères gouvernementaux qui ont davantage une orientation économique et sociale. J'ai bien peur de me lancer dans la critique moi aussi, mais je pense qu'il est extrêmement difficile de se laver les mains de l'aspect socio-économique et d'affirmer que nous sommes strictement préoccupés par le poisson, l'aspect scientifique, les limites totales, l'économie de la flotte, et cetera, et que nous ne nous soucions absolument pas du volet économique et social. Comme le comprendront sûrement la plupart des gens autour de la table, c'est trop exiger des politiciens. Il serait impossible d'écarter les préoccupations des communautés, tant sur le plan des politiques que de l'administration.

Le président: Nous sommes tout à fait d'accord avec vous, monsieur le ministre et je suis également d'accord avec le vérificateur général. Si vous agissez en ce sens, il faut l'énoncer. C'est l'une des recommandations de notre rapport. Il faut commencer à le dire. Nous n'affirmons pas que vous ne devriez pas du tout le faire, mais faites-le d'une façon qui nous permette de savoir quelle est votre orientation. Ne laissez pas un de vos fonctionnaires comparaître devant le Comité des comptes publics et affirmer: «Le ministère confirme qu'il n'appuie pas la considération des facteurs sociaux». C'est ce à quoi faisait référence le vérificateur général. Pour notre part, nous vous invitons instamment à prendre en compte les facteurs sociaux, à vous soucier de l'incidence de vos décisions sur les communautés côtières. Je pense que c'est également le message du vérificateur général. Si j'avais pensé, ne serait-ce qu'un instant, que le vérificateur général invitait votre ministère à ne pas se soucier des considérations sociales, nous l'aurions critiqué nous-mêmes, et sans nous gêner, mais je ne pense pas que ce soit la teneur de son message.

M. Anderson: J'accepte votre critique et la suggestion que nous devrions faire des efforts pour mieux énoncer cela. Je pense que vous avez sans doute raison. Nous avons tendance à nous attacher davantage au volet scientifique ou à la conservation au lieu de parler de l'aspect socio-économique d'une petite communauté.

Par exemple, lorsque nous prenons des décisions concernant l'allocation temporaire de la crevette, nous prenons en compte des facteurs comme la contiguïté, ce qui a manifestement une incidence sociale. Nous ne nous bornons pas à allouer la ressource aux 17 plus gros navires dotés des plus importants permis. Nous considérons la situation historique. Autrement dit, en présence d'une dépendance, nous avons tendance à perpétuer cela plutôt qu'à ouvrir les enchères et à laisser la communauté se débrouiller. Nous essayons par tous les moyens de faire en sorte que le processus temporaire en place a bien été compris pour qu'il n'y ait pas de capitalisation excessive. Nous essayons également de ne pas perturber les relations économiques existantes. Autrement dit, les usines qui sont déjà alimentées en produits continueront à en recevoir. Dans le contexte d'une telle décision, nous prenons en considération de nombreux facteurs qui peuvent être considérés économiques, mais également sociaux. Les collectivités ne seront pas assujetties au diktats purs et simples de l'économique. Nous veillons à ce que les aspects sociaux soient pris en compte.

Le président: Nous ne contestons pas votre droit de faire cela. En fait, nous vous encourageons à tenir compte de considérations sociales. Pour étayer mon argument, permettez-moi de vous lire ce que j'ai sous les yeux: «Le ministère poursuit des objectifs sociaux qu'il n'a pas énoncés au Parlement, ainsi que des objectifs économiques pour lesquels il n'a pas précisé les résultats escomptés».

Je veux simplement vous faire comprendre qu'à mon avis, le vérificateur général ne vous dit pas de vous laver les mains de tout cela. Son message, c'est simplement que si vous intervenez à cet égard, il faut que cela soit précisé clairement au Parlement. À mon avis, cela va dans le même sens que ce que notre comité avait proposé dans son rapport de décembre.

M. Anderson: Absolument, sénateur. Je pense qu'il est très important d'avoir des échanges et des discussions comme celle d'aujourd'hui. Je conviens tout à fait que c'est de la plus haute importance et encore une fois, je vous remercie de votre volonté à engager le dialogue. Je considère votre comité comme une instance très valable pour mener cette analyse et cet échange de vues. Parfois, un comité de la Chambre met l'accent ailleurs. Votre comité s'est livré à une analyse beaucoup plus approfondie du sujet, et je l'apprécie énormément.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Meighen: Monsieur le ministre, je veux revenir sur la question des quotas individuels, des quotas individuels transférables et des quotas individuels de bateau ainsi que sur leur rôle et leur nature. Vous-même ou l'un de vos hauts fonctionnaires avez indiqué que les quotas individuels sont complémentaires à votre démarche de base et qu'ils ne sont pas nécessaires pour tous. Si vous me permettez d'être un peu sarcastique, c'est comme si on disait que les QI sont nécessaires mais pas nécessairement les QI. J'essaie de comprendre où loge votre ministère pour ce qui est des QI, des QIT et des QIB. Souhaite-t-on les instituer chaque fois que c'est possible? J'ai entendu quelqu'un dire qu'il y a énormément de gens qui ne sont pas en faveur de cela et si tel est le cas, nous ne serons pas en mesure de les forcer à accepter cela.

Pourquoi ces quotas ne seraient-ils pas introduits dans un secteur particulier? Pour des raisons géographiques, de stock? Mis à part l'opposition des principaux intéressés, qu'est-ce qui vous inciterait à dire que ces quotas ne peuvent absolument pas être appliqués ici, qu'il ne faudrait pas les introduire? J'essaie tout simplement de comprendre ce que le ministère cherche à accomplir à court terme. Est-ce que voulez que les quotas individuels soient introduits à l'échelle du pays et dans tous les secteurs où vous pouvez les faire accepter?

M. Anderson: Si les titulaires de permis se disent intéressés, et bon nombre le sont, si 60 p. 100 d'entre eux veulent qu'un tel régime soit institué, nous allons le faire avec plaisir. Je vais demander aux fonctionnaires du ministère de vous donner des exemples de secteurs où il n'est pas possible d'instituer des quotas individuels. Je ne sais pas vraiment quels sont ces secteurs. Toutefois, je crois qu'il est important de tenir compte des problèmes qu'a posé l'introduction des QIT en Islande et en Nouvelle-Zélande. On estimait, dans ces pays, que les pêcheurs qui étaient en mesure de résister aux fluctuations périodiques finiraient inévitablement par acheter les permis des petits pêcheurs, ce qui aurait pour effet de nuire aux collectivités. Le régime a été vivement critiqué en Islande, un des rares pays qui continue de tirer parti des échanges intérieurs excessifs qui s'effectuent dans le secteur de la pêche. Le système mis en place en Nouvelle-Zélande a également fait l'objet de nombreuses critiques. Or, nous estimons qu'il présente de nombreux avantages, dont celui d'être sécuritaire. La pêche au flétan en Alaska s'est transformée en rodéo de 24 ou 36 heures, je ne me souviens plus. Tout le monde s'est rendu là-bas.

Le sénateur Meighen: Et qu'en est-il de la pêche au hareng en Colombie-Britannique?

M. Anderson: Elle est maintenant assujettie à un régime de permis.

Le sénateur Meighen: Et quelle était la situation avant votre arrivée?

M. Anderson: Tout ce qui pouvait flotter pendant les 36 heures le faisaient. Toutefois, certaines embarcations n'étaient pas adéquates et trois ou quatre bateaux ont sombré. Il y avait plusieurs veuves sur la côte qui se demandaient ce qui se passait.

Cette situation les a convaincus de s'adonner à la pêche au flétan, une pêche qui dure plus longtemps et qui permet aux pêcheurs de rester au port par mauvais temps. En ce qui concerne les pêcheurs eux-mêmes, l'idée de retourner à l'ancien système est presque inconcevable.

À notre avis, le régime de quotas individuels présente de nombreux avantages, mais il y a personnes qui s'y opposent vivement. Ils estiment que ce régime n'est pas juste, que les poissons sont une ressource commune que nous devrions tous avoir la possibilité d'exploiter. J'ajouterais que ces personnes ont également des réserves à l'égard des permis.

D'autres se plaignent du fait qu'ils n'ont pas de marge de manoeuvre. Ils disent, «Pourquoi me donner du mal si n'importe quel idiot peut avoir le même quota que moi? Je devrais être en mesure de livrer concurrence aux autres, de faire mieux, tout comme on le fait dans les autres secteurs. Pourquoi n'avons-nous pas de marge de manoeuvre dans le secteur de la pêche? Je peux capturer en 20 jours ce qu'un autre va capturer en 100 jours. Pourquoi touchons-nous le même revenu alors que je suis cinq fois plus efficace et efficient que lui?»

Jacque a des exemples à vous donner concernant les secteurs où il ne serait peut-être pas indiqué d'instaurer des quotas individuels.

Le sénateur Meighen: Si j'ai bien compris, à votre avis, il faut attendre que les pêcheurs se rendent compte que le régime des QI est peut-être un moindre mal. Il peut limiter un bon pêcheur à «X» tonnes de poissons, tandis que les pêcheurs moins efficaces auront droit au même quota, mais tous ces gens vont se rendre compte, avec le temps, que le régime des QI est un moindre mal. C'est bien cela?

M. Anderson: J'ajouterais que la personne qui atteint son quota en 20 jours va finir par acheter le permis de la personne qui le fait en 100 jours. Bientôt, il y aura des pêcheurs qui auront une entreprise très efficace et qui posséderont pratiquement tous les permis dans ce secteur de pêche, si les permis sont transférables.

Le sénateur Meighen: Oui, et cette personne deviendra aussi populaire que la moufette qui fait son apparition à une réception en plein air. Les pêcheurs vont s'adresser à votre ministère et dire que vous devez faire quelque chose parce qu'il y a une personne qui capture tout le poisson. On revient donc à la case départ.

M. Anderson: J'ai déjà entendu cet argument.

M. Robichaud: Pour ce qui est du dernier point, nous avons fourni au comité une liste des différents QI et QIT introduits au Canada. Comme l'a mentionné le ministre, il nous faut une forte majorité, et aucun des pêcheurs qui souscrit au régime de quota individuel ne veut revenir à l'ancien système. Si 40 p. 100 des pêcheurs qui ont des permis à quotas individuels ou à quotas individuels transférables semblent être satisfaits et ne souhaitent pas revenir à l'ancien système, cela veut dire que le régime présente des avantages bien précis.

En ce qui concerne les secteurs de pêche où ces quotas ne seraient peut-être applicables, je pense que le secteur de la pêche au saumon sur la côte ouest en serait un. Vous avez des prévisions, des objectifs et des cibles, que vous pouvez rajuster. Si vous prenez les prévisions originales, que vous les appliquez à un secteur qui évolue habituellement à l'extérieur du cadre, comme la pêche à la traîne, et que les prévisions continuent de baisser, le secteur en aval, où certaines pêches sont plus exploitées que d'autres, ne recevra rien. Celui-ci n'a jamais été perçu comme un secteur qui pouvait être assujetti au régime des QI.

Par ailleurs, il y a la pêche au hareng, que vous avez mentionnée, sénateur. Nous avions l'habitude, la plupart du temps, de dépasser l'allocation attribuée. Nous avons changé notre façon de faire au cours des deux dernières années. Il y a un groupe de personnes qui se réunissent et qui fixent les quotas. Cela a eu pour effet de réduire les dépassements, de sorte que nous avons maintenant un régime qui s'apparente de près au QI, un système de mise en commun.

La pêche du homard est un autre secteur où nous n'avons pas reçu un grand nombre de demandes pour des permis à quotas individuels. Il s'agit d'une pêche saisonnière qui comporte des limites. Il y a un nombre limité de pêcheurs et un nombre limité de casiers à homards. C'est une pêche très importante, mais je n'ai jamais reçu beaucoup de demandes pour des permis à quotas. Manifestement, ces permis suscitent un intérêt dans certaines pêches, mais pas dans d'autres. Les pêcheurs observent ceux qui expérimentent avec le système, ils en discutent, mais comme le ministre l'a indiqué, il faut qu'il y ait une forte majorité de pêcheurs qui se disent intéressés pour que nous envisagions de mettre en oeuvre un régime de QI.

Le sénateur Meighen: Comme vous l'avez dit plus tôt, messieurs, nous pourrions parler de cette question pendant des heures. Je suppose que c'est l'avocat en moi qui veut savoir ce qu'on entend par quota individuel en droit. Si j'ai bien compris, le ministère assimile le quota individuel à un quasi-droit de propriété, n'est-ce pas? Les parties directement concernées soutiennent qu'il s'agit d'un droit de propriété légitime. Ils peuvent le vendre, le louer, le partager en cas de divorce, ils peuvent en faire n'importe quoi. Cela commence à ressembler à un droit légitime, mais en est-ce un? Quel est votre avis là-dessus? Ne seriez-vous pas prêt à faire par écrit, même si elle n'a pas force obligatoire, une déclaration claire et sans équivoque à ce sujet? C'est ce que nous avons recommandé que vous fassiez.

M. Anderson: Il serait imprudent de ma part, en tant que profane, de donner une définition juridique à un avocat de votre trempe, sénateur Meighen. Je vais donc m'abstenir de le faire. Je pense qu'une partie du problème tient au fait que tout le monde voit la chose sous un angle différent.

Nous avons des définitions juridiques, mais je ne veux pas m'aventurer plus loin. Le fait est que les tribunaux ne cessent de nous surprendre quand ils définissent les limites qui s'appliquent aux pouvoirs que nous exerçons.

J'ajouterais que nous sommes en train d'effectuer une révision de la politique sur les pêches dans la région de l'Atlantique, où la situation varie grandement d'une pêche à l'autre. Il y a, évidemment, cinq provinces qui sont visées. Ajoutons à cela Saint-Pierre et Miquelon, les États à la frontière américaine et maintenant le territoire du Nunavut, ce qui a pour effet de compliquer les choses. Je dis cela dans le sens positif du terme. Je ne veux pas laisser entendre le contraire, mais nous avons d'énormes problèmes de compétences à régler. Ce que nous disons à l'industrie, aux pêcheurs, c'est qu'il faut simplement essayer de définir les principes. Quels principes devrions-nous appliquer quand il est question d'allocation de pêche? Cela nous permettra de discuter encore une fois des QI, et je suis certain que cette question fait l'objet de vives discussions parmi les pêcheurs.

Or, nous ne voulons pas que les pêcheurs interprètent cela comme une menace, parce que ce n'en est pas une. Vous savez, il est impossible de dire ce qui va se passer. Nous allons devoir repartir de la case départ et réinventer la roue. Toutefois, il est important, au fur et à mesure que nous prenons des décisions année après année, d'établir à tout le moins certains principes que les pêcheurs comprendront. Vous avez mis le doigt, sénateurs, sur un point que nous devons clarifier.

Le sénateur Meighen: Quand vous attribuez des QI, des QIT ou des QIB, est-ce que vous attachez à ceux-ci des restrictions quant à leur transfert?

M. Robichaud: Dans la plupart des cas, oui, et on ne peut pas transférer plus de 2 p. 100 du total autorisé des captures. C'est ce que nous voyons. La limite est d'environ 1,7 p. 100 dans la zone de pêche du crabe 19. Le pourcentage est fixé tous les ans, chaque fois que le permis est renouvelé. Les pêcheurs doivent renouveler leur permis tous les ans, sauf les Autochtones, qui ont le droit de pêcher sans permis à des fins de subsistance.

Le permis de pêche, qui est un privilège, est émis tous les ans, qu'il soit assujetti ou non au régime des QI. Le permis fixe votre limite et votre allocation, et vous devez assumer les coûts pour cela.

Le sénateur Meighen: Vous avez dit que je peux transférer plus de 2 p. 100?

M. Robichaud: Cela dépend de la pêche, mais, en général, c'est environ 2 p. 100 du total autorisé des captures pour tous les pêcheurs.

Le sénateur Meighen: Et si je décède, est-ce que ma part revient au ministère ou à ma succession?

M. Robichaud: La succession dispose d'un certain temps, conformément aux diverses politiques qui régissent le régime d'attribution de permis dans la région de l'Atlantique, pour trouver une personne à qui transférer le permis.

Le président: Pour ce qui est des QI, monsieur le ministre, j'ai rarement rencontré des pêcheurs qui se sont dit en désaccord avec les quotas individuels, surtout dans le secteur de la pêche au poisson de fond. J'ai rarement rencontré un pêcheur qui est contre ce régime. Toutefois, il y a de nombreuses personnes qui s'opposent aux quotas individuels transférables. J'ai écouté M. Robichaud très attentivement quand il a parlé de la limite maximale de 2 p. 100. Nous savons que cela n'est pas du tout le cas. En fait, le ministère a fermé les yeux sur cette pratique. Il l'a même dit publiquement, par écrit. Je peux vous citer le texte, si vous voulez. Le ministère n'a pas consacré ses ressources limitées à des enquêtes sur ce type d'entente ou à des analyses de ces dernières. On qualifie ces ententes de secrètes. Par conséquent, dans bon nombre de secteurs de pêche, il y a eu concentration, ou accumulation, de quotas. Il y a des pêcheurs qui restent à la maison et qui louent leurs quotas tous les ans aux plus offrants.

Les propriétaires embauchent ensuite les anciens propriétaires exploitants pour travailler sur les bateaux. Le ministre a parlé de la sécurité du régime de quotas individuels. En fait, d'après une étude effectuée actuellement par Bonnie McCay de Rutgers, aux États-Unis, les quotas individuels et les quotas individuels transférables peuvent, en fait, causer des problèmes de sécurité parce que les employés sont poussés à produire par les propriétaires non exploitants qui veulent obtenir un certain rendement sur le capital investi. Si, auparavant, le propriétaire du bateau se préoccupait davantage de la sécurité de son équipage, le propriétaire non exploitant insiste pour que l'équipage parte pêcher et n'accepte pas d'excuses.

Les résultats de l'étude ne sont pas encore tous connus, mais on craint que ce soit ce qui se passe. J'attends avec impatience de prendre connaissance de l'étude qui doit être publiée dans les prochains mois. Je soutiens qu'il y a effectivement concentration. C'est un des problèmes importants exposés à notre comité et un des problèmes fondamentaux sur lequel nous voulons attirer l'attention du ministre. Il est lié à la notion de quota individuel transférable et non de quota individuel. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Anderson: C'est assurément un problème important parce qu'il peut avoir des répercussions. Il y a un aspect idéologique qui entre en ligne de compte, mais j'imagine qu'on peut le mettre de côté. Je signalerais rapidement que certains estiment qu'un quota transférable est utile parce qu'il permet de distinguer les plus efficaces des moins efficaces. Un quota de ce genre serait avantageux parce qu'il offre la possibilité d'en accumuler d'autres ou de s'en départir. Je pense que la question de sécurité n'est pas tellement différente dans ce cas que dans le cas du propriétaire de QI. Cependant, j'imagine que le propriétaire non exploitant est plus susceptible d'inciter le pêcheur à prendre le large peu importe les conditions climatiques, parce que le pêcheur peut dépasser la limite du QI et pêcher tout le poisson qu'il peut. Ainsi, plus il passe de temps au large, meilleure sera la récolte.

Il me semble qu'il est possible de faire la comparaison, et j'attends avec impatience l'étude dont vous avez parlé.

Il est certain que les quotas individuels posent un problème. Par exemple, les pêcheurs qui prennent de l'âge ou qui éprouvent diverses difficultés pourraient préférer envoyer quelqu'un d'autre pêcher à leur place quand le temps est mauvais ou froid. Pêcher n'est pas toujours une tâche facile.

Ensuite, il y a des considérations familiales. Que faire si votre fils ou votre fille veut aller pêcher avec vous? Le quota passe souvent à la génération suivante sans décision claire et nette. C'est un aspect à considérer.

Je vais demander à Jacque de vous indiquer le nombre de QI qui sont transférables et ceux qui ne le sont pas. Il est intéressant de signaler, comme je pense l'avoir déjà dit, qu'en Islande et en Nouvelle-Zélande les quotas transférables ont entraîné une concentration très importante, ce qui a causé des problèmes au sein des collectivités de ces pays.

M. Robichaud: Messieurs le ministre et le président, sur la liste que nous avons produit qui indique les QI et les QIT, il y a environ huit quotas sur 30 qui sont transférables. Ensuite, au sujet de leur surveillance, comme nous l'avons indiqué, la limite maximale pour une flottille est de 2,28 p. 100, et elle a varié. Ces pourcentages sont suivis de près par le ministère et les transferts effectués doivent être signalés. Les limites sont surveillées de près. Cependant, le ministère ne peut investir temps et argent pour vérifier qui finance les achats; il n'a pas les ressources pour déterminer d'où viennent les fonds. C'est la même chose pour chaque pêche. Nous ne pouvons pas vérifier toutes les concentrations possibles. Quand une limite est fixée, il faut signaler les transferts, qu'ils soient saisonniers ou permanents, et nous surveillons la situation.

Le président: Vous dites que la limite est de 2 p. 100. Je ne peux pas parler pour les collectivités, mais je pense qu'elles seraient plus favorables au programme que vous mettez en oeuvre si elles avaient le sentiment que cette limite existe et que vous êtes prêt à l'imposer. En disant que vous ne pouvez contrôler les ententes clandestines, vous perdez l'appui que vous pourriez obtenir autrement. Des gens arrivent à se soustraire à vos politiques et pas nécessairement de façon illégale mais, en permettant ces pratiques, vous perdez l'appui précieux que les collectivités pourraient vous accorder pour les QIT, qui, selon bien des gens, constituent un outil valable qu'on ne devrait pas éliminer.

M. Anderson: Je pense que votre remarque est importante et je vais en tenir compte. Il y a certaines limites pratiques concernant ce que nous pouvons faire au sujet des regroupements d'entreprises et je dois être extrêmement prudent comme je me trouve en présence d'avocats. Nous avons eu des problèmes avec les transferts entre provinces, que nous ne souhaitons pas. Un permis de pêche de crabe a été transféré dans une autre province. Nous essayons d'empêcher ces transferts, ou du moins de les décourager, mais en général nous avons échoué. Cela cause de problèmes parce que nous avons des politiques sur les parts provinciales et historiques, et ces transferts sont une façon de les contourner. Les bailleurs de fonds et ceux qui ont recours à eux font preuve d'énormément d'ingéniosité pour éviter nos restrictions.

Le sénateur Cook: Je vous demanderais d'être indulgent, mais je ne peux pas laisser tomber les collectivités et les pêcheurs côtiers. Est-il possible pour un pêcheur de vivre comme il l'entend? En dépit de tout ce qui existe, comme les mesures de conservation et les politiques du ministère, peut-on faire ce qu'on veut? Ou nos collectivités côtières vont-elles devenir comme en Islande et, dans une certaine mesure, en Nouvelle-Zélande?

M. Anderson: Je pense vraiment qu'il y a une place pour le petit pêcheur côtier dont vous avez parlé. Je ne crois pas que ce soit idéaliste de ma part de le penser. J'espère qu'il y aura une place pour lui, mais il faut dire qu'à bien des endroits au Canada, dans le cas de diverses pêches, la ressource dont dépendent les pêcheurs côtiers a été gravement touchée par un certain nombre de facteurs et il n'y a pas beaucoup de revenus pour eux. Dans le Nord, par exemple, la population dépend beaucoup des ressources marines, surtout pour sa subsistance, et les gens exploitent avec beaucoup de succès la pêche côtière dans cette région. C'est le cas à Pangnirtung, où je me suis rendu en novembre dernier.

Je pense qu'il y a des possibilités, mais ce sera probablement pour des pêches différentes. Comme le président l'a signalé, il y a des pêcheurs qui exercent diverses occupations en plus de la pêche.

En tant que ministre, j'aimerais vraiment que cela se réalise. Cependant, je ne peux rien imposer ou contrôler. C'est impossible. La ressource est essentielle à la survie des collectivités côtières, mais il y a eu effondrement des stocks, ce qui a tout changé.

Il y a aussi les progrès technologiques. Mon arrière-grand-père était propriétaire de bateaux-remorqueurs qui emmenaient les bateaux de pêche dans les zones de pêche. C'était des bateaux amphidromes de 17 et 18 pieds, avec un mât, construits sur la plage, qui comptaient généralement un ou deux hommes à bord. Le remorqueur emmenait les bateaux sur place et les ramenait. Il pouvait revenir le lendemain. Cette technologie est dépassée. Le moteur diesel et l'emballeur de poissons ont tué les collectivités une à une en Colombie-Britannique. Il ne reste plus que les ruines de ce qui était autrefois des conserveries. Ici, à l'époque de mon arrière-grand-père, il y avait 105 conserveries dont cinq lui appartenaient. Il n'y en a plus que trois et je pense que l'une d'entre elles est une conserverie artisanale. L'industrie de la pêche a tellement changé. Les communautés côtières sont complètement prises en charge.

Il y a un troisième facteur qui nuit à la survie des collectivités côtières et ce sont les attentes que crée la télévision. Les gens des petites localités ne veulent plus vivre comme avant. Je l'ai constaté il y a trois ans quand j'ai inauguré le Northern Ranger qui s'est rendu dans toutes les collectivités de la côte du Labrador, et que j'ai vu tous les enfants venir jouer avec les machines. Ils avaient tous la télévision. Ils voient ce qui se passe ailleurs et ne sont pas très heureux de vivre dans leurs localités.

J'hésite à continuer parce que je suis certain que le sénateur Adams pourrait nous en dire long à ce sujet parce qu'il est vrai que le mode de vie du Nord est transformé par la situation culturelle. J'espère qu'il y a une place pour les collectivités côtières et les pêcheurs de ces localités, mais je ne peux pas du tout vous en donner l'assurance.

Le sénateur Cook: Les gens pensent qu'on les prive d'une occasion, qu'on les trompe et que c'est la mentalité. Pour les gens de ce coin, la pêche du homard, de la lompe et du crabe se porte très bien. C'est simplement que quelqu'un a décidé qu'il n'y avait plus de place pour eux. Ils veulent qu'on les laisse faire, qu'on ne leur impose pas de restrictions, qu'on les laisse faire leurs expériences. Sur le plan social, il faut laisser les choses se rétablir. Ça ne sera pas possible, monsieur le ministre, si le ministère des Pêches et des Océans vient tout régir.

M. Anderson: Nous essayons de ne pas faire cela. Encore une fois, je ne veux pas donner l'impression que je suis défaitiste, mais je viens de l'Ouest du pays. La côte a beaucoup changé depuis 120 ans, depuis que mon grand-père a commencé à pêcher. Dans les années 50, j'ai suivi ma formation de pilote dans les Prairies. Nous volions au-dessus de fermes de moins d'un acre dont les trois-quarts étaient désertées. Elles avaient été abandonnées dans les années 30 mais elles ont été regroupées en exploitations beaucoup plus importantes. Je ne suis pas dans le domaine de l'agriculture, mais il y a des exploitations qui comptent sept ou huit sections. Il y a donc eu des changements spectaculaires dans les régions rurales du Canada.

Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous ne voulons pas que les collectivités côtières disparaissent. Nous n'avons aucun plan à ce sujet, mais nous estimons qu'il est important, pour la protection de la ressource, et aussi pour assurer un revenu suffisant aux pêcheurs, de réduire le nombre de pêcheurs. Nous ne pensons pas que c'est possible.

Le sénateur Cook: Alors il faut vous dire que ça l'est. Si nous l'avons dit, on ne nous a pas entendus. Nous devons indiquer clairement que c'est possible; la ressource existe, l'infrastructure aussi. C'est la réalité.

M. Anderson: Depuis que j'ai annoncé, il y a deux jours, des quotas de pêche pour le poisson de fond dans la plupart des régions du Canada atlantique, on parle d'un rétablissement très limité de la pêche commerciale. J'espère que d'une année à l'autre nous pourrons constater une augmentation et un redressement de la situation, mais mon personnel ne peut pas me dire si nous sommes en période de reprise. C'est vrai pour bien des stocks, comme le poisson de fond. Le saumon est un autre poisson de référence. On ne sait pas pourquoi les stocks ont autant décliné. Qu'est-ce qui a causé cela? J'espère que la ressource permettra aux gens de vivre, mais c'est difficile de le garantir.

Le sénateur Cook: Alors je pense que nous devons le dire.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Vous avez parlé de partenariat et vous avez également dit que le comité que vous avez mis en place pressait le gouvernement à poursuivre des initiatives de cogestion. Je suis entièrement d'accord avec cela. Cependant, il existe une situation que je veux porter à votre attention.

Au sud-est du Nouveau-Brunswick, on a ouvert une pêche exploratoire du petit crabe ou crabe commun. Des permis exploratoires ont été émis pour que des gens puissent pêcher cette ressource jusqu'à un certain montant. La communauté avait demandé de participer à cette pêche. Des pêcheurs avaient soumis un plan au ministère des Pêches et des Océans à Moncton qui, au début, avait refusé de participer. Le ministère est revenu sur sa décision par après et leur a permis de pêcher. Cela aurait donné à peu près 500 dollars par pêcheur, pour une période de 10 semaines. Les pêcheurs sont revenus à l'attaque de nouveau avec l'appui de l'Association des pêcheurs professionnels d'Abbotsford et de l'Union des pêcheurs des Maritimes, qui sont les deux groupes représentant tous ces pêcheurs. Les fonctionnaires à Moncton ont quand même décidé de ne pas tenir compte de ces deux associations et de s'en tenir à leur décision. De plus, ces pêcheurs avaient renoncé à la pêche accessoire pendant la pêche au homard pour permettre une pêche dirigée, partagée dans toute la communauté.

Il y a quelques années, on a eu une très belle expérience. J'aimerais qu'on trouve une façon de répéter cette expérience et qu'on donne à ces gens une perspective d'avenir selon laquelle ils peuvent parler avec le ministère des Pêches et des Océans sur la façon de cogérer. En ce moment, on leur fait accroire qu'il y a cogestion, mais quand des décisions sont à prendre, on les prend sans les consulter, et c'est fini.

M. Anderson: Les plans pour la zone 25 ont été mis en place pour trois ans. Après cela, nous examinerons les mesures nécessaires: soit continuer avec les plans, soit les changer.

M. Robichaud: Les plans pour votre secteur, situé au sud-est du Nouveau-Brunswick, ont été amorcés l'an dernier pour une période de trois ans.

Le sénateur Robichaud: Je vais juste faire le point lorsqu'on parle de cogestion. Les pêcheurs, pour avoir une pêche dirigée, ont renoncé à la pêche accessoire afin de pouvoir mieux profiter du partage des ressources. À Moncton, on a dit non. Cela n'est certainement pas rassurer ces pêcheurs dans la cogestion avec le ministère des Pêches et des Océans. J'aimerais juste que quelqu'un y regarde de près pour voir pourquoi cela se fait de cette façon. Les pêcheurs aussi voudraient savoir.

[Traduction]

Le président: La situation en ce qui concerne Mulgrave et Canso est très différente de celle de la collectivité dont j'ai parlé plus tôt, celle dont l'économie est plus diversifiée. Ces deux localités dépendent presque exclusivement de la pêche. J'ai cru comprendre que Sea Breeze a demandé, il y a un certain temps, un permis pour la pêche à la crevette dans la région du détroit de Davis. Je ne vous demande pas de réponse cet après-midi. Je signale simplement cela à votre attention. Cette demande pourrait se retrouver sur votre bureau ou vous l'avez peut-être déjà vue. J'aimerais que vous y jetiez un coup d'oeil. Ce n'est pas pour mon patelin, mais il s'agit d'une question à laquelle vous voudrez peut-être réfléchir étant donné la situation de Mulgrave et de Canso.

Il y a ensuite la question des relevés sismographiques dans la région du détroit de Northumberland et de l'inquiétude que cela suscite dans nombre de collectivités côtières. Comme le MPO ne répond pas à leurs questions, les résidents craignent que le ministère ne protège pas l'intérêt vital dans cette région. Avez-vous quelque chose à dire, monsieur le ministre?

M. Anderson: Il va sans dire que la situation de Canso et Mulgrave est très difficile. Nous avons fait des exceptions en ce qui a trait à la canadianisation des bâtiments afin de composer avec les bâtiments étrangers qui pêchent pour l'usine de Canso afin d'essayer d'augmenter leur volume. L'entreprise a obtenu une année supplémentaire. Elle s'est vue accorder des quotas pour la plate-forme Scotian, mais en ce qui a trait à la crevette nordique, nous avons appliqué les principes de la contiguïté et, de toute évidence, elle n'était pas contiguë. Si nous avions modifié les règles du jeu pour Canso et Mulgrave il nous aurait fallu le faire pour ainsi dire pour toute la région du Golfe.

En ce qui concerne le quota du Nord, j'hésite, alors que le sénateur Adams me regarde, à dire que nous ne placerions pas la demande du Nunavut très haut sur la liste de quelque décision que nous pourrions prendre. C'est notre dilemme. Les pêcheurs du Nunavut croient naturellement que c'est leur zone attenante et, bien sûr, ils n'ont pas vraiment été pris en compte auparavant. Il se trouve toujours quelqu'un pour faire des observations en ce qui concerne la pêche de la crevette nordique et pour demander comment il se fait que, d'une manière ou d'une autre, ces quotas sont entre les mains de gens qui ne sont pas vraiment des pêcheurs. Une fois de plus, nous revenons aux premières années où l'on considérait qu'il était tout à fait insensé de conduire des bâtiments de pêche, qui peuvent coûter jusqu'à 15 millions de dollars chaque, dans une région nordique. Les gens qui l'ont fait ont cru qu'ils devraient avoir droit aux retombées de leur pêche d'exploration. Les points de vue diffèrent grandement en ce qui a trait au problème de la crevette nordique.

Le président: Je vous remercie de nouveau d'avoir pris le temps de venir ici cet après-midi, comme vous l'avez fait de bonne grâce les dernières fois.

Nous avons consacré beaucoup de temps aux questions d'octroi des permis, d'allocation et de répartition des quotas. Nous aimerions tenir une réunion prochainement, non pas pour parler du quotidien mais pour réfléchir à l'avenir du secteur de la pêche, à ce que nous voulons qu'il soit dans 50 ans et à ce que nous pouvons faire pour atteindre notre objectif. Je sais qu'il s'agit d'une des questions à laquelle vous aimeriez consacrer plus de temps et il en va de même pour nous. Il vaudrait la peine de tenir une réunion de ce genre. C'est épatant de répartir les prises aujourd'hui, mais il serait bon de se demander comment nous pourrons continuer à le faire dans 50 ans.

M. Anderson: Oui, sénateur, j'aimerais beaucoup cela. Vous avez mis le doigt sur une des grandes vertus du Sénat, la capacité de procéder à des études à long terme sur des problèmes qui se posent chez nous et qui revêtent de l'importance pour l'avenir.

[Français]

Le sénateur Robichaud: J'aimerais porter à l'attention du comité une erreur survenue dans la transcription des Délibérations du comité sénatorial permanent des pêches, lors de la comparution du ministre Anderson, le 15 avril dernier, sur une déclaration que j'ai faite.

Je disais que j'étais prêt à mettre de l'argent sur la table que les gens qui vont y gagner le plus ne sont pas ceux qui vont le transformer. On avait alloué une allocation supplémentaire aux pêcheurs pour pouvoir contribuer à la caisse, afin d'aider les gens qui font la transformation du poisson. Ce que je voulais dire, c'est que les gens qui allaient le plus en profiter, c'étaient ceux qui vont pêcher la ressource et non pas ceux qui vont la transformer. C'était la correction que je voulais faire.

Le président: Cela sera écrit dans le procès-verbal.

Le sénateur Robichaud: Oui, parce que cela ne fait pas de sens ce que je dis là. Je fais une motion pour corriger cette erreur.

Le président: Êtes-vous d'accord pour adopter la motion?

Des voix: D'accord.

Le président: C'est adopté à l'unanimité.

La séance est levée.


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