Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 29 octobre 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 16 h 05, afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance croissante pour le Canada de la région Asie- Pacifique.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous reprenons notre étude sur l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique.
Nous recevons aujourd'hui trois témoins, l'un d'eux étant M. Michael Hart, professeur. M. Hart est un ancien fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Il a participé aux négociations sur le libre-échange entre le Canada et les États-Unis, aux négociations sur le libre-échange nord-américain et à diverses négociations du GATT sur les textiles et les produits. M. Hart, diplômé de l'Université de Toronto, est l'auteur de nombreuses publications.
M. Martin Rudner, professeur à la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton, a occupé le poste de directeur associé de cette école. Né à Montréal, il a fait ses études à McGill, Oxford et à la Hebrew University of Jerusalem. M. Rudner, auteur de nombreux livres, a donné des cours magistraux dans des universités et des établissements de recherche au Japon, en Asie du Sud-Est, en Australie, à Taïwan, en Europe, en Amérique du Sud, aux États-Unis et au Canada. Il est président sortant du Conseil canadien pour les études sur l'Asie du Sud-Est.
Représentant le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, nous recevons M. John Curtis, conseiller et coordonnateur principal, secteur de la politique commerciale et économique. J'ai appris qu'il est chargé de fournir des conseils sur la politique commerciale et économique en général et de diriger l'analyse et la recherche dans le domaine de la politique commerciale et économique au sein du ministère, notamment en ce qui concerne les questions commerciales d'actualité, l'évolution du système économique et commercial mondial et les liens entre la structure et la performance économique du Canada et les forces économiques internationales.
Cet après-midi, nos travaux portent sur une étude intitulée: «Une évaluation des perspectives de libéralisation du commerce dans l'APEC», que nous avons commandée et qui a été distribuée à tous les membres du comité. Je vais demander aux auteurs de dire quelques mots au sujet de leur rapport en guise d'introduction. Peut-être souhaiteront-ils porter notre attention sur des passages qui, selon eux, sont particulièrement importants. Je leur laisse le soin de nous présenter cette étude comme ils le désirent.
Monsieur Hart, vous pourriez peut-être commencer.
M. Michael Hart, professeur, Centre de droit et de politique commerciale, Université Carleton: Merci, monsieur le président, de nous donner l'occasion de comparaître devant le comité et de présenter le document que nous avons rédigé pour vous cet été. Je ne vais pas passer beaucoup de temps à l'introduction, car le document a été distribué, mais permettez-moi de souligner les conclusions auxquelles nous sommes arrivés en faisant cette étude et qui, à notre avis, sont les plus importantes.
Nous avons fait une étude documentaire et procédé à une série d'entrevues de hauts fonctionnaires; en plus, les autres membres du comité de rédaction se sont appuyés sur mes connaissances de haut fonctionnaire. Même si officiellement je suis censé avoir oublié tout ce que j'ai appris en tant que haut fonctionnaire, ce n'est pas vraiment le cas. Je n'ai jamais été officiellement soumis à un debriefing, si bien que je n'ai pas à oublier ce que j'ai appris. Nous avons utilisé certains de ces renseignements pour la rédaction du rapport.
Nous avons en fait examiné la mesure dans laquelle l'APEC permet de façon utile de promouvoir les objectifs de la politique commerciale du Canada. Nous avons essayé de modérer le portrait fait par les médias pour lesquels l'APEC est une tribune de négociation, tout comme l'Organisation mondiale du commerce et l'ALENA qui, en plus, est une entente contractuelle. Les pays membres de l'APEC ont pris soin de ne pas créer une autre tribune de négociation et ont essayé de le faire comprendre de plusieurs façons; l'une d'elle étant le concept du régionalisme ouvert; l'autre étant l'accent mis sur le caractère consensuel de la prise de décisions.
La meilleure façon de l'expliquer consiste à examiner le genre de travail que l'APEC a accompli depuis sa création en 1989. Mis à part les grandes rencontres annuelles qui regroupent les dirigeants, il est plus utile d'examiner la mécanique de l'APEC. Ces sept ou huit dernières années, les pays membres ont conçu un programme de travail très ambitieux visant à aider les membres moins développés de l'APEC à connaître les rouages des accords commerciaux internationaux.
Au cours des dix dernières années, nous avons suivi les efforts déployés en matière de libéralisation des échanges qui ont donné lieu à des accords régionaux: en Amérique du Nord, le premier ALE et ensuite l'ALENA; en Europe, l'extension de la CEE dans l'AELE; en Amérique latine, l'accord Mercosur, le Pacte andin et d'autres accords du même genre; et dans une certaine mesure en Asie, le groupe ANASE des pays de l'Asie du Sud-Est.
Cela a permis de renforcer les engagements pris par les gouvernements à l'égard de la libéralisation des échanges. Du point de vue de l'APEC, l'aspect le plus intéressant de ce processus, c'est la mesure dans laquelle les pays en développement ont accepté le concept d'une économie ouverte, ce qui s'est traduit par des engagements exécutoires et par la volonté de libéraliser les marchés au moyen de mesures tarifaires et non tarifaires. Toutefois, comme beaucoup de ces pays n'ont pas le même genre d'histoire que celle du Canada, de l'Europe ou de l'Amérique, ils ne disposent pas de l'infrastructure, des connaissances, des ressources nécessaires pour effectivement mettre ces accords en oeuvre. L'APEC a commencé à faire ce qui s'impose pour remplir les obligations de l'Organisation mondiale du commerce et des accords commerciaux régionaux: c'est sans doute la plus grande réalisation de l'APEC ces sept ou huit dernières années.
Les bases d'une future libéralisation des échanges se trouvent renforcées lorsque l'on travaille sur certains points comme la facilitation des procédures douanières, la réglementation du commerce, les lois portant sur les recours commerciaux, les accords en matière de transport, et cetera, et si l'on donne à ces pays l'aide et les connaissances techniques nécessaires pour conclure ce genre d'accords. À notre avis, et je le répète, l'APEC est une tribune très utile qui permet de partager des points de vue, d'établir des contacts, de consolider la confiance entre les pays membres; toutefois, nous pensons également qu'à long terme, ces efforts seront poursuivis davantage dans le contexte de l'Organisation mondiale du commerce et d'autres genres d'accords et moins dans celui de l'APEC directement.
À de nombreux égards, l'APEC nous semble être une sorte d'organisation de facilitation et d'aide technique plutôt qu'une organisation purement consacrée à la libéralisation des échanges.
Dans notre rapport, nous faisons ressortir ces points de vue et examinons en détail cinq secteurs de coopération technique où, d'après nous, le Canada a fortement contribué à faire progresser les choses. Je veux parler des secteurs de la déréglementation, des normes, de la conformité aux normes internationales, des procédures douanières, du transport et de la réglementation environnementale. Dans tous ces secteurs, on a réussi à obtenir une meilleure compréhension, à instaurer la confiance et à susciter de bien meilleures connaissances entre les pays membres en ce qui concerne l'avenir probable des négociations commerciales internationales.
C'est ainsi que se termine mon introduction.
Le président: Monsieur Rudner, souhaitez-vous ajouter autre chose?
M. Martin Rudner, professeur, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton: Oui, monsieur le président. M. Hart a décrit le travail lui-même; je pense qu'il serait également utile aux membres du comité d'avoir un aperçu de la perspective asiatique. Après tout, il s'agit d'un accord auquel participent le Canada et d'autres pays de ce côté du Pacifique, ainsi que leurs homologues en Asie de l'Est et du Sud-Est.
Il est important de se rappeler dans ce contexte que le Canada ne faisait pas partie des pays initialement invités en Australie pour former l'APEC. En fait, le Canada était exclu; on ne nous considérait pas à ce moment-là comme faisant partie d'une vaste économie régionale Asie-Pacifique. J'irais jusqu'à dire qu'il a fallu que M. John Crosbie, ministre de l'époque, se rende au Japon et dans d'autres pays de l'Asie -- il a frappé aux portes, les a peut-être enfoncées à coups de pied -- pour que le Canada soit invité à Canberra. Nous avons été finalement invités si bien que nous sommes membres de l'organisation depuis ses débuts.
Cet épisode est révélateur. Il nous indique que pour certains Asiatiques, nous ne faisions pas partie de la région de l'Asie-Pacifique. En ce qui concerne l'APEC, je crois que le Canada a un programme préliminaire qui, pour reprendre les termes de M. Hart, permet d'établir des contacts, d'améliorer la compréhension et d'instaurer la confiance entre le Canada et d'autres pays dans une région où nous n'avions pas de liens historiques profonds.
En guise de conclusion, je dirais que le cadre des rencontres et des groupes de travail de l'APEC a renforcé l'engagement du Canada à l'égard de nos partenaires de la région de l'Asie- Pacifique, alors que cela n'aurait probablement pas été le cas si l'APEC n'avait pas existé. Cela a certainement été à notre avantage et j'espère à l'avantage de nos partenaires de l'APEC, également.
Le président: Monsieur Curtis, aimeriez-vous intervenir ou préférez-vous que les auteurs du document se dévoilent un peu plus?
M. John Curtis, conseiller et coordonnateur principal, secteur de la politique commerciale et économique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je vais attendre que mes collègues universitaires s'enlisent. Nous vous ferons alors le tableau de la réalité, monsieur le sénateur.
Le président: Je voulais poser une question à propos de l'attitude des pays participants de l'APEC. Je me reporte aux pages 15 à 17 du document.
Initialement, à tout le moins, et peut-être cela se confirme-t-il, j'imagine que les ambitions, les aspirations ou les espérances des divers pays variaient considérablement. Par exemple, comment peut-on comparer l'attitude de l'Australie d'une part, et celle des États-Unis, d'autre part, à l'égard des objectifs de l'APEC? Serait-il utile de faire une telle comparaison? Si ce n'est pas la meilleure, vous pouvez en choisir une autre.
M. Hart: Ce qui est intéressant au sujet de l'APEC, c'est que l'on observe tout un éventail d'attitudes à l'égard de l'organisation. Je ne devrais même pas utiliser le mot «organisation», car les membres eux-mêmes n'en parlent pas de cette façon. C'est un genre de tribune.
Certains Américains, notamment Fred Bergsten, intervenant fort important aux premiers jours de l'APEC et président d'un groupe de personnes éminentes, auteurs du document intitulé «A vision for APEC», avait beaucoup d'ambition quant aux possibilités offertes par l'APEC. C'était, selon lui, l'occasion de créer une zone de libre-échange autour du Pacifique. L'administration américaine ressentait une certaine ambivalence à cet égard, mais était prête à entamer des discussions. Je crois que son attitude est moins positive aujourd'hui. Il y a peut-être encore des membres de l'administration, au cabinet du représentant au commerce ou au département d'État, qui aimeraient utiliser l'APEC de cette façon. Toutefois, comme l'administration n'a aucun pouvoir de négocier quelque accord commercial que ce soit, elle est forcée, en raison des circonstances, d'adopter une attitude moins ambitieuse à l'égard de l'APEC.
Au tout début du processus, l'Australie qui se trouvait parmi les premiers responsables de la création de l'APEC, la considérait comme un genre de contrepoids au régionalisme, qui d'après elle, se dessinait en Europe et en Amérique du Nord et dont elle était exclue. À un moment donné, l'Australie a envisagé la possibilité de négocier un libre-échange avec les États-Unis, mais elle en a été dissuadée et s'est vue de plus en plus comme faisant partie de l'économie mondiale. Elle recherchait des institutions et des organisations susceptibles de promouvoir ses intérêts avec les pays de la région et pour elle, l'APEC le permettait. Avant cela, plusieurs institutions des secteurs privé et universitaire, comme la Pacific Economic Cooperation Conference, PAFTAD et le Pacific Basin Economic Council, avaient déjà créé un regroupement dans la région, un réseau d'entreprises et d'universitaires. L'Australie a cherché à miser sur cet acquis au palier gouvernemental, espérant qu'une telle organisation deviendrait éventuellement une force régionale semblable aux forces régionales européenne et nord-américaine. Je crois que l'Australie a été déçue sur ce point. Toutefois, alors que nous préparions ce document l'été dernier, j'ai déjeuné avec un haut fonctionnaire australien qui m'a donné l'impression que son pays accepte maintenant cette réalité. L'Australie est prête à aller plus loin, mais elle est également prête à suivre le rythme actuel, plus lent.
Bien des pays membres de l'ANASE, de même que la Corée, sont heureux que ce ne soit pas une organisation contractuelle. À de nombreux égards, comme l'APEC est fondée sur le concept de contribution volontaire, les pays membres contrôlent de très près le rythme de leur propre contribution. Le concept d'unilatéralisme concerté les intéresse beaucoup, car il ne s'agit pas de négociations réciproques où l'on recherche absolument des concessions, mais plutôt d'un processus cumulatif de conversations permettant d'instaurer la confiance pour aller plus loin, tout en gardant le contrôle de la situation.
À l'autre extrémité, pour la Chine et Taïwan, on peut dire que l'APEC joue un rôle important de légitimation. C'est la seule tribune où la Chine et Taïwan participent activement à un dialogue multilatéral et où ces deux entités sont les bienvenues. À de nombreux égards, l'APEC joue un rôle de légitimation pour ces deux régimes qui cherchent à s'intégrer davantage au sein de l'économie globale.
Dans cette perspective, les membres du comité peuvent se rendre compte du vaste éventail des attitudes manifestées par les pays membres, ainsi que de leurs divers points de vue stratégiques à l'égard de cette tribune.
Le président: Dans le cas de la République populaire de Chine, serait-il juste de dire que pour elle, l'un des principaux avantages de l'APEC, c'est qu'elle lui permet d'établir des contacts avec d'autres pays du Pacifique dans le cadre de telles rencontres, ce qui lui donne la possibilité de montrer qu'elle progresse, ce qui pourrait lui permettre d'accéder à l'OMC?
M. Hart: Je crois que l'APEC joue ce rôle très important. La Chine essaye d'adhérer au GATT et maintenant à l'OMC depuis 11 ans. Elle n'a pas encore réussi et ce, pour des raisons commerciales et non commerciales. L'APEC lui sert de tribune et lui permet d'explorer à fond les questions relatives à l'OMC sans prendre d'engagements. Cela lui est très utile.
Le président: Avant de passer à autre chose, j'aimerais que vous nous parliez du Japon. Comment le Japon voit-il son rôle au sein de l'APEC?
M. Hart: Avec ambivalence. Le Japon trouve très difficile de jouer un rôle de leadership, mais, en même temps, il veut s'assurer que les États-Unis, l'Australie, le Canada et d'autres, ne font pas avancer les choses trop rapidement.
Le Japon a le plus de difficultés à résoudre les questions au sein de l'APEC. D'après les conversations que j'ai eues avec de hauts fonctionnaires japonais et canadiens, les dirigeants japonais sont les plus ambivalents à cause de cette difficulté.
Le président: Pourquoi dites-vous que le Japon a du mal à jouer son rôle de leader?
M. Hart: À cause du caractère collectif de la prise de décisions au Japon, il est très difficile à qui que ce soit de trop se dévoiler sans être assuré de bénéficier du consensus dont il a besoin. À cause de l'unilatéralisme concerté de l'APEC et du fait que le pays qui en assure la présidence est censé jouer ce rôle de leader, le Japon s'est retrouvé dans une position très difficile l'année où il a assuré la présidence de cette tribune.
Le sénateur Stollery: Monsieur le président, ma question fait suite à la vôtre. Ce n'est pas la première fois que nous débattons de cette question. À mon avis, l'APEC est une organisation très floue dont les nombreux pays membres n'ont rien en commun. Elle a toujours semblé insipide.
Le président: On nous a dit, monsieur le sénateur, que ce n'est pas une organisation.
Le sénateur Stollery: Effectivement; ce n'est pas une organisation, c'est un groupe de personnes qui se réunissent pour parler.
J'ai entendu dire dernièrement, en Amérique du Sud notamment, que l'on ressent un certain désenchantement à l'égard du libre-échange; ce ne serait plus une façon pratique de multiplier les débouchés économiques; par contre, ce que nous pourrions appeler une politique des petits pas suscite un certain intérêt.
En ce qui concerne la parlotte qui doit avoir lieu à Vancouver, j'ai cru comprendre que l'Australie se sent exclue. Dans le cadre de sa politique étrangère, l'Australie voulait avoir une plus grande présence en Asie, mais le Canada ne s'intéresse pas à l'Australie, ni non plus la plupart des pays de l'APEC.
Il faut que les participants se trouvent une raison de participer. Se peut-il que l'APEC ait un rôle à assumer dans le nouvel intérêt manifesté à l'égard d'une politique des petits pas pour régler les problèmes commerciaux?
M. Hart: Si, par petits pas, vous entendez qu'on donne un fondement beaucoup plus solide à la libéralisation future des échanges, l'APEC a effectivement un rôle très important à jouer.
Nous exécutons de nombreux programmes de formation à l'intention des représentants de pays d'Amérique latine, d'Asie et de Russie. Cette activité nous a permis de nous rendre compte, entre autres, d'à quel point les connaissances relatives aux accords commerciaux sont superficielles dans ces pays et du travail énorme à accomplir pour informer ces gens de sorte qu'ils puissent prendre part avec beaucoup plus d'efficacité aux négociations commerciales. Ils ont besoin de beaucoup de formation au sujet de ce que représentent l'application du tarif, les divers règlements (anti-dumping, droits compensateurs, évaluation des marchandises à des fins douanières) et ainsi de suite.
L'un des avantages les plus précieux non seulement de l'APEC, mais aussi de l'ALEA en Amérique latine est qu'il permet aux représentants de ces gouvernements de mieux comprendre comment mettre en oeuvre ces accords.
Les accords de l'OMC qui représentent quelque 450 pages de texte dense sont un mystère pour beaucoup de ces gouvernements, même s'ils en sont signataires. La mise en oeuvre de ces accords chez eux grâce à l'adoption d'une loi est un défi de taille. L'APEC, l'ALEA et les regroupements analogues offrent une tribune très neutre au sein de laquelle approfondir ses connaissances, être mieux sensibilisé, prendre de l'assurance et établir les liens nécessaires pour mettre en oeuvre les accords.
Dans beaucoup de ces pays, le GATT n'avait pas vraiment beaucoup d'impact avant l'Uruguay Round. Étant donné le manque d'uniformité dans l'application des principes du GATT, bon nombre de ces pays jouissaient des droits que conféraient ces accords, mais n'en assumaient pas pleinement les obligations. C'est pourquoi bon nombre d'entre eux n'avaient pas de tarif vraiment consolidé, mais plutôt des régimes commerciaux entièrement discrétionnaires. Ce n'est que durant l'Uruguay Round qu'ils ont accepté des obligations beaucoup plus lourdes. Au cours des dix prochaines années, il faudra faire en sorte qu'ils soient véritablement en mesure d'assumer ces obligations.
Le sénateur Stollery: Durant les nombreux témoignages que nous avons entendus au sujet de l'APEC au cours de la dernière année, les témoins ont souvent posé la question: «Qu'est-ce que l'APEC?». On pourrait répondre, je suppose, qu'il s'agit d'un organisme en quête d'un objectif. Il se trouve que cet organisme existe, suggéré par les Australiens pour des raisons de politique étrangère, et je suis sûr que les Américains s'en sont mêlés parce qu'ils ne souhaitaient pas laisser échapper une occasion. On peut facilement deviner comment tout s'est déroulé.
Toutefois, il existe un véritable problème. Bien que tous aient semblé appuyer l'idée d'accords de libre-échange, ils ne s'étaient pas arrêtés aux nombreux autres genres de problèmes que peuvent causer pareils accords. Je sais, pour en avoir parlé avec d'autres, que cette approche déçoit. L'APEC est donc un endroit où ils peuvent avancer à plus petits pas. Par là, j'entends qu'ils peuvent peut-être régler d'abord les questions tarifaires qui ne suscitent pas de controverse. Comme vous dites, les accords sont volumineux, et même vous avouez en ignorer toute la teneur.
Quand les représentants de l'APEC se réuniront à Vancouver, un programme leur sera déjà imposé, en quelque sorte. Ce n'est pas si terrible que cela à avouer, n'est-ce pas?
M. Hart: Je vois la conférence de Vancouver un peu comme le bout de l'iceberg. En réalité, l'important, c'est l'énorme morceau de glace sous la surface, c'est-à-dire les travaux menés depuis quelques années au sein de comités beaucoup plus restreints, à des niveaux bien inférieurs.
Le président: Sénateur Stollery, pendant que vous parliez, je me demandais si la politique des petits pas que vous avez mentionnée ne suffirait pas à justifier, à elle seule, l'existence de l'APEC, quand bien même ce ne serait que pour avoir des échanges avec la Chine. Il existe, à l'extérieur des structures formelles de commerce international, un joueur de taille susceptible de jouer un rôle important dans l'économie mondiale. Voici une tribune où nous pouvons dialoguer avec lui, à l'écart de tous les autres.
M. Rudner: Sénateur, me permettez-vous de vous donner un son de cloche légèrement différent à ce sujet très important? Au sein de l'APEC même, naturellement, certains pays ne voient pas du même oeil que les autres le programme régional. Je parle notamment de M. Mahathir, premier ministre de la Malaisie, qui très tôt a proposé la notion d'un groupement économique est-asiatique, en somme une APEC dont seraient absentes l'Amérique du Nord, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. En fait, pareil groupement représentait pour lui un cadre régional naturel.
La force et la valeur de l'APEC, pour le Canada, résident justement dans le fait qu'elle ouvre la porte à des pays situés au-delà de la ceinture du Pacifique. Pour les pays asiatiques membres de l'APEC, l'alternative ne représente pas un ralentissement de la libéralisation du commerce et des investissements dans la région, puisqu'ils ont déjà souscrit à cette politique des petits pas en devenant partie au processus. Pour certains un groupement économiuque est-asiatique plus petit, excluant d'autres partenaires et qui remplirait les memes objectifs dans un espace géographique restreint, serait plutôt une alternative acceptable. Vu sous leur angle, le problème est: «Jusqu'où s'étend la région?».
Les Malais -- les Chinois les ont appuyés à cet égard -- ont déclaré que la région devrait s'arrêter à la ceinture du Pacifique, excluant ainsi l'Amérique du Nord, l'Amérique latine, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Nous avons joué un rôle très utile, en termes de ce qui correspond à l'intérêt à long terme de l'Asie, en parvenant à persuader la plupart des pays asiatiques que nous faisions tous partie du même arrangement commercial et qu'il s'agissait d'une expérience, pour ainsi dire. Nous pouvions aller de l'avant en concluant des accords et en dégageant des consensus sans avoir à nous replier sur des régimes commerciaux géographiques prônant l'exclusion, sur des régimes presque racistes.
Le sénateur Andreychuk: Si ma mémoire est bonne, le groupement devait représenter un bloc commercial asiatique défini par les pays qui se perçoivent comme étant asiatiques, qui pensent comme des Asiatiques et qui sont asiatiques. C'est alors que l'Australie est entrée en scène et a affirmé qu'elle aussi avait un caractère asiatiques. Je me rappelle les débats politiques qui ont suivi pour savoir s'il fallait couper tous les liens avec le Commonwealth. Les Australiens ont ensuite affirmé qu'ils faisaient en réalité partie de l'Asie-Pacifique ou de la ceinture du Pacifique. L'APEC comprend maintenant le Canada et les États-Unis, et l'Amérique du Sud est en lice.
Une partie du problème de l'APEC n'est-elle pas qu'il est impossible de définir la région? Quand on commence à inclure le Canada dans l'Asie-Pacifique, cela devient intéressant, car le Canada se définit comme un membre de l'union transatlantique et comme un pays d'Amérique. L'Asie se perçoit comme étant l'Asie. Elle essaie de définir et d'exploiter un concept assez flou: l'Asie-Pacifique. Nous sommes certes un pays d'Asie-Pacifique. Les représentants malais ou chinois qui assisteront à ce forum continuent de voir l'organisme comme étant strictement asiatique, et leur objectif à long terme est de lui conserver ce caractère, alors que nous essayons d'en élargir le centre d'intérêt et de mener une nouvelle expérience qui engage nos principes en matière de droits de la personne et de libéralisation des échanges, domaines où notre expérience et notre savoir sont différents. Ne s'agit-il pas d'une expérience qu'il reste à définir?
M. Rudner: Sénateur, vous avez raison en partie, car il y a un autre aspect à la question de l'identité de l'APEC. Les Asiatiques se cherchent une identité, mais l'APEC ne fait pas partie de cette quête. Elle doit son existence à l'Australie et au Japon. Le Japon fait certes partie de l'Asie; l'Australie est le pays le plus rapproché de l'Asie sur le plan géographique, si ce n'est culturel. Toutefois, M. Hawke, qui a invité des membres de ce qui s'appelle maintenant l'APEC à Canberra pour discuter de son avenir, estimait certes que l'avenir de l'Australie était lié à celui de l'Asie.
La plupart des pays asiatiques sont très heureux de cette nouvelle définition de la région. M. Mahathir est en quelque sorte le rebelle, bien que je ne conseille pas à qui que ce soit du gouvernement de reprendre l'expression à son égard. Ce genre de chose l'indispose énormément. En tant que chercheurs, nous pouvons nous le permettre. La plupart des pays asiatiques, y compris la plupart des Malais, sont très heureux de l'actuelle limite géographique de l'APEC. En fait, l'idée d'un groupement économique est-asiatique a maintenant évolué. Elle s'est transformée en clan au sein même de l'APEC. Toutefois, il importe de vous rappeler que ce sont les Asiatiques qui ont tourné le dos à un pareil groupement parce qu'ils estimaient qu'il s'agissait d'un organe d'exclusion. La Thaïlande, Singapour et les Philippines en ont rejeté l'idée en disant que ce n'était pas là l'APEC qu'ils souhaitaient. Ce sont eux qui ont insisté pour que M. Mahathir change et élargisse sa sonnception de l'intégration régionale dans l'Asie-Pacifique.
Le sénateur Bolduc: Vous avez parlé de l'APEC comme moyen de donner une formation technique aux Asiatiques en ce qui concerne la mise en oeuvre de l'accord commercial. L'OCDE a la même utilité, je suppose, pour les représentants de l'Europe de l'Est, à la demande de leur gouvernement. Les pays membres de l'OCDE leur donnent de la formation technique au sujet du système de marché privé et de tout le reste. Il existe une demande pour ce genre de choses.
En ce qui concerne les Asiatiques, est-ce nous qui offrons cette formation ou eux qui la demande ou qui en ont besoin?
M. Hart: Il existe une différence fondamentale entre le genre de travail que fait l'OCDE auprès des pays d'Europe orientale et ce qui se passe au sein de l'APEC. Dans le cas de l'OCDE et des pays d'Europe de l'Est, il existe manifestement un rapport de formation, en ce sens que ce sont les pays de cette région qui demandent à l'OCDE de l'assistance technique. Une partie de cette aide est bilatérale, une autre partie est fournie par l'organisme.
Au sein de l'APEC, au contraire, les représentants des gouvernements se réunissent en comités en tant qu'égaux pour travailler ensemble à la solution de problèmes communs. On prévoit moins d'assistance technique directe, mais de bien des façons cette approche est plus efficace parce qu'elle exige que les représentants de ces pays viennent aux réunions, qu'ils soient disposés à lire la documentation, à débattre, à parler de ces questions sur les lieux et ainsi de suite. Bien qu'elle ne soit pas vue comme un exercice de formation, cette participation intensive est très efficace comme formule de formation indirecte.
Simultanément, des projets d'aide technique se déroulent dans certains pays de cette région. Par exemple, la semaine dernière, l'Université Carleton a accueilli un groupe de sept hauts fonctionnaires du Vietnam venus se renseigner au sujet de l'OMC et de ce qu'engage l'adhésion à cet organisme.
L'APEC n'offre pas d'aide technique directe, mais elle a tout de même une influence à cet égard.
Le président: J'aimerais obtenir une précision. Vous avez dit plus tôt, monsieur Hart, que ce que nous verrons à Vancouver ne représentera que la partie émergée de l'iceberg.
Vous avez dit qu'il s'effectuait actuellement beaucoup de travail préparatoire. Je suppose qu'il s'agit de travail préparatoire à la conférence de Vancouver. Cependant, je soupçonne qu'il y a beaucoup d'échanges, en dehors du cadre de la réunion de Vancouver. J'aimerais vous poser une question précise. Qu'en est-il de la formation des fonctionnaires des Douanes; qui s'occupe de la «mécanique», pour reprendre une expression que vous avez utilisée? Formons-nous les «mécaniciens»?
M. Hart: Non, nous ne formons pas les «mécaniciens». Nous formons les responsables des échanges commerciaux en application des accords commerciaux internationaux.
La réunion de Vancouver et les réunions précédentes de Bogor, d'Osaka, de Manille et ainsi de suite, donnent l'élan politique qui fait persévérer ces représentants dans l'apprentissage des fonctions plus détaillées. Je ne crois pas que M. Chrétien et les autres dirigeants discutent en détail de formalités douanières ou d'installations de transport. Ils examineront plutôt les plans d'action collectifs dont il avait été convenu à Manille et certains plans d'action individuels censés faire partie de la dynamique afin de voir à quel point la situation a évolué. À partir de là, ils émettront un communiqué commun pour mieux orienter les travaux en cours et pour en élargir les horizons. La valeur de cet exercice se trouve, selon moi, non pas dans la déclaration faite à la fin du sommet, mais dans le suivi à celle-ci qui permet de voir aux détails d'application des grands principes adoptés.
Le sénateur Andreychuk: Après avoir lu votre rapport et entendu de nombreux témoignages, j'ai une question au sujet de l'avenir. Si la Chine et ces autres pays deviennent membres de l'Organisation mondiale du commerce et qu'ils deviennent des experts de tous les domaines que vous avez mentionnés, en d'autres mots, si certains programmes d'aide technique partagés auxquels nous participons sont un succès, quel sera alors le rôle de l'APEC? Continuera-t-il d'exister? Devra-t-il se réorienter? Si l'on veut que l'Organisation mondiale du commerce soit utile et efficace, il faudra que certaines fonctions de l'APEC y soient intégrées.
M. Hart: De ce que je sais des organismes internationaux, il leur est très difficile de disparaître une fois qu'ils ont été créés. Même si l'APEC n'a plus d'utilité, elle continuera probablement de convoquer des réunions.
Il faudra du temps à l'OMC pour assimiler complètement tous ces pays à l'accord. Ces plus petits groupes n'auront donc pas besoin de former des blocs et de se concerter pour établir des liens.
Comme l'a mentionné M. Rudner, bien que l'APEC mette peut-être l'accent sur le commerce et les questions économiques, une grande partie de ses travaux a un effet très positif sur les relations étrangères et la politique étrangère. L'APEC permet au Canada d'échanger avec beaucoup d'efficacité sur des sujets techniques et d'établir des rapports qu'il n'aurait pas autrement.
Même si une grande partie du travail passe graduellement à l'OMC et que l'OMC réussit à traiter de ces questions, l'APEC continuera de se trouver des défis de même nature.
M. Rudner: J'aimerais renchérir sur ce qu'a dit M. Hart. Un nouveau domaine d'intérêt est en train de naître au sein de l'APEC et il pourrait bien intéresser votre comité, bien qu'il déborde un peu du cadre de notre rapport. Je parle du développement des ressources humaines. Cette question fait actuellement l'objet de travaux au sein d'un groupe de l'APEC, ce qui distingue ce dernier de certaines autres ententes commerciales internationales. Ainsi, dans le cadre du groupe de travail sur le développement des ressources humaines, un des principaux points d'intérêt pour les pays asiatiques est ce que l'on qualifie de commerce international en matière de services d'éducation. Ce volet relève de la mobilité en matière d'éducation grâce à un sous-organisme de l'APEC appelé UMAP, pour University Mobility-Asia Pacific, et grâce à d'autres arrangements visant à encourager les échanges d'étudiants et les échanges entre nos industries respectives de sciences et de technologie.
Malheureusement, au sein même de l'Asie-Pacifique, le Canada est tout à fait en marge de ce processus, et sa participation dans ce commerce en matière de services d'éducation a diminué constamment au cours des dernières années. Il se contente de jouer un rôle d'observateur. L'échange de services dans le domaine du savoir représente, d'après la dernière analyse, un commerce d'une valeur d'environ 27 milliards de dollars US par année. Tous les pays d'Asie-Pacifique, à quelques exceptions près, ont demandé au Canada d'y participer. Cependant, nous ne percevons pas encore pareille participation comme faisant partie de notre rôle au sein de l'APEC et du commerce international, même si, sur le plan de l'économie, de la politique étrangère et de la culture, la valeur ajoutée est intéressante.
Le sénateur Andreychuk: Je vais revenir à la question des ressources humaines. Quand notre comité a posé des questions au sujet des droits de la personne et du programme de travaux, on nous a dit que le sujet était tabou, qu'il ne serait pas question de droits de la personne. J'aurais certes préféré qu'il en fut autrement. Je comprends que la réunion est consacrée à des questions commerciales et douanières et ainsi de suite. Je puis voir pourquoi nous ne voudrions pas compromettre le succès de cette réunion. Je sais que, lorsque le programme de travaux est plus restreint, on obtient de meilleurs résultats.
Si l'APEC doit servir de tribune où expliquer qui nous sommes, ce que nous sommes et ce que nous savons, il faudrait assurément aborder toutes nos valeurs, y compris le respect des droits de la personne. On nous a dit que le groupe de travail sur le développement des ressources humaines était la tribune pour parler d'éthique commerciale et des valeurs qui y sont appliquées et que les aspects liés aux droits de la personne finiront par être compris inconsciemment grâce à ce processus.
Maintenant, vous nous dites que nous ne sommes pas aussi forts dans ce domaine, particulièrement dans le secteur universitaire. Est-ce bien ce que vous vouliez dire? Je vous pose la question parce que nous avons entendu tout le contraire des hauts fonctionnaires du ministère selon lesquels nous sommes en train de nous faire un nom et de mettre de l'avant nos valeurs, du moins dans le domaine des ressources humaines, si ce n'est ailleurs.
M. Rudner: Pour ce qui est du groupe de travail sur le développement des ressources humaines, le Canada y a pris une participation très active. En fait, nous jouions le rôle de berger au sein de ce groupe.
Nous nous sommes surtout consacrés aux questions de main-d'oeuvre, par exemple la planification de la main-d'oeuvre et les questions syndicales. Nous n'avons pas participé aussi activement à l'élément éducation au sein de l'APEC, en raison de la Constitution du Canada selon laquelle l'éducation relève surtout des provinces et du fait qu'il n'existe pas, au sein du gouvernement du Canada, de ministre chargé de l'éducation supérieure ou de l'éducation tout court. D'autres raisons liées à la planification de la politique étrangère du Canada militent aussi en faveur d'un rôle plus effacé.
Nos universités ne sont certes pas très actives dans les multiples nouveaux arrangements conclus entre les universités asiatiques et entre les universités d'Asie et des États-Unis ou d'Australie. Nous assurons une présence marginale, et notre participation depuis dix à quinze ans diminue plutôt que de s'accroître.
Le président: Permettez-moi de vous rappeler ce que nous a dit M. Saywell à Vancouver. Selon lui, il n'y a pas de meilleur système d'éducation et de formation au monde que le système canadien. Il se compare avantageusement aux autres en termes de prix et il évolue dans un climat de sécurité, d'amitié et d'ouverture.
De toute évidence, nous ne le mettons pas bien en valeur.
Le sénateur Andreychuk: Toutefois, le phénomène d'internationalisation de l'éducation ne fait que commencer. Je suis membre d'un sous-comité de l'enseignement postsecondaire. Dans le cadre de son étude, le sous-comité a entendu des milliers d'exemples de la façon dont les universités étendent leurs campus et vendent leurs services à l'étranger. Ce n'est pas la même chose que d'envoyer, par exemple, M. Hart ou un autre professeur en Malaisie pour donner de la formation technique. Les universités s'internationalisent et ne répondent plus seulement aux besoins canadiens. Vous dites que nous ne sommes pas vraiment présents dans ce domaine, contrairement à d'autres, particulièrement aux États-Unis.
M. Rudner: L'APEC a un cadre en place à cette fin, et nous n'en avons pas profité pour nous imposer dans ce secteur commercial, si l'on peut le qualifier de tel.
Le sénateur Whelan: De ce que j'en sais, les pratiques commerciales utilisées dans les pays de la ceinture du Pacifique laissent beaucoup à désirer. Laissez-moi vous en donner un exemple.
Je me suis rendu en Indonésie pour visiter un centre de recherche australien spécialisé dans les chèvres et les moutons. Le chercheur m'a décrit tout l'excellent travail qu'on y faisait. À un certain moment donné, nous sommes passés rapidement devant deux grandes stalles noires où se trouvaient deux taureaux Holstein roux et blancs. J'ai lui demandé de s'arrêter pour que nous puissions admirer ces magnifiques bêtes. Curieux, je me suis enquis de ce qu'elles faisaient dans une station de moutons et de chèvres.
Il m'a répondu: «Il n'y a pas d'autre endroit où les caser. Elles ont été données en cadeau au président par l'Allemagne de l'Ouest.»
À ce moment là, nous n'avions pas pour habitude de faire des cadeaux au président. Cependant, on m'a dit que c'était une pratique courante dans les pays de la ceinture du Pacifique. Ils s'attendent, disons-le ainsi, à recevoir un «don charitable», en gage d'amitié. Qu'en pensez-vous?
M. Hart: Je sais, pour l'avoir moi-même constaté, qu'en Asie, on accorde beaucoup d'importance à la remise de cadeaux. Je sais aussi, comme l'a découvert le milieu des affaires canadien, que cela ne s'arrête pas là. Les Canadiens jugent très discutables ces pratiques asiatiques qui ne contribuent pas à l'économie de l'entreprise, mais plutôt à la classe politique. Cela ne correspond pas à ce que l'Amérique du Nord considère comme des pratiques acceptables.
Qu'on les qualifie de pratiques commerciales ou de corruption, c'est là un des plus grands défis qu'aura à relever le système commercial au cours des dix à quinze prochaines années. Il faudra apprendre à mieux se connaître avant de décider de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas.
S'il ne s'agissait que de faire un cadeau par-ci par-là, il n'y aurait pas de problème. C'est quand on s'attend à plus qu'il y en a.
M. Rudner: Une des vertus de l'APEC sera sa transparence. Dans la mesure où les règles commerciales et tarifaires seront explicites et les formalités, assouplies, il ne sera plus nécessaire de verser des pots-de-vin, qui relèvent autant du vol que de la corruption. Cela mettrait fin à cette pratique de faire des cadeaux témoignant de notre amitié personnelle.
La libéralisation du commerce au sein de l'APEC permettra justement d'éviter d'avoir à payer aux portiers des prix d'admission.
Le sénateur Whelan: Après avoir souvent voyagé un peu partout, je puis vous dire qu'il s'agit d'une pratique courante. Les pires sont parfois nos grands amis du G-7. Peu importait les moyens à prendre pour obtenir un contrat; les Britanniques étaient prêts à tout pour l'avoir. Leurs anciennes colonies ont été à la bonne école pour apprendre comment négocier et décrocher des contrats, tandis que nous, petits Canadiens innocents, parce que nous sommes honnêtes et en dépit de la qualité de nos services et de nos produits, nous retrouvons constamment Gros-Jean comme devant.
Vous avez parlé de la pointe de l'iceberg. Je ne pouvais m'empêcher de penser au Titanic. Quand on jette un regard sur le passé, on se rend compte qu'il y a des milliers d'années, le commerce existait déjà entre le Chili, le Pérou et la Chine puisque les Chinois ont appris à travailler le métal des Indiens d'Amérique du Sud qui, eux, ont appris à tisser de la toile des Chinois. Ces trois pays avaient aussi en commun leur calendrier. Je parle bien sûr des Aztèques ou des Indiens d'Amérique du Sud.
Quand on parle de commerce nouveau, j'ai de fermes convictions au sujet de cette grande mondialisation et de l'Organisation mondiale du commerce. Tous croient que nous entamons une nouvelle ère. On en parle comme si c'était complètement nouveau.
Marco Polo, par exemple, n'était pas un touriste. Il était payé pour se rendre en Chine. Tout le monde croit qu'il était Italien, mais en fait il était Croatien. Il n'a pas été le seul, d'ailleurs. Les expéditions de Christophe Colomb étaient payées par des commerçants qui souhaitaient mettre la main sur de l'or et sur tout autre bien qu'ils pouvaient saisir, voler ou piller -- y compris des esclaves.
Nous procédons autrement maintenant. Reebok emploie des Malais pour fabriquer nos chaussures; c'est là que se trouvent les esclaves. Ils sont payés 1 $ ou 2 $ par jour. Bata, qui payait 3 $ par jour, a presque été mis à la porte du pays.
J'ai des réserves au sujet de certaines choses que nous faisons. Que peut faire le gouvernement du Canada, en tant que président du Sommet de l'APEC de 1997 et chargé de son programme, pour encourager les pays membres à respecter les droits de la personne et à instituer la règle du droit? Si le fait d'inscrire la question des droits de la personne au programme officiel de la réunion de l'APEC voue celle-ci à l'échec, serait-il plus productif d'en parler en marge des réunions?
M. Hart: En règle générale, les pourparlers au sein de l'APEC et de l'OMC et au sein d'organismes analogues où l'on met l'accent sur l'application régulière de la loi, sur la transparence, sur le respect de la loi, sur l'adoption de règles au sein de la société, ont une influence indirecte, mais très importante sur la création d'un dialogue plus fructueux en matière de respect des droits de la personne.
Au cours des 40 dernières années, les Nations Unies se sont souvent prononcées au sujet de questions mettant en jeu les droits de la personne. Toutefois, peu de ces déclarations étaient autre chose que des énoncés politiques que les chefs de gouvernement s'empressaient de signer pour les oublier aussitôt.
Le processus suivi par l'APEC, par l'Organisation mondiale du commerce et par d'autres regroupements permet beaucoup plus de véritablement mettre en oeuvre ce genre d'accords. Toutefois, rien ne rendra la mise en oeuvre plus difficile que d'insister au départ pour qu'elle soit immédiatement liée au respect des droits de la personne.
Si les pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord insistent pour imposer pareille condition, ni l'un ni l'autre des objectifs ne sera atteint. À mesure que ces pays seront mieux disposés à mettre en oeuvre les principes légaux et les régimes juridiques et ainsi de suite, il sera d'autant plus facile de faire respecter les droits de la personne.
Le sénateur Whelan: Passons à un autre sujet. Parlons de la loi Helms-Burton qui ne respecte pas l'esprit de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce et de tous les autres accords internationaux. Ne faudrait-il pas condamner cet état de choses? Faut-il au contraire l'accepter et dire que, parce qu'ils sont une superpuissance, les États-Unis peuvent faire ce qu'ils veulent?
M. Hart: Je suis d'accord, sénateur, que la loi Helms-Burton est un bien piètre exemple à donner au reste du monde de la façon dont devraient s'effectuer les échanges commerciaux, mais les États-Unis ont un régime qui permet à toutes sortes d'hurluberlus de se faire élire au Sénat, et nous avons appris à nous y faire.
M. Rudner: J'aurais une remarque à faire concernant les deux points que vient de mentionner le sénateur Whelan.
Tout d'abord, pour ce qui est de l'historique du commerce asiatique, vous avez parfaitement raison. L'Asie a toujours fait du commerce, qui n'a rien de nouveau là-bas. C'est le colonialisme qui a tout changé, car il a modifié les habitudes commerciales.
Le sénateur Whelan: Ils faisaient le commerce de l'opium.
M. Rudner: Ils vendaient effectivement de l'opium, entre autres choses. Il y a 20 ans, la plupart des pays de l'ANASE ne s'échangeaient que 10 p. 100 environ de leurs produits entre eux. Ces échanges atteignent actuellement jusqu'à 50 p. 100 dans un pays comme la Thaïlande, un changement qui s'est accompli dans la foulée de la libéralisation et de l'expansion du commerce régional au cours des dernières années.
De plus, en ce qui concerne le respect des droits de la personne, il ne faut pas oublier qu'il existe, en Asie, des personnes et des organismes que la question préoccupe. Les Asiatiques sont peu disposés à être critiqués pour des fautes dont ils sont déjà péniblement conscients.
Le problème n'est pas tant que des Canadiens ou des Américains ou encore des Européens supposent qu'on peut ou qu'on doit forcer l'Asie à respecter les droits de la personne en liant la question au commerce. C'est plutôt une question d'engagement. Il existe en Asie des gens, des groupes, des universités, des organismes non gouvernementaux et des organismes gouvernementaux qui disent que c'est à nous d'améliorer notre feuille de route en ce qui concerne le respect des droits de la personne, parce que c'est bon pour notre société; cela correspond à notre identité nationale».
Comment alors créer des liens entre ces organismes et leurs homologues à l'étranger, y compris au Canada? Comment créer une synergie? Comment les écouter? De nombreux défenseurs des droits de la personne asiatiques voient au sein de la société canadienne des traits qui leur répugnent et au sujet desquels ils aimeraient aussi avoir leur mot à dire.
Ainsi, une organisation non gouvernementale de Malaisie est d'avis que le Canada réserve à ses peuples autochtones un sort bien pire que celui que réserve la Malaisie aux OrangAsli, sa communauté autochtone. Cette ONG a été plutôt prolixe à ce sujet, ce qu'on ne peut lui reprocher si l'on jette un regard objectif sur les deux sociétés.
Le sénateur Whelan: On pourrait dire la même chose de l'Indonésie, où l'on tue les gens en raison de leurs croyances religieuses.
Le sénateur Bolduc: Ma question s'adresse à M. Curtis et concerne le Japon. Ce pays a une économie gigantesque qui représente 20 p. 100 de l'économie mondiale. Nous y expédions des ressources naturelles, mais très peu de produits à valeur ajoutée. J'ai devant moi un document émanant du Conseil commercial Canada-Japon dans lequel on mentionne un rapport récent du gouvernement de l'Australie. Dans son rapport, le gouvernement décrit l'économie japonaise comme tant un amalgame de huit grandes économies régionales et il classe le PIB de chacune par rapport à l'économie d'un certain nombre de pays asiatiques. Les trois plus importantes, sur cette liste, sont Kanto, Kansai et Chubu, toutes au Japon. La Chine se classe au quatrième rang. Parmi les dix économies les plus importantes, six sont des régions du Japon.
L'économie du Japon a une valeur dix fois plus grande que celle de la Chine. Elle équivaut à celles de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne réunies. C'est énorme.
Nous avons beaucoup à faire pour accroître nos exportations. Le ministère dispose-t-il des ressources voulues pour envahir les marchés asiatiques -- les marchés de l'APEC, je suppose, ont besoin de beaucoup de ressources -- tout en se tournant vers le lucratif marché du Japon?
M. Curtis: Sénateur, je trouve ce débat fort intéressant et profitable. Je répondrai avec plaisir au sénateur Bolduc, après quoi j'aurai d'autres observations à faire.
Les économies régionales du Japon sont très importantes, un peu comme les économies régionales des États-Unis. Le Canada, en règle générale, fait autant de commerce avec l'Ohio, par exemple, qu'il n'en fait avec la plupart de ses autres partenaires commerciaux nationaux. Vous avez très bien fait valoir, avec raison, l'importance de concentrer nos activités commerciales sur des gouvernements nationaux, particulièrement pour mousser le commerce et l'investissement. En fait, ce sont les gouvernements nationaux qui négocient les accords commerciaux et prennent part aux tribunes intergouvernementales.
Vous avez particulièrement demandé à savoir quelles régions sont importantes pour nous, qu'il s'agisse de régions aux États-Unis, au Japon ou dans différentes provinces chinoises. Ainsi, le sud-est de la Chine est très différent du nord-est et de diverses autres régions de l'intérieur de la Chine.
Vous avez demandé si notre gouvernement disposait de ressources suffisantes. Personne ne s'entend sur le rôle du gouvernement en matière de commerce. J'aurais tendance à être d'accord avec mes collègues de Carleton. La principale tâche du gouvernement, selon moi, consiste à essayer d'éliminer les obstacles et de faire en sorte que la règle du droit et le cadre dans lequel des entreprises ou des particuliers canadiens peuvent commercer et investir dans ces économies sont équitables -- en d'autres mots, non discriminatoires. C'est là le rôle principal du gouvernement. C'est ce que visent les accords commerciaux et les pourparlers intergouvernementaux.
Savoir s'il faillait que le gouvernement finance, par l'intermédiaire de délégués commerciaux ou d'autres programmes, la promotion de certaines exportations ou de certains investissements est en réalité une toute autre paire de manches. Le ministre actuel du Commerce national et son gouvernement réfléchissent à l'opportunité et aux façons pour le gouvernement de collaborer plus efficacement avec l'entreprise privée pour l'aider à franchir le seuil de la porte qu'il lui a déjà ouvert et sur la façon de le faire.
Le sénateur Bolduc: Je faisais allusion à vos propres ressources et à la gestion de vos employés et de vos ressources pour cette tâche. Vous avez un travail à faire. Soit que vous affectiez 50 employés aux questions de l'APEC ou que vous en consacriez 40 au Japon. Plus vous affecterez d'employés au Japon, moins il y en aura pour accomplir l'autre tâche.
M. Curtis: Sénateur, la dotation en personnel fait l'objet de discussions permanentes tant au sein du ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur que dans nos propres ministères. L'ancien ministère du sénateur Whelan, notamment, y réfléchit aussi. Combien d'attachés agricoles faut-il affecter à l'étranger? Combien d'experts des pêches envoyons-nous à l'étranger et où les installons-nous? Diminuons-nous le nombre d'employés affectés à l'Europe, parce que la relation canado- européenne a changé, ou en affectons-nous davantage en Asie? Affecterons-nous plus d'employés à la politique commerciale pour prendre des règles et assouplir les règles du marché ou les déplaçons-nous vers la promotion des exportations?
Cette question est constamment débattue. En un certain sens, il n'y a pas de réponse. Nous avons déplacé certaines ressources gouvernementales canadiennes affectées au commerce à l'étranger, peu importe leur ministère d'attache, en réduisant le nombre affecté à l'Europe et aux États-Unis et en augmentant les effectifs d'Amérique latine et de la région Asie-Pacifique.
Je ne peux pas vous donner de réponse plus ferme sans entrer dans le détail, et cela m'est impossible pour le moment. La question est complexe. Par exemple, combien de temps faut-il qu'un ambassadeur consacre à des questions commerciales, par rapport aux tâches consulaires dans d'autres contextes? Il est difficile de faire ce calcul ou de porter ce jugement.
Le président: Le sénateur Bolduc a mis l'accent sur le Japon. Je ne connais pas très bien la nature des efforts que nous déployons en vue d'accroître nos exportations au Japon, mais, depuis des années, je lis que les États-Unis s'efforcent de mieux pénétrer le marché japonais. J'ai l'impression que leurs efforts n'ont pas porté beaucoup de fruits.
Supposons que vous doubliez les employés affectés au Japon pour, non pas ouvrir des portes, mais réellement faire la promotion des exportations canadiennes. Croyez-vous que l'augmentation marginale qui en résulterait serait suffisante?
M. Curtis: Vous me demandez de faire des spéculations. Les économistes sont payés pour faire des prévisions, contrairement aux fonctionnaires, même s'ils sont eux aussi des économistes.
Il faudrait que je vous réponde par la négative. C'est essentiellement la compétitivité d'une ressource particulière, du savoir, qui détermine les échanges. Que je sache, notre commerce avec le Japon se concentre en grande partie sur les ressources naturelles et sur certains produits à valeur plus élevée, si vous me permettez l'expression, comme les maisons préfabriquées en provenance particulièrement de l'Alberta et de la Colombie- Britannique et jusqu'à un certain point de l'Ontario.
Pour en revenir aux effectifs, notre consulat général situé dans la région de Kansai, au Japon, de concert avec certains exportateurs de bois-d'oeuvre, en sont venus à la conclusion qu'il existait de bons débouchés à Kobe, après le séisme de 1995. Ils avaient le produit; ils se sont donc rendus au Japon où ils ont remporté un succès fou. Toutefois, en règle générale, rien ne prouve que de lancer l'argent par les fenêtres sur un marché, qu'il soit national ou régional, fera augmenter les échanges commerciaux.
L'essentiel consiste à débusquer les occasions, à laisser le gouvernement ouvrir la porte, puis à se mettre au travail. À cet égard, nous sommes moins déçus du Japon que les Américains, car nous y obtenons plus de succès que les États-Unis.
Le sénateur Andreychuk: Toutefois, au sein même de votre ministère, vous croyez sûrement qu'on pourrait obtenir des changements si la volonté politique y était, d'où l'approche des Américains à l'égard du Japon, c'est-à-dire que, si l'on veut obtenir quelque chose, c'est aux portes des dirigeants qu'il faut frapper.
Parce que nous sommes présents dans les marchés à créneaux, nous avons parfois l'impression que nous devrions participer à un plus grand nombre de foires commerciales, pour mieux nous faire connaître, pour éviter d'être à la traîne. Êtes-vous en train de dire que, si votre ministère intensifiait ses efforts au Japon pour mieux faire connaître le Canada, cela ne donnerait rien?
M. Curtis: Non, sénateur. J'ai dit que le nombre d'employés présents dans un pays n'a rien à voir avec les échanges dans un marché particulier. Je m'exprimais en ma qualité d'économiste.
Si vous me demandez, par contre, s'il est important d'organiser des foires commerciales, de mieux faire connaître le Canada, je reviendrais alors au point qu'a soulevé M. Rudner. Nous devrions, bien entendu, jouer un rôle très actif au sein de la communauté Asie-Pacifique. Plus nous faisons d'efforts pour mieux nous faire connaître, plus l'importateur japonais, par exemple, ou l'entreprise d'État chinoise se tournera vers le Canada pour s'approvisionner.
Il est absolument essentiel de se renseigner, d'apprendre à connaître les marchés, de faire preuve de visibilité. Tout ce que j'essayais de dire, c'est qu'il est inutile d'investir dans le personnel et les campagnes de promotion si vous n'avez pas un produit ou un service de base à offrir.
Le sénateur Whelan: À une certaine époque, le Canada consacrait 1,5 années-personnes au commerce agricole avec le Mexique, tandis que les Américains, eux, en consacraient 452. Est-ce qu'on pourrait considérer cela comme une subvention au secteur agricole américain?
M. Curtis: Les Américains ont toutes sortes de subventions. Ils préfèrent tout simplement les appeler par un autre nom. Mes collègues du milieu universitaire auraient davantage loisir de débattre de cette question que moi, mais, à mon avis, en ce qui concerne les Américains, il existe une distinction entre les mythes, la rhétorique et les gestes concrets posés sur le terrain pour ce qui est des questions commerciales.
Le président: Sénateur Whelan, le président Johnson a déclaré un jour que le Texas ne croit pas au socialisme, mais que tout ce qui est bon pour le Texas ne relève pas du socialisme.
Vous pouvez continuer, monsieur Curtis.
M. Curtis: J'aurais plusieurs autres points à ajouter, en partie parce que j'ai eu le privilège, en tant que fonctionnaire, de m'occuper du dossier de l'APEC depuis le tout début lorsque, comme l'a mentionné M. Rudner, le Canada a dû, en répondant à cette initiative majeure de la politique étrangère australienne, prouver qu'il constituait un sérieux partenaire de la région Asie-Pacifique. Nous avons dû démontrer, entre autres, que Vancouver se trouve à plus courte distance de Yokohama que le port de Sydney, en Australie. C'est le genre de discussions qui avaient cours lors des grands débats internes de 1988-1989. Pendant que de nombreux Canadiens s'inquiétaient aussi des répercussions de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, nous discutions de la distance qui séparait Yokohama de certains ports à l'ouest et au sud.
J'ai eu l'occasion d'examiner certains de vos rapports sur l'APEC. Je tiens à vous rappeler que l'APEC n'est pas uniquement un organisme commercial. Il est important de le souligner parce que cela nous ramène à certaines des questions qui ont été posées plus tôt cet après-midi: une fois remplie cette partie-ci de votre mandat, que ferez-vous?
Le commerce et les investissements, la libéralisation des échanges, l'établissement de règlements, la transparence -- toutes ces questions, comme l'ont dit mes deux collègues, sont des composantes importantes du programme de l'APEC, et surtout des attentes qu'ont les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande à l'égard de l'APEC.
Toutefois, l'APEC se consacre depuis 10 ans à d'autres dossiers et ils méritent d'être soulignés. Les Asiatiques, surtout en Chine et au Japon, soutiennent que l'APEC comporte deux volets, ce qui reflète, bien entendu, le principe d'équilibre si cher aux Asiatiques. Le premier est la libéralisation du commerce et des investissements et la facilitation des échanges, comme par exemple des procédures douanières, et le second, la coopération économique et le développement technique, ce qu'on appelle les aspects «éco-techniques».
Le document en parle brièvement, mais sans entrer dans les détails, parce qu'il est surtout question ici de commerce. Toutefois, le programme de l'APEC n'englobe pas uniquement le commerce et les investissements, mais également le développement des ressources humaines, comme l'a mentionné M. Rudner, d'un point de vue surtout canadien, la planification de la main-d'oeuvre et la formation professionnelle. Le réseau des universités et l'engagement du Canada jouent dans ce domaine un rôle plus actif qu'il ne le laisse entendre. En fait, il existe au sein de l'APEC un groupe d'étude auquel participent des universités de la région, et pas seulement l'Université Carleton.
Il y a également au sein de l'APEC un groupe de travail sur la science et la technologie, un groupe de travail sur les télécommunications, et un groupe de travail sur la conservation des ressources marines, axé surtout sur la propreté des océans. Il y a un groupe de travail sur les pêches qui est très actif. Il y a également un groupe de travail sur la coopération technique agricole. Tous ces groupes font partie de l'APEC. Il y a aussi tout le travail d'analyse qu'effectue le comité sur l'économie, dont j'assume la présidence. Nous évaluons les conséquences de la libéralisation des échanges sur l'APEC, les effets de la libéralisation des investissements au sein de l'APEC, par exemple, ainsi que l'importance de la coopération économique et technique au sein de l'APEC et parmi les pays membres de l'organisation.
Il y a également des programmes de formation technique qui sont offerts, sauf que, contrairement à ce qui se faisait dans le passé, les échanges se font maintenant dans les deux sens entre pays donateurs et pays bénéficiaires. On assiste aussi à un phénomène fort intéressant au sein de l'APEC -- le partage des meilleures pratiques de gestion. Qu'avons-nous appris? Qu'est-ce que les autres pays ont appris? Comment les autres pays, par exemple, procèdent-ils quand ils entreprennent la planification et la construction de grands projets d'infrastructure?
Le port de Shanghai est un exemple. Quelles leçons avons-nous tirées du projet de construction du port de Vancouver et quels conseils pouvons-nous donner aux Chinois pour les aider à construire, par exemple, de grands aéroports? Que pouvons-nous apprendre d'eux, notamment sur les façons de régler les différends et les litiges, afin de mieux respecter les traditions des peuples autochtones par exemple?
Vous avez parlé des Aztèques; mais il y a également des Autochtones dans cette région du monde. Ils s'assoient en cercle et discutent des problèmes. Il n'y a pas de coupable. En fait, tout le monde est en quelque sorte coupable parce qu'on est tous responsable en partie d'une situation donnée. Certains le sont plus que d'autres. Nous les jugerions tous coupables alors qu'il existe, en fait, un autre moyen de régler les conflits. Tout cela fait partie de la dynamique de l'APEC.
J'ajouterais, enfin, que l'APEC tient également des sommets, comme on l'a mentionné -- la pointe de l'iceberg. Cela ressemble un peu au somment du G-7, lorsque les chefs d'État se réunissent pour discuter ensemble dans l'espoir de mieux se comprendre. Ces discussions ne se traduiront pas par une hausse marquée de vos exportations de poisson l'année suivante, mais le fait que 18 dirigeants se réunissent chaque année constitue quelque chose d'exceptionnel puisque cette rencontre leur permet de mieux apprendre à se connaître, de mieux comprendre ce qui motive chaque dirigeant. Il s'agit là d'un aspect fort important d'un sommet de l'APEC, tout comme l'est le travail des groupes plus techniques, comme l'a indiqué Michael Hart.
Tous ces éléments font partie du processus de l'APEC, un processus que le sénateur Stollery a qualifié d'un peu flou. C'est parce que l'APEC est un concept relativement nouveau. Ce n'est pas un organisme doté d'un grand secrétariat central, une notion contraire à la tradition bureaucratique des organisations économiques internationales en vigueur depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Les bureaux de l'APEC sont surtout situés dans les capitales. Nous travaillons comme bénévoles, par exemple, à Ottawa. Nous collaborons avec des fonctionnaires en poste dans diverses villes, que ce soit à Beijing, à Kuala Lumpur ou à Canberra. Nous pouvons travailler par petits groupes ou, parfois, nous sommes 18 au sein de l'équipe. Toutefois, tout le travail s'effectue sur une base volontaire, sans grand budget. Il n'y a pas de secrétariat central, seulement un «bureau de poste» ou un bureau d'information central composé de 23 personnes.
L'APEC est un organisme du nouvel âge, une tribune, une institution. Elle ressemble un peu à l'OMC, et il en est question dans le rapport. Elle ressemble un peu à l'OCDE, où s'effectue le travail d'analyse, et elle ressemble un peu au G-7, qui réunit des chefs d'État, des ministres du commerce et des ministres des affaires étrangères. Elle constitue une sorte d'organisme-cadre qui réunit à la même table sur un pied d'égalité les représentants de la Chine, de Taïwan et de Hong Kong. Elle constitue aussi une sorte de tribune politique.
Je pourrais continuer pendant très longtemps. L'APEC ressemble un peu à tous ces organismes. Il est donc très difficile d'essayer de caractériser l'APEC, comme n'importe quel autre organisme. Il s'agit d'un réseau virtuel composé de 18 économies membres qui tiennent de plus en plus de discussions de haut niveau tout en sollicitant l'avis du monde des affaires.
Il y a un Conseil consultatif des gens d'affaires de l'Asie- Pacifique qui accorde de plus en plus d'importance aux vues des autres membres de la société. Comme les intérêts des membres de l'APEC varient, le processus peut être laborieux. Par exemple, les Chinois ont de la difficulté à inclure les ONG dans les discussions, alors que cela ne pose pour nous aucun problème. Nos traditions politiques et culturelles sont très différentes. Toutefois, avec le temps, nous apprenons à nous connaître, à nous faire confiance, à travailler ensemble, à évoluer. Il y aura toujours du changement.
Il y a peut-être d'autres aspects qui sont plus importants, mais j'ai cru bon de rappeler que l'APEC met l'accent sur la libéralisation du commerce et des investissements, la facilitation des échanges, et qu'elle s'intéresse en même temps à d'autres questions qui suscitent l'intérêt des dirigeants politiques, du monde des affaires, du secteur privé, des universités. Il est difficile de résumer tout cela en 30 secondes, ce qui peut donner à l'APEC un aspect un peu flou.
Le sénateur Bolduc: Les marchés financiers de l'Asie du Sud-Est ont éprouvé des difficultés dernièrement. Je suppose que cela va entraîner une dépréciation monétaire, si ce n'est pas déjà fait. Est-ce que les échanges avec l'Amérique et le Canada vont en souffrir?
M. Curtis: Si je le savais, je travaillerais pour le secteur privé, où je gagnerais plus d'argent.
Cette turbulence monétaire témoigne, entre autres, de l'interdépendance accrue du système financier mondial. Donc, les répercussions se font sentir sur tous les marchés du monde, dont les marchés boursiers et les devises.
Le même phénomène s'est produit il y a dix ans, dans un contexte différent en Amérique Latine -- et plus récemment la crise du peso, en 1995. On assiste à une globalisation accrue des marchés financiers.
Il n'y aura probablement pas beaucoup d'impact sur les échanges à court terme, parce que les fluctuations des taux de change, d'après certaines études, n'ont pas d'effets à court terme sur les échanges. Les échanges sont essentiellement influencés par des facteurs environnementaux pour l'investissement: les pratiques commerciales, les taux de change à long terme. Les fluctuations à court terme n'ont pas beaucoup d'impact sur les échanges.
Toutefois, elles peuvent avoir une incidence sur les perspectives de croissance à long terme. Ce sont ces perspectives qui influent sur les échanges et les investissements à long terme. Mais cette question est discutable.
À mon avis -- et, encore une fois, vous devriez peut-être poser cette question aux fonctionnaires et aux ministres des finances en particulier -- les économies de l'Asie du Sud-Est, en fait toutes les économies en Asie, sont fortes. Ce phénomène essentiellement transitoire est attribuable aux mouvements de capitaux et à la gestion de l'économie intérieure, qui incitent les marchés à dire que les politiques poursuivies par les économies affectées sont telles que les investisseurs peuvent prendre des risques. Toutefois, il y a de la turbulence, et avec le temps, malgré l'impact que cela peut avoir sur la confiance et la stabilité, ces économies sont essentiellement fortes.
M. Rudner: Avant de venir ici ce soir, j'ai appris que Singapour avait offert à l'Indonésie une aide financière de 10 milliards de dollars US pour l'aider à traverser cette période difficile. Ils considèrent donc que les données fondamentales de l'économie sont favorables.
Malgré l'importance de cette aide, il convient de signaler que, dans le contexte d'aujourd'hui, les pays d'Asie -- même les pays en développement, les pays de l'ANASE -- sont de plus en plus interdépendants, non seulement parce qu'ils s'échangent des produits, mais parce qu'il existe une synergie au niveau du développement et de la croissance.
Le président: Les 10 milliards de dollars US que Singapour a prêtés représentent un huitième des réserves en devises étrangères de Singapour.
M. Hart: J'aimerais ajouter quelque chose aux vues très optimistes de mes collègues. Il y a une autre dimension à cela -- vous ne pouvez éviter les données fondamentales de l'économie. L'ANASE, la Thaïlande et, dans une plus faible mesure, les autres pays essayaient de maintenir des taux de change qui ne reflétaient pas les données fondamentales de l'économie. On ne peut pas faire cela pendant très longtemps. Bon nombre d'entre eux constatent maintenant qu'il est plus avantageux d'avoir un taux flottant qu'un taux fixe, lequel a été à l'origine de cette turbulence.
Il s'agit là d'une des faiblesses de ces économies, faiblesses auxquelles le processus de l'APEC, et autres processus similaires, permet de s'attaquer. En l'absence des protections que peuvent offrir ces institutions, vous finissez par investir dans un trou béant, par avoir des doutes au sujet de cet investissement et par payer un prix. Tout cela, encore une fois, se reflète dans la stabilité de ces économies.
Je ne mets pas en doute la stabilité de ces économies à long terme, mais elles ne sont pas aussi solides que les économies canadienne, américaine ou européenne. Ces économies présentent des problèmes sérieux qui doivent être réglés à moyen terme.
Le sénateur Bolduc: Est-ce parce que leur politique monétaire a été erratique au cours des deux ou trois dernières années?
M. Hart: Elles ont essayé de défendre leur monnaie sur les marchés des échanges, ce que ne leur permettent pas de faire les données fondamentales de leurs économies. M. Soros est très doué pour déceler ce genre de faiblesses.
Le président: Pour revenir à l'Indonésie, Singapour avait des réserves de 80 milliards de dollars US, et l'Indonésie avait besoin d'aide. Pourquoi? Est-ce que cette économie est mal gérée?
M. Hart: Ils adoptent des taux de change qui vont favoriser leur position commerciale, ainsi de suite, mais ces taux ne reflètent pas les données fondamentales de leurs économies. Par conséquent, ils s'enfoncent de plus en plus dans un bourbier et ils n'ont pas suffisamment de devises dans leurs réserves pour contrer tout exode de capitaux à court terme, comme l'a fait M. Soros.
La Chine se situe à l'autre extrême. D'après certaines données récentes, la Chine possède entre 200 et 300 milliards de dollars en réserves étrangères. Il s'agit-là d'un montant astronomique pour une économie comme celle-là. Autrement dit, elle est prête à contrer contre tout exode de capitaux. Elle est également disposée à aider les pays de l'ANASE. Une partie de l'aide qui leur a été proposée cet été provenait, chose étonnante, de la Chine.
Le sénateur Whelan: Vous avez parlé de M. Soros. Je ne suis pas de près tous ces gestes à l'échelle internationale, mais je connais un peu le personnage.
Lorsque nous parlons de commerce, nous parlons d'un produit que nous vous livrons. Je suis convaincu que tant que nous pourrons déplacer des milliards de dollars instantanément par voie électronique, nous n'aurons jamais de stabilité et les gens comme Soros continueront d'en faire à leur tête. Il sait vraiment comment fourvoyer le système et tirer parti de la situation.
Le président: Le témoin a simplement dit qu'il a été en mesure de déceler les faiblesses.
Honorables sénateurs, j'aimerais remercier MM. Hart, Rudner et Curtis pour leur aide. Nous avons des exemplaires du document qui a servi de base à nos discussions aujourd'hui. Je vais le déposer au Sénat pour qu'on puisse le distribuer sans délai.
La séance est levée.