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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 3 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 5 novembre 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 16 h 45, afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique (Perturbations récentes sur les marchés boursiers et de change en Asie).

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte.

Je vous cède la parole, monsieur Rayfuse.

M. Bruce Rayfuse, directeur intérimaire, Division de l'analyse financière et économique internationale, ministère des Finances: On m'a demandé de faire une brève chronologie des événements. Je vais tenter de le faire, en glissant sur beaucoup de faits particuliers. Je vais vous donner une idée globale de ce qui s'est passé, à condition, bien sûr, que les événements continuent de se dérouler conformément à l'interprétation que l'on peut en faire.

L'actuelle période d'instabilité a débuté en Thaïlande où, pendant une dizaine d'années, jusqu'à environ 1993, les autorités thaïlandaises ont eu d'excellents résultats en matière de gestion macroéconomique, ce qui leur a permis d'atteindre des taux de croissance de presque deux chiffres. Le régime de change a été l'un des éléments de cette gestion macroéconomique. La Thaïlande avait adopté un taux de change lié où le baht était rattaché à un panier de devises dont la pondération était tenue secrète; empiriquement toutefois, les observateurs ont été en mesure de déterminer que le dollar américain représentait près de 85 p. 100 de cette pondération. En fait, le baht thaïlandais était lié au dollar américain.

À partir du milieu des années 80 jusqu'au début des années 90, ce régime de change a fortement contribué à la performance de la Thaïlande en matière de croissance. Après 1985, le dollar américain a chuté par rapport au yen japonais, par conséquent, le baht a aussi chuté par rapport au yen japonais et la Thaïlande est devenue très attrayante pour les investisseurs japonais. La Thaïlande s'est retrouvée au centre d'une quasi-explosion d'investissements dans les économies en développement. Plusieurs facteurs ont contribué à cela: des taux d'intérêt peu élevés dans les pays industriels, ce qui a incité les gens à chercher de meilleurs rendements ailleurs; des valeurs boursières élevées dans les pays industriels, ce qui a entraîné la recherche de portefeuilles diversifiés, et cetera; et des facteurs technologiques comme les progrès enregistrés dans la technologie assistée par ordinateur, utilisée dans le domaine de l'investissement, et cetera. Telle a été la situation jusqu'à environ 1993.

À partir de 1993 ou peu de temps après, des déséquilibres ont commencé à se manifester dans l'économie thaïlandaise. La croissance et la demande étaient excessives. Nous avons commencé à voir une augmentation des pressions inflationnistes et une augmentation du déficit du compte courant. En outre, la croissance était en partie déséquilibrée dans le sens où ces mouvements de capitaux massifs avaient tendance à passer par l'intermédiaire du système bancaire qui était, on peut le dire rétrospectivement, assez librement réglementé ou supervisé, si bien que la plupart de ces fonds finissaient par être investis dans le secteur des biens immobiliers; on a assisté à un véritable boom de l'immobilier, à Bangkok, en particulier.

Par ailleurs, compte tenu du régime de change fixe, la plupart des emprunts se faisaient à découvert. On empruntait en dollars américains. Les revenus étaient en baht. Les gens ne s'en préoccupaient pas trop. Ils croyaient avoir la garantie par le gouvernement d'un régime de change fixe.

Les autorités thaïlandaises ont reconnu le problème en raison des pressions de la demande et ont adopté une politique monétaire plus serrée en 1995-1996 pour essayer de les maîtriser. Toutefois, lorsque l'on fonctionne avec un régime de change fixe, il est difficile d'essayer de modifier la politique monétaire ou de contenir les pressions inflationnistes par des politiques monétaires. Cela a bien sûr donné lieu à une augmentation des taux d'intérêt, ce qui a attiré encore plus de capitaux, notamment des capitaux à court terme qui, comme vous le savez sans doute -- et cela est certainement ce qui s'est passé au Mexique -- sont particulièrement volatils et susceptibles de renversement.

De même, l'augmentation des taux d'intérêt a créé des problèmes dans le secteur de l'immobilier, qui se sont eux-mêmes traduits en problèmes pour le secteur bancaire.

En 1995-1996, l'économie a connu plusieurs perturbations externes. J'ai indiqué plus tôt comment l'économie thaïlandaise avait tiré profit de la chute du dollar par rapport au yen. Cette situation s'est renversée au printemps de 1995, au moment où le dollar et le baht ont commencé à remonter par rapport au yen. Par ailleurs, il y a eu un ralentissement du marché pour certains produits d'exportation de la Thaïlande comme les microprocesseurs.

Ces vulnérabilités sont apparues de plus en plus clairement aux participants au marché si bien qu'à partir de juillet 1996, plusieurs vagues de pressions spéculatives se sont exercées contre le baht; les autorités thaïlandaises ont réussi à maintenir le baht jusqu'au 2 juillet de cette année, date à laquelle ils en ont fait une devise flottante; en l'espace de quelques jours, le baht a chuté de 20 p. 100.

Les problèmes des autorités thaïlandaises n'ont pas été réglés par la décision de faire du baht une devise flottante. Elles avaient toujours besoin de fonds pour aider le secteur financier, car beaucoup de gens avaient fait des emprunts en dollars et que leurs revenus étaient en baht; par conséquent, au moment de la chute du baht par rapport au dollar, tout d'un coup, le bilan s'est considérablement détérioré. Les dettes avaient en fait augmenté.

Les autorités thaïlandaises ont d'abord demandé de l'aide aux banques japonaises, puisqu'elles sont les plus gros investisseurs dans la région. On leur a répondu que pour être admissibles à une aide du Japon, elles devraient d'abord obtenir une offre du FMI. Par conséquent, à la fin juillet, au début août, elles ont contacté le FMI et, le 20 août, ce dernier lui a fait une offre qu'elle a acceptée.

J'en fais mention comme s'il s'agissait d'une offre FMI, mais en réalité, plusieurs intervenants y participent, dont la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement et huit économies régionales. L'offre correspond à environ 17,2 milliards de dollars et doit permettre d'amener les réserves internationales de la Thaïlande aux niveaux fixés aux termes de l'entente FMI, et de faciliter la restructuration du secteur financier thaïlandais.

En contrepartie, les autorités thaïlandaises ont accepté un ensemble de mesures de restructuration financière et convenu de procéder à une restructuration de leur secteur financier: elles ont commencé par fermer 58 institutions financières sur les 91 qui existaient alors en Thaïlande. Il s'agissait d'institutions quasi-bancaires qui se procuraient des fonds sur les marchés financiers, y compris les marchés financiers internationaux, et qui les transformaient en prêts en Thaïlande. La plupart de ces prêts se faisaient dans le secteur immobilier. C'était le maillon le plus faible du secteur financier thaïlandais.

En outre, dans le cadre de cette offre FMI, les autorités thaïlandaises ont accepté des restrictions financières afin d'augmenter les économies nationales et de diminuer le déficit du compte courant. Par ailleurs, elles ont accepté de poursuivre une politique de taux de change flottant et de restrictions sur le plan monétaire.

La mise en oeuvre de cette offre dépend des autorités thaïlandaises. Pour l'instant, les résultats sont incertains, en raison notamment de l'instabilité politique en Thaïlande. Les autorités thaïlandaises en sont maintenant à leur troisième ministre des Finances en l'espace de 10 mois. Pas plus tard qu'avant-hier, le premier ministre thaïlandais a annoncé sa démission. Les élections sont prévues au début de l'année prochaine, si bien qu'à court terme on se demande si les autorités thaïlandaises seront en mesure de mettre en oeuvre toutes les réformes demandées, bien que M. Michel Camdessus, directeur général du FMI, se soit montré confiant et ait déclaré que le programme est jusqu'à présent sur la bonne voie. Le FMI examinera de nouveau ce programme. Selon les conditions fixées, le programme doit être examiné tous les trimestres, ce qui veut dire plus tard ce mois-ci.

Si cette crise dépasse le cadre national de la Thaïlande, c'est parce qu'elle s'est propagée dans toute la région de l'Asie du Sud-Est. En pareils cas, cette contagion se propage en général de deux façons.

Premièrement, par les liens commerciaux. Ces pays sont d'importants partenaires et concurrents commerciaux mutuels si bien qu'une chute de revenu, une fluctuation du taux de change dans l'un d'eux, influe naturellement sur les perspectives économiques des autres pays, de façon négative dans ce cas-là.

De même, on assiste en pareilles circonstances à un effet de similitude macroéconomique: les investisseurs examinent l'économie thaïlandaise qui a subi cette perturbation, examinent ensuite les autres économies qui semblent se trouver dans une situation similaire du fait que, par exemple, elles affichent un important déficit du compte courant, ont beaucoup de biens immobiliers, ce qui les amène à se demander: «À qui le tour?» Ils commencent ensuite à se retirer des économies qui présentent de telles caractéristiques.

Il semble que ces deux phénomènes se soient produits dans ce cas là. Très peu de temps après le flottement de la devise thaïlandaise, d'autres devises de la région ont subi des pressions à la baisse. Le peso philippin se trouva parmi les premières, si bien que les Philippines ont très rapidement demandé l'aide du FMI et qu'elle leur a été accordée.

D'autres pays ont tenté d'adopter plusieurs mesures pour maintenir leur régime de change dirigé, sans succès.

Maintenant, à l'exception du dollar de Hong-Kong, toutes les devises de la région sont flottantes. Toutes sont à la baisse. La Thaïlande, l'Indonésie, la Malaisie et les Philippines arrivent en tête pour ce qui est de la dépréciation monétaire. La devise thaïlandaise a perdu près de 40 p. 100, les autres près de 25 p. 100 depuis le 1er juillet 1997.

La devise indonésienne a subi des pressions importantes en octobre pour des raisons que l'on ne comprend pas très bien. À de nombreux égards, l'Indonésie semblait être l'économie qui marchait le mieux, puisque son déficit de compte courant était le moins élevé, ses réserves internationales les plus importantes, et cetera. Dans tous les cas, l'Indonésie a contacté le FMI pour obtenir une offre et, le 30 octobre, une entente a été conclue, bien que cette offre doive être présentée au conseil d'administration du FMI aujourd'hui. Il s'agit de nouveau d'une offre à laquelle participent le FMI, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement en premier lieu et, ensuite, plusieurs pays, essentiellement asiatiques, mais aussi les États-Unis. En d'autres termes, les fonds n'ont pas encore été produits, mais en cas de besoin, le FMI a déclaré qu'il serait prêt à apporter son aide.

Je m'arrête maintenant afin de répondre aux questions.

M. Subodh Kumar, directeur gérant, valeurs, CIBC Wood Gundy: De notre point de vue, c'est-à-dire dans la perspective des marchés, j'aimerais vous donner quelques indications sur la façon dont nous voyons les marchés.

En règle générale, nous ne pensons pas que la crise de l'Asie du Sud-Est soit en elle-même un facteur important pour les marchés des valeurs mobilières ou des obligations, ni non plus pour les marchés des devises. Les opérations des marchés des devises représentent près de 1,2 billion de dollars par jour. Je dirais que ces opérations sur les marchés mondiaux des devises correspondent à deux fois le PIB du Canada par jour. Par conséquent, il est très important de maintenir la confiance sur les marchés. Les gens recherchent constamment les points faibles du marché de manière à en tirer profit.

Si nous résumons ce qui s'est passé en Asie, ainsi que les répercussions sur le Canada et d'autres pays, essentiellement, les marchés ou les participants aux marchés ont choisi les pays dont les structures politiques et économiques étaient les plus faibles. Par exemple, la Thaïlande, et dans une certaine mesure l'Indonésie et la Malaisie où l'équilibre des pouvoirs politiques et économiques et les liens entre ces deux pouvoirs sont tels que l'on retrouve beaucoup d'entrepreneurs au sein du gouvernement. Par conséquent, il y a rivalité d'intérêt au sein de l'appareil politique. Les marchés ont tiré profit de ce point faible.

Ils ont ensuite essayé de tirer profit des points faibles en Amérique latine. Cela n'a pas aussi bien marché. Enfin, les gens ont cru déceler un point faible à Hong-Kong, dont il fallait tirer profit; cependant, grâce à son système financier comparativement solide, Hong-Kong a réagi de la façon traditionnelle, c'est-à-dire qu'elle a maintenu son taux de change et a rendu la spéculation très coûteuse en augmentant les taux d'intérêt. En fait, Hong-Kong s'est finalement retrouvée avec des taux d'intérêt plus bas et ses réserves sont revenues au niveau où elles étaient avant le début de cette crise.

Il s'agit d'une crise survenue dans des pays précis en Asie du Sud-Est. L'Asie du Nord, qui comprend la Chine et Taïwan, est en assez bonne forme.

Il faut également se demander si le centre de convergence sur l'Asie se déplace vers les pays plus importants, c'est-à-dire, sur l'Inde, la Chine et le Japon en ce qui concerne leur croissance, par opposition à l'Asie du Sud-Est. Nous assistons à une évolution de la dynamique politique en Asie qui aura un effet sur les économies de la région. L'économie de ces pays plus importants que je viens de citer marche bien.

Les marchés canadiens et les marchés américains recherchent un certain équilibre. Le fait est que les marchés des valeurs mobilières et des obligations ont été volatils la plupart de l'été dernier et que beaucoup de bonnes nouvelles sont déjà annoncées sur ces marchés; en cas d'incertitude donc, comme par exemple la situation en Asie du Sud-Est, les marchés réagissent très violemment. Toutefois, cela s'explique davantage par les bonnes nouvelles que l'on retrouve déjà sur les marchés et non pas par le fait que l'Asie du Sud-Est ait un effet sur les marchés globaux.

On ressent une certaine incertitude à propos de l'Asie du Sud-Est, mais le PIB dans cette région équivaut à près de 600 milliards de dollars. En Amérique latine, le PIB équivaut à 1,5 billion de dollars. Par conséquent, toutes proportions gardées, il s'agit d'une crise beaucoup moins importante que celle survenue en Amérique latine il y a deux ans. L'augmentation des taux d'intérêt a été bien moindre.

En 1994, au cours de la crise de l'Amérique latine, les États-Unis étaient la seule grande économie connaissant une reprise. Actuellement, la reprise européenne est bonne, mais celle du Japon est vulnérable. Toutefois, globalement, je crois qu'une forte croissance en Amérique du Nord, que la reprise en Europe et que le rebondissement au Japon contribueront amplement à neutraliser ce qui se passe en Asie du Sud-Est, en supposant que l'économie de la Chine et de l'Inde reste assez bonne en Asie et que les économies de l'Amérique latine restent bonnes. Globalement, nous avons observé une plus grande volatilité des marchés, mais ce n'est pas un point dont il faudrait particulièrement s'inquiéter. Les pays de l'Asie du Sud-Est auront du mal à attirer de nouveaux investissements pendant quelque temps, mais, d'un point de vue de l'investissement global, nous ne croyons pas qu'il s'agisse d'une grande crise financière.

Mme Laurette Gauthier Glasgow, directrice, Division des relations économiques internationales, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: J'aimerais m'attarder sur une plus vaste question: Comment le système monétaire international réagit-il à ce genre de situation? Disposons-nous des moyens nécessaires pour régler une telle crise? Je suis d'accord avec les observations faites jusqu'ici et je reconnais que nous devons situer cette crise particulière dans un certain contexte.

L'Asie du Sud-Est a connu une croissance économique sans précédent. Dans le cadre de conférences, nous disons aux représentants d'autres pays comment procéder pour réussir, et pourtant leurs taux de croissance sont le double des nôtres. Nous pouvons certainement profiter de leur expérience. Le taux de croissance dans cette région a été sans précédent.

La situation actuelle n'est sûrement pas aussi grave que celle qui s'est produite au Mexique en 1994-1995 et elle n'indique pas une détérioration des perspectives de croissance à long terme de la région. La croissance de cette région va continuer malgré ce qui s'est produit.

Reste à savoir si le système international est équipé pour faire face à ce genre de situation; je mentionnerais le sommet du G-7 qui s'est déroulé à Halifax en 1995 où le premier ministre a lancé de grandes initiatives et de grandes réformes pour réorganiser le système international de manière qu'il puisse prévenir des crises grâce à de meilleurs outils de diagnostic, une meilleure surveillance et, dans les cas où la prévention fait défaut, pour améliorer les sources et les mécanismes de financement de manière à pouvoir intervenir très rapidement. Par rapport à la situation du Mexique, la réaction du système international a été rapide et opportune. Des progrès ont été faits par suite des réformes annoncées à Halifax et d'autres mesures sont prises sous l'égide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

À la rencontre annuelle qui a eu lieu cette année, en septembre, à Hong-Kong, un accord a été conclu à propos de l'augmentation des quotes-parts et des droits de tirage spéciaux du FMI. Les nouveaux arrangements relatifs aux emprunts ont également été consolidés. Dans un autre domaine, on s'efforce également d'améliorer et de renforcer les systèmes financiers au plan international ainsi qu'au sein des pays. C'est là le grand défi qu'il faut relever. Il faut également prévoir une supervision prudente, dans les économies émergentes en particulier.

Si le système international peut relever le défi, pourquoi continuons-nous à avoir des crises? Disposons-nous des bons outils de diagnostic? Le diagnostic n'a pas été un problème dans ce cas précis. Cette crise avait été prévue. On en avait parlé dans The Economist ou dans The Financial Times. Elle avait été clairement annoncée dans la publication Perspectives économiques mondiales du Fonds monétaire international, document public publié l'année dernière.

Est-ce le manque de conseils opportuns quant aux mesures à prendre pour régler la crise? À nouveau, le FMI a certes prodigué des conseils opportuns dans toutes les situations, particulièrement en Thaïlande, y compris au sujet du besoin de passer à un système de change flexible.

Est-ce la spéculation? Elle a peut-être exacerbé l'instabilité du marché. Naturellement, chaque perte subie sur le marché profite à quelqu'un. Est-ce un problème plus fondamental, à savoir si certains programmes existants avaient fait leur temps? Il ne suffit pas d'avoir de bons conseils; il faut aussi être disposé à les suivre.

De toute évidence, il faut renforcer les secteurs financiers de cette région, ainsi que mettre en place et faire respecter un contrôle prudentiel des cadres de réglementation. Il importe de rendre plus transparents le genre de programmes économiques et financiers qui existent au sein de ces économies et de s'attaquer à la corruption.

Le système international a-t-il besoin d'être fortifié? Évidemment, il est toujours possible d'améliorer un système, même s'il est le meilleur. La crise asiatique a permis de constater que le système est capable de réagir avec promptitude et efficacité, mais qu'il y a place à l'amélioration. Je suis sûre que vous avez pris connaissance des diverses suggestions qui ont été faites. Ainsi, d'après certains, il faudrait que le FMI émette des signaux d'avertissement au public. Si l'avertissement est public, ceux auxquels il est destiné se sentiront peut-être obligés d'en tenir compte.

Les États souverains gardent jalousement leur souveraineté. Ils n'aiment pas prendre part à des programmes coercitifs, à moins de recevoir de l'argent en contrepartie. C'est ainsi que s'applique la «conditionnalité» au FMI. On fait un compromis entre la publicité et la candeur. Il n'est donc pas évident que c'est là la meilleure approche.

D'autres estiment qu'il faut intensifier la coopération économique et monétaire au sein de la région et à l'échelle du monde. C'est ce qu'essaient de faire actuellement les pays membres du G-7. D'autres encore estiment qu'il faut renforcer la capacité du FMI à faire face aux crises. Le problème est alors de trouver un moyen de fournir de l'aide et des conseils techniques à ces pays en vue d'y développer les institutions dont ils ont besoin et de renforcer les institutions financières existantes. Ce n'est pas toujours facile.

On a beaucoup débattu de la nécessité de créer un fond distinct. Le FMI est-il suffisant? Faudrait-il créer un fond monétaire asiatique? On ne nous a pas soumis de proposition unique et précise. Ceux d'entre vous qui avez lu le Globe and Mail, ce matin, sont au courant du «risque moral». Manifestement, si nous volons au secours de tous les pays en mauvaise posture, nous ne les encourageons peut-être pas à adopter le genre de politiques qui convient ou à changer de cap aussi vite qu'ils le pourraient. Nous souhaitons éviter cela. C'est pourquoi nous persistons à croire que le Fond monétaire international demeure, comme il se doit, la principale autorité internationale à fournir ce genre de conseils et à aider les pays à faire ce genre d'ajustements.

Enfin, 1997 est l'année de l'Asie-Pacifique au Canada. Nous serons les hôtes d'une réunion des dirigeants de l'APEC qui doit avoir lieu vers la fin de novembre. On est justement en train de préparer le programme de cette réunion. La facilitation et la libéralisation du commerce et de l'investissement sont bien en évidence dans le programme, tout comme les grandes initiatives en matière d'infrastructure. Toutefois, il est clair que les dirigeants parleront de leurs préoccupations. Plusieurs dirigeants asiatiques ont déjà lassé entendre, parfois publiquement, qu'ils aimeraient discuter des perturbations qui secouent leurs économies. Par conséquent, cette question pourrait bien faire partie du programme, que les pourparlers aient lieu dans un cadre officiel ou non. Toutefois, ce sera là une bonne occasion d'aborder l'importance de mettre en oeuvre certaines politiques macro-économiques et de mettre en place des institutions et des systèmes financiers solides afin d'éviter que ces pays ne ferment leurs frontières à l'investissement. Ceux qui le feraient ne seraient peut-être pas ceux qui offrent le plus de débouchés à nos produits d'exportation. Cependant, il faut les encourager à déréglementer leur économie avec prudence. Voilà certains ingrédients clés d'une croissance économique durable.

Mme Ingrid Hall, directrice générale, Division de l'Asie du Sud et du Sud-Est, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: J'élargirai le champ de discussion en vous décrivant ce que nous rapportent nos missions en Asie. Les taux de croissance ont baissé; on note une certaine fragilité dans le secteur bancaire, une augmentation des taux d'intérêt, une baisse de l'investissement, un fléchissement de la demande du consommateur à cause de la réduction de son pouvoir d'achat, un ralentissement de l'expansion du commerce, une escalade du coût d'importation et la prise, par les gouvernements, de mesures d'austérité en vue d'accroître les recettes et de réduire les dépenses grâce au report des projets d'infrastructure. Ces phénomènes ont certainement provoqué une baisse des exportations canadiennes au cours des deux derniers trimestres. Les exportations avaient augmenté durant les trimestres précédents au sein de nombreux marchés, et cette croissance reprendra probablement l'an prochain.

Ce dont il n'a pas été beaucoup question au cours des trois derniers mois, c'est le nombre d'autres questions convergentes qui obscurcissent temporairement le tableau asiatique, entre autres, le manque de correspondance entre la main-d'oeuvre qualifiée et les exigences des projets d'infrastructure, le chômage et le sous-emploi, l'augmentation rapide de la population urbaine et le pourcentage limité de la population qui fait des études de niveaux secondaire et postsecondaire au sein des nouvelles économies d'Asie orientale.

On remarque aussi l'émergence d'une série de nouvelles questions qui ont un impact négatif sur les économies de l'Asie du Sud-Est. Ainsi, les incendies de forêt en Indonésie et les effets du «smog» et de la pollution industrielle ont obscurci le ciel de la région, causant des collisions d'aéronefs et de bateaux, de même que la fermeture d'aéroports. Ils ont aussi entraîné une baisse de la production des usines. L'INCO a dû fermer la sienne parce qu'elle n'avait pas d'eau pour alimenter ses turbines, sans compter la dévastation des secteurs où ont fait rage les incendies. Nous savons aussi que les risques pour la santé provoqués par une exposition constante aux particules en suspension dans l'air sont élevés.

Toutefois, nous -- je parle du monde entier, parce qu'il s'agit-là d'une première -- ignorons ce que seront les effets à court et à moyen terme. Le tourisme a déjà ralenti de manière draconienne dans toutes les régions d'Asie du Sud-Est à cause des incendies de forêt.

Il est question dans les médias des conséquences d'El Ni<#00F1>o, auquel on attribue une sécheresse inattendue dans certaines régions, de même que des inondations exceptionnellement fortes dans le sud de la Thaïlande. Les deux phénomènes ont une influence, en ce sens que l'on s'attend que la production alimentaire, particulièrement de riz, fasse problème. Il faudra que tant la Chine que l'Indonésie accroissent sensiblement leurs importations d'aliments. La famine sévit non seulement en Corée du Nord, mais aussi dans l'Est de l'Indonésie. Elle est particulièrement grave en Irian Jaya. Pour l'instant, l'agriculture est donc une carte frimée.

Les manifestations se sont multipliées en Indonésie, l'an dernier. Le mois dernier, des manifestations ont eu lieu en Thaïlande, et le gouvernement actuel démissionnera d'ici à la fin de la semaine. En Malaysia, la situation est tout à l'opposé puisqu'on y a organisé des manifestations d'appui du premier ministre Mahathir. Un malaise de plus en plus grand habite les populations les plus affectées. Il est d'autant plus grand que, dans plusieurs pays, le pouvoir s'apprête à changer de mains. La pire situation est en Indonésie. Peut-on la qualifier de «crise»?

Est-ce la fin du monde? Bien sûr que non. La croissance est soutenue, mais ralentie.

Quand on s'arrête aux six principales économies de l'ANASE, leur PIB représente moins de 5 p. 100 du PIB des pays d'Asie-Pacifique. En fait, elles ne sont pas très importantes. La dynamique de croissance dans la région est dictée par les États-Unis et le Japon qui représentent 80 p. 100 environ du PIB. Les autres pays développés, soit le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, ont un taux relativement bon de croissance. Celui du Japon est discutable. L'Asie du Sud-Est est à la remorque de ce phénomène, surtout maintenant en raison de ses exportations extrêmement bon marché.

Notre évaluation actuelle de la situation laisse croire que la question la plus grave en Asie actuellement n'a peut-être aucun rapport avec l'Asie du Sud-Est, mais bien avec la plus grande économie, celle du Japon, à savoir si elle peut se sortir de la longue période de croissance lente dans laquelle elle s'est enlisée. Nous prévoyons à moyen terme, c'est-à-dire au cours des deux prochaines années, une période de croissance ralentie dans la plupart des pays asiatiques, période qui se prolongera d'un an en Thaïlande.

Comment les exportations canadiennes seront-elles affectées par ce ralentissement? Nous prévoyons, au cours des deux prochaines années, un certain décrochage sur le plan des exportations et une reprise de la croissance par après. Toutefois, le principal facteur dont il faut tenir compte est le fait que la grande majorité des exportations canadiennes sont destinées essentiellement aux États-Unis. Nos exportations en Asie n'ont atteint que 9 p. 100 à peu près en 1995 et 8,5 p. 100, l'année suivante.

Passons aux événements des dernières semaines qui ont secoué plusieurs pays asiatiques. Le plus touché a été la Thaïlande. Les résultats d'analyse sont plutôt variables. Soit que les entreprises commerciales canadiennes diminueront probablement en taille et en quantité ou qu'elles seront reportées ou annulées. Il s'agira surtout de projets d'infrastructure qui seront reportés. Dans le Globe and Mail de ce matin, il est question d'une entreprise néo-écossaise qui donnait à des travailleurs de plateformes de forage pétrolier de la formation en matière de risques pour la santé, d'incendies, d'évacuations, d'écrasements d'hélicoptère et d'autres catastrophes, tous ces cours de formation auxquels on accorde habituellement tant de priorité. Tous sont reportés.

Simultanément, un nombre plutôt élevé d'entreprises canadiennes sont actuellement à la recherche, en Thaïlande, d'entreprises thaïlandaises qu'elles pourraient acheter parce qu'elles estiment que les coûts d'entrée sur le marché sont probablement à leur plus bas niveaux pour les cinq à dix prochaines années. En octobre, 20 entreprises canadiennes ont participé à une mission commerciale dans le Nord de la Thaïlande. Elles sont à la recherche d'aubaines et elles les dénichent.

La situation en Indonésie a aussi du bon et du mauvais en raison de la convergence de divers éléments, non seulement de la situation de la devise, mais aussi des autres facteurs économiques dont je vous ai parlé. En règle générale, les entreprises d'ingénierie, les entreprises pétrolières et gazières de même que les entreprises de télécommunications sont touchées. Les exportations de blé canadien seront peut-être touchées par l'éclatement du monopole sur le marché du blé indonésien. C'était une des conditions posées par le FMI, dans le cadre de son concours financier. Les contrats dans le secteur minier, dans lequel les entreprises canadiennes sont dominantes, pourraient aussi être visés.

Toutefois, nous remarquons déjà un changement dans les stratégies commerciales. Les chefs d'entreprise nous disent qu'ils sont actuellement à la recherche d'investissements dans des coentreprises de transfert de technologie plutôt que d'exportation.

Arrêtons-nous maintenant à quelques-unes des économies qui sont frappées moins durement. Nous avons tous entendu parler du report d'importants projets en Malaysia. Par contre, on continue d'y encourager l'investissement étranger, particulièrement dans le super-réseau multimédia. Les technologies de l'information sont une de nos forces, et les Malaysiens, à la fin de ce mois-ci, se rendront dans l'Est du Canada pour tenter d'attirer des entreprises de ce secteur. Nous prévoyons que le nombre d'étudiants malaysiens au Canada, tant ceux qui sont subventionnés par le gouvernement que les autres, reculera en raison des impôts plus élevés, des tarifs supérieurs exigés pour les visas de sortie malaysiens et de l'argent moindre à leur disposition. Il faut que les établissements d'enseignement supérieur canadiens ouvrent des succursales en Malaysia, et certains ont déjà commencé à le faire.

Quant à la situation aux Philippines, notre tableau ne semble pas être aussi clair que celui que semble avoir M. Kumar. Les messages que nous recevons sont mixtes. Il est donc plus difficile d'évaluer la situation. Le marché des devises et celui des valeurs mobilières ont accusé une baisse, mais les exportations canadiennes ont augmenté de 94 p. 100 environ, et nous savons que beaucoup de contrats seront signés lors de la prochaine visite du président Ramos, à la fin de novembre.

Certains pays ont été légèrement affectés, soit Singapour, Brunei et le Vietnam. L'économie de ce dernier est protégée par l'aide publique qu'il reçoit.

L'autre groupe de pays qui commence à faire jaser est celui des «courtiers asiatiques», comme on commence à les appeler, qui réunit les plus importantes économies du Nord, y compris le Japon. L'exposition à des pertes sur la Bourse de Hong-Kong pourrait se traduire par des pertes dans le secteur bancaire. La croissance intérieure a ralenti en raison d'une baisse de la demande d'exportations japonaises en Asie du Sud-Est. La baisse des profits ralentira les importations. Les entreprises canadiennes perdront donc des marchés d'exportation, et il y a moins de coopération entre les entreprises canadiennes et nippones qui travaillent à des projets d'infrastructure en Asie du Sud-Est. Toutefois, les investissements seront plus sûrs, et il est possible qu'une part de ces investissements soit détournée vers le Canada et les États-Unis.

En Corée du Sud, nous estimons que les problèmes sont énormes et qu'ils ne sont pas dus à des influences extérieures. Certes, les exportations de la Corée du Sud en Asie du Sud-Est seront touchées, mais elle s'est elle-même créé des problèmes. La Corée du Sud est réputée avoir la plus faible économie de toutes les grandes économies de l'Asie du Nord-Est.

Il a été pas mal question de l'Australie dans les médias parce que, au cours des sept dernières années, les échanges entre l'Australie et l'Asie ont beaucoup augmenté. Toutefois, l'Australie concentre surtout ses efforts sur le Japon. Une partie relativement faible seulement de ses exportations est dirigée vers l'Asie du Sud-Est.

À moins que l'économie nipponne ne s'effondre, la Nouvelle-Zélande ne sera pas touchée.

Nous avons aussi analysé la situation de la Chine élargie. La Chine a contribué à la balance de la Thaïlande et de l'Indonésie. Nous nous efforçons de voir ce que cela signifie. L'économie chinoise est fermée, et le renminbi est inconvertible, de sorte qu'il n'a pas été touché. Le passé nous a appris qu'il est très peu probable que les Chinois s'empresseront de le rendre convertible en devises étrangères. Nous surveillons de plus près actuellement la manière dont le marché déprimé de Hong-Kong pourrait entraîner une chute de l'investissement en Chine et ralentir la commercialisation de ses entreprises étatiques et quel effet cela aura sur les premières émissions d'actions sur la Bourse de Hong-Kong.

Nous suivons également de près la compétitivité accrue des textiles exportés par des pays de l'Asie du Sud-Est. En 1994, quand la Chine a dévalué sa monnaie, elle s'est accaparé la part du marché détenue par l'Asie du Sud-Est. Au cours des quelques prochains mois, nous nous attendons que les exportateurs d'Asie du Sud-Est récupéreront cette part du marché. Nous pourrons alors évaluer l'impact sur la Chine.

La situation actuelle à Hong-Kong est assez analogue. On continue d'y maintenir une certaine parité avec le dollar. L'instabilité persiste sur le marché des valeurs mobilières. Le prix de l'immobilier reculera probablement. Les recettes du secteur financier ont fondu. Nous n'avons pas noté d'ingérence visible de la part de Beijing quand le marché a subi ces corrections extrêmement draconiennes. Les exportations canadiennes touchées seront les aliments, les biens de luxe et les matériaux de construction. On peut s'attendre à une baisse du tourisme au Canada et à une diminution des étudiants de Hong-Kong qui s'inscrivent dans des universités canadiennes. Il se pourrait -- mais cela demeure incertain -- que les demandes d'immigration et l'investissement direct étranger augmentent au Canada.

Taïwan a été très peu touchée, essentiellement.

Ce dont la presse n'a pas fait état -- il faudrait que nous y réfléchissions un peu --, c'est l'impact absorbé par l'Asie du Sud. Nos missions à l'étranger nous signalent que l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh perdront tous une part du marché des produits bas de gamme parce que les produits d'Asie du Sud-Est vendus dans ces régions sont de qualité supérieure et que la devise de ces pays a été dévaluée. Le ralentissement des économies d'Asie du Sud-Est se traduira probablement par le rapatriement en force des travailleurs étrangers. Ils quitteront la Thaïlande et la Malaysia pour s'en retourner au Bangladesh et en Inde, ce qui signifiera moins d'envois de fonds pour ces pays. Le même phénomène se produira en Indonésie et aux Philippines.

Le Pakistan est le pays d'Asie du Sud que nous suivons de plus près parce qu'il éprouvera beaucoup plus de difficultés à rembourser sa dette en devises étrangères, y compris les prêts de l'ACDI et de la SEE.

La presse a publié aujourd'hui les résultats du recensement de 1996. Le visage de la société canadienne a beaucoup changé. J'ai été frappée ce matin non seulement par le taux de Canadiens d'origine allogène -- 17,4 p. 100 --, mais aussi par le pays source de nos nouveaux immigrants, particulièrement intrigant. Un seul autre pays a un taux plus élevé, c'est-à-dire l'Australie, où 22 p. 100 de sa population sont nés à l'étranger. Cependant, le pourcentage augmente au Canada. Les huit pays sources les plus importants sont tous asiatiques, sauf la Pologne. Par ordre décroissant, ce sont Hong-Kong, la Chine, l'Inde, les Philippines, le Sri Lanka, Taïwan et le Vietnam. Ce n'est qu'après qu'on trouve les États-Unis et le Royaume-Uni. Ces Canadiens d'origine asiatique continueront de s'intéresser à l'Asie. Ils font partie de nous et nous faisons partie d'eux. Notre politique étrangère à court, à moyen et à long termes continuera donc de mettre l'accent sur l'Asie. Nous sommes de ceux qui croient que les perspectives économiques de l'Asie demeurent excellentes.

Le sénateur Stollery: Les sortir du pétrin signifie essentiellement que le contribuable canadien défraye une partie de la facture. Je l'apprécie de moins en moins quand je sais qu'à Toronto, cet hiver, 7 000 personnes passeront la nuit dans la rue.

Dans son rapport de juin, le FMI annonce que trois nouveaux pays font maintenant partie du monde industrialisé, soit Taïwan, Hong-Kong et la Corée du Sud. Le groupe de sept comprend maintenant, selon le FMI, 10 à 11 membres. J'ai de la difficulté à le croire.

Il affirme aussi, dans le même rapport, que rien ne laissait présager de l'effondrement des devises du Sud-Est asiatique et d'éventuels secours financiers. Cependant, vous vous rappelez, j'en suis sûr, que rien n'avait laissé présager, il y a quelques années, de l'effondrement de la devise mexicaine et d'un éventuel secours financier.

Madame Hall, vous nous avez fait une énumération de faits. Je ne dois pas être le seul qui s'indigne que l'on soit incapable de prévoir ces crises. Nous savons tous qu'il y en aura d'autres, qu'en dépit de tous les renseignements dont nous disposons, nous sommes incapables de prédire où et quand elles frapperont. On utilisera nos contributions fiscales pour tirer d'affaire la région en crise.

Entre-temps, je trébuche sur certains des 7 000 sans-abri dont je vous ai parlé lorsque je me rends au marché St. Lawrence, le samedi. Je préférerais que mon argent serve à aider ces gens plutôt que ceux qui, de ce que j'en sais, sont souvent les artisans de leur propre malheur.

M. Rayfuse: Vous avez parfaitement raison de dire qu'une partie de la facture est payée par le contribuable. C'est pourquoi, lorsque nous concluons pareils arrangements, nous exigeons que les réformes qui s'imposent soient entreprises.

Ces concours financiers ne visent pas à faire du resquillage bancaire ou boursier. Ils reconnaissent qu'il peut y avoir déséquilibre provisoire de la balance des paiements et que ce déséquilibre peut être corrigé si le pays réoriente sa politique et effectue des réformes. La «conditionnalité» imposée par le FMI vise à faire en sorte que les réformes sont entreprises. Nous aidons ces pays à se sortir d'une mauvaise passe, mais il n'est certes pas question de les placer sous la tutelle permanente du FMI ou d'autres institutions financières.

Vous avez parlé de prévisibilité. Comme l'a fait remarquer ma collègue, on avait prédit la situation thaïlandaise en particulier. Les autorités de la Thaïlande avaient été averties que le déséquilibre de leur balance des paiements ne pourrait pas se maintenir indéfiniment. Ils ont fait la sourde oreille. C'est peut-être une des lacunes du système actuel. Le FMI peut émettre des avertissements, mais il ne peut obliger les pays à changer leurs politiques à moins que leurs dirigeants ne demandent de l'aide financière. Dans l'examen du système international et de ce que nous pouvons faire pour prédire ces situations, après les avoir effectivement prédites, il faut décider comment on peut encourager les pays à reconnaître la nécessité d'effectuer des changements. La question demeure ouverte. Elle sera étudiée. Je dirai même qu'elle est à l'étude actuellement au sein de diverses tribunes internationales.

M. Kumar: Essentiellement, ces problèmes surviennent quand le gouvernement et les institutions financières n'ont pas les reins suffisamment solides pour résister aux pressions exercées par les intérêts privés. C'est un phénomène que l'on remarque dans tous ces pays. Cela se produisait souvent en Europe, où l'on spéculait sur les changes, jusqu'à ce qu'un groupe plus stable prenne les rênes. Toutefois, c'est là le point faible du système financier, et je ne prévois pas de changement, parce que je ne connais pas de pays capable d'influencer la politique d'un autre.

Ce qui me préoccupe le plus, ce n'est pas tant l'Asie que la Russie, en raison de la faiblesse de son régime politique. On dénote, au sein de cette économie, la présence de nombreux groupes de pression aux intérêts opposés. Il faudrait que les institutions suivent de près la situation en Russie.

Mme Glasgow: Loin de moi l'idée de m'offenser de ce que dit le représentant du ministère des Finances, mais, dans la mesure où l'on utilise l'expression «tirer d'affaire», il faut l'utiliser à bon escient. «Tirer d'affaire» laisse entendre qu'on donne de l'argent. Toutefois, nos cotisations au fonds monétaire sont considérées comme étant un actif, non pas un passif. Le Canada a reçu de l'argent du FMI dans le passé. Ce n'est pas de l'aumône. L'argent est remboursé. Il aide les pays à surmonter une étape particulière de crise et à donner confiance. Il pourrait fort bien y avoir encore plus de sans-abri au marché St. Lawrence si plus d'économies s'effondrent, car le Canada dépend de son commerce avec les autres. En tant que tel, il a tout intérêt à faire en sorte que cela ne se produise pas.

Pour ce qui est des prévisions et des mises en garde, je vous le demande à nouveau: «Faut-il les rendre publiques?». Comme vous le savez, les marchés réagissent tout autant aux rumeurs qu'aux faits. Si le FMI fait une mise en garde trop dramatique au sujet d'une économie, la prédiction pourrait bien se réaliser. Il faut faire un compromis entre l'avertissement public et le conseil donné en privé. Comment pouvons-nous exercer plus d'influence et convaincre ces pays d'avaler la pilule et de mettre en pratique les conseils reçus?

Le sénateur Stollery: Comme mot de la fin, j'aimerais que vous réfléchissiez aux conseils donnés par Benjamin Graham dans son ouvrage intitulé Security Analysis. Parmi les critères qu'il utilise pour décider de ses investissements, il parle des marchés obligataires et boursiers qu'il vaut mieux, selon lui, laisser aux autres. Le conseil me semble bon. J'ai chez moi la septième édition, et c'est toujours le même conseil.

Le sénateur Bolduc: Il y a deux ou trois ans, nous avons vécu la crise mexicaine. Elle était, elle aussi, prévisible, mais elle est quand même survenue. Qu'est-ce qui a changé depuis lors? Manifestement, nous n'avons pas amélioré le système de surveillance international. Vous avez affirmé que, même si la crise thaïlandaise était prévisible, elle s'est quand même produite. Je ne comprends pas.

Je suis d'accord avec ce que dit mon collègue au sujet du concours financier donné à ces pays. Je crains que plus nous les aidons moins ils s'assagissent.

Que peut-on faire quand la politique économique est mauvaise et que ceux qui la mettent en oeuvre sont incompétents? On ne peut pas les changer. Que peut-on faire? Au sein d'une démocratie, la réaction du marché nous renseigne tout de suite sur ce que pensent les investisseurs des décisions prises par les dirigeants politiques. Toutefois, lorsqu'il n'y a pas de démocratie, la situation est plus incertaine parce que nous ignorons qui remplacera ces dirigeants. Les nouveaux venus pourraient s'avérer pires encore que ceux qu'ils remplacent. Avez-vous une opinion à ce sujet?

Mme Glasgow: Depuis le sommet de Halifax, où il a été beaucoup question de ce genre de situation en raison de la crise mexicaine, on a apporté plusieurs améliorations très précises. Nous pourrions vous fournir une partie de ces renseignements, monsieur le président. Ainsi, il y a eu amélioration sur le plan de la surveillance, de la transparence, de la promptitude avec laquelle sont prodigués les services, de la capacité de mobiliser des ressources plus rapidement et de faire en sorte que le Fonds monétaire international soit le plus compétent possible en vue de prodiguer de bons conseils.

L'imminence d'une crise en Thaïlande était beaucoup mieux connue que celle du Mexique, grâce, en partie, à notre surveillance. Après la crise mexicaine, de nombreux révisionnistes nous ont dit qu'ils avaient prédit la crise 18 mois auparavant. La surveillance s'était améliorée lorsqu'est survenue la crise en Thaïlande. On la prédisait depuis plus d'un an déjà, y compris dans les médias, de sorte que la surveillance est bien meilleure.

Les techniques qui consistent à travailler de concert avec les pays pour les aider à éviter la crise, à la prévenir, se sont aussi améliorées. Quand une crise survient, nous intervenons beaucoup plus rapidement, et les ressources sont déjà en place de manière à prévenir une détérioration de la situation causée par les remous.

Maintenant, deux ans plus tard, voyez la performance de l'économie mexicaine.

Je suis d'accord avec vous, sénateur, que le marché est le meilleur moyen de s'autodiscipliner. Toutefois, il se peut que nous soyons en train de tirer d'affaire des investisseurs privés, et cela pose problème. C'est une question à laquelle il faut s'arrêter.

Le FMI a imposé un remède de cheval au Mexique. Même ceux d'entre nous qui ont l'habitude de ses programmes ont été étonnés de leur sévérité. Par contre, voyez comme la performance économique du Mexique s'est rétablie au cours des deux dernières années. Il faut croire que le système a du bon.

M. Rayfuse: En réponse à votre question concernant ce qui s'est fait depuis la crise mexicaine, plusieurs mesures ont été prises. On a cherché à rendre les économies plus transparentes en mettant sur pied, au sein du FMI, un système de diffusion des données qui améliorerait tant la qualité de la statistique que sa distribution. À la suite du sommet de Halifax, le FMI a reçu des ressources supplémentaires. Mme Glasgow en a déjà parlé lorsqu'elle a mentionné l'accroissement des quote-parts au FMI et les nouvelles modalités d'emprunt. De plus, le FMI a mis en place un mécanisme de financement d'urgence en vue de pouvoir réagir aux crises plus rapidement. Ce sont là des mesures particulières qui ont été prises en vue d'agir avant la crise et, s'il survenait une crise, de permettre au FMI d'y réagir plus rapidement.

Quant à la raison pour laquelle les crises continuent de se produire, le FMI est peut-être en mesure de les prédire, mais il est incapable -- à moins que le pays ne lui demande de l'aide -- de forcer le pays à changer sa politique.

Le sénateur Bolduc: L'ossature d'un système de mise en garde collective est en place. Par exemple, les lignes de communication des Européens de l'Ouest sont toujours ouvertes au sujet de ces questions. Naturellement, leurs politiques ne sont pas toutes bonnes et ils font de la spéculation, eux aussi. Toutefois, ils se serrent assez bien les coudes et ils en discutent entre eux. Le dialogue entre les Français et les Allemands doit être plutôt âpre. Il n'existe pas de groupe de discussion comme celui-là en Asie. Dans de nombreux pays, les dictateurs dialoguent peut-être entre eux, mais ils n'agissent pas tant et aussi longtemps qu'ils n'ont pas dégagé un consensus, ce qui se produit rarement. Je ne suis pas sûr que la situation en Amérique du Sud se soit améliorée. Quelle valeur accordez-vous à ces discussions franches?

M. Kumar: C'est ainsi que se sont comportés les Italiens pendant des années après la Deuxième Guerre mondiale. Par contre, lorsqu'ils ont été forcés d'adhérer à l'Union monétaire européenne, ils ont été obligés de changer leur politique, leur gouvernement et le fonctionnement de leur banque centrale. Le pas décisif est lorsqu'un pays est forcé d'adhérer à une structure.

Les Français et les Allemands dialoguent souvent depuis la fin de la guerre. Cependant, comme je l'ai dit, les Italiens ont fait à leur tête jusqu'à ce qu'ils aient à décider s'ils voulaient faire partie de l'Europe ou demeurer en marge. La même chose s'est produite en Espagne et au Portugal. Il semble que, lorsqu'il devient membre d'un bloc, le pays est obligé de dialoguer. Toutefois, en l'absence d'une structure quelconque, il ne s'en donne pas la peine.

Mme Glasgow: L'examen par des pairs qui a lieu au sein de l'OCDE ne plaît pas beaucoup aux Asiatiques. C'est une bonne façon d'inciter son voisin à mieux se comporter. Le monde est si interdépendant que le comportement de l'un influe sur tous les autres. Au cours des dernières années, nous avons assisté, sous l'effet du dialogue qui a lieu au sein du Groupe de coopération économique Asie-Pacifique, à un changement graduel en faveur de discussions au sujet de la politique.

Par exemple, cette année, pour la troisième année consécutive, un document dont il a été convenu circulera sur la coopération économique et technique. Il n'engage pas seulement la participation des économies asiatiques. Il inclut aussi le Canada, les États-Unis et certains pays d'Amérique latine. Voilà un mouvement dans le sens que vous proposez, et il est important. Cependant, si vous êtes de ceux pour qui chaque malheur a du bon, je signale qu'à la suite de la plus récente crise, la classe politique d'Asie a fait des appels publics à un rapprochement économique et monétaire au sein de la région. Ce n'est pas négligeable.

Le sénateur Bolduc: Le fait que nous participions à un groupe dont ils font partie, que des échanges aient lieu et que, de plus en plus, ils en viennent à accepter le modèle politique européen ou nord-américain vous laisse-t-il optimiste?

Mme Glasgow: Ils accepteront soit un de ces modèles, soit un nouveau.

M. Rayfuse: Actuellement, il existe un mécanisme d'examen au sein du FMI. Dans le cadre des audiences prévues à l'article 4, le FMI peut faire une évaluation brutale. Les directeurs exécutifs du FMI, dont un est canadien, en discutent entre eux. J'admets aussi que des mécanismes de consultation plus rapprochée et plus régulière seraient probablement utiles. Ce sera probablement l'un des effets de la crise. Je n'ose faire des conjectures quant aux changements institutionnels exacts qui en résulteront, mais il est vrai que, dans de nombreuses déclarations publiques que j'ai lues, la classe politique de la région de même que les autorités américaines et japonaises ont affirmé qu'il faudrait effectivement avoir davantage recours aux examens par les pairs ou prévoir un mécanisme quelconque de consultation collective ou régionale. Je crois qu'on peut s'attendre à la mise en place d'un mécanisme du genre que vous préconisez.

M. Kumar: Il existe certes une zone du dollar US. Nous connaissons maintenant les marges de la zone du mark allemand que nous appellerons la zone de l'Union européenne. Jusqu'à ce que l'économie japonaise se rétablisse suffisamment pour créer une zone du yen, l'Asie demeurera instable. Une partie de cette instabilité est due aux bouleversements qui secouent le Japon. La principale différence entre l'Europe et l'Asie tient au fait que le Bundesbank et les autres se sont regroupés.

Le sénateur Bolduc: L'influence des Chinois est telle en Asie du Sud-Est que les Japonais sont obligés de faire leur jeu sans protester, un peu comme ce que faisaient les Italiens en Europe.

Nous n'avons pas parlé de l'influence qu'a eu ce petit bouleversement. Il n'est peut-être pas terminé. La situation de l'immobilier est telle dans ces pays qu'il faudra bien qu'un jour, ce qui s'est produit au Japon se produise là aussi. Je ne suis pas sûr que leur institution financière aura les reins suffisamment solides pour être à la hauteur.

J'ai remarqué que le dollar canadien perd de sa valeur depuis quelques semaines et que la Banque du Canada essaie de le renflouer. Elle aurait injecté un demi-milliard de dollars à cette fin au cours des deux dernières semaines. Pouvez-vous nous fournir des chiffres à cet égard?

M. Rayfuse: Je ne les ai pas.

Le sénateur Bolduc: Un montant de 440 millions de dollars vous semble-t-il juste?

M. Rayfuse: Je ne pourrais vous dire. Je n'ai pas les chiffres.

Le président: Y a-t-il un rapport entre cette question et les pressions à la baisse exercées sur le dollar canadien?

Le sénateur Bolduc: Il pourrait y en avoir si notre commerce extérieur est touché.

M. Rayfuse: Je ne crois pas que ce soit le cas, étant donné que l'impact sur notre commerce à l'étranger sera probablement trop faible. Ces quatre pays représentent moins de 1 p. 100 de nos échanges commerciaux.

Le sénateur Bolduc: Qu'en est-il des États-Unis?

M. Rayfuse: Aux États-Unis, l'effet sur le PIB est à peu près le même. Ils ont plus d'échanges avec des pays de cette région, mais ce commerce représente une partie beaucoup plus restreinte de leur économie. En termes de croissance économique, on parle de 0,2 à 1 point de pourcentage au plus. L'impact ne devrait donc pas être important. De plus, j'ai mentionné une autre voie de contagion, celle de la similitude macro-économique. Durant la crise mexicaine, on a voulu savoir dans quels pays les dépenses gouvernementales semblaient débridées. À ce moment-là, notre déficit était énorme. Nous en avons payé le prix, soit des taux d'intérêt plus élevés. Ce n'est pas le cas, cette fois-ci. La base semble très solide. Le Canada est le pays du G-7 qui a la meilleure situation financière. Les taux d'intérêt canadiens n'ont donc pas bougé. En fait, les taux canadiens à long terme ont reculé légèrement tout de suite après le déclenchement de la crise.

Le dollar canadien est à la hausse depuis quelques jours. Il est pratiquement impossible de prédire les fluctuations de la monnaie, mais je puis affirmer, en toute certitude, que les événements survenus en Asie du Sud-Est n'ont pas eu de répercussion sur le dollar canadien. La crise n'est pas si importante.

Le sénateur Bolduc: Toutefois, les 500 millions de dollars que nous cotisons à l'institution financière passeront, l'an prochain, à 600 millions de dollars.

M. Rayfuse: Ce sera effectivement notre nouvelle quote-part. Ce n'est pas un poste budgétaire.

M. Kumar: Le dollar australien a aussi perdu de sa force durant la crise. L'investisseur international devient plus prudent. S'il peut obtenir de bons taux d'intérêt sur le dollar US, qui demeure la devise la plus forte, il en achètera probablement. Il faut indubitablement que le Canada prenne garde, car ses taux d'intérêt sont inférieurs à ceux des États-Unis. Par conséquent, durant pareille période d'instabilité, il importe d'inspirer la confiance. Cela ne changera pas.

Le sénateur Whelan: Je ne crois pas que le FMI soit si compétent. Il a mal géré de nombreuses situations. Par exemple, en agriculture, des personnes qui ignorent tout du domaine se rendent dans un pays comme la Russie ou l'Ukraine, prennent des décisions et exigent qu'elles soient respectées avant de leur débloquer des fonds. En Ukraine -- et l'ACDI ne s'y oppose pas --, le système repose sur l'exploitation de parcelles de terre, ce qui cause de la pauvreté. Au Canada, nous sommes en train d'éliminer les petites parcelles de terre. Nos fermes prennent de l'expansion. C'était l'occasion rêvée de faire de l'Ukraine l'un des plus grands producteurs agricoles du monde. Ils sont en train de saboter l'Ukraine en n'allant pas l'aider à s'organiser. Bien développée, elle pourrait devenir le plus riche pays agricole du monde. Pour y arriver toutefois, il ne suffit pas de donner aux gens 10 hectares de terre et s'attendre qu'ils survivront. Il y a un imbécile quelque part au FMI qui prend ce genre de décision.

Nous sommes allés en Ukraine et avons fait des recommandations. En tant qu'ancien ministre de l'Agriculture et agriculteur, j'y ai passé sept semaines. L'ACDI nous a dit que nous ne connaissions rien à l'agriculture et n'a pas accepté notre rapport. Il m'est difficile de croire que ces gens leur disent qu'ils doivent instaurer la démocratie, qu'ils doivent mettre en place un système de marché libre, alors qu'ils ne se rendent pas dans cette région du monde pour travailler directement avec les intéressés. Ils donnent des conseils à distance. Ils se contentent d'arriver, de faire la loi et de séjourner dans les meilleurs hôtels de Kiev. Les représentants de la Banque mondiale font la même chose. Lorsque nous étions là-bas, nous avons logé dans des appartements de basse catégorie. Je me suis trouvé avec un ancien doyen du département des affaires de l'Université de Windsor. Un des représentants de la Banque mondiale qui nous disait ce qu'il fallait faire en Ukraine enseignait l'économie à l'Université en Hongrie. Ce génie de l'économie leur disait comment privatiser. Il a des propriétés à Washington, en Floride et à Budapest. Il nous disait comment l'agriculture devait être organisée. Pour moi, les aliments sont les produits de base les plus importants.

D'après le Globe and Mail, la grippe économique asiatique va se propager au Canada. Les importations à bas prix vont trouver un moyen d'entrer au Canada.

L'autre jour, j'ai écouté M. Trump qui était interviewé à la télévision. M. Trump l'a emporté sur les banques avec autant de facilité que s'il avait joué à l'ancien jeu de cartes canadien, «l'euchre». Il a dit à ses banquiers qu'il avait des dettes de 8 milliards de dollars et qu'il avait besoin de 600 à 800 millions. Non seulement les banques lui ont-elles donné cet argent, mais encore, lui ont-elles versé un revenu mensuel de 450 000 $ plus des indemnités. Il est aujourd'hui plus riche qu'il ne l'a jamais été; en effet, comme les institutions financières lui devaient tellement d'argent, elles ont dû accepter ce qu'il leur disait au risque de perdre des milliards de dollars. Ce sont les banques qui l'ont mis dans cette position au départ.

Lorsque nos taux d'intérêt étaient élevés, ce n'est pas en Indonésie ou en Asie que les pertes économiques les plus importantes se sont produites, mais aux États-Unis d'Amérique. Les investisseurs canadiens ont perdu des milliards de dollars aux États-Unis dans l'immobilier et autres investissements. Canadian Tire a perdu 600 millions de dollars pour une seule entreprise au Texas. Cette société a suivi le même chemin que les banques. Je devrais vous dire que les banques sont mon dada. J'ai occupé un poste de responsabilité au sein de la dixième institution de prêts du Canada, la Société du crédit agricole. Où est-ce que Canadian Tire a recouvré ses pertes? Au Canada.

M. Kumar n'a pas indiqué combien la CIBC a investi en Asie et combien elle a perdu. Vous ne nous avez pas dit combien elle a perdu au Mexique. Elle a perdu des millions de dollars au Mexique, mais maintenant elle se trouve en situation de profit, puisqu'elle a très rapidement réorganisé ses frais de service. Elle a recouvré la plupart de ses fonds en puisant dans les poches des ressortissants canadiens. Lorsque M. Flood, directeur de la CIBC, était directeur de banque dans la ville de Essex, il n'a pas voulu me consentir de prêt.

Ce qui m'inquiète, c'est que nos marchés seront inondés par ces produits d'importation à bas prix de l'Indo-Asie.

Le commerce mondial n'a rien de nouveau. Marco Polo lui-même a ramené des spaghetti de Chine, lorsqu'il était chercheur d'or. Il a été financé par les commerçants pour ramener des esclaves dans leur pays. Ces esclaves travaillent maintenant en Malaisie, en Indonésie et aux Philippines et les produits sont expédiés au Canada. Le commerce mondial n'a rien de nouveau.

Mme Hall, vous avez dit plus tôt que ces produits allaient inonder nos marchés.

Le FMI est financé par notre argent. Je me souviens avoir rencontré le premier ministre, parce que je voulais que l'on fasse plus pour le Mexique. Il m'a dit qu'il admirait ma compassion pour les Mexicains, mais aussi que ce pays était si malhonnête qu'il ne croyait pas que quiconque puisse jamais les aider. Vous avez parlé du regain de vigueur du Mexique. Les banques ont investi 600 millions de dollars ici, 300 millions de dollars là.

Beaucoup de ces pays, comme l'Indonésie, par exemple, sont dotés de systèmes politiques et bancaires très corrompus et le népotisme y est répandu.

Le sénateur Andreychuk: Il y a quatre ans environ, le gouvernement a déclaré qu'il fallait développer nos échanges à l'échelle de la planète si nous voulions survivre. Tous les ministères ont activement recherché de nouveaux marchés et l'Asie est devenue un marché très important. Récemment, nous avons pu suivre les visites d'Équipe Canada.

Lorsque je suis allée en Malaisie, il y a plus d'un an, on m'a dit que le secteur de l'immobilier était trop actif et que le Canada contribuait au problème. Les deux tours, bien connues, sont maintenant terminées, sont-elles occupées ou non, je ne le sais pas. Nous avons été très agressifs en Asie. Nous avons encouragé le gouvernement du Canada à considérer l'Asie comme un investissement à long terme. Même s'il ne s'agit que de 8 p. 100 -- et vous avez dit qu'il est inutile d'apporter des changements dans notre économie -- beaucoup d'hommes d'affaires ont investi du temps et de l'énergie au développement de ce marché. Quelle est maintenant votre stratégie? Que faut-il dire à toutes ces entreprises qui se préparent pour les marchés asiatiques? Faut-il les encourager à continuer sur la même voie? Quels conseils pouvons-nous donner aux entreprises qui se rendent en Asie?

Nous étions au courant de certains des facteurs de risque, mais je ne crois pas que nous les ayons définis en fonction des entreprises. Je ne blâme pas le FMI. Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette expérience pour nos futurs investissements en Asie?

Mme Hall: Les marchés fluctuent et nous sommes assez positifs en ce qui concerne les principes de base des économies asiatiques, et très positifs quant à l'avenir de l'Asie, en raison des possibilités d'exportation qui se multiplient. Notre part du marché d'exportation en Asie a diminué. On peut l'expliquer de deux façons: les échanges à l'intérieur de l'Asie ont connu une croissance sans précédent. Nos concurrents ont également fait plus que nous-mêmes. En même temps, les économies en Amérique du Nord se sont davantage intégrées, notamment le Canada et les États-Unis, si bien que nos échanges se développent avec les États-Unis.

Nous encourageons les entreprises déjà installées en Asie à rester, mais à modifier leurs stratégies commerciales. Ce n'est probablement pas le moment pour les petites et moyennes entreprises de percer les marchés des pays clés qui ont été touchés pour la première fois, car les importations sont prohibitives. Toutefois, les entreprises qui sont déjà là pourraient tirer profit de possibilités très attrayantes d'une autre nature. Pas d'exportations directes mais des achats fermes de sociétés.

M. Kumar: Ce sont les marchés des valeurs mobilières et des obligations que je connais le mieux. Dans ces marchés, il faut toujours se couvrir. On n'est jamais sûr de gagner. Les sociétés ne devraient jamais se concentrer sur une seule région. Si elles veulent s'installer à l'étranger, elles devraient penser à l'Europe et à l'Asie et essayer d'équilibrer leurs efforts. Elles devraient décider si elles sont suffisamment importantes pour le faire. Se concentrer sur une seule région équivaut à acheter une seule action et à supposer que l'on va s'enrichir. Il est important de diversifier.

Pour ce qui est de la démographie à long terme, il y a beaucoup de jeunes en Asie à l'heure actuelle. Je veux parler de ceux qui ont moins de 20 ans. D'ici 10 ou 15 ans, ce seront eux les productifs qui créeront beaucoup de revenus et dépenseront beaucoup d'argent. Les sociétés installées à plus long terme prennent cette réalité en compte et leurs perspectives restent inchangées.

Comme dans le cas des marchés, ceux qui ne peuvent pas rester à long terme sont perdants à court terme. Avant d'aller à l'étranger, il faut savoir si l'on peut rester à long terme, soit 10, 15 ans.

Le sénateur Bolduc: Les petites sociétés peuvent également faire de la sous-traitance pour les plus grandes qui sont sur place.

M. Kumar: Oui. Cela se fait avec beaucoup de succès dans l'industrie des pièces automobiles, mais très peu vont y installer leur entreprise. Ils font de la sous-traitance pour une grande société et sont donc protégés par elle.

M. Rayfuse: J'aimerais souligner l'importance du long terme. Vous avez une région qui, ces 20 dernières années, a connu la plus forte et la plus rapide hausse du niveau de vie encore jamais vue. Cela reflète plusieurs points forts de l'économie. Cette crise monétaire a permis de mettre le doigt sur certains points faibles du secteur financier, mais cela ne devrait pas décourager la croissance à long terme. C'est une crise qu'ils vont surmonter. L'Asie du Sud-Est a connu des crises financières au cours des 20 dernières années. Ces pays les surmontent. Les points forts fondamentaux sont toujours là. Il existe d'autres limites éventuelles à la croissance asiatique, dont Mme Hall a parlé: l'infrastructure environnementale, les goulots d'étranglement, et cetera, mais il s'agit-là de débouchés pour les entreprises canadiennes. Je souligne qu'il est important de voir les choses à long terme.

Mme Glasgow: Que peut faire le gouvernement du Canada pour aider les exportateurs canadiens? Le gouvernement peut créer un environnement facilitant. En fait, c'est ce que nous faisons, mais nous avons aussi la responsabilité de garantir que les politiques dans ces pays sont saines et permettent la poursuite de la croissance, et de garantir que ces pays ne fermeront pas leurs frontières au commerce et à l'investissement. Cela relève du plus long terme et se rattache beaucoup à la «conditionnalité» du FMI, aux discussions officielles et informelles que nous avons avec ces pays. Nous essayons de créer les bonnes conditions pour nos exportations ainsi que pour nos investissements à l'étranger.

De toute évidence, le secteur privé fait ce qu'il veut. Je crois qu'il n'écoute plus les conseils du gouvernement.

Le président: Dans quelle mesure les situations telles que celles survenues en Thaïlande peuvent-elles être contrôlées en liant le taux de change? Mis à part Hong-Kong, les investisseurs devraient-ils être sur leurs gardes lorsque le taux de change d'un pays où ils investissent est lié?

M. Rayfuse: Un taux de change lié peut donner de bons résultats et, en fait, beaucoup de pays trouvent que cela leur permet d'obtenir de la crédibilité. Si un pays qui a toujours connu une forte inflation veut obtenir une crédibilité instantanée, il va lier son taux de change à celui d'un pays de faible inflation. À cet égard, cela peut être positif.

Un taux de change lié peut poser des problèmes, lorsqu'il devient décalé et crée des conditions où les rentrées de capitaux ne correspondent jamais aux sorties, qu'il s'agisse d'un déficit de compte courant qui n'est pas financé par des marchés financiers internationaux, ou d'autre chose.

Si vous envisagez de faire des investissements dans un pays dont le taux de change est lié, vous devez connaître les signes avant-coureurs de problèmes éventuels. Par exemple, un déficit prolongé du compte courant, surtout lorsque ce déficit est causé essentiellement par le financement de la consommation plutôt que par des investissements productifs. Lorsqu'un pays perd des réserves de devises à un rythme insoutenable, comme le Mexique en 1994-1995, les problèmes ne manquent pas de surgir. Lorsque le pays, malgré le taux de change fixe, affiche un taux d'inflation plus élevé que celui de ses principaux partenaires commerciaux, ce que les économistes appellent l'appréciation du taux de change réel, cela veut dire que des pressions concurrentielles ne vont pas manquer de s'exercer ou que l'on assistera à une création monétaire excessive.

La composition de la dette d'un pays peut également annoncer d'éventuels problèmes. Les pays qui empruntent à court terme essentiellement, ceux dont l'actif est découvert, comme la Thaïlande, présentent des risques. Un taux de change lié devient intenable lorsque la situation de la balance des paiements est à long terme intenable.

Le président: Merci beaucoup. J'ai ici l'ébauche d'un rapport qu'il faudrait examiner.

Comme vous le savez, honorables sénateurs, nos discussions portent maintenant sur l'APEC, mais d'autres questions ont été soulevées et nous avons besoin d'un autre ordre de renvoi. Je propose que nous demandions au Sénat l'autorisation d'étudier, pour en faire rapport, les conséquences pour le Canada de la nouvelle union monétaire européenne, et d'autres questions connexes relatives au commerce et à l'investissement.

Est-ce d'accord, honorables sénateurs? Le sénateur Bolduc me fait un signe de la tête.

Le sénateur Corbin: Qu'est-ce qui est à l'origine de cette proposition?

Le président: Il en a été fait mention à notre première séance. Des questions ont été posées pour savoir si oui ou non le comité se tenait informé de ce qui se passe en Europe relativement à l'élargissement et à la réalisation de l'union monétaire. Des questions ont été posées à propos de l'accord multilatéral sur l'investissement.

Le sénateur Bolduc: N'oublions pas l'Amérique latine.

Le président: Effectivement. Ce sont des propositions que nous ne pouvions pas aborder dans le cadre du renvoi sur l'APEC. Cela nous permettrait de le faire.

Le sénateur Andreychuk: La phrase «...et d'autres questions connexes relatives au commerce et à l'investissement» me pose un problème, car selon moi, elle pourrait nous limiter à l'étude de la nouvelle Union monétaire européenne. Toutefois, d'après l'interprétation de notre président, nous pouvons reprendre notre étude sur l'Amérique latine. C'est important pour moi.

Le sénateur Bolduc: L'utilisation en anglais du mot «on» dans la deuxième partie du libellé l'explique clairement.

Le sénateur Andreychuk: Tant que l'Amérique latine est englobée, je n'ai pas de problème.

Le président: Le sénateur Bolduc, spécialiste de la langue anglaise, nous dit que la répétition du mot «on» éclaircit la situation.

Le sénateur Andreychuk: Devant les tribunaux, une seule interprétation serait acceptable. C'est la raison pour laquelle nous avons des juges et des conseillers juridiques.

Le président: En cas de contestation, je défendrais mon interprétation devant les tribunaux.

Le sénateur Andreychuk: Il s'agit de savoir ce que, en tant que comité, nous sommes autorisés à étudier.

Le président: Je crois que nous en convenons tous.

Le sénateur Andreychuk: Les sénateurs peuvent poursuivre le débat sur l'interprétation du libellé en question.

Le président: Nous allons poursuivre à huis clos.

La séance se poursuit à huis clos.


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