Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 26 novembre 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères auquel est renvoyé le projet de loi C-22, Loi de mise en oeuvre de la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, se réunit aujourd'hui à 15 h 15 pour en faire l'examen.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, le Sénat a terminé la deuxième lecture du projet de loi C-22 et l'a renvoyé à notre comité pour que nous l'examinions. Cet après-midi, nous avons avec nous du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, l'honorable ministre Lloyd Axworthy. Il est accompagné de Mme Beverly Chomyn et de M. Eric Walsh.
J'invite le ministre à faire sa présentation.
L'honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères: Monsieur le président, je tiens tout d'abord à remercier les sénateurs de la rapidité avec laquelle le projet de loi franchit les différentes étapes dans cette Chambre. Il est important que nous ayons l'occasion d'aborder cette question avant la tenue de la conférence la semaine prochaine.
À compter du 3 décembre, la convention interdisant les mines antipersonnel sera signée par plus d'une centaine de pays à Ottawa. Le traité même a établi une nouvelle norme avant même d'avoir été officiellement signé et mis en oeuvre. C'est la première fois dans l'histoire du désarmement que nous interdisons l'utilisation massive d'une arme commune.
L'importance de ce projet de loi c'est qu'il nous donne, à nous Canadiens, l'occasion à la fois de signer le traité et de le ratifier. La prochaine étape décisive consistera à faire ratifier le traité par un minimum de 40 pays pour qu'il puisse être déposé auprès des Nations Unies comme texte de loi international ayant force exécutoire. Pour que les Canadiens puissent continuer à encourager cette vaste coopération et cette vaste participation à l'échelle internationale, il faudrait que cette ratification historique et importante ait lieu en même temps que la signature de la convention.
J'aimerais situer un peu le contexte de cette initiative à l'intention des membres du comité. C'est à l'instance principalement des victimes de mines terrestres que le mouvement d'interdiction des mines antipersonnel a commencé. Des anciens combattants et d'anciens membres des forces armées se sont ralliés au mouvement ainsi qu'un certain nombre d'ONG internationales de même que la Croix-Rouge internationale, qui ont décidé, il y a environ sept ou huit ans, d'unir leurs efforts pour faire comprendre que les mines mêmes n'avaient plus d'utilité militaire et que 80 p. 100 à 90 p. 100 des victimes étaient désormais des civils.
J'aimerais, si vous me le permettez, vous relater une expérience personnelle. Je me suis rendu dans un centre de soins au sud du Liban la semaine dernière, où sont traités de jeunes enfants blessés par des mines. Il était très triste de voir tous ces jeunes enfants qui avaient ramassé des mines conçues pour ressembler à des jouets, à de petits camions, de petites voitures ou de petits avions. Une fillette de 12 ans avait ramassé ce qu'elle croyait être un jouet pour l'offrir en cadeau à son jeune frère. La chaleur dégagée par sa main a fait exploser l'engin qui l'a mutilée pour la vie. Cette histoire montre bien de façon saisissante que la plupart des gens blessés par des mines terrestres sont des civils.
C'est pourquoi un certain nombre de pays, dont le Canada, ont commencé à préconiser diverses formes de restrictions ou un moratoire sur les mines, mais ce genre d'initiative ne semblait pas mobiliser la communauté internationale. La cconférence sur le désarmement à Genève ne semblait pas disposée à donner suite à cette question. Comme vous le savez, cette conférence fonctionne par consensus et par conséquent les choses n'avancent pas très vite.
Nous avons convoqué une réunion ici à Ottawa en octobre dernier à laquelle ont participé un certain nombre de pays qui avaient déjà pris des mesures concernant le problème des mines terrestres, et certaines ONG internationales. Il est alors devenu clair dans notre esprit que nous devions offrir une nouvelle voie diplomatique. Nous avons alors invité les pays à venir à Ottawa un an plus tard pour signer un traité.
Je crois pouvoir dire que les résultats obtenus ont dépassé toutes nos attentes. Comme je l'ai indiqué, environ 130 pays assisteront à la conférence. Plus d'une centaine d'entre eux se sont déjà engagés à signer le traité. Un certain nombre de pays y participent à titre d'observateurs mais même ces pays qui ont indiqué ne pas pouvoir signer le traité seront quand même présents puisque l'objectif de la conférence n'est pas uniquement d'obtenir la signature du traité mais de favoriser le débat sur les mesures à prendre après le traité. Il faudra déterminer comment on procédera au déminage. Il y a 110 millions de mines terrestres -- des engins de mort -- dans une quarantaine de pays. Comment nous en débarrassons-nous? Comment aidons-nous les victimes? Comment aiderons-nous les pays à se développer à nouveau?
Nous profiterons de la conférence d'Ottawa pour lancer le deuxième processus d'Ottawa destiné à mobiliser les ressources, à obtenir des engagements financiers et autres et à coordonner ces aspects pour nous permettre de nous attaquer aux énormes problèmes du déminage et aider les victimes partout dans le monde.
Lorsque j'étais au Moyen-Orient, j'ai constaté que certains pays n'étaient pas disposés à signer. Cependant, l'Égypte, Israël, la Jordanie et la Syrie ont tous indiqué qu'ils seraient présents à la conférence simplement pour participer aux discussions sur les prochaines mesures à prendre. C'est un signe positif.
J'estime que nous avons réussi à faire preuve d'un leadership très utile, ce qui correspond au genre d'initiative qu'une puissance moyenne internationale comme le Canada peut prendre. Nous pouvons exercer un certain nombre d'activités qui contribueront à mobiliser le reste de la communauté internationale. La prochaine semaine constituera une étape importante vers la concrétisation de cet objectif.
Dans le domaine de la diplomatie internationale, les symboles et les messages ont beaucoup de poids. L'occasion qui nous est offerte non seulement de signer le traité mais de remettre également, par l'entremise du premier ministre, un traité ratifié au secrétaire général sera un message extrêmement éloquent. Je pense qu'il incitera de nombreux autres pays à accélérer le processus.
Je sais qu'un grand nombre de membres du comité font partie de diverses associations parlementaires. Au cours des réunions qui auront lieu les deux prochaines années, j'espère que les parlementaires canadiens encourageront activement leurs homologues à ratifier le traité, car la prochaine étape est parlementaire. Nous passons de l'étape diplomatique, c'est-à-dire la signature, à l'étape parlementaire, c'est-à-dire la ratification du traité. C'est le processus que nous avons amorcé aujourd'hui.
Le premier objectif du projet de loi C-22 est d'inscrire dans notre loi les exigences du traité, à savoir interdire l'acquisition, la production, l'exportation ou le stockage de mines antipersonnel. Tous ces actes deviennent alors contraires au droit canadien.
Le projet de loi exige la destruction de toutes les mines antipersonnel. D'ailleurs, il y a trois ou quatre semaines, le Canada a détruit ses dernières mines. Nous avons droit à environ 1 200 mines terrestres à des fins d'entraînement et de manipulation. Nos forces armées, qui sont devenues des spécialistes du déminage, continueront à disposer d'une petite quantité de mines simplement à des fins d'entraînement pour pouvoir montrer aux autres pays -- comme le Cambodge -- la façon de procéder.
Le projet de loi énonce également les mesures de vérification nécessaires pour assurer l'observation du traité.
Le projet de loi C-22 criminalise également en vertu du droit canadien les activités interdites en vertu de la convention.
Pour aider les sénateurs, nous avons annexé le texte de la convention au projet de loi pour vous permettre de constater le lien direct qui existe entre ces deux textes.
Le projet de loi renferme des dispositions portant sur un certain nombre d'événements ou de cas très précis. Nous avons dû prévoir dans la loi des missions d'établissement des faits envoyées au Canada pour enquêter sur des accusations de non-observation de la convention. Nous tenions à nous assurer que toute activité d'inspection sera conforme à la Charte. C'est pourquoi nous avons ajouté au projet de loi une disposition prévoyant que toute mesure destinée à assurer le respect de la convention serait prise par l'entremise d'un tribunal et non simplement par le ministre. Un tribunal serait chargé de prendre ces décisions pour veiller à ce qu'elles soient appropriées et conformes aux dispositions de la Charte.
Nous avons également prévu une définition plus précise des mines antipersonnel dans la loi pour en faciliter l'interprétation par les tribunaux canadiens. Nous avons défini de façon encore plus précise la convention que dans l'ancienne loi afin d'éliminer toute ambiguïté pour les tribunaux.
Des exemptions sont prévues pour désactiver correctement les mines qui peuvent être exposées dans un musée ou gardées en souvenir. Pour vous en donner un exemple, ce matin mon fils de 12 ans présentait à sa classe de 7e année son projet de science qui porte sur les mines terrestres, et j'avais réussi à lui obtenir quelques mines complètement désactivées. C'est un bon exemple de la façon dont cette question a capturé l'intérêt d'un grand nombre de nos jeunes.
Comme vous le savez, j'ai rencontré la semaine dernière à Toronto un merveilleux groupe d'enfants de l'école Ancaster qui m'ont remis un traité qu'ils avaient rédigé sur les mines terrestres. Le dialogue a été très intéressant. Je leur ai montré quelques mines terrestres que j'ai toujours avec moi pour ce genre d'occasions.
Une exemption importante est également prévue pour le personnel des Forces armées canadiennes ou les agents de la paix qui peuvent être obligés d'avoir temporairement en leur possession des mines antipersonnel dans le cadre de leurs fonctions -- par exemple lorsqu'ils les livrent pour qu'elles soient détruites. Pour qu'ils puissent confisquer des mines, il faut qu'ils soient autorisés à les manipuler.
Nous avons réussi à établir la base juridique qui permettra de nous assurer qu'il n'existera jamais de mines au Canada. Je pense qu'il s'agit d'une affirmation importante. À l'échelle internationale, elle consolide notre engagement à l'égard de cette interdiction et nous permet de conserver un leadership solide.
C'est l'objet du projet de loi et c'est un objet que je considère louable. Je tiens à remercier de nouveau le Sénat d'avoir agi aussi rapidement. Ma collègue, Mme Chomyn, du ministère de la Justice, pourra répondre à toutes vos questions juridiques. M. Walsh, du ministère des Affaires étrangères, pourra répondre à toutes les questions techniques.
Le président: Je pourrais peut-être poser quelques questions mineures de procédure.
D'après ce que je crois comprendre, le projet de loi obtiendra la sanction royale et deviendra alors loi. Vous ratifierez alors la convention. La ratification est une mesure de l'organe exécutif du gouvernement. Il ne s'agit pas d'une mesure parlementaire. Vous ne pouvez ratifier la convention qu'une fois que le Parlement vous aura donné le pouvoir législatif de remplir les conditions de la ratification.
M. Axworthy: C'est exact. En vertu du processus de ratification, nous devons indiquer aux Nations Unies que nous avons respecté toutes les dispositions de la loi. Si le Parlement parvient à nous conférer ce pouvoir d'ici la fin de cette semaine, nous espérons que le premier ministre, lorsqu'il rencontrera le secrétaire général -- qui d'ailleurs assistera à la conférence -- pourrait alors remettre au secrétaire général les instruments de ratification.
Je constate que M. Lysyshyn vient d'arriver. Il est directeur général de la Sécurité internationale au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Il s'occupe de ces questions.
Le président: Je constate que vous avez indiqué -- et cela bien sûr se trouve dans le document -- qu'il y a une annexe au projet de loi qui renferme le texte de la convention. Votre intention est-elle de faire adopter l'annexe pour qu'elle fasse alors partie de la loi canadienne?
M. Axworthy: Oui, c'est notre intention. C'est la façon dont la Chambre a procédé. Elle ferait partie intégrante de la loi même.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter de votre extraordinaire habileté politique. Ce que vous avez réussi à accomplir durant cette période de temps et les pressions qui ont été ainsi exercées sur les pays hésitants témoignent d'une remarquable habileté politique.
Cela dit, nous sommes des sénateurs. De par notre présence ici aujourd'hui, nous avons enfreint une règle traditionnelle qui est de ne pas examiner une question avant qu'elle l'ait été par l'autre Chambre. Vous me pardonnerez si je soulève certains questions qui me paraissent d'une importance fondamentale. Je n'ai aucunement l'intention de dénigrer vos efforts car je crois sincèrement qu'il s'agit d'un hommage remarquable envers vous-même, envers le premier ministre, envers le Cabinet et évidemment envers le Canada.
Cela dit, j'aimerais commencer par le traité. En effet, le traité emploie le mot «jamais». L'article premier énonce:
Chaque État partie s'engage à ne jamais, en aucune circonstance:
a) employer de mines antipersonnel;
Je sais qu'une forte proportion des victimes de mines sont des civils. Cependant, envisagez-vous des circonstances à l'avenir où pour protéger ou défendre nos libertés ou notre territoire, nous nous engagerions dans ce que saint Augustin a appelé une «guerre juste» où il serait dans l'intérêt du Canada d'utiliser ces armes?
M. Axworthy: Non.
Je devrais préciser ma réponse. Le Canada n'a pas utilisé de mines terrestres depuis la guerre de Corée. Essentiellement, nous n'en voyons pas l'utilité dans le cadre d'un arsenal de guerre.
Une étude assez importante a été faite par une série d'experts militaires dont d'anciens officiers militaires qui ont déclaré très clairement que les mines terrestres antipersonnel n'ont plus d'utilité militaire. De plus, ils mettent en doute leur efficacité.
Si vous tenez compte des commentaires ou des évaluations faites par le général Schwartzkopf, vous constaterez que beaucoup plus de gens ont été tués lors d'opérations de déminage dans le Golfe que du côté des alliés pendant la guerre du Golfe même.
Le sénateur Grafstein: Laissez-moi aborder la question sous un angle différent.
Récemment, j'ai pris connaissance d'études concernant les armées modernes du XXIe siècle. L'une des thèses qui est avancée à l'heure actuelle, c'est que les Américains aimeraient que chaque soldat dispose d'une puissance de feu accrue. Certains considèrent que si chaque soldat de l'armée de terre disposait d'une puissance de feu mobile, de missiles portatifs et de dispositifs de renseignement, chacun d'entre eux pourrait jouer un rôle accru dans les prochaines guerres, que nous préférerions bien sûr éviter au XXIe siècle, s'il avait une puissance de feu accrue, des dispositifs de renseignement plus puissants et ainsi de suite. Dans le cadre d'un tel scénario, le ministère de la Défense nationale a-t-il soulevé des questions concernant la possibilité d'utiliser des mines antipersonnel? Je ne veux pas dire que j'appuie cette opinion.
M. Axworthy: Les mines antipersonnel n'améliorent pas la puissance de feu du soldat. En fait, on pourrait soutenir qu'elles diminuent cette puissance de feu simplement parce que la mine terrestre n'est pas actionnée par le soldat. Pour contrer l'argument des Américains concernant l'utilisation de mines dans la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, nous avons entre autres avancé qu'il existe de meilleurs moyens de dissuasion.
La seule grande différence, c'est qu'une fois qu'un conflit est terminé, les soldats s'en vont avec leurs tanks et tout leur armement. Mais les mines terrestres sont toujours là.
J'aimerais recommander aux sénateurs un ouvrage intitulé Aftermath, qui analyse les conséquences des guerres. Une chose qui m'a frappé, c'est que la France, 75 ans après la Première Guerre mondiale, continue activement de faire du déminage. Environ 2 000 personnes par année participent au déminage de quelque 16 millions d'hectares des terres parmi les plus fertiles de France, qu'il est toujours impossible d'exploiter à cause des munitions laissées après les Première et Deuxième Guerres mondiales. Cela montre à quel point ce sont des engins destructeurs.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais passer, monsieur le ministre, à la définition de «mines antipersonnel» qui figure à l'article 2. Je dois dire qu'il s'agit d'une disposition très bien libellée. Cette définition fait une distinction entre les mines antipersonnel et les autres types de mines. Il ne s'agit pas vraiment d'une interdiction des mines; il s'agit d'une interdiction des mines antipersonnel. Le traité définit les mines antipersonnel, en partie, comme suit:
Mine conçue pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d'un véhicule...
La distinction qui est faite, c'est que des mines seront disponibles contre des véhicules qui contiennent des personnes mais pas contre des personnes. C'est là la distinction.
Si je soulève cet aspect, c'est qu'encore une fois l'opinion actuelle veut que l'on mobilise chaque soldat et les pelotons pour accroître leur puissance de feu, leur mobilité, et leur permettre en fait d'avoir une puissance de feu extrême, concentrée dans une seule main. Ils auront tous des véhicules. Je comprends la distinction mais pourriez-vous me donner des précisions à ce sujet?
Quand j'ai commencé à examiner le document, j'ai cru au départ qu'il s'agissait d'interdire les mines. Je n'arrive pas à voir la différence entre une mine antipersonnel et celle qui explose sous la jeep à bord de laquelle se trouve du personnel.
M. Axworthy: Le traité ne vise pas ce que l'on appelle couramment les «mines antichar». Je comprends la distinction que vous essayez de faire. Nous n'avons pas réussi à dégager un consensus au sujet des mines antichar. Les militaires vous feraient probablement valoir qu'elles continuent d'avoir une utilité.
La mine antipersonnel explose essentiellement sous la pression du poids d'une personne, habituellement au sol. La présence d'une personne est nécessaire pour faire détonner les mines à fragmentation et certaines autres mines que je viens de mentionner, par exemple les mines en forme de papillon.
La mine antichar, elle, explose sous le poids d'un véhicule lourd. On continue de la considérer comme étant utile, sur le plan militaire, et on n'est pas parvenu à s'entendre pour l'interdire. D'où la distinction qui est faite ici.
Les mines antichar sont habituellement beaucoup plus faciles à détecter. En effet, elles sont habituellement plus grosses et elles renferment beaucoup de métal. Elles n'ont pas la même capacité latente de destruction que les mines antipersonnel.
Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur Axworthy, je tiens à vous féliciter, vous, vos fonctionnaires et tous ceux qui ont travaillé à ce projet pendant tant d'années. Je sais que la liste est longue. Vous devez vous réjouir du fait que la semaine prochaine marquera un point tournant. Cependant, il reste encore beaucoup à faire.
Le Canada donne l'exemple en demandant au Parlement d'adopter la loi de mise en oeuvre qui lui permettra de prouver son sérieux, comme ce fut le cas, il y a quelques semaines, quand vous et le premier ministre avez assisté à une cérémonie plus que symbolique où l'on a fait exploser l'arsenal canadien de mines.
Je me réjouis également d'apprendre qu'on a tenu compte des difficultés susceptibles de se poser en regard de la Charte.
Trop souvent, par le passé, les lois proposées par le gouvernement, si elles n'ignoraient pas carrément la Charte, la contournaient. Il faudrait noter qu'aux termes du projet de loi à l'étude, il faut des mandats pour visiter des locaux autres que des maisons d'habitation et qu'avant d'entrer dans une maison d'habitation, il faut obtenir le consentement de l'occupant. J'espère que, lorsqu'une loi visera des particuliers, cette norme sera satisfaite et que les lois ultérieures continueront de respecter la Charte.
Cela étant dit, des exceptions sont prévues à l'article 3 de la convention. Pourriez-vous prendre simplement quelques minutes pour nous expliquer comment on fait en sorte que les exceptions ne deviennent pas la règle?
Dans les notes pour votre allocution concernant l'étude article par article, je lis que la loi permet:
...de posséder des mines antipersonnel à des fins de formation aux techniques de déminage ainsi que de détection et de destruction des mines. L'exportation et l'importation des mines antipersonnel sont permises aux fins de la formation. Certaines personnes, comme les agents de la paix et ceux de la GRC, sont autorisées à acquérir, à posséder et à transférer des mines antipersonnel dans le cadre de leurs fonctions aux fins permises par la loi, notamment pour le désamorçage des mines.
Les mines antipersonnel sont-elles utilisées comme armes -- je parle du Canada; je ne vous demanderai pas comment d'autres pays interprètent cette disposition -- à un point tel que les agents de la paix et les policiers ont besoin de formation quant à la façon de les désamorcer ou de les détecter?
M. Axworthy: Je demanderai à Ralph Lysyshyn, qui a négocié des parties du traité, de répondre à cette question.
M. Ralph Lysyshyn, directeur général, Sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Il est toujours possible qu'au Canada, des personnes conservent des mines en tant que souvenir. De plus, des Canadiens, y compris des policiers en mission de maintien de la paix, peuvent se trouver en présence de mines durant ces missions. Il faut qu'ils sachent quoi faire.
Pour ce qui est de l'exception prévue pour les besoins de formation, il existe toute une gamme de personnes qui pourraient avoir besoin de formation quant à la façon de manipuler des mines terrestres. La loi prévoit des exceptions qui sont légèrement différentes de celles que prévoit le traité. Le traité permet à un pays d'avoir en sa possession des mines terrestres destinées à certaines applications particulières, soit à la formation des militaires. Nous pouvons nous en servir pour former les Canadiens qui pourraient être appelés à jouer à l'étranger un rôle de maintien de la paix.
La loi vise les quelques personnes, au Canada, qui pourraient, dans l'exercice de leurs fonctions, avoir à utiliser des mines terrestres à des fins de formation. À nouveau, cette disposition respecte l'esprit du traité et de la Charte. Il ne faudrait pas que le policier qui saisit des mines terrestres découvertes en la possession de quelqu'un soit, sur le plan technique, coupable d'une infraction du simple fait qu'il transporte des mines. Il faut prévoir pareil cas, mais nous ne n'envisageons pas de grande difficulté à cet égard.
Le sénateur Lynch-Staunton: Voilà qui me rassure. Je vous remercie. Vous avez dit que l'on autoriserait la possession d'au plus 1 500 mines terrestres. Comment en est-on arrivé à ce nombre?
M. Lysyshyn: Ce sont nos militaires qui l'ont fixé, en fonction de leurs besoins. Durant les négociations, on a longuement débattu la question de savoir s'il fallait s'entendre sur un nombre absolu. En fin de compte, on a estimé que ce ne serait pas très sensé. Un pays comme la Russie aurait besoin de plus de mines qu'un petit pays comme l'Andorre. La taille de l'armée influe sur le nombre de personnes à former et sur le nombre de mines requises aux fins de formation. Cependant, cette décision a été en quelque sorte décrite officiellement à Oslo, bien qu'il n'existe pas de compte rendu officiel. Durant les discussions, il a été souvent mentionné que le nombre de mines serait tenu à un niveau très faible.
Il existe dans le traité des mécanismes qui nous permettent de nous élever contre les États qui décident d'avoir dans leur arsenal un nombre ridiculement élevé de mines à des fins de formation. Le chiffre a donc été fixé par l'armée, et nous sommes confiants que la norme établie dans le traité nous permettra de régler efficacement le cas de tout pays qui pourrait essayer de contourner le traité en disant qu'en vertu de cette exception, il peut avoir en sa possession 200 000 mines. Il est clairement entendu que de tels arsenaux ne sont pas acceptables et que des voix s'élèveront contre les États qui en ont.
Le sénateur Lynch-Staunton: Les États sont-ils tenus de faire périodiquement rapport de leurs stocks?
M. Lysyshyn: Il existe effectivement un mécanisme de présentation de rapports.
Le sénateur Lynch-Staunton: Prévoit-on aussi une inspection pour confirmer les données des rapports?
M. Lysyshyn: Oui.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il faut se limiter au Canada parce qu'il y a tant de pays en jeu. Si la force policière d'un petit village quelconque de mon coin de pays, au Québec, décide qu'elle veut se familiariser avec la détection des mines terrestres, peut-elle unilatéralement décider d'acheter ou d'importer des mines terrestres pour fins d'expérimentation?
Mme Beverley Chomyn, conseillère juridique, Division des services légaux, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Il faut qu'elle satisfasse aux exigences prévues dans la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Il appartient ensuite au ministre de décider s'il acquiesce à la demande de permis ou s'il la rejette en fonction des obligations prévues dans la convention.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il existe donc un mécanisme de contrôle centralisé au bureau du ministre et dans la loi existante?
Mme Chomyn: Oui.
Le sénateur Lynch-Staunton: Qui en assure le suivi? Qui est responsable de faire en sorte que la convention est respectée ou, du moins, que des efforts minimaux sont déployés pour la respecter, par exemple vérifier que les mines sont utilisées seulement par ceux qui en ont le droit et ainsi de suite? Les Nations Unies ont-elles les ressources voulues pour le faire?
M. Lysyshyn: Ce sont la communauté internationale et les signataires du traité qui en sont responsables. Plusieurs mécanismes sont en place. Une partie du traité exige que les États signataires adoptent la loi de mise en oeuvre qui s'impose. Comme nous le faisons dans le cadre de tout autre traité que nous signons, nous surveillerons les autres pour voir s'ils respectent leurs obligations.
Le processus qui a abouti à ce traité est unique du fait qu'il engageait la participation des ONG et de la société civile. On peut s'attendre que toute violation sera tout d'abord portée à l'attention du public et à l'attention de la communauté internationale par la société civile et par les ONG. Il existe alors toute une série de mécanismes, dans le traité, qui nous permettent de demander aux gouvernements de répondre de leurs actes.
M. Axworthy: Il était fascinant d'observer la naissance du partenariat entre les groupes civils et le gouvernement. À la conférence de la semaine prochaine, nous tiendrons une série de tables rondes en vue d'explorer les façons de poursuivre le partenariat avec ces groupes dans le cadre du mécanisme de vérification. Ils sont devenus experts dans l'utilisation des moyens de communication modernes pour établir un réseau mondial de communications instantanées. Il n'y a pour ainsi dire pas de pays où ils n'ont pas une personne à contacter. Si nous leur donnons les ressources voulues, ils s'imposeront peut-être comme le plus grand réseau de vérification au monde. Nous nous efforcerons de voir s'il y a moyen de prolonger le partenariat au-delà du traité.
Le sénateur Lynch-Staunton: Les États-Unis ne signeront pas le traité, du moins à ce stade-ci, mais ils ont affirmé qu'ils n'installeront plus de mines terrestres, qu'ils utiliseront plutôt, particulièrement dans la péninsule coréenne, ce qu'ils appellent des «mines intelligentes». Cette expression me rappelle un autre oxymore, la «guerre juste».
Qu'en est-il des autres grands pays qui ont refusé de signer le traité? Ont-ils, eux aussi, promis d'utiliser des «mines intelligentes», s'ils ont recours à des mines?
M. Axworthy: Ils ne se sont pas engagés à ce point, mais il importe de souligner que, depuis le début du processus l'an dernier, un certain nombre de déclarations ont été faites par de grands pays, y compris par la Chine et la Russie, concernant un moratoire sur l'exportation des mines. Le fait a son importance parce que, souvent, les mines terrestres qui posent problème en Angola, en Mozambique et ailleurs viennent souvent de là-bas. Nous avons donc réalisé, pour ainsi dire, un moratoire complet sur les exportations.
Nous avons invité certains pays du Moyen-Orient qui sont engagés, si je puis m'exprimer ainsi, dans un commerce plutôt actif à signer le traité. Nous finirons par les convaincre. Nous y travaillerons.
Comme vous le savez fort bien, grâce au droit international, des conventions et des normes s'établissent même si elles ne reçoivent peut-être pas la sanction officielle d'un pays. Le traité fixe une norme. Je crois que nous avons réussi à obliger ceux qui ne sont pas signataires du traité à prouver qu'ils en respectent les exigences.
Les États-Unis seront présents à la conférence. Ils ont fait savoir qu'ils prendraient une part active aux activités de déminage et d'aide aux victimes. Dans les pourparlers que j'ai eus avec leur secrétaire d'État, il a même été question de mener certains projets en commun.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais moi aussi féliciter le ministre et le gouvernement de cette initiative.
Nous aurions pu nous y prendre de deux façons, soit sous l'égide des Nations Unies, soit en dehors de ce cadre, comme vous l'avez fait. Le dilemme est toujours que ceux qui possèdent le plus de mines terrestres et qui ont fait le plus de dommages au moyen de ces mines sont ceux qui ne signent pas et que même les signataires n'adoptent pas forcément une loi de mise en oeuvre. Je me réjouis de voir que nous allons adopter une pareille loi. Nous pourrons au moins dire que nous tenons nos promesses, car nous aurons joint le geste à la parole.
À titre indicatif, j'aimerais savoir si le gouvernement souhaite prendre ses distances par rapport à la tribune multilatérale des Nations Unies? Estimez-vous que pareille décision est sage à long terme? Ne croyez-vous pas que la tribune multilatérale aurait permis d'exercer d'autres pressions sur les États-Unis et d'autres pays?
M. Axworthy: Vous avez parfaitement raison. C'est une décision que nous avons prise, l'an dernier.
Il suffit d'examiner l'historique de la conférence sur le désarmement, c'est-à-dire le mécanisme des Nations Unies, pour se rendre compte que les négociations dans des dossiers comme la non-prolifération des armes ou l'interdiction des armes chimiques durent en moyenne entre 15 et 30 ans. C'est un processus consensuel. Nos pourparlers aux Nations Unies et au sein d'autres tribunes ont clairement montré que certains pays cherchaient à gagner du temps. On se dirigeait vers une impasse. Nous en avons pris conscience, l'an dernier, durant les réunions d'octobre. Ceux qui avaient travaillé avec tant d'ardeur à obtenir des résultats se sont rendu compte que, puisque la conférence de Genève était le seul débouché, on se dirigeait vers l'impasse.
Le secrétaire général Kofi Annan, qui sera ici la semaine prochaine, était enthousiasmé à l'idée que nous prendrions les devants. Nous n'avons pas agi unilatéralement; nous avons procédé en partenariat avec d'autres pays centraux, comme la Norvège, et l'Afrique du Sud. Sous la direction de M. Annan, les Nations Unies font partie du processus. Elles seront le dépositaire du traité et verront au respect de nombre de ses éléments. Il faut parfois faire preuve d'un peu d'imagination dans ce domaine.
Pouvons-nous reprendre la discussion à ce sujet dans le cadre de la conférence sur le désarmement? Certainement. Ce traité nous donnerait plus de poids. Nous pourrions donc faire une tentative en ce sens. Je crois que le traité est essentiellement devenu la norme. Nous ne souhaitons pas tourner le dos aux autres tribunes au sein desquelles nous pourrions travailler à ce traité. Nous avons maintenant établi une dynamique très différente et une série très distincte de normes. C'est maintenant la norme à respecter.
Les Nations Unies sont appelées, selon moi, à devenir plus pluralistes. Elles ne seront pas directement engagées dans de nombreuses activités de maintien de la paix. Elles autoriseront plutôt l'activité et laisseront à d'autres le soin de les mener à bien.
Je n'exclus pas la possibilité qu'une partie de ce processus de négociation en matière de mines terrestres fasse l'objet de discussions à Genève.
Le sénateur Andreychuk: Le suivi est le volet le plus important de la mise en oeuvre de conventions censées aider la population de pays qui se trouvent dans de pareilles situations ou qui pratiquent la torture. La signature du traité est une chose. Elle renseigne la population mondiale et met en valeur une question. Par contre, après la signature, c'est le suivi qui est gage de succès. En règle générale, ce genre de traité ne donne pas les résultats escomptés parce qu'il n'y a pas suffisamment d'argent pour permettre au mécanisme de suivi d'être efficace. Comment financerez-vous cette activité? Des fonds supplémentaires sont-ils prévus à cette fin? Quel est le montant total réservé au suivi?
M. Axworthy: Nous avons déjà reçu des promesses de fonds. Les Norvégiens ont déjà versé 100 millions de dollars, tout comme plusieurs autres pays. Notre propre gouvernement est en train de décider du montant de notre contribution. Nous espérons que cette question sera réglée avant le début de la conférence. Mes hauts fonctionnaires me répètent sans cesse de ne pas en dire trop, mais je crois qu'à l'issue de la conférence de la semaine prochaine, les engagements consacrés à la vérification, à la surveillance, au déminage et à d'autres activités pourraient bien atteindre 500 millions de dollars. Nous pouvons aussi lancer un défi à l'entreprise privée. Le fonds établi après la mort de la princesse de Galles souhaite vivement aider les victimes. Je crois que nous pouvons utiliser nos dollars en vue d'obtenir des contributions correspondantes ou même de les tripler.
Il n'y a pas que le suivi qui peut poser problème; le respect des obligations peut aussi s'avérer difficile. Bon nombre des pays qui signeront le traité sont tout simplement trop pauvres pour se débarrasser eux-mêmes des mines. Il faudra les aider.
Le sénateur Andreychuk: Quelle sera la contribution du Canada?
M. Axworthy: Je n'ai pas le droit de le dire. Il faudra patienter jusqu'à la semaine prochaine; si vous souhaitez marquer votre appui, sénateur, et si le Sénat souhaite adopter une motion concernant la contribution, j'en serai fort heureux.
Le sénateur Andreychuk: Il se pourrait bien que votre rêve se réalise. Je suis depuis quelque temps le dossier des civils soumis à la torture. Une grande partie des munitions utilisées contre les civils vient des pays développés. Il n'y a pas que les mutilations causées par les mines terrestres. On pratique aussi la torture. Si j'ai bien compris, nous avons accumulé 20 000 $ dans un fonds volontaire qui atteindra peut-être 80 000 $. C'est un montant ridicule quand on sait depuis combien d'années cette convention est en place. Pourtant, quand elle a été signée, on a entendu les mêmes discours et on nous a fait miroiter les mêmes avantages. Le traité ne donnera pas de résultat s'il n'y pas d'engagement sincère. J'espère donc que le fonds de 500 millions de dollars se concrétisera.
Vous avez souligné, à juste titre, que les ONG ont exercé beaucoup de pressions. Vous comptez maintenant sur leur aide pour assurer le suivi. Quand les ONG vont là-bas et signalent des incidents, ce n'est pas sans conséquence. Ils deviennent eux-mêmes la cible d'attaques. Si, à nouveau, vous mettez l'accent sur la responsabilité des ONG plutôt que sur la responsabilité du gouvernement et si vous les envoyez dans des pays qui n'ont aucun respect ni pour les ONG ni pour la vie, exhortez-vous les Nations Unies à adopter des conventions en vue de protéger ceux qui luttent pour le respect des droits de la personne?
M. Axworthy: Nous déployons beaucoup d'efforts en ce sens. Votre remarque est très pertinente.
Tout d'abord, les personnes qui travaillent à l'aide et au développement dans des pays comme l'Afghanistan et qui épousent cette cause, parfois au détriment de leur sécurité personnelle, font preuve d'un courage remarquable. Je crois qu'il est possible de faire quelque chose dans ce cadre, et nous verrons ce que nous pouvons faire.
Quand je dis que nous voulons établir un partenariat avec les ONG, il va sans dire que ceux-ci auraient l'imprimatur du gouvernement du Canada. Si nous leur demandons d'assumer certaines tâches, il faudra faire de notre mieux pour les protéger. Toutefois, il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Nous ne pouvons pas nous immiscer dans les affaires internes d'un État souverain. De plus en plus, nous constatons que le travail, dans le domaine des affaires étrangères, est axé sur la protection et la sécurité de nos simples citoyens à l'étranger, y compris des ONG.
Si le comité souhaite me réinviter à comparaître pour que je l'entretienne de la diminution de nos ressources, qui ne correspondent pas tout à fait à nos obligations mondiales, je reviendrai volontiers.
Le sénateur Andreychuk: Nous pouvons peut-être parler aussi du commerce et du respect des droits de la personne. Ce ne sont pas les dossiers qui manquent, par exemple comment s'effectuent la vente et le transfert des mines terrestres et comment les armes légères continuent d'entrer dans des pays où les citoyens sont incapables de se défendre. J'espère que c'est la première d'une longue série d'initiatives.
M. Axworthy: Vous serez intéressée d'apprendre qu'il y a une semaine, vendredi dernier, nous avons signé la convention interaméricaine sur la contrebande des armes légères. Certaines démarches sont donc déjà en cours.
Le sénateur Andreychuk: Les vrais coupables continuent de s'en tirer indemnes. Nous avons signé des traités en matière d'armes nucléaires. Or, ceux qui n'en sont pas signataires n'ont pas l'air d'en souffrir. Nous n'avons pas encore trouvé de meilleur moyen que ce que nous avons déjà en place. J'espère que cette initiative va porter fruit et que vous et le gouvernement continuerez d'exercer des pressions, que, dans cinq ans, la question n'aura pas été reléguée aux oubliettes.
Le sénateur Corbin: Dans sa déclaration liminaire, le ministre a mentionné l'invitation faite aux autres pays de venir signer la convention, la semaine prochaine. Je suis sûr qu'il a bien pesé ses mots. S'il y a des invitations, c'est que tous ne sont pas forcément présents. Qui sera là et qui n'y sera pas? La question est-elle permise?
M. Lysyshyn: Au décompte, ce matin, 129 pays étaient déjà inscrits. Les Russes ont aussi fait savoir qu'ils s'inscriraient.
Nous savons qu'un peu plus de 100 de ces pays signeront le traité. Certains nous ont précisé très clairement qu'ils assisteraient à la cérémonie uniquement en tant qu'observateurs. Plusieurs nous ont affirmé que leur conseil des ministres se penchait actuellement sur la question, qu'ils se préparent à venir et qu'ils sauront, d'ici au 3 décembre, s'ils signent la convention ou s'ils se contentent d'assister à la signature en tant qu'observateurs.
Nous sommes sans nouvelles de plusieurs pays. Naturellement, certains, comme l'Iran et l'Iraq, ne se manifestent pas.
Le sénateur Corbin: Vous avez esquivé la question. Chaque pays est-il invité?
M. Axworthy: Oui.
Le sénateur Corbin: Tous les régimes, tous les États, tous les pays?
M. Axworthy: Tous.
Le président: Cela signifie-t-il que chaque gouvernement reconnu comme tel par le Canada est invité?
M. Axworthy: Je viens tout juste d'apprendre que six pays n'ont pas été invités.
M. Eric Walsh, Direction de la non-prolifération et du contrôle des armements et du désarmement, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Nous n'avons pas invité certains pays. Par exemple, Taïwan n'a pas été invité, pour des raisons évidentes. La Corée du Nord n'a pas été invitée parce que nous n'entretenons pas de relations diplomatiques avec ce pays. En Iraq, il est interdit aux membres du parti au pouvoir de voyager. Ils ne pouvaient donc pas venir. Le nouveau gouvernement du Sierra Leone a pris le pouvoir après un coup d'État, et le Canada ne l'a pas encore reconnu. La Somalie n'a pas de gouvernement reconnu comme tel. J'oublie le nom du dernier pays.
Nous avons essayé d'inviter le plus de pays possible.
Le sénateur Corbin: Mon autre question concerne la déclaration qu'a faite le président Clinton en septembre. Il a dit qu'avant certaines échéances fixées par lui-même, les Américains trouveraient des solutions de rechange aux mines antipersonnel. Avons-nous une idée de ce que sont ces solutions de rechange? S'agit-il d'un autre genre de mine?
M. Axworthy: Qui sait, sénateur!
Durant nos pourparlers avec les États-Unis dans le cadre des négociations d'Oslo, nous avions l'impression que la période de transition de 10 ans prévu dans le traité leur donnerait amplement le temps de trouver des solutions de rechange. Ils affirment qu'ils le feront et, à cet égard, nous pouvons compter sur l'ingéniosité américaine, soutenue, j'espère, par des travaux un peu plus dynamiques de recherche. Au dernier compte, le ministère de la Défense des États-Unis avait investi environ 5 millions de dollars dans de la recherche à cet égard, ce qui est peu en regard des centaines de milliards de dollars que consacre ce pays à la Guerre des étoiles et à d'autres projets de haute technologie.
Une des personnes présentes à la conférence sera le sénateur Patrick Leahy, du Vermont, qui a fait de ce traité l'oeuvre de toute une vie. Comme vous le savez, il a déposé une motion devant le Sénat des États-Unis en vue d'interdire les mines terrestres. Il affirme avoir l'appui d'environ 55 sénateurs.
M. Lysyshyn: Le recours à des solutions de rechange ne signifie pas forcément qu'il faut changer de technologie. On peut parfois simplement changer son approche. Parfois, les mines terrestres servent de moyen d'avertissement. On peut le faire tout aussi bien au moyen de l'électronique ou même en faisant monter la garde. Il existe différentes solutions. Il existe des moyens technologiques faisant appel à l'infrarouge qui font sonner l'alarme plutôt que de faire détonner des mines. Les Américains ont fait l'essai de ce qu'ils appellent une «mousse gluante» qu'ils répandent au sol.
Nos militaires ont pour principe de simplement changer de doctrine. On change la façon de faire les choses, éliminant ainsi le besoin de poser les mines.
Le sénateur Lynch-Staunton: Les moyens de détection des mines se sont-ils améliorés?
M. Axworthy: Beaucoup de travaux sont en cours à cet égard. Jusqu'ici, toute la gamme des ressources n'a pas été utilisée.
Au sommet de l'APEC, la semaine dernière, j'ai rencontré des représentants de MacDonald Dettwiler, une entreprise que vous connaissez bien, j'en suis sûr, et qui a acquis une compétence de calibre mondial en télédétection. On est en train d'y faire de la recherche en vue d'adapter la technologie à la détection des champs de mine terrestres. Si l'adaptation était réussie, elle aurait l'avantage de pouvoir servir dans bien des régions recouvertes par la jungle. Les Japonais et les Allemands effectuent beaucoup de travaux dans ce domaine. Il existe de nombreuses techniques. L'existence d'un traité qui oblige les pays à détecter les mines terrestres et à s'en débarrasser provoquera une fièvre de recherche sur les technologies applicables.
Plusieurs fabricants canadiens exposeront certaines nouvelles technologies, la semaine prochaine, à l'hôtel Westin. Durant la conférence, nous projetons de diffuser en direct, dans une salle de la colline parlementaire, le déroulement de la conférence. Le jeudi, nous diffuserons une émission d'information à laquelle prendront part des victimes de mines terrestres, des ministres des Affaires étrangères et certains experts. J'espère que les sénateurs intéressés viendront. Nous cherchons ainsi à faire en sorte que nos propres parlementaires comprennent bien les enjeux.
Vous pourriez jouer un rôle important, après la conférence. Quand vous vous rendrez à l'étranger, dans le cadre d'assemblées parlementaires, ou que vous rencontrerez des homologues, vous pourrez leur dire que la prochaine grande étape est la ratification.
Le sénateur Bacon: Quel genre d'aide ou d'assistance technique pouvons-nous offrir aux pays qui souhaitent détruire leurs mines terrestres? Assumons-nous un leadership à cet égard?
M. Axworthy: Nous en avons déjà des exemples, sénateur Bacon. Ainsi, le personnel des Forces armées canadiennes offre de la formation en déminage au Cambodge et en Bosnie. Il existe quelques excellents ONG, par exemple le Mine Action Centre situé, je crois, à Cap-Breton qui donne de la formation. Dans le cadre de notre initiative, il ne nous appartient pas d'aller là-bas pour déminer les champs, mais bien de former des techniciens de là-bas pour le faire. Nos propres forces armées et nos ONG ont une excellente expertise dans le domaine. Nous espérons déployer plus largement l'assistance technique canadienne en déminage.
Je tiens absolument à recruter des groupes d'aide aux personnes handicapées canadiens, entre autres, non seulement pour faciliter la guérison et la réintégration des mutilés, mais aussi pour aider plus particulièrement les enfants à surmonter l'état de stress post-traumatique que causent d'aussi graves blessures.
Voilà le genre d'aide que devrait offrir le Canada!
Le sénateur Bacon: Le suivi sera-t-il assuré par les Nations Unies?
M. Axworthy: C'est l'un des principaux points à régler. C'est pourquoi, à la conférence de la semaine prochaine, il est crucial d'aborder la question de la coordination. Plusieurs pays s'engageront à débloquer des ressources additionnelles. Nous voulons faire en sorte qu'il n'y ait pas de chevauchement, qu'on ne privilégie pas un pays par rapport à d'autres.
L'important, actuellement, consiste à assurer le même genre de leadership en vue de rallier la communauté internationale pour la mise en oeuvre du traité, comme nous l'avons fait pour sa signature. En un certain sens, cette tâche est encore plus gigantesque.
Le président: Ai-je raison de croire que les articles du projet de loi à l'étude sont plus rigoureux que les modalités de la convention? En d'autres mots, en adoptant la convention, ne nous trouvons-nous pas à inclure dans notre droit des dispositions plus rigoureuses que celles qui sont prévues dans les articles du projet de loi comme tel?
Mme Chomyn: Il n'est pas question d'inclure la convention dans le droit canadien. Nous nous en servons comme d'une déclaration. Elle est là pour favoriser une consultation rapide. La convention qui figure en annexe ne fera pas partie du droit canadien, contrairement aux articles du projet de loi.
Le président: Au début de la réunion, j'ai posé une question au sujet de l'annexe. Habituellement, quand il y a une annexe, on demande aux membres du comité si elle fait partie du projet de loi. La réponse, dans ce cas-ci, a été affirmative. Maintenant, vous nous dites que la convention ne fait pas partie du projet de loi qui recevra la sanction royale.
Mme Chomyn: Nous avons voulu intervenir, mais les questions fusaient trop rapidement. Revenons à cette première question que vous avez posée et précisons notre réponse. La convention figure en annexe à des fins de déclaration, pour faciliter la consultation.
Elle fait effectivement partie du projet de loi, mais elle ne figure pas dans le corps du texte qui deviendra loi. La loi est ce qui figure dans le texte législatif. L'annexe n'est rien d'autre qu'une annexe.
Le sénateur Grafstein: Le président a soulevé un point intéressant. Quels sont les mots qui établissent un rapport entre l'annexe et le projet de loi? Moi-même, je n'ai relevé que l'article 20, qui prévoit que:
Dans le cas où la Convention est modifiée, il incombe au ministre de modifier l'annexe en conséquence, par arrêté, dans les plus brefs délais...
Il s'agit simplement d'une notification. En effet, si la convention était modifiée, vous mettriez en oeuvre la version modifiée.
Citez-nous les autres mentions de l'annexe, que nous puissions constater par nous-mêmes comment nous sommes censés traiter l'annexe.
Mme Chomyn: Dans l'article des définitions, soit à l'article 2, on lit:
«Convention» La Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, dont le texte figure à l'annexe, ainsi que les modifications qui peuvent y être apportées conformément à son article 13.
Le sénateur Corbin: La Cour suprême du Canada ne peut pas interpréter la teneur réelle de la convention ni statuer à son sujet. La convention échappe à son pouvoir. En ce sens, la convention ne fait pas partie de la loi.
M. Axworthy: Nous avons inclus la convention en annexe parce qu'elle est mentionnée dans le projet de loi et dans les définitions. La loi, une fois que le projet de loi sera adopté, sera celle qu'appliquent les tribunaux canadiens.
Si je me souviens bien de mon droit international, dans tout appareil judiciaire horizontal où il n'existe pas de tribunal central, on s'attend que chaque pays mettra en oeuvre les conventions et les traités et qu'il appliquera des lois pertinentes en ce sens. Il est tenu de le faire.
Le sénateur Grafstein: Je ne crois pas que c'est ce qu'essayait de faire valoir le président. Il veut savoir si les tribunaux considéreraient la convention comme étant la loi, par opposition à la loi de mise en oeuvre.
Votre conseillère répond que ce n'est pas le cas. Nous adoptons la loi, pas la convention. Celle-ci n'est mise en annexe que pour en faciliter la consultation.
Mme Chomyn: Elle s'y trouve pour que le public puisse la consulter, effectivement.
Le sénateur Grafstein: Cela étant dit, revenons au libellé de l'article 3, selon lequel:
La présente loi porte sur l'exécution des obligations du Canada découlant de la Convention.
Voilà une distinction!
Le président: Je vous remercie, sénateur Grafstein.
Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter les articles 2 à 25 du projet de loi?
Des voix: D'accord.
Le président: Motion adoptée. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter l'annexe du projet de loi?
Des voix: D'accord.
Le président: Motion adoptée. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter l'article 1 du projet de loi?
Des voix: D'accord.
Le président: Motion adoptée. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter le titre du projet de loi?
Des voix: D'accord.
Le président: Dois-je faire rapport du projet de loi sans amendement?
Des voix: D'accord.
Le président: Je vous remercie, sénateurs. Monsieur le ministre, je vous suis reconnaissant de cet intéressant débat.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.