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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 3 décembre 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 20, afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je devrais dire à nos invités que cela fait presque dix ans que le comité se penche sur des dossiers commerciaux. Il a examiné l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, l'ALENA, le projet de loi sur l'Organisation mondiale du commerce, les accords de libre-échange avec Israël et le Chili. Il a également effectué une étude sur l'Union européenne.

Le comité s'intéresse dernièrement à la région Asie-Pacifique. Ceux qui sont originaires des provinces de l'Atlantique ont de la difficulté à concevoir, de façon autre qu'abstraite, que le Canada constitue véritablement un pays du Pacifique.

Le profil des invités que nous accueillons cet après-midi cadre bien avec l'étude du comité. Notre premier témoin est l'honorable Alexander Downer, ministre des Affaires étrangères de l'Australie. Permettez-moi de vous dire quelques mots à son sujet.

Avant de faire de la politique, M. Downer était économiste à la Bank of New South Wales. Il a travaillé auprès de la CEE, pour le compte du ministère des Affaires étrangères, et a agi en qualité de représentant de l'Australie auprès de l'OTAN. Il a ensuite été conseiller politique de l'honorable Malcolm Fraser, ancien premier ministre, et du chef de l'opposition.

M. Downer a été élu à la tête du Parti libéral et, une fois formé le gouvernement de coalition, a été nommé ministre des Affaires étrangères. Il fait partie du comité du cabinet responsable de la sécurité nationale.

Il est accompagné aujourd'hui du haut-commissaire de l'Australie, Son Excellence M. Greg Wood. Je tiens à dire aux membres du comité que Son Excellence et moi avons eu un entretien fort intéressant il y a quelques semaines. Du moins, je l'ai trouvé intéressant et fort instructif.

Le sénateur Whelan: Et cet entretien a eu lieu à quel endroit?

Le président: Dans mon bureau, sénateur Whelan, tôt le matin.

Le sénateur Whelan: Je pensais que vous l'aviez peut-être rencontré à Londres, en Angleterre.

Le président: Non, ce n'était pas possible. J'étais à Ottawa. Je dois préciser à nos invités que plusieurs choses se sont passées depuis que nous avons organisé cette réunion. Comme ils le savent, le service postal est paralysé par une grève et le gouvernement a décidé d'intervenir en adoptant une loi de retour au travail. Le projet de loi a été déposé au Sénat hier soir, à 22 h 45, et a franchi l'étape de la deuxième lecture. Il fait maintenant l'objet d'une étude en comité plénier, et nous espérons que les choses progressent normalement. C'est pour cette raison que certains de nos membres sont absents.

J'espérais, monsieur le ministre, que vous commenceriez par nous dire quelques mots -- et vous pouvez parler aussi longtemps que vous le voulez -- après quoi, certains de nos membres voudront sûrement vous poser des questions sur des dossiers qui ont attiré notre attention ces derniers mois.

Je vous invite donc, monsieur, à prendre la parole.

L'honorable Alexander Downer, ministre des Affaires étrangères, Australie: Monsieur le président et honorables sénateurs, c'est un privilège et un honneur pour moi de prendre la parole devant un comité du Sénat canadien. Je viens d'assister à la période des questions à la Chambre des communes. Elle m'a permis de constater à quel point nos deux pays entretiennent des liens culturels étroits, nos systèmes parlementaires étant presque identiques. Votre période des questions ressemble beaucoup à la nôtre en ce qu'elle permet aux politiques de faire preuve de toute la maturité à laquelle on peut s'attendre d'eux.

Nos deux pays ont un passé très similaire et travaillent en étroite collaboration à l'échelle internationale. Nous pensons en général de la même façon, même s'il y a parfois divergences de vues entre nos deux pays. Par exemple, nous collaborons ensemble au sein du Commonwealth, et nous avons participé récemment à la rencontre des chefs d'État du Commonwealth à Édimbourg, en Écosse.

En ce qui concerne la région Asie-Pacifique, l'Australie et le Canada participent ensemble à deux forums qui revêtent une importance particulière pour l'Australie. Il y a, bien entendu, l'APEC, et j'y reviendrai plus tard, et le Forum régional de l'ASEAN, dont fait partie le Canada.

Le Forum régional fait partie de l'infrastructure de sécurité de la région Asie-Pacifique. Ce n'est pas parce que la guerre froide est terminée qu'il faut présumer que la sécurité dans la région est chose acquise. On dénote quelques points chauds dans la région, le plus évident étant la péninsule coréenne -- les tensions entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Les conflits entre la Chine continentale et Taiwan, les tensions dans la mer de Chine méridionale en raison de l'existence de revendications contradictoires dans cette zone, et la présence de gisements d'hydrocarbures dans cette partie du monde en sont d'autres.

Voilà trois exemples de problèmes qui existent sur le plan de la sécurité. Nous savons que les pays de la région Asie-Pacifique n'ont pas la réputation de collaborer étroitement. Leurs relations sont plutôt marquées par des affrontements assez graves.

Pour venir à bout de cette situation, un système complexe de sécurité, qui repose sur des alliances bilatérales et des échanges bilatéraux sur la sécurité, a été mis sur pied. Y participe le Forum régional de l'ASEAN, qui se réunit une fois l'an au niveau ministériel. Presque tous les ministres des Affaires étrangères des pays du Pacifique, y compris les ministres canadien et australien, y prennent part.

Le Forum régional de l'ASEAN regroupe 21 pays. Il permet aux ministres de discuter ouvertement et sans ménagements de leurs préoccupations en matière de sécurité. On peut dire que le Forum régional est, à côté de l'alliance de sécurité de l'Atlantique, dont vous faites partie, ou de l'Europe elle-même, une institution très peu sophistiquée. Je dirais simplement qu'elle est différente, qu'elle met l'accent sur la consultation et le renforcement de la confiance dans la région Asie-Pacifique, et qu'on ne saurait sous-estimer son importance.

Remarquez, ce sont les États-Unis qui, au bout du compte, sont les gardiens de la sécurité dans la région Asie-Pacifique. L'Australie, du fait de son alliance de longue date avec les États-Unis, contribue au maintien de la présence américaine dans le Pacifique occidental.

Les autres alliances qui revêtent une importance certaine pour les États-Unis sont, avant tout, le Japon et la Corée du Sud.

Comme je l'ai déjà dit, il existe une grande collaboration entre l'Australie et le Canada, et notre relation avec l'APEC est tout aussi importante. La conférence de l'APEC à Vancouver a été, à mon avis, un grand succès. Les décisions qui ont découlé de cette rencontre correspondent en tous points à nos attentes, compte tenu de l'incertitude qui existe actuellement sur les marchés financiers asiatiques.

Les 18 économies membres de l'APEC se sont engagées à favoriser la libéralisation du commerce. Elles l'ont fait en adoptant non seulement des plans d'action individuels, mais en entreprenant la libéralisation volontaire des échanges dans 15 secteurs différents -- dont le secteur alimentaire, qui revêt une importance pour nos deux pays, de même que pour le Japon et la Corée en particulier.

Sur les 15 secteurs, l'APEC en a recensé 9 qui pourraient faire l'objet d'une libéralisation très rapide. Parmi ceux-ci figurent le secteur énergétique et celui du poisson et des produits du poisson, deux secteurs stratégiques pour le Canada et l'Australie. Il y en a un ou deux autres que nous jugeons également prioritaires. Nous estimons que les efforts de libéralisation du commerce progressent à un bon rythme.

Les dirigeants de l'APEC ont réagi de façon responsable et constructive à la crise financière qui a frappé les marchés asiatiques en entérinant la position adoptée récemment par les banques centrales à Manille. Celles-ci ont dit que c'est le FMI qui devrait élaborer les plans d'aide, et que tout organisme d'appui pour la région asiatique, ou pour la région Asie-Pacifique, devrait opérer sous les auspices du FMI.

Les dirigeants de l'APEC ont convenu, lors de leur réunion, que les perspectives de croissance à moyen et à long termes des pays asiatiques étaient très bonnes. J'aimerais terminer en disant que cette crise qui frappe la région Asie-Pacifique est très importante. Elle nous préoccupe beaucoup, compte tenu du fait que plus de 60 p. 100 de nos exportations sont destinées aux marchés de l'Asie de l'Est. Le Japon est notre plus gros client, suivi de la Corée. Nous trouvant inquiétantes les difficultés qu'ont connues ces pays, difficultés qui s'expliquent en partie par la surchauffe de leurs économies et par la faiblesse de leurs systèmes financiers. Leurs institutions financières ne sont pas aussi sophistiquées que celles du Canada et l'Australie. Ils doivent améliorer le contrôle prudentiel qu'ils exercent sur leurs systèmes financiers, et rendre ceux-ci plus transparents.

Cette crise financière aura pour effet, entre autres, de renforcer les systèmes financiers de ces pays et de favoriser la libéralisation des échanges dans les secteurs des services et financier. Nous aurons quelques obstacles à surmonter, le Canada aussi. Toutefois, les perspectives de croissance à moyen et à long termes de ces pays sont extrêmement bonnes. Elles contribueront à renforcer les structures et les économies, non pas à les affaiblir.

Je voudrais vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Le premier ministre va m'accorder, semble-t-il, un entretien de cinq minutes. Je vous quitterai donc le moment venu, mais je reviendrai une fois la rencontre terminée.

Entre-temps, je suis prêt à répondre à toutes vos questions.

Le président: Nous vous savons gré d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.

Comme vous avez terminé votre déclaration en parlant de la crise financière, nous pourrions peut-être commencer par vous poser des questions là-dessus. J'en ai d'ailleurs une qui porte sur ce que vous avez dit.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, il y a quelqu'un qui fait un signe de tête au ministre. Je crois comprendre qu'il doit nous quitter pendant quelques minutes.

M. Downer: Oui. Il serait peut-être utile à ce moment-ci de faire une pause de quelques minutes.

Le président: Certainement. Nous comptons bien vous revoir une fois l'entretien terminé.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.

La séance reprend.

Le président: Monsieur le ministre, nous avons profité de votre absence pour préparer quelques questions. Je vais reprendre la discussion là où vous l'avez laissée. Vous semblez envisager la situation financière en Asie avec optimisme. Vous avez dit que les pays se doteraient de systèmes financiers adéquats.

Je voudrais savoir si les principales économies possèdent déjà les institutions politiques nécessaires pour appuyer ces systèmes. Et par cela, je ne parle pas d'institutions démocratiques à l'américaine, à la canadienne ou à l'australienne. Est-ce qu'elles possèdent les institutions politiques nécessaires pour créer un milieu stable pour ces systèmes? Quel est votre avis là-dessus?

M. Downer: Elles sont toutes différentes. Je suppose que vous faites essentiellement allusion à quatre pays -- la Thaïlande, les Philippines, la Corée et la Malaisie.

La Thaïlande a un régime démocratique, bien qu'il soit faible. Elle vient d'élire un nouveau gouvernement dont la majorité est toutefois fragile. Un des problèmes avec la Thaïlande, c'est que les mesures impopulaires qui ont été instituées vont créer de l'agitation au fur et à mesure que leur impact se fera sentir. Parmi tous les pays concernés, c'est la Thaïlande qui possède les institutions politiques les plus faibles. Toutefois, son régime est celui qui est le plus démocratique. C'est assurément une très bonne démocratie. Le nouveau gouvernement, lui, est très fort. Il est composé de gens très compétents.

Pour ce qui est des Philippines, des élections ont lieu présentement dans ce pays. Bien que leur président soit très bon et qu'elles aient de solides traditions démocratiques, surtout depuis la fin du régime Ramos, on s'attend à ce que Ramos soit défait. On ne sait pas si le nouveau gouvernement va obtenir de bons résultats sur le plan de la gestion économique, ou dans quelle mesure il sera populiste, mais le régime politique est assez solide.

Pour ce qui est de la Malaisie, ses institutions dites démocratiques sont très bien établies. M. Mahathir Mohamad est bien en selle, peu importe la perception qu'on a de lui à l'extérieur de la Malaisie.

Des élections doivent avoir lieu ce mois-ci en Corée, et les trois principaux candidats se sont tous engagés à respecter le plan du FMI. Si j'ai bien compris, on leur a tous demandé d'entériner les mesures proposées, et ils l'ont tous fait.

Dans le cas de l'Indonésie, il est vrai que les politiques du régime en place divisent la classe moyenne. Toutefois, on manifeste un respect assez profond pour le président. Compte tenu de l'âge de celui-ci, l'Indonésie devra tôt ou tard entreprendre une transition politique qui risque d'être chaotique. Toutefois, les choses vont se compliquer si l'économie du pays s'affaiblit beaucoup. Je crois en fait qu'elle va s'affaiblir en raison de cette crise financière.

Comme l'Indonésie est un pays voisin, nous jugeons très important qu'il demeure stable. Nous croyons, de manière générale, qu'il va maintenir sa stabilité. Toutefois, la crise financière va sans aucun doute causer un certain malaise politique en Indonésie, un malaise qui existe d'ailleurs déjà.

Le sénateur Bolduc: Croyez-vous que l'agitation va entraîner des changements structurels en profondeur au sein des institutions financières?

M. Downer: Oui. Cette agitation va essentiellement entraîner des changements de deux ordres dans tous les pays. D'abord, il y aura une libéralisation des marchés financiers, ce qui sera bon pour nos institutions financières et les leurs. Nos banques, nos compagnies d'assurance, ainsi de suite, auront un meilleur accès à ces marchés.

Ensuite, dans la plupart des cas, nous allons assister à une consolidation des institutions financières, et donc à une réduction de leur nombre. Elles seront plus solides et feront l'objet d'un contrôle prudentiel plus serré. En fait, le contrôle exercé sur les institutions financières dans certains pays asiatiques est très faible par rapport à celui qui s'effectue dans nos pays. Il faut absolument resserrer ce contrôle.

Leurs institutions financières ont accordé un grand nombre de prêts qui ne sont pas productifs. En Corée, environ 20 p. 100 des prêts accordés sont non productifs. Ce pourcentage est d'environ 0,8 p. 100 en Australie; il se situe à peu près au même niveau au Canada. Ils devront faire beaucoup pour resserrer le contrôle prudentiel qu'ils exercent sur leurs institutions financières, et ils en sont conscients. Cela fait partie des mesures proposées par le FMI.

Le sénateur Bolduc: Ici, au Canada, nous avons des fiducies, des compagnies d'assurance, des banques et d'autres établissements financiers. Est-ce que ces pays possèdent le même genre d'institutions que l'on retrouve au Japon, ou est-ce qu'ils ont un système différent?

M. Downer: Leurs institutions ressemblent plus ou moins au modèle japonais, sauf que celui-ci n'est pas nécessairement aussi solide que le modèle canadien ou australien. Non, il ne l'est pas. Le Japon est conscient du fait qu'il devra améliorer son système financier. Les financiers déplorent peut-être le fait qu'aucune mesure n'ait été prise dans le passé, mais le gouvernement Hashimoto semble déterminé à s'engager dans cette voie.

Le président: J'ai oublié de dire plus tôt, lorsque j'ai fait les présentations, que le ministre est accompagné de son chef de cabinet, William Tweedell.

Le sénateur Di Nino: Monsieur le ministre, toujours dans le même ordre d'idées, pouvez-vous nous parler du système judiciaire qui existe dans ces pays?

M. Downer: Le système varie d'un pays à l'autre. Dans le cas de l'Indonésie, le système judiciaire est en train de devenir de plus en plus indépendant. Il ne faut pas oublier que l'indépendance judiciaire, dans ces pays, est un concept nouveau. En Indonésie, le système judiciaire, qui fait assez souvent l'objet de critiques, fait preuve de beaucoup plus d'indépendance que dans le passé.

L'Indonésie a également mis sur pied une commission des droits de la personne qui est véritablement et tout à fait indépendante. Elle ne craint pas non plus de critiquer le gouvernement et de dénoncer les violations des droits de la personne observées dans le pays. On ne tient pas suffisamment compte du fait, en Amérique ou en Europe, que ces institutions sont nouvelles et que le processus politique fait l'objet d'une surveillance de plus en plus intense.

Le système judiciaire, dans des pays comme les Philippines et la Thaïlande, est assez indépendant, mais je dois vous rappeler que j'occupe le poste de ministre des Affaires étrangères. Vous devez lire mon autobiographie pour savoir ce que je pense vraiment de l'indépendance du système judiciaire dans ces pays. Elle varie d'un pays à l'autre.

Est-ce que cela constitue un problème? Oui, et depuis toujours. Que ce soit vrai ou non, on a tendance à croire que les tribunaux peuvent parfois être amenés à rendre des décisions qui ne sont pas impartiales.

Permettez-moi de m'expliquer. Il se peut que les tribunaux en Asie affichent une plus grande indépendance dans les causes pénales que dans les causes civiles, par exemple, dans les causes où il y a eu violation des règles ou des lois financières. Ce point est discutable, mais ils ne font peut-être pas autant preuve d'indépendance dans ces causes que dans celles qui relèvent du droit pénal.

Le sénateur Di Nino: Vous savez que le Canada, comme d'autres pays membres de l'OCDE, est en train d'analyser les modalités de l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement. Nous espérons que tous ces pays parviendront à conclure une entente quelconque au début de l'année prochaine. Nous aimerions savoir ce qu'en pense votre pays, s'il estime que cet accord entraînera une hausse des investissements étrangers dans votre pays, ou des investissements australiens dans d'autres pays. J'aimerais, notamment, que vous nous parliez des restrictions qu'impose l'Australie à l'investissement étranger.

M. Downer: Nous participons au processus de négociation de l'AMI, mais de façon assez discrète. Pourquoi? D'abord, nous sommes tous d'accord pour dire que nous devons libéraliser les investissements. Il n'est pas nécessaire de le faire par le truchement de l'OCDE, mais nous effectuons des démarches en ce sens, tout comme vous, par le biais d'organismes comme l'APEC. Nous sommes en faveur de la libéralisation des investissements. Après tout, notre pays, comme le vôtre, a essentiellement été construit à l'aide d'investissements étrangers.

Pourquoi ne jouons-nous donc pas un rôle plus actif? Il existe, en Australie, un système de surveillance des investissements étrangers, c'est-à-dire les investissements qui dépassent un certain plafond. Mon commissaire peut sans doute vous donner plus de précisions là-dessus.

M. Greg S.R. Wood, haut-commissaire de l'Australie au Canada: Je vous fournirai ces renseignements, sénateur.

M. Downer: Nous pouvons vous communiquer ces renseignements. Le plafond est peut-être fixé à 5 millions de dollars, un chiffre peu élevé. Les investissements étrangers qui dépassent ce plafond doivent être soumis au Comité d'examen des investissements étrangers. Ils sont invariablement approuvés, mais ils doivent franchir certaines étapes avant d'obtenir l'aval du comité.

L'Australie impose d'autres restrictions à l'investissement étranger. Par exemple, on ne peut investir dans l'immobilier en Australie à moins d'être un résidant, d'obtenir une exemption. Vous pouvez obtenir une exemption mais, essentiellement, si vous n'êtes pas résidant, vous ne pouvez investir dans l'immobilier. C'est pour des raisons purement politiques, et non économiques, que l'Australie impose de telles restrictions.

Il existe aussi des restrictions dans les domaines comme les télécommunications, les secteurs plus fragiles de l'économie, les médias. Conrad Black possédait un gros pourcentage de nos médias, tout comme Izzy Asper. M. Asper n'a pas respecté les limites en matière de propriété étrangère dans le cas du réseau 10, un réseau national de télévision. Il a été obligé de réduire sa participation dans celui-ci. Nous avons trouvé un compromis, mais il doit toujours réduire sa participation dans celui-ci. Il y a donc certaines restrictions qui sont imposées à l'égard des investissements étrangers.

Toutefois, nous sommes assez ouverts à cet égard. Le Comité d'examen des investissements étrangers, même s'il lui arrive à l'occasion d'en rejeter certaines, approuve habituellement les demandes d'investissement.

Le sénateur Di Nino: Craignez-vous l'impact qu'une entente sur l'investissement pourrait avoir sur certaines industries fragiles, ou allez-vous chercher à obtenir des exemptions dans le cadre de cet accord?

M. Downer: Nous avions certaines réserves, en raison de l'impact que pourrait avoir l'AMI sur les restrictions imposées à l'investissement dans les secteurs fragiles, et peut-être sur les activités du Comité d'examen des investissements étrangers. Je dis que nous avions certaines réserves. Cela ne veut pas dire que nous n'appuyons pas l'accord. En fait, nous sommes en faveur d'une libéralisation continue des investissements. Nous allons peut-être être obligés, avec le temps, de modifier notre politique et d'y apporter des changements que nous n'aurions pas effectués autrement, pour assurer à nos investisseurs un meilleur accès aux marchés.

Pour ce qui est du pourcentage du PIB que représentent les investissements étrangers, l'Australie se situe à ce chapitre à peu près au 9e rang. Nos investissements aux États-Unis totalisent environ 23 milliards de dollars, et au sein de l'Union européenne, 27 milliards. Les placements des sociétés à l'étranger représentent une composante très importante de nos relations économiques. À cet égard, nos investissements au Canada totalisent environ 2 ou 3 milliards de dollars. Nous investissons dans des mines de diamants dans le Nord-Ouest canadien, ainsi de suite.

Nous ne voulons pas obliger les autres pays membres de l'OCDE ou les pays non membres à investir en Australie, mais ils doivent nous donner libre accès à leurs marchés. Nous sommes tous conscients de cela.

Le président: Et qu'en est-il des investissements australiens en Asie du Sud-Est?

M. Downer: Ils augmentent très vite. Ils sont considérables. Je ne peux pas vous donner de chiffres -- je dois admettre toutefois que nous avons investi davantage en Amérique du Nord et en Europe qu'en Asie du Sud-Est -- mais nos investissements dans cette région ne cessent d'augmenter. Au cours des 10 dernières années, nos investissements dans les pays de l'ASEAN ont triplé. Ils ont connu un essor considérable.

Le sénateur Bolduc: Est-ce que les investissements directs étrangers en provenance de la Chine, de Hong Kong ou du Japon sont très élevés en Australie?

M. Downer: Je pense que l'Australie et le Canada se livrent concurrence en tant que destination la plus importante des investissements chinois. Un des participants à l'APEC m'a dit que le Canada avait dépassé l'Australie. Croyez-moi, ce n'est que temporaire. Jusqu'à tout récemment, nous avons été en mesure de proclamer que l'Australie était le pays où la Chine investissait le plus.

Les Chinois investissent dans toute une gamme de domaines, mais surtout dans celui des ressources. Par exemple, ils possèdent une grande compagnie minière en Australie, une aluminerie, et une usine de conditionnement de la viande.

Il y a également les investissements en provenance de Hong Kong. Toutefois, un grand pourcentage de ces investissements se retrouve dans l'immobilier. C'est sans doute la même chose ici.

Le sénateur Whelan: Monsieur le ministre, j'ai vu, hier soir, à la télé un reportage sur les incendies terribles qui ravagent votre pays. Ils se trouvent tout près de Sydney, si je ne m'abuse. On disait que l'incendie s'étendait sur une distance de 100 milles. C'était terrible. Je compatis avec vous et j'espère qu'on parviendra à les éteindre.

Vous avez qualifié la conférence de l'APEC à Vancouver de succès. Vous avez dit, dans votre déclaration, que le secteur des produits alimentaires était important. Si j'ai bien compris, le Japon et la Corée du Sud comptent parmi vos gros clients. Avez-vous dit que 60 p. 100 de vos échanges se font avec la Corée du Sud et le Japon?

M. Downer: L'ensemble des pays de l'Asie de l'Est.

Le sénateur Whelan: Vos échanges avec le Japon et la Corée du Sud représentent quel pourcentage de ce chiffre?

M. Downer: Dans le cas de la Corée, ce serait 8 ou 9 p. 100. Si l'on additionnait les deux, on arriverait à un total d'environ 28 p. 100, ce qui est beaucoup.

Le sénateur Whelan: Quels sont les principaux produits alimentaires visés? Vous avez dit que la Chine possédait une usine de conditionnement de la viande en Australie.

M. Downer: Oui. Ils possèdent une usine et plusieurs abattoirs en Australie.

Le sénateur Whelan: Quels sont les principaux produits alimentaires que vous exportez vers ces pays?

M. Downer: Il s'agit des poissons et fruits de mer, du boeuf, de quelques céréales. Je ne sais pas vraiment si nous exportons du blé en grande quantité dans ces pays; nous avons déjà exporté d'énormes quantités de blé à destination de la Chine, mais ce n'est plus le cas; la Chine n'est plus un gros importateur de blé aujourd'hui, mais nous exportons quelques céréales. Le sucre occupe une place assez importante, également; notre pays est le premier exportateur de sucre au monde.

Nous exportons enfin des ressources naturelles, comme du charbon, du minerai de fer, et cetera, dans un ou deux cas, de l'uranium. Nous exportons de plus en plus de produits de fabrication sophistiquée, importants de nos jours, produits technologiques d'un genre ou d'un autre.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le ministre, je tiens à commencer par dire que nous sommes ravis de vous accueillir ici. J'aimerais vous faire remarquer que la côte du Pacifique s'étend en fait jusqu'à Toronto, puisque la collectivité asiatique la plus importante ne se retrouve pas en Colombie-Britannique, mais dans l'agglomération torontoise. En effet, à l'heure actuelle, c'est le cantonais qui se classe au deuxième rang des langues les plus utilisées dans les foyers torontois. Le cantonais l'emporte sur l'italien, langue de mon collègue, le sénateur Di Nino; le cantonais prend rapidement de l'ampleur.

M. Downer: J'ai effectivement vu hier soir les résultats du recensement à la télévision.

Le sénateur Grafstein: À Toronto, les forces de police peuvent procéder à l'arrestation de suspects en 89 langues différentes et répondre à un appel d'urgence dans environ 123 langues. L'esprit du Pacifique arrive jusqu'au coeur du Canada, et je viens de cette région.

Deux questions m'intéressent particulièrement. Tout d'abord, les observations que vous avez faites au sujet des difficultés financières de l'APEC, et cetera. Comme je le disais à mes collègues alors que vous n'étiez pas encore arrivé, nous avons lu plus tôt cette semaine un rapport très embarrassant du FMI indiquant que ses réserves ont baissé et n'équivalent qu'à 60 milliards de dollars environ -- je crois qu'il s'agit de dollars américains. En outre, le FMI demande à ses États membres un effort financier supplémentaire. L'exemple devait être donné par les États-Unis, lesquels devaient verser 3,5 milliards de dollars, mais le Congrès a rejeté cette proposition, si ce n'est le Sénat, pour l'instant.

Sans disposer d'information privilégiée, j'en déduis toutefois que le FMI va connaître de plus en plus de difficultés par suite de la situation en Asie. J'y ajoute ce qui nous a été dit à au moins quatre ou cinq reprises ces deux dernières semaines et ce que le Japon ne cesse de dire, à savoir que les 20 premières banques vont être protégées, indépendamment de la situation. Il suffit d'entendre ce genre de propos plus de deux fois pour comprendre que les problèmes qui se posent sont graves et difficiles.

J'ajoute à cela une déclaration faite à l'intention du Japon par M. Rubin, secrétaire au trésor, aux États-Unis, il y a un mois, et qui m'a semblé être la déclaration la plus extraordinaire que je n'ai jamais entendue de la part d'un secrétaire au trésor aux États-Unis depuis la dépression. Il a déclaré: vous avez un grave problème et devez examiner vos institutions financières.

Il s'agit pour ma part d'une déclaration incroyable. J'imagine qu'il ne l'aurait pas faite, si les problèmes n'étaient pas très graves et ne se faisaient pas sentir un peu partout.

Cela me permet de vous situer dans le contexte; j'en déduis qu'une grave désagrégation des institutions financières au Japon et en Indonésie et que la difficulté pour le FMI d'apporter son appui de manière opportune auraient de graves conséquences pour l'Australie, comme, bien évidemment, pour notre pays. Je me demande si vous pouvez nous donner une explication à ce sujet; je comprends bien que vous ne puissiez pas nous donner une explication complète, mais il serait bon que vous puissiez nous donner un élément de réponse à cette question qui pourrait être extrêmement grave pour nous tous.

M. Downer: Comme je l'ai dit plus tôt, ces problèmes découlent de la surchauffe de certaines des économies de l'Asie de l'Est et des faiblesses structurelles de leurs institutions financières. Il ne fait aucun doute que certaines de leurs institutions financières ont pris des risques excessifs en raison des normes de nos propres institutions financières, ce qui a causé beaucoup de tension.

En ce qui concerne les institutions financières japonaises, je crois que l'on s'entend généralement pour dire autant à l'étranger qu'au Japon qu'il va falloir qu'elles se soumettent à un processus de réforme. Bien sûr, le gouvernement japonais a déjà commencé à l'annoncer. En ce qui concerne la situation du FMI, autant que je sache, il a récemment été bien approvisionné, avant la crise; il a été étonnamment bien placé pour réagir, mais a évidemment besoin de l'appui d'autres instances.

Nous avons appuyé les mesures envisagées dernièrement pour la Corée, mais aussi pour la Thaïlande et l'Indonésie. Bien sûr, la Corée elle-même a appuyé les offres faites à la Thaïlande et à l'Indonésie également, ce qui est assez ironique. Pour l'instant, ces pays semblent être en mesure de faire ce qui est attendu d'eux, bien que dans le cas de la Corée, il s'agisse de très grosses sommes; je le répète, il s'agit de très grosses sommes d'argent. La Corée se place au onzième rang des économies du monde si bien que demander l'appui du FMI représente pour elle un gros fardeau financier.

Les réserves du FMI n'atteignent peut-être pas les 60 milliards de dollars; je crois qu'elles sont un peu inférieures à ce chiffre; sans vouloir faire trop de spéculations à ce sujet, je crois toutefois qu'elles sont légèrement inférieures à 60 milliards de dollars. Le FMI va être mis à rude épreuve, mais pour l'instant, tout va bien, puisque d'autres sont prêts à participer à ces offres. Souvent, il ne s'agit pas de dépenser des fonds, mais plutôt de consolider la composition des réserves.

En ce qui nous concerne, dans le cadre de l'offre du FMI, nous avons échangé un milliard de dollars australiens contre 1 milliard de bahts. Nous avons donc injecté des dollars australiens dans les réserves thaïlandaises, ce qui a permis de les consolider. Au bout de trois ans, nous allons être remboursés au taux de change initial et avec intérêt; il s'agit donc en fait d'un prêt.

Il ne s'agit donc pas de dépenser des fonds comme dans le cadre d'un programme d'aide à l'étranger ou autre chose du genre. Reste à espérer que ces offres portent fruit rapidement, ce qui semble se produire pour l'instant, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Sénateur, je crois que le haut-commissaire commence à s'impatienter; je dois aller signer le traité sur les mines anti-personnel, ce qui est d'ailleurs l'objet de mon voyage.

Le sénateur Grafstein: Pouvons-nous poser une autre question rapide?

M. Downer: Très rapidement, car je dois partir.

Le sénateur Grafstein: Nous avons tenu un débat sur l'accession de la Chine à l'OMC; il s'agit pour nous d'une question encore non réglée et votre pays s'y intéresse de plus près que le nôtre. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de la position de l'Australie à cet égard?

M. Downer: Nous n'allons pas laisser la Chine entrer si facilement à l'OMC, car cela amoindrirait la crédibilité de cette organisation, ainsi que sa capacité de faire progresser la libéralisation du commerce.

Le sénateur Grafstein: Êtes-vous plutôt conservateur à cet égard, ou êtes-vous libéral?

M. Downer: Je pourrais dire que je suis un conservateur libéral.

Le sénateur Bolduc: On parle en ce moment de l'union monétaire et beaucoup d'Américains s'en méfient. En tant que spécialiste de l'Union européenne, qu'en pensez-vous?

M. Downer: Cela ne nous pose pas de problème. En tant que ministre des Affaires étrangères, et comme il ne s'agit pas d'un problème pour l'Australie, permettez-moi de vous dire, en ami, que cela ne devrait pas être un problème pour le Canada ou les États-Unis. Je crois que pour nous tous, cela ne pose pas de problème; l'Europe prévoit l'union monétaire le 1er janvier 1999; l'Allemagne, la France, les pays du Benelux et un ou deux autres pays en feront partie. Si je ne me trompe, neuf pays sont censés y adhérer.

Nous avons un genre d'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, sans toutefois avoir la même monnaie. Vous avez l'ALÉNA, sans avoir de monnaie unique. Nous ne procéderions donc pas de la sorte, mais c'est l'option que l'Europe a choisie.

Le président: Je vois que Son Excellence commence à s'impatienter.

M. Wood: Merci.

Le président: Notre comité s'est occupé de la question du traité des mines anti-personnel, pas plus tard que la semaine dernière. Nous vous remercions beaucoup de votre empressement à le signer.

Le débat a été des plus positif. J'aimerais avoir plus de temps, mais vous comprenez sans aucun doute nos limites comme nous comprenons les vôtres. Nous devrions essayer de nous rencontrer de nouveau pour reprendre et approfondir nos échanges.

La séance est levée.


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