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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 18 février 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 30 afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique (la crise financière asiatique: les perspectives de réforme des systèmes financiers canadien, asiatique et international.)

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, normalement, lorsque nous nous réunissons le mercredi, le Sénat siège à 13 h 30 et peut ajourner à 15 h, ce qui permet au comité de se réunir vers 15 h 15. Cependant, cela n'a pas été possible aujourd'hui.

Nous poursuivons notre travail au sujet de l'importance croissante pour le Canada de la région Asie-Pacifique. Le sujet précis de la réunion de cet après-midi est la crise financière asiatique et la perspective de réforme des systèmes financiers canadien, asiatique et international.

Nous serons aidés cet après-midi par M. James Powell, sous-chef, Département des relations internationales de la Banque du Canada; par M. Bruce Rayfuse, chef principal, Division de l'analyse financière et économique internationale, ministère des Finances; et par M. John Thompson, surintendant adjoint, secteur de la politique, du Bureau du surintendant des institutions financières.

J'ai réfléchi au fait que le comité a publié un rapport provisoire sur le Canada et la région Asie-Pacifique il y a environ neuf mois et au fait que si nous présentions un rapport aujourd'hui, nous y mettrions l'accent sur un sujet quelque peu différent de celui du rapport provisoire de juin 1997.

Des événements importants pour les institutions financières se sont produits dans la région de l'Asie-Pacifique. Ces événements ont des répercussions considérables. C'est sur cette crise et ses répercussions que nous concentrons notre attention cet après-midi.

Je demanderais à M. Powell de parler en premier, suivi de M. Rayfuse, et ensuite M. Thompson fera le dernier exposé. Je vous en prie, monsieur Powell.

M. James Powell, sous-chef, Département des relations internationales, Banque du Canada: Je dois d'abord situer la Banque du Canada et le Département des relations internationales en particulier, en ce qui concerne les activités internationales.

Le Département des relations internationales s'occupe principalement d'analyser les événements et les situations dans les grands pays industrialisés -- les États-Unis, les grands pays d'Europe et le Japon. Nous avons également un petit groupe qui étudie les nouvelles économies de marché, en particulier le Mexique et les autres pays d'Amérique latine. Nous aidons le Bureau canadien du Fonds monétaire international (FMI) à Washington par nos conseils sur diverses questions intéressant le FMI, y compris des questions qui font l'objet de discussions au Conseil du FMI. Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Finances sur des questions financières internationales, ainsi qu'avec d'autres banques centrales au sujet de questions de cet ordre.

En ce qui concerne la question qui nous préoccupe aujourd'hui, je crois que les membres du comité connaissent bien les facteurs immédiats qui ont causé la crise financière en Asie. Il s'agit notamment des déficits importants et croissants des balances courantes, du recours à des capitaux à court terme pour financer ces déficits, des monnaies surévaluées, des systèmes financiers peu solides et, dans certains pays, du «clientélisme». Je ne traiterai pas directement de ces questions aujourd'hui et porterai plutôt mon attention sur la «chaîne de garanties» qu'offrent les pouvoirs publics et qui, selon moi, constituent la cause profonde de la crise asiatique. L'existence de ces garanties a dénaturé le comportement des emprunteurs et des prêteurs dans les pays concernés et a fini par y provoquer une catastrophe financière.

Je dois ajouter que la conjugaison de ces garanties et des mesures prises par les pays asiatiques pour libéraliser leurs systèmes financiers nationaux et éliminer les obstacles au mouvement de capitaux peut avoir eu un effet pervers. La libéralisation des marchés financiers est certes bénéfique, mais elle peut, si elle n'est pas menée avec toute la circonspection nécessaire, entraîner de graves problèmes, comme on a pu le constater à la fois dans les pays industriels et les pays en développement.

Pour qu'un système financier national ou international fonctionne bien, les emprunteurs et les prêteurs doivent assumer les coûts et les bénéfices des décisions prises. Tout ce qui est de nature à modifier le profil perçu des risques et récompenses peut avoir une influence déséquilibrante sur les décisions et les résultats des participants au marché. Je suis convaincu que c'est ce qui s'est passé en Asie durant les années 90. L'afflux massif de capitaux dans la région pendant cette période ainsi que les importants déficits des balances courantes et la surévaluation des monnaies qui en ont résulté étaient attribuables en grande partie à l'effet incitatif pervers exercé par la présence d'une chaîne de garanties officielles. Cet effet pervers a également été à l'origine des bulles spéculatives qui sont apparues ces dernières années sur les marchés boursiers et immobiliers asiatiques et qui ont éclaté de manière spectaculaire au cours des six derniers mois.

En quoi consiste la chaîne de garanties que je viens de mentionner? Elle comporte au moins trois maillons, à savoir premièrement, des parties fixes ou quasi-fixes, deuxièmement, la garantie implicite ou explicite fournie par les pouvoirs publics aux institutions financières et parfois à des sociétés non financières, et troisièmement, les programmes internationaux de soutien mis en place pour aider les pays en butte à des difficultés financières. Si vous le permettez, j'examinerai successivement chacun de ces trois maillons.

Lorsqu'un pays arrime le cours de sa monnaie à celui de la monnaie d'un autre pays, il promet par le fait même au marché qu'il fera tout ce qu'il faut pour que cette parité tienne. Si le pays est crédible, les participants au marché agiront en conséquence. Ils ne tiendront pas compte du risque de change et se fieront plutôt à l'engagement pris par le gouvernement, et ce, même en présence d'écarts de taux d'intérêt qui, normalement, donneraient à penser que le taux de change devrait varier au fil du temps. Les emprunteurs en devises seront portés à croire qu'ils ne s'exposent pas à un risque plus grand que s'ils se finançaient sur le marché intérieur. De fait, si les taux d'intérêt intérieurs sont plus élevés que les taux d'intérêt à l'étranger, comme c'est souvent le cas sur les marchés naissants, cela incitera fortement les résidents à faire des emprunts en devises pour profiter du coût du financement plus faible et à prendre des positions non couvertes sur des actifs nationaux offrant un meilleur rendement. Afin de tirer parti au maximum de l'écart entre le coût du financement à l'étranger et le rendement des avoirs nationaux, les emprunteurs peuvent également être tentés de se financer à court terme et de prêter à long terme.

Les prêteurs trouvent également leur compte dans cette situation. En octroyant des prêts en devises à des entités appartenant à des marchés naissants, ils peuvent obtenir des taux d'intérêt plus élevés que ce ne serait autrement le cas. Toutefois, lorsqu'ils évaluent la solvabilité des emprunteurs potentiels, ils sont aussi susceptibles de tenir pour acquis que le taux de change ne variera pas, du moins à court terme, et par conséquent de ne pas prendre en considération les conséquences que l'échec de la parité pourrait avoir pour la santé financière de leurs clients.

Les choses peuvent virer au tragique si les circonstances changent et que les participants au marché commencent à remettre en question la crédibilité de l'engagement pris par le gouvernement à l'égard de la stabilité du taux de change. Dans un tel cas, on peut assister à un sauve-qui-peut général, les emprunteurs cherchant à couvrir leurs engagements en devises, qui à ce stade-ci pourraient être très importants, et les prêteurs s'employant à réviser les lignes de crédit à la baisse ou à liquider des actifs en monnaie nationale. Il est également probable qu'une fuite de capitaux se produise, les résidents cherchant à protéger la valeur de leur épargne.

C'est ce qui s'est produit en Asie au cours des derniers mois. Avec l'aggravation des inquiétudes concernant la taille des déficits des balances courantes, la surévaluation des monnaies et l'amenuisement des réserves internationales, des doutes ont commencé à naître quant à la capacité des autorités nationales de maintenir des parités fixes. Les participants au marché se sont également rendu compte que, dans bon nombre de pays, les autorités n'avaient pas la marge de manoeuvre nécessaire pour relever les taux d'intérêt -- le remède habituel dans de telles circonstances -- étant donné la fragilité des systèmes financiers. Une hausse des taux d'intérêt n'aurait fait qu'exercer des pressions supplémentaires sur les institutions financières et leurs clients. La perte de confiance à l'égard des parités fixes a provoqué un inversement de l'important mouvement de capitaux étrangers à destination des pays asiatiques observé auparavant.

Le deuxième maillon de la chaîne est la garantie que les pouvoirs publics offrent parfois aux institutions financières et, dans certains cas, à des sociétés non financières. Cette garantie peut être aussi bien implicite qu'explicite. Certaines institutions financières peuvent être perçues comme étant trop importantes pour faire faillite. Et les institutions financières ou autres sociétés qui ont des relations en haut lieu peuvent être perçues comme bénéficiant de l'appui implicite des pouvoirs publics. Ces perceptions jouent un rôle particulièrement important dans certains pays asiatiques où les pouvoirs publics, les banques et les sociétés non financières entretiennent souvent des liens étroits. Dans un tel contexte, les investisseurs peuvent décider de prêter des fonds à des sociétés parce qu'ils présument, à tort peut-être, que celles-ci recevront l'aide du gouvernement en cas de difficultés financières.

Le fait que les pouvoirs publics laissent des institutions financières faibles et susceptibles d'être insolvables continuer leurs activités en s'appuyant sur la garantie qu'ils leur offrent plutôt que de les obliger à fermer ou d'insister pour qu'elles restructurent leur capital pourrait également avoir alimenté les difficultés financières des pays asiatiques. À une conférence sur la crise asiatique à laquelle j'ai participé récemment, ces institutions ont été qualifiées de «banques vampires», parce qu'elles contaminaient d'autres institutions en misant, pour sortir du pétrin, sur des stratégies spéculatives de prêt très risquées. Ces stratégies se sont soldées par un échec qui a coûté cher aux autorités nationales et aux créanciers, tant nationaux qu'étrangers.

L'accès possible à des programmes internationaux de soutien financier, lesquels sont généralement mis au point par l'intermédiaire du FMI, constitue le troisième type de garantie officielle dont je voudrais parler. Puisque la question du risque moral rattaché à l'octroi de crédits par le FMI a déjà été amplement débattue, je ne m'étendrai pas sur le sujet. Je me contenterai de dire que l'intervention d'un prêteur international de dernier ressort peut aider à atténuer l'effet de la contagion irrationnelle qui s'exerce sur des pays touchés indirectement par des crises financières survenues ailleurs dans le monde, mais que la simple existence d'un tel prêteur peut inciter les pouvoirs publics et, ce qui est plus important, les investisseurs, à mettre en oeuvre des politiques ou des stratégies d'investissement plus risquées.

Compte tenu de cette chaîne de garanties, que peut-on faire pour réduire la gravité et la fréquence des crises financières? Il faut briser, ou du moins affaiblir, les maillons de la chaîne et permettre ainsi au marché de mieux fonctionner.

Pour la plupart des pays concernés, la mesure la plus importante à prendre est d'envisager la mise en place de régimes de taux de change flottants ou, à tout le moins, d'abandonner les régimes de taux de change fixes au moment opportun. Il est arrivé trop souvent que des crises se produisent parce que les autorités n'étaient pas disposées à reconnaître que le maintien de parités fixes n'était plus tenable. Les taux de change flottants présentant un risque tant pour les emprunteurs que pour les prêteurs, ils ne permettent pas des prises de position dans un seul sens. Par conséquent, il est bien possible que le niveau absolu des flux de capitaux diminue, et les emprunteurs en devises se couvriront très probablement contre le risque de change.

Je ne veux pas dire par là que certains pays ne peuvent pas maintenir un système de taux de change fixes. Mais, comme je l'ai déjà fait remarquer, le maintien d'un tel système exige des politiques axées sur le maintien des parités. En cas de choc défavorable, de telles politiques manqueront de crédibilité à moins que le système financier ne soit robuste et l'économie très souple, de sorte que les salaires et les prix intérieurs portent le fardeau de l'ajustement.

Par ailleurs, les pays émergents devront améliorer leurs systèmes financiers. Il faudra notamment que les institutions insolvables soient fermées, que celles dont la santé financière est fragile restructurent leur capital et assainissent leur bilan et que l'assurance-dépôts ne serve qu'à la protection des plus vulnérables. Des règles devront être établies et mises en application afin de limiter les opérations intéressées et les abus impliquant des actionnaires majoritaires. De meilleures pratiques devront être mises au point en ce qui concerne les conventions comptables et la régie interne. Il faut également plus de transparence de façon à fournir aux opérateurs les renseignements nécessaires pour effectuer des évaluations de crédit. En outre, les systèmes de surveillance devront être renforcés de manière à étayer la discipline de marché par une discipline officielle.

Heureusement, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, le comité de Bâle des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires ainsi que d'autres organismes internationaux travaillent en étroite collaboration avec les pouvoirs publics des marchés naissants afin d'améliorer les systèmes financiers dans tous les pays concernés. Mais cette amélioration ne se fera pas du jour au lendemain.

Finalement, il faudra trouver des moyens de réduire le risque moral lié aux programmes internationaux de soutien financier. Certains observateurs vont jusqu'à proposer l'abolition du FMI. Il s'agirait d'une solution extrême qui est peu susceptible de recueillir une très large adhésion auprès des pays membres du FMI. Mais on pourrait toutefois étudier la possibilité de faire participer plus rapidement le secteur privé aux opérations internationales de soutien financier. Ce serait une bonne façon de s'assurer que le secteur privé assume sa juste part des coûts.

On devrait donc envisager sérieusement l'octroi de moratoires en matière de dettes. Une telle approche serait conforme aux recommandations d'un rapport sur le règlement des crises de liquidité des États souverains qui a été publié en 1996 par le G-10. Les moratoires réduiraient également la nécessité de recourir à d'importants prêts de dernier ressort auprès du FMI et de la communauté internationale de façon plus générale.

Avant de conclure, j'aimerais aborder brièvement la question de la libéralisation du secteur financier. Dans mon introduction, j'ai dit que l'interaction de la chaîne de garanties que je viens de décrire et des efforts faits par les différents pays pour libéraliser leurs systèmes financiers nationaux et adopter des politiques plus libérales en matière de mouvement de capitaux peut donner des résultats dangereux.

La libéralisation du secteur financier interne et l'ouverture des marchés de capitaux sont de bonnes choses en soi. Un système financier compétitif fondé sur les mécanismes de marché favorisera les investissements en entraînant une baisse du coût de financement et en contribuant à un accroissement de l'épargne intérieure par le truchement d'une hausse de la rémunération des dépôts et d'un élargissement de la gamme de produits de placement offerts. En même temps, des marchés de capitaux ouverts encourageront une meilleure répartition de l'épargne et des investissements à l'échelle internationale. Toutefois, l'élimination des obstacles qui entravent les mouvements de capitaux dans les pays émergents, où les marchés financiers sont généralement peu développés, peut donner lieu à de fortes entrées de capitaux dans les systèmes bancaires et, par conséquent, à une vive accélération du crédit.

Si les banques se mettent à exercer des pouvoirs plus étendus pendant qu'elles sont mal réglementées et mal surveillées, elles peuvent se lancer dans des opérations de financement qu'elles maîtrisent mal et qui comportent des risques élevés. Cela est particulièrement inquiétant dans le cas des institutions qui, avant la libéralisation, se spécialisaient dans l'octroi de prêts à l'État ou de celles que l'État enjoignait de prêter à certaines entreprises ou à certains secteurs de l'économie. De telles institutions risquent d'avoir peu d'expérience en matière d'évaluation du risque de crédit.

Compte tenu de ces problèmes, certains pourraient soutenir qu'il serait prudent pour les pays concernés de renoncer entièrement à la libéralisation du secteur financier. Je suis d'avis que cela serait une erreur et une belle occasion perdue. Nous avons eu des preuves que les mesures de contrôle finissent par être contournées à long terme. Par conséquent, il serait préférable que les autorités prennent les devants et enclenchent le processus de réforme.

En s'attaquent aux maillons de la chaîne de garanties que j'ai décrits -- ce qui permettrait aux marchés de mieux fonctionner -- et en renforçant le contrôle prudentiel, les pays concernés profiteront des avantages que procure un système financier libéral et axé sur le marché, tout en ayant bon espoir de réussir à réduire la gravité et la fréquence des crises financières.

M. Bruce Rayfuse, chef principal, Division de l'analyse financière et économique internationale, ministère des Finances: Je vous remercie de votre invitation à comparaître de nouveau devant vous. Depuis que j'ai comparu le 5 novembre, la crise en Asie s'est approfondie et étendue. Dans certains des premiers pays touchés, en particulier l'Indonésie, la situation s'est détériorée et la crise s'est propagée de manière à inclure d'autres pays, en particulier la Corée.

Plus récemment, toutefois, certains indices nous portent à croire que la situation s'est peut-être stabilisée, dans les marchés financiers du moins, en particulier en Corée, bien qu'il subsiste encore évidemment des risques importants de nouvelles perturbations. Des rajustements économiques difficiles restent encore à faire dans certains de ces pays.

Dans ma déclaration d'aujourd'hui, je veux faire trois choses. Premièrement, je vais vous informer des derniers événements survenus dans la région depuis ma dernière comparution devant le comité. Deuxièmement, je décrirai la réaction manifestée jusqu'ici par la communauté internationale face à ces événements. Troisièmement, je vais décrire ce qui sera fait au cours des prochains mois.

La dernière fois que j'ai comparu devant vous, le bhat thaïlandais avait subi régulièrement des pressions à la baisse depuis la décision de le laisser flotter le 2 juillet. Le 5 novembre, lorsque j'ai comparu, sa valeur avait chuté de 36 p. 100. Vous pouvez le voir à la figure 1 du document que je vous ai remis.

La Thaïlande a conclu un accord avec le FMI en août, ce qui, ajouté aux apports de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et de neuf prêteurs asiatiques bilatéraux, y compris l'Australie, fournissait au pays quelque 17 milliards de dollars américains pour soutenir sa balance des paiements. En contrepartie de cette aide, la Thaïlande convenait de fixer des objectifs de rendement macro-économiques et de mettre en oeuvre une série de réformes structurelles visant à ouvrir l'économie et à consolider le secteur financier.

Au début de novembre, la crise s'était répandue au-delà de la Thaïlande, mais les plus gravement touchés étaient ceux qu'on appelle les quatre pays asiatiques -- la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines et l'Indonésie. Les Philippines ont reçu une aide additionnelle du FMI dans le cadre de l'extension d'un accord existant. Vers la fin d'octobre, l'Indonésie a conclu avec le FMI un accord exigeant qu'elle se fixe aussi des objectifs macro-économiques en plus d'apporter des réformes structurelles. En échange, le FMI, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement ont fourni une aide de 18 milliards de dollars à l'Indonésie.

En outre, sept pays se sont engagés à fournir un total d'environ 23 milliards de dollars américains dans le cadre de ce qu'on appelle une «seconde ligne de défense», c'est-à-dire que cette aide serait disponible si l'aide fournie par les institutions financières internationales se révélait insuffisante pour enrayer la crise. Au tableau 1, j'ai tiré une ligne plus grasse sous les institutions financières internationales afin de souligner qu'à partir de là, il s'agit d'une seconde ligne de défense.

Des pressions s'étaient exercées sur d'autres devises et marchés de la région, et d'une façon particulièrement inquiétante à Hong Kong, où une chute des cours vers la fin d'octobre a entraîné des baisses importantes dans la plupart des marchés boursiers du monde, y compris New York, où la moyenne Dow Jones des industriels a baissé de 7,2 p. 100 le 27 octobre, tandis que l'indice composé de la Bourse de Toronto baissait de 6,2 p. 100. Heureusement, les craintes d'une débâcle boursière ne se sont pas concrétisées et les bourses de New York et de Toronto ont compensé leurs pertes d'octobre.

Voilà ce qu'était en gros la situation au 5 novembre. Le grand événement suivant, dans cette crise, a été la démarche faite par le gouvernement coréen auprès du FMI le 21 novembre. Le FMI a conclu le 3 décembre un accord de confirmation d'une durée de trois ans.

La Corée était l'une des principales puissances économiques de l'Asie. Le pays a connu une croissance rapide au cours des 20 dernières années, surtout grâce à l'importance de ses exportations. Dans ce pays, l'augmentation des exportations était surtout due aux efforts d'un nombre assez faible de grands conglomérats appelés chaebols. L'étroite relation entre les chaebols, le gouvernement coréen et les banques du pays était l'une des caractéristiques du modèle économique coréen. Grâce à ces relations étroites, les chaebols jouissaient d'un accès privilégié au crédit qui facilitait leur expansion. À cause de cet accès privilégié, les chaebols se sont diversifiés pour offrir une vaste gamme de produits. Dans certains cas, les chaebols ne connaissaient pas très bien ces produits et dans d'autres, les produits étaient déjà fabriqués en quantités excédentaires dès le début des années 90.

Par conséquent, les chaebols n'ont pas réalisé grand profit au cours des dernières années, d'une façon générale. En fait, les pressions exercées par la capacité excédentaire se sont accrues en 1997 et bon nombre d'entre eux se sont trouvés aux prises avec des problèmes financiers importants. Par exemple, en 1997, huit des trente plus grands chaebols ont déclaré faillite.

Évidemment, lorsque les principaux clients des banques font faillite, on peut s'inquiéter de la viabilité des banques elles-mêmes. C'est pour cette raison qu'après le déclin du marché boursier de Hong Kong et après que Standard & Poor ait réduit le statut du risque souverain de la Corée, à peu près toutes les nouvelles sources extérieures de financement s'étaient taries. Les créanciers étrangers refusaient de reconduire les prêts à court terme existants. C'est ainsi que les banques ont dû acheter des dollars américains de la Banque de Corée pour rembourser leurs prêts à court terme à la date d'échéance, ce qui a eu pour effet de réduire dangereusement les réserves de devises internationales du pays.

Conformément au programme d'aide mis sur pied par le FMI, les institutions financières internationales ont injecté 35 milliards de dollars dans l'économie. En outre, le programme prévoyait une seconde ligne de défense, aux cas où les ressources fournies par les institutions financières internationales se révéleraient insuffisantes. Cette seconde ligne de défense représentait au total une somme de 23 milliards de dollars américains, ce qui portait le total de l'aide à près de 60 milliards de dollars. Le Canada faisait partie de la seconde ligne de défense de ce programme et s'était engagé à verser un maximum d'un milliard de dollars américains.

Pour la première fois au cours de cette crise, les grandes banques commerciales internationales ont été invitées à participer aux négociations. En fait, la participation de ces grandes banques commerciales internationales à la résolution de la crise était l'une des conditions de l'accès à cette seconde ligne de défense.

Le 28 décembre, on a convenu de reconduire pour environ 15 milliards de dollars de prêts existants, pour une période de quelques semaines. Cette période a plus tard été prolongée à quelques mois. Parallèlement, les banques ont entrepris des négociations avec le gouvernement coréen pour restructurer son endettement. On a signé un accord en ce sens le 28 janvier; dans le cadre de cet accord, 24 milliards de dollars de dettes privées à court terme de la Corée étaient converties en obligations à moyen terme.

Ce train de mesures et la mise en oeuvre énergique des réformes structurelles par le gouvernement coréen ont, semble-t-il stabilisé la situation. Comme vous pouvez le voir dans le tableau 2, le won coréen est demeuré plus ou moins stable depuis la mi-décembre. Le tableau 4 montre que le marché boursier coréen a amorcé une reprise assez prononcée depuis la mi-décembre. En fait, les marchés boursiers de cette région semblent avoir amorcé une reprise générale vers la mi-janvier. Cela est illustré de façon plus évidente au tableau 3.

À l'heure actuelle, le principal nuage à l'horizon est sans doute l'Indonésie. On a constaté en décembre que le gouvernement indonésien n'appliquait peut-être pas avec tout le sérieux nécessaire les réformes structurelles convenues. Les doutes à cet égard se sont accrus lorsque, au début du mois de janvier, le gouvernement a annoncé un budget qui non seulement violait les objectifs du FMI, mais semblait également s'appuyer sur des hypothèses économiques déraisonnablement optimistes. Des rumeurs sur la santé du président et des inquiétudes quant à son successeur possible sont venues ébranler encore la confiance dans les perspectives économiques indonésiennes.

De toute façon, au début de janvier, la rupiah a fait l'objet de pressions plus intenses et sa valeur a chuté à 17 000 rupiahs par dollar américain, ce qui représente une diminution de plus de 80 p. 100 comparativement à sa valeur au début de la crise, au début juillet. Ces nouvelles pressions sur la devise ont entraîné des pressions renouvelées sur les devises des quatre autres économies asiatiques, même si ces pressions n'étaient pas aussi graves.

À la mi-janvier, des délégations successives de cadres supérieurs du FMI, des États-Unis et de l'Allemagne se sont rendues en Indonésie pour insister sur l'importance d'appliquer les réformes structurelles nécessaires. Le 15 janvier, l'Indonésie a signé avec le FMI un accord modifié exigeant des réformes structurelles encore plus importantes. Peu après, l'Indonésie a annoncé un gel volontaire temporaire des paiements au titre du service de la dette internationale. Des comités de direction composés d'emprunteurs et de créanciers ont entrepris de mettre au point un plan de paiement volontaire pour restructurer cet endettement.

Depuis lors, il semble que la situation se soit stabilisée, puisque la valeur de la rupiah a cessé de chuter. Toutefois, la devise n'a pas repris autant de valeur qu'on l'aurait espéré. En outre, on a constaté des signes croissants de tensions sociales, dont des émeutes du pain un peu partout.

Il s'est produit la semaine dernière un fait nouveau; le gouvernement indonésien a annoncé son intention de mettre sur pied une commission de la devise, c'est-à-dire un régime encore plus rigide de taux d'échange fixes que ce qui existait dans ces pays avant le début de la crise. Les marchés financiers doutent qu'un tel régime soit souhaitable et pratique en Indonésie et, par conséquent, les marchés risquent de mettre à l'épreuve l'engagement du gouvernement à établir une commission de la devise. Cela pourrait entraîner une montée en flèche des taux d'intérêt en Indonésie, ce qui ajouterait aux difficultés du secteur financier dans ce pays.

Voilà donc en gros qu'elle est la situation actuelle. L'économie coréenne connaîtra encore d'autres difficultés, même si l'on peut faire preuve à son égard d'un optimisme prudent. Pour sa part, l'économie thaïlandaise semble en bonne voie de reprise; toutefois, elle demeure vulnérable à la contagion que pourraient exercer les problèmes d'autres parties de la région. À très court terme, c'est probablement la situation en Indonésie qui pose le risque le plus grave.

Permettez-moi de passer maintenant à la réaction internationale. Depuis quelque temps déjà, des efforts sont en cours dans diverses tribunes internationales pour stabiliser davantage le système monétaire international. Le sommet de Halifax, qui avait pour toile de fond de la crise mexicaine de 1994-1995, a porté presque exclusivement sur les mesures qui réduiraient le risque de crises futures.

Les mesures adoptées à Halifax étaient axées de trois thèmes: premièrement, améliorer l'information transmise aux marchés, surtout en élaborant la norme spéciale de diffusion des données du FMI; deuxièmement, accroître la rapidité de réaction du FMI aux crises et mettre en place des mécanismes de financement d'urgence; troisièmement, accroître les ressources dont le FMI dispose pour réagir aux crises, y compris en augmentant les quotas et les négociations de nouveaux accords d'emprunt. Des accords ont été signés sur ces thèmes au cours des 18 derniers mois; il reste encore à les ratifier et à les mettre en oeuvre. Le prochain grand obstacle à surmonter sera de les faire adopter par le Congrès américain.

En outre, surtout grâce au sommet du G-7, des organismes comme le FMI, le G-10, la Banque des règlements internationaux et le comité de Bâle des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires ont entrepris d'examiner certaines questions, dont le renforcement du contrôle bancaire national, la promotion de systèmes financiers forts dans les nouvelles économies de marché, l'augmentation de la collaboration transfrontalière entre les organismes de réglementation des groupes financiers internationaux actifs, et cetera.

Pendant l'évolution de la crise, au cours des deux derniers mois, on a constaté l'émergence de deux tendances en ce qui a trait à la participation de la communauté internationale. La première de ces tendances peut être facilement constatée de par la liste des pays qui ont participé aux mesures de sauvetage décrites au tableau 1.

Il est vrai que les mesures destinées à la Thaïlande ont nécessité la participation du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement et que, de ce fait, la communauté mondiale se trouvait engagée, mais vous remarquerez que toutes les mesures bilatérales applicables à ce pays ne mettaient en cause que des pays asiatiques, outre l'Australie. Dans les mesures destinées à l'Indonésie, les États-Unis participent aux mesures bilatérales. Dans l'accord destiné à la Corée, les participants à la seconde ligne de défense étaient à peu près tous des pays non asiatiques.

Les efforts internationaux pour contenir la crise se sont accrus. Le nombre de pays participant aux efforts pour régler cette crise s'est multiplié et il est devenu de plus en plus clair qu'il faut examiner de façon approfondie les mécanismes qui permettront de réduire les risques de crises futures et de régler efficacement celles qui se déclareront.

La seconde tendance est la participation accrue du secteur privé. Comme je l'ai déjà mentionné, les banques internationales ont participé aux négociations avec la Corée, et l'Indonésie a entrepris de négocier avec ses créanciers. Ces faits s'expliquent de plusieurs façons. Premièrement, pour réduire le risque moral, il est nécessaire d'obtenir la participation des intérêts privés. Quand arrive l'heure de réparer les pots cassés, il faut que les investisseurs payent leur part de la facture. Deuxièmement, la participation des gouvernements, directement ou par le truchement des institutions financières internationales, est nécessairement limitée.

Les 18 et 19 novembre 1997, des représentants des ministres des Finances et des banques centrales des 14 pays d'Asie et du Pacifique, y compris le Canada, se sont rencontrés à Manille pour discuter des mesures à prendre pour régler cette crise qui gagnait en ampleur. De cet accord est issu un nouveau cadre de collaboration régionale accrue en Asie afin de promouvoir la stabilité financière; c'est ce qu'on appelle l'Accord de Manille.

Cet accord comporte quatre propositions: la mise en place d'un mécanisme régional de surveillance qui complète la surveillance générale exercée par le FMI; une collaboration économique et technique accrue, plus particulièrement le renforcement des systèmes financiers nationaux et des ressources en matière de réglementation; des mesures pour renforcer la capacité du FMI de réagir aux crises financières; un accord de cofinancement qui ajoute aux ressources du FMI.

Qu'en est-il de ces propositions à l'heure actuelle? Le Japon a été chargé d'organiser une réunion à laquelle sera discuté plus avant la création du mécanisme de surveillance régionale. Rien n'a encore été annoncé à ce sujet. Les négociations sur la composition de ce groupe ont gagné en complexité du fait de la participation accrue de pays situés à l'extérieur de la région. Les pays européens membres du G-7, par exemple, ont insisté pour être présents à Manille. Même s'ils n'ont pas participé à la réunion elle-même, ils ont rencontré les organisateurs après la réunion. Compte tenu de leur présence importante dans la région, ils ont fait savoir qu'ils n'accepteront pas d'être exclus des discussions sur les mesures à prendre pour régler la crise.

Pour ce qui est de la collaboration et de l'aide économique et technique, c'est surtout l'APEC qui s'en occupe. À leur réunion d'avril dernier, les ministres des Finances de l'APEC ont, entre autres initiatives de collaboration, convenu d'identifier les points faibles des mesures proposées pour renforcer les systèmes financiers, de réglementation et de surveillance.

En septembre, le ministre des Finances du Canada et le président de la Banque mondiale ont annoncé conjointement la formation du Toronto International Leadership Centre for Financial Sector Supervision, dont les locaux seront situés à l'Université York. Depuis lors, M. Paul Cantor a été nommé directeur général du centre, qui devrait tenir ses premières réunions en juillet, espère-t-on.

Le troisième élément, le renforcement de la capacité du FMI à assumer ses fonctions, a donné lieu à la création d'une réserve supplémentaire qui permettra d'injecter plus rapidement des fonds dans les pays en détresse tout en accélérant les remboursements. Cette réserve a été utilisée pour la première fois dans le cadre de l'accord avec la Corée.

Enfin, pour ce qui est des mesures de cofinancement, on a demandé aux pays de se doter des pouvoirs législatifs nécessaires, s'ils ne les ont déjà, pour participer aux mesures de second recours, comme dans le cas des programmes de deuxième ligne de défense de la Corée et de l'Indonésie.

Une série de réunions aura lieu au cours des prochains mois pour décider de ce qu'il convient de faire ensuite, tant au sujet de la crise elle-même que des réformes du système monétaire international pour réduire les risques de crises futures. Les ministres des Finances du G-7 se réuniront à Londres la fin de semaine prochaine, et la crise en Asie sera l'un des principaux points à l'ordre du jour. Le Japon tiendra une réunion de suivi sur l'Accord de Manille, dans les prochains mois, pour faire avancer l'établissement du mécanisme de surveillance régionale. Les 15 et 16 avril, les ministres des Finances du G-7 et le comité provisoire du FMI se réuniront à Washington. Il ne fait aucun doute que la crise en Asie et la réaction du FMI feront l'objet de longues discussions. Le 8 mai, les ministres des Finances du G-7 se réuniront à nouveau en prévision du sommet du G-8 qui aura lieu à Birmingham, du 15 au 17 mai. Du 22 au 24 mai, les ministres des Finances des pays de l'APEC se réuniront à Kananaskis, en Alberta. En outre, au cours des prochains mois, les États-Unis accueilleront les ministres des Finances et les directeurs des banques centrales de 22 pays industrialisés, émergents et en transition pour traiter des questions issues de la crise financière en Asie.

Bien qu'il soit impossible de dire exactement ce qui sera discuté à ces réunions et quels en seront les résultats, nous pouvons néanmoins affirmer que les discussions porteront surtout sur cinq thèmes. Le premier consiste à améliorer l'échange d'information avec le marché financier afin qu'il puisse prendre des décisions plus éclairées quant aux risques liés aux investissements. Il pourrait à mon avis en découler deux choses: premièrement, il faudrait savoir si les nouvelles données devraient être fournies dans le cadre du SDDS, plus particulièrement s'il conviendrait de fournir davantage de renseignements sur les secteurs financiers; deuxièmement, il faudrait déterminer si l'analyse du FMI ou d'autres mécanismes de surveillance devrait être rendue davantage publique.

Le second grand thème sera d'améliorer la gestion de la politique nationale. Parmi les questions discutées à ce titre, il pourrait y avoir le choix d'un régime adéquat de taux de change, le dosage des politiques monétaires et financières, ainsi que les réformes structurelles nécessaires.

Le troisième thème sera probablement la mise au point de systèmes financiers plus solides tant dans chacun des pays qu'internationalement. Il faudra pour cela discuter d'un meilleur contrôle des banques et d'efforts pour promouvoir de saines méthodes bancaires.

Le quatrième thème sera le rôle que joue la libéralisation du compte-capital. Il est à peu près certain que l'on fera des efforts pour promouvoir une plus grande libéralisation, mais on accordera davantage d'attention à certaines questions, dont la séquence des réformes des marchés financiers et les mesures de protection réglementaires qui devaient être instituées.

Le dernier thème sera le rôle du secteur privé dans le règlement des crises. Quand les intérêts privés devraient-ils prendre part aux efforts et comment devraient-ils le faire, quelle part du fardeau devraient-ils assumer, et cetera. Tout cela fera partie des grands sujets de discussion.

Le président: Merci beaucoup.

M. Rayfuse a mentionné le problème des réformes structurelles, de la surveillance et de la réglementation. C'est pourquoi nous donnons maintenant la parole à M. Thompson. J'ai demandé à M. Thompson de nous décrire brièvement ce que fait le BSIF, en ce qui a trait à la participation des institutions canadiennes; le travail du BSIF jettera les bases de cette discussion sur la réglementation à l'extérieur du Canada.

M. John Thompson, surintendant adjoint (secteur de la politique), Bureau du surintendant des institutions financières: Merci beaucoup. C'est avec plaisir que je ferai quelques observations quant au travail général que réalise le BSIF au Canada.

Le BSIF est le principal organisme de réglementation des grandes institutions financières canadiennes. C'est lui qui régit toutes les banques, qui leur octroie leur licence, surveille leur exploitation et décide si une banque doit ou non continuer d'exister. Lorsque les affaires d'une banque vont trop mal, le BSIF peut décider de recommander sa fermeture. Le BSIF surveille également les principales sociétés d'assurance-vie, ainsi que les sociétés d'assurance des biens et d'assurance risques divers au Canada. Nous supervisons également certains régimes de pension, surtout ceux qui s'adonnent au commerce transfrontalier, entre autres.

Plus précisément, et c'est ce qui a trait à notre sujet d'aujourd'hui, le BSIF supervise les transactions bancaires. Pour cela, il ne supervise pas seulement les transactions des banques canadiennes partout au monde, mais aussi celles des filiales de banques étrangères établies au Canada. Nous supervisons les activités de ces deux types de banques.

Une partie du travail du BSIF est réalisée dans nos bureaux; c'est là que, entre autres, nous recevons et évaluons les divers documents qui sont déposés auprès des organismes de réglementation bancaire. Ces documents portent plus précisément sur la sécurité et la viabilité de ces institutions financières, sur leur force financière et sur leur capacité de remplir leurs obligations à l'égard des déposants, aujourd'hui et demain. Nous allons visiter ces banques pour nous assurer que les renseignements qui nous sont transmis correspondent aux faits; c'est ainsi que nous vérifions la teneur des documents qui sont déposés auprès du BSIF. Parallèlement, nous examinons les mécanismes de contrôle que le conseil de direction et les gestionnaires appliquent dans ces institutions pour voir à leur bon fonctionnement.

Dans mes commentaires, je ferai mention des renseignements que nous recevons de nos banques nationales ainsi que des banques de la région asiatique qui ont pignon sur rue au Canada. L'information que nous recevons est issue des documents officiels de ces institutions, ainsi que des renseignements que nous glanons sur place lorsque nous examinons leurs dossiers financiers et que nous faisons le point avec la direction.

J'espère que je vous ai bien décrit le travail du Bureau du surintendant des institutions financières. C'est un sujet que je suis souvent appelé à aborder et je pourrais probablement en parler pendant trois jours. Lorsqu'on m'a demandé de faire une brève introduction, j'ai eu du mal à trouver le moyen de décrire le travail du BSIF de façon concise, car ce travail a une vaste portée.

Ma comparution cet après-midi sera relativement brève en comparaison à celle de mes collègues de la Banque du Canada et du ministre des Finances. Ces derniers vous ont donné un bon aperçu de la situation dans la région asiatique. Cet après-midi, je m'attacherai au travail de surveillance auquel s'est livré le BSIF au cours de son examen de la situation et de ses rapports avec les institutions elles-mêmes. Nous voulons être certains de bien comprendre les pressions auxquelles font face les institutions et veiller à ce qu'elles puissent y réagir efficacement.

Dans cette optique, mes commentaires porteront sur trois domaines. Tout d'abord, les répercussions de la crise sur les banques canadiennes qui sont implantées dans la région asiatique. Je parlerai ensuite de l'incidence sur les filiales canadiennes de banques domiciliées en Asie. Enfin, je parlerai brièvement des travaux du comité de Bâle des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires qui visent à établir des normes internationales de surveillance et d'examen des services financiers.

À la fin de l'année dernière, le Bureau a commencé à suivre de près le déroulement des événements en Asie et à analyser l'information disponible quant à l'incidence éventuelle de la situation sur les institutions qui relèvent de nous. Nous avons demandé à ces institutions d'évaluer l'incidence de la situation asiatique sur leur portefeuille de prêts et leurs opérations en général. Je ne suis pas en mesure de vous fournir des renseignements propres à l'une ou l'autre des institutions en particulier car il va de soi qu'ils doivent demeurer confidentiels. Cependant, je peux vous dire qu'en général, les reportages que vous avez pu lire dans les journaux au cours des derniers mois étaient assez fidèles à l'information que nous avons reçue avant la parution des communiqués.

Cependant, je suis autorisé à faire quelques observations sur ce que nous avons appris au sujet de ce secteur dans son ensemble. Nous avons collaboré avec les institutions dans le but de surveiller les risques liés à leurs prêts dans la région. Une institution qui voit se détériorer la qualité de ses prêts est tenue de prendre les mesures appropriées.

Certaines banques canadiennes sont très peu présentes sur les marchés asiatiques. Pour les institutions qui ont des engagements considérables en Asie, les examens ont évidemment été plus fouillés et, dans certains cas, on a procédé à une analyse individuelle de chaque prêt.

Il ne semble pas y avoir eu de conséquences sensibles pour les banques canadiennes implantées dans cette région. En fait, nous ne prévoyons pas d'incidences financières sur les institutions financières canadiennes en général -- et cela englobe les sociétés d'assurance-vie.

Un certain nombre de banques asiatiques ont des succursales ici, au Canada. Plus précisément, des banques de Chine, de Hong Kong, de Taiwan, du Japon, de la Corée et de Singapour sont toutes présentes ici. Les banques de Thaïlande, d'Indonésie, de la Malaisie et des Philippines ne sont pas représentées chez nous.

De façon générale, un examen de ces succursales a révélé que la plupart des banques asiatiques présentes au Canada offraient des services bancaires aux succursales de sociétés implantées dans leur territoire d'origine, ainsi qu'aux résidents du Canada qui arrivent de cette destination. Il s'ensuit que la plupart de ces banques ne font guère office de prêteur en Asie. En fait, elles prêtent surtout ici, au Canada.

De façon générale, la qualité des éléments d'actif de ces succursales bancaires est bonne. Il y a peu de mauvaises créances et les liquidités semblent suffisantes. Ces banques possèdent suffisamment d'éléments d'actif au Canada pour respecter les exigences liées au dépôt assuré au Canada.

Nous sommes heureux que nos banques nationales et les succursales de banques étrangères aient pris l'initiative pour régler les problèmes dans ce domaine. Nous pensons que cela a contribué à atténuer les bouleversements qui auraient pu découler de cette situation.

Même si nous estimons que les banques canadiennes présentes en Asie et les succursales canadiennes de banques asiatiques ne subiront pas d'effets négatifs, nous avons tout de même certaines préoccupations. Nous pensons que l'ampleur des répercussions de cette crise n'est pas encore entièrement apparente. Les banques sont constamment exposées aux effets qu'ont les événements en Asie sur les entreprises avec lesquelles elles font affaire. Nous pensons que certaines entreprises de la région n'ont sans doute pas subi tout le contrecoup de la situation.

En outre, il est possible que partout dans le monde, les banques resserrent leurs mesures de protection contre les risques du marché asiatique. Cela pourrait être exigé par les organismes de réglementation dans d'autres pays, ou cela pourrait devenir la pratique générale pour les banques qui font affaire dans cette région. Si c'est ce qui se produit, on peut s'attendre à ce que les banques canadiennes emboîtent le pas. Par conséquent, le Bureau continuera de surveiller le niveau de l'exposition aux pertes aussi longtemps que la situation ne sera pas redevenue stable. Cela exigera des institutions et du Bureau qu'ils poursuivent leur surveillance au niveau actuel pendant encore quelques mois.

Il est de plus en plus nécessaire que les organismes de réglementation collaborent entre eux pour resserrer les normes de surveillance à l'échelle internationale. Cela est de plus en plus évident en raison de la mondialisation du secteur des services financiers. Le Bureau continue de collaborer avec les groupes d'établissement des normes de surveillance internationales, comme le comité de Bâle sur le contrôle bancaire, contribuant ainsi à faire sa part pour renforcer la surveillance des institutions financières dans le monde.

Le comité de Bâle est constitué de représentants de pays du G-10 et il peut compter aussi sur la participation de représentants d'un certain nombre d'autres pays. Depuis 1975, il s'attache à améliorer la surveillance bancaire au niveau international. Depuis 18 mois, il envisage diverses façons d'intensifier ses efforts pour renforcer le contrôle prudentiel dans le monde, au-delà de ce groupe de 10 pays.

En septembre 1997, il a publié un document décrivant les principes fondamentaux d'un contrôle bancaire efficace. Le document en question se veut un guide à l'intention des organismes de surveillance et d'autres instances publiques dans le monde. On y aborde toute une gamme de questions, notamment les conditions préalables à un contrôle efficace, le processus d'octroi de permis, l'approbation de changements dans la structure des banques, les arrangements nécessaires à une surveillance permanente, les pouvoirs officiels que requièrent les organismes de surveillance et les transactions bancaires transfrontières.

De plus en plus, le secteur des services financiers s'internationalise et l'interdépendance des fournisseurs de services ainsi que le partage des services s'accroissent. Cela signifie que les organismes de réglementation partout dans le monde doivent coordonner leurs activités avec leurs homologues dans pratiquement tous les autres pays.

Au BSIF, nous sommes convaincus que le genre d'initiatives prises par le comité de Bâle et par d'autres instances constituent le seul moyen d'assurer le partage de l'information, une démarche cohérente et l'adéquation de la réglementation requise à l'égard d'une industrie qui transcende véritablement les frontières nationales.

Tout au long de cette période -- c'est-à-dire depuis la fin de l'année dernière -- nous avons maintenu des contacts réguliers avec les principaux organismes de réglementation des États-Unis et du Royaume-Uni pour tirer parti de leur expérience et des mesures qu'ils ont prises face à la crise en Asie.

En résumé, cette crise n'a guère eu de répercussions sur les banques canadiennes implantées dans cette région, pas plus qu'elle n'a causé de torts importants aux succursales canadiennes des banques asiatiques. Nous pensons qu'il faudra sans doute dans un proche avenir augmenter les réserves pour prêts improductifs, mais nos institutions ne devraient pas avoir de problème pour absorber cette augmentation.

Le président: Si nous mettons ensemble les trois exposés que nous venons d'entendre, nous avons un survol détaillé très intéressant de la situation.

Je suppose qu'on disposait d'une somme impressionnante de renseignements au sujet de la nature risquée de certaines pratiques gouvernementales et institutionnelles en ce qui a trait à la monnaie. Le FMI était en possession d'information depuis longtemps, mais le marché semblait indifférent à cette information. Comment peut-on expliquer cet écart entre une information solide d'une part, et la conduite du marché, d'autre part? Je croyais que les marchés étaient censés être pratiquement infaillibles.

M. Powell: Ils ne sont jamais infaillibles.

Le président: Pratiquement.

M. Powell: Après 10 ans de bonne performance économique, les intervenants du marché, ainsi que les gouvernements de ces régions ont sans doute cru que les choses s'arrangeraient, comme elles l'avaient toujours fait. On s'attend à ce que cette bonne fortune continue.

Je voudrais aussi parler des incitatifs pour les participants au marché. Tant que les régimes de taux de change semblaient crédibles, même si des problèmes couvaient, il y avait toujours une bonne raison de dire que ce n'était pas critique et qu'on trouverait le moyen de partir avant la débâcle. On se disait qu'on pourrait toujours réagir rapidement et quitter le marché si le régime de taux de change semblait en difficulté.

Pendant de nombreuses années avant la crise, les banques, les institutions financières et les résidents de ces pays se livraient à des opérations commerciales très rentables consistant à emprunter en monnaie à faible taux d'intérêt et à investir sur le marché intérieur. C'était très lucratif. Lorsqu'on voit ces profits s'accumuler au fil des ans, il est difficile d'imaginer que le processus prendra fin un jour. On espère toujours être le premier à quitter le navire s'il commence à prendre l'eau. Évidemment, lorsque tout le monde essaye de se ruer vers la sortie, cela suscite la panique.

Le sénateur Carney: Je ne pense pas que vous ayez répondu à la question du président. Depuis un certain temps, nous avons le mandat d'étudier la région Asie-Pacifique. Nous avons entendu de nombreux experts de tous les ministères gouvernementaux. Nous avons rencontré des hommes et des femmes d'affaires qui nous ont parlé des difficultés de réussir sur ces marchés et d'obtenir du financement, des plans d'entreprise et de l'information. Par conséquent, nous sommes ébahis qu'après toute cette discussion, nous n'ayons pas été avertis à l'avance que cette crise mijotait, bien que nous ayons des missions à l'étranger et que nous présidions la section économique de l'APEC. Jamais personne n'a évoqué la possibilité d'un tel effondrement. Vous n'avez pas répondu à la question du président qui voulait savoir pourquoi nous n'avons pas été informés. Vous voudrez peut-être y répondre maintenant.

Premièrement, qui a subi un tort? Combien cela va-t-il nous coûter? Je vais poser cette question au représentant de Finances Canada car c'est le ministère qui doit payer pour cela.

Si vous versez des fonds au FMI, il faut que cela soit prévu dans le cadre d'un exercice financier. Quelque part, le gouvernement du Canada doit réserver des fonds à cette fin. Je sais que le Mexique a remboursé, mais il faut supposer que le fait d'avancer des fonds coûte de l'argent au Canada.

Deuxièmement, M. Thompson a dit que les prêts non productifs risquaient d'augmenter dans un proche avenir. Cela signifie que des entreprises feront faillite. Les banques tireront peut-être leur épingle du jeu, mais leurs clients seront touchés. Voilà donc ce que je veux savoir: qui a subi un préjudice, combien cela coûtera-t-il au Canada et quelles entreprises sur le marché payent la note?

Qui a subi un tort? Combien cela nous coûtera-t-il et, pour reprendre la question du président, pourquoi ne nous a-t-on rien dit, compte tenu des ressources à notre disposition?

M. Rayfuse: Je vais répondre à votre question au sujet des coûts pour le Canada. Peut-être devrais-je préciser quelque peu comment fonctionne les arrangements du FMI. Essentiellement, cela ne nous coûte rien. Il s'agit d'argent que nous avons déposé auprès du FMI en guise de quote-part. Cela est considéré comme une partie de nos réserves de devise.

On appelle ces arrangements des opérations de sauvetage, mais il faut bien comprendre de quoi il s'agit. Ce sont des prêts aux gouvernements en difficulté. Ainsi, le FMI peut faire un prêt au gouvernement de la Corée en puisant dans l'argent versé par les membres sous forme de contribution. Il n'y a pas de coût supplémentaire pour le contribuable canadien. Cet argent a déjà été déposé auprès du FMI. En fait, c'est un avoir productif d'intérêts.

Les prêts sont remboursés au FMI avec intérêts. Par conséquent, la participation du FMI ne coûte rien au contribuable, même si, au bout du compte, il est vulnérable. Si le FMI devait faire faillite après avoir fait des prêts irrécouvrables, nos opérations de change entrent dans l'équation.

Le sénateur Grafstein: Nous devons respecter notre quote-part.

Le sénateur Carney: Nous faisons une contribution.

M. Rayfuse: C'est exact, mais il s'agit de prêts extrêmement sûrs. À ma connaissance, personne n'a jamais manqué de rembourser un prêt du FMI.

Le sénateur Carney: L'Indonésie sera peut-être la première exception. Veuillez continuer.

M. Rayfuse: Nous pourrions investir certaines ressources dans la deuxième ligne de défense, c'est-à-dire les arrangements bilatéraux. Nous participons en Corée à la deuxième ligne de défense. À l'heure actuelle, nous n'avons encore versé aucun fonds. Cette deuxième ligne n'a pas été activée, et il semble qu'il faudra longtemps avant qu'elle le soit. Le redressement du marché boursier de la Corée et la stabilisation du yuan étaient les objectifs visés par cette deuxième ligne, et il semble que cela soit fait. Jusqu'ici, cela ne nous a rien coûté.

Le sénateur Carney: Ma question englobait le secteur privé. S'il y a une augmentation des prêts non productifs, il y aura des faillites. En Colombie-Britannique, nous avons révisé à la baisse nos perspectives de croissance économique.

M. Rayfuse: Il est indéniable que le secteur privé connaît des problèmes. Il me suffit de voir comment se comporte le fonds de promotion des marchés naissants de mon REER pour le savoir.

Le sénateur Carney: Ce n'est pas un exercice qui ne coûte rien au Canada. Ma province est touchée, ainsi que d'autres. Des gens d'affaires ont signé avec Équipe Canada des contrats de plusieurs milliards de dollars en Thaïlande. Qui paie pour cela? Quelqu'un devrait être en mesure de nous le dire.

M. Thompson: Un certain nombre de particuliers et d'entreprises se retrouvent à payer la note. Je ne peux vous en donner une liste complète, mais lorsque les clients d'une banque ont emprunté, que ce soit pour financer des opérations commerciales, comme c'est le cas en l'occurrence, ou pour d'autres raisons d'affaires, s'ils sont incapables de rembourser ces prêts, les clients de la banque vont manifestement être touchés par la crise financière si leurs entreprises ou eux-mêmes, à titre individuel, sont incapables de rembourser leur dette: manifestement, ils subissent le contrecoup.

Le fait qu'on n'ait pas à respecter l'échéancier de remboursement sur ces prêts signifie que la banque a perdu de l'argent. Les chiffres publiés par les banques ici au Canada sont considérables. Elles ne veulent pas dire grand-chose compte tenu de la taille de ces institutions, mais il s'agit bel et bien de pertes évaluées à des centaines de millions de dollars. Concrètement, il y aura un ressac notamment pour ce qui est de la performance des actions de ces banques partout au pays.

Un certain nombre d'intervenants de la chaîne bancaire sont touchés par la situation.

Le sénateur Carney: Je suis sûre qu'il y aura un effet boule de neige. Des gens ne peuvent rembourser leur prêt bancaire parce que leur client thaïlandais ne les a pas payés, et on ne nous dit rien au sujet de l'incidence de tout cela sur l'économie canadienne.

Dans l'avion, en rentrant de la conférence de Davos, j'ai rencontré Gordon Smith, notre ex-sous-secrétaire aux Affaires étrangères. Selon lui, le consensus à Davos était que la Chine s'en tirerait. Est-ce aussi votre évaluation?

Je crois savoir que tout le monde se demande si Hong Kong devrait rester alignée sur le dollar américain. Étant donné que Hong Kong est notre principal marché de réexportation vers l'Asie, quelle est votre analyse de la situation? En outre, qu'en est-il de la Chine? La Chine est l'un de nos principaux clients et personne n'en parle en raison d'une pénurie d'information à ce sujet.

Veuillez me fournir une analyse du risque de Hong Kong et de la Chine.

M. Powell: La Chine traverse une multitude de problèmes économiques qui lui sont propres. Son propre système financer est en mauvais état. Il y a un pourcentage élevé de prêts non productifs auprès du système bancaire d'État, et les entreprises d'État sont un fardeau considérable pour le système financier du pays. Je crois savoir que les Chinois ont commencé à fermer certaines de ces entreprises étatiques et à investir davantage de ressources dans le secteur quasi privé pour se sortir de ces problèmes de mauvaises créances.

Son économie a ralenti. L'inflation a fléchi. La Chine a dévalué sa monnaie en 1994, et certains y voient l'origine de la débâcle asiatique parce que, tout à coup, elle est devenue hypercompétitive.

Les analystes se demandent s'il y aura nouvelle dévaluation ou non. Aux dernières nouvelles, la Chine peut encore tenir le coup. D'ailleurs, il semble que son intérêt lui commande à ce moment-ci de ne pas dévaluer, mais qui sait au juste ce qu'elle voudra faire?

Pour ce qui est de Hong Kong, on dispose là-bas de fortes réserves de liquidités internationales. Le gouvernement chinois a également déclaré qu'il était prêt à appuyer Hong Kong. Son taux de change préférentiel est le plus solide de tous, et Hong Kong a un mécanisme de contrôle monétaire. Sa base monétaire s'appuie sur un réservoir solide de devises, et même sur des définitions plus larges de l'argent. De tous ces pays, c'est Hong Kong qui saura le mieux tenir le coup. Ses chances sont très bonnes.

L'autre avantage de Hong Kong tient au fait que, premièrement, ses grandes banques sont bien dirigées, bien réglementées, et l'on y trouve des institutions saines, contrairement aux institutions qu'on trouve ailleurs dans la région. De même, de manière générale, Hong Kong est bien gouvernée depuis longtemps. Son gouvernement a déposé hier un budget qui semble confirmer cet état de choses.

Son économie a également prouvé qu'elle était extrêmement flexible. C'est un avantage essentiel si l'on a un mécanisme de contrôle monétaire. D'ailleurs, au cours des 10 dernières années, on a vu Hong Kong délaisser sa base manufacturière pour devenir un centre financier régional.

Le sénateur Stollery: Oui, fondé sur les valeurs immobilières.

M. Powell: L'immobilier est le talon d'Achille de Hong Kong. Le prix de l'immobilier s'est effondré, mais c'est le gouvernement qui contrôle la masse foncière. C'est donc un marché truqué, à certains égards, car c'est le gouvernement qui décide de l'offre et de la demande de l'immobilier. Donc le prix de l'immobilier pourrait fort bien se stabiliser.

Hong Kong a une bonne chance de s'en sortir, mais il n'y a aucune garantie dans ce genre de chose.

Le sénateur Carney: Monsieur le président, vous pouvez reprendre la question concernant l'absence d'un système d'alerte rapide ici -- à moins bien sûr que vous ne pensiez qu'on a répondu à la question. Le comité doit se demander qui va être pénalisé ici avant de rédiger un rapport triomphaliste pour les autres.

Le président: Je suis d'accord.

Le sénateur Bolduc: Monsieur Powell, vous nous avez dit que la chaîne de garanties offerte par les gouvernements était à l'origine de la crise asiatique et que le Canada fait partie de cette chaîne de garanties. Que dites-vous de cela du point de vue du ministre des Finances?

Vous nous avez dit que la chaîne était à l'origine de la crise et que le Canada fait partie de cette chaîne. J'aimerais entendre les vues des gens du ministère des Finances à ce sujet. J'imagine que vous vous parlez de temps en temps.

M. Powell: Nous nous parlons. Dans la mesure où le Canada est membre du réseau international d'institutions financières et que le FMI fait partie de cette chaîne de garanties, oui, nous faisons partie du problème. Le FMI est une bonne chose qui a son mauvais côté. Comme je l'ai dit, d'un côté, il est rassurant d'avoir un prêteur de dernier recours. D'ailleurs, à l'échelle nationale, il est rassurant d'avoir une banque centrale qui sert de prêteur de dernier recours aux institutions financières. Cela fait partie du filet de sécurité dont nous disposons de manière générale. Vous pouvez considérer que le FMI fait partie du filet de sécurité international.

En même temps, même si cela présente des avantages, ce genre de filet de sécurité comporte également des coûts. Les marchés financiers n'auraient pas les mêmes incitatifs sans la présence de ces filets de sécurité. Ce qui ne veut pas dire que nous devons tout balancer par-dessus bord. Cependant, il faut établir le juste équilibre entre les coûts et les avantages. Chose certaine, une partie de la solution réside dans certains efforts que mon collègue de Finances Canada ici présent a mentionnés, ainsi que dans une intervention plus opportune du secteur privé.

Si vous faites intervenir le secteur privé plus tôt, il doit assumer la responsabilité de ses mauvaises décisions. C'est ce qui est arrivé, par exemple, dans une certaine mesure, en Corée. De manière générale, on a fait intervenir les banques. On a conclu un accord moratoire et les banques ont prolongé leurs prêts à des conditions inhabituelles. À tout le moins, on les a fait intervenir plus tôt, ce qui n'a pas été le cas en Indonésie ou en Thaïlande.

Les choses évoluent. Les gens sont conscients des risques moraux qui sont associés au FMI, et l'on a pris des initiatives pour atténuer ces risques moraux.

Le sénateur Bolduc: Ma seconde question concerne les contrôles internes et externes relatifs à l'institution financière. J'ai visité certains de ces pays à quelques reprises. J'ai eu l'impression qu'on ne voit ici que la surface du problème. En dessous, il y a la structure socio-économique. Ces pays sont dirigés par des cliques réunissant quelques banquiers, quelques politiciens et quelques conglomérats de manufacturiers.

Le sénateur Carney: Oui, et l'armée.

Le sénateur Bolduc: J'imagine que oui. Je ne vois pas comment ces pays peuvent changer d'eux-mêmes. Je suppose qu'il existe également dans ces pays une surveillance financière comme celle que nous avons au Canada, mais chez nous, le système bancaire est solide d'un bout à l'autre. M. Thompson réussit bien parce que la Banque Royale va bien aussi, mais dans ces pays, ce n'est pas pareil.

Ne serait-il pas possible de conclure un traité international qui arrêterait des normes d'inspection, ou d'instituer un système de certification de telle sorte qu'on ne vous admettra pas dans le système si vous ne jouez pas franc-jeu, un peut comme ces armes de destruction massive dont nous menaçons l'Irak? S'il n'existe pas d'organisation internationale capable d'évaluer la situation de l'extérieur du pays, je ne vois pas comment on pourra améliorer les choses.

Je ne pense pas que le choc boursier sera suffisant. On connaît l'exemple du Japon. Ce pays qui est tellement développé aujourd'hui voit son système financier en difficulté, et ce, pour la même raison. Si le Japon ne s'amende pas, je ne vois pas comment les autres pourraient suivre.

M. Thompson: Il y a trois ou quatre instances qui se préoccupent du problème que vous mentionnez, et qui s'emploient à arrêter des normes internationales de contrôle des institutions financières. Il y a le comité de Bâle des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires qui s'intéresse à toutes les banques du monde. En commençant par les pays dont la santé financière est la plus solide, on essaie d'établir des normes qui fonctionnent dans ces pays et ensuite d'appliquer ces normes à toutes les banques actives à l'échelle internationale.

C'est un processus long et lent. Le Japon en est un pays membre, ses représentants assistent à des rencontres et adhèrent à ces normes. Il existe aussi l'Association internationale des contrôleurs d'assurance, qui regroupe 70 pays du monde, et qui essaie aussi d'établir des normes de contrôle des assurances, normes qui s'appliquent surtout aux compagnies actives à l'échelle internationale.

Vous connaissez également l'oeuvre de l'OICVM, l'Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières, qui fait essentiellement le même travail pour les commissions de valeurs mobilières du monde entier. Il convient de mentionner également le Forum mixte de conglomérats financiers, une instance qui réunit des représentants des trois autres que je viens de nommer. Cet organisme veut établir des normes de surveillance visant les conglomérats actifs à l'échelle internationale. Il s'agit d'organisations qui, comme nos grandes banques, sont présentes non seulement sur le marché bancaire, mais aussi sur le marché de l'assurance et des valeurs mobilières. Ces entreprises sont présentes dans plusieurs pays. C'est pourquoi la surveillance en est difficile.

Le sénateur Bolduc: J'irai plus loin. Si l'on n'a pas de certification, on ne peut pas dire: «Je ne prête pas d'argent.» C'est relié. Ou bien l'on est certifié et l'on obtient de l'argent, ou on ne l'est pas.

Si ce système n'est pas incorporé, je ne vois pas comment l'on peut s'attendre à ce que ces pays se conduisent mieux du fait qu'il existe des normes internationales.

M. Thompson: Une bonne part de la responsabilité incombe à l'autorité de réglementation de chaque pays. Par exemple, il nous appartient à nous de surveiller les institutions bancaires qui sont actives au Canada et de nous assurer qu'elles pourront assumer leurs obligations chez nous.

Vous dites que ce genre de normes et d'approche devraient être adoptées à l'échelle mondiale. Quantité de pays n'ont pas des normes aussi élevées que nous avons chez nous ou aux États-Unis, ou en Grande-Bretagne, qui ont des normes bancaires élevées et des cadres de contrôle bancaire solides. Réalité que l'on ne connaît pas dans bon nombre de pays dont nous parlons aujourd'hui.

Si l'on veut hausser les normes dans la conjoncture d'aujourd'hui, il faut que les pays forts exercent des pressions sur les pays faibles, c'est la seule façon. Si ça ne marche pas, la seule solution consiste à créer une instance internationale qui surveillera les surveillants ou qui surveillera les institutions financières ayant un rayonnement international.

Le sénateur Di Nino: Je ne veux pas m'inscrire en faux contre mon collègue, le sénateur Bolduc; cependant, je tiens à dire que nous savons tous qu'un pays comme le Canada, avec ses systèmes et ses règlements perfectionnés, peut aussi avoir de désagréables surprises.

Le président: On pense à Confederation Life.

Le sénateur Di Nino: Oui. Avec Dome Petroleum et la Banque de Commerce qui sont sous la surveillance du BSIF, ne commettons pas l'erreur de penser que nous sommes les meilleurs au monde ou que ce genre de surprise désagréable ne peut pas se produire au Canada. De telles choses peuvent se passer pour plusieurs raisons, par exemple, une mauvaise gestion, la cupidité, la corruption et la fraude.

Dans quelle mesure pouvons-nous savoir si ces sales histoires ont été causées par la corruption, la fraude ou le vol?

M. Thompson: Avant que M. Powell ne réponde, j'aimerais établir une distinction.

Les situations que le Canada a connues au cours des quelques dernières années étaient propres à des institutions. Le système canadien n'est pas structuré de telle manière à empêcher toute faillite commerciale. Nous vivons dans un marché libre; une entreprise peut s'y casser les dents, parce que sa gestion est trop agressive ou n'importe quelle autre raison.

Le sénateur Di Nino: Il y a des faillites frauduleuses.

M. Thompson: J'ignore s'il y en a eu, mais il peut y avoir de la fraude, oui.

Dès qu'il y a marché libre et compétitif, il faut permettre aux gens de prendre des risques, et lorsque des gens prennent des risques, ils peuvent échouer. Bon nombre de nos situations se sont produites à cause de ça. C'est une situation cependant différente de ce que nous appelons un risque systémique, où chaque institution est aux prises avec exactement le même problème à cause de ce qui se passe sur le marché.

Le sénateur Di Nino: On ne parle pas d'un problème isolé. On parle d'un problème universel. Vous semblez esquiver ici. Quel est le problème? Est-ce qu'il y a des hauts placés dans certains de ces pays qui volent? Il faudrait poser la question.

Vous avez parlé de la question du sénateur Carney, qui voulait savoir qui paie -- et je peux faire quelques calculs rapides, mais je ne vous ennuierai pas avec ça -- et combien le contribuable canadien doit payer indirectement et directement à cause de ce gâchis. Le ministre des Finances doit savoir qu'il aurait pu équilibrer son budget il y a quelque temps déjà.

Dans quelle mesure pouvons-nous déterminer s'il s'agit ici d'une gestion incompétente ou s'il n'y a pas quelque force plus sinistre à l'oeuvre derrière tout cela?

M. Powell: Je ne crois pas que «sinistre» soit le mot juste. Il ne fait aucun doute que le clientélisme, sous sa forme la plus raffinée, ou plutôt, la plus dégueulasse, est très répandu dans ces pays.

Je sais qu'il existe un indice de la corruption qui classe ces pays. Plusieurs pays de la région y sont mal notés. Oui, c'est un gros problème dans la région.

M. Rayfuse a mentionné les problèmes des banques gouvernementales en Corée. Le gouvernement actuel essaie de réformer le système du chaebol. Je ne dirai pas que ce qui se passait là-bas auparavant était «sinistre», mais disons que les banques et le gouvernement s'entendaient bien. Quand ça roulait, le système avait l'air de faire des merveilles. Tout comme dans le reste du modèle asiatique, c'était le modèle japonais qui était répandu dans toute la région. Ça semblait marcher. Cependant, dans les six derniers mois environ, nous avons eu les mêmes éléments d'un autre krach. Il y a environ cinq ou six ans, c'est le modèle de planification centrale de l'Union soviétique qui s'est effondré. Voici un autre modèle économique qui échoue. Voilà le problème.

Il y a eu aussi des rapports de presse en Indonésie, par exemple, où il était question de banques appartenant à des familles qui fermaient et qui rouvraient, qui étaient prêtes à recevoir des dépôts et à faire des prêts.

Le sénateur Di Nino: Voilà ma question.

M. Powell: Je ne connais pas la réponse à votre question.

Le sénateur Di Nino: Comment allons-nous établir un système d'alerte rapide pour ce genre de choses de telle sorte que, dès qu'il y a hémorragie, personne ne meure, et ainsi, chacun aura mal mais personne n'en mourra?

Le sénateur Grafstein: Il y a eu l'affaire Bre-X au printemps dernier. Pour ce qui est de l'Indonésie, ce n'est pas là ce qu'on appellerait une société capitaliste; c'est du clientélisme de la pire espèce.

Il y a un risque souverain pour chaque pays, et l'Indonésie doit être la première de la classe pour ce qui est de l'ampleur du risque. Personne n'ignorait que si l'on investit dans ce pays, il faut être prudent. Je tenais à dire cela à mon collègue. J'ai la certitude qu'un homme d'affaires averti mesure toujours ses risques avant d'investir.

Le problème que nous avons, c'est que Équipe Canada et tout le reste créent une impression de solidité. Il nous faut utiliser davantage Équipe Canada, mais cela peut créer un faux sentiment de sécurité. Il y en a qui pourraient penser qu'il n'existe pas de risques nulle part. On n'est pas assez prudent.

J'ai trois questions, et la dernière porte sur le système d'alerte rapide.

S'il y a une chose qu'on a apprise, c'est que lorsque ça va mal sur ce marché interrelié, ça dégringole à une vitesse époustouflante. On a appris ça avec les transactions informatiques aux États-Unis, et on a eu une autre leçon ici. Il y a un effet de domino colossal.

J'aimerais maintenant parler de ce que je considère être mes priorités en ma qualité de sénateur de Toronto.

Tout d'abord, monsieur Thompson, avons-nous la certitude que le BSIF a pris les mesures voulues pour s'assurer que les institutions financières au Canada -- les institutions canadiennes, leurs filiales à l'étranger et les filiales des banques ou institutions étrangères au Canada -- ont réduit rapidement la valeur de leurs actifs? Si on ne fait pas ça, c'est le contribuable canadien qui finit par payer la note à cause de l'assurance-dépôts de note système bancaire. Est-ce qu'on a fait ça, et est-ce qu'on l'a fait vite?

Le président: On a compris la question. Est-ce qu'il faut l'entendre trois fois?

Le sénateur Grafstein: Non, on n'a pas compris la question. Veuillez être patient.

J'ai écouté attentivement le témoin, et il semble nous dire: «Oui, on sait tout ça, mais on n'a rien fait.» C'est ce qu'on a dit. J'ai lu le texte attentivement. Ce n'est pas un reproche.

Le sénateur Di Nino: Je suis d'accord avec le sénateur Grafstein.

Le sénateur Carney: Moi aussi.

Le sénateur Grafstein: On semble embellir les choses. Je me demande s'il ne vaut pas mieux un réveil brutal maintenant plutôt que plus tard. Je m'en tiens ici au témoignage que j'ai entendu et au ton de ce témoignage.

M. Thompson: Je ne voulais pas du tout tourner autour du pot. Nous n'avons accordé aucune concession à nos banques, qu'il s'agisse des banques canadiennes ou des filiales des banques asiatiques présentes au Canada. Toutes ces banques doivent se conformer à des normes de comptabilité, qui les obligent à prévoir des réserves pour les prêts qui sont jugés immédiatement non productifs.

Le sénateur Grafstein: Peut-on s'attendre à avoir ces résultats pendant le prochain trimestre?

M. Thompson: Ces chiffres doivent commencer à paraître immédiatement.

Le sénateur Carney: La plupart proviendront de la Colombie-Britannique.

M. Thompson: En effet, beaucoup des prêts sont faits dans le cadre de leurs activités à l'extérieur du Canada. Beaucoup d'entre eux visent à financer le commerce dans des pays étrangers. Il y a aussi beaucoup de dettes en Colombie-Britannique et dans des régions et des entreprises qui travaillent activement dans les marchés asiatiques. Dans ces cas, les contrats ne sont pas respectés, les possibilités d'affaires ont disparu et il y a eu des investissements importants pour essayer d'attirer des affaires. Parfois l'entreprise en question a respecté ses engagements commerciaux, sans que l'autre partie fasse autant.

Des gens dans le secteur manufacturier et des experts-conseils, souvent dans la région de Vancouver, me disent qu'ils ont été durement touchés par ce phénomène.

Le sénateur Grafstein: Dans le cas des filiales canadiennes de banques asiatiques -- c'est-à-dire des banques du Japon, de Hong Kong et de la Chine --, je présume que vous les surveillez pour vous assurer qu'on examine chaque prêt individuellement?

Si je vous dis cela c'est parce qu'il y a quelques années, certains témoins nous ont dit que cette surveillance de chaque prêt ne se faisait pas, mais on nous a donné un avertissement public. Je veux savoir si vous avez fait cela. Je veux des assurances que vous faites une surveillance assez rigoureuse.

M. Thompson: Cela se fait de façon rigoureuse. Nous n'avons pas exigé que chaque prêt soit examiné individuellement, sauf dans des cas où c'est pertinent. Dans le cas de prêts importants, où interviennent des facteurs comme la concentration du risque, et cetera, nous avons demandé que les prêts soient examinés individuellement.

Le sénateur Grafstein: Je veux passer à une deuxième question, qui a été soulevée par le président il y a quelques mois et qui est de nature plus systémique, c'est-à-dire le rôle du FMI.

Il y a un an, si on avait demandé à chaque membre du comité s'il faisait confiance au jugement du FMI, la réponse aurait été tout à fait positive.

Le sénateur Stollery: Vous devez m'exclure de cette affirmation.

Le sénateur Grafstein: À quelques rares exceptions près.

Le sénateur Stollery: À une exception près. Je tiens à ce que cela soit consigné au procès-verbal.

Le sénateur Carney: Je n'étais pas d'accord non plus.

Le sénateur Di Nino: Moi non plus.

Le sénateur Grafstein: On entend tous ces avis après coup. Cela m'est égal. Tout comme les banquiers, les sénateurs ont le droit de changer d'avis après coup.

Le président: Sénateur Grafstein, pour défendre le sénateur Stollery, il a une obligation professionnelle de jouer les Cassandre, et il a joué son rôle admirablement.

Le sénateur Grafstein: Oui, à chaque fois. Il est certain que s'il y a une crise quelque part, le sénateur Stollery l'aura prédite.

Le sénateur Stollery: Vous ne pouvez pas dire que nous étions unanimes.

Le sénateur Grafstein: À un moment donné, dans un avenir pas si lointain, on nous demandera de renflouer le FMI. Cela va se faire d'une façon ou d'une autre. On nous a demandé de le faire il y a quelques années.

D'après les médias financiers, on croit savoir que cette fois-ci, le FMI n'a pas été astucieux. Autrement dit, les responsables du Fonds ont agi trop rapidement et peut-être pas astucieusement. S'ils avaient été astucieux, à mon avis, ils auraient prévu la situation, il y aurait eu une alerte rapide. Et il n'y en a pas eu. Lorsque la situation était devenue catastrophique, les responsables du Fonds ont agi trop hâtivement et ont déclenché une réaction de panique contre les banques dans plusieurs pays, ce qui a eu, bien sûr, des effets néfastes sur les autres pays.

Comment regagner la confiance? Comment retrouver le respect qui existait auparavant concernant le jugement du FMI en matière d'alerte rapide? Le FMI n'a pas fonctionné comme alerte rapide, et une fois averti, le FMI n'a pas agi astucieusement. Le FMI a coûté des milliards de dollars au secteur bancaire international parce que les banques ont été prises d'assaut dans plusieurs pays. Je ne veux pas les montrer du doigt, mais vous hochez tous la tête et vous savez de quoi je parle.

Comment est-ce que nous, le milieu bancaire canadien, qui comprend la Banque du Canada, pouvons retrouver confiance dans le FMI? Quel rôle le Canada doit-il jouer pour redonner crédibilité au FMI, que nous appuyons tous fermement? Il s'agit d'un problème important pour nous. Comment doit-on procéder?

M. Rayfuse: J'aimerais faire quelques remarques. Tout d'abord, je pense qu'il n'est pas tout à fait juste de dire que le FMI n'a pas du tout prévu cette crise. Il faut examiner les différentes tribunes dans lesquelles le FMI peut émettre ces avertissements. Il le fait à même ce qu'on appelle des consultations conformément à l'article IV, qui sont faites en privé. Elles ne sont pas rendues publiques, même si on essaie depuis quelques années de publier des résumés de ces consultations. Il s'agit d'avis à l'intention des médias.

Nous avons examiné les consultations tenues conformément à l'article IV dans le cas de la Thaïlande, par exemple, et le FMI a bien constaté des problèmes et a averti le gouvernement thaïlandais bien avant la crise que le régime du taux de change était insoutenable. Le FMI n'a peut-être pas vu la gravité du problème dans le secteur bancaire, mais le FMI ne se spécialise pas dans l'analyse ni dans la réglementation du régime bancaire. Mais il a certainement constaté l'accumulation de problèmes en Thaïlande. Les responsables du Fonds ont averti les instances thaïlandaises. Cependant, le FMI ne peut pas obliger un pays à écouter ses avertissements jusqu'à ce que le pays ne demande de l'aide au FMI. Les responsables thaïlandais ont pu dire, «Oui, nous avons reçu l'avertissement, mais nous sommes capables de faire face à la situation». En fin de compte, le FMI ne pouvait rien faire. Lorsque la Thaïlande a demandé de l'aide au FMI, le FMI a assorti l'aide de certaines conditions, dont des réformes structurelles.

Je tiens à dire que toutes ces mesures imposaient des réformes structurelles pour s'attaquer à certains des problèmes de gestion soulevés par le sénateur Di Nino.

Il n'est pas juste de dire que le FMI n'a pas prévu la crise. Il l'a vue venir. Il a lancé des avertissements, mais on n'a pas agi en conséquence.

Je ne suis pas d'accord pour dire que depuis le FMI a précipité ces crises. Ces pays-là se sont adressés au FMI.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai pas voulu dire «précipité». Le FMI a déclenché une aggravation des problèmes dans le cas de certaines des faillites.

M. Rayfuse: Je ne suis pas d'accord, car la Corée s'est adressée au FMI lorsque la situation était désespérée. Il ne lui restait que quelques jours de réserves internationales. Il n'est pas juste de dire que le FMI a précipité cela. Le fait est que la Thaïlande aussi s'est adressée au FMI en dernier recours. Quand la Thaïlande a décidé de laisser flotter sa devise, elle a eu des difficultés. Sa première réaction a été de s'adresser au Japon pour essayer de conclure une transaction privée avec les banques japonaises. On lui a dit de s'adressera au FMI.

Les mesures d'aide du FMI ont été assorties de réformes structurelles qui répondaient aux questions de gestion dont M. Powell a parlé. Il a dit que ces questions étaient des maillons dans la chaîne des garanties. Même s'il est encore tôt, je pense pouvoir dire que les économies commencent à réagir favorablement. La situation en Corée s'est stabilisée et s'est redressée. La situation en Thaïlande s'améliore. J'ai quand même des réserves, car il y a beaucoup de risques dans tout cela. Cependant, la situation semble s'être stabilisée et s'être redressée.

J'aimerais vous renvoyer aussi à la situation du Mexique. Le Mexique a subi une grave crise en 1994 et une importante contraction de l'activité économique en 1994. Il a mis en oeuvre un programme du FMI et l'économie est repartie en 1996 et 1997.

Encore une fois, on peut contester des éléments précis d'un programme du FMI, mais en général, les programmes du FMI atteignent leurs objectifs en l'occurrence.

Le sénateur Bolduc: Je présume que vous n'êtes pas d'accord avec l'évaluation que donne The Economist?

M. Rayfuse: Non. Il évoque les conséquences néfastes de la fermeture de banques. Comme M. Powell l'a clairement déclaré, l'une des garanties qui a entraîné cette crise était l'idée que les banques ne peuvent pas faire faillite. Le FMI a dit que dans le contexte de ces programmes, il faut permettre à des institutions insolvables de fermer leurs portes. On a pris des dispositions, dans toute la mesure du possible, pour protéger les déposants, et cetera, mais, au fond, les institutions qui se retrouvent dans le pétrin doivent être en mesure d'accepter les conséquences.

Le sénateur Grafstein: Lorsque des esprits naïfs dépourvus de connaissances poussées lisent dans la presse financière qu'un pays en particulier -- et je vais le nommer, il est facile de le nommer en ce moment -- c'est-à-dire l'Indonésie, est affligée du pire type de capitalisme interne, quel devrait être le rôle du FMI et des institutions internationales envers ce pays? Est-ce qu'on doit lui couper les fonds? L'argent est déposé dans la banque centrale, qui est corrompue par le régime politique. Comment peut-on dire à un pays comme l'Indonésie, qui à l'heure actuelle se moque de la collectivité internationale: «Vous devez rentrer dans le droit chemin. Il ne convient pas que le roi et ses fils et toute la cour tiennent l'assiette au beurre»? Comment est-ce qu'on s'y prend?

M. Powell: Il n'y a pas de système juridique.

Le sénateur Grafstein: Je comprends cela, mais nous discutons de l'émission d'un chèque maintenant. C'est comme si on fermait les yeux sur ce capitalisme cancéreux.

M. Powell: Dans le cas de l'Indonésie, le FMI adopte la ligne dure. Il fait des choses qui ne plaisent pas à l'Indonésie. Si je comprends bien, c'est comme s'il tirait une ligne dans le sable. Comme mon collègue du ministère des Finances l'a dit, beaucoup de mesures structurelles sont exigées en tant que conditions préalables. Pour obtenir de l'argent, les pays doivent faire certaines choses. Par exemple, dans le cas de l'Indonésie, il a fallut démanteler nombre des monopoles qui étaient contrôlés par les amis et la famille. C'était l'occasion pour le Fonds d'agir. Jusqu'à ce moment, l'Indonésie n'avait pas emprunté au Fonds. Le Fonds pourrait se plaindre, et l'avait déjà fait dans le passé, mais il n'y a rien qu'il puisse faire avant qu'un pays ne demande de l'aide financière.

Un bon nombre de mesures visaient à supprimer ces usages corrompus. Je ne suis pas en mesure de dire si cela suffit, mais c'est certainement l'orientation du programme.

Les éléments macro des programmes du Fonds ont suscité beaucoup de controverse. On soutient que la situation de l'Asie est différente de celle de l'Amérique latine il y a 10 ans. Il ne s'agissait pas de politique laxiste ni de gouvernements dilapideurs. Il s'agissait de gouvernements de pays qui avaient suivi des macro politiques apparemment conservatrices pendant une longue période. La Thaïlande et la Corée avaient des budgets équilibrés ou excédentaires, alors exiger l'application de politiques monétaire et financière excessivement rigoureuses et essayer d'équilibrer le budget au moment où l'économie rétrécit est perçu comme une approche qui ne fait qu'aggraver le problème. Il y a certes un élément de vérité dans cet argument.

Le FMI et d'autres prétendent que, du point de vue de la politique monétaire, il faut que les taux d'intérêt soient suffisamment élevés pour que les gens veuillent garder la devise nationale. Pourtant, si les taux d'intérêt sont trop élevés, le système financier et les emprunteurs du pays vont en pâtir. Cependant, nombre de ces sociétés nationales dans ces pays ont d'énormes passifs en devises étrangères. Si la devise n'est pas stabilisée, ils seront perdants à cause du fardeau du service de ces dettes en devises étrangères.

Le FMI est pris dans un dilemme. Il essaye de s'en sortir en gardant les taux d'intérêt assez hauts afin d'obtenir une certaine stabilité à court terme, et, une fois que cet objectif est atteint, il espère pouvoir réduire les taux d'intérêt rapidement. C'est une tâche qui n'est pas facile et une décision difficile à prendre.

Du point de vue financier, je crois qu'on ne peut pas vraiment déplorer la fermeture de ces projets prestigieux, qui sont très populaires dans un certain nombre de ces pays, et qui se font broyer notamment par leur manque de résultats positifs. On ne fait que resserrer la politique financière, ce qui va aider à accroître la confiance. On ne veut pas voir le gouvernement gaspiller ses ressources à des projets non rentables.

Cependant, il faut permettre à ces forces stabilisantes automatiques de faire le travail. Il ne faut surtout pas équilibrer les comptes au détriment d'une économie en décroissance, ce qui pourrait provoquer un effondrement économique.

Récemment, le FMI a fait preuve de plus de souplesse et a permis des déficits financiers car il reconnaît que les économies sont plus faibles qu'on le pensait. C'est dire que des pays n'ont pas eu à enregistrer un excédent financier ou même à équilibrer leur budget mais peuvent accumuler un déficit financier pour soutenir l'économie.

Le sénateur Stollery: Je n'ai pas l'intention d'attaquer les témoins, parce que ce serait inutile. Le problème, c'est que cela s'est produit.

Cela s'est produit au Mexique en 1982 et ensuite en 1994. Cela s'est produit au Moyen-Orient en 1998. Dans chaque cas, les gens de la région retirent leur argent les premiers parce qu'ils savent ce qui se passe avant les autres. Et ceci va se produire encore. Il y a une règle en finance. Lorsque tout le monde pense avoir la solution, il faut faire autre chose. Voici simplement un autre exemple.

Le FMI s'est discrédité avec raison son rapport du mois de juin. Je suis certain que vous avez lu le rapport sur la mondialisation dans lequel on décrit la Corée comme un pays qui a réussi à atteindre les normes des pays G-7. Le rapport parle de plusieurs autres pays aussi. Cette observation s'est avérée fausse quelques mois plus tard. Nous avons déjà vu de telles choses se produire et il faut se rappeler que ces choses-là vont se reproduire encore.

Les deux économies importantes de l'Extrême-Orient sont la Chine et le Japon. Les pays comme l'Indochine ne sont que des sous-cultures de la Chine. La véritable question qui se pose est la suivante: qu'est-ce qui va se passer en Chine? Il n'y a pas moyen de le savoir parce qu'il s'agit d'une dictature corrompue où tout se fait dans le secret, une dictature qui ne nous dira absolument rien avant que ce soit trop tard.

Le Financial Times a publié quelques articles fort intéressants lors de ces événements. M. Sorros dit que le marché financier mondial ne marche pas. Dans votre mémoire, vous avez dit que la libéralisation du secteur financier interne et l'ouverture des marchés de capitaux sont de bonnes choses. M. Sorros n'est pas d'accord. Il dit que le milieu financier ne s'intéresse qu'à optimiser les profits.

Qu'en pensez-vous? Croyez-vous qu'il y aura une autre crise? Croyez-vous que M. Sorros a raison? Est-ce qu'il y aura lieu d'examiner les institutions financières internationales, surtout lorsqu'on tient compte de la vitesse des communications qui dramatise chacun de ces événements?

M. Powell: Je crois que vous avez raison. Il y aura certainement une autre crise quelque part à un moment donné. Il n'y a pas un système financier ou un superpuissant organisme financier au monde qui peut garantir qu'il n'y aura pas de crise quelque part à un moment donné. Ce sont des choses qui arrivent. Cependant, lorsque de telles crises surgissent, il faut s'assurer qu'elles ne font pas tâche d'huile dans le monde. Les économies asiatiques ont été victimes de ce genre de problèmes.

Le sénateur Stollery: Les banques allemandes vont perdre des centaines de milliards de dollars.

M. Powell: Cependant, les banques allemandes ne vont pas faire faillite à cause de ces crises. Si elles enregistrent des pertes, elles vont peut-être profiter de l'expérience et ne pas accorder le même genre de prêts à l'avenir.

Quelque chose de positif peut résulter de cette crise si les prêteurs, ainsi que les emprunteurs, évaluent mieux les risques. Voilà alors un aspect positif. Cependant, pour les pays, cette crise est une leçon très douloureuse, surtout pour les plus pauvres, qui sont plus vulnérables.

Le sénateur Stollery: Que pensez-vous des observations de M. Sorros?

M. Powell: Je crois qu'il est mal avisé.

Le sénateur Stollery: Je crois que l'observation de M. Sorros est extrêmement importante.

Le président: Nous organisons une autre séance à ce sujet à laquelle vont comparaître quelques banquiers. Ce n'est pas la dernière fois que vous allez pouvoir poser vos questions.

Le sénateur De Bané: Récemment, un ancien secrétaire du Trésor des États-Unis et son ancien sous-ministre ont collaboré à un article expliquant pourquoi, à leur avis, les méthodes du FMI ne sont pas bonnes. Il fait souffrir les gens mais vient à la rescousse des institutions financières qui ont fait des investissements mal avisés. Avez-vous lu cet article?

M. Powell: Oui. C'est un article tiré du Wall Street Journal.

Le sénateur De Bané: Oui, il a été rédigé par M. George Schultz et son sous-ministre. Je ne suis pas un expert en la matière, mais j'ai lu l'explication détaillée de l'ancien secrétaire du Trésor qui disait qu'une telle solution impose de terribles épreuves aux pauvres mais évite aux grandes institutions financières de subir des pertes.

Vous l'avez lu. Où est-ce que cet article fait erreur?

M. Powell: Mais quelle solution aura ce pays s'il n'y avait pas de Fonds? Ce Fonds fournit des ressources à ce pays. Les prescriptions de politique qu'il propose sont, en effet, les démarches que le pays sera obligé de prendre de toutes façons. Le Fonds facilite les choses, et non le contraire.

Quant aux prêteurs, vous avez tout à fait raison. Il y a toujours cet élément de risque moral qu'on court avec les prêteurs internationaux de dernier ressort. Mais cela fausse le point de vue des banques et d'autres prêteurs lorsqu'ils sont sur le point d'accorder un prêt à un pays en particulier. Dans l'ensemble, on ne sera pas prêt à éliminer le Fonds complètement. Il faut plutôt régler cette question de risque moral.

À l'heure actuelle on envisage la possibilité de faire intervenir le secteur privé tôt. On veut permettre aux gens de retirer leur argent et faire intervenir les banques plutôt que de demander au FMI de fournir l'argent. De cette façon, les institutions financières pourraient intervenir dès le début, de concert avec le FMI, afin de trouver une solution. Par conséquent, les investisseurs n'auront pas l'occasion de retirer l'argent provenant du FMI.

Le président: Honorables sénateurs, on a piqué notre curiosité. Je m'attends à ce que tout le monde assiste à la prochaine séance. La prochaine fois, nous pourrions peut-être commencer à l'heure.

La séance est levée.


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