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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 25 février 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 20 pour examiner les conséquences pour le Canada de l'émergence de l'Union monétaire européenne et d'autres sujets connexes en matière de commerce et d'investissement (Accord multilatéral sur l'investissement).

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, comme vous le savez, ces derniers mois nous nous sommes surtout occupés de l'Asie-Pacifique. Une autre question nous a toutefois été déférée: les conséquences pour le Canada de l'émergence de l'Union monétaire européenne et autres sujets connexes en matière de commerce et d'investissement.

Le budget a été déposé hier, et comme beaucoup de nos membres s'intéressent aux questions budgétaires, il a semblé bon de suspendre l'examen de l'Asie-Pacifique et de tourner notre attention sur les relations avec l'Europe et l'Amérique latine. C'est ce qui est au programme de cet après-midi.

Nous avons la bonne fortune de recevoir parmi nous pour la première partie de nos travaux de cet après-midi le directeur des Affaires politiques du Conseil de l'Europe.

Je vais demander à notre collègue, le sénateur Grafstein, de nous le présenter. Le sénateur Grafstein l'a déjà rencontré et il pourra donc lui rendre justice.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, lorsque j'étais au Conseil de l'Europe, on m'a informé que les représentants les plus élevés du Conseil de l'Europe comptaient venir à Ottawa pour une visite de deux jours. J'ai estimé que le comité faillirait à sa tâche s'il ne cherchait pas à entendre les vues de ces deux personnes. Nous avons consacré passablement de temps à l'examen des conséquences pour le Canada de l'Union monétaire européenne.

Le comité s'est rendu en Europe; il a produit un rapport. Le greffier voudra peut-être le mettre à la disposition du témoin. Nous estimons qu'il s'agit là d'un aspect très important de nos activités.

J'ai été ravi lorsque M. Furrer a accepté notre invitation. Le moment était fort bien choisi, puisque la rencontre de deux jours, à laquelle beaucoup d'entre nous ont assisté, et qui s'est déroulée de façon superbe, s'est terminée hier. Nous recevons donc aujourd'hui M. Furrer et son collègue, M. De Jong, chef des Relations internationales du Conseil de l'Europe.

Monsieur le président, j'ai dit à nos deux invités que même si nous avons des liens avec les États-Unis et le Mexique en matière de commerce, de culture et d'activités commerciales, nous tenons profondément à multiplier nos liens avec l'Europe. Voici la question que j'ai soumise à M. Furrer, monsieur le président: comment le Canada peut-il approfondir et multiplier ses liens avec le Conseil de l'Europe?

Je vous signale que j'avais l'impression que le Canada avait le droit de vote au Conseil. Or, j'ai appris que même si nous avons le droit de vote et sommes membre à part entière de l'OCDE, nous avons le statut d'observateur et pouvons participer sans entrave aux débats, mais nous n'avons pas le droit de vote. Lord Russell-Johnston m'a assuré au déjeuner aujourd'hui que nous sommes en situation privilégiée, car nous pouvons non seulement participer à tous les débats comme observateur permanent, mais nous siégeons aussi au conseil intergouvernemental. M. Furrer pourra peut-être nous en dire davantage.

Il est très important pour le comité de pouvoir bénéficier du point de vue de MM. Furrer et De Jong sur ces questions. Au comité, nous nous sommes débattus avec la question de savoir comment équilibrer nos rapports prédominants avec les États-Unis -- commerce, investissement, activités sociales et culturelles -- et ceux avec l'Europe, là où nous avons nos racines les plus profondes.

Après cette présentation, monsieur le président, je vous cède la parole. M. Furrer sait déjà combien je souhaite multiplier et approfondir nos liens avec le Conseil de l'Europe.

Le président: Monsieur Furrer, il nous fera grand plaisir de vous écouter.

M. Hans Peter Furrer, directeur des Affaires politiques, Conseil de l'Europe: Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un grand honneur et un grand plaisir pour moi d'être parmi vous. Je vais essayer de vous donner une description du Conseil de l'Europe et de répondre à vos questions.

Comme le sénateur Grafstein l'a dit, nous avons eu le plaisir de discuter pendant trois jours avec un grand nombre de représentants de l'administration et du Parlement de la façon de favoriser la coopération et de collaborer à Strasbourg et ailleurs. J'ai aussi senti le besoin d'expliquer la véritable nature du Conseil de l'Europe et pourquoi il importe de coopérer avec cette organisation. Je vais donc vous brosser à grands traits un tableau du Conseil de l'Europe, tel qu'il apparaît de l'intérieur.

Le Conseil de l'Europe a été créé en 1949, et c'est la première organisation mandatée pour favoriser l'unité européenne. On lui a confié cette tâche dans le but de rassembler les pays européens sur la base de leur attachement commun aux principes fondamentaux de coopération en Europe, à savoir le respect de la démocratie, le respect des droits de l'homme et l'application des principes de l'État de droit.

Les questions militaires ont été laissées à l'écart. Elles ont été confiées à ce moment-là à l'OTAN. Les questions d'intégration économique n'ont pas été débattues plus avant au Conseil de l'Europe après la création de l'Union européenne au début des années 50, à commencer par la communauté du charbon et de l'acier, suivie par la communauté économique, et cetera. Toutefois, le Conseil de l'Europe s'est lancé dans un grand nombre d'activités dans tous les domaines pertinents à la protection de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit. Il s'agit des questions relatives à la justice, aux affaires sociales, à la santé publique, à la culture, à l'éducation, à la jeunesse, et cetera.

Le Conseil de l'Europe repose sur trois grands piliers. Il y a d'abord l'élément parlementaire de l'organisation. Deuxièmement, il y a l'élément intergouvernemental. Troisièmement, il y a le mécanisme de contrôle au sein de l'organisation.

L'élément parlementaire est l'Assemblée parlementaire, organe composé de délégations des parlements nationaux, ces délégations étant obligatoirement composées de parlementaires des parlements nationaux. C'est ici que le Canada, entre autres, a le statut d'observateur et est invité et encouragé à y déléguer le plus souvent possible des parlementaires d'ici, comme l'a dit le sénateur Grafstein. Il est vrai que, en général, cette délégation n'a pas le droit de vote, mais elle peut prendre part au débat. Il y a une série de débats organisés à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe où le Canada, de même que d'autres délégations de pays non membres, jouit du droit de vote, et il s'agit du débat annuel sur les rapports de l'OCDE. En effet, l'OCDE se sert de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comme cadre de discussion de ses rapports d'activité, de ses rapports sur ses programmes à venir, et cetera. La délégation canadienne, comme la délégation des États-Unis et des autres pays membres de l'OCDE, peut participer sans réserve aux délibérations.

Outre l'Assemblée parlementaire, il y a aussi un autre organe quasi parlementaire au Conseil de l'Europe, à savoir le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe. Il est composé de délégations nationales d'élus provenant des municipalités, des régions et des autres entités territoriales des pays membres.

Le deuxième pilier du Conseil de l'Europe, c'est la coopération intergouvernementale. Celle-ci relève des comités des ministres, les ministres des Affaires étrangères et leurs collaborateurs. Le caractère distinctif de la coopération intergouvernementale au Conseil de l'Europe, c'est que divers ministères participent à un grand éventail de travaux. Comme je l'ai dit, des ministères de la Justice, de l'Intérieur, des Affaires sociales, des Affaires de la famille, des Affaires culturelles, de l'Éducation et d'autres travaillent au sein du Conseil de l'Europe, et des conférences spécialisées entre ministres se tiennent à intervalles réguliers. Cela va beaucoup plus loin que la coopération en matière de services diplomatiques entre les pays membres.

Le troisième pilier, c'est le contrôle. C'est quelque chose d'essentiel pour le Conseil de l'Europe. L'un des premiers instruments qu'il a créés est la Convention européenne des droits de l'homme, en 1950, un an après sa fondation. La convention renferme non seulement une liste des droits à protéger, mais aussi un régime très avancé de contrôle collectif, essentiellement de nature judiciaire. À partir de novembre prochain, lorsque entrera en vigueur la réforme du régime préparé au cours des dernières années, ce contrôle sera exercé par un tribunal des droits de l'homme ayant qualité de connaître toutes les affaires dont Strasbourg est saisi. Une affaire peut être présentée à Strasbourg par l'un ou l'autre des pays membres, y compris aujourd'hui, par exemple, la Fédération de Russie, maintenant qu'elle a ratifié la convention. Une plainte peut être portée par un État membre contre un autre ou, chose encore plus importante, par l'un ou l'autre des citoyens des pays membres qui estime que ses droits ont été violés. Chacun peut par cette filière obtenir réparation à Strasbourg. Les décisions du tribunal sont contraignantes. C'est le comité des ministres qui en assure l'exécution. Les États doivent s'y plier.

Récemment, dans une affaire spectaculaire, la Grèce s'est vu ordonner de verser près de 30 millions de dollars US en dédommagement pour une expropriation illégale. Il a été difficile pour le gouvernement grec de convaincre le ministre des Finances d'obtempérer, mais il l'a fait parce qu'il savait que la décision était obligatoire et allait devoir être exécutée, sans quoi le Conseil de l'Europe impose des sanctions qui peuvent aller jusqu'à l'expulsion de l'organisation.

Il y a aussi d'autres mécanismes de contrôle, y compris un comité indépendant qui examine la performance des pays membres en matière de protection des droits sociaux et un comité pour la prévention de la torture et des traitements inhumains, qui a le droit de visiter à l'improviste les lieux de détention des pays membres et de rendre compte de la situation dans le pays. Ce pilier, les mécanismes de contrôle, revêt une très grande importance pour le Conseil de l'Europe.

Comme vous le savez, il y a 10 ans, le Conseil de l'Europe, dans une évolution tout à fait naturelle, a cherché à rassembler en son sein toutes les démocraties d'Europe occidentale pour organiser la coopération entre elles. Nous nous sommes acquittés de cette tâche importante, qui n'était pas insurmontable.

Depuis 1989, nous avons réussi à intégrer d'autres pays au Conseil de l'Europe. Certains pays ont vu leurs traditions démocratiques interrompues par la force pendant 50 ou 70 ans, tandis que d'autres n'avaient aucune tradition démocratique. Tous ces pays ont demandé à adhérer au Conseil de l'Europe parce qu'ils savaient que pour pouvoir participer à la coopération structurée et institutionnalisée en Europe, il leur fallait d'abord faire partie du conseil. C'était, d'une certaine façon, le passage obligé de la coopération européenne, l'adhésion au Conseil de l'Europe, et s'engager à réaliser la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit et donner des preuves qu'ils étaient en mesure de le faire. Cela a été très difficile.

Le Conseil a dû répondre à ces demandes et il l'a fait. Jusqu'à présent, 16 de ces pays ont passé des années à se préparer à devenir membres. Ils ont fini par recevoir le feu vert parce que l'Assemblée parlementaire et le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe étaient convaincus qu'ils avaient pris les mesures nécessaires pour prouver de façon crédible qu'ils s'acheminaient dorénavant vers un avenir démocratique.

Cela n'a pas été très facile parce qu'il a fallu s'occuper de cas comme celui de la Roumanie et de la Bulgarie. La chose a été plus facile dans le cas de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie. Il a aussi fallu traiter le cas de l'Albanie et celui de la Fédération de Russie, de l'Ukraine, de la Moldavie, et nous avons fait un cas d'exception pour les pays baltes, qui ont été admis au Conseil de l'Europe en fonction de leur propre plan.

Comment avons-nous réussi à garder la haute main sur cette expansion? Tout d'abord, le Conseil de l'Europe est resté fermement attaché à ses principes. Il n'était pas question de dire: «Écoutez, nous savons qui vous êtes, et nous acceptons que vous n'aurez pas à agir comme le font les autres pays membres du Conseil de l'Europe.»

Deuxièmement, il a fallu offrir des programmes pour venir en aide à ces pays pour qu'ils opèrent une réforme démocratique. Il y a eu un grand nombre de programmes d'aide et de coopération en matière de réforme institutionnelle, juridique, administrative, d'orientation et aussi pour la formation et la sensibilisation de ceux qui étaient appelés à gérer les nouvelles institutions, d'abord et avant tout, dans le domaine du droit, de la magistrature, et cetera.

Au même moment, le Conseil de l'Europe a offert à tous ces pays, pendant leur processus de transformation, la possibilité de participer aux activités du conseil. L'Assemblée parlementaire a créé ce que l'on a appelé le statut d'invité spécial et l'a offert à tous les pays candidats. Les parlementaires des nouveaux parlements élus de ces pays pouvaient venir faire leur apprentissage en s'inspirant de pratiques parlementaires réelles employées et illustrées au Conseil de l'Europe, ce qui a été d'une extrême utilité.

Le processus n'est pas terminé. Quatre ou cinq pays ne font toujours pas partie du conseil. Il y a la Bosnie-Herzégovine, et l'accession de ce pays au Conseil de l'Europe suppose la mise en oeuvre des accords de Dayton pour faire de nouveau de la Bosnie-Herzégovine un État dont les éléments ont un avenir commun.

Le Bélarus s'est porté candidat, mais sa demande a été suspendue après des événements dans ce pays qui ont montré que le président n'était pas disposé à se plier à de véritables pratiques démocratiques concernant le fonctionnement du parlement et de la justice. Sa demande est maintenant suspendue, et nous espérons que la situation s'améliorera dans l'avenir.

Nous avons aussi reçu trois demandes des États du Caucase: la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Il s'agit de progrès très important pour l'Azerbaïdjan et la Géorgie. Nous avons connu un revers concernant le règlement du conflit dans le Haut-Karabakh, ce qui aura des conséquences pour la question de savoir quand et comment ces pays pourront entrer au Conseil de l'Europe.

Je sais que l'Ukraine est chère à un grand nombre de citoyens de votre pays. La coopération avec l'Ukraine a débuté sous de très heureux auspices. Le gouvernement de ce pays était très désireux de coopérer avec le Conseil de l'Europe. Beaucoup a été accompli en matière de réforme de la magistrature et de la législation. Toutefois, nous avons rencontré une difficulté très épineuse, à savoir l'abolition de la peine capitale. L'abolition de la peine capitale est une norme européenne qui tient beaucoup à coeur aux politiques européens et à ceux qui réfléchissent à l'évolution future de la société européenne.

Pour cette raison, tous les pays candidats doivent s'engager à abolir la peine capitale, et, même si cela n'est pas possible sur-le-champ du point du vue législatif, un moratoire doit être instauré sur les exécutions. On nous a informés que pendant un certain temps, malgré cette promesse, des exécutions ont eu lieu en Ukraine.

Le contrôle par le Conseil de l'Europe des engagements pris par les pays membres en faveur des normes du conseil s'est exprimé de façon très dure et très stricte dans le cas de l'Ukraine. Une discussion très malaisée s'est tenue à Strasbourg. La question n'est pas encore tout à fait réglée. D'autres discussions se tiendront à la fin d'avril. L'Assemblée parlementaire voudra obtenir des renseignements plus précis et plus sûrs indiquant que l'abolition de la peine capitale deviendra une réalité dans ce pays.

Vous pouvez vous imaginer que nous sommes aux prises avec un grand nombre de problèmes si vous examinez chacun des pays qui viennent d'être admis au Conseil de l'Europe ou qui sont sur le point de l'être. Pour vous donner un exemple, nous travaillons très fort en Bosnie-Herzégovine. Dans ce pays, le Conseil de l'Europe a aussi participé à la mise en oeuvre du traité lui-même, ses aspects civils, parce qu'il a reçu la mission de créer une chambre des droits de l'homme, c'est-à-dire une cour des droits de l'homme pour la Bosnie-Herzégovine, présidée par des juges étrangers. Nous devons continuer d'assurer le bon fonctionnement de cette cour, ce qui comprend le financement, le soutien logistique, la dotation des postes et l'aide au personnel à Sarajevo. Cela fait partie de notre participation. Cela montre aussi que le travail du Conseil de l'Europe, dans de nombreuses situations, s'inscrit dans un effort de la communauté internationale faisant intervenir d'autres organisations. Dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, nous collaborons avec l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, l'OTAN, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'OSCE, l'Union européenne et la commission créée expressément pour ce pays. Il y a de la coopération, et les opérations au jour le jour se déroulent de façon très concrète, sur le terrain et aussi au siège.

Une situation semblable s'est produite en Albanie après une crise très profonde. Mais maintenant nous travaillons de près avec l'OSCE, qui a une présence à Tirana, tout comme le Conseil de l'Europe.

Une situation analogue s'est présentée à la mission de l'OSCE en Croatie, où chacun joue son rôle. Lorsque la mission en Croatie fait face à une situation juridique ou à une question qui exige le recours à un juriste le chef de la mission de l'OSCE fait automatiquement appel au Conseil de l'Europe, qui peut compter sur un réseau de spécialistes grâce à sa collaboration intergouvernementale, et ces spécialistes peuvent accomplir une tâche très rapidement. C'est ainsi que nous travaillons avec l'OSCE dans bien des pays, surtout en Croatie.

Cela démontre que le Conseil de l'Europe comprend très bien sa position dans une Europe caractérisée par de multiples institutions. Cette pluralité d'institutions va rester pendant longtemps. Nous ne pouvons pas rêver aujourd'hui d'une Europe limitée à une seule institution. Cela vaut pour l'OSCE, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne et l'OTAN.

La coopération entre organisations est probablement la première priorité pour l'Europe à l'heure actuelle. Nous comprenons très bien l'intérêt que représente l'OSCE avec ses possibilités d'une coopération transatlantique avec les États-Unis et le Canada.

L'OSCE est dotée d'une réelle capacité de déploiement diplomatique, contrairement au Conseil de l'Europe, dont la structure est trop compliquée. Nous ne sommes pas en mesure de réagir rapidement du jour au lendemain. Nous sommes obligés de demander l'avis des parlementaires, d'impliquer les différents ministères et cetera. Ultérieurement, nous pouvons effectivement mettre notre savoir-faire et notre expérience au service des diplomates qui veulent faire un travail plus approfondi.

Nous adoptons une approche semblable avec l'Union européenne. La relation entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe n'a pas été facile. L'Union européenne s'occupe de l'intégration économique, responsabilité qui a été abandonnée par le Conseil de l'Europe, et elle cherche à promouvoir davantage la cohésion politique de ses membres; de ce fait, elle est devenue plus active dans les domaines de coopération qui relevaient traditionnellement du Conseil de l'Europe. Il y avait donc un problème de concurrence dans bien des domaines. Nous sommes maintenant sur le point de surmonter les difficultés qui découlent de cette concurrence et nous cherchons à établir un véritable partenariat entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe par la conclusion d'une entente officielle en matière de coopération avec Bruxelles.

Je pourrais peut-être parler brièvement de ce que nous attendons de nos contacts avec le Canada. Étant donné la nouvelle importance du Conseil de l'Europe résultant de son expansion, il n'était que naturel que les États-Unis et le Canada voient le Conseil de l'Europe sous un nouvel angle, comme un organisme où d'importantes initiatives en matière de coopération européenne étaient prises, et donc préfèrent s'y trouver représentés. C'est pour cette raison que le Conseil de l'Europe a décidé de créer le statut d'observateur. Dans le cas du Canada, le statut d'observateur vaut autant pour les activités parlementaires du Conseil de l'Europe que pour l'aspect intergouvernemental. L'ambassadeur du Canada à Berne, en Suisse, est également l'observateur auprès du comité des ministres du Conseil de l'Europe, et c'est un arrangement très utile. On a fait la même offre au Japon, mais dans le cas des États-Unis le statut d'observateur est limité à l'aspect intergouvernemental, à l'exclusion des activités parlementaires.

Il est possible que d'autres pays soient envisagés dans l'avenir. Nous attachons une très grande importance à l'entretien de notre relation spéciale avec le Canada, car nous voyons une affinité très claire entre nous-mêmes et le Canada. Notre colloque de deux jours nous a montré qu'à bien des égards nous avons les mêmes problèmes, et aussi la même façon de les envisager. Je ne dirais pas que nous avons nécessairement les mêmes solutions. Il y a, par exemple, l'idée de multiculturalisme, un concept qui est reconnu au Canada, contrairement à l'Europe. Nous faisons face au problème des minorités, nous avons le problème du racisme et nous devons encourager la tolérance. Il nous faut élaborer de nouvelles modalités pour la citoyenneté et l'allégeance multiples, c'est-à-dire une participation multiple des citoyens aux différents paliers des réalités politiques en Europe. Nous partageons les mêmes problèmes, les mêmes approches, et nous pouvons apprendre beaucoup les uns des autres en essayant de trouver les meilleures solutions.

Nous avons également trouvé plusieurs façons très concrètes d'encourager la coopération. Hier, j'ai proposé que l'on fasse une meilleure utilisation en Europe de l'excellente et abondante documentation que vous avez ici au Canada sur bien des problèmes auxquels nous faisons face à Strasbourg. J'ai justement abordé ce sujet avec l'unité de recherche politique du gouvernement. J'ai vu des documents préparés à l'intention du Sénat et de la Chambre des communes qui seraient précieux pour les délibérations du Conseil de l'Europe. Quant à la réciprocité, je pense qu'il faudrait faciliter l'accès pour vous ici, à Ottawa, aux documents préparés par le Conseil de l'Europe, surtout les rapports de l'Assemblée parlementaire.

Nous avons également proposé certaines formes de coopération dans le domaine intergouvernemental, la coopération juridique, la coopération en matière de politique sociale, de culture, et cetera, et les travaux sont en cours. Il y a une question en particulier qui nous tient à coeur tant en Europe qu'au Canada. Il y a dix ans, le Conseil de l'Europe a lancé une campagne de sensibilisation de la population européenne à l'interdépendance Nord-Sud et à la nécessité de solidarité qui en découle. L'un des résultats de cette campagne a été la création du Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe à Lisbonne, un organisme qui continue à sensibiliser la population européenne. Il fait connaître les enjeux de l'interdépendance et de la solidarité par un dialogue approprié avec des représentants de l'Afrique, de l'Amérique latine et de l'Asie.

Nous préparons maintenant une campagne semblable à celle que nous avons entreprise il y a 10 ans, et cette fois elle sera consacrée à l'interdépendance et à la solidarité planétaires. Le Canada voudrait peut-être en savoir plus long à ce sujet et s'associer à cette entreprise, car nous sommes tous dans le même bateau, et ce serait peut-être une bonne idée de travailler ensemble pour faire avancer le bateau dans la même direction.

Monsieur le président, j'ai parlé longtemps, et je m'en excuse, mais mes commentaires découlent de notre visite ici à Ottawa.

Le président: Votre exposé est effectivement pertinent, et nous vous en savons gré.

Le sénateur Corbin: Je remercie le témoin de son excellent exposé. Cela m'intéresse particulièrement de savoir jusqu'à quel point nous pouvons participer à des activités qui ne relèvent pas strictement du ressort du conseil ni de votre mandat. Je sais qu'une organisation européenne se préoccupe beaucoup de ce qui se passe en Algérie, par exemple. Je ne sais pas si c'est le Conseil ou l'Union européenne qui a envoyé une délégation de haut niveau en Algérie en janvier, je crois.

Jusqu'à quel point vous intéressez-vous à des situations critiques qui se développent à la périphérie du Conseil? Avez-vous tendance à éviter ces situations? Vous impliquez-vous, et, si oui, dans quelle mesure?

M. Furrer: C'est une question extrêmement difficile pour le Conseil de l'Europe. De façon générale, le Conseil doit s'occuper de problèmes européens. En revanche, il obéit à certains principes et ne peut rester indifférent à des problèmes qui se présentent à proximité de ces mêmes principes. Il ne peut davantage rester indifférent au fait que les principes en question sont de dimension mondiale et que l'aide européenne peut être décisive.

C'est pourquoi les Européens ont organisé cette campagne sur l'interdépendance Nord-Sud et sur la solidarité. La campagne faisait également référence à la portée des principes du Conseil de l'Europe par rapport à l'actualité dans les autres parties du monde.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a tenu en janvier dernier un débat sur l'Algérie; elle a adopté une résolution exprimant de très sérieuses préoccupations et demandant aux gouvernements et aux parlementaires de prêter davantage attention à ce qui se passe dans ce pays.

Il est vrai que c'est l'Union européenne qui a envoyé des délégations formées de représentants des gouvernements -- la troïka de l'Union européenne -- et du Parlement européen, qui est différent de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Cependant, le Conseil de l'Europe s'est réservé la possibilité d'en débattre encore et de prendre les mesures qu'il jugera utiles.

Avec l'aide du Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe, nous avons essayé d'élaborer un programme comportant un certain nombre d'éléments concernant l'ensemble de la Méditerranée, et grâce auquel nous avons récemment organisé à Strasbourg une table ronde de discussion sur le Moyen-Orient, avec la participation de Shimon Peres et de représentants de M. Arafat et du gouvernement israélien. Cette table ronde a débouché sur la création d'un groupe de contact tripartite formé de représentants du Conseil de l'Europe, de représentants des Palestiniens et de représentants des autorités israéliennes, qui veulent étudier la possibilité de promouvoir et de faciliter la mise en place d'institutions démocratiques et de services administratifs efficaces permettant de faire face à un certain nombre de problèmes dans les territoires palestiniens. Ces efforts devraient également permettre de surmonter la crise actuelle qui fait obstacle au processus de paix. Voilà un exemple de la façon dont nous traitons les questions de ce genre à l'extérieur du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire avec une prudence extrême, mais non pas avec indifférence.

[Français]

Le sénateur De Bané: J'aimerais vous demander ce qu'il en est au sujet de ce qu'on appelle le déficit démocratique de cette Europe qu'on veut construire où le peuple a une prise réelle sur les gens qui prennent les décision. Qu'est-ce que vous répondez à cette question du déficit démocratique, que les institutions ne répondent pas à un contrôle démocratique?

M. Furrer: Ma première réponse est que cette question du déficit démocratique s'adresse plus particulièrement à l'Union européenne et pas tellement au Conseil de l'Europe pour la raison suivante: à l'Union européenne, il y avait eu et il s'opère toujours un transfert de compétences venant des États membres vers l'Union de sorte que ces compétences, par voie de décision obligatoire pour tout l'espace de l'Union, seront maintenant prises par voie de règlements ou de directives ou par voie de décision par les autorités communautaires.

Or les autorités communautaires de l'Union européenne ne sont pas, et c'est cela le problème, pleinement démocratiques. Ces décision se prennent sur avis ou proposition de la Commission, qui est un organisme bureaucratique, par le Conseil des ministres, qui est un organe représentatif des gouvernements des pays membres. Le Parlement européen est consulté et a parfois un pouvoir de codécision. Mais ce pouvoir de codécision ou de décision n'est pas développé complètement. Il y a toujours des lacunes à cet égard. C'est cela qu'on appelle techniquement le déficit démocratique.

Cela ne s'applique pas au Conseil de l'Europe pour la simple raison que le Conseil de l'Europe ne prend pas des décisions obligatoires, sauf qu'au Conseil de l'Europe, il y a la juridiction obligatoire. Mais ce n'est pas un problème de démocratie.

Il est vrai qu'au sein de l'Union européenne, les développements aujourd'hui sont très significatifs pour corriger ce déficit démocratique. D'après le traité d'Amsterdam, qui n'est pas encore en vigueur, 80 p. 100 des décisions seront soumises à la codécision par le Parlement européen. Reste encore à savoir si le Parlement européen dans sa constitution et dans son efficacité est aussi démocratique et aussi efficace démocratiquement que ne l'est un Parlement national. C'est une autre question qui reste encore ouverte.

Au sein du Conseil de l'Europe, le problème du déficit démocratique joue un rôle dans notre réflexion et dans notre travail sur précisément les mesures à prendre pour augmenter l'efficacité du processus démocratique à l'intérieur des états membres. Il y a pas mal de difficultés qui se sont manifestées ces dernières années, par exemple, une certaine fatigue démocratique du côté de l'électorat qui ne participe plus ou participe faiblement aux élections et peut-être aussi une chute assez manifeste de la confiance qu'ont les électeurs envers ceux qu'ils élisent ou qui se présentent à l'élection. Il y a des problèmes qui méritent une grande attention.

Nous essayons de contribuer à surmonter ces problèmes en développant la démocratie au niveau local et régional. C'est pourquoi nous attachons tant d'importance à la question de l'autonomie locale dans le sens de décentralisation ou dans le sens de renforcement de structure fédérale ou de type fédéral avec un développement des possibilités de participation par les particuliers, par les citoyens, dans les processus de décision à leur niveau local.

C'est un peu aussi pour leur rendre le goût de la participation démocratique, dans l'espoir que par ce biais, on pourra peut-être remonter la pente en ce qui concerne la démocratie au niveau national et international.

Le sénateur De Bané: On voit maintenant l'élargissement, par exemple, de l'Union européenne. Je sais que vous représentez une autre institution qui va davantage vers l'Est et vers le bassin méditerranéen. Est-ce que vous ne pensez pas que, par le revers de ce développement, cette Union européenne ne va pas être aussi étroite que ceux qui l'ont fondée espéraient faire? Elle ne sera pas aussi fédérale si elle s'étend à un très grand nombre de pays très différents les uns des autres.

Vous avez parfaitement raison. Cette crainte et cette critique sont générales en Europe. Elle s'adresse aussi au Conseil de l'Europe. Vous savez bien qu'on a fait la critique du Conseil de l'Europe en disant: avec cet élargissement trop rapide, vous avez mis en jeu la crédibilité de l'organisation en ce qui concerne le sérieux que l'on attache à la réalisation efficace des principes de démocratie, protection des droits de l'homme et de l'état de droit. Nous répondons que, au Conseil de l'Europe, ce qui est essentiel, c'est que ceux qui participent à l'organisation s'engagent à continuer sur la voie de la réforme et de la mise en oeuvre complète des institutions démocratiques et ne relâchent pas dans ce processus.

Nous voyons ceci comme un processus que le Conseil de l'Europe, en quelque sorte, veille auprès des peuples de ces pays à ce que les déviations soient corrigées, à ce qu'on parle des déficits et cetera. Le reproche d'érosion de l'acquis communautaire et d'intégration que l'on fait à l'Union européenne dès lors qu'elle veut maintenant y inclure la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque, et peut-être par la suite d'autres encore.

Ce reproche est bien plus sérieux parce qu'il est évident qu'avec l'ouverture de l'Union vers tous ces pays -- même si cette ouverture est échelonnée dans le temps avec des périodes de transition -- il est hors de question que la cohésion qui a pu être acquise par voie d'intégration des économies française, allemande, italienne et même espagnole, ne pourra pas être atteinte au même degré avec tout le reste de l'Europe.

Pour cela, il faudrait davantage mobiliser les transferts de ressources que ce n'est envisageable. C'est pourquoi le problème des fonds structurels dont on sait d'ores et déjà qu'ils ne pourront pas répondre de la même manière aux nouvelles exigences des nouveaux pays qu'ils ont pu le faire pour, par exemple, l'Espagne.

C'est pourquoi ce concept de flexibilité a été introduit à l'Union européenne. Il est synonyme d'abandon de la rigidité. Cette flexibilité sera une réalité tout à fait remarquable de l'Union européenne. Reste à savoir si l'introduction de cette flexibilité n'est peut-être pas dans l'intérêt de l'évolution européenne tout court, parce qu'on a constaté que l'approfondissement de l'acquis de l'intégration est quand même accompagné par une large bureaucratisation de l'Union européenne. Elle a été ressentie par beaucoup de gens, de sorte que l'amour qu'on pouvait avoir pour l'Union européenne a largement baissé à l'intérieur de l'Union. On l'a vue apparaître comme un grand appareil bureaucratique. On peut toujours voir les choses de manière différente, la flexibilité est aussi un atout pour l'avenir de l'Europe

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Monsieur Furrer, je voudrais vous interroger sur les responsabilités du conseil en matière de droits de la personne. Est-ce qu'il joue un rôle dans ce domaine à l'extérieur de ses frontières?

M. Furrer: Oui. J'ai abordé ce sujet lorsque j'ai parlé de la Méditerranée, de l'Algérie et du Moyen-Orient. Je répète que le mandat que nous ont donné les gouvernements de nos États membres met de toute évidence l'accent sur l'Europe. Nos gouvernements considèrent qu'il y a suffisamment à faire en Europe pour protéger les droits de la personne et pour remédier aux insuffisances, et qu'il serait vain d'essayer d'intervenir à l'extérieur. En revanche, il est aussi évident qu'on ne peut pas considérer les droits de la personne comme la prérogative de l'Europe, comme si les Européens étaient les heureux détenteurs des droits de la personne, et qu'il n'y ait pas lieu de se préoccuper des plus déshérités dans ce domaine.

Nous avons essayé de nous rendre utiles en dehors de l'Europe par l'intermédiaire du Centre Nord-Sud de Lisbonne. Par exemple, nous avons des programmes de promotion de la démocratie et des droits de la personne en Afrique. Nous avons aussi de bons contacts de coopération avec la commission et la cour américaines des droits de la personne, ainsi qu'avec la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Nous essayons également de réunir des moyens d'assistance destinés au fonctionnement de cette commission. Nous savons que notre action est loin d'être efficace et que les ressources mobilisées par le Conseil de l'Europe sont sans doute trop modestes pour être décisives.

Cependant, nous essayons d'établir de nouveaux contacts avec les organismes des Nations Unies chargés des droits de la personne, et en particulier avec le haut commissaire aux droits de l'homme, qui est entré récemment en fonction. Nous essayons de contribuer utilement à leurs oeuvres dans le monde entier.

Comme on l'a dit hier, nous devons faire en sorte que notre intérêt essentiel pour l'Europe ne se traduise pas par une diminution des ressources mobilisées au niveau universel pour la protection des droits de la personne. On nous a clairement dit que nous ne devions pas être jaloux des Nations Unies, mais qu'il fallait au contraire intervenir utilement à leur côté pour promouvoir les droits de la personne à l'échelle mondiale.

Le sénateur Di Nino: Pensez-vous que la question des droits de la personne ait en Tchétchénie un aspect différent de celui qu'elle a en Indonésie ou en Chine?

Pouvez-vous également nous dire qu'elle est la charge de travail de la Cour des droits de la personne à Strasbourg? Son rôle est-il bien plein?

M. Furrer: Votre première question constitue pour nous une plaie vive. Vous voulez savoir ce que nous faisons pour la Tchétchénie, et nous en sommes venus à la conclusion que pour l'instant nous ne pouvons rien faire. Nous avons essayé d'intervenir pour mettre fin aux hostilités. Notre contribution a été bien accueillie de part et d'autre, mais la situation évolue maintenant dans une direction qu'il est difficile de bien évaluer. Il est extrêmement difficile d'imaginer ce que l'on pourrait faire pour remédier à cette situation.

Tout d'abord, il y a toujours des otages européens et canadiens dans la région. Il faut les faire libérer, mais comment s'y prendre? C'est extrêmement difficile. Nous nous préoccupons beaucoup des droits de la personne en Tchétchénie, mais nous cherchons désespérément les mesures à prendre.

La question est d'autant plus désespérante que nous devrions nous sentir investis d'une plus grande responsabilité envers la Tchétchénie qu'envers le Rwanda ou tout autre pays. Nous estimons avoir une certaine responsabilité envers le Rwanda et le Burundi pour les événements qui s'y sont produits. Après le génocide de 1996, le Conseil de l'Europe a été le seul organisme qui ait organisé une conférence, avec l'aide des gouvernements des Pays-Bas et de la Suisse, pour évaluer l'étendue de la catastrophe et pour envisager des mesures palliatives. C'est la seule conférence qui ait été consacrée à ce génocide. Des représentants du Canada y sont du reste intervenus. Je peux cependant vous dire que cet exercice ne nous a nullement paru satisfaisant, car certains gouvernements, qui ont des responsabilités dans cette région d'Afrique, ne souhaitent pas que l'on fasse toute la lumière. C'est là l'un des aspects très regrettables de la situation en Afrique.

Il faudra s'en préoccuper dans l'avenir. Je peux en parler très ouvertement. Nous n'avons pas encore trouvé une terminologie commune qui permette d'évoquer les événements survenus en Afrique et ceux qui menacent de s'y produire dans l'avenir.

La Cour des droits de la personne à Strasbourg a une charge de travail qui dépasse sa capacité actuelle. Les affaires en instance ou en attente se comptent par centaines. Il faudra veiller à ce que la nouvelle cour qui sera créée après la réforme du système soit dotée de moyens lui permettant de traiter rapidement les cas dont elle est saisie. Il ne faut pas qu'elle soit tenue responsable de retards indus dans l'administration de la justice, qui, s'ils se produisaient dans des instances nationales, seraient à juste titre condamnés eux-mêmes en tant qu'atteintes aux droits de la personne.

Le président: Honorables sénateurs, M. Furrer nous a fourni une information abondante et nous a très généreusement consacré son temps, et je voudrais lui témoigner notre reconnaissance pour l'aide qu'il a apportée au comité.

M. Furrer: Merci, monsieur le président.

Le président: Honorables sénateurs, nous allons passer maintenant au deuxième volet de nos travaux pour cet après-midi. Revenons sur notre continent; on va nous faire une mise à jour sur l'évolution de la situation en matière de libre-échange sur le continent américain.

Nous accueillons des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, à savoir Kathryn McCallion, sous-ministre adjointe, Affaires internationales, passeports et affaires consulaires, ainsi que Claude Carrière, directeur, Direction des droits de douane et de l'accès aux marchés.

Allez-y.

Mme Kathryn McCallion, sous-ministre adjointe, Affaires internationales, passeports et affaires consulaires, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Bonjour, honorables sénateurs. Je suis également chef de la délégation canadienne aux pourparlers sur le libre-échange des Amériques. J'ai dirigé les travaux du Canada sur le MERCOSUR et j'étais sous-ministre adjointe chargée de l'Amérique latine lorsque nous avons négocié avec le Chili; c'est pourquoi on a pensé que j'avais sans doute toute l'information nécessaire, sinon sur papier, du moins en mémoire. J'ai préparé une mise à jour sous forme de bref exposé, puis M. Carrière et moi serons heureux de répondre à vos questions et de vous fournir des précisions.

On m'a demandé d'aborder trois aspects de la politique commerciale du Canada à l'égard des Amériques: la zone de libre-échange des Amériques, les relations commerciales du Canada avec le MERCOSUR et le libre-échange entre le Canada et le Chili.

Lors du sommet de Miami, en décembre 1994, les dirigeants ont demandé la création d'une zone de libre-échange dans l'hémisphère avant l'an 2005. Depuis, le Canada s'emploie à faire progresser ce processus afin que les négociations puissent débuter rapidement. Les dirigeants sont censés ordonner l'ouverture de ces négociations au second sommet, qui se tiendra à Santiago en avril prochain. Dans l'intervalle, les ministres du Commerce se seront rencontrés à trois reprises: à Denver en 1995, à Cartagena en 1996 et à Belo Horizonte, au Brésil, au printemps dernier, et tiendront une quatrième réunion à San José, au Costa Rica, le mois prochain. Depuis la première réunion ministérielle de Denver et la réunion qui s'est tenue l'année dernière au Brésil, nous avons accompli un progrès considérable, surtout au cours des 18 derniers mois.

À Denver, les ministres du Commerce ont entamé les préparatifs en vue des négociations et créé sept groupes de travail dans des secteurs clés, chargés d'échanger de l'information et de recommander des façons de mener les négociations. À Cartagena, les ministres ont créé quatre groupes de travail additionnels et réitéré les principes fondamentaux de la ZLEA, en vertu desquels, notamment, celle-ci doit respecter les règles de l'OMC, s'appliquer à l'ensemble des échanges et constituer un mécanisme unique.

En mai 1997, à la réunion de Belo Horizonte, les ministres ont convenu que les dirigeants devaient amorcer des négociations lors du sommet de Santiago. Ils ont en outre chargé les sous-ministres de soumettre des recommandations sur la structure et l'emplacement des négociations, ainsi que sur les mandats préliminaires des groupes de négociation. Dans l'ensemble, on s'accorde pour dire que les négociations doivent se dérouler sous les auspices d'un comité des négociations commerciales, secondé par différents groupes chargés de traiter des questions telles que l'accès au marché, les services, les investissements, la propriété intellectuelle, les mesures commerciales correctives, les politiques en matière de concurrence et le règlement des différends.

On s'entend aussi sur la nécessité que les négociations se déroulent à un seul endroit, où sera également aménagé un petit secrétariat temporaire qui fournira un soutien administratif aux groupes de travail. Sept villes sont prêtes à accueillir les négociations: Miami, Kingston (Jamaïque), Mexico, Panama, Cartagena, Lima et Rio de Janeiro.

De l'avis de tous les participants, les dirigeants doivent ordonner l'ouverture des négociations à Santiago, que le gouvernement américain ait reçu ou non du Congrès le pouvoir de négocier en vertu de la procédure accélérée. Le gouvernement américain doit obtenir ce pouvoir pour mettre les accords en application, mais non pour entrer en négociation. Cela n'a d'ailleurs pas empêché le début de l'Uruguay Round en 1986. Cependant, pour certains pays d'Amérique latine, l'absence de pouvoir de négocier trahit le manque de volonté politique en faveur de la libéralisation des échanges et pourrait servir de prétexte au ralentissement des pourparlers visant la création d'une ZLEA.

LE MERCOSUR est notre premier partenaire commercial en Amérique latine. En 1997, nos exportations vers les pays du MERCOSUR se sont élevées à 1,8 milliard de dollars, une augmentation de 17 p. 100 par rapport à 1996. Les Canadiens ont également investi près de 6 milliards de dollars dans ces pays, principalement dans les secteurs des mines, du pétrole et du gaz, et des télécommunications. Bien que le MERCOSUR soit une union douanière en voie d'élaboration, il se transforme en marché commun qui régira le mouvement des services, de l'investissement et des personnes. Il s'agit en outre d'un mécanisme d'intégration politique et de protection de la démocratie.

Depuis le printemps dernier, nous travaillons à une entente de coopération en matière de commerce et d'investissements qui servira de cadre à l'intensification des échanges avec les pays du MERCOSUR. Il s'agira d'un premier pas vers la libéralisation des échanges bilatéraux. Cette entente prévoit la participation du Canada et du MERCOSUR à un certain nombre d'activités, telles que la collaboration aux programmes de travail de la ZLEA, de l'OMC et du Groupe de CAIRNS; l'établissement d'un comité consultatif formé de représentants des milieux d'affaires; l'évaluation conjointe des obstacles au commerce et aux investissements; la négociation d'accords sur la protection des investissements étrangers; l'élaboration de mécanismes de coopération dans les domaines du commerce et du travail et dans ceux du commerce et de l'environnement.

Cette entente devait être signée pendant la visite d'Équipe Canada, mais le Brésil s'est montré réticent, en raison d'un différend opposant deux entreprises aérospatiales. Nous espérons que ce différend commercial se réglera bientôt, pour permettre la signature de l'entente.

L'Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili est entré en vigueur le 5 juillet 1997. Cet accord est censé faciliter l'adhésion du Chili à l'ALENA, dont il s'inspire. Il porte sur les investissements et le commerce des biens et services, et il est assorti d'accords parallèles sur le travail et l'environnement. J'ai apporté certains documents en anglais et en français expliquant plus en détail la portée de cet accord.

L'adhésion du Chili à l'ALENA, tout comme le moment de cette adhésion, dépendra de l'obtention par le gouvernement américain du pouvoir de négocier en vertu de la procédure accélérée. Le Chili a déclaré publiquement qu'il n'entreprendrait pas de négocier son adhésion tant que le gouvernement américain n'aurait pas ce pouvoir. À l'heure actuelle, en raison des élections législatives qui se tiendront à l'automne, il est peu probable que le gouvernement américain cherche à l'obtenir.

Monsieur le président, je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le sénateur Grafstein: Nous avons étudié l'Accord de libre-échange entre le Canada et le Chili, et nous lui avons consacré plusieurs séances. Nous avons tenu à mener cette étude sans tarder, car nous voulions prendre de l'avance sur les États-Unis, notamment en matière d'investissements. L'accord a été signé. Est-ce qu'il donne des résultats? Quelles sont les premières informations recueillies à ce sujet?

Mme McCallion: Il donne de très bons résultats. Nous avons pris de l'avance sur les Américains, à tel point qu'on a fait référence, devant le Congrès américain, aux points de pourcentage de l'avance canadienne pour certains produits. Sur le plan politique, le Canada a signifié à l'Amérique latine qu'il était prêt à se lancer sans les Américains, à prendre le risque et l'initiative, et il l'a fait; de ce fait, il s'est trouvé favorisé dans d'autres transactions commerciales. Le Canada a clairement signifié qu'il était prêt à faire des affaires, et il a tenu les promesses que le premier ministre lui-même avait formulées à Miami. Tout bien considéré, les résultats sont donc très bons, notamment sur le plan statistique. Les investissements, en particulier dans le secteur minier et la construction de gazoducs, sont aussi en progression intéressante.

Le sénateur Grafstein: Il serait utile qu'au bout d'un an, par exemple, vous fassiez parvenir au comité un document sur les changements concrets observés au plan statistique. Je le signale parce que j'ai envoyé une copie de nos délibérations sur ce projet de loi à des représentants du Congrès, qui ont accusé réception du document. Avec d'autres sénateurs, je signalais en commentaires que le Canada s'était lancé dans la course et qu'il voulait faire vite, sans se préoccuper de savoir si les Américains souhaitaient le rattraper. Certains se préoccupent de l'adhésion du Chili à l'ALENA, mais en ce qui me concerne, peu importe que l'approbation du gouvernement américain fasse ou non l'objet d'une procédure accélérée. Nous profitons à court terme d'un avantage au plan commercial et nous établissons de bonnes relations avec nos partenaires. Nous aimerions recevoir tous les renseignements pertinents en temps utile. Je sais que pour l'instant cette information est très parcellaire, mais lorsque vous aurez des renseignements complémentaires, nous aimerions en être informés.

Nous avons évidemment été déçus d'apprendre que nous ne pouvions pas signer l'entente de coopération en matière de commerce et d'investissements avec le MERCOSUR. Sommes-nous sur le point de régler les différends touchant l'industrie aérospatiale? Je suppose qu'il faudrait que le fournisseur canadien fasse des concessions. Pourrait-on s'attendre à ce que ce dossier aboutisse avant que les Américains n'adoptent la procédure accélérée pour conclure une entente avec le MERCOSUR? À mon avis, étant donné que nous avons une entente de libre-échange avec le Chili, nous devrions aussi en conclure une avec le MERCOSUR. Je pense que ce serait possible si nous pouvions gagner l'appui du Brésil. Où en sont les négociations à cet égard? Que peuvent faire les ministres pour accélérer les choses?

Mme McCallion: Les deux envoyés spéciaux nommés par le premier ministre du Canada et le président du Brésil ont jusqu'au 15 mars pour présenter leur rapport. Le délai pour le dépôt du rapport a été prolongé parce que M. Lalonde a été malade. La date limite est maintenant le 15 mars, mais il se peut qu'on dépasse ce délai de quelques jours. Une décision devrait être prise une fois que les envoyés spéciaux auront déposé leur rapport.

Les Brésiliens ont réclamé que le premier recours ne soit pas de porter le différend devant l'OMC. Les deux envoyés doivent établir si un accord bilatéral est possible, et, si ce n'est pas le cas, quelle devrait être la prochaine étape. Je pense qu'on peut dire que les choses vont bon train.

Quant à un accord MERCOSUR-Canada, le MERCOSUR s'est fixé comme objectif premier d'élargir la zone de libre-échange. Les membres du MERCOSUR se réjouissent eux aussi que le gouvernement américain ne puisse pas recourir à la procédure accélérée. Cela leur assure une plus grande marge de manoeuvre. Voilà pourquoi le Canada prend toujours l'initiative dans ces domaines. Nous voudrions nous tailler une place sur le marché latino-américain avant les États-Unis et avant que le Brésil ne consolide l'accord de libre-échange en Amérique du Sud, ou l'ALEAS, une zone de libre-échange en Amérique latine. Nous négocierions donc de bloc à bloc, ALENA-ALEAS. Nous ne pensons pas que ce serait nécessairement dans notre intérêt. Il est dans notre intérêt de poursuivre les négociations, et c'est ce que nous faisons.

Le Brésil n'est pas sûr de ses politiques internes. Il y a plusieurs années, il a unilatéralement libéralisé son commerce. Le Brésil a aussi conclu des accords bilatéraux avec l'Argentine. Il fait maintenant partie du MERCOSUR, et ses entreprises peuvent maintenant poursuivre leur libéralisation à un rythme accéléré. Le Brésil manifeste donc une certaine réticence, mais nous exerçons des pressions sur lui. Je suis optimiste.

J'ai rencontré il y a une semaine mon homologue au Costa Rica, et il n'a exprimé aucune réserve quant au dialogue portant sur l'Accord de libre-échange et sur d'autres questions. Il a simplement dit que son pays ne voulait pas faire l'objet d'un certain chantage.

Le sénateur Grafstein: À la page 3 de votre déclaration d'ouverture, vous dites que les négociations auront lieu dans l'une des villes suivantes: Miami, Kingston, Mexico, Panama, Cartagena, Lima ou Rio de Janeiro. Je propose qu'elles aient lieu dans le sud de Toronto. Nous avons toutes les installations voulues. Nous parlons toutes les langues. Notre milieu multiculturel est très chaleureux. Beaucoup de résidents viennent du Brésil. Notre centre des congrès conviendrait très bien à ce genre de négociations.

Mme McCallion: J'en prends note. J'aimerais cependant faire une observation à ce sujet. La question des disparités économiques dans l'hémisphère a toujours fait problème. Nous collaborons étroitement avec nos collègues des Antilles et des petits pays de l'hémisphère. Le gros hic, c'est les coûts. Nous essayons de tenir les négociations là où cela coûte le moins cher.

Le sénateur Carney: Je crois que la dernière fois que je vous ai vue, c'était à l'OCDE. Je suis heureuse de vous revoir. Je vous remercie de cet exposé très concis sur ces questions.

J'aimerais parler de la procédure accélérée à laquelle peut avoir recours le gouvernement américain. Vous avez fait allusion aux avantages que comporte pour nous le fait de ne pas négocier avec les États-Unis dans le cadre de la procédure accélérée et aux avantages que cela représente aussi pour la région. Quels en sont les inconvénients?

À cet égard, vous avez fait observer que le gouvernement américain pouvait entamer des négociations, mais qu'il ne pouvait pas signer d'ententes sans d'abord obtenir l'autorisation de le faire en vertu de la procédure accélérée. Jusqu'où peuvent vraiment aller ces négociations en l'absence de cette procédure? Elles pourraient mettre beaucoup de temps à aboutir. Quels sont les inconvénients pour ce groupe du fait que le gouvernement américain ne puisse pas recourir à la procédure accélérée et jusqu'où peuvent vraiment aller des négociations avant que l'absence de la procédure accélérée ne ralentisse le processus?

Mme McCallion: Il y a d'abord la question des avantages, de la volonté ou du leadership politique, et celle du courage national.

Brièvement, les États-Unis ont perdu beaucoup de leur influence en Amérique latine parce qu'on a considéré l'intégration économique, l'accès au marché américain ainsi que l'accès au marché nord-américain comme les fondements de la démocratisation et du développement. Tous les pays de la région sont bien conscients du fait que l'aide au développement et les dons ont beaucoup diminué. On a beaucoup encouragé les pays de l'Amérique latine, qui ont traditionnellement été dirigés par des dictateurs, à se démocratiser et à s'intégrer à l'hémisphère. Il s'agit essentiellement d'économies fondées sur la substitution des importations, ce qui est coûteux et préjudiciable à l'économie nationale. Les pauvres se sont appauvris dans ces pays et les riches se sont enrichis.

Les Américains sont déçus dans une certaine mesure de leur leadership. Les États-Unis constituent le marché de choix. Malgré les disparités économiques, on espérait beaucoup à Miami pouvoir pénétrer le marché américain sans le faire dans le cadre de négociations globales lors des prochaines négociations à l'OMC.

Nous avons un avantage à court terme. À long terme, il est cependant dans l'intérêt économique du Canada que tous les pays de l'hémisphère soient parties à l'accord de libre-échange.

En bout de ligne, c'est à nous de persuader le Congrès et le gouvernement américain de recourir à la procédure accélérée.

Nous pouvons lancer des négociations, mais elles n'iront pas très loin si le gouvernement américain n'a pas recours à la procédure accélérée, parce que l'expérience mexicaine a montré que si l'on négocie d'abord avec le gouvernement américain et ensuite avec le Congrès, on sort perdant. Les Chiliens s'en sont souvenus. L'ex-président Bush a conseillé aux Chiliens de ne pas négocier avec les États-Unis si le gouvernement américain n'avait pas recours à la procédure accélérée, et ils l'ont fait savoir aux autres pays.

Je crois qu'on s'entendra sur les tarifs de base. Si le gouvernement américain n'obtient pas cependant l'autorisation sous peu d'avoir recours à la procédure accélérée, les négociations n'iront pas très loin.

Le deuxième ou troisième facteur dont on doit tenir compte, c'est que les questions qui n'ont pas été réglées lors des négociations de l'Uruguay Round seront de nouveau étudiées, l'agriculture en 1999 et les services en l'an 2000. L'élan imprimé aux négociations sera brisé parce qu'il faudra tout reprendre à Genève.

Le sénateur Carney: Vous avez fait allusion à l'existence de sept groupes de travail. À Denver, les ministres du Commerce en ont créé sept. Au cours de votre déclaration, vous avez mentionné sept groupes. Je me demandais simplement s'il s'agissait des mêmes.

Mme McCallion: Non.

Le sénateur Carney: Pourriez-vous nous préciser quel est le mandat de ces sept groupes de travail et des quatre autres dont vous avez parlé?

Mme McCallion: Oui.

Le sénateur Carney: Cela nous permettra de nous y retrouver.

Si je ne m'abuse, le comité mixte de la Chambre et du Sénat a fait remarquer que le Canada devrait accroître ses efforts diplomatiques en Amérique latine ainsi qu'en Asie. Quel impact la crise en Asie a-t-elle eu sur la priorité accordée à la négociation d'accords de libre-échange ou d'accords bilatéraux?

Mme McCallion: Il n'y a pas eu de grands changements à cet égard. La crise a eu lieu à peu près au même moment que le sommet de l'APEC, qui avait son propre ordre du jour. L'impact de la crise en Asie se fera aussi sentir en Amérique latine. Nous portons nos regards vers l'Amérique latine parce qu'il y a eu un ralentissement de l'activité économique en Asie, mais la crise en Asie touchera également l'Amérique latine. Il y aura aussi un ralentissement de l'activité économique en Amérique latine en raison de la crise en Asie, en raison même de l'importance du commerce avec l'Asie, en particulier pour le Pérou, le Chili et le Brésil.

Le sénateur Carney: J'ignorais qu'il y avait autant de commerce entre ces pays.

Mme McCallion: Oui.

Le sénateur Carney: Vous maintenez donc le cap.

Mme McCallion: Oui.

Le sénateur Carney: Vous ne réévaluez pas la situation.

Mme McCallion: Pas pour l'instant. Nous suivrons de près la situation, mais nous maintenons le cap pour l'instant.

Le président: La réticence du Congrès à autoriser le recours à la procédure accélérée en vue de l'élargissement de l'ALENA s'explique-t-elle par certains résultats de l'accord?

M. Claude Carrière, directeur, Direction des droits de douane et de l'accès aux marchés, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: L'impopularité de l'ALENA dans les milieux politiques américains remonte aux observations faites par Perot au sujet des emplois au Mexique. Depuis l'adoption de l'ALENA, et la signature d'accords parallèles sur l'environnement et le travail, le gouvernement américain s'est retiré du débat. Tous les maux des États-Unis ont été attribués à l'ALENA, et ni le gouvernement ni les entreprises ne l'ont défendu.

L'ALENA n'est pas un accord parfait, mais on ne peut pas lui attribuer tous les maux du monde. Depuis trois ou quatre ans, c'est ce qu'on a fait. L'ALENA est devenu un mot honni à Washington. L'automne dernier, le gouvernement américain a eu recours trop tard à la procédure accélérée; il l'a fait sans grand enthousiasme et sans coordonner ses efforts avec le milieu des affaires. Lorsque la question a été soumise au Congrès, les partisans de l'élargissement de l'accord de libre-échange n'ont pas été suffisamment convaincants pour contrer les arguments présentés par l'aile gauche du Parti démocrate et l'aile droite du Parti républicain. Voilà le problème. Il faudra un certain temps avant de le régler. Il remonte à la période 1994-1997, c'est-à-dire la période pendant laquelle le gouvernement américain ne s'est pas intéressé à cette question.

Le président: Vous semblez laisser entendre qu'il n'y avait pas lieu de craindre un exode des emplois vers le Mexique. Y a-t-il eu un exode des emplois au Texas et dans les États avoisinants au profit du Mexique?

M. Carrière: L'emploi dans le Nord du Mexique a augmenté. Il est évident que certaines usines s'y sont installées.

L'un des objectifs de l'ALENA, soit l'objectif du chapitre trois, c'était d'éliminer ce qui pouvait inciter certaines entreprises à s'installer dans la région du Nord et d'éliminer également l'incitatif sur lequel reposait la création de maquiladoras, dont la production est destinée à l'exportation seulement. Ces incitatifs seront supprimés dans le cadre de l'ALENA, et ces usines pourront vendre leur production au Mexique comme sur le marché d'exportation.

Il est difficile de mettre le doigt sur ce qui expliquerait l'échec ou le succès de l'accord, mais dans l'ensemble l'ALENA a permis d'accroître le commerce et les investissements entre les trois pays qui en sont membres, et c'est l'objectif qu'il visait.

Le niveau d'emploi a certainement augmenté aux États-Unis. Le taux de chômage y est peu élevé. Malheureusement, la situation n'est pas la même au Canada. Nous parviendrons peut-être à faire baisser le taux de chômage d'ici quelques années. De notre point de vue, l'ALENA a atteint ses objectifs.

Le président: Au début des négociations en vue de la signature de l'ALENA, un Américain influent m'a dit que l'objectif véritable de l'accord était socio-politique, et non pas économique. On espérait que cet accord permettrait d'améliorer la structure sociale et la répartition des revenus au Mexique et que l'amélioration de la stabilité politique au Mexique ferait en sorte que moins de Mexicains chercheraient à immigrer aux États-Unis.

Est-il trop tôt pour se demander si l'ALENA a permis d'améliorer la situation socio-économique au Mexique?

Mme McCallion: C'est trop tôt. L'effondrement du peso survenu peu de temps après la signature de l'ALENA, et qu'on ne peut pas attribuer directement à l'ALENA, mais à de mauvais investissements et à une mauvaise gestion financière, a donné une mauvaise impression de l'ALENA. Il faut donner à l'accord le temps qu'il faut. Les six premiers mois ont été dévastateurs en raison de l'effondrement du peso, qui ne peut pas être attribué à l'ALENA, mais plutôt à l'état de leur marché financier. Nous ne pourrons pas porter de jugement sur l'impact de l'accord au Mexique avant encore plusieurs années.

Il y a aussi la mondialisation des échanges qui a eu un impact structurel tant sur les États-Unis que sur l'ensemble des pays membres de l'ALENA.

Le président: Qu'entendez-vous par là?

Mme McCallion: Je songe à la restructuration des économies et au fait que les entreprises internationales deviennent de plus en plus importantes et construisent des usines ici et là. Cela a eu un impact sur les économies des pays visés, alors qu'on essaie d'étudier les résultats statistiques d'un accord commercial.

Le sénateur Carney: J'ai posé une question au sujet des groupes de travail. Avril approche. Pourriez-vous nous donner plus de précisions au sujet des groupes de travail et nous dire quelles seront nos priorités lors de la réunion qui aura lieu dans quelques semaines à peine? Le Canada défend normalement des intérêts particuliers au sein d'un groupe de travail. Il serait bon que nous les connaissions.

Mme McCallion: Vous avez demandé quel était le mandat de ces 12 groupes de travail. Ils étudient toutes sortes de questions, dont l'accès aux marchés, les normes et les questions sanitaires. Les discussions ont été très bonnes.

Bon nombre de pays qui ne savaient même pas qu'ils possédaient de l'information sur ces sujets ou comment la recueillir ont été aidés par le comité tripartite, qui est un amalgame de l'OEA, de la banque de développement et de la CEPALC, la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Cet organisme a aidé les pays à échanger de l'information.

Notre objectif pour la première ronde de négociation, qui commencera le mois prochain, est de créer huit groupes de négociation. Les 12 groupes n'en feront plus que huit. Il faut s'entendre sur ces groupes. Le MERCOSUR propose la création d'un groupe spécial sur l'agriculture, par exemple. Bon nombre d'entre nous pensent que les questions liées à l'agriculture devraient être étudiées par un groupe sur l'accès aux marchés. Ce n'est pas nouveau. Les Mexicains, pour leur part, voudraient qu'on discute de la politique de la concurrence en même temps que des droits anti-dumping, et nous ne sommes pas d'accord avec cette idée.

Le sénateur Carney: Rien n'a changé.

Mme McCallion: Notre objectif pour la première ronde est donc de créer huit groupes de négociation responsables, compte tenu de la portée de l'accord et des secteurs dont il faut discuter.

Nous consulterons éventuellement les entreprises qui appartiennent à ces secteurs. Il faut d'abord s'entendre sur une structure de négociation.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais revenir sur les statistiques, parce que c'était l'une de nos préoccupations. Je veux revenir à l'Accord de libre-échange Canada-Chili. Au moment de la signature de cet accord, on s'inquiétait du fait que le Chili avait un accord distinct avec le MERCOSUR. On nous a assuré que le fait pour le Chili et pour nous-mêmes de signer un accord bilatéral ne poserait aucune difficulté. En fait, on nous a dit que cela augmenterait nos chances d'adhérer au MERCOSUR.

Savons-nous si cet accord est acceptable et nous a été bénéfique, ou est-il trop tôt pour que les statistiques l'indiquent?

Mme McCallion: C'est trop tôt, mais on devrait savoir que tout le monde veut conclure un accord avec le Chili. L'Union européenne considère le Chili comme son point d'accès, tout comme elle considérait le MERCOSUR comme son point d'accès. Le Chili est le seul pays dont le commerce étranger se répartit à peu près également entre l'Asie, l'Europe, l'Amérique du Nord et ses partenaires de la région. Le Chili a conclu un accord avec le MERCOSUR, mais il n'en fait pas partie. Il a conclu un accord bilatéral avec le MERCOSUR.

M. Carrière: Pour ce qui est des statistiques, nous ferons de notre mieux pour vous fournir ces renseignements, mais l'accord est entré en vigueur le 25 juillet, ce qui n'est pas une date type pour ce genre d'accord. Nous établirons des statistiques au moins une fois l'an, lorsque ce sera possible.

La stratégie adoptée par le Chili dans ses négociations avec nous cadrait tout à fait avec notre stratégie commerciale à l'égard de l'Amérique latine. L'objectif premier du Chili est d'attirer des investissements, de la technologie et du savoir-faire du Canada dans le cadre de sa stratégie de développement. Le Chili voudrait imiter le Canada, qui est passé d'une économie fondée sur les ressources à une économie fondée sur le secteur tertiaire, soit le capital humain. Il veut s'inspirer de notre expérience, puisque c'est un pays dont l'économie est fondée sur l'exploitation des ressources, comme la nôtre l'était autrefois.

Quant à nous, nous voudrions utiliser le Chili comme point d'entrée en Amérique latine, y lancer des entreprises en coparticipation et s'établir là, apprendre l'espagnol et nous familiariser avec la culture latino-américaine. Nous espérons alors travailler avec nos partenaires chiliens pour nous étendre à tout le MERCOSUR et à toute la région. Nous avons des exemples d'entreprises qui ont fait exactement cela, mais il nous faudra un certain temps pour avoir les données statistiques pour le montrer.

Nous envisageons également de travailler avec les Chiliens pour déterminer quelles petites catégories de produits pourraient tirer parti de l'intersection entre l'Accord de libre-échange Canada-Chili et l'association Chili-MERCOSUR. On pourrait exporter du Canada les intrants, les pièces et les éléments, les monter au Chili et les vendre dans le MERCOSUR et dans d'autres pays. C'est l'un des sujets dont nous avons discuté avec les Chiliens et sur lesquels nous travaillerons au cours des mois et des années à venir.

Cela fait partie de la stratégie, mais il faut du temps avant d'en voir les résultats, du moins quantitativement.

Le sénateur Andreychuk: Autrement dit, la stratégie n'a pas changé. Même si nous parlons maintenant directement au MERCOSUR, l'utilisation du Chili comme point d'entrée fait toujours partie de notre stratégie?

M. Carrière: Oui.

Mme McCallion: Nous avons signé un accord d'exécution pour appliquer l'Accord de libre-échange avec le Chili. Nous sommes en train de lancer le processus pour le MERCOSUR. Ipso facto, le Chili a une avance de trois ans par rapport à tout ce que nous pouvons faire avec le MERCOSUR. La réponse est: «Oui».

Le président: Sénateur Grafstein, j'espère que nous ne lèverons pas la séance sans avoir parlé des Caraïbes.

Le sénateur Grafstein: Je réfléchis à une question se rapportant à nos institutions financières et au fait que le FMI et d'autres ne nous ont pas prévenus, au Canada, de la crise imminente. Cela aurait pu nous être utile, de même, peut-être, qu'au ministère.

Chaque grande entreprise internationale que je connais a un plan d'entreprise suivant un modèle axé sur le marché. D'après ce modèle, si les choses commencent à aller mal dans un marché secondaire ou régional, on doit pouvoir rapidement déplacer nos biens, notre attention et nos effets, pour aller ailleurs. En termes simples, dans le secteur des vêtements en Asie, lorsque les prix ont augmenté à Hong Kong, les entreprises ont déménagé à Taïwan, puis à Singapour. Il y a eu un mouvement du marché qui était fonction de ses conditions.

Nous sommes actuellement en butte à une situation de ce genre dans certaines parties de l'Asie. Je ne sais pas si cela touche toute la région. Je ne sais pas si cela touche Taïwan ou le Japon. Nous savons que la Chine en est peut-être indemne, mais que l'Indonésie, la Malaisie et Singapour sont dans l'eau chaude.

Nous devenons actuellement dépendants du commerce extérieur, et notre principal client se trouve à être les États-Unis. Si nous avions de graves problèmes avec les États-Unis, nous n'aurions pas le temps de déménager ou de nous réorganiser. Est-ce que le ministère envisage de mettre au point un modèle d'évaluation des risques, en fonction de ce qui se passe en Asie? Comment pouvons-nous conseiller rapidement à nos sociétés exportatrices de s'orienter vers l'Amérique du Sud ou, peut-être, le Chili? Autrement dit, comment pouvons-nous bouger rapidement pour devancer les grandes variations des marchés régionaux, qui continueront de se produire, comme nous le savons?

Équipe Canada est allée en Amérique du Sud. On a probablement dit aux propriétaires de petites entreprises: «Si nous allons au Brésil, c'est un endroit sûr pour les investissements.» Une petite entreprise ne fera pas d'analyse pour éviter le risque, concluant que le gouvernement l'a déjà faite. Par ailleurs, n'avons-nous pas l'obligation de créer un modèle informatisé perfectionné qui nous permette de dire: «Voici ce qui se passe en Asie. Réduisez l'investissement en Asie et tournez-vous plutôt vers l'Amérique du Sud ou le Mexique. Il y a une crise en tel endroit, et voici les autres possibilités.»

La bonne nouvelle, c'est qu'avec tous les liens commerciaux que nous avons établis partout dans le monde grâce à Équipe Canada, nous avons désormais une certaine souplesse. S'il y a des problèmes aux États-Unis, nous avons peut-être plus de souplesse que d'autres. Parfois, un préavis de six mois est suffisant pour changer la machinerie, le matériel et le plan trimestriel pour se réorienter.

C'est une question compliquée, qui pourrait trouver une réponse simple. Est-ce que le ministère travaille à des modèles comme ceux-là, visant à éviter les risques ou le commerce avec certains pays?

Mme McCallion: Non. Nous utilisons une autre méthode, pour atteindre les mêmes objectifs.

Tout d'abord, à titre de déléguée commerciale en chef du Canada, l'une de mes autres fonctions, nous savons bien que nous dépendons trop de notre pénétration du marché américain, dont nous profitons toutefois largement. Nos politiques et nos activités visent en partie à encourager les sociétés canadiennes qui ont réussi sur le marché américain à continuer à vendre aux États-Unis, tout en se lançant sur les marchés étrangers. Au cours des 10 prochaines années, le modèle d'intégration à l'ALENA deviendra presque notre marché national.

Nos missions sont constamment utilisées par des gens d'affaires, et nous les conseillons prudemment pour ce qui est des tendances et des analyses de risque, ce qui fait partie de notre rayon. C'est là que beaucoup d'activités se produisent, soit sur place.

Mon ministère a conseillé à des entreprises canadiennes de ne pas se précipiter pour retirer leurs billes du Mexique, mais de laisser passer la crise. C'est l'autre partie de votre question: faut-il partir maintenant ou rester? Les possibilités de retour à la croissance et à la prospérité sont plus grandes qu'on ne le pense quand le marché est en crise.

Cette solution ne concorde pas tout à fait avec votre suggestion, mais c'est une bonne idée.

Le sénateur Grafstein: C'est quelque chose à envisager.

Le sénateur Di Nino: J'ai moi aussi une opinion là-dessus. Peut-être que nous pourrions en reparler plus tard.

Le sénateur Carney: Ma question suivante découle d'une discussion qu'a eue le comité, la semaine dernière, sur les répercussions de la crise asiatique pour les entreprises. Des responsables de la Banque du Canada nous ont dit s'attendre à ce que les prêts non productifs soient plus nombreux à l'avenir, à cause des problèmes qu'a notre propre milieu des affaires par suite du défaut des Asiatiques de produire des résultats, étant donné le contexte.

En nous rappelant que vous êtes déléguée commerciale, vous me portez à vous poser cette question: doit-on craindre qu'Équipe Canada ne mette trop de pression sur les entreprises canadiennes pour la signature de contrats, la livraison de marchandises et la prise d'engagements, les exposant ainsi à des problèmes financiers découlant de la crise asiatique?

Le sénateur Grafstein et moi-même avons eu une franche discussion au sujet de cette approche, particulièrement au sujet des effets pratiques de l'enthousiasme suscité par ces missions commerciales, qui mettent les gens d'affaires dans des situations pour lesquelles ils peuvent ne pas être bien préparés.

Avez-vous réfléchi à cette possibilité? Pouvez-vous nous dire quoi que ce soit au sujet de votre réflexion dans ce domaine?

Mme McCallion: Nous y avons réfléchi. Nous travaillons étroitement avec les provinces pour mettre sur pied un plan de suivi consciencieux et efficace. Il y a une chose dont on ne parle pas beaucoup, et c'est la différence entre ce qui est signé grâce à Équipe Canada et ce qui est un jour concrétisé, sous forme de demande à une banque. Dans bien des cas, il est très difficile de forcer la main à un homme d'affaires. On ne saurait faire boire quelqu'un qui n'a pas soif.

Le sénateur Carney: Ou quelqu'une.

Mme McCallion: C'est juste. Dans bien des cas, vous constaterez que des contrats qui étaient tout près d'être signés le sont finalement grâce à la présence des politiciens, de tout le bruit qu'on fait ou de l'attention qu'on y porte.

Ensuite, il y a la série des lettres d'intention et des protocoles d'entente, c'est-à-dire que des engagements sont pris pour envisager un accord. C'est au sujet de ces lettres qu'il nous faut être prudents et nous assurer qu'il y a un suivi adéquat. Nous y consacrons du temps et des efforts, en collaboration avec les provinces, que la question inquiète aussi. Non seulement nous risquons de persuader artificiellement des gens d'affaires de conclure de mauvais marchés, mais on pourrait aussi rater de bonnes occasions. Il y a le crescendo, puis le calme plat. Le crescendo se passe dans une autre partie du monde. Tout le monde dit: «Où sont passés les Canadiens? On les voyait partout, ici, l'an dernier puis ils ont disparu.» Nous essayons de combler le silence et de rendre le crescendo un peu plus constant. Nous tenons à ce que nos entreprises réussissent, de manière que les contrats moins solides soient abandonnés. Il n'y en a toutefois pas beaucoup. Cela fait partie de notre plan.

Le sénateur Carney: Est-ce un sujet de préoccupation? Vous dites que vous y avez réfléchi. Dans notre discussion, l'autre jour, nous nous disions que le FMI et les autres organisations internationales ne nous avaient pas prévenus de ce problème. Notre propre mission peut en avoir fait rapport, mais officiellement on n'a pas reconnu le problème. Avez-vous été pris par surprise?

Mme McCallion: Oui, en effet.

Le président: J'ai tiré des extraits de la publication The Economist des deux dernières années et demie. Cette seule publication avait lancé de nombreux avertissements; c'est fascinant.

Le sénateur Di Nino: Elle n'était pas la seule.

Le président: En effet. J'ai posé une question à un banquier londonien qui avait travaillé avec le FMI: «Si le FMI était au courant de la situation, comment se fait-il que cette tuile soit tombée par surprise sur le monde de l'investissement, à l'été 1997?» Il m'a répondu que le marché a ses propres raisons, qui peuvent n'avoir rien à voir avec les faits, à court terme. J'ai trouvé que c'était très révélateur. Autrement dit, les données étaient là. Je vous enverrai volontiers des exemplaires des publications.

Le sénateur Carney: C'est une bonne discussion, mais nous avons une politique commerciale au Canada. Il y a des gens, comme nos témoins, qui sont spécialistes en matière de politique commerciale. Ces gens-là sont importants pour le milieu des affaires, qui suit leurs conseils. Il est intéressant d'entendre notre témoin nous dire que la crise l'a prise au dépourvu.

Le président: Oui, précisément.

Mme McCallion: En fait, le Japon m'inquiétait davantage que l'Indonésie. Peut-être que je ne lis pas les bons articles.

Le sénateur Carney: Mais voici la question: que pouvons-nous faire pour protéger nos entreprises de ce genre d'événement? Nous faisons une étude sur l'Asie-Pacifique.

Le sénateur Di Nino: Il faut écouter les gens d'affaires.

Le président: Non, ce sont les gens qui sont allés investir leur argent.

Le sénateur Di Nino: C'est grâce à eux que vous vous faites une opinion.

Le sénateur Andreychuk: En fait, en Asie-Pacifique, c'est différent.

Le président: Je pense que nous avons mis le doigt sur ce problème.

Mme McCallion: Nous avons aussi un organisme qui excelle dans ce genre de prévision, mais que ne consultent pas nécessairement toutes les entreprises. Il y a d'abord votre banquier local. Si vous allez le voir pour un prêt pour un billet d'avion, il ne vous dira pas qu'il est risqué d'aller là où vous le voulez. Mais si vous allez voir les grandes banques à Toronto, leur service d'analyse des risques vous donnera l'information.

Beaucoup d'hommes d'affaires ne le font pas, mais ils pourraient consulter la Société pour l'expansion des exportations, qui excelle à cela. Il y a un très gros service d'analyse des risques et de récupération des risques. De plus en plus, nous travaillons avec la SEE et son programme de diffusion. Je l'ai sur le bout de la langue; quelqu'un pourra peut-être m'aider. Les gens d'affaires doivent parler à la SEE avant d'agir, qu'ils aient ou non besoin d'assurances, de prêts ou de garanties. La SEE fait partie du réseau que nous essayons de mettre sur pied. Au sein du gouvernement, l'information est disponible, mais on devrait pouvoir y avoir accès plus facilement.

Le sénateur Carney: Vous parlez de nouveau de l'accès. Les gens d'affaires de Saskatoon ou de Victoria peuvent ne pas avoir le même accès que ceux de Vancouver. C'est une question importante sur laquelle nous devons nous pencher: la politique commerciale est axée sur l'information. Quelle est la qualité de l'information dont disposent les gens d'affaires? Y a-t-il un suivi suffisant? Exposons-nous les entreprises au risque découlant de nos politiques gouvernementales?

Le président: Honorables sénateurs, je veux remercier nos témoins, qui nous ont présenté la situation de l'hémisphère d'une manière très claire et très franche. C'est utile pour nous.

La séance est levée.


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