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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 11 mars 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 20 afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada (les conséquences de la crise financière asiatique sur le Canada).

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous commençons nos travaux sur l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada et plus particulièrement sur l'autre question qui nous préoccupe, à savoir les conséquences de la crise financière asiatique sur le Canada.

Nous accueillons aujourd'hui trois témoins experts. Il s'agit, selon l'ordre alphabétique des banques, des représentants de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, de la Banque de Montréal et de la Banque Royale du Canada.

J'ai des renseignements biographiques sur nos témoins, qui sont très détaillés et impressionnants. Je crois toutefois qu'il serait préférable, aux fins de notre compte rendu, de procéder directement à l'audition des témoins. Auparavant, comme je crois comprendre que nous avons des invités de plusieurs autres pays -- entre autres l'Australie, le Japon et la Russie, j'aimerais leur souhaiter la bienvenue.

Je cède maintenant la parole aux témoins.

M. Joshua Mendelsohn, premier vice-président et économiste en chef, Banque Canadienne Impériale de Commerce: Je n'ai pas préparé de présentation proprement dite. Je mettrais l'accent sur quelques points. Tout d'abord, nous ne devons pas partir du principe que la crise financière asiatique est derrière nous. La région risque de nous réserver beaucoup d'autres surprises, susceptibles d'accroître la volatilité des marchés financiers.

Ce qui intéresse peut-être plus directement l'économie canadienne et d'autres économies, c'est que nous subirons le contrecoup de la restructuration économique de la région asiatique et des difficultés qui l'accompagnent. Dans certains pays, cette restructuration entraînera une grave récession et dans d'autres, un important ralentissement de la croissance qui pourrait déboucher sur l'instabilité sociale et politique.

Tout le monde sait assez bien ce qui se passe en Indonésie, qui est la région qui suscite sans doute le plus d'inquiétudes. La situation qui y existe risque de s'étendre à d'autres régions de l'Asie surtout parce que Singapour dépend de l'Indonésie et de la Malaisie avec lesquelles elle entretient des liens.

Bien entendu, le Japon est la principale courroie de transmission vers l'Amérique du Nord et l'Europe puisqu'il sera l'un des pays les plus durement touchés et qu'il traverse à l'heure actuelle un cycle de stagnation et sa situation s'aggravera à cause de ce qui se passe ailleurs en Asie. Le Japon lui-même contribue à certains des problèmes que connaît l'Asie puisqu'il est incapable de devenir l'une des locomotives susceptibles d'aider l'Asie à surmonter ses problèmes.

Il existe d'autres facteurs de risque dans la région, entre autres la poursuite du traitement de faveur de la Chine dont la monnaie n'est pas dévaluée, ce qui permet d'éviter d'aggraver les difficultés que connaît la région. Je suis sûr que certaines de ces questions seront soulevées au cours des discussions.

On a fait certaines prévisions au sujet des répercussions de la crise asiatique sur l'Amérique du Nord et le Canada plus particulièrement. Le problème avec toutes ces prévisions, c'est qu'il nous est impossible de déterminer avec précision quelles seront la gravité et la durée de la situation en Asie. Il ne fait aucun doute que les conséquences pour le Canada seront, à tout le moins, semblables à celles que connaîtront les États-Unis même si nos échanges avec l'Asie, proportionnellement à la totalité de nos échanges, sont nettement moins élevés que ceux des États-Unis. Le fait que le secteur commercial au Canada représente une proportion tellement plus importante de notre économie comparativement aux États-Unis ne veut pas dire que les conséquences seront pour autant très différentes.

Nous devons tenir compte de certains éléments supplémentaires. Le Canada est un pays beaucoup plus axé sur les produits de base que ne le sont les États-Unis mais beaucoup moins que l'est l'Australie, même si les marchés ne font pas cette distinction. Nous subissons effectivement les conséquences des réductions du prix des produits de base même si ces produits ne sont pas destinés à l'Asie.

Par ailleurs, nous pouvons subir un effet de contagion supplémentaire des États-Unis. Dans la mesure où l'économie des États-Unis ralentit -- que ce soit un résultat direct de la crise asiatique ou un résultat indirect de l'effet de contagion qui se fait sentir dans d'autres parties du monde touchées par la crise asiatique -- nous en sentirons les effets ici au Canada.

À l'échelle régionale, bien entendu, l'attention se tourne immédiatement vers une province comme la Colombie-Britannique en raison de toutes ses ressources, surtout dans le secteur forestier, et de sa proportion beaucoup plus importante d'échanges avec l'Asie que toute autre province. Les difficultés que connaît cette province sont tout à fait évidentes pour quiconque s'y est rendu dernièrement. Cette province éprouvait des difficultés avant que les problèmes en Asie commencent, d'abord avec les exportations de bois d'oeuvre au Japon, mais les problèmes se sont aggravés au cours des six à huit derniers mois.

En raison des répercussions indirectes sur les États-Unis, d'autres régions du Canada seront touchées. Ici encore, cela dépendra de la structure d'une province ou d'une région. Dans le domaine de l'agriculture, certaines régions seront touchées même si elles ne semblent pas à première vue avoir des liens importants avec l'Asie.

Après avoir présenté tous ces éléments négatifs, nous devrions peut-être examiner aussi certains éléments positifs. Parmi ces éléments positifs, il y a le fait que l'Asie contribuera au maintien de faibles taux d'inflation en Amérique du Nord. Elle contribuera à garder en veilleuse la politique monétaire des États-Unis pour l'instant, ce qui permettra de prolonger le cycle économique et d'aider une bonne partie sinon l'ensemble du Canada, en fonction de l'importance des échanges de ces segments avec l'Asie.

Je laisserai à mes collègues le soin d'aborder ces aspects ou d'autres aspects et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

M. Tim O'Neill, vice-président exécutif et économiste en chef, Banque de Montréal: Honorables sénateurs, je vous ai fourni des imprimés de mes diapositives pour vous permettre de suivre. Je les aborderai assez rapidement pour ne pas ralentir les délibérations.

Le premier tableau indique les facteurs qui ont entraîné la crise asiatique. Une monnaie surévaluée, le déséquilibre des paiements extérieurs, le déficit courant et une dette extérieure importante à court terme ont été les causes du choc initial qu'a subi le système. Il est important d'insister sur la fragilité du secteur financier. M. Mendelsohn a mentionné les risques.

Les économistes entre autres considèrent comme un risque moral l'attitude des emprunteurs et des prêteurs, surtout des prêteurs, dans les économies asiatiques intérieures, qui partent du principe qu'en cas de problème, on viendra les renflouer. Les créanciers étrangers qui spéculent en Asie partent du principe qu'ils peuvent faire des investissements plus risqués en se souciant moins des conséquences que dans un autre environnement. Il existe un problème de prêts administrés par l'État, mais il s'agit surtout d'un problème attribuable à la faiblesse de la réglementation.

Les risques existent non seulement en fonction de ce qui se peut se produire si la situation économique du Japon est plus faible que prévue ou si la Chine dévalue sa monnaie. Même un petit pays comme l'Indonésie peut avoir une influence importante sur le secteur bancaire du Japon et de la Corée en raison des encours importants de ces banques sur l'Indonésie.

Si l'on prend la crise mexicaine comme indice de la rapidité avec laquelle une région peut se rétablir, il existe deux grandes différences. Tout d'abord, le Japon n'est pas les États-Unis. À l'heure actuelle, l'économie du Japon est très faible. Il n'est pas dans la situation où se trouvaient les États-Unis lorsque le Mexique a connu sa crise en 1995. Deuxièmement, il existe en Asie des liens intra-régionaux importants en matière de commerce et de finances qui n'existent pas en Amérique latine, du moins en ce qui concerne le Mexique. L'économie du Mexique était liée de façon importante à celle des États-Unis et non à celle de l'Argentine ou du Brésil. Ces deux pays n'ont été touchés que de façon restreinte par la crise du Mexique. En Asie, le problème a été nettement plus grave.

Les deux ou trois prochains tableaux indiquent simplement quelles ont été les répercussions sur les monnaies. Le pays où le problème est le plus évident est l'Indonésie. L'Indonésie est un cas dont nous pourrons parler plus longuement.

Les troisième et quatrième tableaux indiquent les répercussions sur les monnaies en Asie. La rupiah a perdu pratiquement 80 p. 100 de sa valeur et le won coréen ainsi que d'autres monnaies asiatiques ont subi des baisses importantes. De même, vous pouvez constater quelles ont été les répercussions sur le marché boursier.

Vous constaterez en particulier que même si Hong Kong a une monnaie stabilisée et que la monnaie de Singapour n'a été que faiblement touchée, les marchés boursiers ont été gravement touchés. Cela s'explique par deux facteurs: premièrement, en ce qui concerne les répercussions au niveau du flux des échanges, il existe des liens importants entre les économies; et deuxièmement, il existe des institutions financières à Hong Kong et à Singapour qui ont d'importants enjeux financiers en Asie.

Le prochain tableau indique nos prévisions de croissance en Asie de l'Est. Pour 1998, la situation au Japon demeure stagnante et celle de la Chine connaît une baisse importante par rapport aux années précédentes. Si vous faites abstraction du Japon et de la Chine, les économies des pays de l'Anase, des pays de l'Asie de l'Est et de la Corée en particulier, enregistrent une baisse de leur croissance.

Cette année, l'Indonésie, la Thaïlande et la Corée du Sud connaîtront une récession. L'Indonésie sera le pays le plus touché puisqu'on y prévoit une diminution de la croissance de 6 p. 100. D'après nos prévisions, la Corée et la Thaïlande subiront une diminution de 3 p. 100 en raison de certains avantages dont elles bénéficieront sur le plan des exportations. Dans les économies intérieures, les conséquences seront encore plus importantes.

M. Mendelsohn a parlé des risques: la possibilité d'une récession au Japon, le phénomène de contagion de l'Indonésie, la dévaluation de la monnaie chinoise, et la Corée du Sud, même s'il semble à l'heure actuelle que ces pays soient disposés à mettre sur pied les réformes exigées par le FMI. Il existe également un certain risque d'instabilité politique et sociale qui pourrait entraîner-je ne dirais pas la débandade -- mais un faible risque de retournement.

En ce qui concerne l'Amérique latine, je souligne que l'économie qui a été le plus durement touchée tout en étant déjà faible est celle du Brésil. L'Amérique latine est en meilleure posture qu'elle ne l'était lors de la crise mexicaine.

Si on examine les conséquences que la crise asiatique risque d'avoir en Amérique du Nord, il est évident que les exportations vers l'Asie diminueront. Les importations de l'Asie augmenteront surtout à cause de la forte dévaluation de la monnaie. On ne sait pas encore vraiment quand cela se produira et qu'elle en sera l'importance en partie parce que depuis la crise, un grand nombre des économies asiatiques ont de la difficulté à obtenir, par exemple, du crédit à l'exportation. Pour l'instant du moins, le marché n'a pas encore été inondé par les importations en provenance de l'Asie, mais je ne crois pas que cela dure indéfiniment.

On a déjà parlé de la répercussion sur le prix des produits de base -- surtout dans un contexte canadien, les produits forestiers et les métaux communs. Les exportations de céréales vers l'Asie ne seront probablement pas touchées par la crise, mais il y a aura des conséquences.

Le patrimoine influe aussi sur le marché boursier et l'immobilier. Les coups durs encaissés en octobre par le marché immobilier en Colombie-Britannique en sont un exemple.

Le patrimoine pourrait également influer sur les dépenses de consommation. Ces répercussions n'ont pas été importantes en Amérique du Nord. Les marchés boursiers sont maintenant en meilleure posture qu'au moment de la crise. Je parle de la mi-octobre. Les marchés ont en fait dépassé les sommets qu'ils avaient atteints au milieu de l'année dernière.

Les répercussions en ce qui concerne les pays tiers désignent les cas non seulement de concurrence des importations asiatiques pour les producteurs intérieurs en Amérique du Nord mais aussi de concurrence en Europe et en Amérique latine et sur d'autres marchés résultant du déplacement possible par les exportations asiatiques bon marché vers ces économies.

J'inclus la politique monétaire simplement pour ceux de mes collègues -- et je ne crois pas que mes voisins de table fassent partie de ce groupe -- qui pensent que la déflation est une possibilité réelle. En cas d'impact important sur les économies, ce qui à mon avis ne se produira pas en Amérique du Nord, les instances monétaires auraient de toute évidence la capacité de neutraliser cette situation en augmentant les liquidités dans l'économie, comme l'a fait la Federal Reserve -- et je crois d'ailleurs qu'elle a exagéré -- après la correction du marché boursier en 1987.

À mon avis, il n'y aura pas de déflation. Nous pourrons en parler plus longuement plus tard si vous le souhaitez. S'il y avait un risque de déflation, je crois que la Banque du Canada, la Federal Reserve et d'autres banques centrales interviendraient pour prévenir ce genre de choses.

Le prochain tableau indique que les exportations vers les économies asiatiques en tant que pourcentage du PIB se situent juste en dessous de 2 p. 100 pour le Canada et à environ 2,5 p. 100 pour les États-Unis. Le volume des échanges aux États-Unis est nettement plus important -- cependant, comme on l'a mentionné, c'est une économie beaucoup moins ouverte que celle du Canada. Si l'on compare le PIB partagé, le Canada et les États-Unis sont dans une situation assez semblable pour ce qui est de leur dépendance des marchés asiatiques. Cela corrobore le fait que les répercussions seront assez modérées.

Les deux prochains tableaux indiquent que la crise asiatique a accéléré une tendance qui était déjà évidente dès la fin de 1996.

Nous y pensons uniquement en fonction du dollar américain, mais le dollar canadien est devenu plus vigoureux, jusqu'à tout récemment, par rapport à toutes les autres monnaies, et cela a eu des conséquences pour nos exportations vers l'Asie. Les taux de croissance avaient diminué ver la fin de 1996 et les taux réels d'importation avaient diminué après le milieu de 1997. Vous remarquerez que c'était avant la véritable crise, lorsqu'elle ne touchait que les pays de l'Anase.

Si vous regardez les importations, vous constaterez exactement l'inverse. Les taux de croissance des importations augmentent depuis le milieu de 1996 et vous voyez ensuite ce qui s'est produit depuis la fin de 1996.

Cela nous amène au prochain tableau, qui indique les répercussions sur le Canada.

Je suis sûr que vous lisez tous avec grand intérêt les prévisions économiques des banques, mais au cas où vous l'auriez oublié, nous avons présenté des prévisions en octobre.

Le sénateur Bolduc: Des prévisions pour quand?

M. O'Neill: Pour aujourd'hui même. Les prévisions que nous avions établies pour 1998, au début d'octobre 1997, auraient été d'environ 4 p. 100, et les prévisions pour 1999 n'auraient pas été tellement différentes de ce que je vous présente ici. Là où je veux en venir, c'est que les répercussions sur le Canada sont relativement limitées. Nous parlons au plus de 0,5 p. 100 en ce qui concerne la croissance et d'un chiffre semblable pour les États-Unis. Nous avons inclus le reste pour votre information. Vous pouvez constater que si qui que ce soit doit s'inquiéter du risque de déflation, vu que nous frisons l'inflation zéro, ce devrait être nous. Pourtant, le gros du débat concernant l'inflation émane des États-Unis et non du Canada.

Ce tableau indique également que les taux de chômage diminueront, que les taux d'intérêt demeureront relativement faibles et qu'il y aura une modeste amélioration de la valeur du dollar canadien.

Le prochain tableau porte sur les répercussions régionales. Vous pouvez voir le pourcentage des exportations vers l'Asie pour la Colombie-Britannique. Le niveau absolu le plus élevé des exportations est d'environ 8,5 milliards de dollars en 1996. Il s'agit de produits forestiers, du charbon et des métaux communs. Ce sont les principaux domaines qui seront touchés par la crise asiatique.

Le tableau sur l'Alberta concerne les produits pétrochimiques et le pétrole brut. Les répercussions sur les produits pétrochimiques seront relativement limitées. Le problème que connaissent les prix du pétrole est attribuable en partie à la crise asiatique, mais aussi au petit jeu que jouent l'Arabie saoudite et le Venezuela quant à savoir qui le premier réduira ses niveaux de production. Il y a aussi la perspective que l'Irak revienne sur le marché.

J'aborderai maintenant les répercussions sur l'Ontario et le Québec. Les répercussions directes seront très modestes en raison de leurs liens limités avec l'Asie. Les conséquences indirectes, dont a parlé M. Mendelsohn, résulteraient des répercussions sur l'économie américaine et je pense qu'elles seront, elles aussi, limitées.

Le tableau suivant indique simplement les principales exportations de l'Asie à destination de l'étranger et vous pouvez voir qu'à l'exception des véhicules automobiles, il s'agit de domaines d'exportation dont l'impact direct sur le Canada est relativement limité. Toutefois, si l'impact sur les États-Unis était important, cela entraînerait bien évidemment des répercussions sur le Canada.

Les matières premières et les produits semi-finis, principaux domaines d'exportation du Canada, ont été touchés, tout d'abord par le fléchissement des cours des produits de base, comme l'indique le tableau suivant. Les cours des produits de base n'ont pas été véritablement en hausse et ont gravement chuté en 1996 avant de rester à l'horizontale tout au long de 1997 jusqu'au mois d'octobre de cette année-là; vous pouvez voir ensuite l'impact asiatique, tel qu'il s'est fait ressentir après la mi-octobre. La crise asiatique a simplement affaibli davantage les cours qui étaient déjà en mauvaise posture.

Le dernier tableau présente l'impact secteur par secteur. J'aimerais faire quelques remarques. Pour ce qui est des quatre premiers secteurs énumérés à gauche, l'impact se fait sentir autant sur les cours que sur la demande. Dans le cas du charbon, l'Indonésie peut en fait supplanter la production du Canada. Ce n'est pas simplement l'importance du niveau de la demande en Asie, qui découle de la faiblesse des économies, qui détermine ce niveau, mais la concurrence directe sur le marché du charbon.

Ensuite, il est question de l'effet sur l'acier et les produits pétrochimiques. La faiblesse des cours et le problème de pénétration du marché par un pays tiers où les Asiatiques supplantent la production canadienne et américaine, ne sont pas considérables, mais existent bel et bien.

Nous passons ensuite à l'équipement de transport et à l'effet sur les importations nord-américaines, l'éventualité d'un remplacement de la production intérieure étant mise de côté. Il faut se rappeler que l'industrie automobile américaine a particulièrement bien réussi à trouver des moyens de convaincre le Congrès d'imposer des restrictions volontaires à l'exportation. J'imagine que certaines de ces restrictions seront imposées à l'automne si, en fait, l'impact sur les producteurs automobiles est important.

Le côté droit vise les semi-conducteurs et les ordinateurs. C'est un problème pour les États-Unis, mais ce n'est pas un gros problème pour le Canada. C'est essentiellement un problème pour le sud-ouest -- la Californie et le Texas -- qui pourrait toutefois avoir des effets indirects sur le Canada.

Le tourisme est un problème qui touche la côte Ouest essentiellement, même si je crains que nos amis de l'Île-du-Prince-Édouard accueillent moins de touristes japonais à la maison d'Anne aux pignons verts.

Enfin, en ce qui concerne le secteur des services financiers, je dirais simplement que l'engagement direct du Canada est limité. Les institutions canadiennes de services financiers auront peut-être l'occasion de donner des conseils à l'Asie au sujet de la restructuration du système financier, mais je n'ose pas trop l'espérer. Nos amis américains, qui, dans certains cas, ont commis des erreurs en matière de prise de risque, pourront également vendre leurs services consultatifs afin de donner des leçons sur la gestion du risque. Même si, dans la pratique, ils n'ont pas toujours été excellents, ils peuvent trouver une façon de compenser leurs pertes récentes par le truchement de frais de consultation.

M. John McCallum, premier vice-président et économiste en chef, Banque royale: Mes deux éminents confrères ont traité du sujet en détail et je ne sais pas trop ce qu'il me reste à dire. Je vais toutefois m'attarder sur quelques points particuliers.

Nous faisons parfois une distinction entre incertitude et risque. En ce qui concerne le risque, nous connaissons au moins les paramètres et les probabilités; l'incertitude se caractérise davantage par l'ignorance. Je dirais que la crise asiatique tombe davantage dans la catégorie de l'incertitude, car nous n'avons jamais eu d'expérience à cet égard. Cela me fait penser au problème informatique de l'an 2000, tout nouveau pour nous. Alors que je suis entièrement d'accord avec les mécanismes, il reste que nous ne savons pas vraiment comment la situation va évoluer et que nous ne connaissons pas non plus l'ordre de grandeur de ces impacts.

J'aimerais également parler du FMI, en butte aux attaques de la gauche et de la droite, pourrait-on dire. Cela signifie peut-être dire qu'il s'en sort bien, en général, mais je n'en suis pas sûr. Ce qui complique le problème en Indonésie, c'est que la gauche affirme que le FMI impose des mesures inappropriées. Ce n'est pas à cause de gros déficits que le problème se pose en Asie, alors pourquoi imposer des réductions des dépenses publiques? Beaucoup en Asie disent également que le FMI profite de la situation pour promouvoir les intérêts américains, c'est-à-dire laisser les sociétés américaines acheter les sociétés à des prix dérisoires et microgérer l'économie nationale, en Indonésie en particulier.

Il n'est pas non plus passé inaperçu en Asie que la Chine, pays le plus fermé de la région et dont la monnaie est toujours inconvertible, est l'un des principaux pays à ne pas avoir été touché par cette crise. Cela ne va pas manquer de susciter un débat, en partie en opposition avec le FMI, mais aussi un débat plus général. Cela remet en question l'argument selon lequel il vaut mieux ouvrir ses frontières, libéraliser son compte de capital, et cetera. À mon avis, ces pays ne reviennent pas à des économies fermées et ne devraient pas y revenir.

L'ordre dans lequel se fait la libéralisation de l'économie est très important. Il est tout d'abord essentiel de redresser la situation des institutions nationales, notamment les banques, avant de libéraliser le compte de capital et de permettre les mouvements de capital à court terme dans les deux sens. En effet, si l'on accepte ces mouvements de capital à court terme, alors que les institutions nationales sont extrêmement faibles, on s'expose à toutes sortes de problèmes. Je crois que cela fera partie des discussions.

Le FMI est également en butte aux attaques de la droite -- je ne sais pas vraiment si l'expression «la droite» est exacte -- à propos de la question de risque moral. En effet, toute opération de renflouement encourage au bout du compte un comportement encore plus insouciant, ce qui peut provoquer des crises encore plus graves. Je crois que le FMI en a conscience, sans toutefois pouvoir proposer de solution. Avant Noël, il a envisagé la possibilité d'une faillite en Corée et a accepté un peu plus de risque moral par crainte des répercussions à l'échelle mondiale; il a donc injecté beaucoup d'argent en Corée et dans d'autres pays.

Je crois avoir entendu Stanley Fisher, numéro deux du FMI, dire qu'il s'agit d'un problème de risque moral, lequel ne met pas les pays en cause, mais plutôt les prêteurs et notamment, les banques et la dette nationale.

Le FMI cherche à trouver un moyen qui lui permettrait la prochaine fois de ne pas avoir à renflouer les banques occidentales ainsi que ceux qui prêtent de l'argent à ces pays. À mon avis, il y aura beaucoup de discussions -- acrimonieuses dans certains cas -- au sujet du rôle du FMI et de la façon d'amener les pays à la libéralisation.

La situation en Indonésie est de toute évidence lamentable et effrayante. Les liens qui existent entre les pays de l'Indonésie, comme la Malaisie et Singapour, sont importants, tout comme la possibilité de violence et de tensions ethniques.

La Corée du Sud, par contre, semble être en bonne forme, même si la prudence est malgré tout de rigueur. L'actuel président traverse une période de lune de miel et semble, pour l'instant, prendre les mesures qui s'imposent; pourtant, les sacrifices ont à peine commencé. Il faut que le président reste au pouvoir pendant au moins 12 ou 18 mois, alors qu'il y aura beaucoup de mises à pied et de faillites. Cela a à peine commencé. Reste à voir s'il sera en mesure de survivre et de continuer à vivre une phase de lune de miel ou de rester maître de la situation, compte tenu du militantisme bien connu de la population active coréenne. Il reste toutefois que la situation de la Corée semble bonne pour l'instant.

Mes collègues ont traité des principaux points relatifs à l'impact sur le Canada et je ne suis pas en désaccord avec eux.

Premièrement, en ce qui concerne nos exportations, seulement 8 p. 100 se font à destination de l'Asie, mais ce pourcentage est très inégalement réparti dans notre pays. Il est quasiment négligeable en Ontario -- 3 p. 100 par rapport à 35 p. 100 pour la Colombie-Britannique.

Deuxièmement, en ce qui concerne les importations, on parle souvent d'un afflux considérable de produits asiatiques à bas prix sur les marchés nord-américains. Jusqu'à présent, cela ne s'est pas vraiment concrétisé, en partie parce que certaines des sociétés de ces pays ont du mal à avoir un fonds de roulement, mais je pense qu'elles vont finir par y arriver. Les industries qui risquent d'être défavorablement touchées sont celles qui figurent sur la liste de M. O'Neill, soit l'acier, l'automobile, l'électronique grand public, et cetera.

Troisièmement, en ce qui concerne les cours des produits de base, c'est extrêmement important. L'Alberta est en plein essor, mais je ne sais pas combien de temps cela va durer si les cours du pétrole se maintiennent à 13 $ ou s'ils baissent. C'est là où la possibilité d'une crise asiatique plus profonde ou plus vaste est très importante, car il y a un lien très étroit entre cette éventualité et les cours des produits de base. On dit que le Canada est maintenant une économie infoculturelle; c'est partiellement vrai, mais il reste que 40 p. 100 de nos exportations sont des exportations de produits de base et que nous sommes extrêmement vulnérables aux fluctuations des cours mondiaux des produits de base. À mon avis, c'est là que se trouve une importante part du risque.

J'ajouterais également que le dollar canadien a toujours eu tendance à fluctuer en fonction des cours des produits de base, ce qui explique dans une large mesure la faiblesse actuelle de notre dollar; ce fléchissement de notre devise est également bien accueilli, puisqu'il permet de compenser en partie l'impact négatif de ces faibles cours des produits de base. Je pense et j'espère qu'à partir de maintenant, la Banque du Canada poursuivra une politique d'inaction bénigne et n'essaiera pas de venir au secours du dollar par le truchement de taux d'intérêts élevés.

Dernier point, dont il n'a pas encore été fait mention. La montée du protectionnisme américain est un autre effet de la crise asiatique sur le Canada. Le Congrès américain est déjà de mauvaise humeur, puisqu'il a refusé au président Clinton la procédure accélérée pour l'ALENA. Il n'y a rien qui énerve plus les membres du Congrès que l'augmentation subite des déficits commerciaux avec le Japon et d'autres pays d'Asie. C'est exactement ce qui va se produire et je crois que l'on peut s'attendre à des mesures anti-dumping et à d'autres comportements protectionnistes de la part des États-Unis. Alors que ces politiques seront axées principalement sur l'Asie, je crains que le Canada ne subisse ce que les Américains qualifient de dégâts accessoires. Il faut savoir que si les États-Unis adoptent des lois anti-dumping pour protéger leurs industries et que si nous acceptons tout comme de bons petits scouts, cela ne sera pas très bon pour nos industries.

Le président: Nous remercions tous nos témoins qui nous ont brossé le tableau de la situation de façon détaillée et sincère.

Pourquoi tous ces pays ont-ils connu une telle crise financière en même temps? Si nous comparons la situation du secteur financier de chacun de ces pays -- le Japon, la Corée du Sud, l'Indonésie, et cetera -- peut-on dire que les problèmes qui se sont posé étaient semblables ou est-ce parce que les investisseurs étrangers ont décidé qu'il y avait un problème dans l'une ou deux de ces régions que la contagion s'est propagée? J'imagine que l'on pourrait être tenté de répondre que c'est à cause de ces deux facteurs, mais lequel a le plus d'importance? Est-ce parce que des problèmes semblables se sont posé dans les divers pays ou est-ce essentiellement un effet de contagion?

M. Mendelsohn: Je pense que vous avez raison de dire que les deux facteurs entrent en jeu. Le danger, c'est que nous mettions tous les pays dans le même panier en affirmant qu'ils ont tous les mêmes problèmes. En fait, on peut faire la distinction entre les divers problèmes et certains de ces pays se sortiront plus rapidement de la crise que d'autres à cause de la nature des problèmes et des mesures à prendre pour les régler.

Ceci étant dit, plusieurs de ces pays ont été confrontés à des problèmes comme l'augmentation du déficit commercial et du déficit courant. Dans d'autres cas, la structure du système financier n'était pas suffisamment solide, ce qui a entraîné une mauvaise affectation du capital.

Pour ce qui est de l'effet de contagion, permettez-moi de revenir au coeur du problème. Il est possible de classer par catégories les pays qui se livrent concurrence pour des marchés tiers. Il y a deux sortes de pays, ceux qui ne sont pas ou peu axés sur la technologie et ceux qui sont axés sur la technologie. Dans le premier cas, on peut donner l'exemple des Philippines, de l'Indonésie et de la Thaïlande et dans le second, celui de la Malaisie, de Singapour, de la Corée et de Taïwan.

Les pays non ou peu axés sur la technologie ont été coincés par suite de la dévaluation de 1994; c'est alors que la Chine a commencé à récupérer une part de ce marché. Les pays axés sur ce secteur ont commencé à souffrir de la dépréciation du yuan japonais, ce qui, par ricochet, a eu un impact défavorable sur la technologie. En même temps, la demande d'équipement électronique a diminué dans le monde occidental; ce n'est toutefois qu'une partie du problème.

On a dit que l'on ne s'est pas suffisamment intéressé à la structure du marché financier; c'est bien évidemment le cas. Lorsqu'on s'ouvre à l'arrivée de capitaux étrangers, comme l'ont fait les économies asiatiques -- et nous les avons toutes applaudies à ce sujet -- on doit s'attendre à ce que les investisseurs étrangers qui se mettent à s'intéresser personnellement à ce qui se passe dans ces pays, se préoccupent des problèmes au moment où ils surviennent.

Si je devais isoler un problème dans la plupart de ces pays, je parlerais de celui de la transparence -- la façon dont les affaires sont conduites, qu'elles soient dirigées par le gouvernement ou qu'elles relèvent d'un secteur privé libre de toute ingérence du gouvernement, ainsi que la façon dont fonctionne le système financier. On a toujours parlé du «style asiatique» qui se caractérise par l'absence de bilans, d'états des résultats, d'informations réelles; ainsi, il vaut mieux avoir de bonnes relations pour faire des transactions. Ce manque de transparence ainsi que l'afflux de capitaux étrangers ont contribué à cet effet de contagion. Face à tout développement important dans n'importe lequel de ces pays, l'investisseur se pose la question suivante: «Je sais déjà qu'il y a des problèmes dans ces autres pays, mais quels sont les problèmes que je ne connais pas, qui risquent de me retomber dessus?» L'investisseur commence alors à prendre des mesures défensives et décide de partir.

Ce qui a compliqué le problème -- et cela s'est d'ailleurs produit au Mexique également, puisque ce sont les entreprises mexicaines qui ont été les premières à abandonner le peso mexicain -- c'est que, au moment de la dépréciation de la monnaie, les gens d'affaires locaux qui essayaient de se couvrir, chose qu'ils n'avaient pas fait auparavant, puisqu'ils étaient protégés par une monnaie fixe, sont allés acheter des dollars américains et, ce faisant, ont accéléré la dépréciation de la monnaie. Ils en ont alors ressenti tout l'effet.

La Corée n'a pas connu ces problèmes très tôt, car tous les regards étaient tournés vers l'Asie du sud-est. Les mêmes problèmes ont surgi uniquement lorsque la contagion s'est étendue vers le nord. Il n'y a pas de variable unique et il faut examiner chacun des pays. La Corée était une économie dirigée. Les problèmes de la Thaïlande étaient l'immeuble et la politique. L'Indonésie pratiquait le favoritisme. On retrouvait des éléments différents dans ces pays, mais les affaires se faisaient de la même façon.

Il n'y a pas de réponse simple, mais c'est ainsi que je vois les choses.

M. O'Neill: Il y a contagion lorsque l'incertitude règne au sujet des pays avoisinants. Si l'on s'aperçoit que les mêmes problèmes se posent, par exemple, la faiblesse du secteur financier, les prêts dirigés ou un secteur bancaire très faible, la contagion ne peut que s'installer. Si l'on s'aperçoit que les problèmes sont différents, qu'ils ne sont pas vraiment importants et que l'économie est fondamentalement saine, la contagion recule. La bourse remonte alors plus rapidement, tout comme la monnaie, si elle n'est pas stabilisée.

La contagion s'est propagée en Asie et cela fait partie du problème; par ailleurs, des problèmes structurels micro-économiques fondamentaux ont surgi dans le secteur financier en plus de problèmes macro-économiques. La monnaie de plusieurs de ces pays était stabilisée par rapport au dollar américain, ce qui n'était pas une mauvaise chose tant que le dollar diminuait -- sur une période de dix ans, entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90 -- mais ce qui n'était pas une aussi bonne chose au moment de l'appréciation du dollar américain. En même temps, aucune mesure corrective visant à ralentir l'économie intérieure n'a été prise, ce qui a entraîné la stimulation des économies intérieures, la surévaluation des devises et l'augmentation assez forte des déséquilibres extérieurs.

Enfin, nous pouvons oublier qu'il existe d'importants liens intra-régionaux. Lorsque la crise a frappé au Mexique, il y a eu contagion -- c'est-à-dire, qu'elle s'est propagée à l'Amérique latine. Elle n'a toutefois pas eu de répercussions importantes ou durables. Le Mexique a été mis à rude épreuve, mais la crise n'a pas frappé les autres économies aussi durement.

Si l'économie régionale asiatique était entièrement autonome, nous ne serions même pas ici à vous parler car la crise n'aurait pas de répercussions sur l'Amérique du Nord. Le fait est, toutefois, qu'il y a des liens avec l'extérieur.

En Asie, une bonne partie du commerce se fait à l'intérieur de la région. Les échanges financiers se limitent à l'Asie. Les banques asiatiques prêtent aux entreprises asiatiques et aux gouvernements asiatiques. Ces importants flux intra-régionaux risquent de poser un véritable problème. En effet, le problème de l'Indonésie se répercute sur les banques sud-coréennes et japonaises.

Le président: C'est une contagion nationale ou locale.

M. O'Neill: Oui. Pensez à l'économie américaine comme si elle était entièrement autonome. Faites intervenir une grave crise du secteur financier, un resserrement de la politique monétaire et une guerre du Golfe et vous obtenez une faible récession au début des années 90.

Lorsque ces liens existent, l'impact est encore plus important et ladite contagion n'est pas tout à fait spéculative. Elle sera réelle étant donné les problèmes fondamentaux qu'engendrent ces liens.

M. McCallum: Si j'avais à trouver deux causes à ce problème, je dirais les banques déloyales et leur manque de transparence de même que la construction excessive, qu'il s'agisse de projets immobiliers ou d'autres mégaprojets, qui au bout du compte ont peu de valeur durable.

Ces deux problèmes se sont posés pour un grand nombre des autres pays, mais nous avons toujours été au courant de la situation. Ils n'avaient pas connu de crise auparavant. La construction excessive, le capitalisme empreint de favoritisme et la déloyauté des banques y existaient depuis des années. Pourquoi une crise soudainement? Je suppose que ces mégaprojets pourraient se concrétiser si la croissance massive à double chiffre devait se maintenir indéfiniment. Ces erreurs se perdraient dans la croissance. Si cette croissance augmentait à vive allure indéfiniment, les erreurs commises par les banques pourraient aussi se noyer dans l'ensemble.

Ce qui s'est passé, à commencer par la Thaïlande, c'est qu'on s'est rendu compte que cette gigantesque croissance aurait une fin. C'est alors que l'on a commencé à examiner à la loupe ces problèmes dont nous avions déjà une vague idée. Dès que la crise est survenue -- et avec tous les autres problèmes qui ont déjà été mentionnés -- le problème s'est étendu et on s'est rendu compte qu'une bonne partie de la situation était devenue intolérable.

Le sénateur Bolduc: Vous avez fait la distinction entre le risque et l'incertitude. Le risque est surtout lié à des facteurs économiques et l'incertitude, à des facteurs politiques.

Parlons pour l'instant des facteurs politiques. Je crois que tout le monde s'entend pour dire que l'Indonésie constitue un problème important. Le président n'est pas d'accord avec le FMI ou avec les règles du jeu. L'Indonésie est très peuplée mais le commerce avec ce pays est assez limité. Je ne crois pas que cela aura des répercussions sur la Chine, par exemple, ou une grande influence sur elle.

Nous parlons du Japon depuis cinq ans. Nous disons qu'il doit introduire des réformes politiques et économiques. Que se passe-t-il au Japon? Y a-t-on amorcé une réforme des institutions économiques? Si le Japon ne le fait pas, les autres pays ne le feront pas non plus.

M. McCallum: Votre première question portait sur l'Indonésie et la deuxième sur le Japon. L'ambassadeur du Canada en Thaïlande m'a dit que les réformes ont frappé assez durement un grand nombre des familles les plus riches et que c'est en partie la raison pour laquelle la population accepte le relèvement de la taxe sur l'essence et d'autres mesures du même genre.

Le contraire est vrai en Indonésie. Le président et ses enfants détiennent une énorme part des richesses du pays. Les agissements du président laissent supposer qu'il veut avant tout protéger ses richesses et son poste. Les fondements politiques du succès y sont incroyables, surtout lorsque vous ajoutez à cela son choix pour la vice-présidence, les tensions ethniques en constante ébullition et la présence trop pesante du FMI. Tous les jours la télévision indonésienne diffuse une image -- un peu comme a été reprise à maintes reprises la scène de cet homme qui piétine le drapeau québécois -- de M. Camdessus, président du FMI, qui se tient derrière Suharto pendant qu'il signe l'accord à genoux. Il y règne un fort nationalisme et un impérialisme anti-occidental. C'est un mélange explosif. Je suis un simple économiste et je ne sais tout simplement pas comment cela finira, mais les choses vont très mal.

Le sénateur Bolduc: Cela dit, voyez-vous des répercussions importantes pour la Chine?

M. McCallum: Cela dit, la Chine risque de voir son économie s'effondrer et la violence se propager en Malaisie et à Singapour.

Je ne vois pas de répercussions importantes pour le Canada, si l'on veut être très égocentrique. Nous exportons très peu à destination de l'Indonésie -- .08 p. 100 de notre PNB. Nous y exportons moins d'un dixième de un pour cent. Vous pourriez impliquer la Chine. Lorsque vous empruntez cette route, vous ne savez pas ce qui vous attend. Ce serait très inquiétant.

Malgré la crise qui le secoue, je dirais que le Japon reste le deuxième pays le plus riche du monde. Les avoirs nets étrangers du Japon atteignent des proportions énormes. Le Japon n'implosera pas. Tous les espoirs ne sont pas perdus. Au pire, son économie stagnera. Le Japon s'est malheureusement trouvé dans une impasse politique, plus particulièrement vis-à-vis des banques. La bulle de l'immobilier s'est dégonflée en 1989, si je ne m'abuse, et il semble n'avoir rien fait à ce sujet.

Pour placer les choses dans un contexte canadien, l'impopularité des banques canadiennes auprès des Canadiens ne se compare en rien à celle des banques japonaises auprès des Japonais. Pendant de nombreuses années, c'était risquer le suicide politique que de laisser entendre que les fonds publics serviraient à sauver les banques japonaises. Cependant, le Rubicon a été franchi. Des fonds publics ont été engagés. À un certain moment, simplement pour vous donner une idée juste, le montant des fonds engagés était à hauteur du PNB du Canada. On a commencé très lentement à injecter de l'argent. Nous ne savons pas encore si le Japon s'y prendra bien ou mal. De nombreuses incertitudes planent encore. Je crois que le Japon parvient graduellement à cerner les problèmes de ses systèmes financiers, mais cela prendra des années. Ou son économie stagnera ou sa croissance sera très lente pendant encore un certain temps. Toutefois, les espoirs ne sont pas perdus.

M. Mendelsohn: C'est ici que nous commençons à être légèrement en désaccord. Je partage les propos de M. McCallum au sujet de l'Indonésie et de la situation de son président. En fait, il est très curieux que le FMI, en essayant de maintenir son intervention en Indonésie et une certaine crédibilité dans la région, semble maintenant accepter l'idée lancée par le président de mettre en place un conseil monétaire. Malheureusement pour ce dernier, il ne le fait pas pour la bonne raison. Je vois beaucoup de ces choses cyniquement et je crois que la création d'un conseil monétaire en Indonésie permettrait surtout à la famille présidentielle de sortir sa fortune du pays. Si c'est une façon de faire sortir Suharto et sa famille du pays, tant mieux, mais je ne suis pas du tout convaincu que la prochaine génération de dirigeants sera très différente de la précédente. Elle proviendra de l'armée. Nous verrons ce qui arrivera. Je conviens que le pays est aux prises avec d'énormes troubles sociaux. Je crois que nous avons là une bombe à retardement et qu'il s'agit simplement de savoir si Suharto peut être remplacé paisiblement ou assez rapidement.

Je ne crois pas vraiment que les troubles sociaux se propageront directement à Singapour ou en Malaisie. Certains problèmes s'y posent du fait que les travailleurs étrangers qui étaient en Malaisie n'ont pas été renvoyés en Indonésie, d'où les pressions supplémentaires exercées sur la Malaisie et d'autres économies qui emploient des travailleurs provenant d'autres pays. Cependant, cela ne mènera pas nécessairement à une explosion sociale dans chaque pays.

Soit dit en passant, l'incertitude n'est pas que politique, elle est aussi économique. Il y a encore beaucoup de chiffres que nous ne connaissons pas. Par exemple, j'ai dit que la contagion peut s'étendre à Singapour même si, à l'exception de sa bourse des valeurs mobilières, le pays a réussi à traverser cette crise. Nous n'avons aucune idée de ce à quoi s'exposeraient les tierces parties allant de Singapour en Indonésie. Nous n'avons pas ces chiffres. La contagion peut toujours revenir de cette manière.

La Malaisie, dans une tentative pour attirer les capitaux étrangers, a apporté certains changements aux lois bumiputra favorisant les Malais indigènes en ce qui concerne les entreprises commerciales. Elles s'ouvrent maintenant aux autres ethnies, du moins pour un certain temps.

La Thaïlande a fait la même chose peut-être plus intelligemment. Au cours des quatre ou cinq derniers mois, elle a ouvert son secteur financier et a permis aux institutions financières étrangères de prendre le plein contrôle jusqu'à 10 ans, après quoi elles le perdraient progressivement. Par contre, si au cours de cette période elles parviennent à bien structurer leurs activités, il se peut que la loi soit modifiée et devienne permanente. Cependant, la Thaïlande dispose au moins d'une clause de «retrait» en ce qui concerne la propriété étrangère. Dans ces pays, le nationalisme, en matière de propriété étrangère, pourrait poser éventuellement un problème.

Le sénateur Bolduc: L'élite politique est toujours chinoise si je ne m'abuse?

M. Mendelsohn: À l'heure actuelle, les Chinois servent de bouc émissaire en Indonésie.

La Corée me préoccupe du point de vue socio-politique. Nous y avons fait allusion de bien des façons. Depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, le taux de chômage n'a pas dépassé 4 p. 100 et risque maintenant de doubler à tout le moins. Même si le président a mis en place des lois qui permettront les licenciements, il n'est pas du tout évident que les syndiqués de la base suivront le mouvement et il se peut que le président fasse marche arrière. L'incertitude est donc politique et, dans une certaine mesure, économique.

En ce qui concerne le Japon, vous devrez me pardonner mon cynisme. Depuis six ou sept ans, je me montre négatif à son égard. Toutes les fois que quelqu'un a parlé d'une reprise de l'économie japonaise, j'ai exprimé mon désaccord. Le Japon a dépensé à peu près l'équivalent d'un demi-billion de dollars pour tenter de relancer l'économie. Il a raté son coup parce qu'il l'a surtout fait en augmentant les dépenses publiques.

Le Japon s'apprête à faire la même chose. Malheureusement, à ce moment-ci, je ne crois pas beaucoup aux rumeurs. Au Japon, tant le yen que la bourse reposent sur des rumeurs. Je trouve curieux que toutes les rumeurs de nouvelles politiques et de tentatives de redressement du système financier aient vraiment commencé à circuler pour de bon, fin janvier et début de février, lorsque l'index Nikkei est tombé de 15 000 à 14 000, alors que les fonds propres des banques ont vraiment commencé à être touchés. Presque toutes les rumeurs visent principalement à renflouer la bourse vu que les banques utilisent 45 p. 100 de leurs gains en capitaux non matérialisés comme deuxième catégorie de fonds propres et qu'elles doivent respecter les directives de la BRI.

Cela ne veut pas dire que le Japon n'a pas amorcé le processus. Comme on l'a mentionné, nous sommes à un grand tournant ici, le Japon a finalement admis qu'il doit utiliser des deniers publics pour sortir d'affaire les institutions financières. Il s'y prend mal. Une fois de plus, il se concentre sur ce qu'il appelle une crise de liquidité. Les banques ne prêtent pas parce qu'elles doivent respecter les directives du BRI, et cetera. Cependant, il y a pénurie de la demande. Ceci repose sur l'absence de confiance chez les consommateurs, en partie en raison du taux de chômage officiel qui se situe autour de 3,5 p. 100 alors que le taux réel est probablement deux fois plus élevé. Nous avons vu où a mené l'incertitude en matière d'emploi au Canada.

En ce qui concerne le système financier, le Japon utilise à l'heure actuelle 13 billions de yens, environ 100 milliards de dollars, pour restructurer le capital des banques. Au cours des derniers mois, sous prétexte d'atténuer la crise des liquidités, un grand nombre des conditions qui avaient été mises en place pour restructurer le système financier ont été relâchées. En fait, de nouvelles conditions permettent maintenant de restructurer le capital même des institutions insolvables sans pour autant accroître la transparence. Il est aussi permis de redéfinir la valeur de l'immobilier et de choisir le coût des fonds propres en fonction du portefeuille d'actions. Je trouve qu'il s'agit d'un recul pour ce qui est de la réglementation. Les fonds publics peuvent être utilisés, mais je me demande si cela ne posera pas plus de problèmes plus tard.

Un autre facteur étouffe le Japon à l'heure actuelle et ce sont tous les scandales qui éclatent au ministère des Finances et à la Banque du Japon qui sont considérés comme intouchables et au-dessus de tout reproche. Cela a paralysé les bureaucrates qui ont l'habitude de prendre toutes les décisions. Personne ne sait s'ils seront mis sur la sellette. Ce n'est pas là que se prennent les décisions.

L'économie du Japon continue de stagner. Je suis tout à fait d'accord avec M. McCallum lorsqu'il dit qu'on ne peut décompter le Japon. C'est un pays extrêmement riche. Il ne va pas interrompre le remboursement d'aucune dette de toute façon. Cependant, la question qu'il faut se poser est la suivante: pendant combien de temps l'économie peut-elle continuer à ne croître qu'au rythme de 0,5 ou 1 p. 100 avant que quelque chose s'écroule? C'est l'incertitude qui règne au Japon.

Il faut rappeler que le Japon est en partie à l'origine du problème et qu'il constitue manifestement un élément important de la solution, tant en ce qui concerne la demande de production et d'investissement. Il y a aussi le fait, et j'estime cela tout aussi important, que le Japon n'a pas joué le rôle de chef de file comme il a toujours voulu le faire en tant que membre du G-7. C'est malheureux.

M. O'Neill: Je ne vais pas servir de juge entre mes collègues sur la question de l'Indonésie.

M. McCallum: Je ne crois pas que nous soyons en désaccord.

M. O'Neill: La question de savoir qui est frappé ici est vraiment assez cruciale. Trois facteurs interviennent, dont deux à caractère politique. Il y a d'abord le fait que beaucoup d'économies asiatiques éprouvent énormément de difficultés à accepter publiquement qu'elles aient commis des erreurs par le passé. Le Japon a refusé d'admettre au tout début qu'il y avait une crise. Il a refusé non seulement d'admettre que le secteur bancaire était faible mais qu'il le cachait depuis longtemps.

Le deuxième problème politique qui se pose est le suivant: si vous procédez à une restructuration du capital, vous devez le faire sans l'appui de la population. Cela est d'autant plus vrai au Japon. Il en serait ainsi que vous privilégiez ou non certaines banques lorsque vous fournissez l'aide.

La question économique est aussi importante et se pose particulièrement au Japon de même que dans les autres économies. C'est-à-dire que si vous ne privilégiez pas les banques les plus fortes par rapport aux autres, vous ne permettez pas que les plus faibles échouent. Vous ne permettez pas une situation où les joueurs assez forts accaparent la part du marché des très mauvais joueurs. Cela pourrait être un peu mieux accepté en Corée.

Je vais maintenant vous faire part du léger désaccord que j'ai avec M. Mendelsohn. Je m'inquiète moins de la Corée précisément en raison de ce qu'elle a dit dans le cadre du débat qui a porté sur les répercussions de cette crise. Elle a dit sans ambages dès le début, aussi clairement qu'elle le pouvait et en s'adressant plus particulièrement aux syndicats, que les répercussions seront vastes. En d'autres mots, que tout le monde aura un rôle à jouer et devra consentir de grands sacrifices. Elle a ainsi réussi à tout le moins à affaiblir une partie de la résistance la plus sérieuse aux réformes structurelles requises et à la récession qui sera inévitablement importante en Corée au moins cette année et pendant une partie de 1999. Lorsqu'il s'agit de savoir qui subit les répercussions de la crise, la différence est énorme entre la Corée et l'Indonésie. C'est une des raisons pour lesquelles j'estime que le problème est beaucoup plus grave en Indonésie que dans un pays comme la Corée.

Le sénateur Whelan: Monsieur le président, je viens d'assister à une réunion où l'on a parlé de leadership en agriculture. Je crois qu'il conviendrait très bien ici que nous ayons davantage de direction dans le monde des banques. Vous avez parlé du «modèle asiatique». Vous n'avez rien dit sur la Chine. Ne fait-elle pas partie de l'Asie?

Nous parlons de nouveau des banques et de la mauvaise administration. Je me rappelle de l'époque où et toutes ces grandes entreprises étaient financées par les banques canadiennes; des millions de dollars ont été perdus. Ne parleriez-vous pas d'incompétence au sein de notre système bancaire? Des hôtels ont été vendus et les Japonais en ont achetés aux États-Unis, à Hawaii, à 20 cents au dollar. Est-ce bien différent lorsque les directeurs de banque sont les mêmes personnes de qui leurs entreprises empruntent peut-être? N'avons-nous pas un peu de ce monde interlope dans notre propre système bancaire?

Les agriculteurs n'ont jamais payé plus de 3 p. 100 d'intérêt alors que les banques nous demandaient 14, 15 et 20 pour cent. Nous n'avons jamais payé plus de 11 p. 100 pour des prêts dans le secteur de la fabrication, et cetera. Pendant que nous versions ces taux d'intérêt extrêmement élevés et que nous assistions des faillites de toutes sortes au Canada, l'économie japonaise tournait à un rythme plus rapide que n'importe quelle autre économie dans le monde. Nous nous rendons maintenant compte à quel point ses administrateurs sont corrompus et mauvais.

Vous dites que cela n'aura pas d'influence sur nos produits de base? Je mets cette affirmation en question. Il suffit d'un simple excédent ou déficit de 2 p. 100 pour bouleverser un marché. Lorsque les États-Unis ne peuvent vendre leur soja, leur blé ou leur maïs en Asie, cela nous touche à coup sûr terriblement. Nous en sentons déjà les répercussions.

Lorsque vous comparez Singapour à certains de ces autres pays, j'ai de fortes réserves au sujet d'un petit pays que l'on peut traverser d'un bout à l'autre en une journée. Au Canada, 4 000 milles séparent les deux océans et nous pouvons en toute légitimité prétendre au titre de puissance mondiale.

Pensez seulement aux avantages incroyables que nous avons au Canada. Si j'étais un banquier qui jette un regard du côté du Canada et y voyait le dollar à 70 cents, je considérerais aussi tout ce que nous avons dans ce pays, par exemple les minéraux, l'eau, le bois d'oeuvre et la production agricole. Je ne comprends pas l'industrie bancaire et je ne comprends pas plus les économistes. J'avais l'habitude d'en avoir 101 lorsque j'étais ministre de l'Agriculture. Je disais qu'ils étaient comme les petits dalmatiens. On me donnait 101 opinions et je devais choisir celle que j'estimais le plus profitable pour mon pays.

Nous devrions nous rappeler ce qui est arrivé au Mexique. Nous avions l'habitude de traiter beaucoup avec ce pays. Les banques canadiennes étaient installes au Mexique. Il va sans dire que vous pouvez maintenant voir toutes les embûches qui se sont dressées en Asie. N'en avez-vous pas vu aucune auparavant? Il semble que non.

Le président: Aviez-vous une question?

Le sénateur Whelan: Oui, j'en avais une. Je voulais savoir pourquoi les témoins n'ont pas parlé de la Chine et de la différence entre Campeau et d'autres grosses entreprises qui perdent des milliards de dollars aux États-Unis. Quelle est la différence entre notre système bancaire et les leurs? Le nôtre est-il si pur? Pourquoi n'avez-vous pas parlé de la Chine? Elle ne semble pas impliquée dans cette baisse de l'activité économique ou ce bouleversement? Je veux aussi savoir pourquoi tout le monde a dit que cela n'aura pas de répercussions sur nos produits de base. Dans l'ouest du Canada, cela touchera les industries du porc, des céréales et du soja.

M. McCallum: Il se peut que je ne me sois pas fait bien comprendre. J'ai dit qu'au Canada ce sont les prix des produits de base qui seront le plus touchés. Si la crise asiatique s'amplifie, les prix de nos produits de base risquent de diminuer et cela nous ferait beaucoup de tort. Ainsi, je suis d'accord avec vous sur ce point.

En ce qui concerne les banques, il arrive de temps à autre qu'elles ont des créances irrécouvrables et le Canada n'a pas fait exception à cette règle. D'autre part, il y a aussi le fait que notre système a été l'un des stables au monde. Depuis 1923, nous n'avons connu que trois faillites de banques mineures comparativement à des milliers chez notre voisin du Sud. Nous avons pris de mauvaises décisions en matière de prêts -- je ne travaillais pas pour la banque alors. Elles n'ont pas toutefois pas été de l'envergure de celles que nous constatons aujourd'hui au Japon ni de celle du problème avec lequel les États-Unis sont aux prises en ce qui concerne les institutions d'épargne.

En ce qui a trait au Japon, vous avez raison, ces choses ont tendance à être des modes. Il y 20 ans, nous croyions que le Japon était merveilleux; il était un modèle pour nous tous. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Ce qui s'est passé, je suppose, c'est que cette grosse bulle de l'immobilier s'est dégonflée et qu'il nous a plus ou moins rejoints. Cette énorme croissance ne survient qu'à l'étape du rattrapage. Le Japon nous a maintenant rejoints.

Nous avons mentionné la Chine. J'ai donc essayé de répondre à certaines de vos questions.

M. Mendelsohn: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. La Chine a d'énormes problèmes bancaires. Certaines de ses banques sont insolvables parce qu'elles ont prêté aux entreprises d'État.

Il y un point intéressant qu'il faut soulever ici. En Indonésie, en Malaisie, en Chine, en Corée et, dans une certaine mesure, au Japon, le problème c'est que les prêts ont été dirigés. Je veux dire par là que les banques ont été incitées, sinon obligées, à prêter aux sociétés et à appuyer les institutions qui finalement n'étaient pas viables. Elles ont ainsi consenti des prêts à mauvais escient. Consentir des prêts est risqué. Des erreurs sont commises. Même si vous consentez des prêts en fonction de décisions de gestion -- des décisions rationnelles économiques, financières, les chiffres peuvent paraître intéressants une journée et ne pas l'être le lendemain et vous perdez de l'argent. La situation est différente lorsque vous devez consentir ces prêts pour respecter une directive. Cependant, qui tenez-vous alors responsable?

Le sénateur Bolduc: Elles sont toutes en situation de conflits d'intérêt.

M. Mendelsohn: C'est la grande différence entre les deux. La Chine tombe manifestement dans la catégorie des pays qui ont ordonné à leurs banques de prêter et de venir en aide aux entreprises d'État qui, dans bien des cas, sont vraiment en faillite.

M. O'Neill: Si les banques commettent des erreurs -- et elles le font, comme les autres entreprises -- en Amérique du Nord et en Europe, elles en subissent les conséquences. Les actionnaires les punissent et les personnes qui ont commis les erreurs se cherchent souvent un emploi ailleurs. Il n'en a pas été ainsi dans ces économies dont nous parlons. En fait, comme les problèmes ont été cachés plutôt que révélés, il est impossible de corriger les erreurs, d'en tirer des leçons et de mieux faire à l'avenir. Il faut un système de réglementation solide et sérieux et de la transparence, ce que n'ont pas ces économies.

En ce qui concerne la Chine, le fait est qu'elle semble commencer à prendre des mesures pour apporter les corrections nécessaires à son système bancaire et ce, de deux façons: en fournissant plus de capitaux et en réformant le système qui rendait les banques captives des entreprises d'État. Elles n'avaient pas d'autre choix que de leur prêter. Au fur et à mesure que ce secteur des entreprises d'État s'amenuisera et accaparera une part beaucoup moins grande de l'économie, le secteur bancaire s'en dégagera progressivement et se renforcera. La Chine commence au moins à prendre des mesures pour effectuer le genre de réformes qui s'imposent.

Nous sommes tous d'accord pour dire que les prix des produits de base en souffriraient. On peut se demander si le prix des produits alimentaires sera grandement touché. Les achats d'aliments ont tendance à moins subir les soubresauts de l'activité économique ou des revenus. Ils seront touchés dans une certaine mesure, mais ne subiront pas les variations spectaculaires de la demande qui peuvent survenir dans le cas des métaux communs ou des produits forestiers par exemple. Il s'agit là des produits de base qui seront le plus touchés par la crise financière.

Le sénateur Whelan: J'ai lu un article sur l'Indonésie d'après lequel une des sources de désaccord entre le FMI et le gouvernement de l'Indonésie porte sur l'escalade du prix des aliments. Le gouvernement a déclaré qu'il continuerait de subventionner le prix des aliments, ce à quoi s'oppose le FMI. Bien qu'ils n'exigent pas forcément que les Indonésiens paient le prix réel, les dirigeants du FMI souhaitent que le gouvernement réduise le niveau des subventions. Comme l'a mentionné l'un d'entre vous, les Indonésiens craignent une insurrection causée par la cherté des aliments.

Ce que vous dites, monsieur O'Neill, ne cadre pas avec ce que je lis dans toutes ces publications financières. Le niveau qu'atteindra le prix des aliments semble être une des grandes sources de préoccupation.

M. O'Neill: Je croyais que la préoccupation était que nous n'avions pas parlé du cours des marchandises, plus particulièrement de leur effondrement. Or, nous en avons parlé.

Le sénateur Whelan: Vous voulez dire au Canada?

M. O'Neill: Sur les marchés mondiaux. Vous êtes en train de parler d'un problème particulier à l'Indonésie, qui a subventionné le prix des aliments et qui, à cause de l'énorme dévaluation de sa monnaie, est confrontée à une hausse draconienne du coût des aliments importés. On ne peut pas parler d'une crise. Savoir si le FMI a raison d'émettre cette directive particulière est une tout autre question. Cependant, je croyais que nous parlions de la question plus générale de l'effet qu'aura la crise asiatique sur le cours mondial des marchandises.

Le sénateur Whelan: Il était effectivement question du cours des marchandises. Celui du blé, du soya et du maïs a déjà commencé à baisser en raison des commandes annulées.

Le président: Il est question des répercussions de la situation sur le volume des exportations canadiennes et sur leur prix, plutôt que sur le prix intérieur des aliments en Indonésie.

Le sénateur Whelan: Sauf votre respect, l'un ne va pas sans l'autre. Comme les Indonésiens ont moins de pouvoir d'achat, ils ne peuvent pas acheter autant d'aliments importés, de sorte que diminue le marché pour nos produits. Notre produit est donc touché, même si 50 p. 100 ou 80 p. 100 du produit importé dans ce pays venaient peut-être des États-Unis. Notre marché est incontestablement affecté par ce qui se produit aux États-Unis, puisque nos produits, par exemple le soya ou le maïs, passent en franchise.

Le sénateur Stollery: En pleine crise, j'ai de la difficulté à faire autre chose que d'en suivre l'évolution avec intérêt. On peut voir le scénario. Que dire? J'essaie d'en saisir les répercussions sur les marchés financiers mondiaux. Je n'ai jamais été un chaud partisan de la mondialisation et j'ai été le seul sénateur à se prononcer contre l'adhésion du Chili à l'accord de libre-échange. Par contre, soit dit en passant, je ne suis pas protectionniste et je ne voudrais pas que vous le pensiez.

Il y a quelques mois à peine, il était question de mondialisation et de marché mondial des capitaux. D'après ce que je peux voir, le marché de l'argent d'une grande région du monde s'est effondré. J'aimerais que vous m'expliquiez les répercussions qu'a la mondialisation sur le secteur financier, plutôt que sous le seul angle des échanges de biens et des ventes d'actions ou d'ordinateurs.

J'aborde une question que je ne connais pas vraiment. Je comprends beaucoup de choses, mais j'aimerais bien que trois sommités comme vous m'expliquent ce que signifie la libéralisation du marché mondial des capitaux.

Le président: J'ai expliqué à certains sénateurs et à d'autres personnes que, selon le sénateur Stollery -- et j'exagère un peu peut-être -- , le phénomène de la mondialisation du secteur financier revient à retirer les parois étanches d'un bateau de sorte que l'eau entraîne des centaines de millions de dollars à la mer. En fait, ce qui survient dans une région du monde peut fort bien s'étendre à une autre et avoir des résultats presque imprévisibles.

M. O'Neill: Le terme «mondialisation» signifie tant de choses différentes selon l'interlocuteur qu'il n'a plus beaucoup cours aujourd'hui. Il signifie à tout le moins l'intégration des marchés internationaux, que ce soit des marchés de capitaux, de biens ou de services, ou encore du marché du travail. Les économies sont de plus en plus interdépendantes. Une façon d'évaluer le phénomène est de voir à quel point la croissance du commerce à l'échelle internationale est plus rapide que celle de la production. En d'autres mots, les biens sont échangés plus vite qu'on ne peut les produire, ce qui signifie que des liens de plus en plus serrés se tissent entre les économies, sur le plan des échanges de biens et de services.

Sénateur Stollery: Je comprends cela.

M. O'Neill: Dire qu'il s'agit d'un phénomène nouveau datant des dix dernières années fait abstraction de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe, quand le ratio du commerce par rapport au produit intérieur brut mondial -- selon les meilleures données dont nous disposons pour cette période -- n'était pas beaucoup plus bas qu'il ne l'est actuellement. Il y eut effectivement une période durant laquelle le commerce a été sensiblement libéralisé, lorsqu'ont été abrogées les lois sur les céréales et ouverts les marchés britanniques, entre autres, au commerce international. Cette période a aussi connu d'énormes mouvements de capitaux à l'échelle internationale. Où avons-nous trouvé l'argent au Canada pour bâtir le réseau ferroviaire?

Le phénomène n'a donc rien de nouveau. De plus, sur les principaux marchés, les fonds ont toujours circulé plus librement que les biens, les services et les personnes.

La nouveauté, bien sûr, est la vitesse à laquelle toutes ces choses peuvent se produire. À mesure que s'améliore la technologie du transport, la distance a de moins en moins d'importance dans le commerce, tout comme le temps. À mesure que se font les percées technologiques dans le domaine de l'information, les données circulent beaucoup plus vite qu'auparavant, tout comme les transactions s'effectuent plus vite -- le mouvement peut être instantané. Dans le cas du marché des capitaux, il est question en réalité de la rapidité accrue avec laquelle s'effectuent les transactions. Étant donné que l'économie du monde est en pleine expansion, le volume de ces transactions croît en parallèle. On pourrait croire que l'on assiste à une révolution sur les marchés de capitaux mondiaux, à du jamais vu.

Or, il n'en est rien. Il s'agit d'une tendance de longue date qui se maintient. Elle est accélérée à la fois par la croissance de l'économie mondiale et par la révolution technologique, particulièrement celle de l'information, qui nous permet de transmettre instantanément les transactions et les données à leur sujet.

Le sénateur Stollery: Dans son rapport de juin sur la mondialisation -- rapport qu'il regrette d'avoir rendu public, si mes soupçons sont justes --, le FMI donne la même explication, mais il faut aussi remarquer une différence. L'énorme croissance du capital et des investissements qui a pris fin en 1914 présentait une caractéristique absente aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il n'y eut jamais de période aussi intense de mobilité de la main-d'oeuvre à l'échelle internationale. Les capitaux suivaient la main-d'oeuvre. Or, il n'y a jamais eu de période de moins grande mobilité de la main-d'oeuvre qu'actuellement. Les capitaux circulent, mais la main-d'oeuvre n'arrive pas à les suivre. Dans le passé, on avait investi dans les chemins de fer aux États-Unis; il y a avait toutes ces personnes qui se déplaçaient, et ainsi de suite. Il y a une distinction importante à faire ici.

Le président: J'aimerais renchérir sur ce que vient de dire mon collègue. Il a été question de la nature nouvelle du marché mondial des capitaux. Au Canada, nous avons un surintendant des institutions financières. De ce que vous avez dit, j'en conclus que vous estimez que le surintendant fait bien son travail en vue de préserver la stabilité et la réputation de notre système financier. Existe-t-il quelque chose de comparable dans ce marché mondial des capitaux où tout se déroule avec tant de rapidité?

De plus, si l'on s'éloigne de la discussion générale sur le marché, qu'en est-il de ces pays qui font l'objet de notre discussion? Existe-t-il l'équivalent de notre surintendant des institutions financières dans un de ces pays, au Japon ou en Corée du Sud par exemple?

Je devine que la prochaine question du sénateur Stollery sera: si le marché des capitaux se mondialise si rapidement et qu'au Canada, nous avons besoin d'un surintendant des institutions financières, comment pouvons-nous nous sentir à l'aise au sein d'un marché mondial où il n'y en a pas?

M. McCallum: J'aimerais essayer de vous répondre. Je reviendrai également sur la question du sénateur Stollery. En ce qui concerne la mondialisation, parlons un peu de biens et de capitaux. Nous passerons ensuite à la question du surintendant des institutions financières.

De toute évidence, l'écart s'est agrandi dans les pays occidentaux, surtout aux États-Unis, durant la dernière décennie. Certains blâment l'élargissement de ce fossé sur le commerce et la libéralisation des marchés. C'est peut-être pourquoi vous avez voté contre l'adhésion du Chili.

Le sénateur Stollery: J'ai voté contre parce que les arguments étaient si léonins que cela ne pouvait pas être bon.

M. McCallum: Mon interprétation des faits me fait dire que l'inégalité a incontestablement cru. Cependant, le phénomène n'est pas attribuable à l'ouverture de nos marchés. Ainsi, les États-Unis, qui font peu de commerce avec l'extérieur par rapport à l'importance de leur économie, sont le pays où l'inégalité a le plus augmenté. L'Occident en entier vit une crise technologique -- c'est-à-dire un changement technologique -- qui entraîne une baisse de la demande de travailleurs non spécialisés par rapport à la demande de travailleurs spécialisés. C'est essentiellement la cause de notre plus grande inégalité, mais on accuse le commerce.

Passons maintenant aux mouvements de capitaux, qui sont le point essentiel. Il faut décider si ce que l'on veut, ce sont des mouvements de capitaux et des investissements directs étrangers à long terme ou des capitaux spéculatifs. La plupart des pays, y compris le Canada, rivalisent entre eux pour attirer le plus d'investissements directs étrangers parce qu'ils favorisent la croissance et créent de l'emploi. Une grande partie des mouvements de capitaux ont pris la forme d'investissements directs étrangers. Ce n'est pas cette partie qui est controversée. La controverse tient aux capitaux spéculatifs. La crise asiatique a fourni d'autres armes aux opposants.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, le pays dont les frontières sont les plus fermées, c'est-à-dire la Chine, a jusqu'ici réussi à échapper à la crise grâce à sa monnaie inconvertible. À long terme, l'ouverture des marchés profitera à tous. C'est donc une bonne chose. L'ordre dans lequel cela se fait a beaucoup d'importance. L'économie peut être déstabilisée. Si vous ouvrez vos marchés aux capitaux spéculatifs sans vous être auparavant inquiété de la santé financière de vos banques et des autres institutions, vous cherchez simplement les ennuis.

La crise asiatique ne justifie pas la fermeture des frontières, mais plutôt une réforme ordonnée, sans quoi vous aurez des ennuis.

M. Larry Summers a utilisé l'analogie des jets. Il a dit que les jets nous permettent de nous déplacer du point A au point B très rapidement, avec beaucoup d'efficacité et, en règle générale, en sécurité. C'est la même chose pour l'ouverture des marchés. Ceux qui aimeraient que l'on cesse d'utiliser les jets ne sont pas nombreux. Cependant, nous réclamons que les pratiques de sécurité soient renforcées et bien appliquées en vue de réduire au minimum le nombre d'écrasements. Dans cet univers de mondialisation où nous disposons de tous ces jets, nous nous sommes enrichis, nous sommes devenus plus efficaces et nous pouvons aller du point A au point B plus vite. Cependant, quand se produit un écrasement, il a tendance à être plus gros. L'idée n'est pas d'abolir les jets, mais d'améliorer le système de sécurité.

Enfin, nous en arrivons à la question du surintendant des institutions financières. Le Canada a un bon surintendant. Seulement trois banques ont fait faillite au Canada depuis 1923. En théorie, d'autres pays comme le Japon, la Corée, voire l'Indonésie, ont l'équivalent d'un BSIF, mais bien souvent, la surveillance n'est pas très efficace à cause du manque de transparence, du népotisme du régime et du risque d'être arbitrairement mis à la porte par le président si vous ne lui dites pas ce qu'il veut entendre. Ce n'est pas la réduction des déficits publics qui figure en tête de liste des réformes exigées par le FMI et d'autres organes internationaux -- elle ne pose pas de problèmes -- , mais bien la mise en place là-bas de bureaux de surveillance des institutions financières qui sont aussi bons, en fin de compte, que le nôtre.

De plus -- voilà ce vers quoi s'orientent certains organismes internationaux -- , on se dirige vers des systèmes internationaux. En d'autres mots, on vise à élargir le rôle d'une association internationale de surintendants d'institutions financières ou d'un quelconque organe international qui appliquerait les normes comptables généralement reconnues et qui surveillerait avec constance les institutions financières. Il faudra combiner des organes de surveillance nationaux aux reins beaucoup plus solides et une présence plus intensive des organes internationaux, appelés à accroître leur rôle probablement à mesure que s'intégrera le monde.

Sénateur Bolduc: Dans le sens de la proposition faite par M. Sorros?

M. McCallum: Il a dit des choses sensées et d'autres choses à mon avis moins sensées. Si je me souviens bien, il souhaitait l'établissement d'un organe à caractère plus international pour assurer la réglementation. C'est là une bonne chose, selon moi.

M. Mendelsohn: Nous avons parlé des pouvoirs de réglementation, mais nous ne nous sommes pas arrêtés à la qualité de ceux qui gèrent le risque au sein des institutions. Quand vous allez dans ces pays pour rencontrer les dirigeants des institutions, il n'est pas étonnant de constater un manque de connaissance des techniques de gestion du risque en raison de la nature des transactions bancaires effectuées et du genre de rapports qui existent là-bas. On commence à être mieux informé, mais c'est un processus long.

Malheureusement, la seule façon d'apprendre consiste à répéter les erreurs que nous avons nous-mêmes commises périodiquement et que nous ferons invariablement. C'est un apprentissage nécessaire, non seulement au niveau des pouvoirs de réglementation, mais au niveau aussi des institutions. Si vous prévoyez un pouvoir de surveillance des organes de réglementation uniquement, il vous faudra prévoir, au sein de ce bureau, un groupe distinct qui sera chargé de voir à chaque institution financière du pays.

Le président: En d'autres mots, vous ne voulez pas que les pouvoirs de réglementation dirigent les banques.

M. Mendelsohn: Non. Vous souhaitez avoir au sein des institutions des personnes qui verront les signaux d'alarme avant les pouvoirs de réglementation. Il est parfois trop tard, quand le pouvoir de la réglementation s'en rend compte.

Le sénateur Bolduc: Il existe aussi un autre facteur, soit le problème culturel là-bas. Si l'élite politique n'a pas les mains propres, il en sera même de l'administration publique. Les deux vont de pair. Cela s'est déjà vu, au Canada et dans certaines provinces. Donc, il est impossible d'avoir une bonne administration ou une bonne fonction publique, par exemple, si tout le processus politique est corrompu.

Le sénateur Stollery: Ce débat a été intéressant. J'aimerais en savoir davantage à propos des capitaux spéculatifs. Je crois comprendre la différence entre l'investissement, l'argent, et les prêts à court terme, et c'est là que les catastrophes semblent continuellement frapper. J'aimerais en savoir davantage à ce sujet.

Je ne comprends pas vraiment pourquoi, tous les huit ans, les banquiers sont si surpris de se faire voler un milliard de dollars par des personnes corrompues là-bas. Auriez-vous des commentaires à nous faire à ce sujet? Après un bout de temps, il peut y avoir un scandale. Les gens de la place sont les premiers informés et prennent l'argent. Est-ce quelque chose qu'il faudrait éviter? Comment l'éviter?

M. O'Neill: Il y a tout d'abord la possibilité que des gens commettent des erreurs, qu'ils débordent d'un enthousiasme irrationnel et qu'ils minimisent le risque de faire crédit à une personne en particulier ou de faire un investissement.

Je ne suis pas sûr qu'il serait possible d'interdire ce manque de discernement en adoptant une loi ni qu'on voudrait le faire.

Vous laissez sous-entendre que l'on n'apprend pas des erreurs du passé. Je me contenterai de répéter ce que j'ai dit tout à l'heure. Le risque couru par les institutions financières canadiennes en Asie est très limité par rapport à ce qu'on avait peut-être pu voir dans le passé, et il en va certes de même dans certaines banques américaines et européennes.

Le sénateur Stollery: Les Allemands risquent d'y perdre 5 millions de dollars à peu près. Ou est-ce plutôt cinq milliards?

M. O'Neill: Les Allemands commettent l'erreur, et nous évitons de la répéter.

Le sénateur Stollery: Toutefois, dans ce fameux marché mondial des capitaux, nous faisons partie du même tout, n'est-ce pas? Les Allemands perdent des montants faramineux, ce qui nous touche pour les raisons qui ont déjà été données.

M. Mendelsohn: Nous ne devrions pas en être affectés à moins que l'institution étrangère particulière, par exemple une banque allemande, n'éprouve des difficultés, ce qui perturberait ses échanges avec les autres banques.

La Thaïlande et l'Indonésie ont toujours figuré à l'avant-plan des risques éventuels. La Corée en était aussi, mais plus en retrait, car nous estimions qu'elle avait réglé la plupart de ses problèmes. Ce qui nous a tous pris par surprise, c'est l'effet de contagion, la rapidité avec laquelle le phénomène s'est étendu au reste de la région et son envergure. Il était impossible de le freiner. Nous avons fait tout ce travail, et chaque institution tente d'une façon qui lui est propre d'intégrer des processus de gestion du risque pour éviter justement de pareilles situations. Parfois, je crois que les nouvelles techniques de mesure du risque nous donnent peut-être une fausse impression de sécurité, de sorte que l'on est moins prudent. Le monde évolue si rapidement, tout comme les produits d'ailleurs.

M. O'Neill: Je n'ai pas eu l'occasion de mentionner quelques points. La notion selon laquelle on peut légiférer ou réglementer de manière à éliminer tous les hics d'un système, qu'il soit à caractère international ou national et de nature financière ou autre, me semble fondamentalement fausse, en bout de ligne. Il est impossible de le faire. On ne peut pas adopter une loi pour empêcher les gens de commettre des erreurs. En fait, on ne voudrait probablement pas le faire.

Le sénateur Stollery: Cependant, on le fait quand une banque a fait faillite. On en parle encore, et il n'y a pas eu de faillite bancaire depuis lors, comme vous l'avez vous-même fait remarquer.

M. O'Neill: On peut mettre en place des systèmes qui réduisent au minimum le risque. Il est question ici des mesures qui s'imposent au sein des économies asiatiques. Ce n'est pas la même chose que de dire qu'on a besoin d'un organe multinational ou mondial de réglementation qui a inconditionnellement le pouvoir -- on ne pourrait pas lui conférer ce genre de pouvoir, de toute façon -- de réduire sensiblement le risque que de pareilles erreurs soient commises ou qui empêcherait vraiment les gens de commettre des erreurs et dont le rôle lui permettrait de le faire. Je ne crois pas que cela soit possible.

Je ne suis pas d'accord avec ce qu'a dit M. McCallum au sujet du contrôle à court terme. L'idée d'adopter des règlements à l'égard même des systèmes financiers les moins développés me rappelle un peu le vieil argument en faveur de la protection tarifaire. Le problème avec ce raisonnement, c'est que le système financier risque de ne jamais vraiment atteindre sa maturité parce qu'il trouvera toujours une raison de maintenir en place les restrictions s'appliquant aux mouvements de capitaux.

Quelles sont les chances que les économies d'Asie se dotent de meilleures structures de surveillance, de meilleurs organes de réglementation, suite à la crise que nous venons de traverser? Selon moi, la probabilité en est beaucoup plus grande. Si l'on avait eu en place des systèmes visant à prévenir pareils événements, il ne serait peut-être pas possible d'effectuer la réforme structurelle qui est actuellement en cours là-bas. Ces économies ont été obligées de prendre de l'expansion plus rapidement qu'elles ne l'auraient peut-être souhaité. Elles en ont payé le prix. Toutefois, en bout de ligne, le fait d'avoir dû le faire les a probablement rendues meilleures.

M. McCallum: Je ne vois pas en quoi nous ne sommes pas d'accord. En raison de la crise, il est bien plus probable qu'elles subiront une réforme structurelle.

Quant à la question fondamentale de savoir pourquoi les banques continuent de se mettre les pieds dans les plats et ce qu'il faut faire à ce sujet, j'estime que le problème est dû en partie à la nature humaine. On dit qu'il existe un cycle du crédit naturel caractérisé tout d'abord par la cupidité, suivie, lorsque survient la crise, de la crainte. On surmonte graduellement sa crainte, et la cupidité refait surface. Dans une certaine mesure, on ne réussira jamais à l'éviter.

Deux facteurs exacerbent la situation, et il existe deux moyens d'y réagir. Tout d'abord, au sein même d'une banque, il existe peut-être des incitatifs contre-indiqués. Ceux qui gèrent les comptes sont peut-être récompensés pour l'accumulation maximale de prêts sans égard à la qualité des emprunteurs. Si on leur permet de s'en sortir indemnes, on prépare la catastrophe au sein même de l'institution. Il faut prévoir des mécanismes et des incitatifs au sein de la banque en vue d'empêcher que le moteur ne s'emballe.

Le deuxième élément susceptible d'accentuer le cycle de la cupidité et de la crainte est un gouvernement qui réagit mal. Si elle a une entente implicite avec le gouvernement selon laquelle, si elle a des ennuis, il lui viendra en aide, comme ce que nous avions en Asie, la banque sera un peu casse-cou, si vous me passez l'expression, parce qu'en cas d'ennuis, elle sait que le gouvernement la dépannera.

Le parfait monde où il ne se commet pas d'erreurs n'existe pas. Chaque banque est responsable, en partie, d'offrir des incitatifs et une rémunération qui encouragent la prudence. C'est ce que nous avons fait, soit dit en passant. Cependant, je parle des banques en règle générale.

Il faut que les gouvernements hésitent à offrir des garanties implicites, qui ne font qu'encourager des agents rationnels à prendre des risques inutiles. Le FMI n'a pas encore réglé cette question. Il est en train de l'étudier à l'heure où l'on se parle, mais nul n'a encore trouvé la solution.

Le président: Honorables sénateurs, il est déjà 17 heures passées. Nous avons eu un excellent débat, fort utile. Messieurs O'Neill, Mendelsohn et McCallum, nous vous en sommes très reconnaissants. Je vous remercie.

La séance est levée.


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