Délibérations du comité sénatorial permanent
des
affaires étrangères
Fascicule 13 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 21 avril 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 18 afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada (droits de la personne en Asie).
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, cet après-midi nous reprenons nos audiences sur l'importance de la région de l'Asie-Pacifique. Cet après-midi nous mettrons l'accent sur les droits de la personne en Asie.
Pour nous aider avec ce sujet -- d'ailleurs très important -- nous accueillons Margaret Huber, directrice générale de la Direction générale de l'Asie du Nord et du Pacifique du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Elle a travaillé dans la région et connaît bien les conditions socio-économiques qui y existent.
Mme Ingrid Hall possède beaucoup d'expérience en Asie puisqu'elle a été conseillère aux Philippines et ambassadrice en Indonésie. Elle est maintenant directrice générale de la Direction générale de l'Asie du Sud et du Sud-Est, Asie-Pacifique et Afrique, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
M. Mario Renaud est directeur général des politiques et de la planification stratégique, Direction générale de l'Asie, pour l'Agence canadienne de développement international. Il possède une vaste expérience. Il a été affecté à l'ambassade canadienne à Jakarta et de 1989 à 1991 y a exercé les fonctions de conseiller en développement. Il a travaillé en Amérique du Sud à l'ambassade canadienne au Pérou, puis comme directeur régional de la région des Andes, avec une ONG installée à Montréal, le Centre canadien d'études et de coopération internationale. Il a débuté sa carrière en développement international en 1970 comme bénévole pour le CUSO au Malawi et à Madagascar. Il travaille à l'ACDI depuis 1974.
M. Earl Drake est l'ancien ambassadeur du Canada en République populaire de Chine, l'ancien sous-ministre adjoint pour l'Asie-Pacifique au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et est maintenant professeur auxiliaire du David Lamb Centre for International Communication à l'Université Simon Fraser.
Le professeur Errol P. Mendes est membre du comité du tribunal des droits de la personne. Le professeur Mendes est né au Kenya. Il a fait des études de premier cycle à l'Université d'Exeter en Angleterre. Puis il a fait des études supérieures en droit à l'Université de l'Illinois. Il a été convoqué au Barreau de l'Ontario en 1986.
Nous avons donc un vaste éventail d'experts. Je demanderai d'abord aux représentants du ministère et de l'ACDI de prendre la parole. Puis je passerai au professeur Mendes car je crois comprendre qu'il a un autre engagement plus tard cet après-midi. Nous demanderons au professeur Drake de conclure cette première partie, le premier acte de la prestation de cet après-midi.
Madame Huber, si vous voulez bien commencer.
Mme Margaret Huber, directrice générale, Direction générale de l'Asie du Nord et du Pacifique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à participer au débat sur les droits de la personne en Asie, surtout à l'occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Comme le respect des droits de la personne en Asie du Nord et du Pacifique varie considérablement et que notre temps est limité, je mettrai surtout l'accent sur deux pays: la Corée du Nord et la Chine.
En ce qui concerne non pas la Corée du Nord mais la Corée, je tiens à signaler qu'à la réunion de la semaine dernière sur les droits de la personne qui a débuté à Genève, un dirigeant asiatique, le président Kim Dae-jung de la Corée du Sud, faisait partie des quatre éminentes personnalités invitées à transmettre des messages par vidéo -- reconnaissant ainsi le propre travail accompli par le président Kim Dae-jung dans le domaine des droits de la personne.
En ce qui concerne le dossier de la Corée du Nord en matière de droits de la personne, la Corée du Nord est une dictature unipartite dont l'idéologie est dominée par des notions d'autonomie et par la suprématie du parti travailliste coréen. Cette structure est enchâssée dans une constitution laquelle est censée, en théorie, protéger et promouvoir les droits de la personne mais qui favorise en réalité la prééminence du régime.
La politique des droits de la personne de la Corée du Nord s'intéresse davantage aux responsabilités qu'aux droits et les droits de la personne limités prévus en vertu de la Constitution sont garantis uniquement dans la mesure où l'individu s'acquitte de ses responsabilités envers l'État. Cela a incité de nombreux membres de la communauté internationale à condamner la Corée du Nord pour ce qu'ils considèrent comme des politiques draconiennes en matière de droits de la personne et une application oppressive de la loi.
En août 1997, la Corée du Nord a annoncé qu'elle se retirerait du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À l'époque, le Canada avait publié une déclaration officielle critiquant le retrait de la Corée du Nord du pacte au cours de l'assemblée générale qui a suivi sur les droits de l'homme. Nous avons réitéré cette position à l'occasion de la réunion de la Commission des droits de la personne qui se déroule à l'heure actuelle à Genève.
En ce qui concerne pratiquement chaque critère, que ce soit l'atteinte à la vie privée, l'ingérence dans la famille et dans le ménage, les arrestations arbitraires, la détention ou l'exil, le déni d'un procès public équitable, la torture et autres punitions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Corée du Nord viole les droits de la personne.
Le Canada n'entretient pas de relations diplomatiques normales avec la Corée du Nord mais vu le sort du peuple nord-coréen, le Canada a participé activement à des mesures d'aide humanitaire.
En ce qui concerne les droits de la personne en Chine, il s'agit d'un cas entièrement différent de celui de la Corée mais qui n'en inquiète pas moins le Canada, surtout en ce qui concerne les questions de dissidence politique, de liberté religieuse, de détention administrative et de recours à la peine de mort. Notre politique envers la Chine vise surtout à promouvoir un plus grand respect de droits de la personne en appuyant des changements positifs et en jetant les bases nécessaires à cet égard. Nous participons à un certain nombre d'initiatives destinées à promouvoir les droits de la personne, le bon gouvernement et le respect de la loi en Chine.
En avril 1997, le ministre Axworthy a annoncé une série d'initiatives en matière des droits de la personne entre le Canada et la Chine. Il s'agissait essentiellement d'un moyen d'indiquer les programmes et les initiatives que nous visions en matière de politique. Il s'agissait principalement de constituer un comité mixte sur les droits de la personne et d'organiser un symposium multilatéral sur les droits de la personne dont le Canada et la Chine seraient les hôtes conjoints. Le comité mixte s'est réuni deux fois en 1997; à Ottawa en juillet et à Beijing en octobre. Des discussions très ouvertes se sont déroulées sur toute une gamme de questions dont les droits des enfants, des femmes, des minorités et des accusés.
Devant le succès de ces dialogues bilatéraux, nous avons réussi à organiser un symposium mixte Canada-Chine sur les droits de la personne qui s'est tenu en Colombie-Britannique au début mars et auquel le professeur Mendes a également participé.
Je parlerai de cet événement marquant de façon plus détaillée dans un instant mais je tiens également à souligner que le Canada aide la Chine à réviser son code pénal, à élaborer un droit de la preuve, un système judiciaire accusatoire, un système d'aide juridique et à mettre en oeuvre l'obligation qui incombe à la Chine en vertu de la Convention des Nations Unies contre la torture.
Le symposium multilatéral sur les droits de la personne marquait la première fois que la Chine assumait un rôle de leadership dans une tribune multinationale sur les droits de la personne. Les discussions ont été très franches et ouvertes et ont permis de faire progresser le débat sur les droits de la personne en Chine. L'ordre du jour, qui avait été convenu à l'avance par les deux pays hôtes, a mis l'accent sur les dimensions juridiques des droits de la personne, y compris les liens qui existent entre les droits économiques, sociaux et culturels et les droits civils et politiques. Il a également mis l'accent sur les limites imposées à la liberté d'opinion et d'expression, sur le rôle de la magistrature dans la promotion et la protection des droits de la personne et sur le rôle des organisations non gouvernementales dans le développement de la société et des politiques.
En plus de la participation du Canada et de la Chine qui étaient les hôtes conjoints de cet événement, des représentants de neuf autres pays étaient présents, ainsi que le Commissaire canadien des droits de la personne, Mme Falardeau-Ramsay, et des représentants de la Commission des droits de la personne des pays participants ayant des comités des droits de la personne. L'ombudsman pour les droits de la personne en Norvège était aussi présent et nous a permis de constater une autre façon dont un pays peut protéger, maintenir ou faire progresser les droits de la personne.
Nous avons trouvé très encourageant que la Chine annonce, peu de temps après le symposium, son intention d'adhérer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous avons incité la Chine à le signer le plus tôt possible et à procéder à sa ratification dans des délais raisonnables. Nous sommes également heureux de constater que le haut commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies, Mary Robinson, a été invitée à visiter la Chine, invitation qu'elle a d'ailleurs acceptée. Je crois comprendre que sa visite aura probablement lieu en juin.
Nous nous sommes également réjouis de la libération de certains dissidents célèbres, notamment Wei Jingsheng et le week-end dernier, Wang Dan. Nous espérons que d'autres personnes incarcérées à cause de leurs convictions politiques seront libérées et autorisées à vivre librement en Chine.
Le Canada aborde également les questions de droits de la personne avec la Chine dans le cadre de projets de développement financés par l'ACDI. Mario Renaud vous en parlera ainsi que d'autres questions connexes.
Au cours de visites de hauts placés, comme les visites du ministre Axworthy ou plus récemment du ministre du Commerce Marchi, nous abordons les questions qui nous préoccupent en matière de droits de la personne avec nos interlocuteurs chinois. Nous nous préoccupons également de la situation des droits de la personne au Tibet et avons profité des occasions qui se sont présentées pour insister sur un plus grand respect des droits de la personne en Chine en général et au Tibet en particulier. En mai 1997, notre ambassadeur à Beijing, Howard Balloch, s'est rendu dans la capitale tibétaine pour étudier la situation des droits de la personne et de la liberté de religion au Tibet.
Le comité mixte Canada-Chine des droits de la personne se réunira à nouveau et nous espérons faire fond sur les progrès que nous avons réalisés jusqu'à présent. Nous utiliserons toutes les tribunes à notre disposition pour contribuer à améliorer la situation des droits de la personne en Chine. Nous nous rendons parfaitement compte que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Le vaste éventail d'initiatives prévues indique toutefois clairement l'engagement du Canada à promouvoir des changements de l'intérieur en coopérant avec le gouvernement et dans la mesure du possible en oeuvrant au sein même de la société.
Je terminerai ici. Mario Renaud vous parlera très brièvement maintenant et prendra à nouveau la parole après la présentation d'Ingrid Hall sur l'Asie du Sud. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions lors de la période de questions. Je vous remercie.
Le président: Monsieur Renaud, vous avez la parole.
[Français]
M. Mario Renaud, directeur général, Direction de la planification stratégique et des politiques, Direction générale de l'Asie, Agence canadienne de développement international: J'aimerais profiter de l'occasion qui m'est donnée pour situer le programme de l'ACDI dans le cadre des politiques qui nous affectent et aussi pour commenter brièvement la présentation de Margaret Huber.
Les activités de gouvernance, de démocratisation et de droits de la personne sont relativement récentes de façon légitime dans le cadre du développement international. Ce n'est que tout récemment que l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économique, a inclus de façon régulière la priorité sur les aspects de gouvernance et de respect des droits de la personne.
Dans le monde du développement international, il est maintenant légitime d'utiliser les programmes d'aide au développement pour faire avancer la cause de la bonne gouverne et des droits de la personne.
Cela ne veut pas dire que l'ACDI, ou le gouvernement canadien via l'ACDI, n'a jamais été impliqué dans ce domaine d'intervention par le passé. Dans les années 1970, on peut se rappeler que l'ACDI parlait de développement participatif.
Par la suite, on peut se rappeler les importantes contributions que le gouvernement canadien a faites via l'ACDI pour les femmes, le travail des ONG, et plus récemment, au niveau de l'environnement, pour établir un dialogue avec les pays en développement en ce qui concerne les réformes sociales et économiques.
Les activités de l'ACDI ont lieu dans le cadre de la politique étrangère du Canada. Elles donnent l'importance à la bonne gouvernance et au respect des droits de la personne au niveau de la projection des valeurs canadiennes et de la promotion de la sécurité globale.
On vous a fait parvenir la semaine dernière quelques documents d'information, notamment la politique du gouvernement canadien pour l'ACDI en matière de droits de la personne, de démocratisation et de bon gouvernement. J'aimerais vous citer l'énoncé général de la politique dirigeant les interventions de l'ACDI dans ce domaine d'activités.
Essentiellement, à travers le programme de coopération au développement, la politique du gouvernement canadien est de renforcer aussi bien la volonté que la capacité d'agir des pays en développement afin que les droits des enfants, des femmes et des hommes soient respectés et de leur permettre de gouverner efficacement et de façon démocratique.
Les différents types d'intervention nous amènent à travailler au renforcement des capacités de la société civile -- que ce soit les organismes non gouvernementaux, les institutions ou les universités -- afin d'accroître la participation populaire au niveau de la prise de décision, de favoriser la promotion des institutions démocratiques -- qu'on parle des systèmes légaux, juridiques ou exécutifs -- et la compétence du secteur public de façon à favoriser l'exercice efficace et intègre du pouvoir.
Donc, il est légitime, à travers le programme de coopération au développement, d'appuyer ce type d'organismes et ainsi la volonté des dirigeants à respecter les droits.
Comme je le mentionnais un peu plus tôt, il est encore très récent que cette légitimation des activités des programmes de coopération internationale au développement se porte vers ce type d'intervention.
D'autre part, on doit se dire que le Canada est probablement dans une position privilégiée à travers son programme de coopération pour poursuivre des activités dans ce domaine d'intervention. Effectivement, il y a de plus en plus de pays qui essaient de pousser leurs agences de coopération internationale à travailler dans ce domaine. De par la nature et le type de relations que nous avons établies, notamment en Asie, avec aussi bien les autorités gouvernementales que les organismes non gouvernementaux, on se retrouve dans une position privilégiée pour établir un dialogue constructif et efficace dans ce domaine.
Il va de soi que l'ACDI ne peut pas travailler toute seule, d'où l'importance d'établir des partenariats avec les institutions canadiennes, surtout quand on parle du type d'intervention où l'on soutient la mise en place de commissions nationales des droits de la personne ou des commissions électorales ou même des bureaux d'ombudsman. On a ici des gens, comme le docteur Drake, qui sont des représentants d'institutions, avec lesquels l'ACDI fait naturellement affaire.
La méthodologie privilégiée n'est pas pour l'ACDI d'exporter le modèle des institutions canadiennes. Nous essayons au départ de soutenir les efforts locaux via l'identification de champions et d'experts locaux, et à travers un dialogue constructif, faire avancer le débat.
En Chine, comme Mme Margaret Huber l'a mentionné un peu plus tôt, nous travaillons de très près avec le ministère des Affaires étrangères à la mise en oeuvre de la politique canadienne dans ce domaine. Vous avez reçu des informations sur les diverses activités de l'ACDI aussi bien en Asie que dans des pays comme la Chine et l'Asie du Sud-Est. Je voudrais mentionner que ce document d'information a été préparé en 1997 dans le cadre de l'année de l'Asie- Pacifique. Cette année, nous allons terminer les pamphlets d'information pour l'Asie du Sud.
Pour revenir à la Chine, je voudrais simplement porter à votre attention trois projets dans lesquels l'ACDI est impliquée plus précisément.
[Traduction]
Un programme destiné à appuyer la mise en oeuvre des droits des femmes en Chine est en train d'être mis sur pied par l'entremise de l'Association des collèges communautaires canadiens. Il s'agit d'un programme qui se consacre à l'élaboration de mécanismes de mise en oeuvre des droits des femmes en Chine. Ce programme prévoit entre autres aider à mettre sur pied des cliniques d'aide juridique et à offrir une formation générale pour la magistrature et la police.
Mme Huber a parlé du projet de réforme du code pénal mis sur pied en collaboration avec un institut de la Colombie-Britannique. Ce projet se poursuit. On est en train d'en concevoir la deuxième étape qui portera sur la révision du code de procédure pénale.
Par ailleurs, le projet Canada-Chine de formation des juges des tribunaux supérieurs est en train d'être mis sur pied. Il vise à établir un dialogue avec les juges des tribunaux supérieurs pour leur permettre de se familiariser avec les théories et pratiques judiciaires et juridiques occidentales et les aspects fondamentaux de la primauté du droit.
Je poursuivrai après la présentation de Mme Hall.
Mme Ingrid Hall, directrice générale de la Direction de l'Asie du Sud et du Sud-Est, Asie-Pacifique et Afrique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Nous avons déjà abordé la situation en Corée du Nord et en Chine. J'ai l'intention de procéder pays par pays en Asie du Sud et du Sud-est où la situation des droits de la personne est attribuable en partie à la pauvreté, en partie à des troubles civils internes et en partie au système politique et économique.
Je mettrai l'accent sur les pays dont de nombreux ressortissants sont maintenant installés au Canada, sur les pays où les ONG canadiennes ont récemment soulevé des questions et sur les pays dont la situation des droits de la personne nous préoccupe beaucoup. Il ne faut surtout pas oublier que la situation diffère dans chaque pays. Dans certains pays, la situation est en train de se détériorer et je songe en particulier à l'Afghanistan et à la Birmanie. Dans d'autres pays, on constate de très nettes améliorations comme en Thaïlande et en Indonésie, ce qui n'est toutefois pas le cas au Timor oriental.
Commençons par l'Afghanistan. La situation des droits de la personne en Afghanistan est tout simplement la pire qui puisse exister. La guerre entre les taliban et les factions de l'Alliance du Nord se poursuit et a des conséquences désastreuses pour les droits de la personne et les efforts humanitaires. La détérioration des droits des femmes dans les régions contrôlées par les taliban, c'est-à-dire aujourd'hui 75 p. 100 de l'Afghanistan, suscite de plus en plus d'inquiétude au Canada et dans la communauté internationale. Des restrictions très sévères ont été imposées aux femmes et aux filles en ce qui concerne l'accès aux aspects fondamentaux de la vie, c'est-à-dire l'éducation, l'emploi, les soins de santé et la liberté de circulation.
De nouveaux arrêtés ont été émis, qui imposent des restrictions aux femmes musulmanes expatriées qui, ces dernières années, ont constitué le personnel essentiel de la plupart des projets humanitaires en Afghanistan. Par conséquent, les relations entre les taliban et les organismes de l'ONU ainsi que les ONG continuent de se détériorer et de nombreux organismes de l'ONU sont en train de se retirer.
Les objectifs du Canada sont essentiellement triples: d'abord, mettre davantage en évidence sur le plan international les droits de la personne et les droits des femmes et inciter les taliban à modifier leurs façons de faire; deuxièmement, s'assurer qu'une aide humanitaire est fournie aux personnes les plus vulnérables et que la prestation de cette aide soit conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne; et, troisièmement, appuyer la recherche d'un règlement pacifique grâce à une mission spéciale de l'ONU.
Le ministre Axworthy a exprimé sa vive préoccupation à propos de la situation des femmes en Afghanistan lors de l'allocution qu'il a prononcée à l'occasion de l'Assemblée générale de l'ONU à New York l'automne dernier. Il a réitéré sa préoccupation en mars de cette année lors du discours-programme qu'il a prononcé devant le commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme à Genève. Le ministre Axworthy a rencontré le haut commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme et a abordé particulièrement la situation en Afghanistan en préconisant que Mary Robinson y joue un rôle plus important.
Nous avons souligné dans notre rapport de situation à la Commission la situation «atroce» -- et c'est l'adjectif que nous avons utilisé -- des femmes afghanes. Nous travaillons en collaboration avec d'autres pays pour élaborer une résolution ferme concernant l'Afghanistan. On prévoit étudier la plupart des résolutions concernant ce pays aujourd'hui et demain. Donc cette audience arrive au bon moment. Malheureusement, nous ne pouvons pas vous donner les résultats des votes parce qu'ils ont lieu aujourd'hui, demain et le surlendemain.
En mars de cette année, lors de la réunion de la Commission de la condition des femmes à New York, la délégation canadienne a renforcé puis coparrainé la résolution axée sur la violation des droits de la personne et des droits des femmes en Afghanistan. Nous avons communiqué nos préoccupations directement aux taliban et nous avons incité le Pakistan à user de son influence auprès d'eux. C'est d'ailleurs ce qu'a fait le ministre Chan à l'occasion d'une visite récente et ce que j'ai moi-même fait à titre de chef de la délégation de hauts fonctionnaires en décembre.
Nous continuons de maintenir le dialogue avec toutes les ONG dans ce pays qui ont indiqué être vivement préoccupées par la situation des femmes en Afghanistan. À l'échelle multilatérale, nous offrons une aide humanitaire axée sur les secteurs vulnérables de la population afghane, non seulement les femmes mais aussi les enfants et surtout les fillettes. Nous mettons l'accent sur le déminage, les soins de santé, l'aide aux personnes déplacées, le rapatriement et l'aide alimentaire. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Union européenne et les États-Unis au cadre stratégique de l'ONU pour les activités de secours afin de nous assurer que la prestation de l'aide est conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne et que cette aide continue d'être fournie à la plupart des femmes et des enfants.
Mais, à cause du dernier arrêté des taliban qui exige qu'une femme musulmane expatriée soit accompagnée d'un parent proche masculin dans un grand nombre de ses activités en Afghanistan, les possibilités de secours humanitaire en Afghanistan sont faibles. Les femmes en Afghanistan ne permettent pas à un homme musulman d'entrer chez elles.
Je parlerai maintenant du Bangladesh. Bien qu'en juin 1996, la Ligue Awami dirigée par le cheikh Hasina ait remporté les élections générales et que ces élections aient été considérées libres et équitables par les observateurs internes et internationaux, l'instabilité politique demeure un problème. Les deux principaux partis continuent de recourir à la violence politique. La corruption est présente et le respect des droits de la personne au niveau sociétal se détériore comme en témoigne l'augmentation des crimes, de la violence et de la polarisation politique ainsi qu'une certaine montée du fondamentalisme. La brutalité policière et l'apparente impunité des forces de sécurité sont des sources de préoccupation. Le gouvernement n'a pas abrogé la Loi de pouvoir spécial qui permet l'arrestation arbitraire et la détention préventive.
La pauvreté répandue et souvent extrême empêche d'apporter toute amélioration importante, surtout dans le cas des femmes et des enfants. L'incidence de la violence faite aux femmes est malheureusement à la hausse et cette violence est parfois perpétrée par les représentants de l'ordre. Nous nous inquiétons également des droits des enfants au Bangladesh -- des problèmes de trafic d'enfants, de prostitution et de main-d'oeuvre enfantines.
Toutefois, il y a eu des changements positifs. Appuyé par le PNUD, le Bangladesh a entrepris un projet de trois ans qui prévoit l'élaboration d'une charte des droits de la personne, de même que la création d'une charge de médiateur et d'une commission des droits de la personne. Nous espérons que ces efforts aboutiront à la création d'une commission indépendante.
En ce qui concerne le Bouthan, le type de régime en vigueur dans ce pays pourrait, au mieux, être qualifié de «despotisme éclairé». Il semble y avoir très peu de répression ouverte au Bouthan. Si je mentionne cet État cet après-midi, c'est parce que le gouvernement là-bas protège jalousement la culture bouddhiste tibétaine, unique au Bouthan, et refuse d'exposer cette culture aux influences de l'extérieur ou aux pressions démocratiques. Cette prise de position a entraîné l'expulsion, au début des années 90, de réfugiés népalais. Plus récemment, environ 220 fonctionnaires qui comptaient des parents dans les camps de réfugiés au Népal ont été obligés de prendre leur retraite. Sur ce nombre, il y avait 40 enseignants, dont deux qui avaient reçu une formation au Canada sous les auspices de l'EUMC. Le Canada a fait part de ses inquiétudes au gouvernement du Bouthan, et envisage de reconsidérer la deuxième phase d'un projet d'enseignement subventionné par l'ACDI si le Bouthan ne cesse pas de s'en prendre à certains segments de sa population.
Passons maintenant à l'Inde. Bien qu'elle soit une démocratie parlementaire et un État séculaire avec une société ouverte, l'Inde continue de connaître des tensions intercommunautaires et interreligieuses. La pauvreté et le collectivisme ont un impact négatif considérable sur la situation des droits de la personne, malgré l'existence de protections juridiques.
Le Cachemire et, dans une moindre mesure, la région du Nord-Est continuent d'être les témoins de conflits armés et de violations de droits de la personne commises par la police, les forces de sécurité et des groupes d'opposition. La situation s'est grandement améliorée au Punjab, où les forces policières sont maintenant punies lorsqu'elles portent atteinte aux droits de la personne.
Bien que le travail des enfants soit proscrit par la Constitution, on recense en Inde 44 millions d'enfants qui travaillent. Il existe donc un écart évident entre la loi elle-même et son application. L'Inde a ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, et s'est engagée à éliminer le travail des enfants dans les industries où les conditions de travail sont dangereuses d'ici l'an 2000, et toute forme d'exploitation des enfants d'ici l'an 2010.
Le ministre Axworthy a abordé cette question en septembre 1996 avec le ministre indien des Affaires étrangères de l'époque, M. Gujral, qui était de passage à Ottawa. La réunion a donné lieu à la création d'un fonds destiné à combattre le travail des enfants en Inde.
La condition de la femme en Inde ne respecte pas les normes internationales, malgré l'existence de nombreuses garanties juridiques. Il s'agit là d'un problème social profondément enraciné, et non d'un problème institutionnel. La Commission nationale des droits de la personne, qui a été créée en 1993, n'hésite pas à s'attaquer aux dossiers controversés et s'intéresse de près aux questions touchant les droits de la personne, notamment au Cachemire.
Sur le plan bilatéral, le Canada continue d'encourager le dialogue sur les droits de la personne avec les autorités indiennes, aussi bien avec le gouvernement national qu'avec les États, lors de visites de haut niveau et de rencontres avec le premier ministre. L'ACDI a entrepris toute une série de projets qui s'attaquent à diverses questions touchant les affaires publiques et les droits de la personne. Je vais laisser à Mario Renaud le soin de vous en parler.
Le Népal est maintenant doté d'un gouvernement démocratique. Les violations des droits de la personne commises dans ce pays ont déjà constitué pour nous une source de préoccupation. Or, le Népal a connu au cours des dernières années quatre transitions gouvernementales pacifiques. Toutefois, depuis deux ans, le pays est victime d'une insurrection violente de la part des «maoïstes». Des atrocités ont été commises, plus d'une centaine de personnes ayant été tuées par les militants du groupe et les forces gouvernementales.
La condition des femmes et des jeunes filles, leur exploitation et les abus dont elles sont victimes continuent d'inquiéter le gouvernement canadien.
Dans le cas du Pakistan, trois grandes questions nous préoccupent: la discrimination religieuse, les droits des femmes et le travail des enfants. Les Ahmadis sont victimes d'intolérance religieuse et de discrimination systémique. La question de savoir qui est musulman est au coeur du problème. Les lois sur les propos blasphématoires créent une atmosphère d'intolérance et sont utilisées contre les Ahmadis et les chrétiens. Certains décrets pénalisent les femmes. Le droit de choisir son époux demeure contesté sur le plan juridique. Toutefois, le droit au divorce a été établi comme un droit juridique. Le Pakistan a ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes en 1996, mais en raison du contexte culturel, les progrès demeurent limités à ce chapitre. D'après l'étude de l'OIT, on compte au Pakistan 3,3 millions d'enfants qui travaillent. D'autres avancent un chiffre de 5 millions. Il s'agit d'un problème complexe qui trouve sa source dans la pauvreté, mais qui demeure largement influencé par la culture et les pratiques sociales traditionnelles.
Le Pakistan a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant, mais avec certaines réserves, puisqu'il s'oppose à ce que la convention s'applique là où les valeurs et la loi islamiques prévalent.
La guerre civile au Sri Lanka continue d'être à l'origine des violations des droits de la personne commises dans ce pays, violations qui vont se poursuivre tant que la guerre ne prendra pas fin. Le conflit avec les Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul, les LTTE, continue de donner lieu à de graves violations des droits de la personne de la part des forces de sécurité. D'après la plupart des observateurs, le gouvernement respecte de manière générale les droits de la personne dans les domaines non touchés par le conflit. La mise en oeuvre d'une politique des droits de la personne repose essentiellement sur des considérations d'ordre politique, et non sur l'engagement profond de renforcer le mécanisme de respect des droits de la personne et de le rendre accessible et efficace. Au cours de la dernière année, les forces de sécurité auraient commis une centaine d'homicides extrajudiciaires. Les disparitions et la torture constituent toujours une source de préoccupation.
En août 1995, le Sri Lanka a modifié son code pénal de même que les lois sur le viol afin d'y inclure des définitions plus vastes et des sanctions plus sévères. Or, souvent, on ne prête aucune attention à ces lois dans les zones de guerre où les agressions sexuelles et le harcèlement des femmes sont monnaie courante. Pour leur part, les LTTE continuent d'attaquer les civils, surtout dans les régions frontalières névralgiques. Les exécutions de personnes considérées comme des traîtres ou des collaborateurs se poursuivent, tout comme la prise d'otages, les extorsions et les menaces. Les LTTE s'inquiètent de moins en moins du fait que des civils tamouls innocents se font prendre dans les embuscades que tend le groupe aux forces armées gouvernementales.
Le Canada ne cesse de dénoncer la perte de vies civiles dans ce conflit. Nous avons demandé à toutes les parties de respecter et de protéger les droits de tous les citoyens. Nous avons également encouragé les groupes en conflit d'unir leurs efforts en vue de trouver une solution pacifique au problème. Nous sommes prêts à leur offrir notre appui, s'ils le désirent. Toutefois, il faut que les groupes s'engagent à régler le conflit de façon pacifique avant qu'un tiers n'accepte d'intervenir.
Nous dénonçons souvent et vivement les atteintes aux droits de la personne et les actes de terrorisme qui surviennent dans ce pays. Le haut-commissaire du Canada à Colombo suit ces dossiers de très près. Le Canada joue également un rôle prépondérant à ce chapitre au sein de la Commission des droits de la personne des Nations Unies à Genève et à Colombo. Cette année, nous avons encouragé les autorités sri-lankaises à s'engager publiquement à améliorer le dossier des droits de la personne du Sri Lanka. La déclaration du 15 avril répond à nos préoccupations majeures. Celle-ci comprend un engagement de la part du Sri Lanka de collaborer avec les Nations Unies dans le domaine des droits de la personne.
J'aimerais maintenant vous dire quelques mots au sujet de la Birmanie, un pays dont nous avons beaucoup entendu parler et qui affiche un des pires dossiers au chapitre des droits de la personne en Asie. La création du comité d'État pour la restauration de la paix et le développement n'a pas changé les politiques répressives du régime. Celui-ci refuse de négocier avec le prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie, qui a remporté les élections de 1990. La liberté d'action d'Aung San Suu Kyi est sévèrement limitée, et ses partisans sont régulièrement victimes de harcèlement.
Les violations des droits de la personne sont, à notre avis, très généralisées. Les forces militaires birmanes ont négocié des cessez-le-feu avec 15 groupes ethniques, mais ceux-ci demeurent fragiles. L'offensive de l'armée birmane contre l'Union nationale karen a obligé des dizaines de milliers de réfugiés à fuir en Thaïlande. Les incursions récentes dans les camps de réfugiés en Thaïlande ont intensifié les tensions.
La production d'opium se poursuit, avec la complicité toujours plus grande du gouvernement birman. La Birmanie demeure la principale source d'approvisionnement en héroïne de l'Amérique du Nord. L'attitude du régime a été condamnée à maintes reprises par les Nations Unis par voie de résolutions. L'Union européenne et les États-Unis ont appuyé leurs condamnations de sanctions sélectives.
Sur l'initiative du Canada, les ministres des Affaires étrangères réunis au sommet de Denver, qui s'est déroulé en juin 1997, ont émis un communiqué très sévère à l'endroit de la Birmanie, appelant l'ANASE à utiliser son influence pour encourager un retour à la démocratie en Birmanie, pressant le régime birman à amorcer un dialogue sérieux avec les dirigeants de l'opposition démocratique et les minorités ethniques, et insistant sur le fait que la communauté internationale tient le régime birman responsable de la sécurité physique d'Aung San Suu Kyi.
En juillet dernier, le ministre Axworthy a présenté au ministre birman des Affaires étrangères une liste de huit mesures que le régime militaire pourrait prendre pour améliorer la situation des droits de la personne en Birmanie. Comme rien n'a été fait, le ministre Axworthy a annoncé, le 7 août, l'imposition de sanctions économiques à la Birmanie. Celles-ci comprennent le retrait de l'octroi de l'avantage du tarif de préférence général à la Birmanie et l'ajout de la Birmanie à la liste de pays visés par contrôle, ce qui signifie que toutes les exportations canadiennes à destination de la Birmanie doivent être munies d'un permis d'exportation. Le ministre a également invité le secteur privé à ne pas conclure d'accords d'investissement avec la Birmanie ou entreprendre des projets dans ce pays.
Le mois dernier, le ministre Axworthy a émis un communiqué condamnant les incursions dans les camps de réfugiés birmans en Thaïlande, qualifiant celles-ci de violation inacceptable des droits fondamentaux de la personne. Le Canada est en train de coparrainer une résolution sévère visant la Birmanie à Genève, dans le cadre des discussions qui ont cours à la Commission des Nations Unies sur les droits de la personne.
Passons maintenant à l'Indonésie.
Le président: Nous allons manquer de temps. Serait-il possible de mettre surtout l'accent sur les problèmes qui existent en Indonésie et dans les autres pays que vous souhaitez mentionner? J'aimerais bien entendre ce qu'a à dire M. Drake, qui est venu de très loin pour assister à cette réunion cet après-midi.
Si vous pouviez nous soumettre quelque chose par écrit, cela nous serait très utile. Toutefois, je vous demanderais à ce moment-ci de mettre surtout l'accent sur les principaux points que vous souhaitez aborder, si c'est possible. Sinon, continuez comme vous avez commencé.
Mme Hall: Ces dernières années, la situation des droits de la personne en Indonésie s'est améliorée. Le gouvernement, toutefois, n'a pas encore ratifié les conventions de base des Nations Unies sur les droits de la personne, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
La crise financière a durement frappé les pauvres. Le chômage est à la hausse, et le pays cherche avant tout à assurer la sécurité alimentaire et à répondre aux besoins essentiels fondamentaux des habitants. Il est très peu question, ces jours-ci, de droits de la personne en Indonésie.
L'année dernière, la situation des droits de la personne dans le Timor oriental s'est détériorée. Des discussions à ce sujet ont cours actuellement à Genève, et nous espérons que le président annoncera demain la conclusion d'un protocole d'accord avec les autorités indonésiennes. Les deux ministres des Affaires étrangères ont convenu d'organiser des consultations bilatérales où il sera question de droits de la personne. Un colloque sur les droits de la personne a eu lieu, en octobre dernier, à Jakarta.
La Thaïlande et les Philippines ont réalisé de nombreux progrès dans le domaine des droits de la personne. Ils sont devenus des partisans de la coopération.
En ce qui concerne Singapour, la Malaysia et le Brunei, nous allons aborder chaque cas individuellement.
La situation des droits de la personne au Cambodge continue de soulever des préoccupations. Des élections doivent avoir lieu à la fin de juillet. Nous souhaitons qu'elles soient libres et justes. Nous participons au processus électoral en fournissant de l'aide technique à la commission électorale nationale. Nous espérons que les élections seront crédibles, qu'elles ouvriront la voie aux nombreuses autres élections que tiendra le gouvernement pour le peuple cambodgien, et qu'elles ne constitueront pas les dernières d'une série de deux élections, les premières s'étant déroulées sous les auspices de l'APRONUC en 1993.
Le respect des droits de la personne au Viêtnam donne des résultats mitigés. La communauté internationale s'intéresse moins à ce pays, qui n'a fait l'objet d'aucune résolution depuis 1994. Nous poursuivons nos discussions avec le gouvernement vietnamien sur des dossiers particuliers, notamment celui des prisonniers d'opinion.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Mendes, vous avez la parole.
M. Errol P. Mendes, directeur, Centre de recherches et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d'Ottawa: Je compte vous présenter toute la question des droits de la personne en Asie sous un angle différent. De façon plus précise, j'ai l'intention de vous parler des valeurs asiatiques et des droits de la personne, un débat qui a souvent cours dans les tribunes internationales. Je vais également vous parler des liens qui existent entre la situation des droits de la personne dans plusieurs de ces pays et la récente «crise financière» dont on a beaucoup parlé dernièrement.
Sur le plan historique, les causes profondes des violations des droits de la personne remontent à la période de décolonisation qui a coïncidé avec la guerre froide. J'ai exprimé mes vues sur le sujet dans un article intitulé: «Asia Pacific Face-Off», qui figure dans le dernier numéro de Canada Among Nations, publié par la Norman Paterson School for International Affairs. Je vous en donnerai seulement les grandes lignes.
Les liens entre la guerre froide et la décolonisation ont, à mon avis, amené l'Occident à passer sous silence les causes profondes à l'origine des violations des droits de la personne que l'on observe dans le monde aujourd'hui. Prenons, par exemple, l'Indonésie. Comme ce pays a été un puissant allié contre le communisme, certains, dont moi, soutiendraient que l'Occident a fermé les yeux sur les innombrables violations des droits de la personne dont est responsable le régime actuel en Indonésie. Suharto a, en 1965, organisé une purge où plus de 500 000 personnes ont trouvé la mort et créé un régime capitaliste autoritaire qui a été à l'origine de violations de droits de la personne.
Je vais vous expliquer ce que j'entends par «capitalisme autoritaire». Il s'agit essentiellement d'un régime où des technocrates utilisent des capitaux privés pour créer, si vous voulez, une structure descendante de l'économie et de la société en général où, en effet, vous avez des structures gouvernementales et économiques qui s'appuient essentiellement sur ce qu'on appelle «la recherche de la rente et le contrôle». En gros, vous avez de puissantes forces technocrates et économiques qui maîtrisent les principaux leviers économiques au moyen de rentes et de contrôles tout en exerçant une influence sur les principaux secteurs de l'économie.
Toutefois, pour maintenir ce type d'économie, il faut supprimer certaines des forces qui vont tout naturellement s'opposer à cet état de fait, comme les syndicats ouvriers indépendants, les partis politiques indépendants et les groupes puissants au sein de la société civile. J'utilise l'Indonésie comme exemple, mais on retrouvait ce modèle dans de nombreux autres pays de l'Asie du Sud-Est pendant la période de décolonisation. La Thaïlande a vécu cette expérience, tout comme, dans une moindre mesure, la Malaysia. La Malaysia et Singapour constituent des anomalies, parce que bon nombre des dirigeants reçoivent leur formation dans l'Ouest et sont très proches des valeurs occidentales, des valeurs britanniques, à certains égards. On retrouve le même genre de structure autoritaire en Corée du sud.
Passons à la situation actuelle, qui a été fort bien décrite par mes collègues des Affaires étrangères, et aux liens qui existent entre les droits de la personne et la crise financière. Je sais que certains de mes collègues des Affaires étrangères et de l'ACDI s'entendent pour dire que la crise touche aussi bien la gestion des affaires publiques que le système financier. Pour ce qui est des affaires publiques, la crise trouve son origine dans les causes mêmes que je viens de vous décrire. Essentiellement, vous avez des structures socio-économiques et politiques qui n'ont jamais été viables. Bien que la Banque mondiale ait qualifié le phénomène de miracle économique, si vous jetez un coup d'oeil sur la façon dont ces structures ont été mises en place à l'époque, du fait qu'elles constituent une forme d'hégémonie entre les élites bureaucratiques, politiques et économiques, vous allez constater qu'elles n'ont jamais été viables. Lorsque l'activité économique est dominée par la recherche de rentes, les contrôles, l'afflux de capitaux spéculatifs, et que, au même moment, des forces démocratiques comme les syndicats ouvriers indépendants et les groupes de la société civile font l'objet de répression, cela ne peut aboutir qu'à un désastre.
On a beaucoup parlé de la crise financière. Or, je ne crois pas que l'on ait accordé suffisamment d'attention à la crise qui touche la gestion des affaires publiques, aux mesures que peuvent prendre les institutions financières internationales et les pays comme le Canada pour trouver une solution à ce problème.
Encore une fois, mes collègues des Affaires étrangères et de l'ACDI ont fort bien décrit le rôle qu'a joué le Canada aux niveaux local et national dans le dossier des affaires publiques. Or, le temps est venu d'entreprendre de véritables discussions multilatérales sur les liens qui existent entre la gestion des affaires publiques, la situation économique et, en effet, les droits de la personne. À défaut de quoi, nous risquons d'appliquer des solutions sur mesure aux problèmes que posent, dans un pays, la situation des droits de la personne et, dans un autre, la crise économique. Cette façon d'agir est loin d'être efficace.
Je serais prêt à discuter du leadership que le Canada pourrait prendre, comme on dit qu'il l'a fait dans certains domaines, de l'intérêt que la communauté internationale devrait porter non seulement à la crise financière, mais aussi à la crise de la gestion des affaires publiques qui existe actuellement dans de nombreuses régions de l'Asie du Sud.
Le président: Pourriez-vous expliquer ce que veut dire recherche de la rente et contrôle dans ce contexte, pour que je puisse à mon tour pouvoir l'expliquer à ceux qui me poseront la question?
M. Mendes: La «recherche de la rente» est une expression employée à la Banque mondiale et dans d'autres milieux pour parler en termes polis de corruption. Elle peut être légale quand vous pouvez octroyer un permis pour faire certaines choses en échange d'une rente très élevée. Encore tout récemment, cette expression était synonyme de corruption.
Par ailleurs, il y a «contrôle» quand le pouvoir discrétionnaire appartient à un petit groupe de personnes sans le consentement desquelles toute activité économique ou politique est pratiquement impossible. L'affaire Bre-X en est un exemple classique parce qu'on ne pouvait obtenir un permis d'exploitation du minerai d'or qu'avec le consentement d'une certaine élite très puissante en Indonésie, avant qu'on ne découvre la fraude. Voilà un bon exemple d'une situation où le pouvoir est exercé par une minorité de personnes et les forces démocratiques entravées par la recherche de la rente et le contrôle. C'est un manque flagrant d'intégrité et de transparence.
Certains proposent maintenant, y compris notre propre ministre des Finances, Paul Martin, une certaine forme de surveillance multilatérale de certains des secteurs financiers. Le débat là-dessus ne fait que commencer. Je pense que le FMI et la Banque mondiale ont approuvé une sorte de code de bonne pratique. Il reste à savoir si cela nous permettra de remonter aux causes mêmes de certains des problèmes de gouvernance qui sont liés étroitement à la question des droits de la personne et à une foule d'autres dossiers.
Il y a beaucoup à faire et l'étude de tous ces problèmes pourrait être l'oeuvre de toute une vie, mais j'ai pensé commencer à m'y attaquer.
Le président: C'est un bon début de votre part et je trouve votre travail remarquable. Il est très éclairant.
Monsieur Drake, la parole est à vous.
M. Earl Drake, professeur adjoint, Université Simon Fraser: J'aimerais dire en commençant que ce que Preston Manning a dit au sujet du Sénat hier m'a consterné en tant que Canadien de l'Ouest. Je tiens à ce que vous sachiez que je suis honoré de comparaître devant les membres de cette auguste Chambre.
Je vais concentrer mes observations autour de deux questions: premièrement, les Asiatiques perçoivent-ils naturellement le Canada comme un modèle à suivre dans le domaine des droits de la personne et considèrent-ils que notre système politique et juridique peut s'appliquer à leurs cultures; et, deuxièmement, quels sont les meilleurs moyens pour le Canada de faire la promotion des droits de la personne en Asie?
Certains Canadiens seront peut-être surpris d'apprendre que les Asiatiques ne pensent pas toujours que notre réputation est irréprochable en matière de droits de la personne. Quand j'étais en Chine, nous avons fait faire une étude sur la perception du Canada par des étudiants du collège, pas par l'homme de la rue mais des étudiants. Nous étions persuadés qu'on nous renverrait la belle image que nous avons de nous-mêmes, à savoir que nous exportons de la haute technologie de pointe, que nous sommes des leaders en matière de droits de la personne et que nous avons une excellente réputation de défenseurs de la veuve et de l'orphelin. À notre grande surprise, les résultats ont été assez déroutants. Outre le fait que nous sommes le pays d'origine de Norman Bethune -- personnage suspect, à mon sens -- et que nous avons du blé et de l'eau en abondance, on ne nous considère pas à la fine pointe dans le domaine des sciences et de la technologie et on nous trouve racistes à cause de la discrimination que nous avons exercée à l'égard des Chinois et des Japonais jusqu'en 1947. Heureusement que les étudiants chinois sondés n'étaient pas au courant de la façon injuste dont nous avons longtemps traité les juifs, les autochtones et les femmes.
Les Asiatiques, héritiers de civilisations anciennes, ont donc trouvé quelques parlementaires canadiens ignorants et même hypocrites de venir leur dire qu'un pays aussi jeune que le Canada détenait toutes les réponses sur la façon de promouvoir la dignité humaine et l'équité sociale.
Les systèmes politique et juridique canadiens s'appliquent-ils à l'Asie? C'est une question complexe. Je crois en l'universalité de certains principes fondamentaux de la primauté du droit, de la démocratie et de certains droits et libertés individuels, mais pas à celle des institutions que chaque pays a créées pour appliquer ces principes dans son milieu. Le fédéralisme canadien, la démocratie parlementaire, le système juridique issu de la common law britannique et du droit civil français ainsi que la Charte des droits et libertés que nous avons récemment adoptée peuvent nous convenir, mais ne conviennent sûrement pas à tous. Compte tenu de l'histoire de nos peuples fondateurs, nous accordons beaucoup d'importance aux droits individuels ainsi qu'aux droits politiques et juridiques de chacun mais, compte tenu de notre prospérité, nous en accordons beaucoup moins au droit collectif de satisfaire ses besoins essentiels, comme la nourriture et le gîte, parce que nous les tenons pour acquis.
L'histoire de l'Asie est bien différente. Au cours des siècles, les maîtres philosophiques et religieux de cette partie du monde ont insisté sur le premier devoir de chacun qui est de respecter la collectivité, la famille immédiate, la famille élargie, l'État, que ce soit l'empire ou, plus récemment en Chine, la commune, ou encore l'unité de travail. Les Asiatiques pensent collectivement et c'est ainsi qu'il faut satisfaire les besoins essentiels parce que c'est fondamental.
Même aujourd'hui, alors que la situation économique est meilleure et que la loi et la démocratie occidentales sont connues, la plupart des Asiatiques considèrent toujours que ce sont les proches et les connaissances qui leur offrent le meilleur moyen d'améliorer leurs conditions de vie, et pas une charte des droits et libertés. Jusqu'ici, beaucoup d'Asiatiques semblaient accepter le fait de ne pas avoir de poids politique dans la mesure où leur niveau de vie augmente et qu'ils sont plus libres de choisir où ils veulent vivre et travailler.
Quels sont les meilleurs moyens pour le Canada de faire la promotion des droits de la personne en Asie? Dans ce contexte et compte tenu du fait qu'une action unilatérale de notre part est peu susceptible d'influencer des attitudes culturelles de longue date et des gouvernements autoritaires, je crois que nous devrions adopter un programme réaliste comprenant quatre stratégies et quatre étapes.
a) Nous devrions d'abord encourager et aider la réforme des institutions nationales plutôt que d'essayer d'imposer notre point de vue de façon menaçante et autoritaire. Les remontrances officielles du Canada peuvent avoir l'air moralisatrices et vaines en Asie. Il est inutile pour le Canada d'imposer unilatéralement des sanctions commerciales pour faire respecter les droits de la personne parce que le Canada ne domine aucun marché d'exportation en Asie. Nous n'avons simplement pas le poids nécessaire pour faire changer les choses de cette façon. Tout ce qu'on va réussir à faire, c'est pousser les Asiatiques à ne pas céder à la pression étrangère et perdre des marchés actuels et futurs.
Les sanctions commerciales fonctionnent seulement quand la communauté internationale agit de concert, selon moi, comme dans le cas de la résolution des Nations Unies en Irak. Les sanctions commerciales peuvent aussi être efficaces quand ce sont des groupes de consommateurs qui boycottent des producteurs ciblés pour une faute réelle ou apparente, comme c'est le cas en Colombie-Britannique. Les pressions du marché donnent de meilleurs résultats que les interventions gouvernementales, bien souvent. La première stratégie que je préconise pour le Canada est donc d'encourager et d'aider l'Asie, et non de la réprimander ou d'essayer de lui imposer notre point de vue.
b) Ensuite, plutôt que d'agir seuls, nous devrions essayer, conjointement avec d'autres pays, de proposer aux leaders asiatiques un dialogue discret entre hautes instances sur les droits de la personne ainsi que de l'aide technique dans des domaines précis comme la réforme du droit et la formation des juges -- pour faire suite à ce dont Mario a parlé.
En Chine, le pays que je connais le mieux -- pas seulement parce que j'y ai été ambassadeur, mais parce que j'y vais trois ou quatre fois par année et que j'y étais encore il y a quelques semaines à peine -- les réformistes auront bientôt un puissant moyen de pression en matière de droits de la personne parce qu'ils pourront demander à leur gouvernement de respecter la promesse qu'il a faite récemment d'adhérer au Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, ce qui obligera la Chine à rendre des comptes régulièrement à ce sujet, pas devant un organe politique, où elle peut se gagner des appuis, mais devant un tribunal international. Cette victoire a été possible parce que le Canada et ses alliés occidentaux ont décidé d'unir leurs efforts pour amener la Chine à engager des discussions discrètes sur les droits de la personne, plutôt que d'essayer de défier Beijing. De plus, le recours à des programmes d'aide ciblée peut contribuer à promouvoir certains aspects des droits de la personne.
c) Ensuite, nous devrions adapter notre intervention aux conditions locales et appuyer toute initiative de réforme de la part des instances gouvernementales ou civiles du pays. Aux Philippines, durant le régime autocratique de Marcos, il fallait appuyer l'Église catholique et les organisations non gouvernementales. Mais ce n'est pas le cas partout. Ces organisations n'ont aucun pouvoir en Chine, où la réforme du droit pourrait être amorcée par la nouvelle classe moyenne et grâce à l'influence occidentale de certains dirigeants.
d) Enfin, il faut reconnaître les aspects où la réforme est possible, et ne pas exiger des progrès sur tous les fronts en même temps. Dans la plupart des cas, la réforme devrait s'effectuer selon les quatre étapes que je vais exposer. Il peut y avoir des exceptions, selon les cas, mais la première étape consiste à faire accepter la primauté du droit.
En Chine et en Indonésie, c'est peut-être la seule voie possible parce que les dirigeants gouvernementaux et militaires craignent énormément la généralisation de la démocratie. Cependant, tant la nouvelle classe moyenne que les dirigeants politiques reconnaissent que la primauté du droit favorise une économie de marché. À ce stade préliminaire de leur révolution politique et économique, il est possible qu'ils ne comprennent pas que la primauté du droit, en remplacement d'un régime autoritaire, renforcera les droits de la personne. Ce n'est pas grave parce qu'ils finiront par le comprendre et l'accepter. Je suis optimiste au sujet de la Chine parce que cette approche a fonctionné dans d'anciens régimes autoritaires comme Taïwan et la Corée du Sud, qui sont aussi de culture confucéenne. Dans ces pays, on a introduit la primauté du droit pour faire place à une économie de marché. La primauté du droit commence à s'enraciner et elle va servir de fondement à la défense des droits de la personne.
La deuxième étape consiste à favoriser la libre circulation de l'information. Tout comme la primauté du droit, le droit des entrepreneurs, des investisseurs et des consommateurs à une information non censurée peut être considéré comme indispensable au succès de l'économie de marché. On peut commencer par transmettre des informations de nature économique avant de passer à un autre domaine. Les exemples de Taïwan et de la Corée du Sud peuvent nous encourager et nous assurer que l'accès à la vérité va finir par libérer les gens.
La troisième étape consiste à favoriser la démocratie, mais de façon graduelle. Il est difficile pour nous Canadiens de comprendre que certains leaders asiatiques sérieux -- je ne parle pas ici des autocrates purs et durs -- ont vraiment peur d'implanter trop rapidement la démocratie partout. On fait actuellement l'expérience de la démocratie dans les villages, même en Chine et en Indonésie. C'est une initiative qu'il faut applaudir. Même s'il ne s'agit pas d'expériences complètement démocratiques, c'est au moins un début.
Les leaders asiatiques soutiennent que, dans leurs pays, où le niveau d'instruction est bas et l'expérience politique minime, l'implantation soudaine de la démocratie à l'échelle nationale pourrait être récupérée par des démagogues pour opprimer la majorité. Dans ces pays, on se souvient encore que, entre les mains des masses, le pouvoir peut dégénérer en violence populaire contre des classes et des minorités entières. C'est ce qui s'est passé en Indonésie quand les foules ont massacré des centaines de milliers de Chinois durant la vague anticommuniste des années 60, dont Errol Mendes a parlé, et en Chine quand les foules ont persécuté autant d'intellectuels et de prétendus «partisans de la voie capitaliste» durant la révolution culturelle. Même à Hongkong, qui a une longue expérience des institutions occidentales, nous avons été surpris de constater que la plupart des gens sont beaucoup plus attachés à préserver la primauté du droit que leur nouvelle démocratie.
Nous ne devrions pas insister trop pour une adoption rapide de notre forme de démocratie, mais laisser les Asiatiques transformer graduellement leurs institutions, en commençant au niveau local pour qu'ils acquièrent ainsi l'assurance qu'ils ne s'en vont pas vers le chaos et la démagogie généralisée.
Enfin, il ne faut pas insister pour en arriver trop rapidement à la liberté de religion. Cela vous surprend peut-être. C'est une liberté importante, évidemment, mais c'est un sujet très délicat dans certains pays d'Asie parce que la religion, on le sait, et surtout le fondamentalisme, a souvent servi à justifier la rébellion, la démagogie et la suppression des droits des femmes. Il vaut probablement mieux que nous laissions les réformistes locaux prendre les devants à ce sujet.
Je crois que nous devons, en collaboration avec nos alliés dans ces pays, concentrer nos efforts sur les trois premiers aspects de la promotion des droits de la personne, à savoir la primauté du droit, la libre circulation de l'information et la démocratie, et ne pas compromettre notre crédibilité en nous intéressant trop aux structures nationales, religieuses et politiques, ce qui pourrait laisser croire que nous défendons la cause des Chrétiens et provoquer des querelles religieuses.
Le président: Monsieur Renaud, voulez-vous conclure? Vous avez la parole.
M. Renaud: Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux propos très intéressants tenus par mes collègues. Les problèmes exposés par Ingrid et les diverses démarches présentées par Errol et Earl montrent bien que notre travail de coopération internationale est très complexe.
J'aimerais citer quelques exemples qui figurent dans la documentation qui vous a été remise pour illustrer certaines des stratégies dont M. Drake a parlé.
Il est certain que l'ACDI, du moins en Asie, a créé d'excellentes relations de travail avec les ONG locaux dans les pays où elle oeuvre. Grâce à cette initiative et aux fonds locaux, le personnel des ambassades, que ce soit celui des Affaires étrangères ou de l'ACDI, dispose des moyens voulus pour soutenir les organisations locales, les ONG ou les universités, qui travaillent à promouvoir les droits de la personne, le rôle des médias et même les droits de groupes particuliers, les enfants, les minorités ou les immigrants. Les exemples sont nombreux, mais citons entre autres le Fonds de développement de l'enfant, dont Ingrid a parlé en Inde, et le fonds canadien au Timor oriental.
En Asie du Sud-Est, nous avons créé il y a quelques années le Fonds pour le développement des institutions et l'appareil judiciaire. Nous avons appuyé et financé une rencontre régionale en Indochine -- c'est-à-dire le Viêtnam, le Cambodge, le Laos et la Thaïlande -- et en Chine pour discuter du trafic des femmes et des enfants. C'est un exemple de la diplomatie discrète dont a parlé M. Drake où on réunit des professionnels et des travailleurs pour examiner des questions d'intérêt pour tous les pays.
Grâce au Fonds de l'Asie de l'Est, nous avons encouragé la création d'institutions réputées pour la résolution de conflits en Thaïlande et au Cambodge. Dans ces pays, nous travaillons dans le domaine de la gestion de l'environnement, où l'utilisation des ressources naturelles crée des problèmes importants dans les communautés rurales.
J'aimerais dire un mot sur l'établissement de partenariats. Depuis deux ans, des organismes canadiens, comme le Centre parlementaire, l'Institut sur la gouvernance et même la Commission canadienne des droits de la personne, établissent des liens avec des organisations semblables en Indonésie, qu'elles soient déjà bien établies ou en voie de l'être. On songe à faire la même chose en Inde et au Bangladesh.
Ce sont des exemples tirés de la documentation que vous avez reçue et qui illustrent les stratégies dont M. Drake a parlé.
Le sénateur Bolduc: J'ai jeté un coup d'oeil au document de l'ACDI. Il y a au moins 20 types d'interventions. Vous en avez cité quelques-unes, mais il y en a beaucoup.
Quand nous essayons d'agir au niveau local, ne sommes-nous pas considérés comme des espions dans certains pays? Après tout, nous essayons de changer les choses. Les régimes autoritaires ne doivent pas aimer cela. Je sais que nous avons eu des problèmes en Amérique latine. Peut-être est-ce plus évident en Amérique latine, où la police confine la population.
Les interventions locales de ce genre vous ont-elles causé des problèmes?
[Français]
Le travail que l'ACDI fait dans ce domaine ne vient pas du jour au lendemain. Prenons l'exemple de l'Indonésie où le Canada, via le programme canadien de coopération internationale au développement, est présent depuis 1968. Le professeur Drake le connaît très bien pour y avoir résidé comme ambassadeur. À travers ce programme de coopération important, nous avons, au cours des années, établi des relations de travail très étroites avec les autorités indonésiennes. Le Canada a probablement été un des premiers pays avec les Pays-Bas et les pays nordiques à soutenir l'émergence d'un mouvement d'organisation non gouvernementale en Indonésie. Nous l'avons toujours fait au vu et au su des autorités gouvernementales indonésiennes. Cela n'a pas toujours été facile entre le gouvernement indonésien et les organismes non gouvernementaux indonésiens, mais l'ACDI a accompagné ce processus.
Donc, passer de la promotion d'un développement économique et social équitable et durable, qui inclut la participation des organisations non gouvernementales dans la prise de décision, et aboutir à un dialogue sur un développement institutionnel pour...
[Traduction]
... promouvoir la primauté du droit et le développement des institutions et de l'appareil judiciaire dans le but d'améliorer la gestion des affaires publiques.
[Français]
Pour nous, c'est une évolution naturelle. Dans un cas comme le Bangladesh, par exemple, où la majeure partie des activités du programme de l'ACDI s'est mise en oeuvre à travers les organisations non gouvernementales, les organismes non gouvernementaux bangladeshis sont reconnus maintenant à travers le monde pour leur qualité professionnelle. Donc, il nous a été facile au cours des dernières années de promouvoir un dialogue efficace qui a lieu entre les organisations non gouvernementales et les autorités du gouvernement bangladeshi sur des thèmes aussi variés que le droit des femmes, le droit des enfants et la situation des minorités.
[Traduction]
Mme Hall: Dans beaucoup de pays d'Asie, l'enseignement primaire est universel et l'enseignement secondaire et supérieur s'étend. La jeunesse est nombreuse, et les pays n'ont pas assez d'emplois à offrir aux diplômés des écoles secondaires et des universités. Dans des pays comme l'Inde -- Mario a parlé du Bangladesh -- l'Indonésie et le Cambodge, la société civile joue un rôle très utile parce qu'elle offre aux jeunes diplômés d'autres perspectives d'emploi que la fonction publique.
Depuis cinq ans, dans beaucoup de pays où la société civile ne s'est pas développée, le nombre des ONG a augmenté de façon exponentielle. Aujourd'hui au Cambodge, les ONG ont tendance à être les principaux employeurs, mises à part les entreprises à très gros risque, appartenant à des Malaisiens et des Thaïlandais, et les possibilités d'investissement rapide.
Ce n'est pas une question d'espionnage. La coopération avec les gouvernements permet de jouer un rôle très utile.
Le sénateur Bolduc: Quand je vous écoutais, je pensais à la possibilité d'une guerre en chrétiens et musulmans. Songe-t-on à organiser une rencontre au sommet entre les autorités religieuses des deux côtés, ou y aurait-t-il un compromis qui serait acceptable autant en Ontario qu'au Pakistan ou ailleurs? Qu'en pensez-vous, monsieur Drake?
M. Drake: Permettez-moi de répondre à votre première question, monsieur le sénateur, parce qu'elle est très intéressante. On ne nous perçoit pas tellement comme des espions, mais comme des provocateurs. Nous voulons modifier le régime gouvernemental. Nous travaillons de l'intérieur avec les ONG pour modifier les valeurs établies. Il est vrai -- et nous devons le reconnaître -- que nous avons frémi d'horreur quand les Chinois se sont mis à promouvoir la révolution et à exalter leurs idéaux communistes. Ils n'avaient pas d'affaire à attaquer d'autres gouvernements et d'autres modes de vie pour vanter les leurs. C'était déplacé et nous le leur avons reproché. Pourtant -- et nous en sommes bien conscients -- nous faisons exactement la même chose subtilement, à notre façon. L'avantage pour le Canada, c'est qu'il peut s'en tirer à meilleur compte que d'autres pays parce qu'il n'est pas menaçant. Le Canada n'est pas une grande puissance ayant beaucoup d'intérêts. J'étais en Chine au moment des manifestations de Tiananmen et, à mon avis, les Américains ont vraiment encouragé les étudiants. Ça fait partie du rôle des grandes puissances. Les Canadiens, quant à eux, sont parmi les moins suspects.
En Chine, les ambassades doivent recruter du personnel chinois. Ces employés finissent par nous confier, une fois que nous avons appris à les connaître, qu'ils sont chargés de faire rapport de nos faits et gestes. Pour eux, ce n'est pas drôle de travailler à l'ambassade et à la résidence du Canada parce qu'il n'y a rien d'abominable à signaler à notre sujet. Ils trouvent que nous travaillons de façon ouverte et honnête et qu'il leur est bien difficile de contenter les autorités. Nous n'avons pas un plan d'action très chargé. Nous avons en général la réputation de défendre de bonnes causes dans le monde. Dans la mesure où nous travaillons en collaboration avec les gens du pays, nous pouvons beaucoup plus facilement promouvoir des idées que les Américains, qui viennent d'une grande puissance, ou encore les Britanniques ou les Français, qui viennent d'anciennes colonies. Je ne pense pas que nous passons pour des espions, contrairement à certains de nos alliés.
Pour ce qui est d'une guerre entre chrétiens et musulmans, je ne pense pas que nous en arriverons là. Ce qu'il faut se demander, c'est quel islamisme finira par l'emporter, parce qu'il n'y en pas qu'une seule forme. Il y a le fondamentalisme, prôné surtout par l'Iran et, jusqu'à un certain point, la Libye, et il y a un islamisme plus modéré qui essaie de préconiser une religion beaucoup plus respectueuse. Nous n'avons pas à nous mêler de cela. J'ai mes idées sur la question, et nous faisons notre part grâce au travail de différents organismes comme l'Institut des études islamiques de l'Université McGill qui forme des islamistes modérés qui peuvent aller sur place aider à promouvoir un mouvement islamiste moderne. Nous ne voulons pas nous occuper de cette rivalité entre chrétiens et musulmans.
Le président: J'aimerais poser une question complémentaire à celle du sénateur Bolduc sur la religion. Le fondamentalisme musulman ne serait-il pas issu, jusqu'à un certain point, du sentiment qu'ont les sociétés locales d'être envahies par les valeurs occidentales?
Prenons l'Irlande, qui a été réprimée par l'Angleterre. Dans ce pays, l'Église a acquis un pouvoir extraordinaire. On pourrait dire la même chose de la Pologne, en Europe de l'Ouest. N'y a-t-il pas un parallèle à faire avec le fondamentalisme musulman, monsieur Drake?
M. Drake: Il y a des avantages à être professeur et plus fonctionnaire mais, des fois, on voudrait pouvoir donner l'excuse qu'on est fonctionnaire pour ne pas avoir à faire de commentaires.
Oui, il y a des parallèles à faire. Effectivement, en Irlande et en Pologne, l'Église est devenue très puissante parce qu'elle ralliait la population opposée aux forces et aux mouvements de l'extérieur. La population s'est ralliée autour de l'autorité la plus forte. On assiste à une situation semblable dans beaucoup de parties du monde, où les gens se tournent vers l'Islam, dont l'influence est grande, pour promouvoir des valeurs locales et familiales. Ils trouvent que la culture occidentale compromet un certain nombre de leurs valeurs. Ils ont peut-être tort, mais ils associent de façon simpliste l'Occident à l'avortement, au divorce et à d'autres fléaux du genre, et la religion leur apparaît être le seul refuge contre cette menace. Leur attitude donne du poids aux autorités religieuses locales qui adoptent parfois des positions extrêmes.
Nous devons être au courant de la situation, mais je ne pense pas que la population canadienne ou le gouvernement du Canada peut y faire grand-chose. Ils doivent régler le problème eux-mêmes. J'ai bon espoir, sauf dans le cas de l'Afghanistan, que les musulmans modérés vont finir par l'emporter.
Le sénateur Chalifoux: J'aimerais féliciter M. Drake de son approche réaliste au développement communautaire, parce que c'est ce dont nous parlons ici.
J'ai travaillé pour les Métis et dans le domaine du développement communautaire pendant une trentaine d'années. Quand j'ai commencé à travailler dans le nord de l'Alberta, la GRC m'interrogeait tous les trois mois. J'oeuvrais sur le terrain pour la Compagnie des jeunes Canadiens.
Je rapproche ce que vous avez dit à la situation des autochtones du Canada, particulièrement des Métis. Et les choses n'ont pas encore changé. En Angleterre, la révolution industrielle s'est déroulée sur 300 ans. On demande aux Autochtones du Canada de la faire en 25 ans, sans aucun service d'aide sociale. C'est ce qui m'inquiète dans le cas des pays d'Asie.
Avant ma nomination au Sénat, je travaillais dans le nord de l'Alberta. Les ministères provinciaux créaient des programmes mais, dès qu'ils cessaient de s'en occuper, tout tombait à l'eau. La population restait amère et désorientée. J'ai choisi une autre voie, celle qui consiste à aider les gens à s'organiser et à apprendre. Quand je suis partie, tous les programmes ont continué de fonctionner parce que les gens en avaient le contrôle.
Pour ce qui est de la religion, c'est un aspect très important parce qu'il fait partie des valeurs fondamentales d'une société. Il vaut mieux ne pas s'en mêler, parce que les gens vont changer quand ils sauront à quoi s'en tenir et quand ils seront prêts.
Vos propos sont très encourageants, mais les bons vieux principes de la Compagnie des jeunes Canadiens -- pas l'approche militante, mais celle à laquelle j'ai travaillé -- pourraient vous servir. Je n'ai jamais écrit sur mon expérience, même si on m'avait demandé de le faire. Il est malheureux qu'on n'ait pas fait d'étude sur le sujet. Au Canada, il existe très peu d'études sur une révolution silencieuse de cette nature. Nous avons encore beaucoup à apprendre.
Vous avez parlé du manque d'emplois convenables. Les autochtones du Canada ont le même problème parce qu'ils ne sont pas acceptés dans certaines régions. Les Blancs sont parachutés et il y a encore 90 p. 100 de chômage dans les localités du Nord. Le travail que vous accomplissez est remarquable et vraiment nécessaire, mais vous devrez être très prudent à ce sujet, selon moi.
Qu'est-ce qu'une ONG?
Mme Hall: Une organisation non gouvernementale.
Le sénateur Chalifoux: C'est ce dont je parle, alors. Je ne m'en étais pas rendu compte.
Le président: Quelqu'un veut-il répondre? On ne vous a posé qu'une seule question, mais vous voulez peut-être réagir à ces commentaires. J'imagine que vous êtes d'accord.
Mme Huber: J'aimerais revenir sur deux questions qui ont été posées plus tôt. On a demandé comment on nous considérait dans ces pays et si nous pouvions jouer un rôle utile. Je veux souligner ou rappeler, étant donné que Mario Renaud et Earl Drake en ont déjà parlé, l'importance de travailler en collaboration avec les instances locales, que ce soit les autorités centrales ou les organismes communautaires.
Les Chinois disent souvent qu'il est important de travailler dans la collaboration et le respect mutuel. Ils ont leurs faucons et leurs colombes. Il y en a qui estiment avantageux que leur société adopte de nouvelles attitudes et de nouveaux programmes. C'est seulement en travaillant sur le terrain que ces idées vont se répandre -- graduellement -- et que notre rôle sera utile.
J'aimerais aussi revenir brièvement sur la montée du fondamentalisme et comment cette philosophie peut être attrayante dans un monde de plus en plus complexe qui change à un rythme effréné. Il faut reconnaître qu'un régime fondamentaliste offrant des réponses immuables et catégoriques à des questions complexes peut être extrêmement séduisant pour certains peuples et certaines sociétés en pleine transformation.
Ce qui est encourageant toutefois, c'est que ces sociétés sont en constante évolution. Autant que je sache, les femmes de certaines sociétés musulmanes étudient assidûment le Coran et se rendent compte que bien des arguments invoqués pour adopter des politiques qui les défavorisent n'obéissent pas au Coran; leur prise de conscience permet de faire valoir un point de vue plus nuancé.
C'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Andreychuk: Je voudrais mettre M. Drake sur la sellette. Vous semblez avoir voulu dire que notre travail de promotion des droits de la personne n'est pas très bien vu en Chine par exemple. Puis, vous avez approuvé l'évolution de la société civile et notre contribution en ce sens.
Pour faire suite à ce que le sénateur Bolduc vous a demandé, quand la réputation du Canada a-t-elle changé? Beaucoup d'études montrent que le Canada était un intervenant honnête à l'étranger et qu'il essayait, non pas de se mettre en valeur, mais de promouvoir une vision multilatérale -- autrement dit, celle de la Déclaration universelle des droits de l'homme par opposition à celle de la Commission canadienne des droits de la personne.
Je sais que nous avons créé du mécontentement en Afrique quand nous avons commencé à faire valoir les opinions du Canada sur les droits de la femme, et nous avons dû reculer. Nous avons dû revenir à la Déclaration universelle des droits de l'homme et nous en tenir aux droits de la personne en général, et ne pas parler des droits de la femme.
Selon vous, quand le Canada a-t-il modifié sa politique étrangère de façon à faire la promotion de ses valeurs par opposition aux valeurs universelles?
D'un côté, vous dites qu'on ne devrait pas imposer nos valeurs parce qu'elles ne conviennent pas à tous mais, de l'autre, vous semblez trouver acceptable que nous travaillions à convaincre la société civile d'adopter nos valeurs. Vous avez donné l'exemple de dirigeants d'influence occidentale.
Si nos valeurs ne leur conviennent pas, pourquoi le fait de renseigner et de former les gens pourrait les faire changer d'idée? Je ne vous trouve pas cohérent là-dessus.
Vous avez dit qu'ils feront leur choix, mais il est parfois difficile de savoir à qui on a affaire. Ayant travaillé en Afrique, je sais que nous avons encouragé la tenue d'élections et que nous avons envoyé des observateurs pour surveiller les opérations. Des responsables nous ont affirmé que les élections s'étaient déroulées dans les règles mais, par la suite, nous avons appris des villageois qu'il y avait eu des irrégularités.
J'aimerais rappeler au sénateur Chalifoux qu'il nous est arrivé d'appuyer des chefs autochtones. Je me rappelle que des juges ont accepté les revendications de chefs autochtones dans le Nord, mais que les femmes autochtones sont intervenues pour dire qu'elles rejetaient le statu quo dans leur milieu, et elles nous ont reproché d'appuyer la répression et de ne pas contribuer à faire avancer leur culture.
Pour moi, il y a des incohérences dans votre discours. Pouvez-vous m'aider à comprendre?
M. Drake: Je suis sûr qu'il y a beaucoup d'incohérences dans ce que j'ai dit. Je vais essayer de vous éclairer. Nous sommes deux anciens fonctionnaires qui argumentons amicalement ici, et il faut en tenir compte. Soit dit en passant, nous venons tous les deux de la Saskatchewan.
Quand le Canada a-t-il changé de politique? Je n'en sais rien, mais je sens qu'il y a un léger changement. Nous avons toujours essayé de nous en tenir aux critères approuvés sur une base multilatérale sur la scène internationale. Je trouve que, récemment, nous prenons plus d'initiatives du genre de celles sur la formation des juges, par exemple. Je ne veux pas prendre parti. Avec M. Axworthy, nous nous impliquons plus qu'avant. Nous faisons davantage la promotion de la perspective canadienne. Quand le Canada fait de la formation, il le fait nécessairement à la canadienne.
La Commission des droits de la personne se fonde sur les normes approuvées de l'ONU. C'est l'attitude responsable à adopter. Mais quand on offre des programmes de formation précis sur les femmes, l'aide juridique, la formation des juges, etc., l'approche est sûrement plus canadienne.
Quand vous me demandez pourquoi j'estime que les valeurs canadiennes ne sont pas toujours adaptées aux cultures asiatiques et que je préconise la transformation discrète des institutions locales, ce que j'ai voulu dire, sans avoir réussi à être clair apparemment, c'est qu'il faut insister sur les «valeurs universelles», comme la primauté du droit, la libre circulation de l'information et certains principes fondamentaux comme le droit à un procès impartial. Il ne faut toutefois pas essayer de prétendre que le système juridique canadien est parfait. La primauté du droit est importante, mais les lois doivent être adaptées au pays et à la culture de chacun. L'égalité de tous devant la loi est un principe universel qu'il est tout à fait légitime de promouvoir, mais on ne peut imposer la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'elle n'est pas nécessairement appropriée. Il est tout à fait justifié de refuser de se soumettre à la règle arbitraire des dirigeants. C'est la même chose pour la circulation de l'information. L'information doit circuler pour que les gens puissent prendre des décisions, mais on ne doit pas leur dire comment faire. La façon de faire canadienne n'est pas nécessairement celle que l'Indonésie devrait choisir.
Il faut établir une distinction entre le droit essentiel et l'institution. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur le fait qu'il nous faut collaborer avec la population locale et ne pas lui imposer notre façon de faire. Certains de nos voisins du Sud sont champions dans l'art de dire: «C'est ainsi que nous procédons en Amérique et que vous devriez faire les choses si vous voulez réussir.» Nous devrions y aller de façon plus subtile, plus ouverte en disant: «Nous voulons nous concentrer sur le principe en cause. Quant à la façon dont vous l'appliquez et le système de valeurs qui lui est intrinsèque, ils devraient refléter votre culture et votre passé propres.»
Qui sont les «ils»? Voilà qui est très complexe. C'est une question valable à laquelle il n'est certes pas facile de répondre dans le cas de la Chine, le pays que je connais le mieux et dont je suis le plus près. Il n'y a pas que de bonnes réponses à cela. Nous devons commencer, à mon avis, au niveau du village où se tiennent à l'heure actuelle des élections libres. Ce n'est pas le cas pour le processus de nomination, mais au moins les élections le sont. Nous commençons donc par parler aux villageois. C'est là où tout commence. Vous devez vous rendre dans le village et déterminer le sens de ce que les gens et non de ce qui est imposé par Beijing.
On est en train d'y instituer une série d'élections indirectes. Les sages des villages, en qui on a toute confiance et qui sont élus, constituent un genre de collège électoral à partir duquel ils enverront des gens au niveau provincial puis au niveau national. Le système n'est pas encore parfait, mais nous devons commencer par là et poser des questions à ces personnes, au peuple, où nous savons à tout le moins que le processus électoral est régulier.
Le sénateur Andreychuk: J'ai une question technique pour M. Renaud. Les programmes de l'ACDI en Asie sont-ils administrés sur une base individuelle? En d'autres mots, même les programmes de la société civile doivent être approuvés par le gouvernement avant de pouvoir être mis de l'avant. Pouvez-vous verser directement l'argent aux ONG sans passer par les gouvernements en Asie? Cela varie peut-être d'un pays à l'autre. Si vous ne pouvez me donner cette information maintenant, peut-être pourrions-nous l'obtenir plus tard.
Mon autre question s'adresse à Mme Hall. En Indonésie, je crois que la crise couve encore. Le gouvernement, par l'entremise d'un despote vieillissant, continue d'essayer de consolider le pouvoir entre certaines mains et les pressions à l'intérieur comme à l'extérieur ne cessent d'augmenter. Est-ce que cela aura pour effet de multiplier les désordres civils? Comment peut-on l'éviter d'un point de vue international? Que peut-on faire de plus que le FMI et la Banque mondiale et certains des changements que ces deux institutions doivent apporter en ce qui a trait à l'Indonésie?
M. Renaud: L'ACDI recourt à trois principaux mécanismes. Le premier s'adresse aux institutions multilatérales, comme les institutions financières internationales et le système des Nations Unies où le Canada soutient ces institutions multilatérales. Il y a ensuite le programme de l'ACDI, Partenaire de programmes canadiens qui permet au gouvernement canadien, de soutenir les organismes et les activités du Canada à l'étranger. Il y a enfin, les programmes bilatéraux. Il s'agit de programmes d'aide au développement de gouvernement à gouvernement.
Au moment où l'on se parle, ces programmes englobent le soutien des activités parrainées par les organismes canadiens. Pour vous donner un exemple, peu longtemps la prise du pouvoir par Corazon Aquino, le gouvernement des Philippines a fait savoir à l'ACDI qu'il voulait qu'un tiers de l'octroi de gouvernement à gouvernements soit dirigé vers les organisations non gouvernementales et le secteur privé. Cela signifiait que, même à l'intérieur de l'enveloppe consacrée aux Philippines dans le cadre du programme bilatéral, un tiers de celle-ci passait par l'entremise d'organismes canadiens travaillant en coopération avec des organisations philippines. Cela ne pourrait se passer ainsi en Chine aujourd'hui étant donné que le gouvernement chinois doit être mis au courant de toute activité entreprise par l'ACDI.
Il y a une grande variété de situations. Dans certains cas, par exemple, en vertu des protocoles d'entente que nous avons signés avec les gouvernements, il est possible de soutenir des activités mises de l'avant par des organismes canadiens si elles font l'objet d'un échange de lettres avec le gouvernement local.
Mme Hall: En octobre, en ce qui concerne l'Indonésie, tout a commencé par une crise financière qui s'est transformée en crise économique laquelle s'est aggravée au point de devenir une crise politique. L'Indonésie est maintenant aux prises avec une crise sociale qui s'étend à l'éducation et à la santé. On y prévoit l'érosion continue du niveau de vie pour une partie importante de la population, un accroissement de la pauvreté de même qu'une détérioration de l'état de santé des Indonésiens et de leur capacité à se procurer les nécessités de la vie.
Est-ce que les désordres civils se multiplieront? Malheureusement, oui. C'est très probable.
Comment peut-on éviter que cela se produise? La plupart des pays membres de la Banque mondiale ou de la BAD, en consultation avec divers groupes, ont le sentiment que les désordres civils continueront de sévir encore pendant un certain nombre d'années. Des progrès se font toutefois sentir. En effet, les forces militaires et policières ont pu profiter d'une formation majeure que leur ont prodiguée les Britanniques, les Allemands et les Français. Par rapport à quatre ou cinq ans, leur performance, surtout à Jakarta, s'est considérablement améliorée.
Ce dont il faut absolument s'inquiéter ce sont des organismes d'aide multilatérale et bilatérale, si la situation en ce qui a trait à l'alimentation devait se détériorer. À l'heure actuelle ce n'est pas tant l'approvisionnement mais le prix et la distribution qui sont en crise. Le problème manifestement c'est que l'on ignore ce qui arrivera si les désordres civils se propagent dans beaucoup de villes du pays. L'Indonésie est à coup sûr le pays d'Asie où on a le plus à craindre.
Le sénateur Johnstone: Ma question a trait à la déclaration voulant que certains gouvernements se méfient de la démocratie. Ces gouvernements croient-ils que notre forme de démocratie ébranle leur position ou y voient-ils des faiblesses?
M. Drake: Cela dépend du pays et du niveau mais, à coup sûr, dans bien des pays les dirigeants estiment que toute forme de démocratie remettrait directement en question leur autorité et leur système.
Les dirigeants communistes chinois ont purement et simplement peur de la démocratie. Selon leur théorie du communisme, ils représentent les travailleurs, lesquels ont triomphé d'autres groupes. Ils se croient les porte-parole authentiques des travailleurs et estiment ne pas avoir besoin d'une autre forme de démocratie. Bien sûr, ce ne sont que balivernes, mais c'est leur théorie. Ils se méfient de la démocratie. Il s'agit des partisans de l'autorité purs et durs. Ce serait la même chose en Birmanie ou en Indonésie. Les partisans de l'autorité purs et durs refusent toute entrave à leur autorité.
D'autres, des dirigeants plus réfléchis à mon avis, s'inquiètent de deux choses. Ils sont inquiets, dans un premier temps, du rythme auquel la démocratie s'installe. Ils acceptent le fait que leur pays doive changer et, au fur et à mesure que leur pays s'intègre au monde moderne et à l'économie de marché, qu'une certaine forme de démocratie doit s'établir. Ils croient que l'autoritarisme absolu n'est pas la réponse, mais ils s'inquiètent du rythme auquel le changement se fait. Qu'arrive-t-il si cela se fait du jour et au lendemain et qu'ils ne sont pas préparés? Qu'arrive-t-il si le niveau d'éducation est insuffisant? Qu'arrive-t-il si les autorités n'ont pas l'expérience nécessaire pour l'exercer?
Ils s'inquiètent, d'autre part, de la forme. Ils croient qu'elle devrait refléter leur culture et que ce qui fonctionne au Canada ou aux États-Unis ne conviendra pas nécessairement dans leur pays. Il faut faire la distinction entre ceux qui ont peur de céder du pouvoir et ceux qui craignent la forme que revêtira le changement et le rythme exact auquel se fera le changement.
Chaque pays est différent de par sa population. Il y a en Chine des gens qui sont réfléchis. Il y a en a probablement en Birmanie, mais ils se trouvent probablement dans la jungle à l'heure où on se parle. Je ne pense pas qu'il y ait un seul dirigeant réfléchi au sein du gouvernement birman. J'ai connu les Birmans autrefois. Il y a beaucoup de Birmans réfléchis de par le monde. Cependant, ces temps-ci, ils ne tiennent pas les rênes du pouvoir.
Le président: J'aimerais lier la question du commerce au respect des droits de la personne. Je prendrai un exemple précis. Quelle est et quelle devrait être notre attitude à l'égard de l'importation au Canada de produits fabriqués par une main-d'oeuvre enfantine?
Mme Huber: Comme pour toute question, il est très important de définir les termes que vous utilisez. Qu'est-ce qui constituerait de la main-d'oeuvre enfantine? C'est une question très complexe qu'il faut examiner en fonction du pays et des répercussions. Par exemple, même si ce n'est pas de mon domaine, si vous parlez de la fabrication de tapis en Inde ou au Pakistan et que des enfants de 14 ou 15 ans perdent leurs emplois en raison des normes que nous imposons, il faut alors poser la question suivante: Les obligera-t-on à faire de la prostitution et à gagner leur argent autrement? C'est une question complexe.
Mme Hall: Je peux ajouter qu'il s'agit s'agit d'un principe fondamental. Ce dont nous tenons compte ce sont des autres sources de revenu auxquelles une famille a accès. Dans bien des cas d'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine, je souhaiterais qu'il s'agisse d'enfants de 14 ou 15 ans, mais il y a des cas où les enfants ont aussi peu que sept ou huit ans et où la famille n'a pas d'autres sources de revenu. Il arrive souvent qu'il n'y ait pas d'établissement scolaire qui soit accessible à l'enfant. Ce que nous examinons de plus en plus c'est le travail des enfants dans un petit village, dans une collectivité. Nous travaillons alors en collaboration avec les ONG et les collectivités locales afin de mettre au point des programmes dont la démarche est intégrée et qui offrent de l'éducation pour les enfants, de l'assistance sanitaire, de l'éducation pour la mère de même qu'un autre gagne-pain pour l'ensemble de la famille.
Le président: Plus tôt, madame Hall, je crois que vous avez dit qu'il y a en Inde un nombre raisonnable de gens assez bien instruits, peut-être souvent bien instruits et qu'il n'y a pourtant pas assez d'emploi même si certaines personnes en trouvent dans les ONG. Pourriez-vous nous donner un ou deux exemples?
Mme Hall: Il y a probablement en Inde plus d'ONG que dans n'importe quel autre pays asiatique. On en retrouve dans toutes les régions du pays. Ils ont entre autres les Clubs Rotary. Il pourrait s'agir d'organismes de défense des droits de la personne, d'organismes intéressés par la protection de l'environnement, d'organismes chargés de l'élaboration de programmes ou de développement communautaire. Les diplômés du niveau secondaire et ceux qui détiennent un baccalauréat ou l'équivalent trouvent très souvent de l'emploi dans ce secteur plutôt qu'au gouvernement ou dans l'entreprise privée.
Le président: Je vois.
Le sénateur Andreychuk: Le gouvernement canadien fonde-t-il sur la Convention relative aux droits des enfants sa position en ce qui a trait au travail des enfants. Dans l'affirmative, comment vous débattez-vous avec le fait que la convention commence par un un préambule qui fournit à tous les gouvernements, par l'entremise des valeurs culturelles, un moyen de se défiler?
Mme Hall: Nous encourageons le plus grand nombre possible de gouvernements à respecter les conventions qu'ils signent. Le problème de la main-d'oeuvre enfantine est particulièrement pointu en Asie du Sud, et les pays eux-mêmes ont signé sous l'égide de l'ACRAS des protocoles en vertu desquels ils s'éloigneront des industries dangereuses le plus rapidement possible. Ils espèrent en venir d'ici l'an 2010 à un système qui éliminera la main d'oeuvre enfantine. Nous travaillons avec eux de façon pratique au niveau de l'ACRAS par l'entremise de programmes bilatéraux individuels et aussi dans le cadre multilatéral. C'est toujours le même principe de base qui s'applique: si vous avez signé un accord, veuillez le respecter.
Le président: Nous avons eu une discussion très intéressante et je suis convaincu que tous les sénateurs sont très reconnaissants à chacun d'entre vous de les avoir éclairés. Je vous remercie en leur nom.
La séance est levée.