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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 22 avril 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 20, afin d'étudier, pour en faire rapport, l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada (la Chine et les relations économiques Canada-Chine).

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous reprenons cet après-midi l'étude de l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada. Nous avons le concours de Mme Margaret Huber, directrice générale de la Direction générale de l'Asie du Nord et du Pacifique, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. J'ai présenté Mme Huber de manière plus approfondie à notre séance d'hier.

Elle est accompagnée aujourd'hui par Mme Karen Minden, directrice de Asia-Pacific Associates. Mme Minden a une belle carrière universitaire à son actif et je remarque qu'elle a un diplôme d'aptitudes linguistiques de l'Institut des langues de Beijing. Cela sous-entend -- à juste titre -- qu'elle parle couramment le mandarin.

M. Paul Bowles, docteur en économie de la London School of Economics est notre troisième témoin. Il a enseigné au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada. M. Bowles est professeur d'économie et président du programme d'études en économie de la University of Northern British Columbia. Il est spécialiste en économie du développement et s'intéresse essentiellement à la région de l'Asie orientale. Nous sommes très heureux que M. Bowles ait pu venir de si loin pour nous rencontrer cet après-midi.

Je vais demander à Mme Huber de commencer sur le sujet des relations du Canada avec la Chine.

Mme Margaret Huber, directrice générale, Direction générale de l'Asie du Nord et du Pacifique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi que d'être de nouveau invitée aujourd'hui pour vous parler de la Chine et des relations économiques Canada-Chine, surtout en présence de deux grands spécialistes, Mme Minden et M. Bowles.

J'aimerais tout d'abord situer mes observations dans le contexte de la stratégie du Canada à l'égard de la Chine et ensuite, parler de la crise financière en Asie et de son impact sur les relations Canada-Chine, de l'accession de la Chine à l'OMC et de la façon dont cela pourrait influer sur les exportations canadiennes, de certains des grands projets de restructuration du gouvernement chinois et de leur impact sur les relations sino-canadiennes, des résultats du récent voyage du ministre Marchi en Chine et à Hong Kong, notamment l'annonce de la création d'un groupe parlementaire Chine-Canada, et, enfin, des prochaines étapes de l'incitation active du Canada en Chine dans le domaine du commerce et de l'économie.

Tout d'abord, pour ce qui est de l'importance de la Chine pour le Canada, je dois dire que la Chine se place au quatrième rang de nos partenaires commerciaux et Hong Kong, au huitième. Ensemble, et c'est ainsi qu'il faut les envisager, depuis le retour de Hong Kong dans le giron de la Chine continentale, la Chine se classe au troisième rang de nos partenaires commerciaux.

Comment nous comparons-nous à leurs yeux? Au chapitre des relations commerciales uniquement, nous nous classons au seizième rang des pays fournisseurs et au quinzième rang des pays clients de la Chine.

Nous avons toujours encouragé la Chine à adopter une politique de porte ouverte et à l'améliorer, tout en s'intégrant complètement dans les institutions politiques et économiques mondiales et régionales. L'APEC a d'ailleurs été très utile à cet égard.

Ces 20 dernières années, la Chine a été l'une des économies les plus dynamiques du monde et elle se classe actuellement au onzième rang des pays commerçants du monde, le commerce extérieur représentant 21 p. 100 de son PNB.

Le quinzième Congrès du Parti communiste chinois qui a eu lieu dernièrement, a confirmé certains des changements considérables intervenus, notamment la réforme et la privatisation des sociétés d'État chinoises; il s'agit de la question la plus importante à l'ordre du jour. Dans le contexte de la réforme gouvernementale effectuée en Chine, il n'y aura plus que 29 ministères au lieu de 40. Sans compter le chômage que cela va provoquer, il s'agit, comme vous pouvez vous en douter, d'un défi de taille pour la Chine.

Dans un tel environnement, nous devons continuer à nous «positionner» de manière à instaurer avec la Chine un partenariat économique qui crée des emplois dans les deux pays et contribue à leur prospérité. L'incitation active devrait se faire à tous les niveaux. Grâce au dialogue et aux liens entre le Premier ministre Chrétien et le président chinois Jiang, les relations à long terme entre le Canada et la Chine reposent sur quatre éléments: partenariat économique; développement durable et protection de l'environnement; paix et sécurité, droits de la personne; bon gouvernement et primauté du droit.

Pour ce qui est des stratégies commerciales vis à vis de la Chine et de Hong Kong, je crois bien que vous avez reçu un plan d'action, publié il n'y a pas si longtemps par notre direction de la Chine. Au lieu de vous en parler en détail, je vous invite à le lire.

J'aimerais indiquer toutefois que des missions comme celle qu'a récemment dirigée le ministre Marchi, donnent l'occasion de susciter l'intérêt des Canadiens à l'égard des opportunités offertes par la Chine. La mission commerciale en Chine, la plus grande mission ministérielle encore jamais vue, comprenait un grand nombre de petites et moyennes entreprises -- un quart des participants. Nous essayons également de travailler plus étroitement avec le secteur privé, notamment des groupes comme le Conseil commercial Canada-Chine, pour trouver des idées novatrices permettant de faire de l'incitation active en Chine.

Nous travaillons étroitement avec l'ACDI, dont le programme pour la Chine, le plus important des programmes bilatéraux, met l'accent sur les liens et les partenariats économiques, le développement durable et la protection de l'environnement, tout en encourageant la Chine à améliorer le concept de bon gouvernement et les droits de la personne, sujet sur lequel nous nous sommes attardés hier.

Depuis 1994, l'ACDI a entrepris 25 nouveaux projets bilatéraux avec la Chine et a affecté 195 millions de dollars à cet effet jusqu'en l'an 2002. Pour l'exercice en cours, le budget de l'ACDI pour la Chine atteint près de 40 millions de dollars.

J'aimerais maintenant m'attarder sur l'impact de la crise asiatique, qui a non seulement été une crise financière, mais aussi une crise sociale et politique. La Chine affiche en moyenne 10 p. 100 de croissance réelle depuis 1978 et, malgré une croissance substantielle de la population, connaît une croissance de 400 p. 100 du PIB proportionnelle au nombre d'habitants. Au cours de cette période, la taille relative du secteur public de la Chine a été graduellement réduite; je veux parler des entreprises d'État dont il a été fait mention plus tôt. Le secteur public de la Chine représente maintenant près de 34 p. 100 de la production industrielle totale, contre 82 p. 100 il y a 20 ans. À titre de comparaison, le secteur public de la Chine est aujourd'hui inférieur à celui de la France.

Toutefois, l'économie chinoise ralentit, la croissance étant officiellement prévue à 8 p. 100 pour 1998. Pour nous, il s'agit d'un excellent pourcentage, mais c'est une baisse réelle pour la Chine.

L'inflation devrait néanmoins être inférieure à 3 p. 100 et l'économie chinoise est en assez bon état. Toutefois, deux facteurs importants assombrissent l'horizon. La tourmente financière qui s'est abattue sur des pays d'Asie comme l'Indonésie, la Thaïlande, la Corée et la Malaysia a eu -- et pourrait continuer d'avoir -- un effet de plus en plus marqué sur la Chine. L'augmentation des exportations chinoises à destination de ces pays a déjà manifestement chuté. La signature de quelques grands projets d'investissement négociés avec ces pays a été reportée indéfiniment.

La Chine a récemment été touchée par les retombées de la crise du poulet à Hong Kong, lorsque certains pays ont annoncé qu'ils n'importeraient pas de poulet congelé de Chine, tout en se posant des questions sur les contrôles phytosanitaires chinois.

En outre, la compétitivité des exportations chinoises par rapport à celles des pays qui, maintenant, vont pouvoir exporter à des prix réduits, a été affaiblie tant sur les marchés des États-Unis que du Japon, en raison de l'avantage compétitif découlant de la dévaluation des devises de ces concurrents asiatiques.

Nous prévoyons que l'investissement étranger direct en Chine s'effondrera cette année, passant de 45 milliards de dollars américains en 1997 à peut-être 30 milliards de dollars américains en 1998, à cause du repli des investisseurs d'Asie orientale qui représentent 80 p. 100 de l'investissement direct étranger en Chine.

D'après certains observateurs de l'économie chinoise, la Chine va finir par dévaluer sa monnaie, le renminbi, à cause des pressions concurrentielles exercées par d'autres exportateurs asiatiques et par suite du ralentissement général de l'économie, aggravé par les réformes imposées aux sociétés d'État. Toutefois, les dirigeants chinois ont déclaré catégoriquement que la Chine ne dévaluera pas sa monnaie, car cela ne ferait que déstabiliser davantage la région.

C'est un point que le commissaire en chef chinois Ma, que j'ai rencontré récemment à Hong Kong, a très fortement souligné. En outre, il a fait remarquer qu'en raison de l'excédent commercial de la Chine -- qui se chiffre à 40 milliards de dollars américains en 1997 -- et en raison de l'importance des réserves de devises de la Chine qui, avec ses 140 milliards de dollars américains, se classe au deuxième rang des pays du monde à ce chapitre, le renminbi devrait au contraire être revalorisé.

Les dirigeants chinois savent fort bien qu'une dévaluation entraînerait un bouleversement économique et financier à Hong Kong, ainsi que l'effondrement du taux de change. La Chine est bien décidée à promouvoir la stabilité à Hong Kong, en raison surtout de son récent retour dans le giron de la Chine. Une dévaluation intempestive du renminbi effacerait également les sentiments de reconnaissance de la part des pays voisins asiatiques à l'égard de la Chine au moment de la crise. En effet, la Chine a offert dans la deuxième vague d'aide un milliard de dollars pour des pays comme la Thaïlande et l'Indonésie.

Même si l'on ne peut donc pas écarter des rajustements mineurs à moyen terme, il y a peu de chances que l'on assiste sous peu à une dévaluation importante du renminbi, même si, contrairement au commissaire en chef Ma, je ne vais pas jusqu'à dire que cela n'arrivera jamais.

L'économie chinoise dans son ensemble est beaucoup moins équilibrée que beaucoup d'autres économies asiatiques. Un pourcentage plus élevé de la production est affecté à la demande intérieure et une plus forte proportion de l'activité générale est axée sur le développement des infrastructures.

Alors que seulement près de 3 milliards de dollars des exportations du Canada se font à destination de la Chine, ce qui représente toujours moins de 2 p. 100 des exportations totales du Canada, notre commerce avec la Chine, autre que celui des céréales, croît d'année en année. Nous n'avons toujours pas été en mesure d'évaluer complètement les exportations en matière de services, mais le marché chinois est maintenant d'une importance capitale pour les ingénieurs, les consultants, les banquiers et les assureurs canadiens.

Même si l'économie chinoise ralentit en raison de la diminution des entrées de capitaux et d'une plus vive concurrence en matière d'exportation de la part des voisins de la Chine, nous ne pensons pas que cela influera de façon significative sur les efforts déployés par le Canada pour percer les marchés chinois, que ce soit au plan des produits ou des services.

Indépendamment du consensus exprimé au sujet de l'impact de la crise asiatique sur l'économie chinoise, il est évident que ce sont les secteurs relativement flexibles des capitaux étrangers et tributaires des exportations -- comme les jouets, les bibelots, les textiles, les plastiques domestiques et les chaussures -- qui en ont le plus souffert. Mis à part quelques exceptions, ces secteurs ne sont pas des secteurs clés pour le Canada en Chine ni non plus ceux où les sociétés canadiennes ont fait d'importants investissements.

Sur le marché chinois actuel, nous sommes en position de force dans les secteurs des services et des produits qui permettent de répondre aux énormes besoins de la Chine en matière d'infrastructure. Compte tenu de l'importance de ces besoins, l'investissement dans ces secteurs continuera de croître à l'avenir.

Je crois que M. Bowles va parler du développement dans ce domaine, ainsi que Mme Minden, si bien que je ne vais pas m'attarder là-dessus.

J'aimerais maintenant parler très brièvement de l'accession à l'OMC et de l'accès aux marchés, ainsi que de l'impact que cela aura sur les intérêts canadiens.

Alors que la Chine offre des opportunités de taille à l'entreprise canadienne, plusieurs pratiques chinoises continuent de freiner l'accès du Canada à ce marché. Il s'agit des tarifs douaniers élevés, malgré les réductions apportées en octobre 1997, des normes relatives aux produits nationaux qui, à notre avis, entravent le commerce inutilement. Par ailleurs, les sociétés étrangères font l'objet de traitement discriminatoire, sans compter le manque de transparence et de logique dans l'application des normes, lois et règlements, ainsi que les obstacles non tarifaires comme les licences d'importation, les quotas, et le processus inéquitable des appels d'offres.

Dans le cadre des négociations en cours sur l'accession à l'OMC, le Canada et d'autres grands partenaires commerciaux encouragent la Chine à s'engager à supprimer ou, à tout le moins, réduire ces obstacles aux échanges. Alors que les représentants chinois ont indiqué que la Chine tient effectivement à résoudre ces questions dans le contexte de son accession à l'OMC, les progrès sont toujours lents. Les dernières négociations à Genève, qui ont eu lieu le 6 avril dernier, n'ont pas vraiment fait avancer les choses. Les ministres Marchi et Vanclief, qui se sont récemment rendus à Beijing, ont exprimé les préoccupations du Canada au sujet des tarifs douaniers élevés et des obstacles au marché, lorsqu'ils ont rencontré leurs homologues chinois. Ils ont notamment parlé d'une question importante encore en suspens, celle des contingents tarifaires que propose la Chine pour les céréales et les oléagineux, qui comptent pour près de 40 p. 100 de la valeur de nos exportations à destination de la Chine.

J'aimerais maintenant parler très brièvement de la restructuration majeure du gouvernement chinois, qui est sans précédent, et des répercussions que cela pourrait avoir sur le Canada. Le Congrès national du peuple a annoncé un plan ambitieux de restructuration qui représente le changement le plus radical au sein de la bureaucratie chinoise ces 20 dernières années. Au cours de la 9e session, le premier ministre sortant Li Peng a été d'une franchise peu typique au sujet des problèmes auxquels fait face la Chine et s'est montré équivoque quant aux solutions. Il a déclaré qu'une restructuration en profondeur de la vaste bureaucratie chinoise s'impose pour préparer la Chine pour l'avenir, que les changements économiques en Chine dépendent d'une forme de gouvernement plus moderne, définissant plus clairement les axes de responsabilité des ministères et évitant le chevauchement. Cela obligerait la fonction publique chinoise à s'adapter aux changements économiques survenus ces 10 dernières années et «positionnerait» la Chine pour le prochain millénaire.

Le plan réel, qui est des plus ambitieux et qui dépasse de loin le plan d'unification de l'UE, ferait passer le nombre de ministères de 40 à 29 et se traduirait par le licenciement de quatre millions de fonctionnaires.

Même si l'impact de ces changements sur les entreprises canadiennes était limité à court terme, les changements prévus dans le domaine des télécommunications et de la sécurité sociale, ainsi que le fusionnement des fonctions de planification et de réglementation de beaucoup de secteurs, sont particulièrement intéressants.

La réussite de cette restructuration ne peut qu'être à l'avantage de la Chine et des relations économiques Canada-Chine et nous souhaitons certainement à ce pays de réussir dans cette entreprise.

J'aimerais maintenant m'attarder très brièvement sur la récente mission en Chine dirigée par le ministre Marchi et sur l'annonce de la création du Groupe parlementaire Canada-Chine.

La mission en Chine qui s'est rendue non seulement à Beijing, mais aussi à Shanghai et à Hong Kong au début d'avril, se composait de 84 sociétés, dont 25 petites et moyennes entreprises, et de quatre parlementaires. Les sociétés ont participé à toutes les rencontres sectorielles avec les dirigeants chinois et la couverture médiatique de cette mission a été sans précédent en Chine. Plus de 800 millions de dollars de nouvelles ententes commerciales ont été signées, sans compter des investissements de plus de 48 millions de dollars. Cinq sociétés ont annoncé l'ouverture de bureaux en Chine et l'on compte aujourd'hui plus de 300 sociétés canadiennes présentes en Chine.

Malgré les missions commerciales concurrentielles de la France et de l'Afrique du Sud qui se trouvaient en Chine exactement au même moment, les dirigeants chinois ont consacré beaucoup de temps au Canada. Les participants commerciaux ont été particulièrement heureux de pouvoir rencontrer les décideurs de haut niveau, le ministre les ayant invités aux rencontres officielles.

Lors de ses entretiens avec le nouveau président du Congrès national du peuple, le ministre Marchi a annoncé la création du Groupe parlementaire Canada-Chine, lequel favorisera le dialogue entre les parlementaires canadiens et les membres du Congrès national du peuple. Cette initiative avait été également débattue au cours de la visite du président Jiang Zemin au Canada en novembre dernier. Nous croyons que les contacts parlementaires avec la Chine peuvent être utiles et permettre de partager l'expertise du Canada dans de nombreux domaines comme les règles parlementaires, la séparation des pouvoirs législatif et exécutif et les procédures parlementaires essentielles à l'établissement d'une assemblée législative moderne et représentative. La Chine a déclaré qu'elle se réjouissait que le Congrès national du peuple puisse ainsi tirer parti de l'expertise canadienne.

Vous avez été très indulgents à mon égard. J'aimerais maintenant passer à un dernier point avant de céder le microphone à Mme Minden et à M. Bowles. Que faut-il faire maintenant? Compte tenu que nous avons déjà envoyé plus de 300 missions canadiennes en Chine l'an dernier, que faut-il faire maintenant?

En plus des visites effectuées en Chine récemment par les ministres Marchi, Vanclief et Marleau, il faut s'attendre que se maintienne le rythme des missions effectuées par les principaux ministres et les groupes d'hommes d'affaires. Ainsi, le ministre Manly et le secrétaire Chan doivent s'y rendre en mai. Nous continuerons d'assurer une présence commerciale importante dans les grandes villes où il n'y a pas de bureau canadien établi, que ce soit à Shanghai, à Guangzhou ou à Chongqing.

De toute évidence, la question de l'accession à l'Organisation mondiale du commerce demeure une priorité des négociateurs canadiens, et nous avons averti les Chinois qu'il faut qu'ils bonifient leur offre de manière à tenir compte des préoccupations de l'industrie canadienne. Je prévois qu'après la visite du président Clinton en Chine, en juin prochain, et un certain déblocage des négociations avec les États-Unis en ce qui concerne l'OMC, les négociateurs chinois accorderont peut-être un peu plus d'attention aux négociations avec le Canada.

En juillet, Sylvia Ostrey dirigera un colloque sur l'OMC organisé par l'entreprise privée à Beijing pour renseigner sur les changements à la réglementation qui accompagnent l'accession à l'OMC. Nous prévoyons aussi que les négociations portant sur un accord de protection de l'investissement, sujet qui avait été abordé durant et avant la visite du président Jiang Zemin et durant la visite effectuée récemment en Chine par le ministre Marchi, aboutiront d'ici à la fin de l'année, ce qui offrira une meilleure protection aux investisseurs canadiens en Chine.

En septembre, le comité mixte des échanges économiques entre le Canada et la Chine tiendra aussi sa réunion annuelle. En novembre, l'association commerciale Canada-Chine, qu'il faut féliciter du rôle nettement supérieur à celui des autres associations bilatérales qu'elle joue, célébrera son vingtième anniversaire à Beijing.

Honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup de votre attention. Il me tarde de répondre à vos questions.

Le président: Je vous remercie beaucoup. Nous cédons maintenant la parole à Mme Minden.

Mme Karen Minden, directrice, Asia-Pacific Associates: Monsieur le président, honorables sénateurs et chers collègues, je vous remercie beaucoup. C'est pour moi un honneur de prendre la parole ici aujourd'hui.

Je commencerai par vous donner un bref aperçu des principaux facteurs qui entrent en jeu dans la composition du profil politique et économique de la Chine en 1998 et qui sont susceptibles de vous intéresser. Par la suite, je ferai quelques observations au sujet de l'atout concurrentiel dont jouit le Canada pour répondre aux besoins de la Chine et, enfin, je parlerai de l'incidence politique d'une intensification du commerce entre le Canada et la Chine.

Faisons donc le portrait de la Chine contemporaine. Les besoins criants de la Chine, après presque deux décennies de croissance économique rapide, sont triples. Elle a besoin de ressources humaines qualifiées pour se doter de l'infrastructure et des institutions économiques et politiques contemporaines voulues, y compris d'un système financier et d'institutions juridiques, pour entretenir des relations avec le reste du monde. Si l'on se fie aux chiffres astronomiques et à la croissance économique époustouflante -- Margaret Huber vous en a parlé en détail --, la croissance des 20 dernières années a été fort remarquable. Par contre, de récentes analyses de la durabilité économique de la Chine font ressortir certaines faiblesses qui minent vraiment son économie.

Le rapport sur la compétitivité à l'échelle mondiale, par exemple, classe la Chine au 29e rang, parmi 53 pays, alors que le Canada occupe le quatrième rang, Singapour, Hong Kong et les États-Unis occupant respectivement la première, la deuxième et la troisième place. Les pays sont évalués en fonction de leur infrastructure, de l'ouverture de leurs marchés, du développement des marchés de capitaux, du cadre réglementaire, de la gestion de la technologie et des institutions politico-juridiques. La Chine n'est peut-être pas complètement paumée, mais elle ne figure pas parmi les 15 grands.

Un autre organisme, Transparency International, classe la Chine au 41e rang de 52, alors que le Canada figure en cinquième position, quant au niveau perçu de corruption. Ils s'attardent à la façon dont sont contournées les barrières tarifaires, par exemple au moyen de concessions bilatérales, à l'impact des barrières non tarifaires qui entravent le commerce -- Mme Huber y a fait allusion --, aux droits de propriété intellectuelle, aux normes et aux formalités d'émission de permis qui souffrent peut-être d'un manque de prévisibilité et de transparence. Sur l'échelle de la corruption, la Chine occupe encore une fois une position précaire.

Enfin, l'indice du développement humain du PNUD qui sert à évaluer 175 pays sur le plan de l'alphabétisation, de l'éducation, de l'espérance de vie et du pouvoir d'achat, entre autres, classe la Chine au 108e rang alors que le Canada se retrouve en première place -- nous ne savions pas qu'il faisait si bon y vivre -- et les États-Unis, en quatrième.

Quelles sont les forces de la Chine? Pour l'instant, c'est sa devise. Le Ren Min Bi est stable, et l'on prévoit qu'il le demeurera pour une année au moins. La croissance des exportations est encore très forte. La Chine a une très petite dette extérieure à court terme, de sorte qu'elle n'est pas vulnérable comme certaines autres économies de la région.

La Chine dispose d'énormes réserves, de l'ordre de 130 à 140 milliards de dollars US selon la source, et, après la tenue du quinzième Congrès du Parti national, ses gouvernants ont le pouvoir bien en main. Jiang Zemin est considéré comme un dirigeant compétent jouissant d'une influence relativement forte et étendue. Zhu Rongji est considéré comme un de ses partisans. En d'autres mots, le règne de Jiang Zemin ne connaîtra peut-être pas les querelles intestines qui ont caractérisé d'autres régimes. Jiang est considéré comme étant exceptionnellement compétent et un des dirigeants chinois les plus honnêtes. De plus, il jouit de forts appuis à l'étranger.

Pour ce qui est de la succession, on est en train de préparer la relève chez les cinquante et les soixante ans. La succession devient de plus en plus facile à prédire en Chine, à condition que rien ne vienne brouiller les cartes.

Nous avons déjà fait allusion aux faiblesses de la Chine. J'aimerais toutefois m'attarder à quelques-unes d'entre elles. La Chine court un énorme risque, en réalité, en procédant à la réforme des entreprises étatiques en l'absence de tout filet de sécurité sociale. La stabilité sociale et politique pourrait en être compromise. Sous le régime communal, l'État prenait le citoyen en charge de sa naissance jusqu'à sa mort. Quand ce régime a été aboli, il n'y avait rien pour le remplacer. La Great-West Life et Manual Life n'ont pas réussi à combler le vide.

Il semble que le tiers environ des entreprises étatiques, la plupart étant situées dans le nord industrialisé et employant environ 200 millions de travailleurs, ne sont pas viables. L'État les soutient au moyen de prêts.

Le secteur bancaire chinois est en grande partie insolvable. Les banques consentent des prêts aux entreprises en fonction de critères politiques, plutôt que de critères financiers. En fait, j'ai entendu plusieurs commentaires de personnes qui connaissent beaucoup mieux que moi l'OMC et la finance -- j'espère que Paul Bowles pourra vous en dire davantage à ce sujet -- dire que, s'il fallait que la Chine satisfasse immédiatement aux normes de l'OMC, son secteur financier s'effondrerait. Le droit, la finance et la gestion, les trois piliers des relations économiques mondiales, accusent des faiblesses sur le plan des ressources humaines.

Les principaux défis à relever sont le passage d'une économie planifiée à une économie de marché sans rompre l'équilibre essentiel à la stabilité sociale. Les relations avec les États-Unis et le litige concernant l'accession à l'OMC sont un point faible en raison, en grande partie, de la scène politique intérieure des États-Unis. Il faut que la Chine se dote des institutions voulues pour accueillir plus d'investissements étrangers de manière à pouvoir développer son infrastructure. Ce sera probablement la clé de voûte d'une croissance économique durable. Cela inclut le cadre juridique et commercial tout autant que le secteur bancaire, qui devra se comporter avec plus de transparence. Ces changements devront survenir au sein d'une culture étrangère à la primauté du droit. Bien sûr, la Chine a une tradition très riche accumulée pendant des millénaires, mais dont la primauté du droit est absente. S'il y a progression sur ce plan, ce sera une véritable révolution culturelle par opposition à la dernière.

Quels rapprochements peut-on faire entre la Chine et le Canada? Le tableau des échanges commerciaux actuel, comme nous le savons, n'est pas aussi impressionnant qu'il pourrait l'être. Il est dominé par les grains. Le pourcentage qui m'a été fourni est de 37 p. 100, mais je crois que celui de Mme Huber est probablement plus fiable. Suivent d'autres produits du secteur primaire, soit le bois, les pâtes et le papier, les minerais. La part canadienne des échanges commerciaux avec la Chine a augmenté de 0,2 p. 100 depuis quelques années, mais elle a reculé par rapport au niveau de 1992 et elle demeure relativement faible, à environ 1,5 p. 100. En 1996, nos exportations ont reculé par rapport à 1995, alors que nos importations ont augmenté.

Quelles sont les forces du Canada, car il en a beaucoup, et quels sont les débouchés qui s'offrent à lui? Le Canada est considéré comme un honnête courtier sans passé impérialiste en Chine et il est à la frontière des États-Unis. En fait, plusieurs d'entre nous qui travaillons officieusement aux relations sino-canadiennes reçoivent des appels téléphoniques d'organismes chinois qui aimeraient savoir comment s'y prendre pour traiter avec les États-Unis parce que nous sommes ceux qui les comprennent le mieux, semble-t-il.

Nous sommes en excellente position pour suivre notre politique visant à encourager l'adhésion de la Chine aux organismes multilatéraux. Nous avons d'excellentes capacités en matière d'éducation et de formation qui nous permettent de répondre aux besoins de développement des ressources humaines de la Chine. Celle-ci cherche activement à diversifier ses partenaires commerciaux de manière à ne pas dépendre excessivement des marchés états-uniens, ce en quoi nous aurions intérêt à l'imiter, je crois. Le Canada a une capacité de calibre mondial en matière d'infrastructure. Sur le plan géographique, nous avons beaucoup de similitudes avec la Chine, soit d'immenses étendues froides, de grandes distances à parcourir et des barrières naturelles difficiles à franchir. Nous avons aussi d'excellentes ressources en sciences et en technologie, en génie, en écotechnologie, en R-D et en technologie de production de pointe. Nous savons comment gérer les services sociaux, certes mieux que la Chine, et nous savons comment gérer les services de santé et leur prestation.

Comment cela se reflète-t-il dans l'approche que nous adoptons pour multiplier les préliminaires économiques avec la Chine? Tout d'abord, nous insistons sur l'intégration d'un volet Développement des ressources humaines au commerce et à l'investissement et nous l'appuyons. Par exemple, la Banque de Montréal est en train de former des dirigeants de banque chinois, dont plusieurs sont des ingénieurs qui ont fait leurs études en Union soviétique pendant les années 50. Ces études ne les ont donc pas bien préparés à la fonction de directeur de banque. La Banque de Montréal le fait, naturellement, en vue d'ouvrir plus de succursales plutôt que de simples bureaux de représentation en Chine.

Certains partenariats conclus entre l'ACDI et des entreprises chinoises ont une composante Développement des ressources humaines. Il existe selon moi de merveilleuses possibilités de partenariat entre les établissements d'enseignement et l'industrie et il faudrait peut-être prévoir des incitatifs fiscaux pour les encourager. L'élément Développement des ressources humaines en commerce et en investissement est une possibilité très importante.

Ensuite, nous investissons dans la composante Haute technologie de notre secteur primaire et nous l'exploitons. Deux raisons expliquent ce choix. D'une part, bien que le coût de notre main-d'oeuvre soit très élevé par rapport à bon nombre de nos concurrents, surtout en Asie, l'aspect Haute technologie de nos biens et services nous rend plus compétitifs, par exemple pour la manutention de matériaux en vrac, pour le transport, en technologie de l'information et en gestion du secteur des ressources naturelles.

D'autre part, nous favorisons le commerce des services regroupés autour de chacun de ces secteurs de ressources naturelles dans lesquels nous avons une très grande expertise.

De plus, nous aidons la Chine à se doter d'institutions juridiques et financières et, comme il a déjà été mentionné, il s'agit-là d'un effort réfléchi sur le plan de la politique: des systèmes de gestion, la gestion de l'environnement. J'ajouterais qu'il est fort utile de recourir à des organismes de la deuxième et de la troisième voies pour parvenir à cette fin plutôt que de s'en remettre à de simples rapports de gouvernement à gouvernement pour développer les institutions. Les organismes de la deuxième voie sont en effet des groupes officieux de représentants du monde des affaires, du secteur public et du milieu universitaire et ceux de la troisième voie, des partenariats avec les milieux universitaires. Ils sont utiles pour avoir l'oreille des grands commis de l'État.

Par surcroît, nous nous attaquons au marché de la Chine en le divisant en régions, l'une étant composée de Beijing et de Tianjin, une autre de Shanghai et du delta de la rivière Yangtze et la troisième, de Guandong et du delta de la rivière Pearl. Si l'on recule de deux siècles dans notre histoire, quand toutes ces régions étaient déjà peuplées par des missionnaires venus d'Europe et des États-Unis, les Canadiens se sont concentrés sur l'extrême- ouest de la Chine et pourraient bien selon moi le refaire, se tournant vers Chengdu, Chongquing et la plaine de la Chine occidentale. Les sous-régions sont plus faciles à gérer et elles sont plus sensées, sur le plan commercial, pour les entreprises canadiennes.

Nous encourageons aussi les petites entreprises canadiennes -- même les grandes au Canada sont petites par rapport à la norme internationale -- à augmenter leurs chances de pénétrer le marché en concluant des partenariats avec des intervenants plus expérimentés et qui s'y connaissent mieux, y compris avec des Canadiens de souche asiatique, de tiers pays, des entreprises américaines, australiennes, néo-zélandaises, singapouriennes, plus particulièrement malaisiennes, et de grandes entreprises comme Siemens et Hopewell qui sont actives dans des secteurs où les Canadiens excellent.

Enfin, il sera très important de ménager les susceptibilités chinoises. Les Chinois se voient comme une civilisation ancienne et riche et ils n'aiment donc pas se faire faire la leçon par des barbares, comme le disait Henry Kissinger. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il ait été le premier à le dire.

Il importe selon moi d'asseoir nos projets bilatéraux et multilatéraux sur le principe de la mutualité. Que ce soit candide ou pas, les Chinois verront d'un très bon oeil que nous leur demandions de nous montrer comment ils s'y prennent dans des secteurs où nous nous permettons de leur montrer comment faire. Nous gagnerions ainsi beaucoup en connaissances et, fait plus important encore, nous serions dans leurs bonnes grâces.

En guise de conclusion, je crois que nous savons que la Chine est fort probablement la plus importante économie du monde et que la transparence, la prévisibilité et le commerce mené par des entreprises internationales en fonction de certaines règles auront une énorme influence sur la réforme politique et permettront de réaliser des progrès plus rapidement et plus efficacement que ne le pourrait la seule réforme politique.

Le président: C'est nous qui vous remercions.

Je suis en train d'examiner le curriculum vitae de M. Bowles et j'y vois divers points intéressants. J'ignore sur lesquels il va miser, dans lesquels il va puiser pour nous parler cet après-midi. Sera-t-il question des effets macroéconomiques de l'aide extérieure ou de la réforme du système financier de la Chine? Monsieur Bowles, mettez fin au suspense.

M. Paul Bowles, professeur d'économie, University of Northern British Columbia: Monsieur le président, mes deux collègues ont parlé des relations sino-canadiennes. J'ai donc pensé qu'il vaudrait mieux m'en tenir aujourd'hui à décrire certains enjeux actuels de l'économie chinoise.

J'aimerais aborder trois points. Tout d'abord, j'aimerais situer quelque peu le comité en contexte pour qu'il soit en mesure de comprendre l'économie chinoise; ensuite, nous examinerons la conjoncture actuelle, les événements actuels; enfin, il sera question de l'incidence de la crise financière, de la crise asiatique, sur la Chine et de l'analyse qu'en font les Chinois.

Je commencerai par vous parler brièvement du contexte essentiel pour faire l'analyse de l'économie chinoise. Il faut au départ accepter le fait que la réforme est cyclique, que la période qui a débuté en 1978 avec les réformes économiques a comporté plusieurs cycles distincts.

Ces cycles ont trois composantes. Je les qualifie de composantes macroéconomique, macropolitique et idéologique. Je m'explique.

La Chine a vécu des cycles macroéconomiques perceptibles. En fait, on estime que la Chine a doublé son PNB par tête d'habitant en dix ans -- le taux de croissance le plus rapide de toute l'histoire de l'Homme, semble-t-il. Cette tendance à une forte croissance a été cyclique. Toutefois, la Chine a connu des périodes d'hypercroissance et de forts taux d'inflation -- quand je dis forts, je parle de taux gravitant autour de 20 p. 100 par année -- suivies de périodes où l'on tentait de reprendre les rênes macroéconomiques, de ralentir l'inflation en sacrifiant une part de la croissance. C'est le premier point dont il faut tenir compte.

La deuxième composante des cycles de réforme a été ce que j'ai appelé l'«effet macropolitique», c'est-à-dire les rapports entre le gouvernement central et le gouvernement local. Les autorités provinciales ou locales sont très puissantes en Chine. Ce ne sont pas de petites entités; dans certaines provinces, la population atteint 60 millions d'habitants. Leur pouvoir a connu des hauts et des bas. Des efforts sont déployés en vue de recentraliser le pouvoir.

La troisième dimension est d'ordre idéologique. Je ne parle pas d'une réforme politique, sujet tout à fait différent, mais plutôt de ce qui est économiquement acceptable. Quel est le rôle relatif du marché par rapport au plan? Devrait-il y avoir des actionnaires privés en Chine? Devrait-il y avoir des bourses? Faut-il privatiser? Comment faut-il concevoir les institutions économiques? Ces politiques ont toutes été contestées, à mesure que la Chine, qui se décrivait auparavant comme une économie planifiée, est passée à une économie de produits de base planifiée, puis à une économie de marché socialiste. Toutes ces nouvelles appellations, qui peuvent sembler déroutantes, ont une signification sur le plan de ce qui est économiquement acceptable, à mesure qu'évolue la Chine.

Chacun de ces trois éléments est interdépendant de sorte que lorsque l'inflation est une préoccupation, le programme macroéconomique met l'accent sur la réduction de l'inflation. Comment y parvient-on? On centralise à nouveau le pouvoir politique dans les ministères centraux à Beijing et on réduit le rôle du marché et le besoin de planification. Ce sont donc des éléments interdépendants, mais pas identiques.

Il y a eu au moins cinq grands cycles au cours de la période de réforme depuis 1978 -- si ma mémoire est fidèle. La tendance devrait se poursuivre. Par conséquent, lorsque je parle de la situation à l'heure actuelle, c'est-à-dire aujourd'hui en 1998, il ne faut pas oublier qu'elle ne correspondra pas forcément à la situation dans cinq ans d'ici, à cause de ces facteurs cycliques.

À quoi ressemble le cycle actuel? Examinons d'abord la dimension macroéconomique. De 1992 à 1994, l'inflation a atteint officiellement 21 p. 100 en Chine. Cette période a été une période d'hypercroissance caractérisée par une croissance de 12 à 13 p. 100 par année. Ces dernières années, on a réussi à maîtriser l'inflation qui est maintenant de 1 à 2 p. 100; la croissance, qui était de 12 à 13 p. 100, est tombée à 8 p. 100.

Les quelques dernières années ont été une période de nouvelle centralisation du contrôle, effectuée par le nouveau Premier ministre de la Chine, Zhu Rongji. En effet, il a renvoyé le dirigeant de la Banque populaire de Chine dont il a repris lui-même les fonctions. Il a déclaré: «Je vais prendre le contrôle direct de la banque». En agissant ainsi, il disait aux provinces: «Réduisez tout cet investissement dans l'immobilier. Nous ne voulons que de l'investissement productif.» Il a renvoyé sur-le-champ les gérants de banque qui, à son avis, accordaient de trop nombreux prêts.

Cette nouvelle centralisation a effectivement réussi à réduire l'inflation. Au cours des dernières années, le rendement macroéconomique de la Chine a été effectivement assez impressionnant. Elle a réussi à réduire l'inflation grâce à un «atterrissage en douceur» -- expression utilisée par les économistes et a maîtrisé ce qui était en train de devenir une économie d'emballement axée sur la spéculation immobilière et foncière.

Le problème consiste à déterminer comment maintenir les niveaux de la demande lorsque l'inflation diminue tout en évitant que la croissance tombe en deçà de 8 p. 100, sans quoi il deviendrait difficile de créer suffisamment d'emplois pour une main-d'oeuvre qui augmente. Il y a encore d'importants investissements directs étrangers et la Chine a un vaste excédent commercial. De l'extérieur, la situation semble bonne. Il reste maintenant à déterminer si on arrivera à maintenir des taux de croissance suffisants pour absorber une main-d'oeuvre qui augmente sans faire grimper l'inflation.

Où en sommes-nous dans le cycle macropolitique? Comme mes deux collègues l'ont mentionné, des changements très intéressants se sont produits sur le plan institutionnel. Celui qui a attiré le plus d'attention est celui dont on a parlé, c'est-à-dire la réduction du nombre de ministères centraux. C'est un aspect important car ces ministères industriels étaient considérés comme des obstacles à la réforme.

Essentiellement, chaque ministère protégeait son propre territoire -- les industries et les entreprises -- et bloquait toute tentative en vue de réformer ces entreprises. Cette initiative vise donc à réduire la nature centralisatrice de l'économie chinoise et la possibilité pour les entreprises de faire appel aux ministères supérieurs pour qu'ils les protègent des pertes financières. Il s'agit donc d'un changement très important.

Parallèlement à la réduction du rôle des ministères centraux, on a voulu renforcer certaines autres institutions centrales et les isoler des pressions des provinces. Le plus important exemple est celui de la Banque populaire de Chine, la banque centrale, dont le conseil d'administration comptait des représentants provinciaux et qui fonctionnait tant au niveau central que provincial. Le plan actuel prévoit d'établir des succursales régionales plutôt que provinciales de manière à restreindre l'influence des provinces.

Par conséquent, de très importants changements institutionnels ont été apportés, dont certains ont eu pour résultat de réduire le rôle de la bureaucratie et d'autres de renforcer certaines parties des institutions centrales.

La troisième composante, la composante idéologique, c'est la privatisation des entreprises d'État. Le sort du secteur des entreprises d'État a suscité un vaste débat en Chine. La contribution de ce secteur à la production nationale a été moins importante mais demeure très importante au niveau de l'emploi. L'emploi urbain est basé sur les entreprises d'État qui emploient environ 120 millions de travailleurs. Cet aspect a provoqué un énorme débat. Certains ont soutenu que le système socialiste doit avoir des entreprises d'État qui constituent l'élément dominant de l'économie. Ce principe vient d'être révisé et abandonné.

Au dernier congrès du parti en novembre dernier, la Chine a décidé de conserver les grandes entreprises d'État mais de se débarrasser du reste, de les privatiser. Les planificateurs chinois ont deux objectifs cette année: une croissance de 8 p. 100 et la mise à pied de 10 millions de travailleurs des entreprises d'État.

Une telle mesure aura d'énormes répercussions car même si cet objectif n'est pas atteint -- et je doute qu'il le soit -- même s'ils n'atteignent que la moitié de cet objectif, le nombre de gens mis à pied demeure énorme. Les gouvernements locaux et provinciaux essaieront de trouver des emplois pour ces travailleurs mis à pied. Comme ces nouveaux emplois ne seront pas aussi payants, les travailleurs mis à pied risquent de représenter une menace pour la société.

Les nouveaux emplois qu'on leur offrira ont traditionnellement été remplis par des travailleurs migrants qui sont arrivés en masse dans les grandes villes de la Chine. On prévoit maintenant que ce mouvement migratoire cessera ou du moins ralentira considérablement au fur et à mesure que les pressions sur les emplois urbains deviendront plus perceptibles. On empêchera les travailleurs migrants de quitter leur province d'origine et par conséquent l'absorption de ces travailleurs causera aussi de réels problèmes. Cette politique risque d'entraîner des troubles sociaux et des problèmes ouvriers tant dans les régions urbaines que rurales.

Les tensions régionales ne feront que s'intensifier au fur et à mesure que les travailleurs des provinces de l'intérieur éprouveront des difficultés de plus à plus grandes à trouver des emplois dans les centres urbains. L'écart des revenus se creusera davantage. Les niveaux de revenu varient énormément en Chine. Bien qu'effectivement la pauvreté ait diminué de façon spectaculaire au cours des 20 dernières années, on n'en constate pas moins une augmentation de l'inégalité des revenus, situation qui risque de s'aggraver.

On semble constater un grand changement sur le plan idéologique car au cours des années précédentes, le gouvernement a graduellement mis fin à l'engagement qu'il avait pris de fournir des emplois à tous les résidents urbains tout en protégeant les travailleurs qui avaient des emplois dans les entreprises d'État. Il semble toutefois que cette situation est sur le point de changer.

J'en arrive au troisième aspect, c'est-à-dire l'impact de la crise asiatique sur la Chine. Tout d'abord, les Chinois eux-mêmes considèrent que l'expression «crise asiatique» est erronée. Ils soutiennent qu'il ne s'agit pas d'une crise asiatique mais de deux. Il y a la crise de l'Asie du Sud-Est et la crise de l'Asie du Nord-Est, qui ont chacune des causes différentes. Ils estiment, avec raison à mon avis, que les problèmes que connaissent l'Asie du Sud-Est, la Thaïlande, l'Indonésie et la Malaysia ont été causés par un excès d'investissements directs étrangers et d'entrées de capitaux à court terme, et une trop grande dépendance envers des entrées de capitaux à court terme.

Les Chinois soutiennent qu'ils ont réussi à éviter cette crise précisément parce qu'ils n'ont pas essayé d'attirer des capitaux fébriles dans les divers actifs financiers de la Chine, contrairement aux soi-disant marchés naissants de l'Asie du Sud-Est.

La crise financière de la Corée du Sud a des causes différentes. Elle n'est pas attribuable à des flux financiers à court terme mais plutôt aux liens qu'entretiennent les banques et les entreprises. Comme les banques étaient incapables de cesser de prêter de l'argent aux entreprises à cause de diverses pressions politiques, elles sont devenues financièrement vulnérables, ce qui a provoqué une crise financière.

La leçon qu'en ont tirée les Chinois, c'est qu'ils doivent poursuivre leurs réformes financières, concrétiser leur volonté de restructurer le secteur des entreprises d'État et améliorer la stabilité de leur système financier.

Si la Chine hésite à dévaluer le Ren Min Bi, ce n'est pas seulement par crainte des répercussions externes -- c'est-à-dire sur les autres pays -- mais des répercussions internes. Le gouvernement chinois craint que ses citoyens perdent confiance dans leur propre monnaie. Si les citoyens chinois, qui ont mis de côté d'importantes sommes d'argent dans les banques chinoises, se disent que la monnaie risque d'être dévaluée et de n'avoir aucune valeur, ils se précipiteront sur d'autres monnaies, ce qui pourrait entraîner une crise financière nationale.

Donc à cet égard, le système bancaire chinois est assez précaire. Comme le nombre de prêts irrécouvrables est important, toute tentative de la part des déposants de retirer leur argent risque de provoquer une crise. Par conséquent, l'une des raisons pour laquelle le gouvernement chinois souhaite conserver la valeur du Ren Min Bi est de donner confiance à la population dans sa propre monnaie.

Le troisième et dernier aspect que j'aborderai porte sur la façon dont la Chine considère la région et son rôle dans la région. La crise asiatique a augmenté l'importance que se donne la Chine dans la région. Plusieurs analogies traduisent les différentes conceptions que l'on se fait de la région asiatique ou la région de l'Asie-Pacifique. Les opinions divergent quant à savoir si on doit parler simplement de l'Asie de l'Est ou parler de l'Asie-Pacifique?

L'analogie que préfèrent les Japonais est celle des oies sauvages en vol. Le Japon se considère comme l'oie qui est en tête, suivi immédiatement de Taïwan et de Singapour, avec toutes les autres économies derrière dans une belle formation triangulaire. Selon ce modèle, le Japon occupe la première place dans la région sur le plan technologique et économique, avec une certaine gradation technologique.

Bien entendu, les États-Unis veulent aussi avoir leur place et se considèrent comme le pivot autour duquel gravite tout le monde.

Les Chinois voient la région comme un train avec deux moteurs, la Chine étant le moteur principal, le Japon le moteur arrière et toutes les autres économies étant influencées par ces deux économies dynamiques. Aujourd'hui, comme le moteur japonais a déraillé, la Chine se considère désormais comme un intervenant beaucoup plus important dans la région, comme l'économie la plus importante et la plus dynamique de la région et s'accorde donc plus d'importance.

Le président: Je vous remercie. Nous avons eu trois excellentes présentations. Merci encore.

Le sénateur Bolduc: Par le passé, la distribution des céréales était l'un des instruments macropolitiques utilisés par le centre pour contrôler ou tâcher de contrôler les provinces. Maintenant que le problème alimentaire a été réglé dans ce pays, dois-je comprendre que ce mécanisme n'est plus utile sur le plan macropolitique?

M. Bowles: Oui, vous avez raison. Cela demeure un problème. Le gouvernement central est incapable de s'en servir comme un instrument efficace pour discipliner les provinces. Le gouvernement est inquiet aujourd'hui car dans ce climat de croissance effrénée, les gouvernements municipaux, de cantons et provinciaux ont ouvert un peu partout des zones industrielles, techniques et d'exportation particulières et transformé les terres agricoles en terres industrielles. La rapidité avec laquelle les terres agricoles ont été transformées à des fins industrielles inquiète beaucoup les macroplanificateurs à Beijing. C'est à l'heure actuelle une pomme de discorde entre le gouvernement central et les provinces, mais la situation a changé par rapport à celle que vous avez décrite.

Le sénateur Bolduc: J'aimerais revenir au problème de l'entreprise d'État. Nous parlons ici d'environ 300 000 entreprises. Que représentent ces entreprises dans l'ensemble de l'économie? Représentent-elles par exemple 80 p. 100 de l'économie?

M. Bowles: Ce pourcentage est probablement assez faible parce qu'il existe plusieurs milliers de petites entreprises, d'entreprises privées, d'entreprises de cantons et de villages.

Le sénateur Bolduc: Il y a quelques années, j'ai vu des statistiques qui indiquaient que, malgré le nombre important de privatisations, l'économie de marché ne représente qu'environ 15 p. 100 de l'économie, comparativement aux entreprises d'État qui représentent environ 80 p. 100 de l'économie. Est-ce possible? Je ne le crois pas.

M. Bowles: Cela dépend de ce que ce pourcentage représente. Si c'est un pourcentage de la production industrielle, ce qui s'est passé au cours de la période de réforme, c'est que les entreprises d'État, comme Mme Minden l'a indiqué, étaient responsables d'environ 80 p. 100 de toute la production industrielle. Ce pourcentage est maintenant de 35 p. 100. Les autres entreprises ne sont pas nécessairement privées. Bien qu'elles ne soient pas désignées comme des entreprises d'État, il s'agit d'entreprises de cantons et de villages qui appartiennent surtout aux gouvernements de cantons et aux gouvernements de villages et qui sont exploitées par eux.

Les «cantons» et les «villages» étaient auparavant des «communes» et des «brigades». Lorsque la Chine a aboli les communes, elles ont été abolies comme unités politiques mais sont demeurées des unités administratives et devenues des cantons. Ces cantons exploitent maintenant un grand nombre de leurs propres entreprises. Les entreprises d'État représentent environ 35 p. 100 de la production industrielle; les entreprises de cantons et de villages en représentent environ 40 p. 100.

Certaines d'entre elles sont des entreprises privées déguisées. Il ne fait aucun doute que c'est le cas pour certaines d'entre elles. On appelle cela «porter le chapeau rouge» parce qu'on prétend être un collectif alors que ce n'est pas vraiment le cas. Nous n'avons pas d'indications solides permettant de déterminer la proportion de ce secteur qui est privée et la proportion qui appartient réellement aux gouvernements locaux. Je suppose que ce secteur appartient en majorité au gouvernement local. Il y a de plus le secteur étranger, les coentreprises et les entreprises privées qui peuvent représenter jusqu'à 20 p. 100 de l'économie maintenant. Même si nous disons que le nombre d'entreprises d'État a diminué, il s'agit du gouvernement central car le nombre d'entreprises appartenant à des gouvernements locaux a augmenté.

Le sénateur Bolduc: C'est pourquoi cette énorme diminution sur le plan statistique ne touchera pas tant de gens que cela, même si cinq ou 10 millions de travailleurs, c'est beaucoup de gens. Vous avez dit que ces travailleurs essaieront d'obtenir des emplois dans leur propre canton. Ne croyez-vous pas que cela causera d'énormes pressions sociales si vous conjuguez cela au problème des institutions financières? L'immobilier représente un énorme problème dans de nombreuses villes. J'ai lu récemment un article d'un économiste britannique qui se disait très pessimiste à propos de la Chine. Il disait que d'une façon ou d'une autre, il y aura un effet boomerang.

M. Bowles: J'ai une formation d'économiste. Je suis donc moi aussi naturellement pessimiste.

Le sénateur Di Nino: J'adresse mes premières questions à Mme Huber. Dans quelle mesure, selon vous, les données que nous recevons de la Chine sont-elles fiables?

Mme Huber: Je dois dire qu'il y a du vrai dans le cliché à propos des mensonges et des statistiques, que l'on parle de la Chine ou de statistiques. Les statistiques peuvent être manipulées. Il est difficile d'obtenir des données objectives. Je pense que la discussion entre le sénateur et le professeur Bowles à propos des entreprises d'État et de leur nombre exact en est un exemple.

Tout dépend de votre définition des termes. Selon votre définition, qu'il existe 200 000 ou 80 000 entreprises d'État, comme l'a mentionné le vice-président de l'organisme responsable des entreprises d'État qui a assisté à la réunion annuelle du Conseil commercial Canada-Chine à Toronto en novembre dernier, peu importe le nombre cité, il n'en reste pas moins énorme.

Zhu Rongji, l'ensemble des dirigeants ainsi que la population chinoise ont un énorme défi à relever. Il ne fait aucun doute qu'obtenir des statistiques ou des données plus exactes demeure une tâche ardue pour chacun d'entre nous.

Le sénateur Di Nino: Y a-t-il moyen de vérifier ces renseignements quand vous les communiquez aux investisseurs éventuels, ou est-ce que vous devez vous y fier sans poser de questions?

Mme Huber: Il ne faut pas faire cela, surtout quand il est question d'une entreprise. Nous utilisons tous les outils à notre disposition, comme les rapports d'information auxquels nous pouvons avoir accès en participant aux travaux du Conseil commercial Canada-Chine. Nous avons non seulement accès à leurs données et à leur réseau, mais nous consultons également les entreprises implantées depuis longtemps en Chine. Nous utilisons aussi notre propre réseau. On a parlé, par exemple, de régionalisation. Nous avons augmenté le nombre de bureaux et de missions que nous avons en Chine, non seulement dans les grandes villes qui sont bien connues, mais également dans d'autres centres.

Il n'existe pas de guichet unique où peut se renseigner l'entreprise qui envisage d'investir en Chine ou de conclure des partenariats avec d'autres sociétés. Toutefois, il y a d'autres sources d'information, et elles sont nombreuses et excellentes.

Le sénateur Di Nino: Madame Minden, je me demande si vous pouvez répondre à une question. Nous avons investi beaucoup d'argent, de temps et d'énergie au cours des quatre dernières années. Or, j'ai l'impression que la seule chose que nous avons accompli, c'est d'accroître les importations en provenance de la Chine et de réduire nos exportations vers ce pays. Ai-je raison?

Mme Minden: Notre part de marché a diminué.

Le sénateur Di Nino: Oui, c'est vrai, mais, en fait, le déficit commercial a augmenté de façon incroyable. Tous nos efforts, y compris notre position sur les droits de la personne en Chine, n'ont fait qu'accroître les importations en provenance de la Chine. Nos exportations, elles, ont diminué. Est-ce exact?

Mme Minden: Notre part de marché a diminué. En fait, les analystes s'entendent pour dire que, bien que le gouvernement ait organisé plusieurs missions commerciales et établi des liens avec la Chine, les entreprises canadiennes n'ont pas su tirer parti de ces initiatives. La perception des entreprises canadiennes qu'on a en Asie, et en Chine notamment, c'est que, exception faite de quelques entreprises qui se débrouillent fort bien, bon nombre des compagnies qui s'implantent dans ces pays arrivent mal préparées et mettent beaucoup de temps à réaliser des profits.

Le sénateur Di Nino: Nous n'allons pas nous lancer dans cette discussion, car la dernière fois que nous l'avons fait, certains témoins se sont entendus pour dire que le Canada ne fait pas grand-chose dans ce domaine pour aider les entreprises à se préparer.

Compte tenu du genre de pays qu'est la Chine et du régime dont elle est dotée, sommes-nous en mesure de nous assurer que les produits que nous importons de ce pays ne sont pas fabriqués par des enfants, des prisonniers, des travailleurs maltraités et exploités qui proviennent de certaines régions du pays, comme le Tibet, qui est occupé par la Chine? Est-il possible de nous assurer que cela ne se produit pas? Avez-vous des renseignements là-dessus?

Mme Minden: Quelques-uns. Avant de céder la parole à mes collègues, je vais d'abord essayer de vous répondre.

Il est impossible de savoir exactement qui a fabriqué les produits qui vous importez, et si des prisonniers ont été embauchés pour ce travail. Il ne faut pas oublier que la Chine a une notion très différente de la réadaptation des prisonniers. La réadaptation, pour eux, passe par le travail. La Chine trouve que le système carcéral canadien coûte très cher et que les prisonniers ne font rien. La réadaptation des prisonniers, en Chine, passe par le travail.

Le sénateur Di Nino: J'aurais une autre petite question très brève à vous poser. Quand vous parlez de la composante DRH, est-ce que vous faites allusion aux ressources humaines plutôt qu'aux droits de la personne?

Mme Minden: Oui.

Le président: Madame Huber, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Mme Huber: Comme l'a indiqué Mme Minden, la balance commerciale, de manière générale, ne semble pas être aussi favorable que dans le passé, si vous partez du principe que notre part de marché en Chine est peut-être plus modeste, mais il faut regarder l'ensemble du tableau. Si l'on fait abstraction des exportations de céréales, qui peuvent fluctuer pour plusieurs raisons, notamment à cause de la situation de l'approvisionnement au Canada et du prix actuel des céréales, alors je crois que la croissance, surtout en ce qui concerne les produits à valeur ajoutée et les services, constitue une source de fierté pour les exportateurs canadiens.

Il est vrai que nous devrions mieux préparer les entreprises canadiennes et nous assurer qu'elles ont à leur disposition, et qu'elles utilisent, tous les outils nécessaires. Nous déployons beaucoup d'efforts dans ce domaine. Je ne parle pas seulement de mon propre ministère, car nous travaillons en collaboration avec d'autres partenaires, qu'il s'agisse d'Industrie Canada, d'Agriculture Canada ou de l'ACDI, et surtout avec des groupes d'intérêt du secteur privé, comme le Conseil commercial Canada-Chine. Mais il est vrai que nous pourrions faire beaucoup mieux.

Le sénateur Di Nino: Vous convenez, toutefois, que la Chine s'en est mieux tirée que le Canada?

Mme Huber: Il est difficile pour moi de commenter là-dessus, parce que ce n'est pas vraiment un aspect de la question sur lequel je m'attarde. Je note toutefois, par exemple, que les Chinois sont beaucoup plus dynamiques et sûrs d'eux. Non seulement sont-ils venus en aide à certains de leurs voisins asiatiques pendant la crise, et je songe à la Thaïlande et à l'Indonésie, en leur fournissant des garanties s'élevant dans les milliards de dollars, mais ils ont également investi au Canada. Par exemple, je crois comprendre que la Chine a investi des sommes considérables dans neuf projets pétroliers en Alberta. Donc, les investissements entre le Canada et la Chine ne se font pas uniquement dans un sens.

Le président: J'aimerais poser une question qui se rattache à celle du sénateur Di Nino. On a parlé de la baisse de nos exportations de céréales vers la Chine et de l'urbanisation des terres agricoles en Chine. Ce qui m'amène à la question suivante: qu'en est-il de leur politique démographique?

Examinons la situation sous un autre angle. Est-ce que leur politique démographique est efficace? La Chine construit-elle des maisons et des usines sur de bonnes terres arables? Va-t-elle être obligée d'importer plus de denrées de pays comme le Canada? Monsieur Bowles, est-ce que vous êtes un spécialiste de ces questions?

M. Bowles: Pas vraiment, mais je vais essayer de vous répondre. La politique démographique a été efficace en ce sens qu'elle a permis de limiter la poussée démographique, souvent par des mesures coercitives. Or, cette politique commence à montrer des signes d'essoufflement. La politique d'un enfant est toujours en vigueur dans les centres urbains, mais on me dit que dans les régions rurales, les mesures de contrôle démographique ont été considérablement assouplies car il est nécessaire, pour qu'elles soient efficaces, que le système Hukou, le système d'enregistrement des ménages, soit appliqué de manière rigoureuse. Ce système est toujours en vigueur, mais compte tenu de la mobilité accrue de la population, il est plus difficile d'en assurer le suivi.

Les prévisions concernant la crise agricole que devrait bientôt connaître la Chine varient grandement, car, encore une fois, tout dépend de la fiabilité des statistiques qui portent sur l'utilisation actuelle et future des terres arables. Il faut tenir compte aussi du rendement éventuel de ces terres, rendement qui pourrait être amélioré grâce à une meilleure utilisation des engrais, des systèmes d'irrigation, ainsi de suite, et de la mesure dans laquelle le rendement actuel est inférieur aux chiffres établis.

De nombreuses administrations locales ont tendance à sous-estimer la superficie des terres utilisées à des fins agricoles. Si les chiffres fournis sont inexacts, il est difficile d'avoir une idée précise du rendement agricole de ces terres. En fait, nous n'avons pas de chiffres précis à ce sujet. Nous ne savons pas dans quelle mesure ce rendement pourrait être amélioré grâce à de meilleures méthodes culturales. De deux choses l'une: ou la Chine va connaître une grave pénurie et importer 50 p. 100 de la production excédentaire mondiale de céréales, ou elle va plus ou moins bien s'en tirer. Comme je ne suis pas un expert en la matière, je ne peux pas vous dire laquelle de ces prévisions est la plus fiable. Mais c'est pour cela que vous avez ces contradictions: certains adoptent une attitude alarmiste et prévoient une grave pénurie, tandis que d'autres soutiennent que la crise est gérable.

Le président: Ce que vous dites est très utile. Madame Minden.

Mme Minden: J'aimerais ajouter trois points aux commentaires de M. Bowles. D'abord, la politique d'un enfant et le démantèlement des collectivités agricoles ont été institués à peu près en même temps, à la fin des années 70, et ces deux mesures sont contradictoires. Si vous privatisez le système agricole et que vous supprimez le filet de sécurité sociale, alors plus vous aurez d'enfants, plus vous bénéficierez d'une aide sociale généreuse dans votre vieillesse, et plus importants seront les revenus agricoles de votre famille. Il a été très difficile de convaincre les paysans du bien-fondé de cette politique.

Il y a ensuite la question de la corruption. Il y a des fonctionnaires qui saisissent des terres agricoles, érigent des barricades autour d'elles et laissent entendre qu'elles vont être exploitées conjointement par une entreprise fictive et le petit gouvernement régional.

Enfin, il y a le régime alimentaire. En raison du phénomène d'urbanisation, de plus en plus de personnes adoptent un régime à haute teneur en protéines, un régime composé surtout de viande. Le professeur Vaclav Smil, de l'Université du Manitoba, est en fait un spécialiste mondialement reconnu de la crise alimentaire en Chine.

Le président: Ai-je donc raison de conclure, d'après ce que vous venez de dire, que, en raison de l'urbanisation et de l'adoption d'un régime à haute teneur en protéines, les pressions qui s'exercent sur la chaîne alimentaire sont encore plus grandes?

Mme Minden: Oui.

Le président: Les aliments sont beaucoup plus concentrés.

Mme Minden: C'est ce qui va se produire. Je ne crois pas que ce phénomène soit très répandu pour l'instant, mais ce n'est qu'une question de temps. On mange beaucoup plus de viande à l'heure actuelle qu'on ne le faisait il y a 25 ans, quand j'étais étudiante en Chine.

Le sénateur Milne: Je suis nouvelle à ce comité et j'ai trouvé la discussion, cet après-midi, fort intéressante. J'ai beaucoup appris. Toutefois, il y a quelque chose qui m'inquiète. Mme Huber ou M. Bowles pourraient peut-être m'aider à mieux comprendre les visées des dirigeants chinois. Vont-ils établir des programmes sociaux pour venir en aide aux 10 millions de personnes qui, selon vous, vont être mises à pied au fur et à mesure que se poursuit la privatisation des industries ou des entreprises d'État? Si les mises à pied massives et l'absence de structures sociales risquent de provoquer des troubles sociaux, comment le gouvernement va-t-il réagir? Je vous demande de prédire l'avenir parce que la plupart des gens, du moins dans cette partie-ci du monde, se souviennent avec horreur des événements qui se sont produits sur la place Tian'anmen.

Mme Huber: Comme M. Bowles, je ne fais pas partie du club des optimistes. Habituellement, je m'attends au pire et si je finis par être agréablement surprise, c'est toujours un plaisir.

Si l'on jette un coup d'oeil sur les problèmes énormes auxquels la Chine est confrontée, un de ses points forts, à mon avis, c'est qu'elle en a discuté ouvertement, contrairement à certains régimes de la région qui refusent de regarder la vérité en face. Le quinzième Congrès du parti, qui a lieu en octobre dernier, pendant que je me trouvais à Beijing, était vraiment exceptionnel en ce sens que les membres ont discuté ouvertement de certains des problèmes qu'entraînerait la privatisation des entreprises d'État en termes de chômage, de corruption. Ils en ont discuté franchement et ouvertement, y compris dans les médias. Le premier ministre Zhu Rongji a dit souhaiter qu'on lui remette douze balles: onze pour les dirigeants du parti qui sont corrompus, et une pour lui, au cas où il y aurait un mouvement de ressac.

La Chine a examiné d'autres modèles qu'elle pourrait adapter à ses besoins. Par exemple, plusieurs représentants chinois sont venus au Canada pour analyser notre régime de soins de santé, notre régime de pensions. Le sous-secrétaire du Conseil du Trésor se rendra bientôt en Chine pour discuter, avec les autorités chinoises, de diverses politiques d'intérêt public adoptées par le Canada. Il sera accompagné, à cette occasion, du commissaire à la déontologie qui poursuivra le dialogue amorcé en 1995 dans le cadre d'une mission dirigée par Howie Wilson, à Beijing, laquelle a été suivie par la venue, au Canada, d'une délégation de Beijing.

Tout cela pour vous dire que, oui, la Chine est confrontée à des problèmes énormes. Elle a commencé à adopter des politiques dans certains domaines. Par exemple, la Chine compte apporter des changements à la politique du logement. Elle envisage de privatiser les logements, ce qui constitue un changement majeur, et de permettre aux gens d'acheter des appartements et d'autres unités. Si les personnes ont vécu dans un appartement pendant plusieurs années, le prix sera réduit en fonction de la durée d'occupation du logement.

Ce qu'il y a de positif dans tout cela, c'est que personne ne semble pas sous-estimer l'étendue des problèmes.

Le sénateur Bolduc: On parle de mettre à pied environ 10 millions de personnes. Je me souviens très bien de ce qui s'est passé en Roumanie, en 1972 et en Allemagne de l'Est, où le niveau de productivité des employés des entreprises d'État était le tiers environ de ce qu'il était dans l'Ouest. Quand je constate qu'il y a environ 170 millions de personnes qui travaillent pour les entreprises d'État, je me dis que ce ne seront peut-être pas 10 millions de personnes qui seront mises à pied, mais plutôt 20 millions, et il s'agit là d'un chiffre énorme. Ne serait-il pas plus réaliste de parler de 20 millions de personnes au lieu de 10 millions?

M. Bowles: Le gouvernement chinois a l'intention de privatiser les entreprises d'État au cours des trois prochaines années. Ces 10 millions de personnes ne constituent qu'une première étape. D'après leurs propres conseillers, environ 30 p. 100 de l'effectif des entreprises d'État est excédentaire. Il pourrait y avoir 10 millions de mises à pied cette année, 10 millions l'année prochaine, et 10 millions l'année suivante.

Le sénateur Bolduc: Je suppose aussi qu'il y a quelques millions de personnes qui travaillent pour le gouvernement.

M. Bowles: Oui.

Le sénateur Bolduc: Nous avons visité, en Roumanie, une immense usine d'outillage. Nous avons rencontré le directeur et il a dit: «Nous sommes très efficaces», et ainsi de suite. Il avait affiché les chiffres de production sur le mur. J'ai fait le tour de l'atelier et j'ai constaté qu'il y avait une machine sur trois ou quatre qui ne fonctionnait pas. Ces machines venaient toutes d'Italie, de la Suisse, de l'Allemagne de l'Ouest. J'étais scandalisé.

Au moment de quitter l'usine, j'ai dit au directeur: «Vous avez peut-être atteint votre quota pour le mois, mais les employés qui travaillent dans un atelier d'usinage à Providence, dans le Rhode Island, ou à Rockford, dans le Wisconsin, ces employés, lorsqu'ils sont en vacances, ne travaillent pas. Personne ne travaille. Toutefois, le reste du temps, ils sont à leur poste; toutes les machines fonctionnent.» La Chine, si elle est confrontée à la même situation, va connaître les mêmes problèmes que l'Allemagne de l'Est.

Le sénateur Andreychuk: Nous avons parlé du déplacement de personnes. Les réformes que la Chine prétend vouloir apporter ne seront un succès que si le pays parvient à régler les problèmes sociaux qui surgiront en cours de route. Je crois que nous en avons déjà parlé. Le succès de ses réformes dépendra aussi, si j'ai bien compris, de l'importance qu'elle accordera à la primauté du droit et aux principes d'éthique.

Sur ce point, des changements ont été observés. D'après les documents que j'ai lus, le pouvoir d'achat se trouve de plus en plus concentré entre les mains d'un petit groupe de personnes. La corruption est en train de s'installer en Chine en ce sens que les entreprises d'État, au fur et à mesure qu'elles sont démantelées, finissent par se retrouver entre les mains de quelques particuliers. Ai-je raison de dire qu'il y a lieu de s'inquiéter, car non seulement cette transition entraîne-t-elle des troubles sociaux, mais elle crée également une situation où les riches s'enrichissent et où les pauvres sont de plus en plus marginalisés? Y a-t-il une classe moyenne importante qui est en train de voir le jour et de servir de tampon?

Mme Huber: Je dirais que dans toute économie ou société lourdement réglementée, non seulement ce fardeau est-il néfaste d'un point de vue économique, mais il ouvre également la voie à la corruption. La démarche en faveur de la déréglementation qu'a entrepris la Chine, et à laquelle elle est, en toute honnêteté, astreinte, de même que son adhésion à des organismes comme l'OMC, contribueront, en fait, à atténuer certaines de ces tendances à la corruption.

Pour répondre à votre autre question concernant une classe moyenne en Chine, je pense que la région y est pour beaucoup. Par exemple, j'ai visité Shanghai il y a cinq ans et j'ai été vraiment surpris de voir combien elle ne correspondait pas du tout à ce que je m'attendais. À l'époque, j'étais notre consul général à Osaka. Les habitants d'Osaka ont une grande joie de vivre et s'intéressent beaucoup à la mode. Les rues de Shanghai y ressemblaient beaucoup à bien des égards. Il ne s'agissait pas du tout de la société uniforme et enrégimentée que je m'attendais de voir.

Depuis lors, la croissance économique qu'ont connue des villes comme Shanghai, surtout celles de la côte, a permis à la classe moyenne de s'épanouir. En effet, pendant la visite du président Jiang Zemin, je me souviens d'une discussion que j'ai eue avec le vice-ministre des Affaires étrangères, Li Zhaoxin, qui se plaignait des difficultés qu'avait le ministère des Affaires étrangères à attirer de jeunes talents dans ses rangs, parce que ces derniers préféraient aller travailler dans le secteur privé, que ce soit pour des multinationales étrangères ou pour des entreprises chinoises, pour se bâtir une carrière.

Un tel problème était inexistant il y a 10 ans. D'une part, il y a un secteur privé en effervescence. D'autre part, c'est vrai qu'il y a des problèmes de corruption, mais les deux situations sont attribuables dans une certaine mesure à la croissance économique qu'a connue la Chine.

Le sénateur Andreychuk: Selon vous, le développement en Chine s'apparente-t-il à ce que l'on voit dans d'autres économies de l'Asie, ou est-il unique? Dans certains des autres pays, lorsque les chefs ont pu manoeuvrer, ils ont certainement procédé à la consolidation du pouvoir et à la formation de ces liens uniques entre les banques, l'État et l'entreprise. Y a-t-il une tendance semblable en Chine, ou croyez-vous qu'ils vont résister courageusement aux tentations du modèle indonésien, par exemple?

Jusqu'ici, ils n'ont pas eu la chance de faire ces choses, mais ce n'est peut-être plus le cas aujourd'hui. Vous semblez dire qu'il y a des raisons d'espérer que le nouveau leadership national évitera la corruption. S'il n'y parvient pas, ne croyez-vous pas que la Chine sera aux prises avec les mêmes tentations? Peut-être connaîtront-ils eux aussi dans 20 ans la concentration du pouvoir et la performance.

Mme Huber: Dans les entretiens qu'il a eus avec le Président du Sénat, le sénateur Molgat, le président Zemin lui a dit que dans le cas de ses deux enfants, il leur avait dit d'éviter la politique et de ne pas faire comme lui. Je ne crois pas que tous les autres chefs asiatiques ont fait preuve d'autant de retenue.

Mme Minden: J'ai trois observations. Premièrement, que va-t-il se produire dans l'économie chinoise avec l'arrivée de tous ces gens? Même si je suis ordinairement portée à craindre le pire, à l'instar de mes collègues ici, ce que je sais de l'histoire chinoise m'encourage. Pendant des centaines d'années, il y a eu une économie intérieure dynamique dotée de réseaux de distribution et d'échanges ramifiés fondés sur un régime de marché rural. Les communistes ont réussi à la démanteler, mais elle a repris du poil de la bête après avoir enduré des conditions dévastatrices pendant des années. Quiconque peut se retrouver dans un village chinois le jour du marché traditionnel sentira profondément le dynamisme de l'entrepreneurship et le savoir-faire des Chinois sur le plan de l'organisation et de la distribution. Ce sont là des choses qui nous donnent à espérer. La mauvaise nouvelle, c'est que pour pénétrer cet immense marché intérieur que les étrangers convoitent tant, il faudra vraisemblablement affronter beaucoup de concurrence de la part des fournisseurs locaux.

Deuxièmement, quel modèle les Chinois envisagent-ils? Même si les enfants des hauts fonctionnaires ne poursuivent pas une carrière dans la fonction publique, ils se servent certainement de leurs liens avec le gouvernement pour faire progresser leurs activités commerciales. Je ne crois pas que nous verrons les types de dynasties qu'il y a en Indonésie, par exemple. D'après ce que je peux voir, les Chinois se tournent vers les modèles Keiretsu et Chaibol au Japon et en Corée, respectivement, et ont décidé en voyant la crise qui sévit en Asie qu'ils doivent trouver quelque chose d'unique et de différent.

Troisièmement, il y a la question de la sécurité sociale. Je ne crois pas que les Singapouriens se prennent pour d'autres, mais le rôle qu'ils jouent pour conseiller la Chine sur les modèles de sécurité sociale fondés sur le modèle de la libre entreprise est certainement important. Il importe d'en tenir compte. C'est un aspect que les Canadiens devraient examiner également sur le plan de la gestion des régimes de pension.

Le sénateur Andreychuk: Comme pays, nous sommes arrivés en Chine et nous avons adopté une approche généraliste, y voyant un immense marché ouvert offrant des occasions pour tous. Ne vaudrait-il pas mieux que nous mettions l'accent sur les services d'éducation et de formation des ressources humaines? Une telle approche ne serait-elle pas plus garante de succès pour les entreprises que nous essayons de faire croître et ne s'agirait-il pas à long terme d'un meilleur investissement pour la Chine?

Mme Minden: Je ne préconiserais pas de mettre uniquement l'accent sur l'éducation.

Le sénateur Andreychuk: Et le développement des ressources humaines?

M. Minden: On reconnaît en général que nous ne sommes pas concurrentiels dans le secteur manufacturier, sauf peut-être dans quelques créneaux. La concurrence est trop forte en Chine pour la plupart des entreprises canadiennes. Toutefois, nous sommes très compétitifs dans le secteur des services visant certaines activités manufacturières de pointe et dans les services éducatifs.

Le président: L'infrastructure est-elle une chose à laquelle vous vous intéresseriez?

Mme Minden: Je pense surtout à l'infrastructure dans le sens des services à offrir et des activités de quelques fabricants occupant des créneaux de pointe.

Le sénateur Hays: Je vous remercie de cet exposé fascinant. Je voulais demander d'autres observations sur l'incapacité de l'OMC d'obtenir l'accès à certains secteurs de l'économie chinoise. Nous parlions des institutions financières.

Quoi qu'il en soit, c'est un secteur intéressant pour la Chine. Tous les ans, le Congrès américain se livre à un rituel pour décider des relations commerciales que les États-Unis entretiennent avec la Chine pendant l'année. Sur ce plan, les rapports que nous entretenons avec eux sont plus stables.

Relativement à l'accès de l'OMC, vous avez dit que vu la manière dont ils fonctionnent, il n'en ressortirait rien de bien. J'aimerais en savoir un peu plus là-dessus.

Mme Huber: D'abord, je trouve cela assez intimidant de parler de la Chine avec le sénateur Hays, étant donné la richesse de son expérience directe avec la Chine. Néanmoins, en ce qui concerne la question, je ne crois pas avoir dit qu'il n'en ressortirait rien de bien. Manifestement, un pays ou une économie qui se joint à l'OMC fait face à des défis de transition. Quel que soit le pays, le secteur financier revêt toujours une très grande importance. Les banques chinoises pourraient être exposées à des défis particuliers, surtout à court terme. Toutefois, pour ce qui est des avantages à long terme, non seulement pour un pays comme la Chine, mais aussi pour un secteur financier, ce serait certainement dans l'intérêt à long terme de la Chine.

Le sénateur Hays: Toujours dans la même veine, tout accord sur l'adhésion de la Chine lui accorderait sans doute tout le temps et toutes les occasions qu'il lui faut pour adapter son économie, probablement au moyen de tarifs et d'autres mécanismes d'intégration graduelle. Dans ce contexte, comptez-vous que l'OMC puisse bientôt avoir accès, ou quelles sont vos prévisions?

Mme Huber: En ce qui concerne l'adhésion, si l'on prend les accords antérieurs d'adhésion à l'OMC, ou encore l'expérience bilatérale et trilatérale du Canada dans le cas de l'ALE ou de l'ALENA, il y a toujours eu des conditions négociées définissant les calendriers d'adhésion, que ce soit sur sept, 10 ou 15 ans, selon ce que les deux parties conviennent. On parvient ainsi à aplanir les difficultés. Dans tout changement d'une telle ampleur, il y aura certainement des difficultés pour certains secteurs de l'économie.

Quant à l'échéancier particulier suivant la Chine pourrait officiellement se joindre à l'OMC, je ne saurais m'aventurer sur ce terrain.

Le Canada a dit à maintes reprises que non seulement il accueillera la Chine à bras ouverts lorsqu'elle deviendra membre de l'OMC, mais aussi qu'il voudrait que cela se produise le plus tôt possible. Quant à l'établissement d'un calendrier, tout cela dépend également en grande partie de la Chine et de la mesure dans laquelle elle peut mettre des positions de négociation concrètes sur la table.

Le président: Je veux poursuivre dans cette veine. C'est une question qui aurait pu être posée déjà à deux ou trois reprises. Voici comment j'aimerais l'aborder. Les dirigeants chinois aimeraient sans doute pouvoir dire honnêtement que, selon eux, ils peuvent remplir les conditions leur permettant d'avoir accès à l'Organisation mondiale du commerce, mais ils doivent reconnaître eux-mêmes et nous avouer qu'ils ne sont pas sûrs de pouvoir s'exécuter. Ne devrions-nous pas faire une distinction entre ce que les dirigeants aimeraient faire, d'une part, et ce qu'ils sont capables de faire, d'autre part?

Qu'en pensez-vous? Nous disons que cela dépend de la Chine. Ce ne sont que des mots que nous employons, car de qui parlons-nous lorsque nous disons la Chine?

Mme Huber: Nous parlons de leur principal négociateur, M. Leung, et des grands décideurs, tels que le premier ministre chinois, M. Zhu Rongji. Quant à ce que vous dites au sujet de l'écart qu'il peut y avoir entre ce qu'ils accepteront de faire et ce qu'ils peuvent effectivement faire...

Le président: Je ne parle pas de ce qu'ils aimeraient offrir mais de ce qu'ils peuvent réellement faire.

Mme Huber: Quiconque adhère à l'OMC s'astreint à des obligations légales. Si la Chine ou un autre pays membre de l'OMC ne respecte pas ses obligations, un groupe spécial peut être créé et il doit y avoir dédommagement. Il y a donc des recours qui s'offrent aux partenaires commerciaux d'un pays qui manque à ses obligations.

M. Bowles: J'ai suivi ces échanges plus ou moins attentivement. Ce n'est pas un domaine sur lequel je me suis documenté en profondeur. L'accès à l'OMC présente bel et bien des problèmes particuliers pour les sociétés d'État sur le plan de ce qui entre dans la catégorie d'une subvention. Comme on l'a mentionné, la Chine essaie de réformer ses sociétés mais se bute déjà à des problèmes de taille. Lorsqu'on se met à essayer de définir ce qui constitue une subvention en Chine, qui sait où l'on peut aboutir? Je ne voudrais pas qu'on me demande de définir ce qu'est une subvention dans l'économie chinoise. Je pense que ce serait extrêmement difficile.

Le président: Et dans le cas du Canada?

M. Bowles: Je ne voudrais pas essayer de le définir non plus pour le Canada.

Le président: Il a été question tout à l'heure de la taille du pays et de la diversité des régions et aussi, bien sûr, des types de produits tangibles et non tangibles que nous aimerions offrir aux acheteurs en Chine. Votre ministère est-il en mesure de recruter le personnel nécessaire pour répondre aux besoins concrets des personnes qui veulent faire des affaires dans les secteurs où l'on peut raisonnablement espérer mener des activités en Chine?

Mme Huber: Ce n'est que dernièrement que j'ai commencé à travailler directement à la gestion de notre programme pour la Chine, mais j'ai certainement passé de nombreuses années en Asie dans le cadre de mes fonctions officielles. Le dévouement de notre équipe là-bas m'impressionne beaucoup, non seulement à Beijing, mais aussi dans les autres bureaux de la région, en dépit d'une charge de travail extraordinaire qui ne se compare à celle d'aucune autre des régions.

Je crois que j'ai mentionné qu'il y a eu plus de 300 missions en Chine l'année dernière, qui ont toutes reçu de l'aide sous une forme quelconque de nos bureaux là-bas. Ce travail s'ajoute aux services qui sont offerts aux voyageurs canadiens et aux nombreux autres services dont s'occupent nos missions. Nous pouvons compter sur leur dévouement.

Comme le faisait remarquer le vice-ministre Li, il est difficile de recruter du personnel compétent à cause de la concurrence du secteur privé, surtout lorsque l'on cherche des personnes qui connaissent la langue chinoise et étant donné qu'un nombre croissant d'entreprises canadiennes établissent des bureaux en Chine ou veulent y mener leurs activités. J'aimerais faire remarquer qu'en dépit de la rareté des ressources dans mon ministère, j'ai pu résoudre certains problèmes de ressources humaines que présentait notre programme pour la Chine, en procédant non seulement à un redéploiement à partir d'autres éléments du secteur dont je m'occupe, mais aussi en obtenant des ressources supplémentaires, ce qui, je peux vous dire, est extrêmement difficile dans notre environnement.

Cela témoigne de la grande importance du programme de la Chine pour les intérêts canadiens, non seulement dans le domaine économique mais en général dans d'autres domaines également.

Le sénateur Johnstone: Le nombre de Chinois susceptibles de perdre leur emploi et leur poste est un sujet de préoccupation qui a été exprimé plusieurs fois aujourd'hui. La chose qui me préoccupe personnellement, et j'espère que l'on ne m'en tiendra pas rigueur, est l'effet que la crise financière en Asie peut avoir sur nos propres travailleurs canadiens et sur nos propres entreprises canadiennes. On a dit que nous allons commencer à en sentir les contrecoups dès le milieu de cet été. Au fait, il a été dit dans l'un de nos magazines nationaux qu'il pourrait même y avoir des effets considérables sur notre main-d'oeuvre.

Ces pays sont capables de battre nos prix et de produire plus que nous. Il y a longtemps que je me pose cette question. Ces pays sont-ils en mesure de mettre sur le marché canadien une voiture qui se vendrait 3000 $.

Mme Huber: Voudriez-vous vous retrouver au volant de cette voiture?

Le sénateur Johnstone: Voilà ce que je veux savoir. Quelle en serait la qualité? Est-ce possible?

Mme Huber: Je ne suis pas une experte de la construction automobile, mais je tiens à faire remarquer que la part de la main-d'oeuvre dans le coût unitaire d'un produit comme une voiture est en fait relativement faible. Le coût se situe au niveau des techniques de pointe et du travail de conception. La connaissance des besoins et des exigences des consommateurs est surtout ce qui importe. Voilà ce qui explique -- en partie, c'est vrai -- que des constructeurs automobiles comme Toyota et Honda ont établi leurs usines près de leurs clients.

Le sénateur Johnstone: Puis-je donc me sentir rassuré que la crise financière en Asie n'aura pas d'effets marqués sur notre main-d'oeuvre?

Le président: J'aimerais aller plus loin, car je viens de la région est de la Nouvelle-Écosse où les gens pêchent le thon rouge, et je peux vous dire que les pêcheurs là-bas sont très nerveux. Il y en a qui pêchent le crabe des neiges et eux aussi sont très nerveux. Ce ne sont pas seulement les biens importés au pays qui pourront être touchés, mais aussi les biens exportés sur le marché japonais. Je soupçonne que les producteurs de bon cognac en France sont aussi un peu nerveux. Ai-je raison? Je crois qu'il y a quelqu'un qui hoche de la tête. Monsieur Bowles?

M. Bowles: Oui, vous avez raison. L'économie en Colombie-Britannique, d'où je viens, a considérablement ralenti cette année.

Le président: Tim O'Neill, de la Banque de Montréal, nous a dit je crois que le résultat pourrait être une pression à la baisse correspondant à 8 p. 100 en Colombie-Britannique et à 2 p. 100 en Ontario, mais le chiffre serait plus élevé dans la région du Canada atlantique. Certains d'entre nous en ont été surpris, mais ensuite nous avons pensé aux exportations de poisson.

Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs. L'après-midi a été très fructueux, surtout à cause de la qualité des exposés que nous ont présentés les trois témoins, que nous remercions infiniment.

La séance est levée.


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