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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 29 avril 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères s'est réuni en ce jour à 15 h 21 dans le but d'étudier, pour en faire rapport, l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada (la crise financière en Asie et le rôle du FMI, Fonds monétaire international).

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude sur l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada. Nous traiterons aujourd'hui de la crise financière en Asie et du rôle du Fonds monétaire international.

Les événements qui ont touché les milieux financiers asiatiques présentent le plus grand intérêt et sont de la plus haute importance pour les Canadiens à divers égards. Nous sommes intéressés à connaître les conséquences purement financières de l'agitation qui a saisi les milieux financiers de certains pays asiatiques. Nous sommes intéressés à connaître les conséquences de cette agitation pour les exportations et importations canadiennes. Nous sommes intéressés à connaître les conséquences de cette agitation sur la situation politique et l'ordre socio-économique à l'intérieur de ces pays. Nous sommes également intéressés à connaître les conséquences que cette agitation pourrait avoir sur la direction de la communauté financière mondiale.

Cet après-midi, nous avons le privilège d'accueillir deux véritables experts. M. Solomon a travaillé pendant des années au Federal Reserve Board. Il a participé à de nombreuses négociations monétaires internationales dans les années 60 et 70. Pendant un congé, il a été économiste principal du Council of Economic Advisors. Il a également été vice-président du comité pour la réforme du système monétaire international. Il est un auteur publié et il a reçu la Croix du service distingué dans l'aviation. Il est officier de la Légion d'honneur et titulaire du prix Rockefeller pour le service public, un honneur assez peu répandu.

Notre deuxième témoin est Mme Catherine Mann, attachée supérieure de recherche à l'Institute for International Economics. De 1984 à 1997, elle a occupé plusieurs postes au Conseil des gouverneurs de la Federal Reserve Board. Elle a été économiste principale du Council of Economic Advisors, groupe consultatif présidentiel, et collaboratrice principale de l'économiste en chef de la Banque mondiale.

Elle est actuellement professeure auxiliaire à la Owens School of Management de la Vanderbilt University, et elle enseigne dans le programme de maîtrise internationale en administration pour gens d'affaires, à l'Université de Chicago. Elle est aussi auteure.

Monsieur Solomon, allez-y.

M. Robert Solomon, universitaire invité, Brookings Institution: Je vais parler d'abord de l'importance de la région Asie-Pacifique pour le Canada, puis du rôle du Fonds monétaire international dans la crise en Asie.

Si l'on considère la part des importations et exportations de biens et services dans le produit intérieur brut, l'économie canadienne est beaucoup plus ouverte que celle des États-Unis. Au Canada, cette part est de 40 p. 100, contre moins de 12 p. 100 aux États-Unis. Les membres de ce comité ne s'étonneront pas d'entendre que 80 p. 100 environ des exportations de marchandises canadiennes sont destinés aux États-Unis, et que deux tiers des importations canadiennes proviennent de ce pays. Entre 1990 et 1996, plus de 90 p. 100 des exportations canadiennes étaient destinés aux États-Unis.

Les exportations du Canada en Asie, y compris au Japon, représentent environ 8 p. 100 de ses exportations totales de marchandises. Pour les États-Unis, cette proportion atteint 30 p. 100.

Les pays comme la Chine, Hong Kong, l'Inde et le Pakistan n'ont pas encore été véritablement touchés par la crise asiatique. Si nous les excluons du calcul, les exportations canadiennes vers les autres pays d'Asie, y compris le Japon, ne représentaient que 2,5 p. 100 du total en 1996. Il s'ensuit que la réduction des importations dans les pays asiatiques touchés par la crise aura une incidence relativement modeste pour le Canada.

Cela vaut également pour les importations canadiennes, dont 12 p. 100 seulement proviennent d'Asie. Aux États-Unis, 39 p. 100 des importations viennent d'Asie. Suite à la dépréciation des monnaies des pays en crise, les importations vont probablement augmenter. Comme l'impact direct sur les importations et exportations canadiennes restera relativement faible, on peut conclure que les répercussions de la crise asiatique sur le Canada dépendront principalement de son impact sur les États-Unis.

Les projections de croissance économique du Fonds monétaire international pour 1998 annoncent un ralentissement plus important aux États-Unis. Le FMI a en effet réduit ses projections de croissance du PIB américain en 1998 de 3,8 p. 100 à 2,9 p. 100. Pour le Canada, la baisse est plus modeste, puisque de 3,8 p. 100 on est passé à 3,2 p. 100. Il en va de même pour les projections de 1999.

Voyons maintenant la crise asiatique et le rôle du FMI. La crise qui a frappé les pays de l'Est asiatique -- Thaïlande, Malaysia, Corée et Indonésie -- a de nombreuses causes, au nombre desquelles la faiblesse de l'économie japonaise et la forte dépréciation du yen de 1995 à 1997. Cette dépréciation a entraîné une surévaluation du baht thaïlandais. C'est la dépréciation de cette devise en juillet 1997 qui a déclenché la crise et qui en est la principale cause. Il y avait également des faiblesses fondamentales en Thaïlande, dont un fort déficit du compte courant et d'importants emprunts bancaires à l'étranger. Le FMI avait à plusieurs reprises mis en garde les responsables thaïlandais en 1996 et 1997, mais en vain.

Une fois le baht déprécié, la contagion s'est étendue aux autres pays. Les taux de change ont brutalement chuté. Si la Chine, Taïwan et Hong Kong ont été épargnés, c'est en partie du fait qu'ils ont d'importantes réserves de devises étrangères, ce qui n'était pas le cas des quatre pays touchés.

Une fois la crise commencée, des faiblesses plus profondes l'ont aggravée. L'expression «capitalisme du copinage» décrit assez succinctement lesdites faiblesses, qui englobent divers types de corruption. Les gouvernements étaient beaucoup trop mêlés aux affaires économiques et financières. En Indonésie, les membres de la famille présidentielle bénéficiaient dans leurs activités commerciales de privilèges abusifs. En Corée, les autorités faisaient savoir aux banques à quel conglomérat elles devaient accorder des prêts et de quels montants. Ailleurs, les banques ont accordé des prêts trop importants sur des biens immobiliers surévalués tout en empruntant en devises étrangères, surtout des dollars et des yens. Elles se sont trouvées accablées de prêts non productifs à des emprunteurs nationaux et de lourdes dettes envers des créanciers étrangers.

À mesure que s'épuisaient les réserves de devises de la Thaïlande, de la Corée et de l'Indonésie, ces pays se sont vus obligés de se tourner vers le FMI et d'accepter ses programmes d'ajustement.

Aux États-Unis, on a beaucoup critiqué le FMI, ce qui est injuste. Même si les médias ont beaucoup utilisé ce mot, on n'a pas «renfloué» les pays débiteurs. Leurs gouvernements doivent respecter des conditions strictes et souvent douloureuses. Ces conditions imposées aux politiques visent à amener les réformes nécessaires pour remettre sur pied les finances et l'économie de ces pays.

En outre, les sommes accordées ne le sont pas d'un seul coup, mais par versements échelonnés. Si le pays ne respecte pas les conditions, il n'obtient pas le versement suivant. Le FMI n'est pas une institution de prêts. Face aux pays qui ont besoin d'argent pour financer leur réforme économique et financière, il est celui qui, au nom du reste du monde, fait appliquer une stricte discipline. Pour être efficace dans ce rôle, il doit avoir un moyen de pression sur ceux qu'il discipline. Le moyen de pression du FMI, c'est le financement. Il ne peut imposer sa discipline qu'à des pays qui ont besoin de lui emprunter des fonds.

Certains critiques du FMI avancent qu'il faut laisser le marché régler ces problèmes. On ne voit pas comment le marché pourrait réformer un capitalisme de copinage tel qu'il en existe en Indonésie ou en Corée; ni comment les mécanismes du marché pourraient mettre fin aux relations trop étroites entre les banques et les conglomérats coréens; ni comment ils pourraient introduire des mécanismes de surveillance et assurer la transparence dans les systèmes bancaires de ces pays.

On reproche souvent aux programmes du FMI de présenter un danger moral. Autrement dit, on prétend que la disponibilité des fonds du FMI encourage gouvernements et investisseurs à l'imprudence sachant que le FMI viendra les tirer d'affaires. Comme je l'ai déjà dit, les gouvernements ne reçoivent pas une aide gratuite; ils doivent respecter les conditions que leur impose le FMI et qu'ils préféreraient pouvoir éviter. Les investisseurs privés ne sont pas à l'abri des pertes simplement parce que le FMI intervient dans un pays où la balance des paiements va mal. Les investisseurs individuels et institutionnels qui ont acheté des actions en Asie de l'Est ont certainement subi de lourdes pertes. Quand le cours des actions a été gelé, leur valeur en dollars s'est également effondrée.

Les banques américaines et étrangères sont tenues de reconduire les prêts qu'elles avaient accordés aux pays asiatiques. Il reste à voir quels autres sacrifices elles devront encore fournir. Lors de la crise de la dette dans les années 80, le FMI avait exigé des banques qu'elles accordent des prêts supplémentaires aux pays débiteurs avant qu'il n'accorde ses propres prêts. Elles ont finalement essuyé des pertes à la fin des années 80, en vertu du plan Brady, ce qui a plus ou moins permis de mettre fin à cette crise de la dette. Il me semble assez clair que le but des crédits du FMI n'est pas d'éviter les pertes aux banques ou autres prêteurs.

Comme il est ressorti clairement d'une récente réunion du comité intérimaire à Washington, c'est toute l'architecture du système monétaire international qu'il faut renforcer dans ce monde où les capitaux se déplacent si facilement. Il faudra réformer les banques de nombreux pays dans le sens de la transparence, de l'accroissement des capitaux et de l'adoption de normes comptables appropriées. Le FMI peut jouer un rôle essentiel dans ce processus.

Le Fonds monétaire international a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale afin d'éviter que ne se reproduisent les événements des années 30, lorsque les pays qui avaient des difficultés avec leur balance de paiement ont imposé des restrictions au commerce, ont dévalué les uns après les autres et pris diverses mesures négatives à l'endroit de leurs voisins et partenaires commerciaux. La relation du FMI avec les pays membres est un peu celle d'un médecin, que l'on appelle seulement quand le patient est malade, et qui est chargé de le guérir et de prévenir la contagion aux autres membres de la famille. Les médecins ne réussissent pas toujours du premier coup, mais ils enrayent les épidémies et ils contribuent à notre bonne santé. Le FMI mérite notre soutien et a besoin de fonds supplémentaires.

Mme Catherine Mann, agrégée supérieure de recherche, Institute for International Economics: J'aimerais faire un commentaire sur un certain nombre de choses qu'a mentionnées M. Solomon dans son allocution, à commencer par la mesure dans laquelle la situation en Asie est due au capitalisme du copinage.

Toute expression ne peut que caricaturer la réalité. Le «miracle asiatique» caricaturait tout autant la situation d'alors que ne le fait maintenant le «capitalisme du copinage». L'Asie n'était pas un miracle et elle n'est pas non plus un foyer du capitalisme du copinage. C'est un peu injuste d'utiliser ce genre d'expression.

M. Solomon a parlé des liens entre les banques, les gouvernements et les travailleurs. Cela signifie que le système financier de ces pays est un partenaire silencieux à la stratégie de développement et n'est donc pas indépendant, comme dans d'autres pays.

Il est certains qu'il y a eu des prêts directs et que le système bancaire était protégé. Nous pouvons appeler cela du capitalisme de copinage, mais c'est une méthode de développement qui a très bien réussi jusqu'à ce que les pays atteignent ce point de maturité où ils sont devenus actifs sur les marchés financiers internationaux, sans pour autant disposer d'une structure financière nationale à la hauteur. Bien entendu, cette structure n'était pas en mesure de répartir le crédit -- elle n'avait jamais été appelée à cela auparavant, et le gouvernement et les milieux d'affaires ne souhaitaient pas le faire.

Il faut voir le capitalisme de copinage comme le revers de la médaille du miracle asiatique. Nous devrions nous concentrer sur les incitatifs mis en place pour l'organisation des finances. Nous devrions également considérer les relations entre entreprises et syndicats qui ont tissé une toile efficace pendant un certain temps mais qui n'a pas résisté à la pression du marché extérieur.

À ce propos, dans quelle mesure pouvons-nous attendre du marché qu'il contribue à la réforme de certains pays asiatiques? Chaque situation est unique, mais on peut dire qu'il faut considérer la réforme de la stratégie de développement d'un pays -- y compris les relations entre les affaires, le gouvernement, les syndicats et la finance -- comme un tout. C'est pourquoi beaucoup de programmes du FMI se concentrent de plus en plus sur les réformes structurelles. Celles-ci vont bien au-delà de la simple réforme du système financier, car on ne peut démêler les relations complexes entre les milieux d'affaires, le gouvernement et les syndicats si le système financier reste sous-développé. Les programmes du FMI ont une portée très vaste, que beaucoup de gens ont critiquée, mais c'est qu'on ne peut pas régler un problème aussi vaste par une intervention étroitement limitée.

Ces réformes pourraient utiliser la locomotive du marché d'une certaine manière. Plus précisément, une façon d'améliorer le fonctionnement d'un système financier, c'est d'encourager la concurrence internationale. La présence de banques internationales dans un système financier national offre de nombreux avantages. Dans le cas de ces pays, où la supervision et la transparence posent de graves problèmes, il semble qu'il serait utile de permettre la présence de superviseurs étrangers. Par exemple, quand Citibank ouvre une succursale en Corée, celle-ci est placée sous la supervision du Federal Reserve Board.

En outre, comme certains de ces pays sont petits, leurs systèmes bancaires sont très vulnérables à la volatilité du marché des changes ainsi qu'à celle de l'activité économique. Les avantages d'une base de capitaux et d'un portefeuille de prêts diversifiés sont clairs. La diversification peut s'étendre au-delà des frontières pour le plus grand avantage de la banque et du bénéficiaire -- banque ou intermédiaires financiers -- ainsi que pour le client des services financiers.

Le marché peut jouer un rôle mais il ne peut pas tout faire seul. Il faut aussi modifier la réglementation dans ces pays afin de permettre la participation d'un plus grand nombre de fournisseurs de services financiers. C'est là un des aspects des programmes de réforme structurelle dont on a peut-être trop peu parlé, en partie parce que ce sont des questions politiques très délicates. Introduire la concurrence dans un système financier national est une affaire politique délicate.

J'aimerais parler de la question du FMI comme prêteur de dernier recours, comme on l'appelle. Nous comprenons tous comment fonctionne le prêteur national de dernier recours. Transposons cela dans le contexte international, afin de comprendre ce rôle du FMI et de voir ce qui lui manque peut-être pour l'assumer pleinement.

D'une part, le FMI est la seule institution capable de coordonner les actions d'États souverains. Il est question ici de crises financières mondiales, qui évoluent rapidement, qui demandent des injections importantes et immédiates de crédit. Comme la croissance mondiale repose de plus en plus sur l'intermédiation financière internationale, nous ne pouvons pas risquer l'effondrement du système financier international. Voilà un véritable rôle pour le FMI.

Celui-ci ne dispose pas, et ne devrait sans doute pas disposer, des mécanismes de soutien essentiels que l'on trouve dans les environnements nationaux et qui permettent d'atténuer le danger moral. Plus précisément, le FMI n'a pas une présence permanente en tant que surveillant, et ne devrait sans doute pas l'avoir, pas plus qu'il n'a d'autorité de redistribution de l'impôt, où la capacité d'imposer des changements dans les structures financières. Comme il ne dispose pas de ces moyens importants pour atténuer le danger moral, je dirais que l'intervention du FMI -- non seulement en Asie, mais aussi au Mexique -- tend à augmenter le danger moral.

D'une part, le FMI est nécessaire. Je dirais même qu'il faut le renforcer pour s'assurer qu'il pourra apporter les crédits nécessaires en cas de crise, et que nous devons limiter les cas où il accorde des crédits. Si nous voulons le renforcer, nous devons aussi y faire appel moins souvent. Qui interviendra à sa place? Comment pourrons-nous réduire le nombre d'occasions où l'intervention du FMI devient nécessaire?

Le communiqué des ministres des Finances du G-7 suggérait diverses manières d'améliorer l'architecture financière internationale et, en conséquence, d'atténuer le danger moral et de réduire le nombre d'occasions où il est nécessaire de demander des crédits au FMI. Améliorer la transparence et la divulgation, renforcer les systèmes financiers nationaux, tout cela est évidemment nécessaire. Mais ce n'est pas suffisant.

À la réunion des ministres des Finances du G-7, plusieurs pays, parmi lesquels le Canada, ont suggéré la mise en place d'un superviseur international des superviseurs nationaux. C'est une idée intéressante, mais je ne sais pas si cela irait au-delà des mesures prévues par la BRI. En tous les cas, pour être efficaces, ces superviseurs doivent être présents et disposer de pouvoirs de police. À mon avis, les États ne sont pas prêts à céder ces pouvoirs à des autorités supranationales. Comme on ne fait appel au FMI que lorsque le pays est en difficulté, même si on lui confiait ce rôle, il ne pourrait s'en acquitter efficacement. Lorsque la crise survient, les superviseurs ne sont plus de la partie. Ils doivent agir avant.

En conséquence, nous devons plutôt chercher à résoudre le problème du danger moral par des solutions axées sur le marché. Dans le contexte du prêteur national de dernier recours, on reconnaît de plus en plus que les lignes directrices en matière de suffisance du capital de la BRI présentent un obstacle. Une fois qu'un pays l'a surmonté -- une fois que son système bancaire satisfait aux normes -- on considère que tout va bien. Par conséquent, on ne tient pas suffisamment compte dans les lignes directrices des différences dans les économies des divers pays. Nous estimons qu'il est bien plus important de se concentrer sur les techniques de gestion du risque.

L'intermédiation financière internationale est une opération extrêmement complexe. Il y a un certain nombre d'institutions financières qui interviennent le plus fréquemment dans ces mouvements de capitaux et nous devons de plus en plus prêter attention aux techniques de gestion du risque au sein de ces institutions. Je veux parler de gestion et non de réduction du risque.

À ce propos nous disposons cependant maintenant d'un certain nombre d'instruments financiers qui n'existaient pas avant le début de la crise asiatique. S'ils avaient existé, le résultat aurait peut-être été différent. C'est la fuite des capitaux qui a propagé la contagion et causé l'effondrement.

Je peux décrire deux types d'instruments que les ingénieurs financiers ont mis au point. Les options d'assurance-crédit et les options d'assurance-reconduction. Avec ces instruments, les investisseurs ne se seraient pas tous bousculés au portillon pour s'empresser de vendre des obligations coréennes, par exemple, qui sont tombées d'un triple A à un double B moins en l'espace de dix jours. Munis d'une option d'assurance-crédit, ils ne seraient pas joints à la foule qui voulait quitter le pays à cause des contraintes quant au type d'instruments que l'on pouvait détenir.

Pourquoi ces types d'assurance n'existaient-ils pas? Pourquoi le marché privé n'avait-il pas offert ces assurances? C'est qu'auparavant leur nécessité n'était pas évidente.

À l'époque des taux de change fixes, personne ne pensait que les options de change, les contrats d'échange de devises et les assurances sur le cours des changes pourraient être particulièrement importants pour les compagnies ou les investisseurs. La période de 1985 à 1989 a clairement révélé l'importance de ce type de mécanismes de protection afin de diversifier le risque pour ceux qui ne voulaient pas le courir, ou ne pouvaient le tolérer.

La même chose s'est produite pour certains autres instruments. En Corée et en Indonésie, nous avons deux stratégies différentes face à la crise. Beaucoup diront que le règlement coréen à la crise immédiate est positif. La Corée a rencontré les principales banques commerciales à New-York en janvier et tout le monde s'est entendu sur la reconduction de la dette. C'était une bonne solution, à bien des égards, pour la Corée et pour les banques. Mais cela n'a pas encouragé le marché à mettre en place ses propres mécanismes d'assurance en vue d'éviter la réaction de masse qui a provoqué la fuite des capitaux.

Bien des gens critiquent l'Indonésie pour avoir refuser d'appliquer les programmes du FMI. Elle a réagi à la crise par la non-intervention; tous les emprunteurs privés doivent s'entendre avec leurs créanciers et régler leur propre situation. C'est une situation extrêmement coûteuse et embrouillée pour les prêteurs. C'est précisément le type de situation qui les incite à chercher les moyens de se protéger la prochaine fois.

Les ingénieurs financiers de New-York cherchent comment fixer le prix de ce type d'instrument. Quant à savoir si quelqu'un les achètera, ou s'ils pourront empêcher la crise la prochaine fois, seule la prochaine catastrophe financière le dira.

Le sénateur Carney: Je voudrais m'adresser à M. Solomon. Vous avez indiqué que le Canada serait touché dans la mesure de ses relations commerciales avec les États-Unis et des conséquences pour ce pays. Je le conteste.

Quand vous dites cela, avez-vous vraiment considéré la nature du commerce entre le Canada et les États-Unis? Il est fortement concentré dans des secteurs comme l'industrie automobile qui ont très peu de rapports avec l'Asie. Vous avez dit que l'impact direct pour le Canada pourrait être très faible. Pour le moment, nous n'en savons rien.

Je suis récemment allée dans le port de Vancouver, dans mon ancienne circonscription. En 20 ou 30 ans, je ne l'avais jamais vu aussi désert. Les docks à bois sont vides, et d'autres aussi. C'est le plus grand port de la côte Ouest et peut-être d'Amérique pour certains types d'exportations. En février, le chiffre d'affaires a chuté de 17 p. 100. Le port est plein de conteneurs vides parce que les pays d'Asie exportent mais n'ont pas les moyens de nous acheter nos marchandises. L'effet a été ressenti immédiatement. Il y a des conteneurs vides partout. C'est frappant. Les journaux commencent à parler du chômage de centaines de débardeurs, des conséquences tout à fait dévastatrices sur ce secteur, et des mauvaises perspectives à terme. Nous devrions surveiller ce qui se passe dans ce port, ainsi qu'à Prince Rupert, autre grand port ouvert sur l'Asie.

Vu la nature de notre commerce avec l'Asie, je crois que les conséquences pour le Canada seront beaucoup plus importantes que vous ne le suggérez. La nature du commerce varie. Dans le cas de l'Ontario, 90 p. 100 de ses exportations vont aux États-Unis. En Colombie-Britannique, c'est moins de 50 p. 100. Notre principal marché est l'Asie, et la crise pourrait avoir des conséquences beaucoup plus graves que vous ne le suggérez.

Vous avez dit que le FMI a besoin de soutien et de fonds supplémentaires. Rien dans votre exposé, ni dans les documents que vous nous avez remis, n'indique que le public y serait favorable. Personne n'a pu nous expliquer pourquoi le FMI a été totalement incapable de prévoir ou de prévenir la crise en Asie. Personne ne nous a expliqué pourquoi il est totalement impuissant à faire appliquer les mesures strictes dont vous parliez. Vous avez dit que les crédits du FMI ne constituent pas un renflouage, qu'ils s'accompagnent de critères et de conditions strictes. Mais personne ne nous a dit ce qu'il arriverait si l'Indonésie décidait de ne pas respecter les règles du FMI.

Dans le cas de la crise en Asie, le FMI ne nous a pas convaincu qu'il méritait notre appui; c'est l'opinion publique qui décidera de sa crédibilité. Les retombées de la crise seront importantes et les experts à qui nous avons parlé pensent que nous n'avons pas encore vu le pire. Vu cet état de choses, comment pouvez-vous continuer d'appuyer cette institution?

Les faits montrent que le FMI n'a pas été efficace, d'autant plus que nous ne savons pas ce qui arrivera si l'Indonésie ne modifie pas ses structures. En ce qui concerne le danger moral que vous avez si bien décrit, rien n'indique que ces pays entreprendront les modifications fondamentales nécessaires. J'aimerais un peu plus de franchise sur ce point.

M. Solomon: Pour commencer par votre premier commentaire: j'ai donné un tableau macro-économique des exportations canadiennes. J'ai regardé les statistiques globales sans les analyser par régions. Il est vrai que la part des exportations canadiennes destinées aux pays d'Asie est plutôt faible, mais je ne vous contredirai certainement pas quant aux effets spécifiques.

Pour ce qui est du FMI, il avait prévu la crise en Corée et en Thaïlande. Ses représentants sont allés à plusieurs reprises à Bangkok pour donner l'alerte, mais ils n'ont pas été entendus. Le FMI ne peut pas obliger un pays à agir.

Le sénateur Carney: Le FMI semblait incapable de faire appliquer les conditions du renflouage.

M. Solomon: Il ne peut les imposer que lorsqu'un pays a besoin de ses crédits. Il n'a de pouvoir que lorsque le pays demande des fonds.

Le sénateur Carney: Jusqu'ici il ne l'a pas démontré dans cette crise asiatique.

M. Solomon: Il est encore tôt. J'ai l'impression que les conditions commencent à être appliquées en Corée et en Thaïlande. On constate des progrès dans ces deux pays.

En Indonésie, toutefois, c'est encore la gabegie, tant sur le plan administratif qu'économique, et les choses ne s'arrangent pas. Je ne sais pas ce qu'il se passera si l'Indonésie n'accepte pas les conditions du FMI. Elle serait en graves difficultés, mais personne ne peut obliger un gouvernement à prendre des mesures contre son gré. Le FMI n'a que ses crédits pour imposer ses conditions. Si l'Indonésie les refuse, le FMI mettra fin aux crédits et l'Indonésie restera en difficultés.

Le sénateur Carney: Existe-t-il un précédent, le FMI a-t-il jamais abandonné un pays qui ne respectait pas ses stricts critères?

M. Solomon: Je l'ignore.

Mme Mann: Le FMI a retardé le premier versement à l'Indonésie parce que le pays refusait de modifier son programme automobile national et de fermer un certain nombre de banques.

Le sénateur Carney: Je suis au courant. M. Solomon a dit que l'efficacité du FMI dépend de sa capacité à imposer des normes et des critères stricts. Je prétends, et il en convient, que cela n'a pas été démontré en Indonésie.

Le FMI a-t-il jamais abandonné un pays qui n'avait pas respecté ses critères? Je sais qu'il a retardé un versement, mais a-t-il jamais fermé la porte? A-t-il jamais eu à prouver son efficacité?

M. Solomon: Je ne connais pas tous les cas d'intervention du FMI, mais à certaines époques il a certainement abandonné la Russie. Il a cessé tout financement tant que le pays n'avait pas pris certaines mesures.

Le président: À Washington, le 16 avril, M. Martin, parlant du FMI, a dit:

Toutefois, les événements survenus récemment en Asie montrent qu'il y a encore du chemin à faire. Malgré tous les efforts réalisés pour étendre la surveillance au secteur financier, c'est en raison du manque d'attention aux problèmes de ce secteur que l'on n'a pas su voir venir la crise en Asie.

Il a également dit à cette occasion:

Il est important qu'il y ait plus de transparence dans les opérations du FMI et que celui-ci communique clairement et honnêtement ses conseils à ses membres et au public.

Il laisse entendre que l'on n'a pas suffisamment prêté attention aux problèmes du secteur financier, qu'il est nécessaire d'améliorer la transparence sur les propres opérations du FMI et que celui-ci doit s'ouvrir davantage. Pensez-vous que ces critiques implicites soient valables?

M. Solomon: Si le FMI avait publiquement fait état de ses inquiétudes à propos de la Thaïlande en 1996, la crise se serait déclenchée au milieu de 1996 plutôt qu'en 1997. Le FMI n'est pas un dénonciateur. Il ne peut pas exprimer publiquement le point de vue qu'il présente aux pays qui lui paraissent en danger. S'il le faisait, le marché réagirait négativement.

Mme Mann: Ces mêmes discussions ont eu lieu après le Mexique, vous vous en souvenez. À l'époque, le FMI avait essayé d'améliorer la transparence. Je veux parler de la transparence des données sur le pays, pas nécessairement de la transparence quant aux propres évaluations qu'en fait le FMI. Mais pour ce qui est réellement nécessaire afin de bien comprendre comment fonctionne un pays, c'est une goutte dans l'océan.

Quand les gens demandent davantage de transparence au FMI, il lui demande de devenir une agence de notation, ce qui n'est pas son rôle. Nous avons déjà des agences de notation. Le FMI n'est pas censé donner une évaluation du risque pour les investissements; c'est le rôle du secteur privé et des investisseurs. Le FMI devrait, lui, s'assurer que le secteur privé a toutes les informations nécessaires pour procéder à sa propre évaluation du risque, mais c'est autre chose.

Le sénateur Carney: Vous avez mentionné deux options intéressantes: l'option assurance-crédit et l'option reconduction du prêt. Certains exportateurs qui sont venus devant notre comité nous ont dit qu'ils en avaient besoin. S'ils avaient une assurance-exportation ou crédit, ils seraient mieux en mesure de traiter avec des pays où les institutions financières fonctionnent différemment des nôtres.

Mais vos solutions ne me semblent utiles que pour les exportateurs ou les investisseurs. L'assurance reconduction de prêt et l'assurance-crédit seraient utiles pour l'investisseur, les fonds de pension, ou pour les exportateurs. Mais elles n'imposent aucune discipline au marché national ou à l'importateur. Qu'en pensez-vous?

Mme Mann: Dans une situation équilibrée, vous achetez l'option et quelqu'un doit vous la vendre. L'exportateur paiera cette assurance et, par conséquent, il en tire un avantage; de l'autre côté, les importateurs ou emprunteurs paieront également. Il faut quelqu'un en face.

Ces instruments sont importants non pas tant que mesure de discipline pour l'emprunteur, mais plutôt pour empêcher les réactions de masse en cas de crise. Pour moi, c'est un moyen de répartir le risque entre des prêteurs plus diversifiés, ce qui éviterait qu'ils réagissent comme un troupeau.

Le sénateur Carney: Puisqu'il y a un coût supplémentaire, il faudrait qu'elle soit universelle, n'est-ce pas?

Mme Mann: Tout le monde ne craint pas suffisamment le risque pour acheter une telle assurance.

Le sénateur Stollery: Quand je pense au FMI, je me remets en tête cette célèbre observation: «Le Fonds est une banque et la Banque est un fonds.» Le FMI est effectivement une banque. Il faudrait avoir l'esprit malade pour penser qu'une institution financière internationale comme le FMI n'est pas nécessaire.

Je sais que des porte-parole du FMI se sont rendus en Thaïlande il y a quelques années. Peut-être serait-il préférable de provoquer la crise tout de suite plutôt que d'attendre. Plus on attend, plus le coût est élevé.

En juin dernier, le FMI a publié un rapport sur la mondialisation. Il mentionnait la Corée du Sud, Taiwan et Hong Kong parmi les pays désormais industrialisés, et affirmait qu'ils disposent maintenant des institutions financières voulues pour participer au G-7 ou G-8.

Qu'ont-ils bien pu avoir en tête quand ils ont publié ce rapport si important? Quelques mois plus tard, ils battaient leur coulpe. Je dois mettre en doute leur compétence. Le rapport donnait une liste de pays désormais industrialisés et six mois plus tard l'un d'entre eux s'effondrait. Qu'en pensez-vous?

Mme Mann: Il ne faut pas oublier que la fonction de recherche n'est qu'un aspect du FMI. Celui-ci est essentiellement un organisme politique et tout ce qu'il publie est expurgé dans une mesure qui surprendrait probablement même les politiciens.

Les membres et les directeurs exécutifs du FMI ne permettraient pas que l'on publie prématurément des informations négatives à leur endroit. C'est pourquoi tous les rapports conformes à l'article 4 ne sont publiés que dans une version très expurgée. Les directeurs exécutifs ne souhaitent pas leur publication; ils ne veulent pas que l'on publie l'opinion d'un institut de recherche sur leur pays.

Vous demandez au FMI de faire quelque chose dont il est incapable en raison de sa structure.

M. Solomon: J'aimerais répondre à la question concernant la promotion de ces quatre pays au statut de pays avancé. Ils ont été ajoutés à la liste des pays industrialisés en raison surtout des niveaux de revenus qu'ils avaient atteints, et non en raison de la nature de leurs systèmes financiers ou administratifs.

Il est fort possible qu'un pays appartenant depuis longtemps au groupe des pays industrialisés connaisse une crise financière. Ce n'est pas impensable.

Le sénateur Stollery: Personne ne demande au FMI de devenir un institut de recherche, mais il a publié un rapport de 160 pages. Ce n'est pas un simple prospectus. Et il ne les a pas seulement présentés comme des pays avancés. Il fait spécifiquement état d'institutions financières avancées, particulièrement dans le cas de la Corée du Sud.

Je viens de passer trois semaines au Japon. J'ai lu un article fort intéressant dans le Japan Times que je ferai remettre aux membres du comité. L'auteur fait très justement remarquer que nous parlons beaucoup de marché libre, de liberté du système bancaire, et cetera, mais que le seul pays qui n'a pas connu de crise, c'est la Chine, avec son économie dirigée.

Le Japon représente 17 p. 100 de l'économie mondiale et son influence sur les pays d'Extrême-Orient est très forte. On parle très sérieusement d'une éventuelle dévaluation du yen et les gens disent que la crise est loin d'être terminée. Pendant mon séjour au Japon j'ai constaté que les institutions financières ne fonctionnent pas très bien en dehors des grands centres urbains. La politique agricole pose également un grand problème.

Ce n'est que le début du problème. Tout le monde semble penser que la Chine va dévaluer sa devise d'au moins 30 p. 100. La difficulté consistera à dévaluer et à mettre à pied 20 ou 30 millions de personnes qui travaillent pour des entreprises d'État très coûteuses.

Pensez-vous que la Chine dévaluera? Le cas échéant, pensez-vous que la dévaluation s'étalera sur deux ou trois ans, afin de mettre ces gens dehors avec un minimum de perturbation et de remous sociaux?

M. Solomon: Les autorités chinoises ont annoncé qu'elles ne dévalueraient pas leur monnaie. Il se trouve que j'ai récemment examiné d'assez près l'économie chinoise et je ne vois pas vraiment de raison de dévaluer. Je dirais qu'il n'y aura probablement pas de dévaluation. Cela dit, la Chine connaît aussi ses problèmes et, comme vous l'avez suggéré, elle va licencier des fonctionnaires. Mais elle fera beaucoup plus encore.

Le nouveau premier ministre est un homme fort intéressant. C'est un réformateur de longue date qui s'efforcera de régler le problème des nombreuses entreprises d'État qui essuient des pertes, comptent trop d'employés et continuent d'offrir des soins médicaux, des écoles et des logements à leurs employés. Ces entreprises tournent grâce à des emprunts bancaires et les banques ont maintenant des prêts non productifs. Elles sont en difficulté, comme beaucoup d'entreprises d'État. Elles ont toutes bien besoin de réforme.

Une dévaluation et une augmentation des exportations ne régleraient rien de tout cela. Ce sont des problèmes essentiellement nationaux qu'il va falloir résoudre. Le nouveau premier ministre fera de son mieux. Je ne pense pas qu'il le fasse en dévaluant le renminbi.

Mme Mann: Je partage entièrement le point de vue de M. Solomon sur la situation de la Chine.

J'ai entendu mentionner divers pourcentages de dévaluation, mais je n'ai jamais entendu le chiffre de 30 p. 100. Essayons d'imaginer ce que signifierait une dévaluation en Chine et voyons pourquoi elle n'est pas nécessaire.

Nous savons qu'une dévaluation améliore le prix relatif des exportations et, par conséquent, la compétitivité des marchandises sur les marchés étrangers. Nous savons aussi qu'elle augmente le coût des importations et a un effet inflationniste sur la plupart des économies.

Côté exportations, la Chine n'a pas besoin de dévaluer car ses industries exportatrices sont déjà extrêmement compétitives. La Chine a les usines les plus modernes et les travailleurs les plus scolarisés. Le pays jouit en outre de nombreux avantages fiscaux et, comparé à d'autres pays qui ont dévalué leur monnaie, les gains en productivité dans les industries d'exportation dépassent toute éventuelle perte de compétitivité.

Par ailleurs, la pression inflationniste d'une dévaluation en raison des importations énergétiques et alimentaires serait ressentie dans toute l'économie. Compte tenu des tensions entre les secteurs extérieur et national, et ce qu'il va falloir faire pour restructurer la main-d'oeuvre et l'industrie, la Chine ne veut surtout pas d'une poussée inflationniste qui l'obligerait à utiliser la politique monétaire pour freiner la consommation nationale. C'est politiquement avantageux pour la Chine de ne pas dévaluer et elle n'a aucune raison de le faire. Elle tire d'énormes avantages politiques et elle gère très bien sa situation économique et politique du point de vue du change. Elle doit cependant faire des progrès dans l'économie nationale.

Le sénateur Stollery: Nous parlons de marché ouvert, de marché libre, mais le seul pays qui semble respecter les critères financiers est un pays à parti unique et à économie totalement dirigée.

Mme Mann: Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. J'ai dit que le marché financier chinois connaissait des difficultés importantes mais que la Chine avait bien su gérer sa stratégie d'investissement étranger direct.

Le sénateur Grafstein: J'ai toujours été un défenseur -- modéré, pas ardent -- du FMI. Mais l'année dernière, mon appui pour cette institution a faibli, ainsi que ma confiance, pour diverses raisons. J'ai entendu dire que le FMI avait provoqué une ruée sur les banques de Corée ou d'Indonésie -- je ne sais plus lesquelles -- parce qu'il n'avait pas compris qu'au-dessous des banques il y avait une infrastructure réglementée. Autrement dit, selon le Wall Street Journal, il a aggravé la situation.

Le FMI ne suscite plus un très grand enthousiasme. Le Canada a toujours appuyé les structures multilatérales et le FMI. Nous avons accordé des crédits au Mexique bien avant les Américains. Nous avons toujours été parmi les premiers à payer notre juste part. Mais il se pose maintenant une question grave qui touche à nos structures financières.

Nous devons examiner comment fonctionne le FMI, non pas en Europe ou en Amérique du Sud, mais en Asie. Nous avons traité cette situation comme si elle s'était produite en Europe ou dans des pays industrialisés. Nous disons que l'Asie fait partie du système international. Cependant, si l'on regarde ces pays, on s'aperçoit qu'ils n'ont pas de banque centrale solide. Ils n'ont pas une forte réglementation bancaire, un bon système de réglementation ou de notation, ni d'assurance privée ou publique. Pourquoi parlons-nous de système international? Quand on dit système, cela signifie la présence de certaines structures. Ce n'est pas un système, c'est une passoire.

Mme Mann a parlé d'options d'assurance et M. Solomon a suggéré que l'on augmente le financement du FMI. Mais au bout du compte, il n'y a pas de structure qui puisse nous donner confiance dans les instruments financiers qui existent dans ces pays. Ce n'est pas du capitalisme de copinage, c'est une absence de réglementation. Que cela nous plaise ou non, il semble y avoir un meilleur régime de réglementation en Chine que dans ces autres pays.

Nous sommes tous allés en Chine. Nous savons qu'il y a un système de supervision ou de réglementation. Il est contrôlé, ce n'est pas un marché libre, et les systèmes sont en place. Nous désapprouvons: ils sont rigides, chers et inefficaces. Mais ils existent.

Cela dit, est-ce la même situation que nous avons connue tout de suite après la Seconde Guerre mondiale? Le moment n'est-il pas venu pour nos très affairés ministres des Finances de refaire, en quelque sorte, Bretton Woods?

Si ces pays font partie du système mondial au sein de l'OMC, le moment est venu de réexaminer leurs systèmes bancaires et financiers. Ne devrions-nous pas réexaminer attentivement leur système au lieu d'y jeter un coup d'oeil de temps en temps? Certains ministres des Finances n'assistent aux réunions qu'un seul jour. Ils ont trop à faire avec leurs propres problèmes budgétaires pour s'intéresser à ces questions.

Il est temps que les principaux réglementateurs du FMI et d'autres secteurs se réunissent jusqu'à ce qu'ils puissent s'entendre sur un programme responsable et acceptable de réforme profonde.

Ici nous avons un gouvernement qui doit rendre des comptes. M. Solomon a suggéré que nous donnions davantage d'argent au FMI. À ce moment-ci, nous le ferions à notre corps défendant. Nous devons justifier nos dépenses et je ne suis pas certain que nous ayons encore la confiance que nous avions autrefois dans le FMI.

M. Solomon: Il me semble que vous demandez aux ministres des Finances de se réunir et de faire ce qu'essaie de faire le FMI dans ces pays d'Asie qui sont actuellement en difficulté, c'est-à-dire d'améliorer les systèmes financiers. C'est précisément ce que visent les programmes du FMI. Je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire pour cela de réunir les ministres des Finances.

Le sénateur Grafstein: Mais le FMI ne rend des comptes qu'indirectement. Les ministres ont une responsabilité politique. Il y a une différence entre des ministres des Finances qui doivent rendre des comptes sur l'argent qu'ils perçoivent pour le remettre au FMI et ce dernier qui est moins directement appelé à rendre des comptes.

M. Solomon: Vous demandez une réforme en Corée, en Indonésie et en Thaïlande. Pardonnez-moi, mais j'estime que les ministres des Finances pourront parler aussi longtemps qu'ils voudront, ils n'auront jamais la même influence que le FMI, qui fournit à la Corée et à l'Indonésie les fonds dont elles ont besoin.

Mme Mann: Vous avez fait deux observations qu'il est important de bien distinguer. Vous avez parlé d'une part d'améliorer le fonctionnement des systèmes financiers dans ces pays qui ont un pied sur la scène financière internationale. Quand je dis «un pied», je sais bien qu'ils participent pleinement sur le plan commercial et, bien sûr, nous savons que cela représente énormément d'argent. Mais en fait, il circule beaucoup plus de capitaux qu'il n'en faut pour le commerce. Ces pays ont commencé à participer au système financier international sans disposer des structures financières nécessaires.

Il est important de noter que c'est à la suite d'un démantèlement partiel de sa stricte réglementation que la Chine se trouve dans la situation où elle est aujourd'hui. Si elle avait pu transformer du jour au lendemain son système financier en un système robuste et dynamique, la situation serait tout autre.

Si toutefois elle avait maintenu toute la rigidité inhérente à son système, nous parlerions aujourd'hui des énormes inefficiences qu'elle entraîne. C'est l'adaptation partielle du système qui suscite notre discussion aujourd'hui.

Les ministres des Finances du G-7 ont affirmé leur volonté de consolider leurs systèmes financiers nationaux; c'est une bonne chose. Nous sommes tous d'accord là-dessus.

Vous avez cependant dit également qu'il était temps de refaire un accord de Bretton Woods. C'est là une entreprise beaucoup plus ambitieuse. Lorsque le conseil de l'Institute for International Economics s'est réuni vendredi dernier, l'un de nos membres, M. Paul Volcker, a fait remarquer que c'était ce qu'étaient en train de faire les ministres des Finances du G-7. Ils parlent peut-être de nouvelle architecture internationale du système financier, mais à mon sens, c'est de la décoration intérieure. M. Volcker est de votre avis. Ce n'est bien sûr pas facile. Peut-être devrions-nous au moins convenir qu'il ne suffit pas de changer les rideaux, mais je ne suis pas sûre que nous en soyons encore arrivés à nous entendre là-dessus. C'est parce que la crise a frappé ailleurs, pas chez nous.

On ne parle pas de l'effondrement du SME, situation très semblable à celle de l'Asie. Mais les conséquences étaient différentes parce que les pays concernés avaient des systèmes internes beaucoup plus solides. Il y a cependant des similarités que beaucoup préfèrent ne pas relever, peut-être parce que cela les obligerait à s'engager sur une voie qu'ils préfèrent ne pas emprunter.

Le sénateur Andreychuk: Tout le monde semble penser que le FMI est bien plus qu'il n'est en réalité. Que je sache, il ne met pas en oeuvre des programmes, mais nous semblons croire qu'il est le garant de la performance d'un pays. Le FMI n'intervient que sur invitation. À ce moment-là, il a du pouvoir puisqu'il peut imposer les conditions de son aide. Son rôle n'est pas de tirer la sonnette d'alarme. Devrait-il servir à cela ou devrions-nous mettre sur pied un système d'alerte avec d'autres institutions?

Par exemple, si l'OMC prévoit plus de communications et de transparence, les investisseurs privés pourraient peut-être se charger de l'évaluation du risque. Le moment est-il venu de créer une nouvelle institution? Le cas échéant, une fois celle-ci établie, devrions-nous sacrifier une part de notre souveraineté dans l'intérêt de la transparence. Serait-il juste de demander au FMI d'assumer certaines de ces responsabilités?

M. Solomon: Vous avez très bien décrit la situation, mais il faudrait ajouter un aspect. Le FMI intervient sur invitation, mais il procède régulièrement à l'examen de ses membres. C'est ainsi qu'il a mis la Thaïlande en garde bien avant que celle-ci ne vienne lui demander de l'aide. Le FMI remplit donc déjà en partie la fonction que vous proposez.

Mais il ne peut pas obliger un pays à prendre des mesures correctrices à moins que son gouvernement ne soit prêt à le faire.

Le sénateur Bolduc: Est-ce que la réforme du système financier japonais est si lente parce que le Japon n'a pas besoin de l'argent des autres?

M. Solomon: C'est exact.

Le sénateur Andreychuk: Je sais que, d'une certaine manière, lorsque le FMI intervient il respecte la souveraineté de l'État en question, et par ailleurs il intervient bien au-delà de ce qu'exigerait la situation. Par exemple, si c'est un problème de liquidités à court terme, il intervient et conseille toutes sortes de réformes qui vont bien au-delà de la crise en question. De fait, il impose aux pays en difficulté des choses qu'il ne demanderait pas aux pays qui le financent, et certains estiment que c'est injustifié.

Mme Mann: Le FMI dépasse-t-il ses compétences? Quand un pays demande de l'aide pour sa balance des paiements, le FMI lui présente toute une liste de réformes. C'est ce qu'on lui reproche, en particulier dans le cas de l'Asie.

On peut cependant dire qu'il n'y a pas de simples problèmes de liquidités. Ce n'est que la manifestation d'un problème structurel généralement plus profond. Et ces problèmes sont beaucoup plus évidents en Asie qu'ils ne l'étaient en Amérique latine, par exemple, où il était plus facile de mettre le déséquilibre qui a créé le besoin de liquidité sur le compte des macro-politiques.

En Asie, ce n'était pas une question de mauvaise administration de politiques économiques. C'était plutôt, sur une longue période, l'aboutissement d'inefficacités dues à une situation structurelle particulière. Pourquoi l'effondrement s'est-il déclenché ce jour-là, cela reste un mystère.

Je dirais qu'il est extrêmement rare que le FMI puisse se permettre de dire: «Bien, nous allons vous donner 100 $ et nous nous en irons.» Il doit plutôt dire: «Bien, nous allons vous donner 100 $ et vous allez jeter votre carte de crédit et modérer votre usage du téléphone.» C'est un peu ce qu'on ferait avec un étudiant, par exemple.

Vous demandez également si le FMI devrait suggérer le même type de réforme aux pays qui ne reçoivent pas son aide qu'à ceux qui la reçoivent. Pour revenir à la question de la supervision, que mentionnait M. Solomon, et des réunions dites «de l'article 4», où l'on discute de ce type de réforme structurelle et où le FMI s'attaque à différents problèmes du marché du travail, du marché des capitaux ou des marchés agricoles de certains pays. Mais comme il ne leur prête pas d'argent, il n'a pas d'influence. Nous savons tous que nous prêtons davantage attention à quelqu'un qui a de l'argent qu'à quelqu'un qui se contente de donner des conseils.

Le problème n'est pas que le FMI ne fasse pas de remarque aux autres pays, mais que les pays européens et les États-Unis n'ayant pas besoin de son argent, ils ne l'écoutent pas trop attentivement.

Le sénateur Andreychuk: On reproche aussi au FMI d'intervenir trop rapidement, ce qui n'incite pas les banques et autres prêteurs à régler leurs propres problèmes.

Mme Mann: Il est important de revenir au tout premier jour de la crise en Asie. Considérons attentivement ce qui s'est produit dans les deux premières semaines après que l'on se soit rendu compte de la situation dans laquelle se trouvait la Thaïlande. Le FMI est arrivé avec environ 9 milliards de dollars. C'est dans la norme pour un programme de soutien à la balance des paiements. Le FMI n'en était pas à sa première expérience. Il a estimé que c'était la somme nécessaire pour régler le problème de la Thaïlande.

Vous vous souviendrez qu'environ à la même époque certains disaient que le Fonds monétaire asiatique était un problème asiatique et qu'il fallait laisser les pays d'Asie régler leurs propres problèmes. Les 9 milliards de dollars du FMI sont devenus 17 milliards de dollars. Le Japon a contribué environ 5 milliards. Au bout du compte, l'aide du FMI était deux fois supérieure à ce qui avait été jugé nécessaire.

Est-ce ce qui a amené les investisseurs à examiner leur situation dans d'autres régions d'Asie? Nous ne le saurons jamais. Mais je me demande dans quelle mesure le FMI a perdu la maîtrise de la situation en Thaïlande en partie pour des raisons géopolitiques. On ne peut pas le lui reprocher, mais cela a encouragé une situation où tous les autres pays d'Asie ont eu besoin d'aide et cela a mis à dure épreuve non seulement les ressources du FMI, mais les ressources mondiales en général.

Le sénateur Carney: Vous venez de décrire l'effet d'entraînement de la crise asiatique. À votre avis, est-ce la raison pour laquelle le FMI a semblé plus efficace au Mexique qu'en Asie? On estime certainement qu'il a eu plus de succès au Mexique qu'en Asie. Est-ce à cause de l'effet d'entraînement, ou y a-t-il une autre raison?

Mme Mann: C'est une question très difficile. Toute réponse tiendrait forcément de la conjecture. Il y a d'abord une question fondamentale, et puis il y en a une autre, plus politique. La question fondamentale c'est que dans une certaine mesure, la crise mexicaine a été provoquée par une mauvaise politique macro-économique. À cela est venue s'ajouter la vulnérabilité du système financier et les problèmes structurels de l'économie mexicaine, mais c'était avant tout un problème de mauvaise gestion macro-économique, avec une surévaluation de la monnaie, un énorme déficit extérieur, de dépenses budgétaires excessives que personne n'avait remarquées parce qu'elles étaient déviées par des voies non budgétaires. Mais ex poste, c'était une crise beaucoup plus dans les règles que celle que nous avons connue par le passé.

On peut dire que les outils habituels du FMI ont été plus efficaces au Mexique parce que le problème qu'ils étaient censés régler était beaucoup plus rapidement réglable.

En Asie, si l'on considère que les problèmes ne sont pas essentiellement dus à une mauvaise gestion macro-économique, mais à une mauvaise gestion structurelle, on se rend compte qu'ils se sont aggravés progressivement. Il est plus difficile de démêler la situation. Par conséquent, l'injection de fonds n'a pas les mêmes effets salutaires qu'elle a pu avoir au Mexique. La stratégie du FMI -- quelle que soit l'ampleur du programme -- est beaucoup moins efficace face à une situation qui demande une intervention prolongée. On ne réforme pas un système bancaire du jour au lendemain. On ne réforme pas des structures commerciales du jour au lendemain. Il est difficile d'être efficace quand on ne peut que donner de grosses sommes d'argent. Et si l'aide est accordée par tranches, c'est justement pour pouvoir maintenir la pression. C'est là la différence fondamentale. J'en suis tout à fait sûre.

Ce dont je suis moins sûre, c'est dans quelle mesure les pays d'Asie ont vraiment essayé de régler leurs problèmes internes, en particulier par la gestion des taux d'intérêt pour éviter que le taux de change ne s'effondre. L'un des moyens consiste à relever fortement les taux d'intérêt. C'est ce qu'a fait Hong Kong pour préserver le taux de change. Lorsqu'elles ont connu des crises, la Suède et la Finlande avaient augmenté leur taux d'intérêt de plus de 100 p. 100. La France en avait fait autant lors de la crise du SME.

Si vous examinez l'évolution des taux d'intérêt dans certains des pays concernés par la crise en Asie, on peut se demander si les autorités nationales ont vraiment fait un effort pour empêcher la dévaluation des termes de l'échange par le mécanisme des taux d'intérêt. Ils rétorqueraient -- et d'autres aussi, j'en suis sûre -- que cela n'aurait eu aucun sens parce que la confiance avait disparu, les investisseurs étaient paniqués et qu'il était trop tard pour que les taux d'intérêt puissent arrêter la fuite des capitaux. Bien sûr, nous ne connaîtrons jamais la réponse.

Je suis davantage prête à accepter cet argument-là que d'accepter que le système financier national ne pouvait pas supporter des taux d'intérêt très élevés parce que l'essentiel de ce système n'était pas vraiment exposé à un décalage des taux d'intérêt autant qu'à un décalage dans la valeur du change.

C'est une façon beaucoup plus hypothétique d'expliquer la différence entre la crise en Asie et celle du Mexique et la différence dans le degré de succès du FMI.

De plus, dans le cas de l'Asie, il est encore très tôt.

Le sénateur Bolduc: La BRI a récemment organisé des conférences sur la supervision bancaire efficace en vue d'établir des règles. Les pays devraient-ils être accrédités? Devraient-ils respecter un certain nombre de règles pour être admissibles à l'Organisation mondiale du commerce ou avoir droit à l'aide du FMI?

Mme Mann: Oui. Les principes de base ont été développés partiellement en réponse aux problèmes de la transparence et de la faiblesse des systèmes financiers mis en évidence par la crise du Mexique. Un certain nombre de principes permettraient effectivement de réduire la vulnérabilité des systèmes financiers face aux divers chocs qu'ils peuvent subir.

Quant à la question de l'accréditation, c'est peut-être mettre la charrue avant les boeufs. Si on en fait une condition préalable à l'aide du FMI, que faire pour ces pays qui ont besoin d'une aide financière afin de mettre leur système en ordre et satisfaire aux critères de base?

Le sénateur Bolduc: Je songeais également à l'Organisation mondiale du commerce. Ce serait un incitatif important, puisque ceux qui n'obéiraient pas à la règle en seraient exclus.

Mme Mann: La question du lien entre l'OMC, et plus particulièrement des accords sur les systèmes financiers, avec ces principes de base est intéressante.

L'entrée en scène d'institutions financières étrangères peut notablement contribuer à améliorer l'adéquation des systèmes financiers nationaux aux besoins des emprunteurs, ainsi que leur capacité à résister aux chocs qui surviennent à l'étranger. J'hésiterais à faire du respect des principes de base une condition préalable à l'admissibilité à l'OMC car je souhaiterais voir un plus grand nombre de pays y participer, surtout dans le domaine des services financiers. S'ils acceptaient la présence d'institutions financières étrangères, ils seraient mieux en mesure de satisfaire aux conditions de base. Mais il reste que c'est mettre la charrue devant les boeufs.

Le sénateur Bolduc: Peut-être pourrait-on les intégrer à l'AMI.

Le président: Quant M. Martin s'est rendu à Washington pour la réunion du FMI, il a dit que le moment était venu de créer une nouvelle institution multilatérale à vocation nettement financière. Il en a parlé assez longuement.

Jeudi dernier, à une réunion du comité sénatorial des banques, j'ai demandé au gouverneur de la Banque du Canada ce qu'il en pensait. Il a répondu:

Le fait est que si ces pays, ces institutions et ces marchés émergents souhaitent bénéficier des mouvements du capital international et obtenir des prêts des pays industrialisés, ils doivent respecter certaines normes de comportement de manière à ce que les prêteurs aient bon espoir de pouvoir récupérer leur mise, plus intérêt.

Le ministre proposait une participation volontaire. Il s'agirait d'une révision par les pairs, où des superviseurs de pays industrialisés et de marchés émergents constitueraient un groupe de révision chargé d'évaluer les modalités de supervision prévues dans chaque pays. Les pays qui participeraient, et obtiendraient du comité des pairs une note de passage seraient en mesure d'attirer davantage de capitaux.

Je lui ai ensuite posé la question suivante:

Supposons qu'un pays donné, un pays très important, décide de ne pas participer. À votre avis, le Canada, en tant que membre du FMI -- ou peu importe comment s'appellerait cet organisme -- pourrait-il dire: «En cas de difficultés financières dans ce pays qui auraient des répercussions pour les investisseurs étrangers, nous n'appuierions pas une intervention de secours en raison du facteur de danger moral»?

M. Thiessen m'a alors répondu:

C'est une bonne question et elle est difficile. Si les circonstances ne vous incitent pas à faire preuve de plus de générosité, vous pourriez envisager de voter de cette manière-là.

Que pensez-vous de cette réponse?

M. Solomon: C'était une question difficile et je comprends le gouverneur.

Le président: Diriez-vous que l'on pourrait effectivement envisager de voter oui, à moins que des circonstances particulières n'incitent à un geste plus généreux?

Mme Mann: Voter oui à la non-intervention.

Le président: Vous jouez le jeu ou vous ne le jouez pas.

Mme Mann: Il y a deux aspects à cette question. D'une part, il y a le problème des resquilleurs. Si le Canada, ou un autre pays, décidait de ne pas participer, il se pourrait tout de même que des institutions financières canadiennes bénéficient de l'intervention d'autres gouvernements. La question du partage du fardeau peut mener à des discussions politiques.

Deuxièmement, en insistant sur les principes fondamentaux, ou sur la nécessité de respecter un certain code de comportement avec participation volontaire à cette institution multilatérale, aux institutions de supervision ou d'examen par les pairs, on ne touche que les marchés émergents qui reçoivent des fonds.

Mes suggestions concernant l'assurance-crédit et l'assurance- reconduction des prêts visent à reconnaître que les difficultés sont venues en partie de ce que le monde industrialisé a prêté des capitaux sans égard à la prudence. La communauté financière internationale ne doit pas réagir seulement en exigeant des emprunteurs qu'ils mettent de l'ordre dans leurs affaires. Elle doit en demander autant des prêteurs. La réforme s'impose de part et d'autre.

Le président: Je sais que l'un de nos invités doit nous quitter. Par conséquent, si vous n'avez pas d'autres questions urgentes, je vais mettre fin à la réunion. Madame Mann, monsieur Solomon, nous vous sommes reconnaissants de votre contribution. La discussion a été très franche. Elle nous a été très utile et nous vous en remercions.

La séance est levée.


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