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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 33 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 14 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour examiner les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du pacte de Varsovie, de la fin de la guerre froide et de l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque et du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Mesdames et messieurs les sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nous commençons aujourd'hui les travaux prévus dans un renvoi qui nous vient du Sénat.

Pour nous présenter le sujet, nous entendrons M. David Long, professeur à l'université Carleton. Il enseigne la théorie internationale, l'histoire de la pensée politique, la politique européenne, les questions hommes-femmes et les relations internationales. Il a publié des articles dans les publications suivantes: Review of International Studies, Millennium: Journal of International Study, Journal of European Integration et International Journal.

Il est l'auteur de Towards a New Liberal Internationalism: The International Theory of J.A. Hobson.

J'ai la liste des nombreux articles savants qu'il a rédigés. Vu l'heure avancée, toutefois, je ne vais pas en faire l'énumération. La liste est à la disposition de tout sénateur qui souhaite la consulter.

Nous avons demandé à M. Long de donner le coup d'envoi à nos travaux. Comme nous en sommes aux débuts, il se peut que nous ne connaissions pas toute la terminologie. Mais comme il faut commencer quelque part, on me dit que M. Long est tout désigné pour nous aider.

Je vais maintenant lui céder la parole.

M. David Long, professeur, École des affaires internationales, Université Carleton: Je vous remercie de m'avoir invité, monsieur le président. C'est un honneur pour moi de prendre la parole devant vous aujourd'hui.

On m'a demandé de vous tracer un aperçu général de l'OTAN. Je dois vous avouer ma nervosité. Ma première réaction a été de me demander ce qu'un professeur d'université dans la trentaine pourrait bien dire à des sénateurs sur ce que d'aucuns considèrent être une institution périmée à la recherche d'une vocation; je me suis aussi demandé que signifie un aperçu d'une caractéristique de si longue date de la politique étrangère et de défense du Canada. L'OTAN fête son cinquantième anniversaire cette année, comme vous le savez sans doute.

J'ai décidé de vous présenter un aperçu général de l'évolution de l'Alliance au cours des dix dernières années. Je vais mettre en relief un certain nombre de thèmes déterminants pour bien comprendre la nature de l'Alliance aujourd'hui.

J'aimerais tout d'abord faire une réserve. Ce n'est pas à moi qu'il faut s'adresser pour connaître l'ampleur des troupes ou pour poser des questions opérationnelles militaires. Je ne parlerai pas beaucoup du Kosovo, mais je n'éluderai pas la question non plus.

Au cours des 10 dernières années, l'OTAN s'est transformée. Naguère organisation de défense collective des démocraties occidentales et incarnation institutionnelle de la position de l'Occident en matière de dissuasion nucléaire et classique, elle est aujourd'hui une organisation de sécurité européenne multifonctionnelle.

La transformation de l'OTAN est le résultat de son adaptation aux changements qu'a connus la sécurité européenne internationale occasionnés par la guerre froide. Toutefois, ces changements n'ont pas manqué de créer la controverse au sein de l'organisation. Ainsi, on s'est demandé si elle devait rester une simple organisation de défense collective ou une organisation de sécurité paneuropéenne, ou les deux. Devait-elle s'ouvrir à de nouveaux membres ou seulement se diversifier et approfondir ses liens avec des pays extérieurs à l'OTAN, ou les deux?

D'autres questions controversées portent sur la place de l'OTAN dans ce que l'on appelle l'architecture de sécurité européenne. L'OTAN est-elle l'organisation appropriée pour s'occuper des grandes questions de sécurité?

Il est difficile de répondre parce que la transformation se poursuit toujours et que la nouvelle OTAN, comme on l'appelle, doit encore faire ses preuves. Vu son rôle dans l'application des accords de Dayton, l'admission de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne, et surtout vu la crise du Kosovo, ce n'est que maintenant que la nouvelle OTAN est véritablement appelée à faire ses preuves.

La mission de l'OTAN pendant la guerre froide consistait surtout à dissuader les Soviétiques d'attaquer et à se préparer à se défendre dans l'éventualité d'une attaque, comme le stipule l'article V du Traité de Washington qui a créé l'Alliance. Il se trouve que l'OTAN n'a jamais eu à s'acquitter de sa mission de défense collective. Il n'y a jamais eu d'attaque. Elle a attendu.

L'analyse critique pourrait être plus poussée. On ignore en effet si l'OTAN elle-même a dissuadé l'Union soviétique d'attaquer. Si la dissuasion est efficace, rien ne se produit; si rien ne se produit, il est impossible de savoir si rien ne se serait produit de toute façon, si vous me comprenez.

Une autre raison pour laquelle on ne peut pas être certain si l'OTAN a réussi dans son action de dissuasion, c'est qu'il est assez clair que la parité nucléaire entre l'Union soviétique et les États-Unis était l'élément déterminant.

On peut même affirmer, comme certains l'ont dit dans certaines institutions européennes, que l'OTAN de la guerre froide ressemble un peu au comité de planification de l'état de l'époque soviétique, le GOSPLAN. La comparaison peut sembler curieuse, mais ce que l'on veut dire c'est que c'est une excellente idée en théorie mais que dans la réalité elle n'a rien accompli.

Pourtant, à la fin de la guerre froide, il y a eu des réjouissances à cause des transitions, mais aussi parce que l'OTAN était perçue et l'est encore aujourd'hui par beaucoup, comme une alliance militaire qui a réussi de façon éclatante: elle a gagné la guerre froide.

La victoire acquise, cependant, au cours de l'époque qui a immédiatement suivi la guerre froide, au début des années 90, on s'est posé beaucoup de questions sur la pertinence de l'OTAN, surtout parmi les universitaires et les commentateurs, cependant, plutôt que parmi les décideurs. Avec la disparition de la menace soviétique, certains considéraient l'OTAN comme inutile. Beaucoup ont plutôt proposé de renforcer la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe pour en faire une organisation de sécurité paneuropéenne. D'autres ont claironné les prospectives d'une identité européenne de sécurité et de défense renouvelée qui surpasserait l'OTAN au sein de l'Europe dans une union de l'Europe occidentale transformée.

D'autres encore estimaient que la nouvelle nature et la nouvelle sécurité en Europe signifiaient que les organisations internationales qui ne s'occupaient pas normalement de la sécurité, comme l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, seraient des cadres plus appropriés pour s'occuper des nouvelles dimensions de la sécurité en Europe, notamment la transition économique et politique intérieure, les migrations et les mouvements des réfugiés, les conflits ethniques et culturels, la criminalité transnationale, et cetera.

D'autres encore ont laissé entendre qu'il fallait des institutions imbriquées les unes dans les autres et répartir entre elles les tâches, les relations, les pouvoirs et la mise en oeuvre, l'ONU et l'OSCE étant les organes de légitimation et d'autorisation, l'OTAN et les autres organisations étant chargées de la mise en oeuvre des décisions.

Il est à coup sûr survenu des changements dans l'architecture de sécurité européenne. Je pense à la Charte de Paris de la CSCE qui a proclamé la fin de la guerre froide et à divers autres éléments, comme le Programme de Saint-Pétersbourg, adopté par l'Union de l'Europe occidentale, ainsi que le Traité de Maastricht de l'Union européenne, qui a formulé la politique étrangère et de sécurité commune. Pour sa part, l'OTAN a modifié son concept stratégique, l'énoncé de ce qu'elle est censée faire, en fonction d'un nouvel environnement européen, moins menaçant à court terme. Elle a créé de nouvelles institutions et de nouveaux arrangements, comme le Conseil de coopération nord-atlantique et le Partenariat pour la paix.

Toutefois, je dirais que seule l'OTAN est sortie du conflit des Balkans avec sa réputation relativement intacte jusqu'à présent, et cela a restauré la place de l'OTAN au centre de la sécurité européenne. Les Européens et leurs institutions ont sous-estimé les difficultés qu'ils pouvaient rencontrer en Croatie et en Bosnie et ont carrément bousillé les tentatives de règlement. De même, l'ONU s'est couverte de ridicule quand les Serbes de Bosnie se sont moqués des casques bleus de l'UNPROFOR et d'autres observateurs. Par sa participation à l'embargo sur la Yougoslavie et à l'opération Deny Flight au-dessus de la Bosnie, puis aux frappes aériennes contre les effectifs serbo-bosniaques et, par la suite, à la mise en oeuvre des aspects militaires des accords de Dayton, l'OTAN a restauré sa réputation comme la seule organisation de sécurité crédible en Europe.

L'autre facteur qui explique la pertinence de l'OTAN aujourd'hui, c'est que même si l'opinion objective de l'Occident est qu'il n'y a pas de menace immédiate directe en provenance de l'Est, les pays de l'ex-Pacte de Varsovie sont d'un autre avis. C'est pourquoi les pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale continuent de réclamer vigoureusement d'être admis à l'OTAN. Cela a abouti récemment à l'entrée de la Hongrie, de la République tchèque et de la Pologne.

Comment l'OTAN s'est-elle adaptée à ses nouveaux rôles? Après tout, en tant qu'organisation de défense collective, elle n'était pas bien adaptée au nouvel environnement de sécurité de l'Europe, où il y avait moins d'ennemis évidents, où les menaces sont réelles mais diffuses, comme la prolifération nucléaire et la migration, et où la coopération était plus nécessaire que la dissuasion. L'OTAN a relevé le défi en se redéfinissant et, en particulier, en s'attribuant de nouveaux rôles tout en maintenant sa vocation première, qui est de garantir la sécurité de ses membres. Ce faisant, je dirais que l'on met l'accent sur l'article 4 du Traité de Washington, où il est question de consultations sur les questions de sécurité, plutôt que sur l'article 5, qui porte sur la défense collective.

On interprète également différemment l'article 4. En effet, il a été découplé de la guerre froide et n'est plus le préalable pour prendre des mesures en vertu de l'article 5, à savoir que les consultations devaient porter sur la défense collective. L'article 4 existe donc de façon indépendante.

Il ne s'agit pas ici uniquement d'enflure de la part de l'OTAN. Au contraire, la cohérence de l'OTAN et son statut d'organisation internationale opérationnelle comme bras armé sont d'une importance vitale étant donné que sur la scène européenne et mondiale, cela est en fait une denrée rare.

Je vais maintenant parler du caractère de la nouvelle OTAN. Puisque les menaces pour la sécurité européenne sont actuellement multiples et diffuses, l'adaptation de l'OTAN a pris diverses formes. Sa structure militaire a été réorganisée: elle ne correspond plus à ce qui était nécessaire en cas d'attaque immédiate en Europe centrale et privilégie la flexibilité. Il existe un Corps de réaction rapide (une petite force déployable rapidement en Albanie actuellement). La nouvelle structure de commandement est simplifiée et est plus souple. Il y a également des forces opérationnelles combinées/interalliées, qui sont des formations multinationales et multiservices destinées à améliorer la réaction opérationnelle de l'OTAN aux crises et à permettre le développement de l'identité européenne de sécurité et de défense au sein de l'organisation. Je vais y revenir. Ces formations reflètent le fait que les Européens se dotent de leur propre identité de sécurité, mais au sein de l'OTAN.

Les nouveaux rôles de l'OTAN sont issus de la révision de son concept stratégique à Rome en 1991 dans le but de jeter les bases à un environnement européen sûr. Ce devait être là le nouveau cadre transatlantique de discussions sur les questions de sécurité et d'intérêt commun dans le but de dissuader les agressions et de les combattre et de maintenir l'équilibre stratégique de l'Europe.

Dans le nouvel environnement de sécurité, l'OTAN poursuit les objectifs de sécurité de ses membres par des moyens politiques de même que militaires et en particulier par le dialogue et la coopération ainsi que par la gestion des crises, la prévention des conflits et le maintien de la paix.

Le dialogue et la coopération se sont exprimés dans le cadre élargi de l'OTAN, le Conseil de coopération nord-atlantique, créé en 1991, qui porte depuis 1997 le nom de Conseil de partenariat Euro-Atlantique.

Le Conseil de partenariat Euro-Atlantique est le cadre de discussion des questions politiques et de sécurité comme les plans de défense, les affaires civiles et militaires, et cetera. À l'origine, il s'agissait du regroupement de membres de l'OTAN et de certains membres de l'ex-pacte de Varsovie. Il s'agit actuellement d'une organisation paneuropéenne qui regroupe la quasi-totalité des pays d'Europe, à l'exception de la Yougoslavie, de l'Irlande et d'autres petits États comme Andorre et le Saint-Siège.

Le CPEA est le cadre de discussion des questions politiques et de sécurité. Il se réunit à intervalles réguliers. Il tiendra une rencontre au sommet à Washington à la fin du mois.

Le dialogue et la coopération ont été accentués par la création du Partenariat pour la paix en 1994, qui a amené une coopération concrète de militaire à militaire entre l'OTAN et des partenaires dans le cadre d'une série d'accords de partenariat pour la paix. Chaque accord de partenariat varie en fonction des intérêts et des capacités des partenaires, et le partenariat a permis d'améliorer la coordination entre l'OTAN et le partenariat, dans le domaine du maintien de la paix. Par exemple, même si un partenaire comme la Roumanie ne fait pas partie de l'OTAN, ce pays, et d'autres, ont été autorisés à participer à des exercices interalliés et à des opérations de maintien de la paix.

Le Partenariat pour la paix a également créé des consultations en matière de sécurité semblables à celles prévues par l'article 4 du Traité de Washington. Les différences qui existent entre les obligations des membres de l'OTAN et les obligations envers les partenaires en matière de consultation sont un aspect intéressant. Nous pourrons peut-être en parler plus tard.

Enfin, le dialogue et la coopération se voient renforcés par l'accession de nouveaux membres à l'Alliance parmi les nouvelles démocraties de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est. En plus de sa décision d'approuver l'adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque lors du Sommet de Madrid en 1997, l'OTAN a signé un texte fondateur avec la Russie pour soutenir la création d'un conseil mixte permanent principalement afin d'apaiser les Russes au sujet de l'élargissement de l'OTAN et pour dissiper les craintes d'un mouvement de ressac de la part des Russes.

De plus, une Commission OTAN-Ukraine a été mise sur pied. Maintenant que les premiers adhérents ont été acceptés, les difficultés posées par l'élargissement de l'OTAN se sont quelque peu atténuées. Il s'agissait d'une question très controversée. Cependant, avec l'adhésion des trois pays en question, ces tensions ont diminué.

Cependant, les problèmes fondamentaux demeurent. Il y a toujours les coûts, financiers et autres, de l'élargissement que doit assumer l'Alliance; les coûts pour les nouveaux membres d'adhérer à l'Alliance pour ce qui est de relever leurs normes militaires et opérationnelles afin qu'elles soient conformes à celles de l'OTAN; la dilution des engagements de défense collective de l'OTAN -- ce qui pourrait se produire si l'Alliance s'agrandit -- et la création de nouvelles divisions en Europe maintenant que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque en font partie contrairement à d'autres pays. Enfin, l'OTAN continue d'être une source de tension avec la Russie.

On espère également que la coopération et la sécurité se verront améliorées grâce à la formation d'une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l'OTAN. Cette initiative, approuvée par l'OTAN en 1994, comporte la notion de forces séparables mais non séparées et relèvera en particulier des Forces interalliées ou combinées dont j'ai parlé plus tôt. Ces forces pourraient être utilisées pour les activités de l'Union de l'Europe occidentale ou, en d'autres mots, les États européens qui s'occupent de maintien de la paix ou de gestion de crise sans la participation des États-Unis.

Cela dit, le consentement pour cette initiative a été assez difficile à obtenir et sera l'une des questions soulevées au prochain sommet. Cependant, il s'agit d'un important pas en avant étant donné qu'il supplante les appels provenant de certains milieux européens en faveur d'une identité européenne de sécurité et de défense à l'extérieur de l'OTAN.

Cependant, comme je l'ai dit, la mise en oeuvre a été difficile. Car la mise en oeuvre de forces séparables mais non séparées soulève toute une série de questions, de même que la façon dont certains pays de l'OTAN plutôt que d'autres participeraient au maintien de la paix, et la façon dont on utilise les actifs de l'OTAN et ainsi de suite. Pour le Canada, l'un des aspects intéressants de l'utilisation des Forces interalliées ou combinées dans le cadre de l'Union de l'Europe occidentale, c'est que si les Européens décident d'intervenir, ils ne feront pas appel à nous à moins que nous ayons un mécanisme permettant notre participation étant donné que nous ne faisons pas partie de l'UEO.

De plus, au Canada, nous craignons beaucoup la création de blocs au sein de l'OTAN. À mesure que s'édifie le pilier européen, on renforce peut-être la notion de l'OTAN se composant de deux blocs, le bloc européen et le bloc nord-américain.

En 1992, l'OTAN a accepté de participer à des activités de maintien de la paix. Je passerai donc de la coopération et du dialogue proprement dit au maintien de la paix et à la gestion de crise. En 1992, l'OTAN a accepté d'assurer des activités de maintien de la paix à la demande de l'ONU ou de l'OSCE.

Dans ce contexte, l'OTAN a protégé la zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Bosnie, a assuré l'application de l'embargo imposé à la Yougoslavie et a effectué des frappes aériennes pour soutenir les zones sûres en Bosnie.

L'OTAN et un certain nombre des forces des pays partenaires ont participé à l'IFOR et à la FOR. D'après mes calculs, il y a quatre pays qui ne font ni partie de l'OTAN ni partie du Partenariat pour la paix qui participent à l'IFOR. L'Égypte, la Malaysia et le Maroc en sont des exemples, mais la grande majorité des pays sont des pays de l'OTAN ou des pays membres du Partenariat pour la paix.

Par conséquent, elles ont participé de près à l'application des accords de Dayton. Les forces de l'OTAN en Bosnie ont aidé à maintenir la paix fragile au fur et à mesure qu'elle était rétablie et l'OTAN a mis en oeuvre les aspects militaires des accords de Dayton, comme la destruction des armes militaires, tandis que l'OSCE et d'autres organisations ont surveillé les élections et le rapatriement des réfugiés.

Cependant, l'OTAN s'est mise à s'occuper davantage des aspects civils des accords de Dayton lorsqu'il est devenu clair qu'un certain niveau de force s'avérerait probablement nécessaire pour s'assurer que les parties se conforment à leurs obligations. Ces initiatives se sont limitées jusqu'à présent au retour des réfugiés chez eux ou au traitement des criminels de guerre et au rôle du Tribunal des crimes de guerre. Il est difficile de concilier ses responsabilités en matière de maintien de la paix avec la poursuite des criminels de guerre ou le retrait par la force de ceux qui constituent une menace aux réfugiés qui retournent chez eux.

Enfin, l'OTAN a récemment assumé la gestion de crise à l'aide de méthodes coercitives en essayant d'utiliser la menace et la force parallèlement à la diplomatie pour inciter les combattants à s'acheminer vers un règlement souhaité ou comme un moyen d'empêcher l'escalade d'un conflit aboutissant à la victoire du plus fort. Elle a donc commencé par imposer un embargo à l'ex-Yougoslavie puis à effectuer des frappes aériennes contre les Serbes de Bosnie jusqu'à ce que la situation en Bosnie oblige les dirigeants de la Croatie, de la Serbie et de la Bosnie à se réunir. Et plus récemment, bien entendu, nous avons été témoins d'abord de l'avertissement émis par l'OTAN puis du bombardement par l'OTAN de la Yougoslavie pour défendre le Kosovo.

Il s'agit d'un aperçu général. J'aimerais maintenant poser quelques questions qui me sont venues à l'esprit lorsque j'ai parlé du rôle général de l'OTAN au cours des 10 dernières années. Je soulèverai une série de questions après quoi je terminerai mon exposé.

Comment les Forces interalliées et combinées fonctionneront- elles, surtout en ce qui concerne le développement de cette capacité de l'Union de l'Europe occidentale de se débrouiller seule et la possibilité de missions ne relevant pas de l'OTAN qui feront appel à des actifs autres que ceux de l'OTAN? Comment cela se fera-t-il? Comment peut-on maintenir le lien transatlantique dans le cadre du nouvel accent mis sur l'identité européenne de sécurité et de défense? Comment, où et quand acceptera-t-on d'autres membres au sein de l'OTAN -- surtout en ce qui concerne la Slovénie et la Roumanie, les principaux candidats laissés de côté la dernière fois? Comment se développeront les relations de l'OTAN avec d'autres institutions internationales qui s'intéressent à la sécurité de l'Europe? D'une part, au Kosovo, l'OTAN est intervenue sans un mandat de l'ONU ou de l'OSCE, moins pertinent dans ce cas. D'autre part, la double approche de l'opération en Bosnie a été extrêmement frustrante, à savoir que l'OTAN a dû attendre l'avis de l'ONU pour procéder à des frappes aériennes en raison des problèmes de l'ONU concernant la chaîne de commandement et la prouesse politique de l'ONU -- ce dont nous sommes tous au courant.

Est-il possible d'utiliser les moyens militaires de l'OTAN pour atteindre un objectif politique? Dans l'affirmative, comment et dans quelles conditions? Quelles sont en outre les contraintes d'une approche qui cherche à minimiser les pertes? Vous savez ce que j'entends par là. Un aspect de la question, c'est le refus de perdre qui que ce soit. L'autre aspect c'est qu'on ne perdra pas beaucoup de gens, mis à part les méchants responsables de tout ce gâchis. En d'autres mots, ils ne perdront pas de civils.

Pourquoi sa mission et son mandat ont-ils changé? C'est peut-être l'un des aspects clés sur lesquels devrait se pencher le comité. Quelles sont les conséquences de l'expansion des activités de l'OTAN? En cas de crise humanitaire ou lorsque la sécurité européenne est sérieusement menacée, l'OTAN ne peut pas rester les bras croisés -- en partie pour des raisons d'ordre moral mais surtout pour des raisons tactiques. Si l'OTAN n'est d'aucune utilité dans un conflit comme celui concernant le Kosovo, on pourrait alors se demander quelle est son utilité de toute façon. Si l'on soutient que l'OTAN doit agir parce qu'elle le peut, il s'agit d'une inversion intrigante du dicton voulant que «devrait» signifie «peut». On m'a toujours dit qu'il est impossible d'apprendre moralement à faire quelque chose si vous êtes incapable de le faire. Dans ce cas, l'argument avancé, c'est que l'OTAN peut faire quelque chose et que par conséquent elle doit le faire. C'est donc une version intéressante du dicton initial. Par contre, deux déclarations à première vue parfaitement raisonnables semblent nous amener sur un terrain glissant. La première déclaration, c'est que la paix et la sécurité en Europe sont indivisibles; et la deuxième, c'est que la sécurité de l'OTAN est compromise par les conflits et les crises humanitaires sur sa frontière. L'OTAN, dont le rôle était d'appuyer le maintien de la paix sous l'égide de l'ONU, se trouve donc maintenant dans une situation où elle déclare la guerre au nom de la communauté internationale. Alors qu'auparavant elle garantissait la sécurité européenne, elle se trouve maintenant embourbée dans les conflits qui sévissent dans les Balkans. Cela est en partie attribuable à l'interprétation par l'OTAN de la notion de sécurité collective. C'est une interprétation qui diffère nettement de la perspective classique et interne de «sécurité collective» qu'incarnent des organisations comme l'ONU. Dans la perspective de l'OTAN, la sécurité collective semble signifier que l'insécurité en Europe compromet la sécurité de l'OTAN et que l'OTAN est responsable de la sécurité dans l'ensemble de l'Europe.

Une autre question que l'on peut se poser, c'est si l'OTAN doit gagner et pourquoi? Cela a été affirmé dans le contexte de la crise actuelle, mais il y a un aspect plus général. Il s'agit en partie de la crédibilité et de la réputation de l'OTAN, bien que l'expression «doit gagner» nous ramène plutôt à l'époque de la guerre froide. Soyons clairs: l'argument voulant que l'OTAN ne doit pas être perdante n'est pas lié intégralement au sort des minorités ethniques de Yougoslavie. Il est plutôt lié à la crédibilité de la seule organisation considérée comme étant vraiment en mesure d'assurer la sécurité en Europe et aussi à la crédibilité des États-Unis, du Royaume-Uni et ainsi de suite, qui ont tenu un discours assez verbeux contre le régime yougoslave.

Il y a également lieu de se poser une autre question: comment doit-on modifier l'orientation de l'OTAN, surtout en ce qui concerne le concept stratégique? Une possibilité consiste à faire en sorte que l'OTAN s'intéresse davantage aux questions d'ordre mondial -- c'est-à-dire que d'une organisation chargée d'assurer la sécurité en Europe, elle devient une organisation au service de la sécurité mondiale, qui réagit aux crises humanitaires et élabore une ligne de conduite cohérente en ce qui concerne le terrorisme international, la contre-prolifération et ainsi de suite. L'avantage, c'est la possibilité d'intervenir en cas de tragédies, y compris de crises humanitaires, ailleurs qu'en Europe, par exemple en Algérie, au Soudan ou ailleurs. Les inconvénients sont évidents. Citons entre autres le fait que l'OTAN se trouverait à s'éloigner encore davantage de sa principale fonction de défense collective et des intérêts vitaux de ses membres, et surtout l'impérialisme implicite de l'OTAN qui ici encore s'occuperait de la sécurité des autres pays à ses propres conditions.

Enfin, quel est le lien entre la notion de sécurité humaine -- une expression dont nous avons beaucoup entendu parler dernièrement -- et les opérations et activités de l'OTAN? La politique de l'OTAN sur les mines terrestres n'était pas conforme aux objectifs du processus d'Ottawa.

Vous voudrez peut-être soulever d'autres questions, mais ce sont celles qui me sont venues à l'esprit.

En conclusion, l'OTAN est-elle une institution responsable de la sécurité mondiale ou une relique militariste de la guerre froide à la recherche d'ennemis? Mes observations ont indiqué qu'elle ne correspond à aucune de ces extrêmes, mais qu'elle joue un certain nombre de rôles différents dans le domaine de la sécurité européenne de l'après-guerre froide. Elle s'est réinventée et s'occupe de nombreuses activités de sécurité coopératives bien que ses fonctions centrales de défense collective demeurent importantes. C'est dans l'aspect coercitif et militaire de ses diverses fonctions que réside la force de l'OTAN, littéralement et métaphoriquement.

La médiation, la négociation et la coopération peuvent se faire dans d'autres tribunes, ce qui est d'ailleurs le cas, mais la combinaison de la force et de la diplomatie fait de l'OTAN un intervenant unique sur le plan international. Car cela lui permet non seulement de mener une campagne de bombardement contre la Serbie afin d'atteindre l'objectif politique de négociations pour la paix au Kosovo mais accroît également sa crédibilité dans le domaine de la coopération militaire, qui constitue un important aspect de la sécurité coopérative en Europe en général et du Partenariat pour la paix en particulier.

Sur un plan plus abstrait, l'OTAN représente le visage militaire des intérêts communs des démocraties libérales de l'Occident. Il s'agit d'une caractéristique importante qui n'en constitue pas moins une limitation. Bien que l'OTAN ait été un produit de la guerre froide, le caractère et la forme de l'Alliance n'ont pas été uniquement dictés par le besoin d'une alliance continue et formalisée devant la menace permanente que représentait l'Union soviétique. À certains égards, l'OTAN tire ses origines des idées et de la dissertation d'Emmanuel Kant sur la paix perpétuelle. C'est que l'idée d'une forme quelconque d'organisation des démocraties a influencé toute une génération de théoriciens et de politiciens de la paix au cours de ce siècle, surtout devant les menaces que représentaient les dictatures communistes et fascistes qui existaient plus tôt au cours de ce siècle.

L'important, c'est l'intérêt commun -- et non seulement en matière de défense et de sécurité des démocraties libérales de l'Occident -- c'est-à-dire favoriser l'ouverture, la démocratie, la règle de droit, le traitement juste des minorités, et cetera. Le problème, c'est qu'étant donné que l'OTAN est fondamentalement une union idéologique, elle ne peut pas partir du principe que ses politiques et ses mesures seront nécessairement acceptées au-delà des frontières de l'OTAN. De plus, il y a la tentation de tenir ce que je décrirais comme le discours des bons et des méchants, c'est-à-dire l'interprétation des préjugés démocratiques libéraux dignes d'un mauvais film de série B. Il faut résister à cette tentation de crainte de paralyser la coopération internationale de façon plus générale.

Un problème différent en matière de maintien de la paix et auquel l'OTAN fait face ces jours-ci dans les Balkans, c'est la probabilité d'y être pendant longtemps. On soutient que nous ne pouvons pas participer à ces conflits car nous serons là à tout jamais.

L'OTAN pourrait se trouver bloquée dans ce genre de situation. Mais c'est loin d'être un problème propre à l'OTAN, comme nous le savons tous si nous considérons le cas de Chypre. De plus, lorsque l'on compare les chiffres actuels sur le nombre de troupes nécessaires pour le maintien de la paix ou d'autres missions au Kosovo, il ne faut pas oublier le nombre de troupes qui ont été stationnées en Europe pendant la guerre froide dans des circonstances qui, bien que stables, auraient pu être catastrophiques.

La grande différence entre la guerre froide et la situation actuelle c'est notre évaluation de la valeur ou de l'utilité de notre participation. Si on veut être cynique, combien de victimes justifient une intervention dans cette ère médiatique?

Le lien transatlantique établi par l'OTAN est d'une importance primordiale pour le Canada. Il a été et il continuera d'être dans un avenir prochain un élément central de nos relations institutionnalisées avec un grand nombre de pays industrialisés d'Europe. De plus, le Canada a un intérêt important dans les activités de coopération de l'OTAN dans le cadre de son nouveau rôle et également dans la sécurité de l'Europe.

Il est également dans l'intérêt du Canada que l'OTAN soit forte et puisse contrer des agressions internationales. De même, malgré ou peut-être à cause de ces changements, l'OTAN est une alliance militaire moins axée sur la défense collective et plus axée sur les aventures à l'étranger, aussi valables qu'elles puissent sembler. L'OTAN demeure une institution dominée par les États-Unis.

Le président: Y a-t-il d'autres provinces en Yougoslavie qui comptent une grande population ethnique qui appartient à un pays de l'OTAN? Avons-nous des membres de l'OTAN qui pourraient se trouver dans une situation semblable à celle dans laquelle se trouve la Yougoslavie à l'heure actuelle?

M. Long: Au début je pensais que vous me demandiez si la Serbie avait une population minoritaire représentée par un pays de l'OTAN. J'allais dire qu'une partie de la Serbie compte une minorité hongroise, donc un pays de l'OTAN compte une minorité dans la partie nord de la Serbie. Elle ne s'est pas beaucoup manifestée jusqu'à présent, mais la situation pourrait devenir désagréable.

Par ailleurs, si vous parlez des minorités, il se trouve que nous avons admis un pays qui longe la Serbie et qui compte une minorité ethnique. Comme vous pouvez le constater, il s'agit d'une situation assez grave dans ce sens-là. Comme je l'ai dit, la plupart de ces activités de sécurité coopérative se sont faites dans le cadre d'opérations. À quel stade l'OTAN interviendrait-elle s'il y avait un problème auquel la Hongrie était partie? Je l'ignore. Je doute que l'article 5 puisse être invoqué. C'est assurément un grave problème.

Le sénateur Stollery: Cela toucherait la Hongrie en tant que nouveau membre au chapitre de l'indépendance politique ou de la sécurité. Cela représentait une menace claire pour la Hongrie.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez passé sur la nécessité du Canada de faire partie de l'OTAN aujourd'hui. Vous semblez dire qu'il est dans l'intérêt du Canada de faire partie de l'OTAN. Pendant la guerre froide, une menace pour l'Europe était une menace pour le Canada. Comment cela se traduit-il par la même nécessité pour le Canada et les intérêts du Canada? Comment justifiez-vous que nous poursuivions notre mandat, compte tenu de ce dont nous avons été témoins en Bosnie et de ce qui se passe au Kosovo? Également, de toute évidence, les États-Unis ont toujours joué un rôle premier au sein de l'OTAN, mais d'autres pays, dont le Canada, se sont dotés d'un rôle assez unique dans cette organisation. Ce rôle semble avoir été dilué depuis 1991, surtout avec les nouvelles structures de commandement. Il me semble que notre influence au sein de l'OTAN est diminuée encore davantage. Ai-je raison?

M. Long: Je suis d'accord avec vous. Nous avons moins d'influence que par le passé. Si vous souleviez cette question avec les Européens ou les Américains, ils vous répondraient que les Canadiens ont fermé une base et ont parlé de réduire leurs dépenses et ainsi de suite. Peut-être que le Canada n'a pas envoyé les bons messages à propos de l'OTAN et de sa participation à cette organisation.

Les intérêts du Canada ont évolué en fonction des menaces, des problèmes et des enjeux d'aujourd'hui. Pendant la guerre froide, il pouvait se produire un événement dramatique qu'il fallait éviter à tout prix. Nous devions donc être présents à l'OTAN d'une façon ou d'une autre, car l'attention de tous se portait sur cette menace. Par ailleurs, il existe aujourd'hui toute une série de problèmes véritables qui intéressent le Canada. Nous devrions en profiter pour encourager les pays de l'Europe centrale et de l'Est à effectuer une transition vers la démocratie et à renforcer celle-ci. Cela ne veut pas dire que la politique étrangère du Canada devrait se centrer uniquement sur l'OTAN, mais il reste que l'OTAN joue un rôle très utile. Le Conseil de partenariat Euro-Atlantique est un milieu chaleureux et confortable, mais pas très intéressant. Il sert de lieu de réunions et de discussions des affaires militaires et politiques, ce qui est bien en soi. Par ailleurs, le Partenariat pour la paix a joué un rôle bien réel en termes de défense et de coopération militaire, et a eu une influence sur les affaires civiles et militaires de chacun de ces pays.

Il y a également la question des relations entre les civils et les militaires dans chacun de nos ministères de la Défense. Ces problèmes de relations sont réels. Je crois que le Canada aurait un rôle très valable à y jouer, car il pourrait répondre à l'intérêt de notre pays.

Cela dit, le rôle du Canada n'est pas particulièrement spectaculaire, mais son influence est réelle, même si elle est diffuse.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez signalé qu'il y avait deux écoles de pensée, mais que l'une d'elles estimait que l'OSCE ou les Nations Unies devaient avoir un rôle à jouer avant qu'il ne soit possible de déclencher une action de l'OTAN ou d'une autre organisation, lors d'un conflit en Europe. Pensez-vous qu'il soit préférable d'avoir l'appui de la communauté internationale par le truchement des Nations Unies ou même d'une OSCE élargie? Pensez-vous que les structures de l'OTAN actuelle et de l'UEO, notamment, traduisent l'obligation de se tourner d'abord vers les Nations Unies, ou est-ce que ce ne sont pas plutôt les structures mêmes de l'OTAN qui lui permettent légitimement d'agir par elle-même après avoir simplement fait quelques consultations?

M. Long: Je ne crois pas qu'il soit possible de s'octroyer à soi-même le mandat d'agir, à des simples fins de sécurité. Il faut plutôt se demander si l'on a le droit de bombarder des populations dans le but de protéger les droits à la personne. On peut bien en débattre, mais ce qui m'embête là-dedans, c'est l'attitude de paternalisme qui nous fait dire que nous savons pour notre part ce qui est bon. Il n'existe pas actuellement de structure qui permette de s'engager ou qui permette à tous les pays de s'engager. Au Conseil de l'OTAN, on croit que l'on peut agir de façon coercitive.

Mais quelle est la différence entre la guerre d'agression et la sécurité collective telle que définie par l'OTAN? J'ai le regret de dire que tout dépend de celui qui prend la décision. En effet, pour les Serbes, c'est considéré comme une guerre d'agression. Même d'un point de vue analytique, l'OTAN affirme que c'est en fin de compte une question de sécurité. Je préférerais pour ma part une structure qui légitimerait d'une façon ou d'une autre cette façon de faire. Mais je ne sais pas s'il faut passer par le truchement des Nations Unies.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est justement ce que je voulais demander: si l'on ne passe pas par l'ONU, par qui cela doit-il passer?

M. Long: Il faudrait passer par l'OSCE ou par quelque autre organisation de ce genre. Mais tout cela est théorique, car j'ai l'impression que l'OSCE a été mis sur la touche pour ce qui est de ce conflit-ci. Le Canada voulait pour diverses raisons que l'on passe par le truchement de l'ONU. Quoi qu'il en soit, l'OSCE n'a pas eu voix au chapitre, ce qui est bien dommage. Une organisation régionale telle que l'OSCE a justement pour rôle de prévoir ce genre de crise et de tirer la sonnette d'alarme s'il devient nécessaire de faire quelque chose. Je ne comprends pas vraiment pourquoi ce mécanisme n'a pas fonctionné, mais la question est intéressante.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je suis sûr que nous la poserons dans les mois qui viendront.

Je n'ai toujours pas compris comment on a pu autoriser l'OTAN à modifier ses objectifs. Vous avez bien dit qu'en 1992, l'OTAN était d'accord, et cetera. Qu'est-ce que l'on entendait par «l'OTAN était d'accord»?

M. Long: L'OTAN avait déclaré au Conseil de l'Atlantique Nord que si on le lui demandait, elle enverrait des forces de maintien de la paix à l'OSCE. Cela soulève deux questions. D'abord, la question plus vaste de concept stratégique et des activités qui en découlent: autrement dit, comment fait-on pour définir soi-même ce que l'on fait pour assurer la sécurité à ses membres? En dernière analyse, la tâche n'a pas changé. L'OTAN a pour premier mandat d'assurer la sécurité de ses membres et d'assumer tout ce qui en découle. Mais l'OTAN est allée tout de même plus loin que ce simple mandat d'assurer la sécurité à ses membres. Mais pour ce qui est d'un mandat en ce sens, il me semble que jusqu'à maintenant, l'OTAN n'agissait pas par elle-même mais suivait la décision prise par une des organisations légitimes plus universelles, telles que l'OSCE ou l'ONU.

Le sénateur Lynch-Staunton: La décision a-t-elle été prise par l'OTAN elle-même, qui a interprété en ce sens ses propres pouvoirs?

M. Long: Vous voulez dire dans n'importe quel conflit?

Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux dire pour ce qui est du conflit actuel.

M. Long: C'est le cas, en effet, pour ce qui est du Kosovo.

Le sénateur Lynch-Staunton: S'agit-il d'une décision militaire et politique prise au sein même de l'OTAN?

M. Long: En effet, c'est une décision du conseil.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous ne pouvez pas nous dire s'il y a eu des consultations avec les 19 membres?

M. Long: Je crois comprendre qu'il devait s'agir d'une décision prise par les 19 membres et qu'il devait y avoir consensus.

Le sénateur Grafstein: Quels sont les actifs que déploie le Canada aujourd'hui au sein de l'OTAN? Quels sont les actifs que le Canada déploie en permanence au sein de l'OTAN, outre l'appui que nous accordons à l'OTAN en cas de besoin de forces supplémentaires? Lorsque l'on parle de l'OTAN, aujourd'hui, qu'entend-on en termes de déploiement réel de personnes ou d'actifs?

M. Long: Je ne puis répondre. Pour l'Europe, c'est très peu: nous n'avons pas de forces stationnées en permanence en Europe. Nous contribuons évidemment au personnel international, militaire comme civil, et nous avons évidemment du personnel international à Bruxelles et du personnel civil. Nous avons un représentant permanent, entre autres choses.

Le sénateur Grafstein: Avons-nous une aviation installée en permanence en Europe?

M. Long: Non. On dit du Canada qu'il aurait pu avoir son aviation là-bas, car cela nous a coûté très cher d'envoyer nos CF-18 en Europe. Cela nous a coûté si cher, que nous aurions pu aussi bien les laisser stationnés là-bas.

Le sénateur Grafstein: Peut-on dire qu'en temps normal, nous devrions avoir de façon permanente en Europe du personnel stratégique et du personnel de soutien au commandement de l'OTAN et dans les structures subordonnées, pour pouvoir faire face aux problèmes stratégiques?

M. Long: Oui.

Le sénateur Grafstein: Avez-vous étudié les résolutions de l'ONU et celles de l'OSCE pour voir si elles sont conformes d'une quelconque façon à la charte et au mandat de l'OTAN?

Le président: Pouvez-vous être bref?

M. Long: Non, je ne le crois pas. Nous parlons ici de choses différentes. Certains organismes peuvent être autorisés à agir par l'OSCE et par l'ONU. Ils peuvent donc agir au titre de certains aspects de la charte. L'OTAN a été créée au départ en vertu de l'article 51, qui établit le droit à l'autodéfense individuelle et collective. Les résolutions couvrent d'autres aspects aussi, mais je répète que je ne suis pas un spécialiste en la matière et je n'oserais me prononcer là-dessus.

Le sénateur Prud'homme: Je pense que l'on ne s'est pas suffisamment attardé à l'expansion de l'OTAN, et je serais d'avis, comme le sénateur Grafstein, que cette question devrait faire l'objet d'un véritable débat.

Comme d'autres aussi, je ne suis pas convaincu que l'on aurait dû élargir l'OTAN, et je ne suis pas convaincu non plus que l'on devrait continuer à l'élargir encore. L'histoire peut nous le confirmer. De 12 membres qu'elle avait au départ, elle est passée à 14 en 1952 avec l'adjonction de la Turquie et de la Grèce. C'est d'ailleurs peut-être ce qui a empêché ces deux pays de s'entre-tuer. L'Espagne s'est ensuite ajoutée en 1955, puis l'Allemagne en 1982. Trois autres pays se sont joints aux autres ensuite, il y en a maintenant neuf qui rêvent de se joindre à l'OTAN et qui exercent des pressions politiques: trois pays de la région de la Baltique, trois dans les Balkans et trois pays de l'ancien pacte de Varsovie.

Le président du Sénat vient de rentrer de Géorgie; la Géorgie est un endroit extrêmement instable. Assisterons-nous à la création de six groupes distincts, fortement armés, au sein de la Géorgie, dont certains rêvent à la Turquie au sud, dont d'autres ont l'appui de la Chine au Nord, dont certains se réclament de l'Ossétie du Nord contre l'Ossétie du Sud? Ils se ressemblent tous. Si vous mettez tous ces gens à la télévision, vous aurez l'impression de regarder le même spectacle.

Que va devenir l'OTAN? Si j'ai bonne mémoire, on a très clairement dit, et cela n'a pas changé, que l'OTAN se consacre à la défense collective de ses États membres. Je suis allé au Kosovo et j'ai présenté un rapport à Ottawa. Personne ne m'a écouté parce que de véritables réactionnaires voulaient créer un pays indépendant et ne pas rester au sein de la Yougoslavie. Maintenant, l'OTAN est peut-être en train de créer un nouveau pays indépendant, après avoir dit que ces gens appartenaient à la Yougoslavie.

Personnellement, je ne suis pas heureux de ce que l'OTAN est en passe de devenir, l'OTAN qui était la grande et pure organisation de défense collective contre la vaste Union soviétique. Il y a tant de changements qui surviennent. C'est pour cela que je m'intéresse tellement aux travaux de ce comité-ci.

M. Long: Je ne peux pas vous donner de réponse satisfaisante, mais je peux au moins essayer de le faire.

L'un des paradoxes, c'est que, selon certains, l'agrandissement de l'OTAN assure la sécurité de ce qui est déjà sûr. Le processus est ainsi fait que seuls ceux qui sont près et s'occupent de résoudre leurs conflits réussiront à devenir membres. C'est un processus qui vise précisément les zones où il existe, au moins, des séries de problèmes. D'autre part, comment la sécurité sera-t-elle offerte ou comment ces pays atteindront-ils la sécurité? Mettons que l'on parle de l'Albanie, du Kosovo, de la Yougoslavie, comme vous voudrez. Il me semble que, de toute façon, l'appartenance à l'OTAN n'est pas nécessairement la réponse à leurs problèmes.

J'ai toujours pensé qu'il faudrait qu'interviennent une vaste gamme d'organismes, de relations et de réseaux différents. Il faudrait que le Partenariat pour la paix collabore avec les militaires et que les accords de coopération de l'UE soient pris en compte dans les diverses organisations de commerce du monde entier, afin que ces pays puissent être amenés à faire partie d'une plus vaste communauté internationale. En soi, l'appartenance à l'OTAN n'accomplit rien si ce n'est, éventuellement, de rendre les choses plus complexes. Si l'OTAN n'avait pas changé, ne s'était pas agrandie ou n'avait pas modifié son mandat, je pense nous nous demanderions tous ici ce que fait cette organisation car, comme je l'ai dit, elle assure la sécurité de ce qui est déjà sûr. Cela est certainement vrai pour l'Europe centrale.

Le sénateur Roche: Je ne poserai qu'une seule question à notre témoin. Elle porte sur les conséquences de la situation actuelle sur la politique étrangère du Canada. Il est évident que le Kosovo a révélé de façon dramatique les contrastes entre les Nations Unies et l'OTAN, particulièrement maintenant que l'OTAN a assumé ce rôle politique en sus de sa fonction militaire.

Qu'est-ce qui va prédominer lorsqu'il s'agira de décider des gestes à poser pour assurer la sécurité mondiale? À qui le Canada accordera-t-il son allégeance première? Depuis un bon moment, le Canada se joue des contradictions entre l'ONU et l'OTAN, notamment dans le domaine des armes nucléaires. Il est possible que le Kosovo nous ait amenés à un moment de l'histoire de la politique étrangère du Canada où nous ne pourrons plus refuser de choisir l'organisme auquel nous accorderons notre allégeance première; serait-ce l'ONU ou l'OTAN? Selon vous, quelles seront les répercussions de la situation actuelle?

M. Long: Question très intéressante. En définitive, je crois que le Canada accorde actuellement son allégeance à l'OTAN, parce que l'intervention de l'ONU ne va pas fonctionner. Toutefois, le Canada aurait préféré l'ONU.

Cela nous amène à nous demander pourquoi l'ONU, et plus précisément le Conseil de sécurité, ne fonctionne pas. La réponse tient à la structure du Conseil de sécurité et à l'institutionnalisation du veto et de la position des grandes puissances. À ce sujet, j'ai une position qui est probablement impopulaire et désuète. Je pense en fait que les vetos accordés à la Russie et à la Chine ne sont pas une si mauvaise idée. Ils servent précisément à empêcher les États-Unis de commettre des actes à la légère. Cela signifie que, parfois, il y a des choses que nous ne pourrons pas faire.

Personnellement, je ne tenterais pas de réformer cette tribune. Si l'on veut essayer de régler les conflits ethniques et travailler à la prévention des conflits, je crois qu'il faut réformer l'ONU de façon plus générale et commencer à parler d'autres institutions que celles de haute sécurité militaire au Conseil de sécurité.

En bref, j'estime que l'on a choisi l'OTAN cette fois-ci parce que l'ONU ne fonctionne pas. La question est de savoir si l'ONU peut jamais être utile dans ce type de contexte. Je pense qu'il faut effectuer une réforme, mais je ne suis pas sûr que la façon actuelle d'envisager la réforme de l'ONU puisse fonctionner. Je pense que nous devons faire preuve de plus d'imagination en matière de réforme de l'ONU. Bien sûr, cela est facile à dire.

Le président: Je pense qu'il s'agit là d'une question de prévisibilité.

Le sénateur Meighen: Je pose cette question strictement pour obtenir un renseignement. Dans quelle mesure les membres de l'OTAN ont-ils compté dans l'arrivée à, faute d'une meilleure expression, des dispositions de partage de la production de défense ou d'autres avantages économiques et dans quelle mesure, le cas échéant, le Canada en a-t-il profité?

M. Long: À l'Université du Manitoba il y a plusieurs personnes qui sont beaucoup mieux renseignées sur cette question que moi. D'après ce que j'en sais, cela ne s'est pas produit à grande échelle et l'on s'attendrait que ce soit surtout l'Europe qui en bénéficie au moyen d'une plus grande coordination. En fait, je pense que cette question est censée être inscrite à l'ordre du jour du sommet à venir.

Ce n'est pas que l'on ne consacre pas de ressources à la production de défense; c'est plutôt qu'on en consacre à divers champions nationaux, qu'ils ne font pas grand-chose en fait de production réelle. On a laissé entendre qu'il faudrait qu'il y ait plus de cohérence en Europe entre la sécurité européenne et l'identité de défense.

Cela étant dit, il est possible que cela ne plaise pas aux États-Unis, qui sont, bien sûr, les plus grands joueurs dans cette partie. Permettez-moi toutefois d'ajouter que je ne suis pas un spécialiste des questions de production de défense.

Le président: Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons dépassé le temps prévu. Je pense que nous reconnaîtrons tous avoir fait un travail de reconnaissance très utile. Je suis sûr que certaines des questions soulevées cet après-midi seront posées de nouveau à de nombreuses reprises. Il se peut bien que nous ayons besoin de rappeler notre témoin d'aujourd'hui, mais peut-être pas à de nombreuses reprises. Merci beaucoup. Nous vous savons gré de votre témoignage.

La séance du comité se poursuit à huis clos.


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