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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 34 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 14 h 55 pour examiner les conséquences pour le Canada de l'émergence de l'Union monétaire européenne et autres sujets connexes en matière de commerce et d'investissement.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous accueillons aujourd'hui M. John Murray, chef du Département des relations internationales de la Banque du Canada. Ceux et celles qui font partie du comité depuis un certain temps se souviennent certainement de la comparution antérieure de M. Murray. Si j'ai bonne mémoire, il avait fait des observations d'une lucidité extraordinaire sur certaines questions économiques complexes. Monsieur Murray, pourriez-vous nous dire comment la situation a évolué en ce qui concerne l'Union monétaire européenne, depuis que nous avons préparé notre rapport, c'est-à-dire depuis juin 1996, si j'ai bonne mémoire?

M. John D. Murray, chef, Département des relations internationales, Banque du Canada: Ce sujet nous intéresse beaucoup et nous suivons la situation de près. Par conséquent, je vous remercie de me donner l'occasion d'en discuter avec d'autres personnes qui s'y intéressent.

J'ai préparé un schéma à partir du texte de l'exposé que j'ai fait le mois dernier à l'Université York. Le thème était légèrement différent, mais j'ai remanié le texte. La page 2 de mon mémoire donne un aperçu des sujets que je compte aborder mais si vous vouliez me faire dévier sur d'autres questions, je n'aurais pas la moindre objection. N'hésitez surtout pas à soulever certains problèmes ou à m'aiguiller sur d'autres sujets.

Avant d'aller plus loin, je voudrais rappeler les sujets de préoccupation dont je vous avais fait part au printemps de 1998 pour voir si nous étions proches de la vérité et faire en quelque sorte une autopsie des événements.

Je vous ferai part également de certaines constatations relatives à la performance économique récente en Europe. Je me propose d'examiner comment l'Europe s'est débrouillée, tant en ce qui concerne l'économie proprement dite que pour ce qui est des marchés financiers, pendant la course à l'UME et après le lancement de l'euro, c'est-à-dire depuis 1997. Nous n'avons pas encore beaucoup de recul en ce qui concerne l'UME mais je crois que l'on voit déjà émerger quelques tensions et quelques problèmes de taille.

Ensuite, j'aborderai la troisième série de problèmes, peut-être la plus importante. C'est ce que j'appelle les problèmes non résolus. Ce sont précisément ces problèmes qui permettent au Canada de tirer des leçons. Ce sont eux qui peuvent avoir des conséquences pour nous. Ces problèmes sont très semblables à ceux que nous avions déjà relevés, mais nous pouvons en parler avec un peu plus d'assurance maintenant. Il est encore beaucoup trop tôt pour pouvoir faire des affirmations péremptoires. Par contre, certaines des prédictions que nous avions faites, tant en ce qui concerne les problèmes qui n'ont aucune importance pour le Canada et ceux qui pourraient en avoir, semblent se réaliser dans des proportions étonnantes.

À la page 3 de mon mémoire, j'ai noté quelques problèmes que nous avions signalés juste avant le lancement de l'UME. Je ne les ai pas tous indiqués. Il s'agit uniquement de quelques risques à court terme. Le premier problème, qui est le plus évident, est la possibilité d'une attaque spéculative juste avant la conversion définitive des devises nationales. On craint notamment que les spéculateurs n'attendent jusqu'à la dernière minute pour intervenir et essayer de déstabiliser l'initiative.

Le deuxième point concerne une préoccupation de nature plus générale au sujet des tensions macroéconomiques qui semblaient apparaître entre les 11 États membres pendant qu'ils essayaient de se qualifier pour faire partie de l'UME et de remplir les conditions énoncées dans le Traité de Maastricht. Certains pays ont eu plus de facilité que d'autres à y arriver.

Le troisième point que nous avons noté concerne les divergences de vues qui semblaient émerger quant au degré de contrôle politique que le Conseil des 11 exercerait ou devrait exercer sur la Banque centrale européenne.

Enfin, certaines inquiétudes avaient été exprimées au sujet des répercussions que l'UME pourrait avoir sur les marchés financiers européens, surtout sur le secteur bancaire. Des pressions dans le sens d'une rationalisation du système bancaire européen se manifestaient déjà. Il y avait beaucoup trop de banques. Certaines poussées vers la fusion de banques -- phénomène que nous connaissons très bien au Canada -- apparaissaient déjà au sein de la communauté internationale. On pensait que l'UME exacerberait ces pressions et pourrait même déstabiliser les marchés financiers à court terme.

De toute évidence, certains de ces problèmes sont plus importants que d'autres. À noter surtout les tensions politiques que la décision de confier la gestion de la politique monétaire à la BCE avait suscitées entre les ministères des Finances allemand et français. Elles se sont toutefois atténuées depuis la démission de M. Lafontaine, mais elles n'ont pas encore complètement disparu. Les politiciens ont toujours quelque difficulté à accepter sans réserve l'autonomie et l'indépendance de la BCE, surtout en matière de taux de change.

Je vous dirai quelques mots au sujet des initiatives proposées, avec l'appui du Japon, par M. Lafontaine en Allemagne et par M. Strauss-Kahn en France en faveur de l'établissement d'objectifs en matière de change, pour ce qui est des principales devises, c'est-à-dire le dollar américain, le yen et l'euro. En d'autres termes, bien des Européens veulent aller plus loin. Le lancement de l'euro n'est qu'une première étape. Étant donné qu'ils se méfient des marchés financiers, ils voudraient un droit d'intervention et de contrôle accru sur les principales devises et c'est dans ce sens qu'ils exerçaient encore de fortes pressions il n'y a pas très longtemps. L'agitation s'est toutefois quelque peu calmée dans ce domaine également.

En ce qui concerne les restructurations et les fusions dans le secteur bancaire, vous êtes sans aucun doute au courant de celles dont ont fait l'objet plusieurs banques françaises, à savoir la Société générale, la Banque Paribas et la Banque nationale de Paris. Des fusions ont lieu également en Italie. En ce qui concerne les États-Unis, les tendances qui étaient déjà manifestes en 1997 et en 1998 se sont encore accentuées. À la fin de mon exposé, j'établirai un parallèle avec les pressions qui se dessinent au Canada. Nous verrons ce que cela implique pour nos banques et nous nous demanderons où cette course au gigantisme doit s'arrêter.

À la page 4 de mon document, il est question de performance économique récente. Comme vous pouvez le constater, il y a quelques observations intéressantes à faire à ce sujet. Tout d'abord, si on analyse la performance économique réelle de l'Europe des 11 en regard de celle des marchés financiers, on constate que les résultats ont été plutôt moyens. En fait, je dirais que jusqu'à présent, elle a été moyenne, voire médiocre.

Les graphiques qui se trouvent sur la première page de la partie de mon mémoire réservée aux graphiques visent à donner un aperçu de la performance de l'Europe des 11, au cours des deux dernières années, par rapport à celle du Canada et des États-Unis. Le premier graphique, qui représente la croissance du PIB, indique qu'en ce qui concerne les États-Unis, ce fut une période faste d'un bout à l'autre. En 1997, la croissance de notre PIB a été brièvement supérieure à celle du PIB américain. Par la suite, elle a terriblement fléchi. La crise asiatique et l'évolution du cours mondial des produits de base sont la principale, voire l'unique raison de ce revirement de situation. Nous avons davantage subi le contrecoup de ces événements que les États-Unis.

Les perspectives étaient excellentes pour Euroland en 1997. La croissance économique était moins forte dans ces pays qu'au Canada ou aux États-Unis mais elle s'améliorait rapidement. Depuis lors, elle a considérablement baissé. En fait, elle a chuté davantage que ne semble l'indiquer ce graphique parce que certains des 11 pays européens n'avaient pas communiqué leurs résultats pour le premier trimestre. Par conséquent, le graphique n'inclut pas ce trimestre. Cependant, d'après les premières données que nous avons, l'économie de plusieurs pays européens importants, y compris celle de l'Allemagne, pourrait accuser une croissance négative vers la fin de 1998 et le début de 1999. Par conséquent, Euroland connaît une croissance réelle inférieure à ce que l'on pourrait croire d'après ce graphique, alors qu'elle augmente légèrement au Canada.

En ce qui concerne l'IPC, tous les pays s'en tirent très bien. Au Canada, cet indice a augmenté pendant un certain temps, pour baisser par après. Je voudrais toutefois attirer surtout votre attention sur Euroland. En ce qui le concerne, les résultats ne sont pas très spectaculaires mais ce qui n'apparaît peut-être pas très clairement sur la ligne correspondant à l'Europe des 11, c'est que plusieurs de ces pays traversent, techniquement parlant, une période déflationniste.

En ce qui concerne le calcul de l'IPC, une certaine marge d'erreur est jugée normale. Elle est toute naturelle. Si l'on en tient compte pour obtenir une mesure exacte ou effective de l'inflation, des pays comme la France et l'Allemagne sont en période de déflation, mais de justesse. Dans ces deux pays, l'inflation est inférieure aux seuils prévus par la BCE, ce qui témoigne, bien entendu, de la faiblesse de leur économie.

Le chômage est toujours un problème en Europe. Bien qu'il ait eu tendance à diminuer très légèrement, le taux de chômage moyen est toujours supérieur à 10 p. 100. Il y a quelques exceptions mais la plupart des pays d'Europe, surtout les grands, continuent d'enregistrer des taux de chômage qui oscillent autour des 10 p. 100. Comme vous le savez, l'important est de savoir si ce chômage est structurel ou cyclique.

Au Canada, où la situation s'est améliorée et continue de s'améliorer à ce chapitre, et où elle est nettement meilleure qu'en Europe, le taux de chômage est revenu à son niveau de juin 1990. Nous espérons qu'elle s'améliorera encore considérablement; un taux de chômage de 7,8 p. 100 n'est pas satisfaisant mais nous sommes sur la bonne voie.

En ce qui concerne les États-Unis, on parle souvent de miracle économique. Ce pays a connu une période particulièrement faste: faible taux d'inflation, taux de chômage à son plus bas depuis 30 ans et croissance remarquable de la production et de la productivité réelles. Quant à nous, nous aimerions réaliser le même exploit au Canada.

Le sénateur Stollery: Par contre, le taux d'épargne est négatif aux États-Unis.

M. Murray: Nous sommes malheureusement dans le même cas. C'est en partie une question de méthode de mesure. Je vous rappelle que les gains en capital réalisés sur les investissements immobiliers et mobiliers ne sont pas compris dans ces calculs. Si l'on en tient compte, le taux d'épargne est positif, au Canada et aux États-Unis. Bien entendu, le tout est de savoir si cela durera.

À noter qu'en ce qui concerne l'Europe, si la situation n'a pas été catastrophique, elle suscite malgré tout quelques inquiétudes. En ce qui concerne les indices réels de la santé économique, la performance de l'Europe n'a pas été extraordinaire. Le fait d'être au bord de la déflation est préoccupant; on craint par ailleurs que la croissance continue de ralentir et que le taux de chômage ne baisse pas, assez rapidement du moins.

Cette situation peut être attribuée à trois facteurs. Le premier est que la plupart des pays d'Europe ont dû instituer des politiques de resserrement budgétaire pour pouvoir remplir les conditions énoncées dans le Traité de Maastricht. Le deuxième est que la BCE a institué une politique monétaire très rigide parce qu'elle le jugeait nécessaire pour établir d'emblée sa crédibilité. Elle a desserré l'étreinte à la fin de l'automne, juste avant le lancement de l'euro -- de 50 points de base. M. Duisenberg, président de la BCE, a annoncé que la baisse n'irait pas plus loin pour un certain temps. Comme vous l'avez peut-être appris, les événements ont démenti ses affirmations. Il y a deux semaines à peine, la BCE a encore abaissé le taux de 50 points de base.

Dans ces pays, si les taux d'inflation sont faibles, il reste que les taux d'intérêt dits réels demeurent relativement élevés, du fait qu'ils baissent moins vite que le taux d'inflation, à cause de la phase du cycle économique dans laquelle ils se trouvent. Par conséquent, je ne dirais pas que la politique monétaire européenne s'est assouplie de façon radicale. Cela ne suffit pas. Certains observateurs voudraient que l'étau se desserre un peu plus.

Ce qui a aidé ces pays au cours de cette période, c'est la faiblesse de l'euro. Avec la réduction des taux d'intérêt, elle contribue à stimuler leur économie. Les effets ne sont toutefois pas immédiats. La situation économique ne peut se redresser complètement du jour au lendemain.

Le troisième facteur est la crise financière qui sévit en Europe, en Amérique latine et en Russie. Les pays d'Europe n'ont pas été touchés aussi durement que le Canada par ces crises, et principalement par la crise asiatique. Par contre, les effets de la crise russe se sont fait sentir en Allemagne. Quant à la crise asiatique, elle a eu des répercussions inattendues en Italie. Les Japonais ainsi que les consommateurs d'autres pays avaient un appétit insatiable pour les articles de mode et autres produits italiens. Quand ces pays ont été frappés par la crise, l'Italie est le pays européen qui en a le plus souffert. Par conséquent, dans l'ensemble, l'incidence de toutes ces crises sur l'Europe n'a peut-être pas été très marquée mais elle s'ajoute tout de même aux deux autres facteurs.

On craignait que la politique monétaire unique, qui devait désormais être orchestrée par la BCE, s'avère très contraignante pour certains pays membres, comme l'indiquent plusieurs autres graphiques.

Les graphiques de la troisième page de la partie du mémoire consacrée aux graphiques ressemblent aux précédents. L'un indique la croissance du PIB, un autre représente l'inflation et le troisième porte sur le taux de chômage. Ces graphiques permettent de se faire une idée des écarts qui caractérisent les divers pays membres de l'Europe des 11 à ces chapitres.

Ces graphiques sont petits, mais ils sont révélateurs. En ce qui concerne la croissance du PIB, vous constaterez que certains pays comme l'Irlande et la Finlande, ont enregistré un taux de croissance de 8 à 10 p. 100 pendant toute cette période. La ligne qui représente l'Irlande peut sembler suspecte. Elle est droite et se situe à un niveau élevé. L'Irlande est un cas unique en ce sens qu'elle ne communique que des données annuelles. Je ne peux pas vous indiquer les fluctuations trimestrielles pour la simple raison qu'aucune donnée n'a été publiée pour 1998. Par conséquent, la ligne ne va pas très loin. On s'attendait à ce que ce pays connaisse une croissance extraordinaire, et c'est effectivement le cas. La croissance a également été très forte en Finlande, ainsi d'ailleurs qu'au Portugal et en Espagne, pays qui ne sont toutefois pas représentés dans les graphiques.

Par contre, la performance de certains pays, comme l'Italie et la Belgique, a été plutôt médiocre à ce chapitre. En fait, si l'on pouvait prolonger la ligne qui correspond à l'Italie jusqu'au quatrième trimestre, elle indiquerait que la croissance a été non seulement minime mais négative dans ce pays.

J'insiste sur le fait que la situation varie d'un pays à l'autre. Une politique monétaire plus accommodante aiderait la plupart des pays d'Europe. Par contre, ce serait catastrophique pour des pays tels que l'Irlande et la Finlande où des poussées inflationnistes se font déjà sentir.

En ce qui concerne le taux d'inflation, on constate que l'extrémité droite de la ligne indique qu'il est en pleine hausse au Portugal. Ce pays n'a que faire non plus d'une politique monétaire plus accommodante, même si en France, le taux d'inflation est sur le point de devenir négatif. En Finlande, il suit également une courbe descendante mais comme je l'ai déjà signalé, la croissance économique a été assez forte.

On remarque également des écarts entre les divers pays d'Europe en ce qui concerne le taux de chômage. En Espagne, il est tout juste en dessous de la barre des 20 p. 100. Par chance, c'est un des pays où la croissance est rapide depuis un an ou deux. En Italie, le taux de chômage reste pour ainsi dire stagnant. Il semble être bloqué autour de 12 p. 100. Il fluctue quelque peu en ce qui concerne l'Autriche. Par contre, aux Pays-Bas, il est actuellement inférieur à 5 p. 100. Si l'on exclut le Luxembourg, ce sont les Pays-Bas qui connaissent actuellement le taux de chômage le plus bas d'Europe. Ces graphiques sont tellement restreints qu'ils ne donnent pas une bonne indication des écarts. Ceux-ci sont toutefois assez prononcés et sont à l'origine de certaines tensions lorsqu'il s'agit d'arrêter une politique européenne.

Jusqu'à présent, j'ai surtout parlé de l'état réel de l'économie. Parlons maintenant des marchés financiers. À ce chapitre, la situation est légèrement plus encourageante. Tous les espoirs que l'on nourrissait en ce qui concerne la convergence des taux d'intérêt ont été exaucés. Les taux d'intérêt à court terme ont convergé pour ainsi dire au niveau des taux allemands, comme il se doit. Quant aux taux d'intérêt à long terme, ils ont également convergé, à part quelques écarts minimes dus au risque bancaire.

La deuxième page de graphiques permet de comparer l'évolution des taux d'intérêt à long terme, des taux d'intérêt à court terme et des marchés boursiers au Canada, aux États-Unis et en Allemagne. On utilise l'Allemagne comme point de référence pour l'Europe parce que les autres pays européens lui emboîteront le pas. En ce qui concerne les taux d'intérêt à long terme, la performance est assez bonne dans tous les cas.

Pour ce qui est des taux d'intérêt à court terme, les taux américains étaient plus élevés dans un premier temps, à cause de la phase du cycle économique dans laquelle se trouvaient les États-Unis et de la forte croissance économique enregistrée. Les taux d'intérêt canadiens étaient plus bas, puis ils se sont mis à augmenter, ont rejoint les taux américains et sont actuellement de nouveau à la baisse. Ce n'est pas visible sur le graphique mais les taux d'intérêt canadiens sont actuellement inférieurs aux taux américains sur toute la ligne. Le niveau peu élevé de nos taux d'intérêt à long terme et à court terme est du à un taux d'inflation inférieur à celui des États-Unis et au fait que nous sommes dans une phase différente du cycle économique. Nous avons une plus forte croissance et une plus grande capacité à exploiter pour le moment.

En ce qui concerne notre marché boursier, où les producteurs primaires prédominent, il n'a pas tout à fait atteint le niveau de performance du Dow Jones, aux États-Unis, ni du FTSE, en Grande-Bretagne. Les marchés boursiers européens ont enregistré d'assez fortes hausses. La piètre performance économique réelle ne semble pas les avoir perturbés, bien au contraire.

Les graphiques qui sont sur la dernière page représentent les indices boursiers européens et indiquent leur performance. Le seul pays dont la performance n'ait pas été fameuse à cet égard est l'Autriche. Ce n'est pas parce que c'est important que je le signale, mais plutôt parce qu'il s'agit d'une anomalie.

L'avant-dernière page de graphiques donne une indication de la convergence des taux d'intérêt en Europe en 1997 et en 1998, ainsi que depuis le lancement de l'euro, vers la fin de cette dernière année. Les écarts avaient pratiquement disparus à la fin de cette période. Ils sont toutefois restés légèrement plus prononcés entre ces trois pays (France, Allemagne et Italie) et certains autres pays d'Europe.

La convergence des taux d'intérêt à court terme est illustrée à la page précédente. Quant à l'évolution des taux de change, elle est représentée dans les graphiques qui se trouvent à la quatrième page à partir de la fin du mémoire. Ces activités n'ont rien de très particulier. Un graphique plus détaillé pour les quatre derniers mois aurait toutefois été utile. Il aurait pu nous indiquer l'évolution du cours de l'euro par rapport au dollar américain. À son lancement, le 4 janvier, l'euro valait légèrement plus de 1,16 $ U.S. alors que son cours actuel oscille autour de 1,05 et 1,06 $ U.S. En quatre mois, son cours a diminué d'un peu plus de 10 p. 100 par rapport à la devise américaine.

J'insiste sur le fait que c'était nécessaire et que c'était justifié. Étant donné la faiblesse de la performance économique réelle et la position de l'économie européenne par rapport à l'économie américaine, on espérait que le dollar américain soit fort. Pour le moment, l'Allemagne et les autres pays d'Europe ont besoin d'un fléchissement du cours de leur devise pour les aider à relancer la consommation et à stimuler les exportations. Les marchés financiers répondent à ces besoins.

À la page 4 des notes présentées point par point, nous avons signalé l'inégalité de la performance des pays membres de l'Europe des 11, la stabilisation des taux de change et la convergence des taux d'intérêt ainsi que la performance supérieure des indices boursiers dans toute l'Europe, bien qu'ils aient été dans un premier temps à un niveau inférieur à celui du Dow Jones ou du TSE.

Il est incontestable que les pays d'Europe ont certains défis économiques à relever. Par ailleurs, les différends qui les opposent quant au rôle du Conseil des 11 et quant à la politique monétaire n'ont pas été résolus. Une indépendance totale avait été garantie à la Banque centrale européenne (BCE). Cependant, comme je l'ai déjà signalé, les politiciens européens ne sont pas entièrement satisfaits de cette situation. Il y a une zone floue où l'indépendance de la BCE n'a pas été garantie à 100 p. 100. Il s'agit de la politique des taux de change.

Le président: Pourriez-vous nous donner la composition du Conseil de l'Europe des 11?

M. Murray: Le Conseil de l'Europe des 11 est composé des ministres des Finances des 11 pays européens. Ils siègent au Conseil et supervisent les activités de l'UME dans le domaine de la politique budgétaire et dans plusieurs autres domaines.

Le président: Voulez-vous dire que des tensions pourraient surgir entre ce groupe ministériel d'une part et les dirigeants de la Banque centrale européenne d'autre part?

M. Murray: Exactement. C'est ce que nous avons pu constater au cours des derniers mois, quand M. Lafontaine a prié M. Duisenberg, président de la BCE, et ses collègues d'assouplir la politique monétaire. En fait, je crois que les relations étaient tellement tendues pendant un certain temps que l'on avait l'impression que la BCE refusait de diminuer les taux d'intérêt à cause des pressions exercées sur elle par Lafontaine, Strauss-Kahn et divers autres membres du Conseil des 11.

La BCE a adopté cette attitude par désir d'affirmer son indépendance -- je n'irais pas jusqu'à dire que c'était par esprit de contradiction -- et ce n'est peut-être pas une coïncidence qu'elle ait assoupli sa position après la démission de M. Lafontaine. S'il n'avait pas démissionné, on ne serait probablement pas encore sorti de l'impasse.

Le deuxième point, qui est indiqué à la page suivante, concerne la représentation de l'Europe des 11 au G-7, surtout aux assemblées des ministres et des gouverneurs de banques centrales. Je ne tiens pas à révéler toutes les tensions qui se sont manifestées au sein du G-7 mais les États-Unis et d'autres pays ont fait savoir que l'Europe était, à leur avis, surreprésentée. Le fait qu'aux représentants de toutes les banques centrales et des ministères des Finances des pays membres viennent s'ajouter ceux de la BCE et de l'Europe des 11 a incité certains membres à suggérer qu'il y ait aussi un représentant de la Commission européenne ainsi que le président du Conseil des 11.

Autrement dit, le fait d'avoir créé une banque centrale commune augmenterait le nombre de représentants européens aux assemblées du G-7 au lieu de le faire diminuer. Aucune décision n'a encore été prise. C'est une partie de bras de fer entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Il semble que nous soyons totalement opposés à la présence d'un représentant de la Commission européenne et du président du Conseil des 11, à moins que la présidence n'échoie à un pays déjà membre du G-7, comme la France, l'Allemagne ou l'Italie. Telle semble être la position nord-américaine.

Les Européens ne sont pas d'accord. Par contre, les ministères des Finances sont disposés à faire un compromis en remplaçant tous les gouverneurs de banques centrales européennes par un représentant de la BCE.

Comme représentant d'une banque centrale, je dois admettre à contrecoeur que ce serait logique, puisqu'on a créé la BCE. Par contre, les gouverneurs des banques centrales européennes, ou plus précisément des pays européens membres du G-7, ne tiennent évidemment pas à perdre leur siège. Le débat continue.

La question que je vais aborder ne paraît pas très importante. Cependant, elle nous préoccupe et nous en avons d'ailleurs déjà discuté. Il s'agit de l'émergence possible d'un G-3. Les États-Unis et le Japon pourraient se sentir tellement frustrés par le problème de la représentation de l'Europe que, malgré leurs préoccupations au sujet de la Grande-Bretagne et du Canada, ils pourraient finalement juger que cette situation est ridicule et décider de tenir des réunions à part, en choisissant les invités. Les États-Unis et le Japon seraient représentés par leurs ministres des Finances et par les gouverneurs de leur banque centrale. Ils inviteraient probablement M. Duisenberg et peut-être aussi un ou deux autres ministres des Finances européens, un point c'est tout. Ce serait un club très restreint dont le Canada pourrait être exclu. Nous verrons bien.

Le troisième point concerne l'opportunité de fixer des objectifs quant au taux de change des principales devises. Je vous ai déjà signalé que cette proposition semble avoir été reléguée à l'arrière-plan pour l'instant, parce que le ministre Lafontaine était le principal obstacle. Je ne pense toutefois pas qu'elle ait été mise au rancart. Elle intéressait beaucoup les Japonais. Ils aimeraient qu'on relance le débat. L'Europe attend son heure.

Le président: Quand vous parlez des «principales devises», il ne s'agit pas des monnaies des pays membres de l'Union européenne mais plutôt de devises comme le dollar américain ou le yen japonais, je suppose.

M. Murray: Oui. Cela doit être clair. Il s'agit du dollar américain, du yen et de l'euro -- les trois grandes devises.

Ce qui est intéressant, c'est que d'une part, les États-Unis ne sont pas favorables à la création de zones cibles ni à une intervention. Ils préfèrent les zones flexibles, comme nous d'ailleurs.

D'autre part, si le Japon et l'Europe décident de fixer leurs taux en fonction du dollar américain, les États-Unis ne peuvent rien y faire. Par conséquent, c'est une décision que le Canada, le Japon et l'Europe pourraient prendre unilatéralement et sur laquelle les États-Unis n'auraient pour ainsi dire aucune influence. Si un pays veut fixer ses cours en fonction de votre devise, vous ne pouvez pas l'en empêcher. Il est préférable que tous les pays soient d'accord mais ce n'est pas nécessaire.

Le quatrième point concerne les pressions à court terme exercées sur les banques européennes et les marchés financiers. Nous en avions déjà parlé. Il s'agit des restructurations majeures qui sont en cours en Europe. Ce mouvement a atteint certaines banques européennes à un moment où leurs bénéfices étaient à la baisse, ce qui n'arrange rien. On ne prévoit aucune faillite majeure mais le seul problème, c'est que cela tombe à un mauvais moment.

Le cinquième point concerne la monnaie commune en tant que catalyseur de réforme structurelle. C'est évidemment l'objet principal de l'UME et de l'euro. Nous n'avons pas encore assez de données pour nous assurer que l'euro pousse la réforme structurelle dans la direction espérée par l'Europe. Dans le cas contraire, l'Europe aura des problèmes parce que ses marchés de l'emploi sont très rigides. La politique budgétaire est contrariée par l'absence d'un gouvernement central européen efficace et par les contraintes imposées par le pacte sur la stabilité et la croissance.

À moins que les pays d'Europe ne réforment leurs institutions et n'envisagent d'assouplir leurs marchés de l'emploi, on ne sait pas très bien comment leur économie s'adaptera parce que la flexibilité qui va de pair avec une politique monétaire indépendante a disparu. C'est le problème le plus critique, d'après les économistes.

La page 6 de mes notes signale les points qui intéressent tout particulièrement le Canada. Le premier point nous rappelle que les répercussions directes de l'adoption de l'euro sont très limitées pour le Canada. En effet, notre commerce extérieur est principalement axé sur les États-Unis mais j'hésite malgré tout à affirmer que c'est tout ce qui importe. C'est toutefois pratiquement le cas. Dans l'ensemble, l'Europe ne représente pas une proportion importante de nos échanges commerciaux, à peine 8 ou 9 p. 100. Ce n'est pas insignifiant mais ce n'est tout de même pas beaucoup. En outre, ce pourcentage a tendance à diminuer en raison de notre intégration accrue avec les États-Unis et, dans une certaine mesure, avec l'Asie.

C'est également vrai en ce qui concerne les investissements. Le pourcentage est un peu plus élevé mais nous faisons surtout affaire avec les États-Unis et le Japon.

S'il fallait choisir un pays européen qui occupe une place importante en matière d'investissement et de commerce extérieur, ce serait la Grande-Bretagne mais elle ne fait pas partie de l'UME, du moins pas encore.

Avant de venir ici, j'ai consulté les spécialistes qui travaillent dans notre salle de marché et ils m'ont dit que l'euro n'avait eu aucune incidence visible sur le dollar. Si vous vous souvenez, on craignait que l'introduction de l'euro perturbe le comportement du dollar canadien. Deux ou trois théories avaient été avancées à ce propos. L'une d'entre elle est qu'il ne resterait plus que trois grandes devises: le dollar américain, le yen et l'euro.

Selon cette théorie, les petites devises, comme le dollar canadien et le dollar australien, auraient beaucoup de difficulté à survivre en présence de ces géants car la volatilité de notre devise devrait s'accentuer et la demande devrait baisser. Autrement dit, nous ne serions pas assez importants pour être intéressants. Pendant que ces géants, comme je les appelle, repositionneraient leur économie en fonction de leurs besoins, nous nous retrouverions coincés entre eux.

La deuxième théorie, qui est plus encourageante, veut qu'il y aurait beaucoup moins de devises sur lesquelles spéculer et que par conséquent, il y aurait un tel nombre de cambistes au semi-chômage à la recherche des occasions que, même si cela provoquait une certaine volatilité sur les marchés, nous aurions la faveur de la communauté internationale au bout du compte. Nous serions une des rares options possibles, pour quelqu'un qui voudrait diversifier son portefeuille.

Nous n'avons aucune preuve probante que c'est ce qui s'est produit, dans un cas ou dans l'autre. Cependant, si l'on était forcé de faire un choix, je crois qu'il pencherait en faveur de la deuxième théorie. Somme toute, on nous aime et nous n'avons pas subi le contrecoup du lancement de l'euro.

Le troisième point concerne les répercussions que cela aurait sur les banques canadiennes, à savoir qu'elles seraient davantage poussées à fusionner. Je ne dis pas que les décisions qui ont été prises pour empêcher la fusion de banques canadiennes sont mauvaises. Le seul problème, c'est que la tendance au gigantisme est générale. Les banques canadiennes ne sont pas petites, même à l'échelle mondiale, mais les mégabanques européennes sont environ cinq fois plus grosses.

On n'a aucune preuve que les économies d'échelle ont une importance telle qu'il faille être «gros» pour faire des bénéfices ou pour survivre. Les perceptions des consommateurs à cet égard ont toutefois de l'importance, qu'elles soient justes ou erronées. Des fusions de banques se sont produites en France, ainsi qu'en Italie. En Allemagne, certaines banques ont fusionné avec des banques américaines. En Suisse, les principales banques ont fusionné, de même qu'aux États-Unis. On en arrive à une situation analogue à ce qui s'est produit dans l'industrie automobile, où il n'y a apparemment plus qu'un, deux ou trois joueurs importants par pays. Toutes ces entreprises se font concurrence à l'échelle internationale mais cette concurrence est très limitée, vu leur nombre très restreint.

On ne sait pas très bien quelle sera la place des banques canadiennes. Cependant, les diverses agences de cotation ont certainement remarqué les développements survenus au Canada. Dernièrement, elles ont donc révisé à la baisse la cote de crédit des banques canadiennes parce que les fusions ne se sont pas réalisées et parce que, entre guillemets, «elles sont victimes d'un gouvernement hostile».

C'est l'impression que ça va à l'encontre de la tendance internationale qui a eu cet effet.

Au quatrième point, il y a le risque accru de frictions commerciales et de protectionnisme. S'il y a une politique de resserrement budgétaire, si les marchés de l'emploi sont très rigides et si l'on a perdu la latitude que permet une politique monétaire indépendante, alors on n'a plus tellement le choix de sa politique et on craint que l'Europe, sous la pression, se rabatte sur le protectionnisme. La politique agricole en est un exemple récent. Il y a eu la malheureuse guerre de la banane entre l'Europe et les États-Unis. L'Europe menace maintenant d'interdire l'importation du boeuf des États-Unis. Je ne suis pas convaincu que ces menaces aient un rapport avec les problèmes de l'emploi en Europe. Je crois qu'elles sont tout à fait propres au domaine agricole. Néanmoins, c'est un avant-goût de protectionnisme. Ce qui est intéressant, c'est que le seul pays ayant des déficits massifs, les États-Unis, se soit généralement contenu jusqu'à présent tandis que la région qui bénéficie d'un immense surplus net, l'Europe, semble s'être montrée plus protectionniste.

Le cinquième point, c'est l'avenir incertain du G-7 et des autres groupes internationaux. On en a déjà parlé. Le Canada pourrait se retrouver dans une situation où il serait trop petit pour être dans la même ligue que les grands pays, mais trop gros pour vouloir frayer avec les autres.

La communauté internationale est encore en train de s'organiser. L'un des groupes qui étaient très importants autrefois semble avoir perdu presque toute influence et tout intérêt; je veux parler du G-10 qui n'a plus l'air d'un ensemble naturel de pays. Il avait sa raison d'être après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 60 et 70. En fait, c'est une créature des années 60, époque à laquelle il est né, mais il est aujourd'hui en train de disparaître. C'est un regroupement insolite. Même le G-7 subit des pressions. On verra bien comment iront les choses.

Le sixième point, si je sais compter, c'est un renouveau d'intérêt pour une monnaie commune avec les États-Unis. Comme nous l'avions prédit l'an dernier, l'intérêt est là pour de bon. Le moment choisi peut paraître étonnant étant donné la crise asiatique qui s'achève et les difficultés de la Russie et du Brésil. L'une des nombreuses leçons qu'on a pu tirer de cette crise, c'est que la fixité des changes est probablement le système de devise le moins durable. C'est pourquoi le moment semble mal choisi et il est très étonnant que les Canadiens manifestent un regain d'intérêt pour un système de parité fixe avec les États-Unis. Je ne dis pas que c'est mauvais ou inacceptable. Je pense que trois facteurs peuvent expliquer cet engouement.

Je sais que David Laidler est venu s'adresser à un comité sénatorial dernièrement, mais je ne sais pas si c'était le vôtre. De toute façon, il a parlé des mérites d'un taux de change flexible. Mais voici les trois facteurs qu'il a pu mentionner. Premièrement, il y a l'effet euro qui sert de démonstration et qui peut donner aux Canadiens le sentiment que si c'est bon pour l'Europe, il y a de quoi réfléchir au moins à cette possibilité pour notre pays.

Deuxièmement, il y a l'étonnement des Canadiens devant la chute libre de leur devise au cours des deux dernières années, alors que le dollar a atteint des planchers sans précédent. On s'est certainement dit qu'un taux de change fixe aurait pu empêcher ça et les pertes de revenu qui s'ensuivent. Je ne suis pas certain que ce soit évident, mais il y a eu une certaine frustration et un peu d'embarras causés par notre peso du Nord, comme je l'appelle, ce qui a amené les gens à chercher d'autres solutions.

Troisièmement, il y a l'intérêt montré par des pays comme l'Argentine et le Mexique qui voudraient adopter le dollar; certains Canadiens se demandent donc si ce ne serait pas une bonne idée pour le Canada aussi parce qu'on ne veut pas être en reste si ça se réalise.

La question est donc venue sur le tapis. La Banque du Canada continue de penser que le cours flexible nous a bien servis. Si on avait une monnaie commune avec les États-Unis, on en tirerait certainement ce que j'appellerais d'importants avantages microéconomiques. Je ne veux surtout pas minimiser leur valeur. Par exemple, pour reprendre des statistiques bien connues, c'est près de 45 p. 100 de notre PIB qui est maintenant exporté, dont plus de 80 p. 100 vers les États-Unis. Il se fait un nombre faramineux de transactions qui ne nécessiteraient aucune conversion si on avait la même devise. La comptabilité serait simplifiée. Dans une certaine mesure, les Canadiens sont déjà habitués à chiffrer les choses en dollars américains. Quand ils mentionnent des montants, les journaux doivent préciser chaque fois si c'est en dollars canadiens ou américains parce qu'on a l'impression que ce pourrait être l'un ou l'autre. Beaucoup d'informations et de divertissements proviennent des États-Unis. Il est donc tout naturel de songer à une monnaie commune.

Il est pourtant difficile d'imaginer comment certaines régions du pays auraient pu survivre n'eut été du taux de change flexible et de la dépréciation du dollar ces deux dernières années. À notre avis, c'est la preuve, du moins du point de vue macroéconomique, qu'on a besoin d'un taux de change flexible. Mais le débat se poursuit.

Le dernier point, c'est une meilleure appréciation des avantages du change flottant. Sans le vouloir, je viens juste de vous en parler.

Quand on examine certains des problèmes qui font maintenant surface en Europe, on apprécie les avantages des taux de change flexibles et d'une politique monétaire indépendante.

Les économies américaine et canadienne, comme je l'ai dit tout à l'heure, se trouvent à des stades différents du cycle commercial. Ce qui convient aux États-Unis depuis environ un an, c'est-à-dire les taux d'intérêt élevés et un dollar à la hausse par rapport à l'euro et au yen, ne convient pas du tout au Canada. Nous avons eu besoin de cette plus grande marge de manoeuvre, de cette indépendance, pour nous en sortir.

L'année 1998 a quand même été difficile, mais notre croissance réelle a néanmoins atteint près de 3 p. 100, ce qui est mieux que bien d'autres pays. Toutefois, sans la dévalorisation de notre dollar et le taux de change flexible, nous aurions été en mauvaise posture.

Le président: Je vous remercie pour votre exposé.

Le sénateur Bolduc: Monsieur Murray, vous avez parlé du rôle joué par le Conseil des 11 dans la politique monétaire. Pourriez-vous établir un parallèle avec la situation canadienne? Quand le comité est allé en France il y a deux ans, un ancien président de la Banque de France nous a montré un document où il est écrit sans équivoque que la Banque est indépendante du gouvernement. Je n'ai jamais vu ça ailleurs.

Ce n'est pas précisé dans nos lois. Au Canada, la banque centrale est relativement indépendante du gouvernement. Il y a discussion des problèmes et enjeux et on finit par arriver à établir une politique monétaire. Je suppose que c'est pareil en Grande-Bretagne; il y a une certaine indépendance par rapport au gouvernement, mais l'indépendance n'est pas totale par rapport au ministre des Finances.

Si je ne m'abuse, le nouveau système de l'Europe des 11 ressemble à la Banque de France et à la Banque d'Allemagne, c'est-à-dire, qu'il est franchement indépendant du gouvernement. Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients des deux systèmes? Moi, je penche plutôt pour une banque parfaitement indépendante. Je me demande toutefois s'il est possible de laisser un fonctionnaire établir la politique monétaire. Peut-être que le système canadien est préférable.

M. Murray: J'ai plusieurs réflexions sur le sujet et certaines sont même contradictoires. En ce qui concerne l'Europe, rappelez-vous que l'une des conditions de Maastricht c'était que les pays déclarent l'indépendance de leur banque centrale. Autrement dit, le projet de la Banque centrale européenne ne pouvait pas se réaliser tant que les lois ne précisaient pas que les banques centrales nationales étaient indépendantes et imperméables à toute influence politique. Ce n'est donc pas un hasard si la Banque de France a fait l'objet d'une telle loi.

D'ailleurs, une loi a aussi été adoptée pour la Banque d'Angleterre afin de pouvoir faire partie de l'UME.

Le sénateur Bolduc: Je me trompe peut-être, mais je croyais que les Allemands avaient inclus la condition que sans une loi édictant l'indépendance de la banque, il n'y aurait pas d'euro.

M. Murray: C'est vrai. Toutefois, on a fait la même chose en Angleterre après coup, uniquement pour se ménager une porte de sortie. Et aussi sans doute parce que les Anglais trouvaient que l'indépendance était souhaitable.

Il faut néanmoins bien comprendre ce que signifie cette «indépendance». À la Banque du Canada, on fait une distinction entre ce que j'appelle l'indépendance des objectifs et l'indépendance de l'instrument. On estime que, dans une société démocratique, il est normal et nécessaire que les citoyens, par l'intermédiaire de leurs politiciens, décident de l'objectif de la politique monétaire et aient le pouvoir d'imposer cette décision à la banque centrale ou aux fonctionnaires.

Une fois que cet objectif est clair, on espère qu'on laisse à la banque centrale toute la latitude requise pour qu'elle atteigne cette cible. C'est ce que j'appelle l'indépendance de l'instrument, et tant que l'objectif est atteint, il n'y a pas de raison de se plaindre.

Ce qui est très important pour nous, c'est l'obligation redditionnelle, pas seulement l'indépendance. Nous sommes convaincus qu'il est préférable d'établir un objectif très clair pour la politique monétaire. Néanmoins, il ne revient pas nécessairement à la banque centrale de le faire, du moins unilatéralement. Ça doit se faire de concert avec le gouvernement.

Toutefois, une fois cet objectif établi et clairement expliqué, il nous faut avoir le droit, le pouvoir et l'indépendance voulus pour le réaliser. Et si l'objectif est atteint, on ne peut pas nous critiquer. Alors, au Canada, si on s'entend sur un taux d'inflation bien précis et que cet objectif est atteint, les choses pourraient s'arrêter là, mais ce n'est malheureusement pas aussi simple. Il y a la bonne façon et la mauvaise façon d'atteindre l'objectif. C'est un peu plus compliqué que ça. Voilà pourquoi je parle de l'indépendance des objectifs par rapport à celle de l'instrument proprement dit.

Le problème, en Europe, c'est qu'il n'y a pas vraiment de gouvernement central. Il y a donc une indépendance quasi absolue tant du point de vue des objectifs que des instruments et ça peut créer une certaine tension.

Le terme «déficit démocratique» a été créé il y a quelques années lors du débat sur l'UME; les populations européennes n'ont pas été appelées à voter sur le projet puisqu'on le leur a imposé. Dans une certaine mesure, la politique menée en Europe en ce moment n'est pas parfaitement démocratique puisque la responsabilisation fait défaut.

Le sénateur Bolduc: Pourriez-vous continuer la comparaison avec le système américain?

M. Murray: Les États-Unis se sont remarquablement bien débrouillés depuis quelques années. Comme Ronald Reagan l'a déjà dit, il est difficile de critiquer une réussite. Néanmoins, les États-Unis n'ont pas d'objectif politique clair.

Le sénateur Bolduc: Vous voulez parler du président ou des banquiers?

M. Murray: Ni l'un ni les autres. Ils sont simplement censés faire quelque chose de bien. On ne cible pas un taux d'inflation ou un taux de croissance en particulier. Ils sont seulement censés faire quelque chose de bien, sans que ce soit précisé outre mesure. Comme ils font rapport au Congrès deux fois par année, il y a reddition de comptes. Il y a aussi une certaine indépendance -- d'ailleurs, une indépendance plus grande qu'au Canada parce qu'il est très difficile de congédier le président de la Federal Reserve Bank ou les autres gouverneurs après les avoir nommés.

Le sénateur Bolduc: Est-ce qu'on peut comparer la discussion entre le président et le secrétaire du Trésor ou le président du comité des banques du Sénat à celle qu'il y a au Canada entre le Cabinet, le ministre des Finances et le gouvernement?

M. Murray: C'est vers ça qu'on tend. Pour ce qui est des rapports et de la reddition de comptes, les États-Unis ont de l'avance sur nous. C'est en partie à cause de notre régime parlementaire qui est différent du Congrès et de l'équilibre des pouvoirs aux États-Unis. Là-bas, l'administration est tout à fait à part du Congrès; il y a donc cette division naturelle et on ne sait pas trop à qui la banque centrale devrait faire rapport, si tant est qu'elle doive le faire.

Au Canada et en Angleterre, à cause du régime parlementaire, il y a le gouvernement au pouvoir. Ainsi, en théorie, nous faisons rapport au gouvernement par l'entremise du ministre des Finances. Donc, en théorie, nous n'avons de comptes à rendre à personne d'autre.

C'est le ministre des Finances qui a le pouvoir de donner des directives et qui, s'il est insatisfait, peut exiger une modification de la politique, la faire publier et nous en donner l'instruction. Personne d'autre ne peut le faire. Mais avec le temps, on a constaté, tout comme le gouvernement, qu'il était préférable de demander au gouverneur de la banque de faire rapport plus souvent sur la politique monétaire. On a réalisé que des communications plus fréquentes et une meilleure compréhension rendent non seulement la politique plus sympathique, mais elles nous aident à l'appliquer, et que le secret d'une bonne politique monétaire, c'est de ne pas prendre la population par surprise, mais plutôt de l'apprivoiser, de l'aider à prévoir les décisions politiques. Donc, en un sens, le travail se fait presque tout seul.

Mais je m'écarte du sujet.

Le président: C'est tout le comité qui s'en écarte. On est en train de comparer des institutions financières au lieu de se concentrer sur ce qui arrive en Europe.

J'ai lu quelque part que l'UME avait été conçue par des politiciens dont certains au moins avaient des tendances «à droite». Puis, l'an dernier, il y a eu toute une série d'élections à l'issue desquelles des gouvernements de gauche ont pris le pouvoir. Vous avez déjà mentionné ce qui est arrivé en Allemagne avec M. Lafontaine.

Ces nouveaux gouvernements de gauche sont-ils contents de toute cette idée d'une politique monétaire commune?

M. Murray: Il est difficile de répondre à cette question et je ne suis pas certain d'avoir une idée bien claire de la situation. J'ai l'impression qu'il y a un peu de mécontentement. Je suppose que c'est une vérité de La Palice. Je ne suis pas certain que le mécontentement soit causé par le fait que la politique monétaire est commune et qu'on a perdu une certaine indépendance. On est plutôt mécontent de ne pas pouvoir influer sur cette politique commune; plusieurs, du moins les ministres des Finances des principaux pays, partagent le sentiment que les politiques monétaires auraient dû être assouplies plus tôt. Il y a donc de la frustration causée par la façon dont les choses ont été menées et aussi par l'impuissance à influencer la politique étant donné l'indépendance de la BCE.

Le sénateur Stollery: Dans le même ordre d'idées, il me semble que la dispute entre les nouveaux gouvernements d'Europe occidentale et la Banque centrale européenne portait sur les critères de la banque. Je me rappelle les instructions de Gordon Brown à la banque centrale, à Eddie George, et le fait que les paramètres ont été vivement critiqués dans le Financial Times parce qu'ils tournaient autour de la stabilité des prix et que c'était le principal critère établi pour l'application de la politique monétaire.

J'ai lu les motifs de la démission de M. Lafontaine et il faut dire que, si le gouvernement allemand est divisé sur la question, alors tout n'est pas rose. Son exposé comportait cinq points. Je n'ai pas compris celui au sujet de l'énergie atomique parce que je ne connais pas du tout la politique allemande en la matière. Toutefois, les quatre autres correspondent à ce que vous avez mentionné, la convergence ou un système quelconque de taux de change pour tempérer la fluctuation des cours. Je ne parle pas de taux de change fixes. Il y avait deux ou trois autres points qui ne paraissent pas déraisonnables. Comme vous l'avez dit, la Banque centrale européenne a même refusé d'abaisser les taux d'intérêt, même si elle devait savoir qu'il fallait le faire. Elle a refusé pour ne pas avoir l'air de céder à la pression sur l'un de ses principaux critères, celui de la stabilité des prix dont le pendant, je le précise, c'est la hausse du chômage. Voilà pourquoi il a démissionné.

Qu'en pensez-vous? N'est-ce pas ça qui s'est passé? Il semble y avoir pas mal de mécontentement et il est vrai que le gouvernement allemand est divisé.

M. Murray: Je veux faire deux ou trois observations, mais je commencerai par préciser que tout ce que j'ai dit sur leurs motivations et leurs mesures n'est que pure conjecture de ma part; c'est mon interprétation personnelle.

Le sénateur Stollery: Mais on a pu lire presque tout ça dans la presse financière.

M. Murray: Et puis, c'était à prévoir au sens où l'Europe a demandé une banque centrale calquée sur la Bundesbank et c'est ce qu'elle aura. Même si l'UME n'existait pas et que le taux de change était encore fixé par rapport au mark allemand, les politiques seraient probablement très semblables. Je n'imputerais pas toute la faute à l'UME.

Ce que j'appelle une certaine attitude germanique prévaut à la banque centrale d'Allemagne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faut reconnaître qu'elle n'a pas trop mal réussi. Même si selon nos critères à nous elle a pu être en marge, je ne pense pas que je lui en tiendrais vraiment rigueur. Les résultats ne sont pas encore connus.

Le sénateur Stollery: N'est-il pas vrai que deux critères sont incompatibles, l'un imposé par les gouvernements conservateurs qui ont été défaits depuis et l'autre privilégié par les ministres des Finances actuels?

M. Murray: Vous savez, ce n'est pas la seule raison pour laquelle M. Lafontaine a démissionné. Il a surtout perdu toute la confiance du monde des affaires à cause des mesures fiscales qu'il a proposées. Cela a sans doute pesé plus lourd sur sa démission forcée que ses politiques monétaires.

Mais quant à savoir si la stabilité des prix est une cible acceptable de la politique monétaire, j'y suis moins opposé pour la raison suivante: quand on cible un taux d'inflation donné et qu'on essaie de s'y tenir à tout prix aux dépens du chômage, il est impossible de réussir. Prenons par exemple l'Angleterre. Elle a fixé un taux d'inflation de 2,5 p. 100 dont elle est maintenant très proche. Si le taux de chômage reste élevé au Royaume-Uni, le taux d'inflation sera immanquablement inférieur au taux ciblé à cause de l'offre excédentaire dans l'économie. Inversement, si l'on tente de surstimuler l'économie, le taux dépassera les 2,5 p. 100.

Bref, à long terme -- peut-être même à moyen terme mais probablement pas à court terme -- il y a compatibilité entre l'aspiration universelle au plein emploi et le désir d'arriver à la stabilité des prix.

On est en train de discuter des tensions que ça peut provoquer à court terme et des jugements difficiles qu'il faut poser quand on tente de faire des prévisions une année ou deux à l'avance. Les politiques sont toujours décalées, puisqu'on ne peut pas savoir si, en définitive, le taux de chômage ne sera pas supérieur à celui qui était prévu. Le débat entre Lafontaine et la BCE ne portait pas tant sur l'à-propos de l'objectif que sur le fait que, selon Lafontaine, les prévisions de la BCE étaient vraisemblablement trop basses parce qu'elle n'attachait pas assez d'importance à la croissance et à l'emploi dans l'économie.

Le sénateur Stollery: C'est très intéressant. Je ne vais pas insister, monsieur le président, bien que l'opinion que j'ai exposée ait été tirée des éditoriaux du Financial Times sur le choix de la stabilité comme objectif.

L'euro subit des pressions. Vos graphiques, qui sont très intéressants, illustrent certains des problèmes que notre comité a prédits, il y a deux ans, dans son rapport et dans ses discussions au sujet, par exemple, de la convergence et de tout le reste. Lorsque le ministre des Finances le plus puissant d'Europe a démissionné à cause d'une mesure fiscale et que la Commission européenne a aussi démissionné, ça n'a certainement pas aidé l'euro. Même si ça n'avait rien à voir avec l'euro, on dirait que ça a eu un effet extrêmement déstabilisant au moment même où la nouvelle devise était lancée. Ça explique en partie ce qui s'est passé.

Est-ce que ça n'apporte pas de l'eau au moulin de la Banque du Canada en affaiblissant de plus en plus les arguments en faveur d'une devise nord-américaine? Quelqu'un qui, en janvier, était convaincu des avantages d'une monnaie nord-américaine pourrait maintenant avoir des doutes, surtout qu'on se rapproche du 1er mai, compte tenu de ce qui s'est passé ces quatre derniers mois. Je suis au courant pour l'Argentine. Elle désire une monnaie commune pour une tout autre raison que vous connaissez bien.

M. Murray: Oui. Notre situation est bien différente, heureusement.

Nous, nous profitons de la flexibilité que procure le flottement des changes pour plusieurs raisons. Certaines sont d'ordre politique. Même si ce ne sont pas les plus importantes pour la banque, elles constituent néanmoins une considération importante. Si nous avions une monnaie commune avec les États-Unis, nous aurions encore moins d'influence sur la politique monétaire que celle qu'exerce sur la BCE, par l'entremise de sa banque centrale nationale, chacun des membres de l'UME.

L'Italie, par exemple, n'est qu'un pays sur 11. Tous les participants ont grosso modo un vote égal et, même si les PIB des pays les plus importants sont différents, ils sont néanmoins plus comparables que ceux des États-Unis et du Canada. Si l'on optait pour une monnaie commune avec les États-Unis, il serait inconcevable qu'on ait un vote égal ou que notre économie ait le même poids dans les décisions qu'il faudrait prendre conjointement sur la politique monétaire. Il y a une dimension politique importante et il faudrait que le Canada abdique une partie de sa responsabilité ou accepte la subordination de ses objectifs.

Il est toutefois concevable que les avantages économiques d'une monnaie commune soient tels qu'on en accepte les inconvénients et qu'on traite la politique monétaire comme la météo: autrement dit, c'est important, mais indépendant de notre volonté.

Le sénateur Stollery: Ce n'est pas ce qui s'est passé en Europe puisque ça fait seulement quatre mois. Les avantages faramineux ne sont pas encore patents.

M. Murray: C'est vrai, mais il est encore tôt. C'est pourquoi je pense que l'expérience européenne est très intéressante. Nous souhaitons qu'elle réussisse même si nous craignons les risques. Ce sera intéressant de suivre l'affaire. Il est possible qu'on ait sous-estimé les avantages microéconomiques d'une monnaie commune. On ne peut pas être catégorique.

Ce qu'on sait, c'est que du point de vue macroéconomique, on a profité récemment de l'autonomie que procure un taux de change flexible. Comme on n'a pas fait une étude aussi exhaustive de l'autre bord, on n'est pas aussi certain des avantages microéconomiques potentiels d'une monnaie commune.

Le sénateur Andreychuk: L'un des sujets qui m'intéressent, c'est l'activité autour du Parlement européen. Ayant participé dernièrement à la Commission européenne, j'ai constaté qu'elle s'occupait maintenant de la question de l'euro, de la Banque et de son indépendance. Elle a convoqué certains des banquiers pour qu'ils expliquent leurs politiques et leurs positions.

Avez-vous observé cette tendance? Croyez-vous que cela entraînera un changement de la dynamique politique et donc des politiques monétaires?

M. Murray: Nous l'avons observée. C'est intéressant. Il est probablement salutaire que le Parlement européen commence à démontrer sa force et à assumer plus de pouvoirs.

C'est ce qu'espéraient bien des Européens. L'une des principales raisons d'être de l'UME sinon la principale, c'est le désir d'une plus grande intégration politique. Je ne veux pas dire que l'UME est à l'origine de l'influence accrue du Parlement européen, mais je crois que c'est un élément d'une tendance plus profonde. Peut-être que l'Europe est en train d'accorder ses violons et qu'on est témoin de la naissance d'un gouvernement central européen qui planifiera et coordonnera la politique budgétaire d'une façon plus efficace. Il aura un budget plus grand qu'avant et exercera plus de pouvoir.

Si l'Europe veut vraiment faire comme elle le prétend, c'est essentiel. On a besoin d'une telle coordination, d'une influence centrale. Le modèle européen actuel a été comparé à un beigne parce qu'il y a un trou au milieu. Il y a plusieurs pays tout autour d'une banque centrale qui n'a de comptes à rendre à aucun pouvoir central, le pouvoir étant réparti entre les 12 pays. Le fait que le Parlement européen s'attende à ce que la banque lui fasse rapport encourage maintenant les diverses parties à se regrouper. Le trou au milieu est en train de se refermer.

Le sénateur Andreychuk: À long terme, est-ce que l'indépendance de la banque en sera compromise, que ce soit un avantage ou un inconvénient?

M. Murray: Je ne pense pas, du moins de façon tangible. En l'obligeant à rendre compte de ses activités, on la rend plus démocratique alors que les lois lui conservent assez d'autonomie opérationnelle pour que, à court terme, les pressions politiques ne compromettent pas la réalisation à plus long terme de ses politiques monétaires.

En ce moment, elle est probablement trop indépendante et pas assez responsabilisée. Heureusement, on serait en train de corriger ça. Il ne faut pas non plus tendre vers l'autre extrême. Il y a un avantage à préserver une certaine autonomie afin que les préoccupations politiques à court terme n'embrouillent pas les objectifs à long terme qui doivent guider la politique monétaire.

Le sénateur Di Nino: Le Sénat va commencer à siéger dans deux minutes. Je voulais poursuivre la discussion sur les structures. Si je m'en tiens à l'incidence sur le commerce et l'investissement au Canada, votre déclaration doit vouloir dire qu'elle est limitée. Ça m'étonne. J'aurais cru que ça aurait une incidence plus marquée.

Pouvez-vous nous dire pourquoi l'impact a été aussi faible, outre le fait que nous commerçons surtout avec les États-Unis? Certains opportunistes canadiens, si je peux les qualifier ainsi, se sont efforcés d'accroître nos débouchés commerciaux et financiers en Europe. À votre avis, pourquoi n'y parvient-on pas?

M. Murray: Pour deux raisons. Premièrement, bien que le lancement de l'euro et la création de l'UME soient importants, ce sont deux événements qui n'ont pas autant d'importance que certains le croient. Ce qui importe le plus pour l'Europe existait déjà avant et je veux parler de la création, en principe et en droit mais pas en pratique, d'un marché commun et de la libre circulation de la main-d'oeuvre et du capital.

Il ne faut pas oublier que nombre de ces pays avaient déjà rattaché leur monnaie au mark allemand. L'euro n'était que l'étape suivante; une étape importante parce qu'elle supprime la nécessité de convertir les monnaies, améliorant du coup l'efficacité. Toutefois, il existait déjà deux éléments importants: le marché commun et la libre circulation des marchandises, des services et des facteurs de production. Dans la plupart de ces pays, il y avait déjà un taux de change fixe. L'euro ne représente qu'une étape marginale. Autrement dit, il n'y a pas eu un chambardement en Europe par rapport à ce qui se passait au 31 décembre. Il ne faut pas oublier qu'il est encore tôt et que toutes les réformes structurelles que l'UME est censé réaliser et tous les gains d'efficience et de productivité que le lancement de l'euro est censé apporter ont été prévus à long terme. Par conséquent, il faudra du temps avant que les résultats escomptés se produisent en Europe et, donc, que les Canadiens puissent en profiter. C'est trop tôt, surtout étant donné le caractère marginal de cette dernière étape.

Le président: Honorables sénateurs, je crois qu'il faut maintenant lever la séance puisque d'autres sénateurs arrivent et qu'il nous faut libérer la salle.

Je veux remercier notre témoin. Comme toujours, la réunion a été extrêmement enrichissante. Nous avons apprécié vos réponses concises et instructives. Nous vous convoquerons peut-être de nouveau. Merci beaucoup.

La séance est levée.


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