Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 36 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 5 mai 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 20 pour examiner les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du Pacte de Varsovie, de la fin de la guerre froide et de l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque et pour parler du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, à la fin de notre séance d'hier sur le rôle de l'OTAN après la guerre froide, surtout en ce qui concerne le maintien de la paix, j'avais pris note d'une liste de sénateurs qui souhaitaient poser des questions. Au sommet de la liste, il y avait le sénateur Bolduc, qui voulait poser une question supplémentaire. Je l'ai interrompu parce que je trouvais que c'était une question importante qui devait être traitée comme une question principale et non pas supplémentaire. Je vais maintenant demander au sénateur Bolduc de poser cette question.
Le sénateur Bolduc: Ma question porte sur le processus décisionnel de l'OTAN.
Si je comprends bien, l'OTAN est une organisation politique qui fonctionne par consensus. Supposons que dans une région d'un pays voisin d'un pays de l'OTAN, il y ait un problème de sécurité ou des troubles quelconques. Je comprends qu'il faut un certain temps pour intervenir, parce qu'il doit y avoir consensus. Toutefois, s'il n'y a pas consensus, rien ne se passe. Nous savons que dans le cas de la Bosnie, certains pays ont décidé d'intervenir tandis que d'autres pays ont décidé de ne pas intervenir. En fin de compte, l'OTAN était dans une impasse.
Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les modalités pour expulser un membre de l'OTAN? Il n'y a pas de politique de défense commune en Europe. En Europe, il est fort difficile d'avoir une politique commune en matière d'affaires étrangères et de sécurité. Quand les États-Unis décident d'intervenir, on parvient à s'entendre. Si par contre les États-Unis ne font pas savoir qu'ils vont intervenir, il est apparemment difficile pour les Européens d'en arriver à une décision.
Je voudrais qu'on me donne une explication plus complète que de dire simplement que l'on procède par consensus ou par unanimité. Je soupçonne que l'on ne donne pas au Luxembourg le même poids qu'à l'Allemagne quand il s'agit de prendre une décision.
M. Paul Meyer, directeur général, Direction générale de la sécurité internationale, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Vous avez raison de signaler la géométrie variable qui a eu lieu dans le passé.
Vous avez évoqué la Bosnie. En fait, au début, les États-Unis n'étaient pas disposés à intervenir sur le terrain en Bosnie, mais d'autres pays de l'OTAN étaient prêts à le faire, notamment le Canada, la France et le Royaume-Uni. À ce moment-là, il y avait évidemment des discussions au sein de l'OTAN, mais on n'arrivait pas à dégager un consensus quant au rôle que l'OTAN devrait jouer à cette étape.
En fin de compte, après ce qui a été perçu comme l'échec de la FORPRONU, Washington a changé d'attitude et s'est montré disposé à intervenir. L'initiative de Dayton a finalement débouché sur une force de l'OTAN dotée d'un mandat de l'ONU. C'était un bon exemple des diverses étapes: au départ, il n'y avait pas consensus et les États membres intervenaient par d'autres moyens et ensuite, ultimement, la situation a été réévaluée et un consensus a émergé selon lequel l'OTAN devait agir.
En tant qu'organisation, l'OTAN n'est pas comme le Fonds monétaire international, où les votes sont pondérés. Au FMI, les principaux États, qui contribuent davantage, ont un vote qui pèse plus lourd. Le vote pondéré n'existe pas à l'OTAN. Chaque État, théoriquement, est égal. Toutefois, politiquement, on reconnaît clairement que l'opposition des États-Unis à une mesure donnée pèse beaucoup plus lourd dans les décisions du conseil que l'opposition du Luxembourg. Chaque État est conscient de sa contribution relative à l'effort politique et militaire global de l'alliance et se conduit en conséquence.
J'insiste sur le fait que ces États travaillent ensemble comme alliés depuis un demi-siècle, ce qui a débouché sur un degré remarquable de collégialité. L'OTAN s'est attaquée à des problèmes épineux. Le taux de succès est remarquable et les pays ont fait les compromis nécessaires en termes de préférence nationale pour obtenir un résultat commun que tous peuvent appuyer. Est-ce que cette réponse aide à préciser le processus?
Le sénateur Bolduc: Oui. Si je comprends bien, vous dites que les pays discutent de la question et finissent par prendre une décision. Je comprends bien que tout le monde était d'accord pour que la Hongrie devienne membre et la Hongrie est donc devenue membre. Toutefois, si la Turquie ou un autre État décide d'agresser un pays voisin non membre de l'OTAN et que l'OTAN décide de ne pas intervenir, va-t-on expulser ce pays? Dans l'affirmative, le vote nécessaire pour expulser le pays doit-il être unanime, ou bien faut-il une majorité des deux tiers?
M. Meyer: Le traité de Washington ne comporte aucune disposition permettant d'expulser un pays de l'alliance, bien que chaque pays membre ait le droit de se retirer du traité et de l'organisation. C'est ce qui se passerait si un État estimait, pour une raison quelconque, qu'il ne peut plus se conformer aux principes et aux objectifs de l'OTAN.
Pour ce qui est d'une menace perçue par un pays membre, ce pays a toujours le droit de consulter ses alliés. En cas d'attaque proprement dite, les obligations de défense collective entrent en jeu.
Le sénateur Bolduc: J'ai l'impression que les États-Unis ont créé un intérêt à participer à l'OTAN pour bénéficier de son complexe militaire et profiter de la présence des grandes entreprises américaines en Europe. D'une part, le Canada n'a aucune grande entreprise dans cette région. D'autre part, il est moins probable que nous participions à beaucoup d'interventions en Europe à cause de la complexité de questions comme l'ethnicité.
Nous avons participé à 25 de ces interventions et nous avons notamment passé 25 ans à Chypre. Plus nous l'avons fait, plus la situation du Canada s'est dégradée au chapitre du commerce international. Nous allons là-bas et nous faisons tout cela, mais nous ne recevons rien en retour en matière de commerce ou de contrats. Je sais que la sécurité et les affaires sont deux choses distinctes, mais il n'en reste pas moins que nous donnons constamment et que nous ne recevons jamais rien en retour.
M. Meyer: Je soutiens que nous recevons beaucoup en retour, sous forme d'un environnement stable dans le domaine de la sécurité internationale. Nous sommes un pays commerçant. Environ 40 p. 100 ou plus de notre PIB vient du commerce et cela dépend manifestement de l'existence d'un environnement où la sécurité est relativement assurée.
Je pense que nous tirons des avantages sur le plan purement commercial du maintien de cet environnement stable. Je soutiens également que nous avons été obligés de faire la guerre en Europe à deux reprises parce que nous avions justement négligé la situation qui se dégradait là-bas. L'OTAN a eu énormément de succès pour ce qui est de maintenir la paix en Europe et de nous empêcher d'avoir à y retourner.
Le président: J'ai une question supplémentaire qui fait suite à la première question du sénateur Bolduc. Vous avez dit au sénateur Bolduc qu'il n'existe pas de procédure expresse pour expulser un pays de l'OTAN de l'organisation, mais certains pays de l'OTAN ont des minorités ethniques. Hier, le sénateur Bolduc a mentionné la Turquie. J'ignore où en est le problème basque en Espagne, mais nous savons en tout cas que la situation en Irlande du Nord n'est pas aussi bonne que nous l'espérions. A-t-on réfléchi à la façon dont on s'y prendrait éventuellement pour maintenir la paix à l'intérieur des pays de l'OTAN?
M. Meyer: L'OTAN n'est pas une organisation qui se penche sur le sort des minorités à l'intérieur des frontières des États membres. En cas de problème pour ce qui est du traitement des minorités dans un État membre, d'autres institutions sont mandatées pour s'en occuper, par exemple la Cour européenne des droits de l'homme et la Commission des droits de l'homme de l'ONU. Il y a aussi le Haut-commissaire aux minorités nationales de l'OSCE, en plus d'autres organismes qui peuvent se pencher sur le mauvais traitement des minorités dans un État membre. L'OTAN comme telle ne le fait pas.
Pour ce qui est des interventions de paix, je songe à l'appui de certains États membres à l'intervention en Irlande du Nord. Nous avons un très éminent général à la retraite, John de Chastelain, ex-chef d'état-major de la défense, qui a contribué au processus de paix là-bas. Toutefois, ce processus n'a pas exigé l'envoi de contingents d'autres États.
Le président: Vous dites que, dans la mesure où l'intervention en Yougoslavie et au Kosovo est une opération de maintien de la paix ou de pacification, c'est très bien, mais que nous ne nous engagerions pas dans une opération de ce genre dans un pays de l'OTAN. Par conséquent, j'en conclus -- et je vous demande de me reprendre si je me trompe -- que l'OTAN est essentiellement une organisation de sécurité plutôt qu'une organisation vouée au maintien de la paix.
M. Meyer: Oui, pourvu que le mot sécurité soit pris dans le sens le plus large et non pas simplement sur le plan militaire. Dans un sens militaire étendu, oui.
Le sénateur Robertson: Je voudrais revenir à la question du consensus dont le sénateur Bolduc a parlé hier. J'ai lu la réponse que vous avez donnée hier au président et je la trouve embrouillée. Je vous demanderais de la préciser.
Le président vous posait une question sur les missions qui ne mettent pas en cause les opérations prévues à l'article 5. Comment l'OTAN prend-elle sa décision? Il a demandé s'il faut un vote unanime, ou plutôt un consensus assez lâche. Je ne suis pas trop sûr de savoir ce que l'on entend par un consensus «lâche». Jusqu'à quel point peut-il être lâche? C'est une autre question. Vous avez dit que, peu importe qu'il s'agisse d'une petite opération ou d'une activité d'envergure, comme celle du Kosovo, il ne peut y avoir aucune dissidence de la part d'un État.
M. Meyer: Oui. C'est littéralement vrai. Si un État s'oppose à l'opération, elle n'aura pas lieu.
Le sénateur Robertson: Comment va-t-on trancher la question? Je dois utiliser l'exemple du Kosovo. Si les bombardements échouent et que l'on n'arrive pas à s'entendre sur une autre stratégie militaire quelconque, que fait-on? On ne peut pas bombarder indéfiniment, pas plus qu'on ne peut s'en laver les mains. Comment va-t-on prendre une décision? Va-t-on réclamer l'intervention des Nations Unies? Comment cela se passe-t-il?
M. Meyer: Le processus décisionnel demeure le même, c'est-à-dire le consensus. Si l'on doit à un moment donné réévaluer la stratégie politique et militaire, cela se fera au conseil de l'alliance. S'il y a consensus pour modifier cette stratégie, la stratégie sera alors modifiée.
Le sénateur Robertson: Et s'il n'y a pas consensus, rien ne se passe; c'est bien cela?
M. Meyer: La question est à l'étude. Il faudra une décision prise par consensus pour passer à autre chose.
Le sénateur Robertson: Je comprends.
M. Meyer: Je ne veux pas donner l'impression que tout ce processus est rigide. Il est évident qu'il faut du temps pour élaborer une vision commune quant à la façon de procéder et il faudra ensuite du temps pour modifier cette vision. C'est une organisation dynamique qui réagit à son environnement et en fonction des circonstances.
Le sénateur Robertson: Trouvez-vous que, dans le cadre de ce processus consensuel, les États les plus petits ou les moins peuplés se sentent intimidés devant la force des trois ou quatre principaux États? Ces petits États adhèrent-ils au consensus pour cause d'intimidation?
M. Meyer: Non. Je ne le crois pas. Je pourrais donner des exemples de dossiers où un petit État estimait que son intérêt national était en jeu et a empêché l'OTAN d'aller de l'avant ou a fait connaître ses objections. Il est arrivé que des pays -- même de petits pays -- défendent fermement un point qu'ils jugeaient important.
Cela dit, je fais remarquer qu'il existe une base commune de valeurs et d'intérêts partagés et, à un degré beaucoup plus poussé que dans n'importe quelle autre organisation internationale, il y a volonté de faire les compromis nécessaires pour dégager une approche commune.
Le contre-amiral Bruce MacLean, directeur général, Politique de la sécurité internationale, ministère de la Défense nationale: Je voudrais commenter cette question du point de vue militaire.
De votre point de vue, vous avez une situation intéressante dans le contexte du Kosovo. D'une part, quelles sont les conditions du succès sur les plans diplomatique et militaire, et comment obtenir ce succès? D'autre part, vous êtes en présence de 19 États dont les représentants sont assis autour d'une table et chacun a son propre point de vue sur la question. Il faut se mettre d'accord et dégager un consensus. Par conséquent, dans ce contexte, dans quelle mesure l'institution et sa survie sont-elles importantes, en comparaison du succès de l'entreprise? Il est évident que l'on veut que l'institution s'en sorte brillamment, mais en même temps, on tient à atteindre le succès, mais ce n'est pas toujours facile. C'est une situation intéressante, mais le défi est de taille.
L'OTAN existe depuis 50 ans et c'est une organisation qui connaît beaucoup de succès. L'équilibre entre les petits et les grands pays a été intéressant. Comme M. Meyer l'a dit, il arrive parfois que les petits pays peuvent présenter une perspective qui diffère de celle des grands pays. Une solution différente est appliquée en conséquence des discussions qui ont lieu au Conseil de l'Atlantique Nord.
Ces 19 pays devaient choisir entre faire partie du groupe ou rester en marge. Si l'on examine l'histoire de l'Europe, on constate que la plus grande partie de l'Europe occidentale fait maintenant partie d'un groupe. C'est un élément positif. Beaucoup de pays ont été mutuellement hostiles pendant 300 ou 400 ans, et ils ont aujourd'hui des valeurs et une optique communes. Nous avons maintenant l'Union européenne. Beaucoup de ces institutions ont été bâties depuis la création de l'OTAN et je ne suis pas certain que ce soit une coïncidence. En un sens, l'OTAN a été un pilier de la construction de l'Europe.
Ce n'est pas facile. Ce n'est pas une solution parfaite. C'est une organisation qui doit constamment relever des défis et résoudre des problèmes. Toutefois, confrontée à la dure réalité, c'est une organisation qui fonctionne généralement efficacement.
Le sénateur Stollery: Ma question porte sur les discussions d'hier au sujet de l'approbation parlementaire des crédits pour la mission du Kosovo.
Comme nous le savons tous, dans le régime parlementaire de notre pays, c'est la Couronne qui est le chef de l'État et qui fait la guerre. La tâche du Parlement est de donner l'argent nécessaire et de poser des questions sur la façon dont cet argent est dépensé. Dans le cas de la mission dans le Golfe persique, le gouvernement a demandé au Parlement d'adopter des crédits supplémentaires, qui venaient s'ajouter à tout montant qui avait déjà été fourni.
Est-ce que la loi de crédit no 1 de 1999-2000 comprend des sommes qui servent à payer des activités du ministère de la Défense nationale qui sont directement liées à la mission en Yougoslavie-Kosovo? Cette loi comporte-t-elle d'autres dispositions visant à octroyer au gouvernement de l'argent servant à payer des activités directement liées à cette mission? Où, dans le Budget des dépenses, les sénateurs trouveraient-ils ces crédits?
Je pose cette question parce que la question a été abordée hier à propos du droit du Parlement de scruter tout cela. D'après ce que je comprends de notre système de gouvernement, cela se fait quand nous étudions le Budget des dépenses et, en particulier, le Budget des dépenses de la Défense nationale.
Pouvez-vous éclairer notre lanterne là-dessus?
Cam MacLean: Je vais essayer. Vous avez absolument raison. Tout ce que vous avez dit est juste.
Il est certain que les crédits annuels accordés par le Parlement à la Défense nationale comprennent des fonds que le MDN et les FC utilisent pour payer toutes les opérations et missions que nous prévoyons entreprendre dans le cours d'une année.
Le président: Que veut dire «FC»?
Cam MacLean: Je m'excuse, je veux dire les Forces canadiennes.
Le président: Je croyais que cela voulait dire «fonds de contingence». Il est important de le préciser.
Cam MacLean: Il n'y a aucun poste de dépense particulier dans le Budget principal des dépenses de 1999-2000 qui vise spécifiquement le Kosovo. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas d'argent en ce moment précis, parce que nous avons des sommes que nous pouvons consacrer globalement à nos activités. Toutefois, la marge de manoeuvre n'est pas grande et nous avons un certain nombre d'opérations en cours partout dans le monde en ce moment. Il est évident que si cela continue, il faudra s'adresser de nouveau au Parlement et lui demander d'accorder des fonds supplémentaires au moyen d'un budget des dépenses supplémentaire.
Le sénateur Stollery: Monsieur le président, je sais que cette question vous intéresse. Les questions qui se posent sont évidentes. Où est l'argent? Il faut présenter au Parlement un Budget des dépenses dans lequel le gouvernement doit répondre aux questions que l'on se pose sur la mission. Je ne vous pointe pas du doigt, mais on n'a pas vraiment répondu à ces questions.
J'ai posé hier des questions sur la légalité et je ne répéterai pas ce que j'ai dit alors. Cette légalité est-elle fondée sur un traité ou un accord quelconque? Si je ne peux pas vérifier ce point, quelles en sont les conséquences pour le Parlement s'il approuve un budget pour quelque chose qui n'est pas juridiquement fondé?
Je comprends bien que nous sommes ici pour examiner la question de l'OTAN. Je pense toutefois qu'il serait irréaliste, compte tenu de l'atmosphère actuelle et de toutes les questions qui se posent au sujet de l'opération au Kosovo, que nous ne soulevions pas certaines de ces questions.
Cam MacLean: Il est important de noter que les crédits annuels qui nous sont octroyés servent à défrayer les activités des FC, mais pas nécessairement la totalité d'entre elles. Nous ne pouvons pas prédire ce dont on aura besoin tout au long d'une année, mais les crédits servent à payer nos activités, qui peuvent inclure des éléments comme le Kosovo.
Un problème surgit si les fonds sont insuffisants pour financer une opération donnée. Dans ce cas, il faut demander des fonds supplémentaires au Parlement.
Le président: Je veux être certain d'avoir bien compris votre réponse. Avez-vous dit que le Parlement a déjà affecté un montant suffisant pour défrayer une certaine partie de l'opération en Yougoslavie-Kosovo, même si cela ne fait pas l'objet d'un vote distinct dans le Budget des dépenses?
Cam MacLean: C'est exact.
Le président: De l'argent a déjà été affecté et l'on suppose que d'autres fonds seront octroyés dans la deuxième loi de crédits, mais il est bien possible que l'on doive ajouter des fonds dans un budget supplémentaire et une autre loi de crédits, peut-être à l'automne?
Cam MacLean: C'est possible, oui.
Le sénateur Grafstein: J'ai une observation supplémentaire à faire là-dessus. Elle devrait plutôt être adressée à des témoins politiques, mais les témoins d'aujourd'hui peuvent transmettre mes commentaires à leur ministre.
La question soulevée par le président et le sénateur Stollery est importante. Si l'on examine les attributions du Parlement en ce qui a trait à la guerre ou à une action belligérante, une intervention militaire musclée, il est clair que c'est la prérogative de l'exécutif. C'est incontesté.
Le sénateur Stollery: De la Couronne.
Le sénateur Grafstein: Oui. Personne ne conteste cela. C'est un principe établi de longue date et notre système ne ressemble pas à celui des Américains, dont la constitution exige de passer par le Congrès. C'est la différence entre notre système et le leur.
Mais d'après mon interprétation, le Parlement oblige l'exécutif à rendre des comptes au sujet de cette importante prérogative en tenant les cordons de la bourse et en octroyant les crédits.
L'exécutif peut-il affecter, à même le budget d'ensemble, des crédits spécifiquement consacrés à une intervention militaire sans avoir mis de côté à l'avance une somme estimative, afin que le Parlement puisse assumer sa responsabilité constitutionnelle relativement à la dépense des deniers publics?
Le président: Votre question fait directement suite à celles qui ont déjà été posées, mais je ne pense pas que nous devrions la poser à ces témoins.
Le sénateur Grafstein: Je m'en rends compte, mais il importe de la poser afin qu'elle soit consignée. Peut-être que cela donnera aux ministres l'occasion de revenir pour y répondre.
Le président: Nous avons pris des dispositions pour entendre des avocats constitutionnalistes qui traiteront précisément de ces problèmes.
Le sénateur Andreychuk: Quand on a changé le mandat de l'OTAN, nous sortions tout juste de la confrontation Est-Ouest. Si je me rappelle bien, nous assistions également à une transformation politique et économique en Europe dans le cadre de l'Union européenne, en particulier dans la foulée du traité de Maastricht. Il était alors beaucoup question que l'Europe mette sur pied et commande ses propres forces de défense en s'appuyant sur le quatrième pilier, l'UEO.
Quels rôles, le cas échéant, l'UEO et le pilier de la sécurité européenne jouent-ils au Kosovo? Quels sont les liens entre l'OTAN et cette soi-disant structure européenne de défense?
M. Meyer: En bref, la réponse est que l'UEO n'est pas partie prenante dans l'opération de l'OTAN. Seule l'OTAN agit dans cette situation. Bien sûr, tous les États membres de l'UEO sont également membres de l'OTAN.
Il y a eu beaucoup de discussions sur la question générale à laquelle vous faites allusion, soit la création de ce que l'on appelle parfois une identité européenne de sécurité et de défense (IESD). Cela demeure une question d'actualité. Des répercussions découlent du traité de Maastricht et encore plus du traité d'Amsterdam, qui vient tout juste d'entrer en vigueur ce mois-ci.
Les dirigeants français et britanniques ont avancé récemment que le temps était venu d'aller plus loin, mais la regrettable réalité est que l'on ne discerne pas exactement quel serait l'aboutissement d'une telle démarche. On a laissé entendre que l'UEO pourrait se fondre dans l'Union européenne. Au lieu d'avoir un arrangement trilatéral, l'UE s'occupant principalement des affaires politiques et économiques, l'UEO de la défense et l'OTAN du domaine transatlantique, à la fois politique et militaire, il y aurait désormais un arrangement à deux branches. L'UE conserverait certaines attributions et collaborerait avec l'OTAN quand la décision serait prise de recourir à l'OTAN dans une situation donnée.
S'il n'y avait pas consensus -- pour revenir à ce terme -- sur une intervention de l'OTAN, alors on pourrait prendre d'autres arrangements de manière à permettre aux alliés européens ou, dans certains cas, même au Canada de faire une intervention. Ce ne serait pas une opération de l'OTAN, mais elle pourrait bénéficier de certaines ressources de l'OTAN qui seraient mises à la disposition d'une opération européenne.
C'est un schéma approximatif. La situation est changeante. À son sommet de Washington, l'OTAN a appuyé en principe cette initiative d'IESD, mais c'est également un dossier que l'Union européenne examinera de manière plus approfondie à son prochain sommet en juin.
Le sénateur Andreychuk: Une chose me trouble: nous semblons nous en remettre aux Européens pour en décider, alors que, souvent, le résultat a des incidences sur nous et assurément sur l'OTAN. Ne devrions-nous pas en tenir compte dans nos futures analyses politiques?
En Bosnie et pendant la première vague d'expansion européenne, ce sont les Européens qui ont dit qu'ils s'occuperaient du problème en premier, pour dire les choses crûment. Quand cela n'a pas fonctionné, ils ont demandé pourquoi les Américains n'intervenaient pas et enfin, l'OTAN a été amenée à intervenir. Nous devons décider où nous nous situons dans le processus, plutôt que d'attendre et de voir comment la situation évolue en Europe, après quoi nous devons rajuster notre position et nos engagements en fonction des priorités des Européens.
M. Meyer: Je suis entièrement d'accord avec vous. Nous ne devons pas être des spectateurs passifs. Nous avons fait savoir au cours de consultations et dans le cadre d'un dialogue diplomatique avec nos partenaires européens que certains éléments demeurent importants du point de vue canadien. Nous voulons avoir l'assurance que la mise en place de l'IESD ne se fera pas aux dépens de la solidarité et d'un rôle important et continu de l'OTAN.
Par exemple, nous voulons que l'OTAN puisse exercer ce que j'appellerais un droit de premier refus relativement à toute opération envisagée à l'avenir. Si l'OTAN y souscrit, cela demeure une opération de l'OTAN. Une opération purement européenne serait possible seulement si l'OTAN décidait, pour quelque raison que ce soit, de ne pas s'en mêler.
Nous nous sommes aussi prononcés fermement contre la mise en place d'un caucus de l'UE au sein de l'OTAN. C'est un phénomène qui se produit dans beaucoup d'autres organisations internationales. Les membres de l'UE se réunissent entre eux et présentent souvent aux autres une position préétablie avec une attitude qui équivaut à dire: «c'est à prendre ou à laisser». Ils peuvent dire par exemple que les négociations ont été tellement longues et ardues que nous devons comprendre qu'il ne faut pas revenir là-dessus.
Ce problème a surgi ailleurs et nous avons insisté pour dire que nous ne voulons pas le voir émerger au sein de l'OTAN. Nos partenaires européens nous ont donné l'assurance qu'ils n'ont pas l'intention de s'engager dans cette voie. Nous avons des intérêts à défendre et nous les avons fait connaître.
Le président: N'est-ce pas un fait que la plupart des avions et des missiles utilisés en Yougoslavie sont américains? Pourquoi les pays européens membres de l'OTAN n'ont-ils pas contribué davantage? Je mets de côté le Royaume-Uni. Le premier ministre de ce pays s'est prononcé sans détour au sujet de l'envoi de fantassins.
Est-ce à dire que les Européens, qui deviennent de plus en plus riches dans certains pays, comptent surtout sur les contribuables nord-américains pour assurer leur défense?
Cam MacLean: Je vais répondre à cette question d'un point de vue strictement militaire. Les Américains dépensent plus de quatre milliards de dollars canadiens pour la défense dans le cadre de l'OTAN. La quote-part totale des 18 autres pays de l'OTAN n'est pas égale à celle des États-Unis. Dans le cas de la Yougoslavie, il est inconcevable de monter une opération pareille sans que les États-Unis jouent un rôle primordial.
J'en reviens à la question de sénateur Andreychuk au sujet de l'UEO et de l'IESD. M. Meyer a fait remarquer que nous ne voulons pas créer une institution à l'intérieur d'une autre institution, c'est-à-dire une UEO au sein de l'OTAN. Ces organismes jouent toutefois un rôle important, en particulier dans le contexte de la capacité accrue des Européens de prendre de telles initiatives.
Un autre élément qui ressort du sommet de Washington, c'est l'initiative en ce qui a trait à la capacité de défense. C'était probablement le seul véritable dossier militaire qui constituait, autant qu'autre chose, une tentative de changer l'orientation de l'OTAN pour passer d'un régime de défense collective à une organisation beaucoup plus souple.
Du point de vue militaire, cela veut dire qu'il faut compter sur des forces qui sont plus mobiles et plus faciles à déployer. Dans le contexte de l'article 5, le soldat défend le Rhin et les autres soldats viennent de l'Est; c'est un scénario assez fixe.
Pour les opérations de paix, c'est exactement le contraire. C'est un défi beaucoup plus difficile, à certains égards, parce qu'on ne sait pas exactement où l'intervention aura lieu. Il faut déplacer des forces du point A au point B, ce qui pose une question de déployabilité. Il faut parfois maintenir des forces en place pendant de longues périodes. Dans une opération de défense collective, durant les années 70 ou 80, personne n'aurait pu prévoir qu'une opération puisse durer des années. Hier, le sénateur Forrestall a soulevé la question de savoir combien de personnes sont nécessaires pour appuyer un groupe en particulier. Il y a une question de durabilité.
Il est absolument fondamental d'avoir un élément d'interopérabilité. Les Américains sont tellement avancés sur le plan de leurs exploits techniques qu'il est difficile de ne pas se laisser distancer par eux. En même temps, les Américains ont besoin de leurs alliés à leurs côtés et s'ils sont trop avancés, la communication est coupée. Les Européens en sont conscients. Leur capacité collective doit être plus grande qu'elle ne l'a été dans le passé.
Tout cela pris ensemble donne à penser qu'à l'avenir, les Européens devront pouvoir en faire plus qu'aujourd'hui collectivement, dans le sens européen.
Le sénateur Andreychuk: Cela soulève la question de savoir si, à mesure qu'ils deviennent plus forts, l'OTAN s'affaiblira ou devrait s'affaiblir et réduire son rôle. Je vais toutefois laisser cette question de côté et nous y reviendrons dans le cadre d'une autre discussion avec un autre groupe.
Auparavant, les soldats étaient entraînés pour faire la guerre. Ensuite, nous avons mis au point des activités de maintien de la paix et les soldats ont été entraînés en fonction de la paix, mais d'une paix relativement calme. Prenons l'exemple de Chypre, où les Grecs et les Turcs se font vis-à-vis dans un secteur que nous avons patrouillé pendant plus de 25 ans. L'objectif de la mission de maintien de la paix était de défendre deux groupes connus, de créer des relations amicales avec les deux et de demeurer neutre. Ces concepts étaient bien compris par les soldats et par le public.
La Somalie a été la première épreuve. Cela m'a troublée parce que j'ai servi là-bas pendant près de quatre ans. L'ennemi n'était pas vraiment connu. Nous pensions qu'ils étaient tous nos amis mais nous avons appris par la suite que certains groupes avaient d'autres activités.
Nous avons alors mis au point un entraînement pour les officiers et les soldats des forces terrestres, pour leur apprendre à fonctionner dans un cadre civil. Je commençais à comprendre ce processus. Nous avons maintenant la situation du Kosovo, où je suppose que l'on peut dire que nous sommes en guerre, mais des civils sont en cause. Pouvez-vous me donner l'assurance que, quand nous envoyons des soldats intervenir dans une telle situation inhabituelle, ceux-ci sont bien entraînés et comprennent bien la situation?
Nos concepts politiques de paix et de sécurité changent tellement rapidement que c'est à mon avis très difficile pour les soldats qui sont sur le terrain dans chacune de ces situations de comprendre exactement ce que l'on attend d'eux. Je m'inquiète beaucoup de savoir s'ils sont bien entraînés, s'ils ont le bon matériel et s'ils ont la bonne attitude avant d'être envoyés dans de telles situations. Je crois que les situations de ce genre deviendront de plus en plus nombreuses.
Dans quelle mesure sommes-nous bien équipés pour affronter ce changement radical et ces situations où la paix, la sécurité, les attaques et la guerre coexistent au même endroit?
Cam MacLean: Vous avez posé une question que nous devrions nous poser constamment. Je ne peux pas vous donner la réponse. Je peux seulement vous dire que c'est un processus évolutif. À bien des égards, ce n'est pas tant l'équipement qui fait problème que l'entraînement et les personnes que nous exposons au danger.
Je crois que nous avons sensiblement amélioré nos arrangements de commandement et de contrôle ainsi que notre compréhension des règles d'engagement et de leur application dans diverses situations. Nous avons approfondi notre compréhension des limites du maintien de la paix, débouchant sur des opérations de soutien de la paix et, éventuellement, sur des combats et sur la guerre. Nous nous rendons maintenant compte que le continuum des opérations de maintien et de soutien de la paix est beaucoup plus large qu'on ne l'imaginait dans les années 70 et 80. Nous avons dû assouplir beaucoup nos opérations et nos exigences à l'égard de nos effectifs militaires. C'est une tâche beaucoup plus complexe et difficile que ce ne l'était dans les années 60, 70 et 80.
C'est une bonne chose que le monde bipolaire ait changé, en dépit des difficultés régionales et du fait que la possibilité de crise est beaucoup plus grande qu'elle ne l'était au cours de cette période. Cela exige beaucoup de nos effectifs.
C'est l'aspect humain qui doit occuper la première place dans notre esprit alors que nous abordons le prochain siècle. Le matériel est très important, mais il faut accorder la primauté à la personne. On peut faire beaucoup si l'on a une bonne équipe, mais si l'équipe est mauvaise, même avec du bon matériel, on n'ira pas loin.
Comme je l'ai dit hier, en dépit des compressions que nous avons subies, sur le plan du matériel, nous sommes mieux équipés aujourd'hui que nous ne l'étions il y a dix ans. C'est un élément important. Cela ne veut pas dire que nous sommes entièrement satisfaits et nous devons toujours nous efforcer d'améliorer la situation.
Le sénateur Andreychuk: Dans quelle mesure pouvons-nous, dans le cadre du système canadien, conserver notre autorité au sein de l'OTAN? Nous devons souvent renoncer au commandement en faveur de l'un de nos alliés. Pourtant, nous avons des troupes sur le terrain. Aux termes du mandat modifié, avons-nous le loisir de refuser parce que les troupes ne sont pas bien entraînées?
Cam MacLean: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Autrement dit, bien que nous ayons adhéré au consensus, si le mandat est modifié par l'OTAN, pouvons-nous refuser d'envoyer des soldats sur le terrain si nous ne sommes pas absolument certains qu'ils sont suffisamment bien entraînés pour faire face à la situation?
Cam MacLean: Il nous incombe, par l'entremise du chef d'état-major de la défense, de conseiller le gouvernement de manière à faire en sorte que nos effectifs soient envoyés sur le terrain dans le rôle qui leur convient.
Dans le cas du Golfe, par exemple, la Marine avait un navire de soutien logistique doté d'un équipage très compétent ainsi que deux destroyers et nous n'avons pas positionné ces ressources tout à l'avant du front. Nous avons envoyé là-bas des destroyers plutôt anciens et ils ne pouvaient tout simplement pas être aux avant-postes dans le Golfe.
Nous nous sommes toutefois rendus très utiles en fournissant un appui et une capacité logistique pour l'ensemble des forces engagées. En fait, à part les Américains, les Canadiens avaient en la personne du capitaine Miller le seul commandant d'une force d'intervention.
Quand on envoie des soldats sur le terrain, il faut choisir le rôle qui convient en fonction de la capacité dont on dispose. Il faut faire très attention de ne pas leur confier le mauvais rôle et il incombe au chef d'état-major de la défense de veiller à ce que cela ne se produise pas.
Au Canada, peu importe quels sont les arrangements de commandement et de contrôle, nous avons la possibilité de veiller à ce que nos soldats se voient confier la bonne mission. Si nous n'aimons pas la mission qu'on leur confie, nous disons «non», et cela arrive effectivement.
Le sénateur Andreychuk: Dans le cas de l'intervention de l'ONU au Rwanda, pourquoi avons-nous dit que l'ONU n'était pas bien équipée pour cette situation alors que nous avions déjà des gens sur le terrain?
Cam MacLean: Je ne peux pas répondre à cette question précise.
M. Meyer: En fin de compte, nous avons retiré notre contingent de la mission de maintien de la paix de l'ONU quand le Conseil de sécurité a autorisé un niveau d'effectifs qui était inférieur à ce que nous estimions nécessaire pour accomplir la tâche. C'était en 1995. Nous avons dit explicitement à ce moment-là: «Nous refusons de continuer parce que vous nous avez donné un mandat mais pas les ressources nécessaires pour le mener à bien». Cela n'a pas beaucoup attiré l'attention à l'époque, mais c'était un message important parce que nous avions fait face à ce problème au Conseil de sécurité de l'ONU.
[Français]
Le sénateur Losier-Cool: Ma question porte sur l'importance de bien connaître le rôle assigné aux troupes de maintien de la paix. Chaque guerre a ses histoires de viol étant donné que cela représente un des aspects du pouvoir. Cette guerre n'est pas différente. Présentement des femmes musulmanes en sont victimes. De quelle façon peut-on préparer les troupes de sorte qu'elles puissent prévenir ces crimes ou aider les femmes qui en ont déjà subi les traumatismes? Quand on parle de la guerre, on parle principalement de la présence d'hommes sur le terrain.
M. Meyer: Mentionnons la collaboration entre les forces militaires de maintien de la paix et les autres agences spécialisées des Nations Unies de même que les organisations non gouvernementales qui s'occupent du bien-être des femmes et des enfants qui sont souvent les premières victimes de la guerre.
Dans l'entraînement des soldats des Forces canadiennes pour les missions de maintien de la paix, on a introduit, grâce à notre centre d'entraînement Pearson, des cours spécifiques sur les aspects féminins dans des situations de conflit ou de maintien de la paix afin de les sensibiliser à cet aspect du problème.
Le sénateur Losier-Cool: Il est important qu'une formation adéquate soit acquise avant le départ des soldats ou des agents de la paix.
[Traduction]
Cam MacLean: Aujourd'hui, quand on entreprend une mission de maintien de la paix, un grand nombre d'organismes sont en cause. Souvent, comme dans le cas du Kosovo, il faut faire beaucoup d'efforts pour rebâtir et remettre en marche les institutions. Ce ne sont pas seulement les militaires qui sont en cause, mais aussi la police, le système judiciaire, la loi elle-même, et les travailleurs de l'aide humanitaire. Il faut rassembler une foule de personnes différentes. Les militaires doivent donc bien comprendre comment fonctionnent toutes ces autres organisations. C'est un élément important de ce que nous enseignons maintenant à nos effectifs.
De nos jours, le maintien de la paix est devenu beaucoup plus complexe. Il ne s'agit pas seulement d'aller s'interposer entre deux parties. C'est une tâche beaucoup plus difficile.
Le sénateur Kenny: J'ai été frappé par la réponse de l'amiral, quand il a dit que sur le plan de l'équipement -- et je crois bien le citer textuellement -- vous êtes aujourd'hui mieux équipés qu'il y a dix ans. Vous avez dit aussi que ce sont les effectifs qui sont la clé et que si vous n'avez pas les bons effectifs, vous avez un problème. Je suis d'accord avec vous, mais mettons cela de côté pour l'instant et parlons d'équipement.
Il y a ici autour de la table des gens qui s'inquiètent depuis longtemps au sujet de votre équipement. Êtes-vous en train de nous dire de ne pas nous en faire, que vous n'avez pas de problème? Pouvez-vous établir à l'intention du comité une comparaison des crédits qui vous sont octroyés dans le Budget des dépenses de 1999-2000, en comparaison de 1989-1990?
Cam MacLean: Sénateur, je suis content que vous ayez soulevé ce point, parce que je ne voudrais pas vous donner l'impression que nous n'avons pas à nous en faire. J'ai bien précisé que nous devons toujours chercher à améliorer les choses. Nous devons réinvestir constamment dans l'équipement.
Pour vous donner une idée, à bien des égards, nous sommes semblables à un organisme de R-D. Je veux dire par là que nous devons investir pour l'avenir. Nous investissons dans nos effectifs. Nous devons maintenir un niveau suffisant d'entraînement. Nous devons aussi réinvestir dans nos immobilisations, et c'est ce dont nous parlons ici.
En pourcentage de notre budget global, au milieu des années 80, nous avons atteint une pointe d'environ 26 p. 100 de notre budget. Aujourd'hui, c'est autour de 15 ou 16 p. 100.
Le sénateur Kenny: Quel était le budget total pour chaque année?
Cam MacLean: Le budget de 1989, par exemple, était d'environ 12 milliards de dollars. Aujourd'hui, je crois qu'il est de l'ordre de 10 milliards de dollars.
Il est indéniable que nous devons faire les choses différemment. En même temps, nous avons réduit les effectifs de nos forces régulières de 89 000 à 60 000. Nous avons aussi fait d'autres compressions afin de préserver dans la mesure du possible l'investissement en capital que nous devons conserver pour l'avenir.
Nous avons eu du succès dans certains programmes importants. Dans l'ensemble, la Marine a été complètement revitalisée depuis une dizaine d'années quand elle a été dotée de navires neufs et de sous-marins usagés, mais très efficaces. Il manque encore un élément important, soit le programme d'hélicoptères maritimes. Il y a aussi un besoin important, mais peut-être moins urgent, du côté de l'avion de patrouille maritime. C'est un exemple.
Nous avons aujourd'hui une marine qui est bien meilleure que celle que nous avions il y a dix ans. Il y a toujours de bonnes nouvelles tout comme il y a toujours des points à améliorer.
Qu'en est-il de l'avenir? Dans l'optique de l'avenir, nous avons un certain nombre de piliers pour ce qui est de nos programmes, et nous les avons expliqués hier.
Nous devons continuer de faire des efforts pour atteindre nos objectifs de réinvestissement dans un certain nombre de domaines. Les hélicoptères maritimes, la modernisation de l'Aurora, et les communications militaires par satellite sont trois exemples d'investissements que nous devons consentir. Toutefois, dans l'ensemble, je crois que nous nous en sommes assez bien tirés, compte tenu des éléments que nous avons dû remplacer durant les années 90.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai lu la documentation que vous nous avez laissée hier et je veux revenir à cette expression «non visé par l'article 5», dont le sénateur Stollery a parlé hier avec beaucoup d'éloquence et de franchise. Je voudrais avoir une meilleure idée de l'interprétation qu'on en donne exactement. Franchement, je suis fort troublé par la nature de l'opération menée actuellement au Kosovo. Je ne dirai pas que c'est un désastre, comme le sénateur Stollery l'a affirmé hier, mais dans mon esprit, ce n'est certainement pas un grand succès -- du moins jusqu'à maintenant.
Je suis encore plus troublé par la présence de l'OTAN dans cette opération. En lisant vos notes, j'ai essayé de trouver une façon de justifier cette mission en droit. Je comprends que, conformément à sa politique de maintien de la paix, de prévention des guerres et de l'amélioration de la sécurité et de la stabilité, l'OTAN cherchera, en collaboration avec d'autres organisations, à prévenir les conflits ou, si une crise survient, à contribuer à la résoudre conformément aux lois internationales.
Or, je n'ai pas encore vu la trace d'une «loi internationale», au sens où la plupart d'entre nous comprenons cette expression, qui pourrait justifier cette opération. J'irai plus loin et je dirai que nous violons l'intégrité territoriale d'un pays indépendant. Quels que soient les nobles objectifs que nous poursuivons, il n'en demeure pas moins que dans mon esprit, nous avons violé le droit international. L'«intégrité territoriale» se trouve à l'article 4 des articles constitutifs de l'OTAN. C'est fondamental dans la Charte des Nations Unies, qui reconnaît les États souverains. Par son intervention, l'OTAN a violé l'intégrité territoriale d'un pays.
Je sais que le président Havel a plaidé avec éloquence la semaine dernière en faveur d'une nouvelle orientation qui nous amènerait au cours du prochain siècle à accorder la priorité aux droits de la personne, qui auraient préséance sur les droits des États. Cette réflexion est peut-être d'une grande noblesse, mais elle ne fait pas encore partie intégrante du droit international que les pays doivent respecter.
Même si l'OTAN est intervenue en Yougoslavie pour une très noble cause -- nous ne contestons pas les motifs de cette ingérence -- je voudrais savoir sur quel fondement légal s'appuie une telle ingérence.
M. Meyer: J'ai exposé hier les motifs de l'intervention de l'OTAN et les raisons pour lesquelles elle est considérée légitime. J'ai fait remarquer que le droit international ne se limite pas à la Charte de l'ONU et que le droit évolue également en fonction de la jurisprudence.
Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, peut difficilement être accusé de ne pas appuyer la Charte de l'ONU et le rôle du Conseil de sécurité. Pourtant, il a également évoqué la norme qui émerge sur la scène internationale et selon laquelle la souveraineté ne peut pas être invoquée en défense par ceux qui se livrent à des violations massives des droits de leurs propres citoyens. Il a dit qu'il ne voudrait pas que la Charte de l'ONU devienne un refuge pour ceux qui comptent se livrer à l'épuration ethnique.
C'est un commentaire éloquent de la part de quelqu'un qui incarne le système onusien. Il n'est pas une simple figure politique qui passe quelques années là-bas, il a fait une brillante carrière de plus de 30 ans comme fonctionnaire international et il occupe maintenant le poste le plus élevé dans cette organisation.
Nous devons avoir une compréhension plus large du droit international. Je suis content que l'OTAN ne soit pas restée sans rien faire quand les droits ont été violés et que nous n'ayons pas simplement accepté que l'on invoque la défense de la souveraineté pour justifier de ne pas réagir face à la pire entreprise d'épuration ethnique que l'Europe ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le sénateur Lynch-Staunton: Tout cela est très éloquent, mais ce n'est pas très rassurant. Il faut en déduire que l'OTAN ou toute autre organisation internationale peut désormais interpréter le droit international en fonction des fins qu'elle souhaite atteindre.
Vous avez évoqué M. Annan. Nous n'avons pas oublié le rôle que M. Annan a joué au Rwanda et je m'abstiendrais donc de le citer pour ce qui est d'intervenir pour empêcher l'épuration ethnique.
Ce que je constate, c'est que s'il se passe quelque chose que nous trouvons désagréable -- par exemple, un crime contre l'humanité -- nous pouvons, par l'entremise de l'OTAN ou d'une autre organisation semblable, intervenir directement. Si tel est le cas, quelles sont les limites et pourquoi n'intervenons-nous pas dans d'autres régions?
Le sénateur Bolduc a mentionné la Turquie et les Kurdes. Le sénateur Stollery a parlé de l'Espagne. Pour ma part, je vais mentionner la Tchétchénie. Il y avait là aussi une question d'intégrité territoriale ainsi qu'une entreprise massive d'épuration ethnique et des crimes contre l'humanité. Il y avait une organisation terroriste. Pourtant, l'OTAN est restée les bras croisés pendant que des milliers de personnes se faisaient déplacer et tuer. Pourquoi intervenir dans une région du monde, mais pas dans une autre?
M. Meyer: Peut-être que vous pourriez, comme l'un des thèmes de votre étude, vous pencher sur les critères qui seraient applicables dans toute intervention des forces de l'ONU.
Je ne peux que réitérer ce que j'ai dit hier, à savoir que cela ne représente nullement la répudiation de l'ONU par l'OTAN. L'OTAN affirme qu'elle continue de soutenir les Nations Unies. Dans le dossier du Kosovo, l'OTAN est intervenue aux Nations Unies et jusqu'au Conseil de sécurité. À ce moment-là, il y avait toutefois une certaine instabilité au Conseil de sécurité et celui-ci répugnait à autoriser les moyens qui étaient considérés nécessaires pour mettre en oeuvre ce que le Conseil de sécurité lui-même avait énoncé comme exigence.
Le sénateur Lynch-Staunton: Mais ma question était plutôt celle-ci: à part les effectifs et l'endroit, quelle différence y a-t-il entre la Tchétchénie et le Kosovo? Qu'est-ce qui a incité l'OTAN à intervenir dans un cas et pas dans l'autre?
M. Meyer: Je pense que d'autres facteurs entrent en jeu. Je ne me souviens pas des faits dans le dossier de la Tchétchénie et il me faudrait étudier les dossiers pour me rappeler dans quelle mesure les Nations Unies ont été impliquées dans la réaction à la situation en Tchétchénie. J'ignore si l'organisme a joué un rôle équivalent en exprimant avec persistance des exigences à la Russie relativement aux gestes posés par ce pays. Cela a beaucoup à voir quand il faut déterminer s'il y a lieu de déclencher une intervention plus poussée.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quelle est la responsabilité géographique de l'OTAN pour ce qui est de garantir la sécurité individuelle? Jusqu'où s'étend sa sphère d'intervention? Elle semble intervenir dans les Balkans. Jusqu'où s'étend cette zone au-delà des Balkans -- vers le Nord, le Sud, l'Est et l'Ouest? Elle n'intervient pas en Tchétchénie, pour une raison quelconque. Elle n'intervient pas en Russie. Interviendrait-elle en Scandinavie?
La sphère d'influence de l'OTAN a-t-elle des limites géographiques?
M. Meyer: Oui, je crois qu'il y a effectivement des limites. On précise dans les documents de base que cette zone est la région euro-atlantique.
Le sénateur Lynch-Staunton: De quoi s'agit-il?
M. Meyer: De l'Amérique du Nord et de l'Europe.
Le sénateur Lynch-Staunton: Cela comprend-il le Québec?
M. Meyer: Je crois que le Québec se trouve en Amérique du Nord, oui.
Le sénateur Lynch-Staunton: La Russie fait partie de l'Europe et elle est donc comprise. Vous avez dit «Euro-Atlantique»?
M. Meyer: Oui.
Le sénateur Lynch-Staunton: Que veut dire «Euro»?
M. Meyer: Cela comprend l'Europe et l'Amérique du Nord. Je répète ce que nous avons dit hier, à savoir que l'OTAN n'essaie pas d'être le «gendarme du monde entier». Elle agit à l'intérieur de sa propre région et il incombe à l'ONU ou à d'autres organisations régionales de réagir aux agressions qui se situent à l'extérieur de la région Euro-Atlantique.
Le sénateur Lynch-Staunton: L'OTAN n'a pas été agressée par le Kosovo. L'OTAN a décidé de jouer un rôle humanitaire pour résoudre le problème au Kosovo, mais l'OTAN n'avait pas été défiée comme telle.
Ma question est celle-ci: jusqu'où l'OTAN estime-t-elle pouvoir aller dans ce genre d'intervention, sur les plans géographique et de l'intensité? Est-ce un cas isolé? Nous sommes actuellement en train de récrire le droit. Nous changeons toutes les règles du jeu. Nous prenons une alliance militaire qui a été constituée à des fins défensives et nous en faisons, sinon l'agresseur, tout au moins l'attaquant.
L'OTAN sait-elle jusqu'où elle ira dans cette direction, ou bien est-elle en train d'improviser?
M. Meyer: Les choses évoluent. Je ne crois pas que quiconque puisse prétendre savoir exactement ce que l'avenir nous réserve. On discerne toutefois une évolution. Comme nous l'avons déjà signalé, il y avait un rôle en Bosnie. Certaines circonstances ont déclenché l'action au Kosovo et des facteurs semblables seraient pris en compte pour déterminer la conduite à suivre dans toute situation future.
Les intérêts et les valeurs exprimés par l'OTAN demeurent valides. Je reconnais avec vous que le droit international n'est pas non plus statique. C'est le fruit d'une évolution. Les diverses actions qui ont déjà été prises dans diverses régions du monde reflètent de nouveaux concepts quant au genre d'intervention qui convient, et je soupçonne que nous verrons encore une évolution en la matière.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous ne pouvez pas vraiment comparer la Bosnie et le Kosovo, parce que la Bosnie résultait d'un accord et que les deux parties étaient convenues que des forces seraient envoyées pour tenter d'établir et de maintenir les modalités de l'accord. Dans le cas qui nous occupe, l'accord a été rejeté, manifestement parce qu'il favorisait une partie par rapport à l'autre. L'OTAN a décidé d'intervenir, au lieu de faire ce qu'il aurait fallu faire, à mon avis, c'est-à-dire continuer de négocier.
Nous devrions nous interroger sur l'orientation future de l'OTAN. Nous savons où elle en est actuellement. J'apprends au fur et à mesure dans cette affaire, mais j'ai l'impression que l'OTAN elle-même n'a pas encore établi exactement jusqu'où elle souhaite aller dans cette opération. Qui sait? Dans cinq ans, l'un des principaux États membres de l'OTAN pourrait dire que nous devrions intervenir ailleurs et, avant de s'en rendre compte, nous nous retrouverons engagés dans une autre opération comme celle-ci.
M. Meyer: C'est pourquoi le principe du consensus est important.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il n'y a pas de consensus. C'est le colosse, appuyé sur son budget militaire de 400 milliards de dollars, qui dirige toute l'affaire, à l'aide de deux ou trois acolytes.
M. Meyer: J'ose dire que je ne suis pas d'accord avec vous.
Le sénateur Lynch-Staunton: Revenez donc nous voir une autre fois et expliquez-nous comment le Canada influe sur les opérations de l'OTAN, et je serai le premier à applaudir.
Le sénateur Grafstein: Avant de poser mes propres questions, je voudrais poursuivre sur la lancée du sénateur Lynch-Staunton, à savoir quel est le fondement juridique de cette action.
Je ne l'ai pas entendu dire au Canada, mais j'ai entendu d'autres intervenants invoquer l'argument que la justification en droit international est qu'il y a le droit des traités et le droit coutumier. Le droit coutumier s'applique au cas par cas et, en l'occurrence, 19 pays ont essentiellement décidé que c'était l'action qui s'imposait dans les circonstances. Nous ne nous fondons pas sur l'ONU ou sur la charte; nous nous fondons essentiellement sur un prolongement du droit coutumier international constitué par les précédents dans les cas de violation présumée des conventions internationales.
C'est la position telle que je la comprends et il y a évidemment, comme l'a dit le sénateur Lynch-Staunton, un débat entre le droit écrit noir sur blanc dans la Charte de l'ONU et le droit écrit noir sur blanc dans la Charte de l'OTAN. Il semble toutefois exister une sorte de prolongement constitué par le droit coutumier.
Dans ces circonstances, il y a une grave question à laquelle on n'a pas tout à fait répondu, pas plus les États-Unis que les autres. Il s'agit de l'application des conventions de Genève applicables aux soldats qui risquent leur vie en situation de guerre. Si l'on examine le libellé précis de ces conventions, il est clair que, pour protéger les soldats aux termes de ces conventions, il faut qu'il y ait état de guerre.
Nous sommes tous d'accord pour dire que nous ne sommes pas en guerre, mais plutôt qu'il y a action militaire. L'action militaire est définie comme le prolongement de cette action collective déployée par l'OTAN, mais le Canada n'est pas en guerre. En fait, si nous étions en guerre, une foule de questions se poseraient au Canada. De plus, les États-Unis ont clairement dit ne pas être en guerre contre la Yougoslavie.
Cela ne fait-il pas courir un risque aux soldats canadiens, si un aviateur est abattu et capturé? Cet homme serait-il protégé par le droit international ou la convention de La Haye, comme ce serait le cas si la guerre avait été officiellement déclarée? Avez-vous examiné cette question? Je suis certain que cela nous préoccupe tous.
Je me rappelle de ce qui s'est passé quand l'affaire a été soulevée sur CNN au sujet des prisonniers américains. Le département d'État s'est livré à toutes sortes de contorsions, mais il n'a jamais pu dire clairement si ces trois soldats étaient protégés par la Convention de Genève.
M. Meyer: Je ne suis pas avocat, mais nous croyons savoir que ces conventions s'appliquent à l'état de guerre ou aux conflits armés. Nous sommes en situation de conflit armé et toutes les dispositions de la convention s'appliquent.
Le sénateur Grafstein: Nous devrions peut-être demander un bref mémoire écrit là-dessus, car c'est une question factuelle que nous devrions régler.
Le sénateur Forrestall: Il est important que je comprenne bien où l'on s'en va. Tant que cette question demeure en suspens, je ne serai pas rassuré quant à la protection de nos hommes et de nos femmes.
Pouvez-vous me nommer un juriste de réputation internationale qui a dit que la situation est tenable, que c'est légal, que nous avons le droit d'être là-bas et que nos troupes bénéficient de toutes les protections voulues?
Le leader du gouvernement au Sénat et moi-même avons eu une altercation au Sénat aujourd'hui au sujet de l'hypothèse voulant que tout aille bien, alors qu'il est clair que les avis divergent de part et d'autre. Le sénateur Grafstein a proposé qu'on nous présente un mémoire dans lequel on nous donnerait un avis juridique là-dessus, au niveau le plus élevé, et c'est extrêmement important.
Le président: J'ignore si vous avez en poche une liste de juristes compétents en la matière.
M. Meyer: Non.
Le président: Comme vous n'en avez pas, nous prendrons des arrangements pour obtenir un avis sur ce point.
Le sénateur Roche: Je voudrais poursuivre les tentatives du sénateur Lynch-Staunton de trouver une justification légale de l'action de l'OTAN. Je voudrais demander à M. Meyer s'il pourrait nous donner une justification légale précise. Pouvez-vous nous donner une citation précise, tirée ou non de la Charte de l'ONU ou de la Charte de l'OTAN, un passage sur lequel on puisse se fonder pour justifier l'action qui a été entreprise?
Vous avez très bien expliqué l'évolution des systèmes juridiques et la fusion du droit coutumier. Toutefois, ce que je retiens de tout cela, c'est que l'on tente de trouver tant bien que mal une justification ponctuelle qui s'appliquerait à cette intervention précise. Je voudrais aller plus loin et je vous pose de nouveau la question: pouvez-vous nous citer un passage d'un instrument juridique qui justifierait les bombardements de l'OTAN?
M. Meyer: En un mot, la réponse est non, je ne le peux pas. Je ne suis pas avocat. Si le comité souhaite, dans le cadre de son étude, fouiller davantage la question des instruments juridiques et des conventions internationales, je suggère qu'une séance distincte soit consacrée à cette question.
Pour ma part, je compte essentiellement sur la documentation qui a été préparée. Je ne peux pas vous citer de disposition précise.
Le sénateur Roche: En l'absence de citation permettant de fonder cette action sur un instrument juridique, auriez-vous des objections à ce que je la qualifie de violation du droit international? La Charte des Nations Unies et la Charte de l'OTAN stipulent clairement qu'une telle action ne peut pas être entreprise sans le consentement du Conseil de sécurité, qui joue le rôle de gardien de la paix et de la sécurité dans le monde.
La question que bien des gens ont posée, à savoir si l'action de l'OTAN est légale, oui ou non, ne doit pas être balayée du revers de la main. Je tiens à ce que les membres du comité en prennent bonne note dans la suite de leurs délibérations.
Le président: Nous reconnaissons que la question est très importante. Nous tenterons de trouver des témoins qui s'estiment compétents pour en traiter.
Le sénateur Grafstein: Je voudrais revenir à la justification fondamentale de l'OTAN, qui est l'efficacité militaire. En fin de compte, l'OTAN est une alliance militaire dont l'objet est de déployer des effectifs militaires de façon efficace. C'est la principale raison d'être de l'alliance.
Je voudrais maintenant aborder la question générale des relations entre le droit de regard des civils et les décisions prises par les militaires en matière d'efficacité militaire. Le processus décisionnel se compose d'un droit de regard civil et d'un mécanisme décisionnel militaire et la question se pose de savoir comment ces deux éléments se combinent ou se contredisent relativement à l'essence même de l'OTAN, à savoir l'efficacité militaire dans une mission donnée. Nous avons une mission devant nous. J'en parle seulement pour illustrer le processus décisionnel. Cela va au fond des choses. Il ne s'agit pas simplement de savoir ce que nous faisons, mais aussi comment nous le faisons et à quel point nous sommes efficaces.
M. Meyer a dit que d'autres membres de l'OTAN étaient préoccupés par le fait que les pays de l'UE se réunissent en caucus et élaborent une position, ce qui n'est pas conforme au processus décisionnel faisant intervenir les 19 membres de l'OTAN. Vous avez critiqué cette façon de faire.
Pouvez-vous confirmer si le renseignement que j'ai reçu du Royaume-Uni est fondé, en ce qui a trait à un cercle restreint au sein duquel se prennent les décisions, à la fois militaires et peut-être politiques, et composé des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Allemagne? À ce groupe initial de décideurs, on ajoute la France de temps à autre. Je crois savoir que de temps à autre, ou en tout temps, le Canada est tenu au courant par l'un des membres, en particulier les États-Unis. Essentiellement, il y a donc un petit groupe restreint qui prend les décisions militaires et politiques.
Compte tenu de ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir que ce n'est pas ainsi que l'OTAN est censée fonctionner, je vous demande si mon renseignement est exact?
M. Meyer: À ma connaissance, il ne l'est pas.
L'OTAN fonctionne de façon collective, c'est-à-dire que tous les membres sont représentés à toutes les réunions officielles de l'alliance. Rien n'empêche les États membres d'avoir des entretiens entre eux séparément ou dans d'autres groupes, mais j'insiste sur le fait que toute décision officielle prise par l'alliance est prise par l'ensemble des 19 pays et seulement par ces 19 pays.
Le sénateur Grafstein: Je ne conteste pas cette conclusion, mais plutôt la conclusion préliminaire, à savoir que ce résultat est en fait fabriqué à l'avance. Il ne faut pas en déduire que c'est fabriqué illégalement, mais la décision est prise par un cercle restreint et est ensuite présentée, si l'on veut, comme un fait accompli par le caucus de l'UE, et vous avez dit, tout à fait à juste titre, que ce n'était pas souhaitable.
M. Meyer: Je le répète, nous nous opposerions à l'existence d'un caucus de l'UE au sein de l'OTAN. Je n'ai pas dit que cela existait. C'est l'une des distinctions entre l'alliance et d'autres organisations.
Le sénateur Grafstein: Le Canada s'opposerait-il à ce que les décisions soient prises dans un groupe restreint?
M. Meyer: Oui, nous nous élèverions contre l'existence d'un groupe restreint. Nous avons protesté énergiquement contre le soi-disant groupe de contact formé de certains pays qui se réunissaient pour décider de la politique relative à l'ex-Yougoslavie.
Nous avons fait savoir avec insistance, à la fois à l'OTAN et à l'extérieur de l'OTAN, qu'à notre avis, c'était inacceptable, surtout après que l'OTAN se fut engagée. Quand on est engagé politiquement et militairement, il est essentiel d'avoir le droit de décider de la conduite à suivre. Cela ne devrait pas être le privilège d'un groupe restreint dont les membres se désignent eux-mêmes.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, je soulève la question parce que vous vous rappellerez que notre comité avait de sérieuses réserves au sujet de l'élargissement de l'OTAN. L'une des raisons était la dilution du processus décisionnel. L'augmentation du nombre de pays affaiblirait le processus de prise de décisions. C'est dans ce contexte que je soulève cette question.
Je vais maintenant passer à une situation plus actuelle, encore une fois dans le but d'exposer les relations entre les civils et les militaires, qui sont vitales pour assurer l'efficacité militaire. Je vais vous rappeler certains faits à partir du 28 avril et jusqu'à aujourd'hui.
Le général Klaus Naumann, président du comité militaire de l'OTAN, a déclaré récemment à la presse que le comité militaire n'a pas été efficace dans l'accomplissement de ses objectifs militaires. Ces objectifs sont de deux ordres. Premièrement, convaincre M. Milosevic de revenir à la table de négociations, grâce aux bombardements; et deuxièmement, mettre fin à l'épuration ethnique au Kosovo. Dans les éditions de ce matin du Globe and Mail et d'autres journaux, on cite le général Naumann qui aurait dit que ces objectifs n'ont pas été atteints, ce qu'il semble expliquer par l'incapacité des militaires de convaincre leurs maîtres politiques d'employer les bonnes méthodes stratégiques militaires, par exemple le déploiement de forces terrestres.
Il est maintenant revenu sur sa position, de sorte que nous ne pouvons peut-être pas accorder tellement d'importance à sa déclaration, mais je respecte le général Naumann.
S'ajoute à cela une autre déclaration faite le 30 avril par l'actuel commandant du combat aérien, le général Richard Hawley, dans un article qui a été publié dans le Washington Post le vendredi 30 avril. Le général Hawley semble appuyer la position du général Naumann, à savoir que l'on est empêché de prendre des décisions militaires faute d'un consensus politique.
Le général Hawley aurait tenu les propos suivants:
Dans notre doctrine de l'armée de l'air, l'intervention aérienne donne les meilleurs résultats quand elle est utilisée de façon décisive [...] Il est clair qu'en raison des contraintes, nous n'avons pas été en mesure d'emporter la décision.
L'article poursuit:
La décision de l'OTAN de ne pas employer de forces terrestres, a-t-il ajouté, a également nui à l'efficacité de la campagne aérienne. Il a fait remarquer que les avions de combat comme le A10 Warthog tueur de chars compte souvent sur la présence de contrôleurs au sol en position avancée qui déclenchent les attaques.
Deux hauts gradés militaires déclarent maintenant publiquement que les contraintes politiques imposées aux militaires ont nui à l'atteinte des objectifs politiques de l'OTAN dans cette mission plutôt difficile et délicate. Pourriez-vous commenter cette déclaration? Veuillez nous donner le point de vue du Canada. Ce sont là des officiers supérieurs de l'OTAN, de l'Allemagne et des États-Unis. Quel est le point de vue des militaires canadiens?
Monsieur le président, je n'en voudrais pas aux témoins s'ils estiment ne pas pouvoir répondre à cette question et préfèrent attendre que le ministre les conseille. Je ne veux pas placer les militaires dans une position inhabituelle. Dans mon esprit, toutefois, cela ouvre la porte à l'examen de la question par le comité.
M. Meyer: Je vais limiter mes observations au processus. Nous pouvons tous débattre des mérites d'une stratégie particulière au Kosovo, mais tel n'est pas vraiment l'objet de la présente étude.
Le processus prévoit que les militaires sont subordonnés aux dirigeants politiques de l'alliance. Les autorités militaires de l'OTAN, à la fois le personnel militaire international et les représentants militaires nationaux qui forment le comité militaire, fournissent des conseils -- et j'insiste sur le mot «conseils» -- à l'organe politique suprême, qui est le Conseil de l'Atlantique Nord formé des représentants diplomatiques des gouvernements. Il leur incombe à eux de faire ce qu'ils jugent bon de ces conseils. La réflexion politique et l'examen des contraintes et objectifs politiques jouent un rôle décisif pour ce qui est de donner des instructions plus précises aux autorités militaires. C'est là un principe clé qui est bien respecté et appliqué à l'OTAN.
Cam MacLean: Ce sont toujours les maîtres politiques qui nous disent quoi faire, après quoi il incombe aux militaires, de façon générale, d'établir comment le faire.
Depuis le début, la mission a eu pour objectif de dégrader la capacité militaire yougoslave. Il n'y a aucune garantie et il n'y a jamais eu de garantie que les bombardements, à eux seuls, amèneraient M. Milosevic à négocier. On ne peut pas offrir cette certitude. Nous pouvons toutefois continuer à dégrader cette capacité, dans l'espoir que M. Milosevic comprendra et se rendra compte qu'il doit céder. Autrement, il ne lui restera pas grand-chose de sa capacité militaire.
En outre, il n'y a aucune garantie qu'une campagne militaire aérienne pourra à elle seule mettre fin à l'épuration ethnique. La surprise, ce fut la rapidité avec laquelle cette entreprise a été lancée. C'est arrivé plus vite que prévu. C'est ce que j'avais compris des propos du général Naumann et c'est là dessus que se fondaient ses observations.
Le sénateur Kenny: Je voudrais revenir sur le processus de prise de décisions au sein de l'OTAN. Nous comprenons tous que tous les États sont théoriquement égaux, mais il semble parfois que seuls les États-Unis aient un veto absolu. Autrement dit, on pourrait peut-être dire qu'un consensus à l'OTAN est formé des États-Unis plus un groupe plus ou moins important d'autres pays de l'OTAN. Qu'en pensez-vous?
M. Meyer: J'ai essayé tout à l'heure de vous donner une idée du processus et j'ai reconnu qu'étant donné la grande diversité des pays membres qui vont de l'Islande et du Luxembourg d'une part à l'Allemagne et aux États-Unis de l'autre, il est évident que tous n'ont pas la même influence au sein des Conseils de l'OTAN. Il n'y a aucune quantification précise de cet état de choses, mais c'est une réalité politique et il s'agit, après tout, d'une tribune politique.
J'ai été membre de notre délégation à l'OTAN pendant quatre ans. Je demeure conscient de la possibilité, en particulier dans des dossiers qui revêtent une importance spéciale pour un État membre, d'obtenir certains accommodements de nos alliés. C'est un processus réciproque. Cela va dans les deux sens.
Un pays puissant comme les États-Unis fait connaître sa volonté à l'alliance chaque fois qu'il prend la parole. La guerre du Golfe en est un exemple. C'était une entreprise de grande envergure. Les pays membres de l'OTAN y ont beaucoup participé, mais l'OTAN elle-même, en tant qu'organisation, ne s'est pas engagée, malgré le souhait des États-Unis qu'elle le fasse.
J'espère que cela vous aide à comprendre, sénateurs. Cela demeure un processus politique et un processus dynamique. Toutefois, il y a une pratique et une habitude d'accommodement mutuel dans les affaires d'importance nationale.
Le sénateur Kenny: Je peux vous dire qu'il y a du scepticisme parmi les politiciens qui sont assis autour de la table.
Le sénateur Prud'homme: Et ce scepticisme est croissant.
Le sénateur Kenny: Personne ne croit que le Luxembourg, l'Islande ou peut-être même le Canada aurait pu stopper l'attaque aérienne contre la Yougoslavie.
M. Meyer: Une telle position aurait été inhabituelle de la part du Luxembourg. Ce n'est pas que ces États ont été forcés d'une manière ou d'une autre de suivre les autres. Cette décision reflétait le sentiment politique des gouvernements de ces dirigeants qui étaient pénétrés des valeurs et des intérêts que l'alliance représente.
Pour ce qui est du Canada, j'ai dit hier dans ma déclaration que nous avons influé sur les décisions de l'alliance dans certains domaines. Je suis tout à fait disposé à passer en revue les divers dossiers. Ces luttes peuvent parfois sembler obscures de l'extérieur, mais à l'interne, elles peuvent être très âpres. Je peux vous donner des exemples précis des sommets que nous avons eus ou des éléments qui étaient importants pour le Canada et qui se sont retrouvés dans le produit final.
Le sénateur Kenny: Peut-être pourriez-vous commenter les relations entre la quote-part versée par les pays membres et leur influence sur le consensus.
M. Meyer: Comme je l'ai dit, il y a une corrélation, mais elle est empirique et non pas systématique comme celle qui existe au FMI et dont je vous ai parlé. Il est clair que la contribution politique et militaire du Royaume-Uni ou des États-Unis donne aux représentants de ces pays une influence plus forte que celle du Luxembourg ou du Danemark.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous décrire à l'intention du comité comment sont établies les contributions militaires et financières de chaque pays?
M. Meyer: Il y a plusieurs niveaux. Mes collègues militaires en sauront probablement plus long, mais il y a les lignes directrices relatives au programme de défense. Ces lignes directrices prévoient une discussion interactive au sein des organes de l'alliance pour établir les normes pour la contribution des États membres. L'appareil militaire national de chaque pays est examiné par les pairs et l'on demande à certains pays d'en faire plus ou de contribuer davantage dans certains domaines. Le contre-amiral MacLean vous donnera les détails.
Du côté politique, ce n'est pas le même processus. On compte sur les pays pour participer aux efforts diplomatiques et appuyer les objectifs communs de l'OTAN.
Cam MacLean: Manifestement, du côté militaire, nous avons un plan continu sur deux ans et un certain nombre d'objectifs relativement aux effectifs. Ultimement, nous aurons un certain nombre de discussions, à la fois au sein de l'OTAN et dans chacun des pays, et nous ferons un certain nombre de visites au quartier général de l'OTAN et dans les 19 pays. Tout cela devrait aboutir à un accord de principe quant aux contributions, aux niveaux d'équipement et à la capacité des divers pays.
C'est le contraire, à certains égards, de ce qui se passe dans un pays donné. Au Canada, par exemple, nous avons le Conseil du Trésor qui est au centre et qui tient tous les cordons de la bourse et dont le but est peut-être de donner le moins d'argent possible à ceux qui le dépensent. L'OTAN, par contre, qui n'a pas d'argent, est manifestement intéressée à ce que chaque pays dépense davantage. Il y a une tension de ce genre qui s'exerce généralement.
Malgré tout, c'est un bon système, quoiqu'un peu bureaucratique. Le processus est un peu long, mais il donne aux membres de l'OTAN une très bonne idée de ce que l'OTAN pense. De plus, cela nous donne à chacun d'entre nous une bonne idée de la façon dont les autres pays réagissent et dont ils devraient réagir.
Le sénateur Kenny: Chacun connaît la contribution de tous les autres et pèse soigneusement sa propre contribution. Comment le Canada se compare-t-il et où nous situons-nous dans le classement, sous le regard de nos homologues de l'OTAN?
Cam MacLean: Comme toujours, il faut bien choisir l'étalon de mesure. Si l'on prend le ratio de la contribution au PIB, alors le Canada est parmi ceux qui contribuent le moins. Par contre, si l'on examine la capacité du Canada de contribuer aux diverses missions de l'OTAN et si l'on tient compte de la capacité militaire que nous avons à offrir, notre contribution peut être très importante.
Nous sommes partenaires importants dans l'actuelle intervention au Kosovo. On peut ne pas être d'accord avec notre présence là-bas, mais il n'en reste pas moins que le Canada contribue de façon très importante en tant que membre de l'OTAN.
Il est intéressant de remarquer que nous, Canadiens, avons toujours été obligés d'aller intervenir ailleurs. Dans le contexte de l'OTAN, à cause de notre situation géographique, nous avons dû aller en Europe. Les pays européens n'ont pas toujours besoin d'envoyer leurs troupes au loin. Les questions que j'ai évoquées -- la mobilité, la déployabilité et la durabilité -- tout cela a toujours pesé beaucoup plus lourd pour nous que pour certains de nos alliés européens. Certains grands pays d'Europe n'ont pas nécessairement la même capacité que nous. Notre expérience dans le maintien de la paix au cours des dernières décennies nous a également permis de mettre à profit cette capacité particulière qui est beaucoup plus importante que celle de nos alliés européens. Alors que nous nous apprêtons à affronter au cours du prochain siècle les exigences plus souples des activités non visées par l'article 5, nous constatons que le Canada est mieux placé, à certains égards, que certains pays européens.
Quant à savoir si nous pourrions ou devrions en faire davantage, cela dépend de la façon de mesurer. On a le sentiment que le Canada apporte une précieuse contribution. Pourrions-nous en faire plus? Du point de vue de l'OTAN, on aura toujours le sentiment que les nations, collectivement, devraient en faire plus, mais pas nécessairement le Canada seulement.
Le sénateur Forrestall: J'ai entendu ici cet après-midi plusieurs choses qui m'ont étonné. Je suis en train d'apprendre, comme la plupart d'entre nous ici. Des études ont été faites après la guerre du Golfe et publiées dans le journal International Security du MIT. Ces études se sont penchées sur l'entraînement et l'équipement. Leurs conclusions étaient très claires et ont transmis un message non équivoque non seulement aux pays de l'OTAN, mais à tous les pays du monde qui maintiennent des forces aux fins de se défendre contre l'inhumanité de l'homme envers l'homme.
Leurs conclusions étaient très simples. L'équipement est la clé et l'entraînement est secondaire. En l'absence d'un bon équipement, les soldats les mieux entraînés du monde ne peuvent pas faire grand-chose. Je m'étonne que nous ayons maintenant inversé cette proposition. Nous avons les meilleurs pilotes d'hélicoptère au monde dans ma ville natale, mais ils n'ont pas beaucoup de travail à faire parce qu'ils accomplissent seulement environ 40 ou 50 p. 100 des missions qu'ils sont appelés à remplir. Je ne voudrais pas préciser le coût de cette situation.
Le navire de la Marine canadienne a à son bord l'officier qui commande la force permanente de l'OTAN dans l'Atlantique. Je suppose qu'il y a à bord un hélicoptère Sea King, parce qu'il a fallu attendre qu'il subisse une autre vérification avant de quitter Halifax. J'ignore combien d'heures de vol a cet appareil. Sommes-nous capables de le remplacer, ou bien devons-nous en emprunter un aux Français ou aux Allemands? Ou bien devons-nous demander au commandant de quitter le navire canadien pour embarquer plutôt à bord d'un navire qui est doté de ce type de matériel? L'équipement est essentiel, il n'y a pas à en sortir. Bien sûr, on suppose au départ que l'on ne met pas un appareil de ce genre entre les mains de gens qui ne sont pas bien entraînés.
Je ne vous demande pas de répondre. J'ai une autre question sur l'entraînement qui est tout aussi importante à mes yeux et que l'on pose depuis longtemps. Il est généralement entendu que le Canada donne à ses troupes un entraînement suffisant pour les rendre prêtes au combat. Je me suis souvent demandé comment nous nous y prenons dans le cas des réserves. Dans le cadre de la rotation des effectifs, vous devrez puiser dans les effectifs militaires de la réserve. Ces réservistes ont-ils un entraînement suffisant pour être prêts au combat?
Dans la même veine, prévoit-on une nouvelle période d'entraînement pour les réservistes qui font leur service, reviennent au Canada pour ensuite repartir trois ou six mois plus tard pour une nouvelle affectation? Ces réservistes retournent-ils à l'entraînement dans l'intervalle, pendant qu'ils sont à la maison?
Cam MacLean: Il convient probablement que je donne des précisions sur ce que j'ai dit au sujet de l'équipement, de l'entraînement et des effectifs. Je ne voudrais pas vous donner l'impression que l'équipement n'est pas essentiel. Il est important que les trois -- l'équipement, l'entraînement et le personnel -- soient bien imbriqués. On ne peut pas considérer séparément l'un ou l'autre de ces éléments. Pour avoir une force efficace, il faut les meilleurs effectifs, un bon équipement et l'entraînement voulu pour faire le travail.
Le sénateur Forrestall: Je dirais ce qu'il y a de mieux en fait d'équipement et si vous disiez cela, je serais entièrement d'accord avec vous. C'est très loin de l'impression que vous m'avez laissée.
Cam MacLean: C'est pour une très bonne raison que je n'ai pas utilisé cette expression. Il arrive parfois que ce qu'il y a de mieux en matière d'équipement n'est pas ce dont on a besoin pour faire le travail. On ne peut pas séparer tous ces éléments aussi facilement. Cela revient tout simplement à dire que s'il faut choisir l'un des éléments, il faut commencer par avoir les personnes qui conviennent. C'est le point de départ.
Quant à ce que vous disiez au sujet de la force marine d'intervention, nous sommes certainement très contents qu'un Canadien commande cette force de l'OTAN au cours d'une période comme celle-ci. C'est très important. Nous sommes satisfaits de la capacité dont est doté ce navire amiral de la flotte. Nous croyons qu'aucun navire ne pourrait mieux que lui s'acquitter de cette tâche en particulier. Nous avons des hélicoptères Sea King embarqués à bord de cette unité.
Le sénateur Forrestall: Avez-vous dit que vous en avez plus d'un?
Cam MacLean: Il devrait y en avoir deux. Le navire est capable de transporter deux hélicoptères. Nous nous attendons à ce que ces appareils accomplissent la tâche. Il est indéniable que ces hélicoptères sont vieux et qu'ils doivent être remplacés. C'est évident depuis déjà un certain temps. Mais ce n'est qu'un élément, un élément très important, de la capacité très utile du NCSM Huron.
Pour ce qui est des réserves et de leur intégration, tout dépend de l'environnement dont on parle et de l'utilisation qu'on fait des réservistes. Nous avons confié à la réserve navale, comme vous le savez, un rôle spécifique dans le contexte de la défense côtière et des ports, du déminage et des patrouilles côtières. Nous l'avons dotée ces dernières années de très bons navires. Ils sont en pleine courbe d'apprentissage pour ce qui est d'accomplir ces tâches particulières.
Quant à l'armée, c'est plus compliqué parce que les réservistes sont intégrés à la force régulière. Quand nous avons une mission, par exemple la force déployée en Bosnie, les réservistes sont intégrés au tout début de l'entreprise. Ils subissent le même entraînement que leurs homologues des forces régulières. Il leur faut trois ou quatre mois avant d'être envoyés sur le terrain aux côtés des effectifs de la force régulière.
Le sénateur Lynch-Staunton: Avez-vous dit qu'il devrait y avoir deux hélicoptères à bord de l'Athabasca ou bien qu'il y en a effectivement deux?
Cam MacLean: Le navire lui-même est capable d'en embarquer deux. C'est simplement que j'ignore s'il en transporte un ou deux.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois savoir qu'il n'y en a qu'un. J'ignore s'il leur en faut deux.
Cam MacLean: Il n'est pas nécessaire d'en avoir deux. Nous avons eu d'autres navires qui ont participé à la force navale permanente avec seulement un appareil. Mais le navire est capable d'en transporter deux.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il peut en prendre deux mais il n'y en a peut-être qu'un seul.
Le sénateur Forrestall: Merci, amiral. C'est bien ce que j'avais compris, qu'il n'y en avait qu'un.
Cam MacLean: Vous avez peut-être bien raison.
Le sénateur Forrestall: Ce n'est pas très important. Le centre Lester B. Pearson d'entraînement international et canadien des effectifs de maintien de la paix, situé à l'ancienne BFC Cornwallis, a pris de l'ampleur. Il est installé là depuis maintenant un certain temps. Je ne sais trop combien de pays ont participé ou combien d'officiers sont passés par là pour mieux comprendre, dans un cadre international, certaines règles et procédures applicables au maintien de la paix, mais je sais que les chiffres sont élevés, considérables. Le plus souvent possible, chaque fois que je peux retourner à la maison un jeudi soir, je vais dîner au mess à Cornwallis. C'est très agréable de discuter avec ces hommes et ces femmes.
Est-ce qu'il apparaît que cette institution prépare bien les gens et leur facilite la tâche dans les opérations de maintien de la paix? Est-ce qu'elle facilite les relations entre les pays qui s'occupent du maintien de la paix en facilitant les communications? Est-ce qu'elle aidera à préciser la compréhension de ce que chaque pays fera dans une situation donnée? Y a-t-il une relation visible, tangible, ou bien est-ce plutôt ésotérique?
Cam MacLean: Je ne peux pas vous donner d'exemples précis de diplômés de cette institution qui dirigent aujourd'hui des troupes sur le terrain. Je peux toutefois vous dire que j'y suis allé plusieurs fois et que j'ai été frappé par l'ouverture des gens, qui viennent de partout dans le monde, et qui m'ont dit très franchement à quel point cet entraînement a été important et même essentiel pour les amener à bien comprendre les opérations de soutien de la paix. Cela englobe d'ailleurs des gens des milieux militaire et diplomatique. Il semble tous parler à l'unisson, comme si c'était planifié, mais je sais que ce n'est pas le cas parce que j'y suis allé à plusieurs reprises. C'est le seul témoignage que je puisse vous donner de son efficacité.
M. Meyer: Je voudrais ajouter un mot là-dessus. Nous avons parlé de la nature changeante du maintien de la paix. Il est nécessaire d'appliquer de nouvelles méthodes d'entraînement et le centre Pearson de maintien de la paix a été le pionnier, au niveau international, en lançant des cours qui reflètent les nouvelles dimensions sur le plan des droits de la personne, de la collaboration avec les ONG et les organismes d'aide humanitaire, de la police civile et de la sensibilisation à l'égalité de l'homme et de la femme. Tous ces éléments ont été intégrés au programme dispensé au centre Pearson de maintien de la paix, ce qui a contribué à raffermir le leadership canadien dans le domaine de l'entraînement.
Le président: Nous avons demandé au colonel Alex Morrisson de comparaître devant le comité.
Le sénateur Forrestall: On nous a dit aujourd'hui que les 800 soldats relativement légèrement armés qui sont envoyés là-bas quitteront le Canada en partant de Montréal. Pouvez-vous me dire comment? Avons-nous loué un bâtiment? Possédons-nous un navire?
Cam MacLean: Le matériel partira de Montréal à bord d'un navire commercial.
Le sénateur Forrestall: S'agit-il d'un paquebot?
Cam MacLean: Le personnel prendra l'avion, mais le matériel sera transporté par bateau. Ils se retrouveront en Grèce et en Macédoine.
Le sénateur Forrestall: Vous les enverrez par avion. C'est ce que j'aurais cru, mais on m'avait donné l'impression qu'ils partaient par bateau.
Le sénateur Whelan: Pour donner suite aux questions du sénateur Forrestall sur l'équipement, est-il possible que du matériel flambant neuf brise?
Cam MacLean: Oui.
Le sénateur Forrestall: Pas aussi souvent que du vieux matériel.
Le sénateur Whelan: Je veux en venir à ceci que même de l'équipement flambant neuf peut tomber en panne, aussi bien que du matériel vieux de dix ans. Tout ce qui est fait de mains d'homme peut tomber en panne. Nous devrions nous en inquiéter.
Je suis consterné quand je regarde les représentants de l'OTAN expliquer au monde ce qui se passe, surtout quand le porte-parole est un homme qui s'appelle Jamie Shea. Il ne fait pas bonne impression. Je pense qu'il faudrait le remplacer. On dirait presque qu'il s'amuse à décrire les choses épouvantables qui se passent. Il fait très mauvaise impression. Comment pouvons-nous le remplacer? Devrions-nous demander à notre ministre de le remplacer? Il est Irlandais, tout comme moi, mais je ne lui en veux pas pour sa culture. C'est simplement qu'il ne fait pas du bon travail. C'est important quand nous disons aux Canadiens ce qui se passe. Il participe aux présentations en anglais, mais il ne fait pas bonne impression.
Le président: J'ignore si vous voulez prendre sur vous de répondre à cela.
M. Meyer: Je prends bonne note de cette observation. Il y a un Canadien qui s'appelle Peter Daniels et qui est également membre du personnel dans le service d'information. À l'occasion, il donne aussi des conférences de presse. Peut-être que vous l'aimeriez mieux.
Le sénateur Whelan: Je n'ai rien contre lui, mais c'est important de projeter une bonne image quand on s'adresse au public et M. Shea ne projette pas l'image qu'il faudrait.
Vous avez parlé des forces terrestres. N'est-il pas vrai que pour les militaires, l'armée de l'air est une façon de surmonter tous les problèmes? C'est-à-dire que nous mettons tout de côté et ce n'est qu'ensuite que nous envoyons des forces terrestres; n'est-ce pas le cas? Beaucoup d'entre nous estimons qu'il aurait fallu envoyer des troupes terrestres avant que l'on puisse installer des mines et procéder à l'épuration ethnique. Nous avons échoué avec l'armée de l'air.
Cam MacLean: Encore une fois, tout dépend de ce que vous voulez faire. Si vous voulez utiliser les forces armées comme un outil, comme dans le cas du Kosovo, pour perturber et dégrader sa capacité militaire globale, vous pouvez le faire avec l'armée de l'air. Par contre, si vous voulez occuper le territoire et transporter le combat dans un pays en particulier, alors c'est difficile de le faire en utilisant seulement l'armée de l'air. Tout est fonction de la situation et des objectifs.
Le sénateur Whelan: Avec tout le matériel de surveillance et la technologie modernes dont vous disposez aujourd'hui, vous pouvez apparemment voir à des milles de distance, même quand c'est nuageux. Pensez-vous que l'on ne nous dit pas toute la vérité au sujet de ce qui se passe au Kosovo?
Cam MacLean: Je ne pense pas que l'information soit parfaite. En dépit des progrès technologiques, on ne peut jamais savoir aussi complètement qu'on le voudrait ce qui se passe quelque part. Si vous demandez si le Canada en sait autant que d'autres pays, je pense que oui. Nous avons une bonne idée de ce que savent les autres pays. La véritable question est de savoir si nous en savons autant que nous le voudrions sur ce qui se passe au Kosovo. Dans ce contexte, nous n'avons personne sur le terrain pour nous donner les renseignements voulus.
Le sénateur Whelan: J'ai reçu de nombreux briefings sur cette question. L'équipement était plus ancien à l'époque. Aujourd'hui, on dit que l'on peut lire le titre d'un livre qu'une personne est en train de lire dans son jardin. Le matériel de surveillance est supérieur à ce qu'il était il y a dix ans. Je ne pense pas qu'on nous dise toute la vérité au sujet de ce qui se passe vraiment. Ils doivent cacher de l'information.
Le président: Nous n'avons plus de temps, parce qu'il faut donner aux employés le temps de préparer la salle pour le comité suivant. Le sénateur Mahovlich est en tête de liste pour la prochaine réunion, mais cela ne s'appliquera peut-être pas, à moins que les mêmes témoins reviennent.
Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer cet après-midi.
La séance est levée.