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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 41 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 8 juin 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères s'est réuni ce jour à 15 h 35 pour examiner les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et le rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du pacte de Varsovie, la fin de la guerre froide et l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque; et le maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous avons cet après-midi trois témoins, mais nous serons interrompus par un vote. La sonnerie retentira au Sénat à 16 h 15 et le vote aura lieu à 16 h 30. Les membres du comité devront se retirer pour revenir après le vote. Cela veut dire que notre séance va durer peut-être plus longtemps que nous ne le penserions normalement.

M. LaRose-Edwards a travaillé comme conseiller juridique et politique pour les questions internationales tels que les droits de la personne, la démocratie, l'édification de la paix et le maintien de la paix. Il est directeur exécutif d'une organisation qui s'appelle la Banque canadienne de ressources pour la démocratie et les droits de la personne, encore appelée CANADEM.

M. LaRose-Edwards est revenu au Canada en 1993 après avoir dirigé à Londres l'unité des droits de l'homme au Secrétariat du Commonwealth. Avant ce poste diplomatique, il travaillait à Ottawa au bureau du haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.

M. Morrison est diplômé de l'Université Mount Allison, du Collège militaire royal du Canada et du Collège de commandement et d'état-major de la Force terrestre canadienne. Il a enseigné au Collège royal militaire. Il a enseigné à l'Université Columbia à New York, à l'Université York et à Glendon College. Il a été ministre conseiller à la mission canadienne des Nations Unies de 1983 à 1989 et il était particulièrement chargé des questions relatives à la sécurité internationale, au contrôle des armements et au désarmement, et au maintien de la paix. Il a notamment négocié avec les fonctionnaires du siège social des Nations Unies et les représentants des pays concernés la participation canadienne aux nouvelles opérations de maintien de la paix et à celles qui sont en cours.

Depuis quelques années, il est président du Centre canadien international Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix situé à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse. En 1989, il a pris sa retraite de l'armée canadienne après 34 ans de service.

Colonel Morrison, je vous en prie, allez-y.

M. Alex Morrison, président, Centre canadien international Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix: Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir permis de venir aujourd'hui présenter mon opinion au comité sénatorial permanent des affaires étrangères dans le cadre de son examen des relations du Canada avec l'OTAN. Je vous parlerai cet après-midi de l'OTAN, des Nations Unies, de l'histoire du Canada, des contributions actuelles et futures au maintien de la paix de façon générale, avant de faire une brève conclusion.

Les délibérations du comité arrivent à point nommé. Les mesures prises par l'OTAN ces derniers mois, et celles qui vont être prises prochainement par les Nations Unies, pourraient fort bien influer sur les entreprises de règlement des conflits internationaux à l'avenir. Comme tous les Canadiens informés le savent bien, notre pays est maintenant fermement établi comme internationaliste. Nous estimons que, pour que le monde connaisse davantage la paix, la sécurité et la stabilité, il faut que le Canada connaisse davantage la paix, la sécurité et la stabilité. Nous pensons qu'il vaut mieux pour le Canada être membre des organisations internationales, et avoir ainsi voix au chapitre lorsqu'il s'agit de décider des mesures à prendre, que de rester sur la touche. Nous pensons devoir mettre en commun nos ressources, notre expérience et notre savoir-faire dans des domaines où le déploiement de ces ressources fera davantage de bien. Nous pensons que pour être véritablement membre de la communauté internationale, il est nécessaire d'engager nos forces militaires en période de préparation comme en période de crise.

Le Canada est bien sûr l'un des membres fondateurs de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. En effet, nombreux sont ceux qui attribuent à l'ancien premier ministre St. Laurent la genèse des idées qui ont porté à la création de l'OTAN. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada n'a retiré ses troupes d'Europe que pour les renvoyer quelques années plus tard afin de relever les défis croissants de la guerre froide. Bien que leurs effectifs aient été grandement réduits, les Forces armées canadiennes sont toujours en Europe. Nos marins, nos soldats, nos aviateurs servent dans les divers quartiers généraux de l'OTAN, dans le cadre de l'unité de détection lointaine aéroportée en Allemagne, avec la force de stabilisation et les autres entreprises connexes en Bosnie, et avec ceux qui sont prêts à intervenir dans la crise en constante évolution du Kosovo. C'est un officier canadien qui commande la Force navale permanente de l'OTAN dans l'Atlantique actuellement en service dans l'Adriatique.

Depuis de la fin de la guerre froide, l'OTAN évolue tandis qu'elle envisage le meilleur moyen d'utiliser les connaissances qu'elle a accumulées pour répondre aux défis actuels et futurs. Au récent sommet du cinquantième anniversaire de l'OTAN à Washington, on a consacré du temps à la nouvelle conception stratégique de l'alliance où sont précisées les orientations générales futures de l'OTAN.

Il n'y a aucun doute dans mon esprit que le Canada doit rester membre de l'OTAN et que nous devons travailler de concert avec les 18 autres membres pour décider de la forme future de l'alliance. Nous devons faire profiter tous nos collègues de notre somme de connaissances et d'expériences. L'avenir de l'OTAN doit être bâti sur les fondements solides des idées et des objectifs démocratiques communs et sur la compréhension des caractéristiques d'interopérabilité de sa performance passée. Il est clair que l'avenir sera plus grand et plus intense que le passé.

Il est essentiel que le lien transatlantique de l'OTAN soit préservé et que la forme et le fond de ce lien transocéanique ne s'appuient pas sur un seul pays.

Maintenant que l'OTAN est passée de 16 à 19 membres, maintenant qu'il semble y avoir un désir profond d'ajouter d'autres membres dans un avenir prévisible, et maintenant que l'OTAN est engagée en Serbie et au Kosovo, il est nécessaire que le Canada continue à se montrer ferme face à ses alliés. Il est aussi nécessaire que le Canada fasse sa juste part dans de nombreux domaines pour permettre la réalisation des objectifs de l'OTAN.

Je veux maintenant vous parler un peu du maintien de la paix. À l'automne 1956, à l'époque de la crise de Suez, notre secrétaire d'État, Lester B. Pearson, a suggéré que l'ONU envoie une force au Moyen-Orient qui puisse s'interposer entre les parties en guerre. Cette force offrirait une certaine sécurité et stabilité qui, on l'espérait, permettraient aux politiciens, aux diplomates et aux parties en litige de remédier aux causes sous-jacentes du conflit. Ainsi est né le maintien de la paix international tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le prix Nobel de la paix 1957 a été attribué à M. Pearson pour son invention du maintien de la paix. Depuis lors, les mots «Canada» et «maintien de la paix» sont devenus pratiquement synonymes. À l'époque, il a déclaré que: «Si le monde ne bâtit pas sur la nouvelle plate-forme du maintien de la paix, il aura manqué une occasion de créer une meilleure communauté internationale.»

Au cours des quarante et quelques dernières années, nous avons bâti sur l'héritage de M. Pearson. Les opérations de maintien de la paix se sont adaptées aux situations et aux besoins changeants. Les forces de maintien de la paix ont appris et ont appliqué de nouvelles compétences et de nouveaux talents pluridisciplinaires.

Le Canada a une réputation de service honorable dans le maintien de la paix international. En ayant moi-même fait partie, ayant eu de très nombreuses consultations sur tous les aspects du maintien de la paix et étant responsable d'enseigner le maintien de la paix à des pays du monde entier, je peux dire sans hésiter que le Canada est considéré partout dans le monde comme faisant partie des plus hautes sphères du maintien de la paix.

La capacité du Canada de participer aux missions de maintien de la paix de diverses natures s'est améliorée depuis ce début, à l'automne 1956. Nous n'avons cessé d'explorer et de repousser les frontières du maintien de la paix. La formation de la force de maintien de la paix est beaucoup plus complète et a une portée beaucoup plus grande. Grâce aux programmes qui sont offerts par exemple au Centre Pearson de formation en maintien de la paix, le Canada fait largement profiter de son expérience et de son savoir-faire en maintien de la paix. Nous devons continuer à le faire.

Notre force de maintien de la paix peut participer, et a participé, à des missions entreprises par les Nations Unies, l'OTAN, et d'autres organisations multinationales, et a relevé la performance générale de ces organismes. Toutefois, j'estime qu'une telle participation, lorsque c'est réalisable, devrait être régie par une structure faîtière des Nations Unies. C'est l'ONU, par l'intermédiaire de son Conseil de sécurité, qui a la responsabilité de la paix et de la sécurité internationales. C'est l'ONU, dont presque tous les pays sont membres, qui est la mieux placée pour orienter une réaction avec un large apport international.

Il y a des circonstances, et les activités actuelles dans la République fédérale de Yougoslavie en sont un exemple évident, où le Conseil de sécurité ne peut pas ou ne veut pas intervenir dans une crise. Normalement, le conseil entreprend ce que nous appelons au Centre Pearson un maintien de la paix par procuration, c'est-à-dire qu'il confie ou donne à contrat à une organisation, à un pays ou à un groupe de pays la réalisation de l'opération. Dans le cas de la République fédérale de Yougoslavie, le conseil n'a même pas réussi à s'entendre pour le faire. Il est peut-être maintenant temps d'étudier sérieusement la façon dont le Conseil de sécurité conduit ses affaires. Il est peut-être maintenant temps que l'ONU et l'OTAN instaurent des relations de travail plus étroites et collaborent davantage.

Il m'apparaît à l'évidence qu'un nouveau paradigme international de sécurité émerge pour la résolution des conflits; l'ONU et l'OTAN ont chacune des rôles importants à jouer pour son élaboration et sa mise en oeuvre. La situation au Kosovo illustre le débat qui existe au sein de l'OTAN sur le fait de savoir si elle doit participer à des opérations ne relevant pas de l'article 5, c'est-à-dire des opérations de guerre non générale, en dehors de sa zone sans résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. À mon avis, à moins de raisons évidentes du contraire, l'OTAN devrait toujours agir dans les situations qui ne relèvent pas de l'article 5 dans le cadre d'un mandat du Conseil de sécurité.

J'ai indiqué plus tôt que le Canada avait augmenté et amélioré sa capacité de participer et de contribuer au maintien de la paix international dans tous ses aspects. Les compétences et les talents de l'armée canadienne sont toujours plus demandés. Les Canadiens instruits et informés en sont conscients et sont d'avis que notre investissement national dans l'armée doit être maintenu et augmenté.

Permettez-moi maintenant de vous parler de la façon dont le Centre Pearson de formation sert le Canada, les Nations Unies, l'OTAN et le monde en matière de maintien de la paix. Le centre a été créé en 1994 par le gouvernement du Canada pour accroître la contribution canadienne à la paix, à la sécurité et à la stabilité internationales par ses travaux de recherche, l'éducation et la formation portant sur tous les aspects du maintien de la paix. Nous avons une définition très large et très profonde du maintien de la paix. Il s'agit pour nous d'actions conçues pour améliorer la paix, la sécurité et la stabilité internationales, qui sont autorisées par des organisations nationales et internationales compétentes, et qui sont entreprises en collaboration et individuellement par des organismes et groupes militaires, humanitaires, de bon gouvernement, de police civile et d'autres regroupements intéressés.

Ce qui fait que le centre est unique, c'est l'idée que nous avons développée du nouveau partenariat du maintien de la paix, et c'est le terme que nous appliquons aux organisations et aux individus qui travaillent ensemble à améliorer l'efficacité des opérations modernes de maintien de la paix. Ce partenariat comprend des organismes militaires, de police civile, gouvernementaux et non gouvernementaux qui s'occupent des droits de la personne et de l'aide humanitaire, des diplomates, des représentants des médias et des organisations qui parrainent des programmes de développement et de démocratisation. Toutes nos activités sont de nature et de portée internationales et pluridisciplinaires. Toutes nos activités sont effectuées par des civils et des militaires qui sont tous membres du nouveau partenariat du maintien de la paix.

Depuis le début de nos opérations au printemps 1995, plus de 1 500 individus de 120 pays sont venus en Nouvelle-Écosse participer à nos activités. Chacun de nos cours est crédité par les universités canadiennes et américaines. En plus d'un large éventail de cours qui sont donnés chaque année, nous avons largement participé aux scénarios, à la réalisation et à l'évaluation des exercices de maintien de la paix de l'OTAN et d'autres organisations. En effet, trois membres de notre personnel sont rentrés récemment de la République tchèque où ils ont pris part à un exercice de deux semaines, le premier ayant eu lieu sur le territoire d'un nouveau pays membre de l'OTAN.

Nous avons joué un rôle important dans l'exercice d'apprentissage généralisé du maintien de la paix dans le cadre du sommet du cinquantième anniversaire de l'OTAN qui s'est terminé récemment à Washington (D.C.). Nous donnons des cours répondant aux besoins particuliers du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense nationale.

Ce printemps, nous avons accueilli des officiers des trois factions de Bosnie, les trois groupes qui sont en guerre, et nous avons discuté de sujets tels que le contrôle civil de l'armée dans une société démocratique. Nous avons procédé à la réintégration de travaux réalisés pour le combat à Sarajevo, en Bosnie, au Guatemala et nous le ferons dans un autre pays qui sera choisi à l'automne. Nous avons aussi mis au point un programme de médiation entre différents quartiers en Bosnie auquel nous avons pris part.

Ce ne sont là que quelques-unes des activités auxquelles participe le Centre Pearson qui augmentent non seulement la contribution du Canada au maintien de la paix mais également celle du monde.

On peut dire que le Centre Pearson de formation en maintien de la paix est un prolongement de la politique étrangère et de défense du Canada, du fait de sa capacité de réagir rapidement à des demandes particulières dans le domaine de la recherche, de l'éducation et de la formation dans le cadre de l'engagement du Canada à accroître la paix, la sécurité et la stabilité.

Pour conclure, je vous ferai les observations suivantes:

Le Canada est un pays qui a une longue et honorable tradition d'adhésion aux organisations internationales concernées entre autres par les questions de sécurité. Les Canadiens sont d'accord pour que notre pays continue à avoir une attitude internationaliste et à contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité internationales de façon utile et pratique.

Le Canada devrait continuer à chercher des moyens d'améliorer sa participation civile et militaire et le Centre Pearson de formation en maintien de la paix, grâce à ses programmes nationaux et internationaux pluridisciplinaires, améliore de façon notoire, la réputation du Canada dans le monde.

M. Paul LaRose-Edwards, directeur exécutif, CANADEM: Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ravi de venir vous parler en ce moment critique de l'évolution du maintien de la paix, compte tenu des événements qui se déroulent au Kosovo.

J'aimerais vous parler du deuxième volet de votre examen, c'est-à-dire du mandat du maintien de la paix qui est en cours d'évolution et de la capacité du Canada de participer au maintien de la paix sous les auspices de l'ONU, de l'OSCE et d'autres organisations. Mes remarques pourront toutefois avoir une certaine pertinence en ce qui concerne l'évolution de la politique de l'OTAN. L'OTAN a été conçue comme une organisation militaire civile compétente, mais est en fait resté une structure militaire comme le MDN et les Forces armées canadiennes. Ainsi, la révision de la capacité de maintien de la paix des Forces armées canadiennes que je vais proposer pourra d'une certaine façon s'appliquer à l'OTAN.

Ce que je vais vous montrer aujourd'hui, c'est que le Canada est bien placé pour se doter d'une capacité et d'un mécanisme de maintien de la paix multidimensionnels cohérents et homogènes qui répondent davantage aux besoins internationaux de maintien de la paix que le système vertical traditionnel de centres fonctionnels de maintien de la paix relativement isolés tels que l'armée canadienne, la police civile canadienne, les affaires étrangères canadiennes, l'aide officielle canadienne, les ONG canadiennes et les universitaires canadiens.

J'estime aussi que les stratégies et les ressources canadiennes de réponse aux situations de conflit se sont trop attachées aux solutions militaires. Si je suis d'accord et favorable au rôle du Canada et de l'OTAN au Kosovo au cours des derniers mois, il s'agit d'une situation relativement rare qui ne se répète pas souvent. Haïti et le Rwanda pendant un certain temps étaient à peu près semblables et, pendant un très court moment, ont exigé une solution presque uniquement militaire.

Il me semble que la capacité actuelle de maintien de la paix de l'armée canadienne doit être maintenue et élargie, mais aussi que les ressources du gouvernement canadien soient légèrement réorientées pour améliorer la capacité civile de maintien de la paix. On pourra notamment y parvenir si les Forces armées canadiennes acceptent de donner une formation importante aux civils et à la politique civile et leur apportent le soutien sur le terrain. Si elles ne peuvent ou ne veulent pas le faire et que cela fasse obstacle à la capacité des groupes de maintien de la paix civils et de police civile du Canada, je pense que l'on devrait réduire en conséquence le budget du MDN pour financer directement ces autres groupes de maintien de la paix que sont les civils et la police civile.

Je vais vous dire quelle est la leçon internationale évidente qu'on est en train d'apprendre et qui fait à peu près l'unanimité. À l'époque des opérations multidimensionnelles de maintien de la paix, rester purement, selon le sens classique, militaire, civil ou police civile revient à réduire son efficacité tant pour ce qui est des rôles traditionnels que du travail avec les autres partenaires sur le terrain.

Permettez-moi d'insister un peu sur la nécessité d'une collaboration interdisciplinaire et sur la fusion du maintien de la paix moderne -- encore appelée rétablissement de la paix, imposition de la paix, opérations de paix, opérations de formation et toutes les autres expressions que l'on entend actuellement.

On m'a d'ailleurs suggéré de proposer aujourd'hui une définition du maintien de la paix; or, non seulement je n'ai pas de définition qui me soit propre, mais j'estime que proposer encore une nouvelle définition concurrente ne ferait guère avancer les choses. Ce que je vous suggère, c'est de considérer le maintien de la paix comme une fonction ou un rôle défini de façon large pour les missions qui sont effectuées par plusieurs acteurs différents, y compris l'armée. Je parle en général des gardiens de la paix civils ou militaires, des gardiens de la paix de l'OSCE ou de la police civile.

Pour presque toutes les opérations sur le terrain, l'idée d'efforts multidimensionnels -- qu'ils soient militaires, civils, diplomatiques, de police civile ou autres -- est considérée comme acquise, mais elle n'est pas souvent mise en oeuvre de façon efficace. Et c'est essentiellement dû au fait que les diverses entités arrivent en tant qu'unités toutes faites, pour ainsi dire: les militaires, la police civile, les responsables de l'aide, des réfugiés, des droits de la personne. Rares sont ces partenaires de terrain qui se connaissent; plus rares encore sont ceux qui ont été formés ensemble, et encore plus ceux qui ont vraiment commencé à fusionner.

Le fossé qui sépare les civils des militaires est particulièrement large. Vous avez aujourd'hui sous les yeux deux organisations, le Centre Pearson de formation en maintien de la paix (PPC) et CANADEM, qui ont entamé cette fusion en prenant quelques mesures concrètes. M. Morrison vous a déjà parlé de l'idée du PPC d'avoir une formation commune pour les militaires et les civils; c'était une idée assez unique lorsqu'elle a été lancée et elle le reste encore en grande partie.

CANADEM est moins unique. Il y a d'autres mécanismes civils de réserve qui existent -- les Norvégiens, les Danois, les Suisses, les Sud-Africains -- et il y a aussi des mécanismes thématiques pour les secours en cas de catastrophe et l'aide au développement. Mais j'aime à penser que CANADEM a fait un peu avancer les choses en incluant dans sa banque de ressources la police civile et les militaires.

Vous devriez tous avoir une copie de notre brochure; si ce n'est pas le cas, j'en ai d'autres ici. CANADEM est entièrement financée par les Affaires étrangères. C'est un mécanisme qui permet de trouver les Canadiens qui ont les compétences voulues pour répondre à la demande internationale. Par exemple, si l'ONU avait besoin d'un observateur des droits de la personne pour le Rwanda, elle s'adresserait à nous pour nous donner le profil du type de personne qu'elle recherche. Nous passerions en revue notre base de données pour en tirer les candidats qui nous semblent correspondre à la définition. S'ils souhaitent que leur nom soit proposé, nous envoyons leur curriculum vitae aux Nations Unies. Nous sortons ensuite du tableau. Nous jouons essentiellement les marieurs. Pour répondre à la demande qui existe pour une grande variété de compétences, nous avons plusieurs personnes de la police civile et de l'armée que nous pouvons solliciter; nous nous décrivons donc comme un mécanisme civil multidimensionnel de secours.

J'aimerais maintenant vous faire part de quelques leçons que l'on peut tirer des opérations de paix et de maintien de la paix qui sont en cours. Je serais très heureux de vous donner plus de détails par la suite. Sachez que le thème de mes remarques sur les civils dans les missions vient de ce que certains conflits se situent vraiment dans le cadre d'une guerre. Pour d'autres, on est à la veille d'une guerre, avec toutes les difficultés qui viennent avec la guerre: le danger matériel, les situations qui évoluent rapidement sur le terrain, la grande confusion qui règne, les problèmes de continuité parce que les individus et les unités fluctuent constamment.

Je vais commencer par vous donner un exemple; l'opération sur le terrain relative aux droits de la personne au Rwanda. Dans ce cas, des civils ont été placés dans une situation sans soutien logistique suffisant, c'est-à-dire sans les aliments, les véhicules et les radios nécessaires, et leur efficacité a donc été réduite à pratiquement zéro pendant presque un an. La leçon à tirer de cette expérience est que les civils ont besoin du même soutien administratif et logistique auquel on s'attend pour les militaires qui assurent le maintien de la paix et qu'on leur accorde.

En prenant encore une fois l'exemple du Rwanda, la mission a agi pour essayer de trouver les personnes indiquées afin de constituer le personnel de cette mission jusqu'à ce qu'une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies soit en fait prise, mais il était alors trop tard. Le temps nécessaire pour trouver le personnel voulu pour l'opération relative aux droits de la personne a été une catastrophe notoire. La leçon à tirer de cette expérience est qu'il doit y avoir des mécanismes civils de secours comme CANADEM pour permettre l'identification et le déploiement rapides des civils dans les opérations sur le terrain.

Le Salvador est un autre exemple. Les civils des Nations Unies y sont allés avant l'armée pour préparer le terrain pour les militaires chargés du maintien de la paix. La leçon à tirer est que nous avons besoin de groupes de civils qui ont une formation et l'équipement voulus pour agir dans une situation où ils doivent être presque entièrement autosuffisants.

Le Kosovo est encore un autre exemple. L'absence de mécanismes précis de déploiement des civils a beaucoup retardé cette mission. L'armée canadienne y était à peu près vers la mi-novembre. Plus de 100 civils canadiens qualifiés étaient prêts à être déployés dès le 22 octobre. Il a fallu attendre jusqu'après Noël pour que les cinq premières personnes puissent aller sur le terrain. La leçon à tirer dans ce cas est que, comme avec l'armée canadienne, il faut qu'il y ait un mécanisme de déploiement des civils au Canada qui permette d'effectuer une multitude de tâches concurremment pour que l'on s'acquitte rapidement des diverses tâches qui doivent être accomplies avant d'envoyer les individus sur le terrain.

La Somalie. L'armée canadienne a refusé pendant longtemps de se préparer vraiment pour le maintien de la paix ou de travailler en étroite collaboration avec des responsables non militaires du maintien de la paix; cela a réduit l'impact des missions et a rendu inévitables les erreurs qui se sont produites en Somalie. La leçon à tirer est que l'absence de sollicitation du savoir-faire et des approches civiles par l'armée canadienne et les autres groupes militaires chargés du maintien de la paix peut donner une perspective militaire très étroite du maintien de la paix qui n'est pas indiquée pour des missions données et qui peut aboutir à de gros échecs.

Haïti. Il y avait dans ce pays une mission civile autonome de l'ONU et de l'OEA qui a été chassée à deux reprises par les militaires haïtiens. Vous vous souvenez peut-être de l'affaire du navire américain U.S.S. Harlan County sur lequel les militaires sont arrivés à Port-au-Prince pour le maintien de la paix et ont pris peur en voyant une vingtaine de tontons macoutes, ou attachés, brandir des pistolets sur les quais. Les Américains ont renversé la vapeur et cela a encouragé le général Cédras à chasser la mission civile. La leçon à tirer est que lorsqu'il n'y a pas fusion des éléments militaires et civils nécessaires au maintien de la paix, cela peut provoquer des revers civils importants.

Le Kosovo. J'étais au Kosovo juste avant Noël et il était assez évident que la KVM, la mission de vérification du Kosovo, était ouvertement constituée de militaires. On a facilement pu les envoyer sur le terrain; les mécanismes nationaux du Canada et d'autres pays ont pu faire venir rapidement leurs militaires sur le terrain. Mais ils ont dû se contenter de surveiller et d'essayer de maintenir le statu quo. Ils n'avaient pas vraiment les compétences voulues pour essayer d'apporter certains changements favorables à la démocratisation et aux droits de la personne qui auraient pu éviter ce qui s'est produit. Je sais que je fais un grand bond pour arriver à cette conclusion, et je ne veux pas dire que le résultat aurait nécessairement été différent, mais nous ne le saurons jamais. La leçon à tirer est qu'il ne faut pas confondre la capacité de déployer le personnel rapidement avec la capacité d'agir et de faire la différence sur le terrain.

Afin qu'on ne m'accuse pas de minimiser l'importance des militaires chargés du maintien de la paix, je vous rappellerai l'opération Turquoise au Rwanda, où l'armée française est restée deux mois et a effectivement réussi à arrêter le génocide qui se produisait dans la région sud-ouest du pays. Cette opération a été très efficace. Au Rwanda et en Yougoslavie, où des pressions internationales précises et prolongées et une mission civile importante sur le terrain n'ont évidemment pas réussi à empêcher les violations des droits de la personne, la leçon à tirer est que, à certains moments, la solution militaire pour défendre les droits de la personne peut être à la fois nécessaire et possible. Elle sera efficace si elle est importante.

Il y a une dernière leçon que l'on est en train d'apprendre. Les civils canadiens étudient de plus en plus le savoir-faire des Forces armées canadiennes sur le terrain et tentent de reproduire leurs façons de procéder et leurs niveaux de préparation. CANADEM est financée par l'ACDI pour entreprendre un projet de déploiement civil qui créera, entre autres choses, des mécanismes et des instructions de déploiement se fondant sur les méthodes des Forces armées canadiennes.

Tandis que je m'achemine vers ma conclusion, permettez-moi de revenir au premier argument que je vous ai présenté. À bien y penser, l'organisation canadienne qui est la plus indiquée pour déployer des individus et des groupes pour les opérations de maintien de la paix est l'armée canadienne. Il y a à cela des raisons évidentes. Par rapport aux autres associés chargés du maintien de la paix au Canada, l'armée est fort bien financée et elle est avant tout axée sur les opérations sur le terrain. Elle a des effectifs nombreux. Il ne s'agit pas d'un travail de jour, à proprement parler, de sorte qu'elle est tout à fait prête à se préparer et à se déployer pour une opération sur le terrain, qu'il s'agisse d'une guerre, de maintien de la paix, de secours en cas de catastrophe, ou d'aide à un pouvoir civil. Elle a reçu un entraînement sérieux pour aller sur le terrain ou, ce qui est très important dans ce contexte et pour les remarques que je vais faire ensuite, elle est équipée pour soutenir ceux qui iront sur le terrain. Elle est parfaitement équipée pour assurer son propre transport et les autres aspects du soutien logistique sur le terrain et pour se battre.

Mais l'armée canadienne ne possède pas la plupart des compétences qui sont nécessaires pour le maintien de la paix multidimensionnel; je veux parler du savoir-faire dans le domaine des droits de la personne au niveau international, de la démocratisation, du développement, de la diplomatie, de la médiation, et cetera. Une solution évidente et partielle consisterait à doter les Forces armées canadiennes de ces compétences. Elles ont commencé cette formation, mais il faudrait les encourager à faire davantage, surtout là où elles sont les mieux placées pour effectuer des tâches auxiliaires comme la sensibilisation et la formation des autres militaires pour qu'ils respectent comme il se doit la législation des droits de la personne, y compris la législation des conflits armés, et pour qu'ils comprennent le rôle des militaires dans une société démocratique.

Il y a une autre solution moins évidente mais partielle qui consisterait à ce que les Forces armées canadiennes aident les autres groupes canadiens chargés du maintien de la paix -- qu'il s'agisse des civils ou de la police civile -- à améliorer leur capacité de déploiement.

J'ai toujours pensé que la capacité militaire de maintien de la paix du Canada devait être maintenue et élargie, mais j'estime aussi que les ressources du gouvernement canadien doivent être légèrement réorientées pour améliorer la capacité civile de maintien de la paix. On pourra y parvenir si les Forces armées canadiennes acceptent volontairement de prendre en charge une bonne partie de la formation des civils et de la police civile, ainsi que leur soutien sur le terrain, notamment en matière d'administration et de logistique, de transport, de communications, et cetera.

Je suggère que l'armée canadienne, en collaboration avec les civils, crée une capacité de soutien pour les opérations de maintien de la paix destinée à servir à la fois l'armée canadienne et les civils canadiens. Si l'armée, les civils et la police civile du Canada acceptent de faire suffisamment de concessions mutuelles, il sera possible de mettre au point des mécanismes et des procédures multidisciplinaires qui permettront de tirer le maximum de l'ensemble des compétences et de la capacité de maintien de la paix du Canada tout en permettant des économies.

Le PPC et CANADEM représentent des efforts modestes dans ce sens, et tous deux appliquent la même philosophie, à savoir que ce qui donne des résultats pour les militaires qui assurent le maintien de la paix donnera également d'assez bons résultats pour les civils et la police civile chargés du maintien de la paix, et vice versa. La solution privilégiée pour l'avenir serait que le MDN adapte volontairement diverses parties de son mécanisme de soutien du maintien de la paix, notamment l'administration et la logistique, la formation, les transports, les communications, et cetera, afin de servir les civils et la police civile canadienne que l'on déploie dans des opérations de maintien de la paix.

Le MDN aura besoin d'un peu d'encouragement, mais en définitive, il fonctionne grâce au financement fédéral et les contribuables canadiens ne devraient pas avoir à payer pour des mécanismes civils et militaires distincts qui offrent des services et des productions pratiquement identiques.

Si le MDN, c'est-à-dire les Forces armées canadiennes, ne peut pas ou ne veut pas le faire de façon à ne pas freiner la capacité de la police civile et des civils canadiens chargés du maintien de la paix, son budget devrait être réduit en conséquence pour financer directement ces autres gardiens de la paix que sont les civils et la police civile. Toutefois, avec une conceptualisation et une proposition voulues, je ne pense pas que l'on n'y parvienne pas. Mais il faut que l'idée vienne de plusieurs sources légitimes et respectées. Le Sénat, grâce à votre comité, est évidemment l'un des premiers candidats.

En conclusion, mesdames et messieurs les sénateurs, j'espère que le comité mettra au point sa propre version de l'idée et fera ensuite fortement pression auprès des autres secteurs du gouvernement pour que le MDN adapte en partie sa capacité militaire de soutien du maintien de la paix pour servir en même temps les militaires, les civils, et la police civile du Canada, qui seront chargés du maintien de la paix.

Je vous remercie de m'avoir demandé de comparaître. Si vous avez des questions, je serais ravi d'y répondre.

Le président: J'ai moi-même quelques questions à vous poser pour commencer et je donnerai ensuite la parole aux autres sénateurs.

Vous avez tous deux une grande expérience des opérations de maintien de la paix. Quand ont-elles des chances de réussir? J'imagine que la Somalie n'est pas l'exemple que vous choisiriez pour illustrer une opération réussie. Dans quelles circonstances l'effort est-il justifié? Y a-t-il des cas où les responsables du maintien de la paix, indépendamment du fait qu'ils soient bien organisés, formés ou financés, ont-ils des chances d'avoir un léger effet, aucun effet du tout ou risquent même d'aggraver la situation?

M. LaRose-Edwards: J'ai toujours pensé que pour ce type d'opérations, comme le veut la tradition du triage, ceux qui réussissent sont ceux qui ont identifié une possibilité et sont intervenus rapidement pour avoir ainsi une chance de succès. Il y a des cas, cependant, où il est impossible de redresser une situation. J'estime qu'il y a des moments où le Canada et la communauté internationale doivent se retirer d'une situation insoluble et utiliser leurs maigres ressources pour une situation que l'on peut redresser.

Il y a toutes sortes d'exemples. Le Rwanda est un cas de figure parfait. Je crois honnêtement que, si le Canada et les autres avaient envoyé 3 000 soldats avec des blindés légers très rapidement, quelques jours après que l'avion a été abattu, ils auraient pu mettre un terme au génocide. Mais parce qu'ils ont attendu plusieurs mois, c'est devenu une mission impossible. À ce moment-là, je vous l'accorde, il était trop tard. Envoyer des troupes nombreuses n'aurait rien résolu. Le front patriotique du Rwanda était en train d'avancer et les jeux étaient faits.

Il y a des moments où on peut réussir et d'autres où on ne peut pas. On connaît le succès lorsqu'on intervient rapidement.

M. Morrison: Le maintien de la paix réussit, non pas tellement à cause de l'utilisation proprement dite des ressources militaires qui ont été accordées, mais il réussit lorsque les gouvernements nationaux et les organisations internationales, par l'intermédiaire de leurs membres nationaux, manifestent la volonté politique sur le plan pratique, la détermination, et offrent un soutien durable et les ressources nécessaires pour faire le travail.

Il y a bien sûr des circonstances où l'armée est prête, mais les gouvernements ne déploient pas les militaires ou les civils chargés du maintien de la paix ou la police civile des Nations Unies à temps pour faire le travail. Cela arrive de temps à autre avec les Nations Unies, et c'est arrivé dans le cas du Rwanda, que nous connaissons tous trop bien. Je crois que le succès du maintien de la paix réside dans l'appareil politique civil beaucoup plus que dans l'appareil militaire proprement dit.

Le président: Colonel Morrison, pouvez-vous nous décrire les opérations de maintien de la paix de Yougoslavie et du Kosovo?

M. Morrison: Il s'agit d'une opération militaire qui a été entreprise par des instances politiques qui ont dit que non seulement l'armée devait y aller pour essayer de résoudre le problème, mais qu'elle devait y aller non seulement avec un bras lié dans son dos, mais plus exactement avec un bras coupé. Je me plais à croire que la communauté internationale a appris beaucoup de l'opération du Kosovo: premièrement, établir fermement son objectif; deuxièmement accorder les ressources nécessaires pour faire le travail; et troisièmement, ne pas dire à votre opposant ce que vous allez ne pas faire.

Le président: Gardons l'exemple de la situation de la Yougoslavie et du Kosovo un instant. J'ai entendu dire ces derniers jours que, maintenant qu'un accord semble se pointer à l'horizon, le travail vraiment difficile va commencer. Est-ce ainsi que vous évalueriez la situation également?

M. Morrison: Absolument. L'utilisation des forces militaires ne résout pas le problème. Le recours à l'armée est un constat d'échec; cela veut dire que les parties au différend, les politiciens et les diplomates, n'ont pas réussi à trouver une solution et ont tenté d'utiliser la force militaire. Tout ce que fait l'intervention armée, c'est de créer une certaine stabilité, des conditions qui permettent aux politiciens et aux diplomates d'intervenir, comme c'est le cas maintenant, pour essayer de trouver un remède aux causes sous-jacentes qui sont à l'origine du conflit.

Je pense que les discussions qui ont cours actuellement à Bonn, à New York et dans d'autres endroits sont beaucoup plus importantes pour le succès de ce qui va se passer dans la République fédérale de Yougoslavie que ne l'ont été tous les bombardements car nous sommes maintenant dans une situation où M. Milosevic semble avoir accepté l'idée qu'il était souhaitable qu'il écoute plus attentivement la communauté internationale qu'il ne l'a fait auparavant. Je crois que ce qui va se passer au Kosovo, c'est que la communauté internationale, représentée par des militaires et des civils, va y rester présente pendant de nombreuses années encore.

M. LaRose-Edwards: Je ne veux pas minimiser la difficulté des opérations qui ont eu lieu auparavant, mais la partie véritablement ardue n'a pas encore commencé. Je pense que les moments difficiles viennent toujours lorsque le facteur CNN, l'attention du monde, se déplace vers un autre endroit de la planète. C'est un travail ardu que de changer une situation car cela va demander des années et des années d'efforts et d'aide soutenus de l'extérieur et de travail de la part de la population, les Kosovars, sur le terrain. Le moment difficile arrive lorsque le public international n'y prête plus attention; c'est à ce moment-là qu'il devient difficile de continuer le travail et de fournir des efforts soutenus.

Le sénateur Andreychuk: Ayant rencontré les deux témoins auparavant, lorsqu'ils assumaient d'autres responsabilités, je suis heureuse d'avoir l'occasion de leur souhaiter la bienvenue ici dans le cadre de leurs nouvelles fonctions.

J'ai l'impression que notre discussion tourne autour de la notion générale de «maintien de la paix». L'idée traditionnelle du maintien de la paix est que, lorsque deux parties, qui ne sont pas le même État, sont prêtes à mettre un terme à leur différend, nous allons les aider à maintenir cette paix à laquelle elles ont souscrit. Mais dans la plupart des situations plus récentes -- le Rwanda et le Kosovo, par exemple -- ça n'a pas été ce genre de maintien de la paix, car il y a très peu de volonté de la part de l'armée de libération du Kosovo ou des Serbes de maintenir la paix; il n'y a pas eu de volonté dans le passé et il est fort vraisemblable qu'il n'y en ait pas dans l'avenir. Faites-vous une différence entre les rôles que l'on a confiés aux militaires et aux civils lorsqu'il s'agit d'édifier la paix, de rétablir la paix et de maintenir la paix, ou est-ce qu'on les regroupe tous sous le même vocable maintenant?

M. Morrison: Au Centre Pearson, nous employons l'expression «maintien de la paix» comme notion générale qui recouvre le maintien de la paix, le rétablissement de la paix, l'établissement de la paix, les opérations de paix, la diplomatie préventive, et cetera. Le «maintien de la paix» est le terme le plus connu du public; c'est celui qui est utilisé dans la presse populaire et dans la littérature populaire. Nous devons donc adapter les forces civiles et militaires pour qu'elles fassent le travail nécessaire au chapitre du maintien de la paix dans son sens général; nous l'utilisons donc dans un sens très général qui comprend toutes les activités que vous avez mentionnées.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce que cela correspond à ce que l'armée définit comme le «maintien de la paix», avec le mandat qu'elle a pour les différentes armes, ou est-ce qu'elle a dû suivre la tendance générale pour définir le maintien de la paix?

M. Morrison: C'est les deux à la fois. Il y a sans doute autant de définitions du «maintien de la paix» qu'il y a d'armées et de gouvernements dans le monde. L'important pour les militaires comme pour les civils qui sont chargés du maintien de la paix, c'est qu'on leur dise exactement ce qu'ils doivent faire et qu'on leur donne ensuite les ressources nécessaires pour le faire. Le nom que vous donnez exactement à l'opération n'est pas aussi important que le fait d'être précis et bien équipé.

Le sénateur Andreychuk: Votre institut fait un travail très précieux et reçoit certainement des compliments et de bonnes critiques pour la formation qu'il offre. Mais pour l'armée, on me dit qu'elle a ses propres règles internes et que pour pouvoir en partie assurer le maintien de la paix, il faut travailler ensemble au sein de l'armée. Mais il semble que lorsque l'on a réduit les effectifs militaires, on ait laissé partir tous ceux qui avaient une expérience en maintien de la paix. De ce fait, il y a actuellement assez peu de personnes qui peuvent travailler très rapidement ensemble sur le terrain.

Autrement dit, l'une des lacunes provoquées par la réduction des effectifs militaires est que nous n'avons pas eu le temps de travailler ensemble, de nous former ensemble, d'arriver ensemble à un consensus dans n'importe quelle unité de l'armée. Du fait de cette faiblesse, parce que toute cette expérience et cette capacité de maintien de la paix qu'il y avait à l'intérieur ont disparu, lorsqu'il y a déploiement, il n'est pas possible de travailler ensemble de façon efficace en tant qu'armée. Si votre institut les aide, il ne peut suppléer le manque.

M. Morrison: Je crois que les effectifs des Forces armées canadiennes sont bien inférieurs à ce qu'ils devraient être. Ceci dit, tout soldat, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, de l'armée régulière ou de la réserve, est un professionnel. Aucun soldat n'est déployé dans une mission opérationnelle dans notre pays ou à l'étranger s'il n'a pas été précisément formé et s'il n'est pas à même, de l'avis de l'officier responsable, de faire le travail.

Je vous remercie d'avoir si gentiment parlé du Centre Pearson. Nous essayons effectivement de faire bien travailler ensemble les militaires et les civils avec le même esprit de corps et la même cohésion que l'on attribue à l'armée.

M. LaRose-Edwards: Que je sache, il n'y a pas un ministère, une organisation ou un particulier au Canada qui admette avoir assez d'argent. Je crois que les Forces armées canadiennes ont des effectifs plus que suffisants et des ressources plus que suffisantes pour assumer leurs fonctions de maintien de la paix. Si elles veulent dépenser de l'argent pour acheter des sous-marins, on peut se demander quelles sont leurs priorités.

Je crois que la capacité canadienne de maintien de la paix est en fait plus importante. Ce sont les militaires plus jeunes, aussi bien les officiers que ceux des autres rangs, qui ont davantage d'expérience en maintien de la paix et qui apportent davantage à ce travail. Au fur et à mesure que les militaires plus âgés, qui ont été formés pour la guerre en Europe, s'en vont, notre masse critique de maintien de la paix augmente en fait. Je crois donc que la capacité militaire canadienne en matière de maintien de la paix augmente constamment.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Morrison, vous avez dit que les Forces canadiennes n'enverraient pas leurs soldats sur le terrain s'ils n'étaient pas prêts. Mais avec le genre de structure de commandement que nous avons créé au Canada, c'est-à-dire où le chef de l'armée rend des comptes au sous-ministre, en gros, qui a lui-même son propre programme, et qui rend des comptes au ministre, est-ce que cela ne crée pas une situation difficile pour le chef de l'armée? Avec toutes les questions de politique étrangère et autres que le sous-ministre doit prendre en compte, il -- ou elle -- peut avoir une certaine idée de ce qui doit être fait; et si c'est le cas, n'est-il pas difficile pour le chef du commandement militaire de dire que ses troupes ne sont peut-être pas tout à fait prêtes? N'est-il pas placé dans la position de devoir faire de son mieux?

M. Morrison: Ma perception des relations qu'entretiennent le sous-ministre de la Défense nationale et le chef d'état-major de la Défense avec le ministre de la Défense nationale est quelque peu différente de ce que vous venez d'énoncer. Ma perception est que tous deux dans leur domaine particulier de responsabilité rendent des comptes au ministre.

Ce que je dis bien sûr du Bureau du chef d'état-major de la Défense vient de quelqu'un qui n'a jamais été très près du poste de chef d'état-major de la Défense dans l'armée, ce sont donc sans doute des idées très objectives. Le travail du chef d'état-major de la défense consiste à mettre en oeuvre la politique gouvernementale au mieux des capacités des forces armées. Tous les chefs d'état-major de la Défense que j'ai connus -- et il y en a pas mal maintenant -- n'ont jamais hésité à faire savoir au gouvernement ce qui pourrait se produire si une action recommandée ou dictée par le gouvernement était entreprise.

Avant qu'un soldat de l'armée canadienne soit envoyé sur le théâtre des opérations, je crois que les personnes responsables du quartier général de la Défense nationale procèdent à une évaluation des risques. Je pense que tous nos militaires professionnels, que ce soit des hommes ou des femmes, sont convaincus que leurs commandants militaires et leurs chefs politiques ne vont pas leur faire courir des risques inutiles. Ils vont bien sûr courir des risques; c'est leur travail et c'est pour cela qu'ils s'enrôlent et font le serment de servir.

Mais ce que je déduis de votre question, c'est qu'en effet, le chef d'état-major de la Défense a un travail très difficile. C'est pourquoi le gouvernement choisit les meilleurs pour occuper ce poste.

Le sénateur Andreychuk: Ma conception de la chose est légèrement différente de la vôtre pour ce qui est de l'aspect pratique parce que l'organigramme peut indiquer certaines choses, mais lorsque l'on passe au niveau des affaires courantes, comment fait-on valoir son point de vue lorsque le sous-ministre peut avancer un point de vue différent? Mais j'espère pouvoir discuter de cela avec le ministre lorsque nous le convoquerons.

Je pense avoir compris ce que voulait dire M. LaRose-Edwards, mais j'ai trois autres questions pour vous, monsieur Morrison. Vous avez dit que nous devrions rester membre de l'OTAN, mais vous ne nous avez pas vraiment précisé pour quelles raisons. J'aimerais en savoir un peu plus.

Dans notre rapport de 1996, lorsque nous avons étudié l'intégration européenne et les implications pour le Canada du point de vue de la politique étrangère, nous avons fait des observations sur l'OTAN et nous avons fermement appuyé la participation continue du Canada à cette organisation en indiquant quelques-unes de nos raisons. Nous avons aussi parlé du fait que l'OTAN avait été élargie car nous craignions que l'on n'ait pas suffisamment analysé les ramifications pour la politique étrangère du Canada de certaines expansions de l'OTAN, bien que nous n'étions pas contre cet élargissement de l'OTAN.

Quelles conditions préalables ou quelles conditions mettriez-vous actuellement à l'acceptation par l'OTAN d'autres pays que les trois qui viennent d'y être ajoutés, si vous pensez que des conditions doivent être mises? Laisseriez-vous les choses suivre le cours de la politique du moment?

Voilà mes deux premières questions. La troisième est la suivante: j'avais toujours compris, d'après les discussions qui avaient eu lieu après la disparition du rideau de fer et après les discussions de paix de l'époque, que l'on avait confirmé le maintien de l'OTAN, mais en insistant beaucoup sur les questions ne relevant pas de l'article 5. Nous avons maintenant le problème du Kosovo, où vous dites que nous utilisons des moyens militaires pour appuyer des initiatives ne correspondant pas à l'article 5. Pensez-vous que ce soit un bon usage de l'appareil militaire? Devrions-nous prendre le temps de définir plus clairement les initiatives ne relevant pas de l'article 5 qui devraient être sanctionnées? Dans l'affirmative, de quelle façon?

Il est clair qu'à l'époque où nous parlions d'édification de la paix, de rétablissement de la paix et d'opérations conjointes avec l'OSCE, nous parlions en fait de créer un environnement sûr au sein duquel l'Europe pourrait prospérer. Je ne pense pas qu'il ait été question que l'OTAN ait recours aux bombardements en dehors de l'article 5.

M. Morrison: Le Canada devrait rester au sein de l'OTAN parce que premièrement, c'est une organisation qui est composée de 19 pays qui arrivent à s'entendre et à agir de façon unie à l'intérieur de frontières généralement acceptées. Nous devrions faire preuve de la plus grande prudence avant de conseiller la dispersion d'une organisation qui a de tels atouts.

Deuxièmement, l'OTAN est une alliance qui a fonctionné, pas seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan économique, politique et au niveau de la recherche. Cela est dû en partie à l'article canadien de la Charte de l'Atlantique.

Troisièmement, il est encore nécessaire, pour garantir une paix, une sécurité et une stabilité relatives en Europe, d'avoir une alliance transatlantique. Cette alliance ne devrait pas être composée de très nombreux pays européens et d'un seul pays du continent nord-américain. L'adhésion canadienne joue un rôle important.

Troisièmement, l'OTAN est une organisation qui fonctionne depuis 50 ans, qui a d'importants atouts d'interopérabilité, qui peut déployer ses ressources politiques et militaires relativement rapidement pour faire face à une crise lorsque les chefs politiques de l'OTAN -- cela comprend les chefs de gouvernement des pays de l'OTAN -- décident que la force militaire doit être déployée.

Pour les critères concernant l'élargissement de l'OTAN, j'insisterais pour que les facteurs soient la démocratie, le développement économique et une force militaire qui ait le potentiel de correspondre à la norme des 19 pays actuellement membres. J'ajouterais à cette liste en quatrième place, mais en la considérant encore importante, une très bonne connaissance de la langue anglaise.

Quant à votre troisième question et à l'article 5, l'OTAN a maintenant prouvé qu'elle pouvait agir. Elle l'a fait sans objection de la part des pays européens réunis dans l'une de nombreuses organisations qu'ils ont constituées, pour différentes raisons nationales propres à l'Europe. L'OTAN est intervenue dans la République fédérale de Yougoslavie pour une très bonne cause internationale. J'aurais même aimé que l'OTAN intervienne avec encore plus de force qu'elle ne l'a fait, mais je comprends qu'il y ait eu de très bonnes raisons politiques pour ne pas le faire.

Le sénateur Andreychuk: Pensez-vous que la charte doive être changée ou estimez-vous que l'OTAN respecte parfaitement son mandat en faisant ce qu'elle fait maintenant? Certains ont prétendu que si elle devait avoir recours aux attaques militaires, aux bombardements, cela n'avait pas vraiment été envisagé en dehors d'une déclaration de guerre, et que l'on aurait utilisé tous les autres moyens disponibles. Devrons-nous revoir nos articles? Devrons-nous remettre la charte à l'étude?

M. Morrison: Pour ce qui est d'amender la Charte des Nations Unies, je suis très circonspect lorsqu'on essaie d'amender le traité de Washington à cause du petit élément qui y serait intégré. Je me rappelle qu'immédiatement après la fin de la guerre froide, certains disaient que l'OTAN devait chercher une nouvelle justification, et les opérations ne correspondant pas à l'article 5 sont devenues l'expression du moment. Puis il y a l'idée du groupe de travail commun qui serait déployé par l'OTAN pour les opérations correspondant ou non à l'article 5 et pour laquelle, au Centre Pearson, nous avons joué un rôle assez important bien que pas exagérément, pour mettre au point et contribuer à mettre en oeuvre cette idée. Je crois qu'une organisation qui a la capacité de l'OTAN devrait l'utiliser chaque fois que ses dirigeants politiques estiment qu'elle doit être utilisée. Je fais confiance à leur bon sens.

Le sénateur Bolduc: Depuis deux mois et demi, l'OTAN déploie une machine de guerre dont nous faisons partie. Après cela, va-t-on encore être considéré comme des gardiens de la paix par de nombreux pays?

M. Morrison: C'est une question que l'on pose toujours aux Canadiens lorsqu'on utilise l'armée canadienne d'une façon que désapprouve l'intervenant.

Je crois, et ce n'est pas nouveau, que les Forces armées canadiennes sont considérées dans le monde entier comme possédant une capacité générale de combat. Comme Dag Hammarskjöld le disait: «Le maintien de la paix n'est pas un travail de soldat, mais seul un soldat peut le faire.» Nos militaires, hommes et femmes, les professionnels canadiens en uniforme, possèdent ces compétences générales de combat et c'est pourquoi ils excellent dans le maintien de la paix.

La réputation de l'armée canadienne et du Canada lui-même en tant que membre fidèle de l'organisation qui intervient dans la République fédérale de Yougoslavie ne peut qu'être augmentée par la performance canadienne. Je ne pense pas que la participation canadienne aux événements des 10 ou 11 dernières semaines fasse tort à sa capacité ou à la capacité de notre armée d'assumer le rôle de maintien de la paix.

Le sénateur Bolduc: La plupart des missions de maintien de la paix sont faites au nom des Nations Unies. Pensez-vous donc que le gouvernement fédéral doive utiliser des critères lorsqu'il décide de prendre part à une mission de maintien de la paix? Doit-on toujours dire oui, même en Inde, en Indonésie ou en Afrique centrale? Ne devrions-nous pas avoir des critères pour le Canada, l'intérêt national par exemple? Que pensez-vous de ces critères?

M. Morrison: Il fut un temps bien sûr où le Canada pouvait dire qu'il avait participé à toutes les opérations de maintien de la paix des Nations Unies et à un grand nombre de missions non organisées par l'ONU. Certains disaient qu'il y avait une réaction automatique, un réflexe de la part du Canada aux invitations à participer lancées par les Nations Unies et d'autres organisations. J'ai passé six années à notre mission auprès des Nations Unies à New York à m'occuper des questions de maintien de la paix avec l'ONU, et je sais qu'à certains moments, lorsqu'on lui a demandé certaines choses, le gouvernement a décidé de ne pas accéder à la demande de l'ONU. Bien sûr, depuis lors, il y a eu des missions particulières auxquelles nous n'avons pas été invités et si nous avons été invités, auxquelles nous avons refusé de participer.

Le gouvernement canadien a toujours eu une longue liste de critères qu'il examine à la lumière de chaque demande qui émane des Nations Unies ou d'autres organisations internationales compétentes. Je ne suis pas sûr qu'il y a jamais eu une situation où tous les critères ont été respectés. Il y a sans doute eu des occasions où un assez grand nombre de critères n'étaient pas respectés, mais où le gouvernement du moment a décidé pour d'autres très bonnes raisons tout à fait compréhensibles d'envoyer des Canadiens. Y a-t-il des critères? Oui. La possibilité d'une participation de l'armée canadienne est-elle envisagée au vu de ces critères? Oui, mais en définitive, le déploiement ou le non-déploiement est une décision politique du gouvernement.

M. LaRose-Edwards: Le Canada a essayé en gros de participer à toutes les missions et nous avons vraiment épuisé nos ressources. Nos décisions de participer ou non n'ont pas été très stratégiques. Il nous faut réfléchir davantage à l'impact de l'armée canadienne dans des opérations de maintien de la paix. Quelle est la valeur ajoutée? Nous avons vraiment fait une erreur en ne dirigeant pas l'opération militaire en Haïti. Les États-Unis ont réussi à le faire, mais ils amenaient avec eux un lourd bagage politique. Le Canada aurait dû s'avancer et déclarer: «Nous allons diriger cette mission. Nous ferons avec cette mission ce que les Américains ont fini par faire», car nous avions la valeur ajoutée; nous avions la capacité francophone; nous avions la neutralité; nous sommes dans le même hémisphère, mais nous avons décliné cette responsabilité.

De même au Rwanda, nous avions la valeur ajoutée; nous sommes un pays francophone; et nous arrivions sans bagage politique. Pourquoi le Canada ne s'est-il pas avancé pour intervenir très rapidement afin de soutenir le général Dallaire me dépasse. Nous avons des troupes nombreuses en Bosnie alors que la valeur ajoutée y est assez minime. Il y a énormément de troupes qui peuvent faire les mêmes choses que l'armée canadienne en Bosnie. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous sommes en Bosnie et pas en Haïti ni au Rwanda.

Le sénateur Forrestall: J'aimerais me joindre à mes collègues pour souhaiter la bienvenue aux deux témoins. Le colonel Morrison est un vieil ami. Nous avons eu des intérêts communs pendant assez longtemps. Plus récemment, monsieur le président, il s'occupe de mon lieu de naissance qui est Cornwallis. Il y fait un excellent travail. Les pelouses sont bien tondues et j'en passe.

Monsieur LaRose-Edwards, comment pensez-vous que la marine, qui reste le seul élément d'intervention rapide du Canada, puisse se débrouiller avec des hélicoptères désuets et sans sous-marins? Quel genre de travail pourrait-elle accomplir? La question est de pure forme.

Le président: Je vous demanderais de poser vos questions à M. Morrison pour qu'il puisse partir au moment prévu.

Le sénateur Forrestall: De nombreuses personnes croient que le Canada n'a guère de justifications juridiques et morales depuis quelques mois pour ce qui se passe au Kosovo. Prenons le nouveau partenariat de maintien de la paix qui est en train de se constituer et que vous nous avez décrit brièvement et plutôt succinctement, et prenons les organismes humanitaires, la police officielle et divers autres organismes très nécessaires, comment pensez-vous que les deux types d'intervention puissent aller de pair? Si nous essayons de nous impliquer davantage dans ce nouveau partenariat et d'offrir au monde une nouvelle capacité, laissiez-vous entendre, lorsque vous en avez parlé, que nous pourrions peut-être réduire notre rôle au sein de l'OTAN? Je sais que vous voulez que nous en restions membres, mais le proposer simplement parce que personne ne se plaint est bien beau, mais peut-être pas tout à fait suffisant. Il doit y avoir une raison plus solide que celle-là. Devrions-nous réexaminer la Charte de Atlantique? Y a-t-il des amendements que l'on devrait proposer à la Charte de l'Atlantique proprement dite? Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?

M. Morrison: En ce qui concerne le traité de Washington, il est certainement toujours bon de réexaminer le mandat d'une organisation afin de voir s'il est possible de l'améliorer. C'est très souvent le cas et on peut le faire sans nécessairement devoir amender le mandat officiel qui est dans ce cas le traité de Washington. Cela s'est fait d'une certaine façon avec la réorientation de l'OTAN après la fin de la guerre froide. Il a été généralement reconnu que c'était une organisation utile. Il y a des tâches qu'elle peut effectuer et qui sont d'une nature qui ne relève pas de l'article 5 et il y a une entente tacite entre les 16 et maintenant 19 membres qui veut que l'organisation s'oriente dans cette direction.

En ce qui concerne le nouveau partenariat de maintien de la paix et le regroupement d'éléments civils et militaires pour l'accomplir, nous sommes en bonne voie pour mettre en oeuvre cette idée. À l'échelle internationale, nous sommes également en bonne voie pour envisager, ce qui semble une évidence mais qui n'est pas sans importance, un nouveau type d'opérations basé sur la législation humanitaire et les droits de la personne. Tandis que des conflits continuent, et vont certainement continuer, à apparaître, l'OTAN et la communauté internationale vont s'orienter dans des directions que nous n'aurions peut-être pas acceptées il n'y a que cinq ou dix ans.

Le sénateur Forrestall: Vous estimez donc que le maintien de la paix moderne reflète déjà jusqu'à un certain point la subordination de la souveraineté nationale aux valeurs et aux droits de la personne universels plus généraux. Cela le justifie-t-il? Nous sommes en train d'évoluer; cela ne fait aucun doute. La terreur et l'horreur de ce qui se passe sur le terrain sont indéniables, mais cela le justifie-t-il? Si ce n'est pas le cas, comment redonner au Canada un rôle moral, juridique et éthique de maintien de la paix?

M. Morrison: Au Centre Pearson, nous trouvons difficile de définir le bien absolu et le mal absolu.

Le sénateur Forrestall: Nous sommes d'accord là-dessus.

M. Morrison: Nous avons un cours sur les droits de la personne dans le maintien de la paix. Au début du cours, chacun admet que les droits de la personne doivent être respectés. Cela ne fait aucun doute. Lorsque nous commençons à discuter de ce que sont les droits de la personne et de la façon dont nous devrions les faire respecter, nous apprenons très vite qu'il y a des opinions divergentes et qu'il y en aura toujours. Notre tâche consiste à savoir ce qui est acceptable et ce qui est jugé convenable par la majorité des gouvernements ou la majorité des citoyens. Nous avons énormément de travail à faire dans ce domaine.

Le sénateur Forrestall: Ce devrait être la primauté du droit.

M. LaRose-Edwards: Tandis que je conçois et que je donne ce cours sur les droits de la personne et les opérations sur le terrain, je constate que notre intervention actuelle au Kosovo est fondée sur des raisons morales et légales très solides. Il y a des normes évidentes qui existent actuellement dans le droit des conflits armés et dans la législation des droits de la personne qui nous justifient de toute évidence. Si nous ne faisions pas ce que nous faisons, nous enfreindrions la loi. Nous respectons de toute évidence la loi en l'occurrence.

Le sénateur Grafstein: Colonel Morrison, j'aimerais revenir à un sujet que vous avez abordé et qui est celui du futur rôle du Canada dans l'OTAN. Je n'oublie pas ce que vous avez dit plus tôt, à savoir que l'OTAN devrait être élargie si les nouveaux membres respectent certaines normes démocratiques de participation.

N'est-il pas juste de dire que l'élargissement de l'OTAN mettrait le Canada dans une position encore plus faible pour ce qui est de sa participation à l'organisation? Le Canada courrait pratiquement le risque de n'avoir qu'une adhésion artificielle à l'OTAN, ne pensez-vous pas? Par exemple, il semble qu'il y ait dichotomie entre les exigences de participation pour les nouveaux membres de l'OTAN -- la Pologne, la Hongrie, la République tchèque -- pour ce qui est du statut de leur armée, de leur investissement militaire, de l'état de préparation de leur armée, bref toutes les exigences normales que l'on a envers les nouveaux membres. Parallèlement, le Canada, peut-être avec d'autres États membres, est en train de réduire pratiquement à leur minimum ses obligations envers l'OTAN pour ce qui est de la force de défense l'arme au pied. Comment pouvons-nous informer le public canadien de cela dans la réalité? Quels sont nos véritables intérêts, nos intérêts vitaux, comme l'a dit le sénateur Bolduc?

M. Morrison: L'un des avantages d'être canadien est, bien sûr, que dans une grande mesure, les intérêts nationaux du Canada correspondent aux intérêts internationaux. Une qualité des Canadiens que l'on admire beaucoup dans le monde entier est que nous sommes tournés vers l'extérieur, que nous sommes internationalistes, et que nous sommes prêts à partager nos ressources.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'avec davantage de membres au sein de l'OTAN, certains pourraient accorder une moins grande valeur ou une moins grande importance à chaque membre individuellement. La question à laquelle je répondais concernait les critères que devraient à mon avis respecter les nouveaux membres. On ne m'a pas demandé quand je croyais que l'OTAN devrait accueillir de nouveaux membres. Si on me posait cette question, je dirais que ce ne devrait pas être avant quelques années, lorsqu'on aura eu le temps de digérer et d'évaluer notre expérience avec les trois nouveaux membres.

Le sénateur Grafstein: Vous conseilleriez donc au gouvernement canadien de ne pas donner davantage de raisons d'espérer aux autres États qui souhaitent se joindre à l'OTAN dans un avenir proche?

M. Morrison: Dans un avenir proche, oui. Pour ce qui est de la participation canadienne à l'OTAN, comme je l'ai déjà dit ailleurs à maintes reprises, le personnel militaire canadien est reconnu pour son professionnalisme. Malheureusement, il n'est pas assez nombreux. On offre régulièrement au Canada des postes hiérarchiques élevés dans les divers quartiers généraux de l'OTAN que nous ne pouvons pas accepter parce que nous n'avons pas le personnel voulu pour les combler. Je pense que c'est l'une des choses que devraient revoir le ministère de la Défense nationale et le gouvernement du Canada. C'est-à-dire qu'à mesure que les effectifs militaires diminuent, le nombre des gens que nous avons dans des organisations à l'étranger à des postes importants devrait augmenter, car cela nous donne voix au chapitre et aussi, pour l'armée qui reste au pays, cela nous donne l'expérience de gens qui ont travaillé dans des quartiers généraux importants. Cela nous sera très utile lorsqu'on demandera à des Canadiens d'assumer des postes de commandement dans des opérations internationales de maintien de la paix et autres.

Le sénateur Grafstein: Vous avez dit dans un témoignage antérieur qu'il y avait un ensemble de règles pour l'engagement dans diverses missions de maintien de la paix qui sont internes au gouvernement. Le public peut-il en disposer et sont-elles débattues publiquement? C'est chose nouvelle pour moi. Je ne savais pas qu'en fait nous avions un ensemble de lignes directrices internes qui ne font pas partie du domaine public.

M. Morrison: Je crois qu'elles sont publiques. Je me souviens qu'il y a de nombreuses années, je crois que c'était le chef d'état-major de la Défense de l'époque, le général Paul Manson, qui avait écrit un article dans le Canadian Defence Quarterly dans lequel il les fixait. En 1989, j'ai écrit un article dans le même journal au sujet des critères et je les ai vus dans le domaine public.

Le sénateur Grafstein: Ces documents sont donc disponibles et on peut les étudier.

M. Morrison: Oui.

Le sénateur Robertson: J'aimerais que vous me précisiez une chose en ce qui concerne les relations ou la participation du Canada à l'OTAN. Croyez-vous, par exemple, que nous apportions notre juste part aux ressources de l'OTAN? J'aimerais aussi que vous nous expliquiez comment vous arrivez à votre réponse. Comment définiriez-vous la juste part? Par rapport à notre juste part, les autres membres apportent-ils leur juste part?

M. Morrison: Je crois pour commencer que la fourchette de l'apport canadien se situe dans des limites acceptables. Il se situe sans doute dans la partie inférieure de la fourchette, mais il est tout à fait dans des limites acceptables. J'estime que nous apportons notre juste part sur le plan financier. Je crois que tous les autres pays de l'OTAN aimeraient que l'on assume une plus grande part militaire. Mais il faut prendre garde à ne pas combler les vides qu'ils ont laissés en réduisant leurs effectifs.

Nous devrions faire tout notre possible pour que nos alliés comprennent que l'OTAN commence à Vancouver et traverse tout notre avant de traverser l'océan Atlantique. Le Centre Pearson organise un certain nombre d'activités qui nous amènent un assez grand nombre d'officiers militaires de l'OTAN en Nouvelle-Écosse pour que nous les éduquions aux divers aspects du maintien de la paix et pour que nous leur fassions faire des exercices.

Presque tous les autres pays membres de l'OTAN aimeraient une plus grande participation du Canada pour deux raisons: premièrement, pour combler les vides laissés et deuxièmement, et c'est là chose plus importante, à cause de la valeur intrinsèque de notre apport.

Le sénateur Robertson: Il me semble que les Britanniques et les Américains apportent beaucoup, mais peut-être que c'est une interprétation simpliste. Les autres pays, sans compter les nouveaux venus, assument-ils honnêtement leur juste part?

M. Morrison: Sans faire de comparaisons, qui peuvent être assez détestables, j'estime que la qualité de l'apport canadien, pas particulièrement sa quantité mais sa qualité, est plus importante que celle de nombreux autres pays membres de l'OTAN.

Le président: Nous avions convenu de certaines choses avant de savoir ce qui allait se passer au Sénat cet après-midi. Chers collègues, je dois remercier le colonel d'être venu. Son témoignage nous a été très utile et le fait que nous soyons réticents à le voir partir signifie qu'il a été particulièrement précieux. Nous avons l'impression de ne pas encore avoir épuisé cette mine. Il nous faudra peut-être vous convoquer à nouveau, colonel Morrison. Merci d'être venu.

Nous avons réservé les questions qui nous voulions adresser à M. LaRose-Edwards, mais nous pouvons maintenant les poser.

Le sénateur Grafstein: Le travail de votre organisation m'intéresse parce qu'il semble être parallèle ou reprendre le travail qui se fait en Norvège, en Suède et dans d'autres pays plus petits, surtout concentré maintenant autour de l'OSCE. Vous connaissez sans aucun doute la mission de vérification du Kosovo, qui a été conçue non seulement pour vérifier le respect des résolutions et des accords de l'ONU, mais également pour le maintien de la paix non militaire. Cette opération a été très précise puisqu'elle a permis de couvrir les élections, les services de police et des experts des médias. Elle a couvert presque tous les éléments de la démocratie et de l'édification de la démocratie. Votre organisation coordonne-t-elle ses séances de formation avec le travail qui est effectué actuellement dans des endroits comme la Suède et la Norvège en collaboration avec l'OSCE?

M. LaRose-Edwards: Je connais très bien cette mission. J'ai été envoyé à l'OSCE pour la KVM juste avant Noël pour mettre au point l'aspect démocratisation des droits de la personne de l'opération. La partie formation des civils de ces missions est très importante et l'OSCE est en train d'essayer de s'en occuper en ce moment précis. Suni Danielsson, ambassadeur de l'OSCE, dont le siège est à Vienne, essaie de créer un mécanisme de formation plus important, non seulement pour des missions précises, mais de façon générale pour les individus qui n'ont pas encore été affectés, mais qui attendent de partir. Mais les choses n'avancent pas très vite. Le problème vient en partie du manque de ressources. La Norvège, par exemple, offre une certaine formation avec une organisation semblable à la nôtre, NORDEM. J'y ai été envoyé pour contribuer à la mise au point de cette formation. Il s'agit d'une organisation de portée limitée. Nous avons une beaucoup plus grande envergure. Nous avons dépassé le stade de ce qui se fait là-bas.

Nous avons un problème semblable au Canada sur le plan de la formation. Le PPC comble certaines lacunes, mais la demande de formation est beaucoup plus importante. Il n'y a pas que le PPC qui puisse le faire, il y a également plusieurs établissements universitaires et des ONG. Le problème constant est le manque de ressources.

La solution réside en partie dans la participation de civils à certaines formations qui ont été conçues pour l'armée canadienne, notamment la détection des mines et la conduite des véhicules militaires. Cette formation pourrait avoir un objectif secondaire avec la formation des civils. Ce pourrait être l'une des façons de combler les lacunes de la formation en permettant aux civils canadiens d'utiliser les compétences et les mécanismes des Forces armées canadiennes.

Le sénateur Grafstein: Je ne vois pas très bien ce que vous nous proposez. S'agit-il de créer des marchands de paix compétents, non militaires, employés à plein temps qui soient appuyés logistiquement par l'armée? Ou s'agit-il de créer un groupe de volontaires de l'ensemble du pays ayant des compétences particulières, qui a reçu une formation semblable à la milice ou à la réserve, en partie, et qui serait donc prêt à intervenir pour une mission donnée autorisée localement ou par les Nations Unies? Je ne comprends pas encore parfaitement comment vous envisagez le travail de ce groupe particulier.

M. LaRose-Edwards: C'est le premier aspect que j'envisagerais davantage. Nous ne pourrions pas avoir une force permanente de civils prête à partir. Cela coûte trop cher. Nous avons déjà une liste de 700 experts. Mais il est encore tôt à l'heure actuelle. Il n'y a qu'un an et demi environ que nous avons commencé cette liste. Nous pensons que d'ici Noël, elle comptera 1 000 personnes et que ce chiffre va continuer à augmenter. Il va peut-être commencer à se stabiliser autour de 2 000 ou 3 000 individus. Il y a un nombre incroyable de civils canadiens qui ont une expérience du terrain. Tandis que nous commencerons à inscrire davantage de militaires à la retraite, ces chiffres augmenteront encore davantage.

Je propose que les civils canadiens soient préparés à l'avance, avant qu'on les déploie, et que cela soit fait en leur permettant de participer à la formation de l'armée canadienne. Si l'armée organise un cours de détection de mines à Edmonton et que 20 personnes le suivent, peut-être que l'on pourrait y ajouter deux civils. Les civils devraient suivre régulièrement cette formation pour que, lorsqu'ils participent à des opérations sur le terrain, ils ne courent pas davantage de risques que les militaires. Au Kosovo, le personnel militaire et les civils canadiens assumaient des fonctions identiques dans des situations identiques et couraient donc les mêmes risques. L'armée canadienne était beaucoup mieux préparée, payée et soutenue sur le terrain et elle était aussi beaucoup mieux soutenue à son retour au pays. Les civils sont livrés à eux-mêmes. Lorsque la mission est terminée, on leur donne leur billet de retour et c'est tout.

Lorsqu'il est possible que l'armée canadienne accepte quelques civils pour ce qui est de la préparation, du déploiement et du rapatriement, elle devrait le faire et cette solution serait préférable à la création lente d'un tout nouveau mécanisme civil pour cela. Utilisons l'armée dans un double but.

Le président: Je me sens coupable au nom du comité de faire attendre deux témoins. J'aimerais bien qu'on leur demande d'intervenir. Je proposerais que l'on étudie le témoignage reçu du colonel Morrison et de M. LaRose-Edwards et qu'on assure le suivi par écrit si c'est nécessaire. Au nom du comité, je ne pense pas que nous rendions justice aux deux autres témoins en les faisant attendre depuis 15 h 30.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Qui fait appel à vos services? Est-ce que ce sont simplement les institutions internationales? Est-ce que, par exemple, les Nations Unies utilisent votre base de données?

[Traduction]

M. LaRose-Edwards: Nous avons au départ été créés pour combler une grande lacune de l'ONU puisqu'elle ne disposait pas de listes d'individus et ne savait pas comment les contacter. Le Rwanda a bien montré comment elle faisait des pieds et des mains pour essayer de trouver des personnes. Mais lorsque nous serons complètement en place et que nous fonctionnerons, nous répondrons à presque toutes les organisations sans but lucratif qui pourraient chercher des candidats, et cela comprend le gouvernement canadien.

Pour le Kosovo, par exemple, les 120 noms que nous avons trouvés ont été soumis aux Affaires étrangères. Le ministère a choisi ceux qu'elle voulait proposer et les a envoyés à l'OSCE. Cela s'est donc fait par une voie un petit peu détournée. À d'autres moments, nous recevons des demandes directes de l'ONU. L'OSCE vient également nous trouver directement pour obtenir des candidats, de même que les ONG canadiennes, les ONG internationales et les Forces armées canadiennes. Il n'y a pas de limite. Quiconque cherche un civil canadien qualifié, obtient une réponse de notre part.

Le sénateur Whelan: À vous écouter et à écouter le colonel Morrison, j'ai l'impression que vous n'êtes pas très optimistes pour la paix dans le monde. Vous préparez des milliers de personnes de plus pour qu'elles s'occupent du maintien de la paix, vous êtes donc sûr qu'il y aura davantage de troubles dans le monde et de droits de la personne qui seront piétinés, non?

M. LaRose-Edwards: En fait, à long terme, je suis tout à fait optimiste. À court terme, je suis pessimiste sur notre façon de réagir. C'est certainement un marché en expansion, non pas parce qu'il y a davantage de violations qui sont perpétrées dans le monde, mais parce que nous y faisons maintenant davantage attention. Il y a 40 ans, le Rwanda n'aurait même pas été un point à l'horizon pour qui que ce soit. Rien ne se serait produit. On aurait pensé que c'était simplement les Africains qui faisaient ce qui se fait en Afrique. Si la guerre froide avait encore existé, on se serait à nouveau lavé les mains pour ce qui se passait au Kosovo, et on n'y serait pas allé. Ce n'est pas que les choses empirent. C'est simplement que nous améliorons nos réactions. Pour mieux réagir à ces choses, nous devons avoir une plus grande capacité de le faire tant sur le plan militaire que civil.

Le sénateur Whelan: Ne pensez-vous pas qu'avec nos communications modernes, les satellites et le reste, nous aurions dû intervenir beaucoup plus rapidement au Rwanda? Il me semble que l'ONU a pitoyablement échoué. Elle n'a pas prêté attention aux demandes du commandant canadien et notamment, parce que c'était la fin de semaine. Si un producteur laitier agissait de cette façon, ses vaches mourraient. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous dites que le Rwanda n'était qu'un point. Pour moi, ça a été l'une des pires catastrophes que nous ayons jamais connues. Je n'étais qu'un civil, mais j'ai été atterré par le manque d'action du gouvernement.

M. LaRose-Edwards: Vous avez raison, mais nous sommes pour finir intervenus en offrant des milliards de dollars d'aide humanitaire pour 800 000 personnes peut-être. Nous aurions dû réagir plus rapidement, mais nous l'avons fait pour finir. Le facteur CNN a finalement joué et nous a forcé la main. C'est ce qui se passe de plus en plus et nous réagissons un peu plus vite.

Le sénateur Whelan: J'étais tellement heureux lorsque la guerre froide a commencé à s'estomper, lorsque le rideau de fer a commencé à disparaître. Nous pensions que nous allions vivre tous dans la coexistence pacifique. Depuis 1991, nous avons tué 10 millions de personnes dans ce beau monde pacifique. Aurait-il mieux valu poursuivre la guerre froide et garder le rideau de fer?

M. LaRose-Edwards: Ils représentaient en fait tous les deux des tapis géants sous lesquels on pouvait balayer pas mal de choses. Le Guatemala en est un bon exemple.

Le sénateur Whelan: Le Guatemala était un enfantillage comparé à ce que nous avons vu en Afrique et dans d'autres régions du monde. Les gens qui vivent au Kosovo parlent tous la même langue. Je suis allé dans ce pays à plusieurs reprises en tant que civil et en tant que membre de longue date du comité de la défense, mais croyez-vous qu'on m'ait demandé une seule fois ce que l'on devrait faire dans cette région? Je crois que certaines personnes qui travaillent aux Affaires étrangères ou à l'ONU ignorent ce qui se passe. Lorsqu'on parle de droits de la personne, ce pays ne pourra jamais connaître la démocratie telle que nous la connaissons. Il avait besoin de la main de fer d'un Tito.

Nous n'aurions jamais dû reconnaître la Croatie comme nation indépendante. Nous aurions dû dire: «Vous vivrez dans une confédération, vous vivrez en coexistence pacifique, même si nous devons installer chez vous une force policière.» Le Canada a été assez bête pour être le deuxième pays à reconnaître la Croatie comme nation indépendante. Lorsque vous étudiez l'histoire de ce pays, vous prenez conscience de la haine qu'on y enseigne. De même, lorsque vous étudiez le Kosovo, vous comprenez qu'il y a beaucoup de choses qu'on ne dit pas mais que l'on devrait dire sur cette partie du pays; sur la façon dont il a été créé et sur la façon dont on peut malmener les autres groupes minoritaires de la région. Je ne suis pas très optimiste quant à la coexistence pacifique. Je ne pense pas que vous le soyez non plus lorsque vous parlez des milliers de personnes qui figureront sur vos listes. Avec tout le respect qui nous est dû à nous civils, pour moi, les Nations Unies constituent l'une des organisations les plus inefficaces, les plus inaptes qui soient, et nous dépensons des milliards de dollars pour elle.

Les Russes veulent que l'ONU intervienne et soit chargée du maintien de la paix au Kosovo. Dieu nous garde d'une telle chose.

M. LaRose-Edwards: Vous avez révélé de nombreuses grosses pentes glissantes et je sais que le président veut mettre un terme à la discussion. Je serais très heureux d'en parler avec vous à un autre moment. Si certains d'entre vous ont des questions sur CANADEM, ils peuvent m'envoyer un courrier électronique ou m'appeler. J'ai été ravi d'être appelé à comparaître devant vous et j'espère vous avoir été d'une quelconque utilité.

Le président: Vous avez été très utile. Vous nous avez donné le point de vue d'une autre colline.

Chers collègues, nous avons maintenant deux autres témoins: le professeur Kim Richard Nossal, qui fait partie du Département des sciences politiques de l'Université McMaster et le colonel à la retraite Douglas Fraser, qui est directeur exécutif du Conseil canadien pour la paix et la sécurité internationales.

M. Kim Richard Nossal, Département des sciences politiques, Université McMaster: Merci de m'avoir invité. D'après ce que j'ai compris, je devais être associé au professeur Stephen Scott, de l'Université McGill, parce que le professeur Scott et moi-même nous penchons en fait sur la même question. C'est-à-dire que nous nous occupons de la participation du pouvoir législatif et du Parlement canadien au déploiement des Forces canadiennes dans des missions étrangères.

Comme vous le verrez dans mon mémoire, lorsque je commence à réfléchir à ce sujet important, je commence par passer en revue les pratiques passées du Canada à cet égard. L'une des traditions les plus profondément ancrées de la politique étrangère canadienne veut que seul le Parlement puisse décider d'engager les Forces canadiennes dans le service actif à l'étranger.

La formule du Parlement qui décide est apparue pour la première fois en 1910, lorsque le premier ministre Wilfrid Laurier a déclaré que si les Canadiens étaient automatiquement en guerre lorsque la Grande-Bretagne l'était, rien ne garantissait que le Canada participe automatiquement à toutes les guerres menées par l'Angleterre. Comme Laurier l'a si bien dit: «C'est là une question qui doit être réglée en fonction des circonstances, sur laquelle le Parlement canadien devra se prononcer et dont il devra décider.»

Plusieurs successeurs de Laurier, au fil du temps, allaient reprendre exactement cette formule. Mackenzie King allait l'employer au sujet du Chanak en 1922; Lester Pearson allait l'utiliser pour Chypre en 1964 et Jean Chrétien allait s'en servir au sujet de l'ancienne Yougoslavie en 1994 et en 1995.

Cette formule a non seulement été souvent reprise par les premiers ministres, mais elle a également été adoptée par plusieurs députés parce que, pour certains parlementaires, la participation du corps législatif aux décisions de politique étrangère constitue le point de référence le plus indiqué d'une politique étrangère démocratique. D'après leur raisonnement, lorsqu'il s'agit de questions aussi importantes que la guerre et la paix, si ce n'est pas le Parlement qui tranche, la décision n'est pas démocratique. Les décisions prises par le pouvoir exécutif, avec recours à la prérogative royale, font penser à des privilèges élitistes dépassés.

C'est certainement un argument que n'a cessé de soutenir notre ministre des Affaires étrangères actuel, M. Axworthy, tant en sa qualité de ministre que lorsqu'il était dans l'opposition. C'est évidemment un rappel. Le plus récent a été fait par le premier ministre lui-même au cours du débat parlementaire du 24 mars sur le recours à la force contre la Yougoslavie.

Il est bon de se rappeler que les parlementaires qui ne font pas partie du Cabinet peuvent trouver la formule du Parlement qui décide très attirante. Il faut savoir que lorsque les premiers ministres canadiens utilisent la formule, ce n'est pas vraiment ce qu'ils veulent dire, pour toutes les raisons que le professeur Scott a indiquées concernant la prérogative officielle et légale de la Couronne de décider pour les questions de guerre et de paix. Le mémoire que vous avez sous les yeux s'attache donc en fait à la pratique politique plutôt qu'à ses aspects légaux. Je veux examiner ce que les Canadiens ont fait dans le passé.

Les leçons de l'histoire peuvent être importantes, essentiellement parce que la mémoire politique tend à être notoirement courte et partisane. Il est utile de réfléchir à certains décalages entre la mémoire et la réalité historique. Deuxièmement, et je pense que cela est plus important, la façon dont les dirigeants politiques d'autrefois réglaient ces problèmes recèle pour nous des leçons très utiles pour l'avenir. Mon mémoire porte sur deux questions différentes. Tout d'abord, sur la question de la guerre et du recours à la force, et il s'attache notamment aux huit occasions, au cours des 100 dernières années, où le gouvernement canadien est allé en guerre contre d'autres pays, notamment, pendant la guerre des Boers en 1899; pendant la Grande Guerre de 1914; lors de la participation à l'intervention dans la guerre civile de Russie en 1918 et 1919; pendant la Seconde Guerre mondiale en 1939; contre le Japon en 1941; pendant la guerre de Corée en 1950; lors de notre participation à l'opération Tempête du désert ou à la guerre du Golfe en 1991; avec la décision du gouvernement canadien d'avoir recours à la force contre la Somalie en décembre 1992; et bien sûr pendant la guerre contre la République fédérale de Yougoslavie qui se déroule actuellement.

Je m'attache également dans mon mémoire à la participation parlementaire à de nombreuses missions de maintien de la paix. Comme le colonel Morrison, j'utilise l'expression «maintien de la paix» de façon relativement générale puisqu'elle recouvre également l'importance de la surveillance de la trêve, car même si tout le monde au Canada parle généralement de Suez comme de l'endroit où est né le maintien de la paix canadien, c'est en fait tout à fait faux. Les opérations de maintien de la paix ont commencé beaucoup plus tôt. La première fois que nous avons vraiment participé à l'envoi massif de troupes pour une opération de surveillance de la trêve et donc de maintien de la paix, c'était évidemment à l'époque des commissions pour l'Indochine en 1954.

Si je considère la participation parlementaire du Canada à la décision de prendre part aux opérations d'Indochine, de Suez en 1956, de Chypre en 1964, et à la partie Bouclier du désert de la guerre du Golfe en 1990, puis à la force de mise en oeuvre après les accords de Dayton, l'IFOR, en décembre 1995, je constate que le Parlement canadien a pris des décisions très irrégulières en ce qui concerne la participation. Dans la grande majorité des cas, le Parlement canadien n'a participé qu'après le fait, bien après que le pouvoir exécutif -- en d'autres termes, le Cabinet -- a décidé de faire participer le Canada, d'engager les Forces canadiennes dans les opérations militaires ou de maintien de la paix.

Dans mon mémoire, je reviens sur les faits historiques surtout pour montrer une certaine permanence des problèmes qu'éprouvent les gouvernements canadiens lorsqu'il s'agit de faire participer les simples députés, qui ne font pas partie du Cabinet, aux décisions d'engager les Forces canadiennes dans des missions à l'étranger.

En gros, les gouvernements canadiens, et bien sûr le Parlement canadien, se trouvent invariablement placés dans la situation de devoir réagir à des événements ou à des crises, souvent dans des délais très serrés. C'est une observation qui est bien sûr évidente, mais il me semble qu'elle influe directement sur la capacité du Parlement canadien à participer à la prise de décisions de cette importance.

Le problème vient en partie du calendrier parlementaire tout simplement. Dans la plupart des exemples que j'ai cités dans mon mémoire, le Parlement ne siégeait même pas. Comme vous le savez fort bien, le Parlement canadien a un calendrier relativement peu chargé par rapport à d'autres assemblées législatives du système international. Il suffit de comparer le Parlement canadien au Bundestag allemand qui siège constamment.

Le fait que le calendrier du Parlement canadien soit si peu chargé vient de la taille de notre pays, de la difficulté que l'on a de se déplacer entre les circonscriptions et la capitale nationale. Cela a des répercussions importantes sur la capacité du Parlement canadien de participer vraiment à la prise de décisions politiques importantes comme l'engagement des Forces canadiennes dans des missions étrangères.

Par contre, en raison de l'organisation du calendrier parlementaire canadien, ceux qui sont de service 24 heures sur 24, sept jours sur sept et 52 semaines sur 52 -- autrement dit, les ministres du Cabinet ou plus exactement leurs collaborateurs -- sont parfaitement placés pour réagir aux revirements imprévisibles de la politique mondiale dans lesquels ils trouvent toutes les raisons qui permettent au pouvoir exécutif d'agir; ils ne veulent pas attendre que les députés se réunissent à nouveau pour entreprendre le débat.

Le problème vient en partie de ce qu'une grande partie de la politique étrangère canadienne se fait en réaction, d'une certaine façon, à ce qui est décidé ailleurs. Le débat sur la guerre du Golfe en est un bon exemple. Vous vous souviendrez sans doute qu'il a eu lieu en janvier 1991. Au beau milieu du débat parlementaire canadien, le gouvernement américain a décidé de lancer l'offensive contre l'Irak. Comme de coutume, le Parlement canadien était engagé dans un processus qui a été pris de vitesse par les événements internationaux.

De même, la politique canadienne se décide souvent dans des tribunes très éloignées, ce qui rend tout à fait impossible la participation du Parlement. Imaginer la dynamique à laquelle a été confronté, par exemple, le gouvernement canadien en 1954 au moment des accords de Genève, lorsqu'on a indiqué aux représentants canadiens que le Canada était pressenti pour devenir membre des commissions pour l'Indochine. Il était impossible de répondre à ce moment-là: «Nous sommes désolés, c'est le Parlement canadien qui doit décider.»

En outre, n'importe quel autre gouvernement sait combien la formule du Parlement qui décide est fondamentalement fausse dans le contexte du système de Westminster. Tous connaissent le pouvoir de la prérogative royale pour les questions de guerre et de paix et ils savent également que lorsque les pays dotés du système de Westminster invoquent cette formule, ils le font habituellement pour des raisons politiques internes.

Quelles sont les implications de ce raisonnement pour la participation parlementaire? J'aimerais proposer deux conclusions. Premièrement, il me semble que certains des désirs de plus grande participation des simples députés à ces questions de politiques étrangères sont inspirés par ce que font les politiciens chez notre voisin du sud. On a dit qu'à l'intérieur de chaque parlementaire d'un gouvernement de type Westminster sommeille un membre du Congrès qui ne demande qu'à s'éveiller. Certes, les propositions en vue de renforcer la participation parlementaire à l'élaboration de la politique étrangère semblent traduire un tel désir. Nous avons le système que nous avons. Essayer de greffer les pratiques du Congrès américain sur un système de Westminster va nous mener à l'hypocrisie, à tout le moins. Cela me fait croire que les parlementaires devraient accepter le rôle qu'ils ont traditionnellement joué à cet égard et qui était d'intervenir après le fait. Autrement dit, leur rôle est d'évaluer, de discuter et de débattre de décisions déjà prises par le pouvoir exécutif. Cet élément de discussion est d'une importance cruciale car il me semble qu'en exprimant des points de vue différents et en soumettant à l'analyse critique des optiques différentes on donne lieu à de bien meilleures politiques, même si c'est après le fait.

Le sénateur Bolduc: Si je vous ai bien compris, monsieur, la meilleure chose que nous puissions faire est d'étudier la situation une fois que les décisions ont déjà été prises, une fois que nous sommes déjà en guerre. Ainsi, nous devrions étudier la situation et dire qu'à l'avenir la politique étrangère du Canada devrait peut-être être différente. Est-ce en gros ce que vous nous conseillez?

M. Nossal: Vous pouvez essayer de décider ce que nous devrions faire à l'avenir en vous inspirant de l'expérience passée. À la façon dont je vois la politique étrangère canadienne, lorsque les gouvernements essaient de le faire, ils se trouvent invariablement prisonniers du simple fait qu'ils ont le pouvoir. Prenez par exemple le gouvernement de Pierre Trudeau. Il a essayé de tirer les leçons de notre longue participation aux commissions pour l'Indochine. Ce gouvernement a clamé haut et fort qu'il allait tirer ces leçons et agir en conséquence la prochaine fois parce qu'il avait l'impression que le nom du Canada pourrait encore être invoqué pour les négociations de paix qui avaient cours alors à Paris, tout comme notre pays avait été pressenti en 1954.

En réalité, malgré les plans précis du gouvernement canadien -- les leçons de l'histoire pour dire que les choses seraient différentes à l'avenir, il s'est passé exactement la même chose qu'en 1954. Notre nom a largement été utilisé sans même que nous le sachions et les Canadiens ont été placés devant un fait accompli. Nous allions être membres de la nouvelle commission. Comment pouvions-nous refuser? Vous pouvez bien faire ce genre de prévision, mais inévitablement, les revirements, les vagues beaucoup plus importantes nous entraîneront et rendront ce genre de planification essentiellement inefficace à long terme.

Le sénateur Bolduc: Les dirigeants des pays de l'OTAN se sont rencontrés et ont décidé de changer le mandat de l'organisation. Nous avons tout à coup une nouvelle conception de la stratégie de l'OTAN. Je suppose que cela nous a menés aux décisions qui ont été prises concernant la Yougoslavie.

Nous gérons la situation sans les Nations Unies. Que pensez-vous que nous devrions en dire? Pensez-vous vraiment que les parlementaires, en dehors du pouvoir exécutif et de l'armée, devraient envisager plus sérieusement, non seulement ici mais en France, en Angleterre et ailleurs, une nouvelle conception de l'OTAN?

Le président: Comme celle du maintien de la paix?

M. Nossal: On pourrait envisager une nouvelle conception de l'OTAN.

Le sénateur Bolduc: Ou devrions-nous nous contenter de rentrer chez nous, de nous décontracter, de jouer au golf ou autre et d'oublier le Parlement?

M. Nossal: Je ne pense pas qu'on doive oublier le Parlement. Le Parlement a effectivement un rôle à jouer; le Sénat et la Chambre des communes ont un rôle à jouer lorsqu'il s'agit de s'impliquer dans ces questions importantes. Si l'on regarde ce qui s'est passé ces cinq ou six dernières années, on constate qu'il n'y a pas eu par exemple de débat parlementaire sur la généralisation des garanties de l'article 5 aux millions de personnes qui vivent dans le centre et l'Est de l'Europe.

Nous voilà maintenant avec un nouvel engagement officiel d'envoyer du sang et des deniers canadiens dans le cas d'une attaque de nos nouveaux alliés d'Europe et le Parlement canadien n'a pas donné son avis ni apporté sa contribution, au sens officiel, et je dirais même n'a pas accordé son approbation explicite. Comme le professeur Scott le dit si joliment, son approbation est bien sûr implicite.

Mais lorsque le gouvernement accepte un nouveau groupe d'alliés, par un décret rendu public un vendredi après-midi, il me semble que dans ce cas le Parlement pourrait vraiment intervenir. Je dois dire cependant qu'il y a des circonstances particulières où le Parlement ne peut pas s'impliquer.

Le sénateur Bolduc: Le problème que je vois, c'est que pour les affaires internationales de façon générale, il me semble que le système parlementaire britannique n'est pas indiqué pour nous si nous voulons avoir un processus démocratique sous une forme ou sous une autre. Il semble que seul l'exécutif y prenne part, bien qu'il soit également élu. Par exemple, nous avons le cas de l'Accord multilatéral sur l'investissement. Nous avons eu le cas de besoins divers d'opérations bancaires internationales en Asie du Sud-Est. Le ministre des Finances a des pouvoirs discrétionnaires très larges en ce qui concerne toutes ces organisations financières internationales. Il peut prendre la décision qu'il veut avec le Cabinet. Il en va de même pour la politique étrangère; il en va de même pour l'OTAN.

Je me demande vraiment ce que nous faisons ici! De plus en plus, la politique locale et intérieure s'internationalise. Presque tout devient maintenant international. Je me demande parfois si notre système est vraiment indiqué en l'occurrence, si on le compare au système américain par exemple.

M. Nossal: Effectivement, si vous voulez refaire le Canada en le dotant d'un système républicain de gouvernement, libre à vous, mais nous aurions alors un processus politique très différent.

Je dirai tout d'abord que je ne suis pas d'accord avec votre hypothèse principale voulant que lorsqu'une décision est prise par le pouvoir exécutif pour une question particulière, lorsque le Parlement n'est pas explicitement impliqué, cette décision est en quelque sorte antidémocratique. Ma conception de la démocratie est légèrement moins américaine d'une certaine façon et moins directe que cela.

N'oubliez pas que les parlementaires pourraient, s'ils le voulaient, s'impliquer beaucoup plus dans la pratique et s'impliquer de façon beaucoup plus vigoureuse dans le débat parlementaire qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici. Pour diverses raisons tout à fait compréhensibles, les députés, et dans une moindre mesure les sénateurs, ne se sont pas montrés si intéressés que cela, sauf à certaines occasions.

Le meilleur exemple que je puisse donner de l'histoire récente est le débat que le gouvernement de Brian Mulroney a entamé sur la question de la participation canadienne à la guerre du Golfe en janvier 1991. Bien plus de la moitié, littéralement, des députés ont pris part à ce débat important. Même si leurs délibérations, comme je l'indique, ont été rendues inutiles par la décision américaine, elles constituent néanmoins la meilleure expression du désir des parlementaires de se prononcer sur les questions importantes de guerre et de paix.

Car si vous considérez les débats parlementaires qui ont eu lieu ces derniers mois, celui de février à la Chambre des communes ne portait pas sur le recours à la force. Personne n'a dit: «Je propose la résolution suivante: il est résolu que nous entrions en guerre contre la République fédérale de Yougoslavie.» Même le débat du 24 mars, qui préludait aux premiers bombardements, n'a pas été formulé dans ces termes. Néanmoins, l'intérêt manifesté par les parlementaires à ce moment-là nous a montré à tous combien cette question particulière était importante pour eux.

Je terminerai en disant que c'est là la différence entre discuter de ce à quoi, d'une certaine façon, on s'est déjà engagé, à cause des nécessités de la politique mondiale, et vouloir prendre part à cette décision.

Le sénateur Di Nino: Je ne sais trop à quoi m'en tenir d'après les observations que vous avez faites. Elles semblent être quelque peu contradictoires; c'est pourquoi j'aimerais avoir des précisions.

Vous dites en fait que le système que nous avons ne nous permet pas vraiment d'avoir l'occasion de participer au processus de prise de décisions avant que la décision ne soit prise par le Parlement. Est-ce bien là ce que vous dites?

M. Nossal: Absolument.

Le sénateur Di Nino: C'est là que je ne comprends pas très bien. Vous dites en fait que le pouvoir exécutif est habilité à prendre la décision et que le seul rôle que le Parlement ait ensuite, mis à part l'exécutif, c'est de s'informer en délibérant et en dialoguant sur les détails de cette décision, et c'est tout?

M. Nossal: Pas du tout, monsieur. Non. Il est important de vous informer, d'avoir une idée du bien-fondé de ce qu'a décidé l'exécutif. Si la décision ne vous plaît pas, vous devez en gros tenir l'exécutif responsable de façons qui, comme nous le savons fort bien dans le système de Westminster, sont presque impossibles à réaliser dans la pratique, mais qui ne sont pas tout à fait impossibles. Il vous faut aussi remonter à 1963 pour voir un exemple de députés, qui n'étaient pas du tout d'accord avec la politique de défense du ministre, décider de faire ce qui est permis à tous les simples députés du système parlementaire, c'est-à-dire de refuser leur soutien essentiel à leur propre ministre. C'est là, monsieur, que le rôle du Parlement est le plus important.

Lorsque vous tenez un débat après le fait, si vous trouvez que l'exécutif a pris la bonne décision, l'approbation est implicite. Si, par ailleurs, vous estimez que l'exécutif a pris une décision illégale, une mauvaise décision ou une décision non fondée politiquement, à ce moment-là vous pouvez tout à fait renverser le gouvernement. C'est après tout l'essence même de notre système. La prérogative royale qui donne à l'exécutif le pouvoir de décider en matière de guerre et de paix dépend de l'élément critique des simples députés qui veillent à ce que l'exécutif prenne de bonnes décisions au nom de l'ensemble de la collectivité.

Autrement, nous pourrions aussi bien avoir une sorte de système présidentiel sans les éléments américains. Le système de Westminster exige que les députés interviennent de cette façon.

Le sénateur Di Nino: On peut rendre l'exécutif responsable en lui refusant les montants, les ressources ou le soutien nécessaires.

M. Nossal: Et la confiance?

Le sénateur Di Nino: C'est une situation plutôt rare et inhabituelle.

Le sénateur Grafstein: Je vous remercie tout d'abord du magnifique exposé que vous nous avez fait. Nous essayons plus ou moins de faire le point et vous nous avez aidés en nous donnant ces éléments historiques intéressants et importants qui confirment, comme l'indique votre analyse, le très profond malaise qui existe en ce qui concerne le Parlement lorsqu'il s'agit de questions internationales.

C'est une déclaration de politique avec un p minuscule. Au Parlement, lorsqu'on est en état d'alerte, lorsque l'opposition est intéressée, les questions sont traitées beaucoup plus rapidement et on n'attend pas trois, quatre ou cinq mois entre la décision du Cabinet, qui est une décision publique en définitive, et le recours à la force. Par exemple, pour le Koweit, six mois se sont écoulés entre le moment de la décision initiale d'y envoyer nos troupes et la décision finale d'engager les hostilités. On a maintenant affaire à peu près au même scénario pour ce qui est du temps -- peut-être pas exactement le même en ce qui concerne le Kosovo -- mais là encore il semble qu'il y ait un certain malaise à ce que le Parlement traite de ces questions. Est-ce que j'analyse comme il faut vos conclusions, à savoir qu'il ne s'agit pas d'une lacune du Parlement mais plutôt d'un malaise, ou d'une inertie qui existe au sein du Parlement lorsqu'il s'agit de traiter de ces questions particulières?

M. Nossal: Le fait que l'opposition soit toujours aux aguets et ne soit vraiment pas d'accord avec le gouvernement sur une question donnée aura des répercussions profondes sur le déroulement du débat parlementaire.

Si vous lisez mon mémoire et les divers petits tableaux historiques que j'ai brossés, l'une des choses intéressantes que l'on peut constater, c'est l'importance -- nous ne pouvons pas parler d'entente «bipartite» en politique canadienne -- de l'accord de tous les partis dans de si nombreux cas où le pouvoir exécutif canadien a engagé des Forces canadiennes dans des missions de combat à l'étranger. Il y a eu bien sûr à cela des exceptions importantes. Notamment dans le cas de la guerre des Boers. Si vous revenez en arrière sur le débat public, ça n'a pas vraiment été un débat parlementaire immédiatement parce que la décision avait été prise par le pouvoir exécutif, mais il y a certainement eu un débat public général.

Le conflit au sein du Parlement canadien sur la façon de considérer l'invasion du Koweit par l'Irak est un autre exemple de la division profonde qui existe au sein de la Chambre des communes en particulier.

Pour le reste, il y a eu accord général sur les grandes lignes de la volonté du gouvernement canadien d'engager les Forces canadiennes dans des guerres contre d'autres pays dans le cadre du système international. Il est vrai qu'une opposition alerte, comme vous dites, peut rendre les choses difficiles pour le gouvernement, bien que ce pouvoir soit assez limité lorsqu'on est en situation majoritaire.

De façon générale, cela n'a pas été le cas. Au cours de l'histoire canadienne, de nombreux partis d'opposition de l'une ou l'autre couleur ont en gros été essentiellement d'accord sur l'attitude indiquée pour le Canada face à la politique mondiale.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit que les parlementaires du système de Westminster souhaitent souvent être des membres du Congrès. N'est-il pas vrai que pour le Kosovo, par exemple, le pouvoir exécutif, parce qu'il a dû agir d'une certaine façon ou parce qu'il voulait agir d'une certaine façon, a en fait contourné le Congrès en ne déclarant pas la guerre et en utilisant le flou de l'OTAN pour intervenir dans cette situation? Le Congrès s'est trouvé dans la même situation que les parlementaires du système de Westminster. Cela s'est avéré à d'autres occasions au cours de l'histoire du Congrès. Nous avons exagéré le rôle du Congrès.

M. Nossal: Il est difficile d'exagérer la Loi sur les pouvoirs de guerre (War Powers Act) de 1973. Cette loi ne présente aucune ambiguïté ni équivoque puisqu'elle exige du président, après 90 jours, qu'il demande l'accord du Congrès pour déployer les forces armées américaines dans des combats à l'étranger.

Cette loi a été conçue en pensant au président Nixon, mais elle a aussi été conçue en vue de donner au président américain la possibilité d'avoir recours aux forces américaines dans les cas d'urgence qui se présentent inévitablement, mais en faisant en sorte que le Congrès des États-Unis ait toujours en définitive un rôle suffisant à jouer. En fait, aucune autre administration n'aurait pu faire ce que l'administration Johnson a fait en 1964, c'est-à-dire décider une escalade du recours à la force en contournant les membres du Congrès.

Je n'aime pas que l'on compare les systèmes américain et canadien simplement parce que nous avons tendance à nous croire lésés parce que nous ne sommes pas américains et que nous n'avons pas un système américain. On peut se tourner vers le sud et être jaloux de l'ouverture du système américain et de la discussion ouverte qui doit avoir lieu en vertu de la Constitution américaine. Je ne vois pas à quoi cela nous avance, simplement parce que notre héritage est venu d'ailleurs.

Le président: Cette discussion a été particulièrement utile. Je ne pense pas connaître d'autres documents qui réunissent les données sur les préliminaires de la participation canadienne aux actions militaires comme le fait celui que vous avez déposé aujourd'hui devant le comité.

M. Nossal: Merci beaucoup. Les contribuables ontariens et canadiens me paient pour que je fasse preuve de pédanterie.

Le président: Chers collègues, nous avons un autre exposé très intéressant qui nous attend d'après ce que je peux voir en parcourant le mémoire de M. Douglas Fraser. Je vous en prie, allez-y.

M. Douglas Fraser, directeur exécutif, Conseil canadien pour la paix et la sécurité internationales: Monsieur le président, j'ai fait des coupes sombres dans mon texte sachant que vous allez tous le lire soigneusement lorsque vous en aurez le loisir.

Il y a deux choses que j'aimerais dire au comité. L'une concerne la prise de décisions dans les organisations internationales et l'autre la raison d'être des Forces armées canadiennes.

Je n'avais pas conscience, avant d'écouter le professeur Nossal et la discussion qui a suivi son exposé, qu'il y en avait une troisième qui était un thème sous-jacent et qui est un plaidoyer pour un Parlement informé et proactif.

Avant de vous faire mes observations, je sais que les membres de mon organisation souhaitent que je vous informe de certaines petites choses sous forme télégraphique. Il s'agit du désir d'avoir un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU pour toute intervention policière; la nécessité pour le Canada de respecter ses valeurs, même lorsque ses intérêts ne sont pas menacés; un profond regret pour ce qui s'est produit au Kosovo et dans la région des Balkans de façon plus générale; la nécessité de faire maintenant prévaloir l'OTAN, même si nombreux sont ceux qui regrettent que l'OTAN ait eu recours à la force; la nécessité d'un débat approfondi dans le pays, surtout au Parlement; et enfin, la nécessité d'être suffisamment informé pour bien comprendre les questions et les procédures.

Pour revenir à l'observation du sénateur Whelan, il y aura d'autres Kosovo. Il y aura d'autres choix difficiles à faire à l'avenir entre la primauté du droit international et la nécessité d'une intervention humanitaire et nous devons nous y préparer.

En ce qui concerne l'OTAN pour commencer, son mandat n'a pas changé. D'autres intervenants vous l'ont rappelé. Ce qui a changé, c'est le rôle dont s'est doté de facto l'OTAN lui-même, un rôle qui relève en gros du contexte de l'article 4 du traité de Washington.

Je ne crois pas que le public canadien, ni un nombre suffisant de parlementaires, soient au courant des conséquences de ces rôles et de ce qu'ils sont exactement. Ils constituent en fait des options pour le Canada.

Vous avez déjà eu des témoins des ministères de la Défense et des Affaires étrangères qui vous ont décrit le processus selon lequel les représentants nationaux -- et je parle ici de l'OTAN -- agissent sur les instructions qu'ils reçoivent de leur gouvernement. Chacun de ces gouvernements suit son propre processus national de prise de décisions.

Ces témoins ont précisé, en ce qui concerne les actions décidées en dehors de l'article 5, que les États qui constituent l'OTAN vont prendre des décisions conformes à leurs impératifs nationaux, constitutionnels, légaux et politiques, lesquels peuvent ne pas correspondre à ceux des autres pays de l'OTAN.

Ainsi, on pourra accepter qu'ils ne participent pas à certaines activités. Le public doit en être informé, car nous avons vu dans les médias trop de choses qui prêtaient à confusion. Par exemple, l'Italie ne veut pas faire ceci et l'Allemagne ne veut pas faire cela. Pourquoi le Canada le fait-il donc? On le fait sans doute simplement parce qu'on suit les Américains.

Ce n'est bien sûr pas le cas. Nous avons des choix. Plusieurs options s'offrent à nous dans ce genre d'opérations. Nous avons notre mot à dire.

Je ne suis pas d'accord avec un témoin antérieur, le professeur Bliss, qui a dit que notre politique étrangère était décidée à Washington. Washington est un acteur important, mais Luxembourg aussi pour ce qui est de prendre des décisions consensuelles dans le cadre de l'OTAN.

Le consensus n'est pas synonyme de participation, à moins qu'il s'agisse d'une participation à la défense collective en vertu de l'article 5.

Si je passe maintenant à la prise de décisions du Conseil de sécurité, tous ceux qui essaient d'obtenir une décision de sa part sont confrontés à quatre groupes qu'il faut réconcilier: le P-5, c'est-à-dire les pays qui ont droit de veto; le P-3 de l'Ouest (la France, le Royaume-Uni et les États-Unis), qui ont généralement des intérêts communs qui leur sont propres; les membres non alignés du conseil qui essaient de travailler en groupe; et enfin il y a ces autres pays qui font actuellement partie du Conseil de sécurité, comme les Pays-Bas et le Canada, qui n'ont pas toujours quelque chose à défendre.

La nécessité de réconcilier ces groupes et leurs ordres du jour souvent différents fait que l'on voit souvent des résolutions qui représentent le plus petit commun dénominateur, une formulation très complexe et, ce qui est plus dangereux, des mandats vagues qui prêtent à confusion. Le Canada s'efforce de sortir de ce moule en faisant preuve d'une plus grande ouverture au conseil, d'une plus grande transparence, d'une plus grande capacité d'inclusion, notamment. Ce sera une bataille sans fin, mais il faut persévérer.

Il n'est pas nécessaire, au Conseil de sécurité, que les 15 pays qui le composent soient toujours solidaires. Il y a un vote et un côté l'emporte. Vous pouvez ensuite expliquer pourquoi vous avez ou vous n'avez pas pris telle position.

C'est différent de l'OTAN où l'on veut arriver à un consensus, à une vision unique. C'est aussi différent de la façon dont le Cabinet canadien prend ses décisions. Je vais laisser de côté les observations sur le G-7 ou le G-8.

Pour ce qui est du rôle du Canada à l'OTAN, nous devrions envisager des options qui pourraient s'offrir au Canada pour les activités ne correspondant pas à l'article 5 parce que l'OTAN, en essence, est un arrangement de défense collectif.

Pour comprendre la portée des divers rôles que le Canada pourrait assumer dans le cadre de l'OTAN, il faut tout d'abord comprendre les rôles des Forces canadiennes. Il est clair que l'on a besoin d'une nouvelle génération de Canadiens qui soient informés sur la guerre ou sur une situation proche de la guerre et sur la façon dont le Canada s'intègre aux alliances. Cela vaut aussi en fait pour certains membres des Forces armées canadiennes.

La raison d'être des Forces armées canadiennes doit être précisée par le gouvernement. Il n'y a pas de doute dans l'esprit de la plupart des soldats, hommes ou femmes, dans ce que l'on dit dans le manuel de base de l'armée canadienne, que le principal objectif de l'armée est de défendre la nation et lorsqu'on lui demande, de se battre et de remporter la guerre. Cela s'applique bien sûr aussi à la marine et à l'aviation.

Il est très important pour les soldats canadiens, hommes ou femmes, de savoir que leur pays et leurs dirigeants comprennent leur rôle et les appuient fermement lorsqu'ils vont au devant du danger. C'est très important. Je ne crois pas qu'ils aient cette certitude maintenant.

Pour en venir au maintien de la paix, votre mandat consiste à envisager la capacité du Canada de participer à de telles opérations sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada est membre.

Le chapitre 8 de la Charte des Nations Unies établit les pouvoirs des organisations régionales. Cette autorité de la charte a été renforcée par des déclarations et des actions du Conseil de sécurité, par deux secrétaires généraux au moins.

Il n'y a là rien de nouveau pour le Canada. Nous avons participé à plusieurs missions de maintien de la paix non organisées par l'ONU. Le professeur Nossal a parlé de l'Indochine, du Zimbabwe/de la Rhodésie, du Nigeria/du Biafra, et nous le faisons à l'heure actuelle en Égypte au sein des forces multinationales et à titre d'observateurs. Il n'y a rien de particulièrement nouveau dans tout cela.

Nous sommes parfaitement au courant du rôle du Canada dans le cadre de l'OTAN pour l'imposition de la paix en Bosnie, qui a été entérinée par le Conseil de sécurité, et maintenant au Kosovo sans mandat du Conseil de sécurité.

Dans tout cela, il y a certaines nuances dans la définition du maintien de la paix et de l'imposition de la paix. Il en a été question plus tôt.

Dans la pratique, il convient de se souvenir de la distinction traditionnellement faite entre ce qui est accepté par toutes les parties et ce qui est imposé aux parties. Il y a bien sûr une troisième catégorie où la paix est imposée, ou où l'on menace de l'imposer, et où on l'accepte a posteriori, un peu comme le Parlement canadien accepte a posteriori le déploiement. La Bosnie et l'accord de Dayton en sont de bons exemples. Nous allons attendre de voir ce qui va se passer au Kosovo.

J'aimerais ajouter ma voix à ceux qui ne sont pas d'accord avec l'opinion voulant que les actions récentes du Canada compromettent en quelque sorte notre réputation de pays qui maintient la paix. C'est ce que tous les Canadiens devraient comprendre car beaucoup de personnes sont mal à l'aise face à cela alors qu'elles ne devraient pas l'être.

L'expérience et le contrecoup de la guerre dans le Golfe persique le montrent bien. C'est cet exemple que je vais prendre. Dès que le cessez-le-feu a été déclaré, nous avons été parmi les cinq pays, et le seul qui avait participé à la coalition, à qui l'on a demandé de fournir des casques bleus et nous l'avons fait.

La question du maintien de la paix et de la guerre revient encore une fois à la confusion qui règne sur le rôle des Forces canadiennes. On lance trop souvent, et parfois de façon impropre, l'expression de «maintien de la paix». Il n'y a pas de soldat chargé du maintien de la paix dans les Forces armées canadiennes. Nous avons des soldats, hommes et femmes, qui vont de temps à autre, lorsqu'ils ne sont pas en train de se préparer ou d'assumer leur objectif premier, faire du maintien de la paix.

Pourquoi devrait-on favoriser la discussion publique et la compréhension du public? J'espère que dans mon document je vous ai donné une indication de la nécessité d'une telle chose, mais pour résumer, c'est nécessaire pour que les responsables publics élus et nommés puissent prendre des décisions en connaissance de cause; pour que ces mécanismes de prise de décisions soient compris par tous; pour que les rôles des Forces canadiennes soient clairs; pour que les soldats, hommes et femmes, se sentent compris et appréciés; pour que la société civile, le grand public, y compris les organisations non gouvernementales comme la mienne, puisse être mieux informé et puisse s'identifier aux questions d'actualité; et bien sûr pour que les médias puissent jouer un rôle critique mais constructif.

Comment pouvons-nous favoriser la discussion et la compréhension? Premièrement, c'est la responsabilité du gouvernement et du Parlement de montrer le chemin. Cela peut se faire de plusieurs façons. Lorsque le gouvernement pense envoyer des troupes dans des situations dangereuses, il devrait y avoir un débat exhaustif au Parlement, le plus tôt possible.

Ce doit être un débat éclairé. Le gouvernement doit donc, en tenant compte comme il se doit de la sécurité, indiquer tous les facteurs qui influent sur la décision à prendre, la situation dans le domaine opérationnel, l'évaluation des risques, les ressources disponibles et pouvant être affectées au sein des Forces canadiennes, et cetera.

Toute cette opération pourrait être constituée en partie de séances d'information secrètes pour les ministres, les comités concernés, et cetera.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un vote -- l'armée est en service actif depuis la guerre de Corée -- mais il faut qu'il y ait un véritable débat.

Dans des situations dangereuses, comme elles le sont souvent aujourd'hui, le premier ministre, qui représente l'aile exécutive du gouvernement, doit faire un type de discours à la nation, en indiquant clairement les raisons de l'action menée par le Canada. Cette déclaration doit se fonder sur une discussion préalable au Parlement où, il faut l'espérer, on pourra mobiliser un soutien, indépendamment des partis. On devrait choisir des porte-parole crédibles pour les discussions avec le public et les médias. Ces porte-parole devraient être ouverts et avoir suffisamment de marge de manoeuvre pour être crédibles, notamment admettre qu'ils n'ont pas toutes les réponses à toutes les questions.

Le gouvernement doit produire un document d'information complet mais simple pour ses collaborateurs afin que tous les ministres, porte-parole et autres aillent dans le même sens.

Il faudrait s'adresser directement aux groupes particulièrement intéressés selon les besoins -- par exemple, les communautés serbes et albanaises du Canada pour la crise actuelle.

Les ministres responsables et les autres parlementaires devraient fournir régulièrement des articles pour la page en regard de l'éditorial aux journaux et intervenir à la radio et à la télévision afin de faire une mise à jour sur la position du gouvernement sur la question.

Le Canada a la grande responsabilité de savoir où il se situe par rapport aux diverses questions que nous avons discuté, d'expliquer sa position et de l'appuyer avec les ressources nécessaires. Je propose dans mon document que lorsque vous allez à Bruxelles, vous posiez au représentant permanent ou au représentant militaire les questions suivantes: avez-vous pris part à la décision? Avez-vous eu l'impression de faire partie du processus? Avez-vous eu le sentiment de participer et d'être écouté? J'espère que la réponse sera oui, mais vous aurez cette prérogative.

Vous pouvez lire tout cela dans mon document, mais j'aimerais dire que le conseil est en train de se lancer dans un projet. Nous avons soumis une proposition au gouvernement canadien et à deux fondations internationales importantes pour réaliser une étude de deux ans sur les liens légaux, politiques et militaires entre les Nations Unies et l'OTAN et leurs implications pour la politique étrangère canadienne. Nous espérons pouvoir commencer très bientôt. Nous tiendrons le comité au courant de nos progrès et nous serions heureux que des membres du comité participent à ce projet.

Le président: Je sais que vous parlez en votre propre nom et non au nom du conseil car, je crois, vous n'avez pas été autorisé à faire des déclarations au nom du conseil devant le comité.

Pensez-vous que l'opération de l'OTAN dans l'ancienne Yougoslavie ou au Kosovo soit indiquée? Il s'agit d'une opération ne relevant pas de l'article 5, mais elle a été entreprise sans l'approbation de l'ONU. Le colonel Morrison a dit plus tôt qu'une telle action pouvait être entreprise dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, mais je n'ai pas eu l'occasion de lui demander ce qu'il entendait par «circonstances exceptionnelles». Estimez-vous que notre participation à l'opération de l'OTAN en Yougoslavie ou au Kosovo soit justifiée?

M. Fraser: Monsieur le sénateur, j'ai écrit lorsque vous avez commencé à parler que j'avais un mandat très général de la part du conseil, et je ne me suis encore jamais fait prendre. Mais peut-être cela va-t-il être le cas maintenant.

Je crois que cette action est justifiée. Je suis d'accord pour dire que ce doit être dans des cas extrêmes, mais je suis aussi d'accord avec Paul LaRose-Edwards lorsqu'il a dit que l'intervention humanitaire l'emportait sur tous les autres facteurs dans ce cas particulier.

Oui je pense que cette intervention est acceptable. J'aurais aimé qu'on arrive au point de lancer une campagne concernant les bombardements. Je le dis dans mes remarques préliminaires. Je crois qu'il aurait pu y avoir d'autres façons de procéder en l'occurrence mais maintenant que nous sommes engagés, nous devons persévérer. Je ne vois pas d'inconvénient à cela.

Le président: Il semble qu'il y ait une sorte de sélectivité. Nous nous détournons des crises dans des endroits comme l'Indonésie. Le sénateur Di Nino va sans doute soulever le problème du Tibet. Et pourtant nous sommes prêts à faire un effort important en Europe. Nous avons franchi une étape. Je crois que le président des États-Unis envisage une deuxième étape très rapidement. Sommes-nous en fait d'augmenter les obligations d'agir pour l'OTAN, de lancer des opérations en dehors de l'article 5, avec ou sans l'approbation des Nations Unies?

M. Fraser: En ce qui concerne l'opération du Kosovo, et de celle de Bosnie, l'OTAN les a entreprises parce qu'elles sont «en dehors de la zone», si j'ose utiliser cette expression, mais pas très loin en dehors de la zone. Elles se situent sur la périphérie de l'OTAN. L'OTAN a adopté comme position le fait que les menaces contre sa sécurité dans «l'étranger proche» sont des menaces contre l'OTAN. Chaque fois que vous repoussez les frontières de l'OTAN, il est possible d'étendre plus loin cette périphérie, cet «étranger proche».

En théorie, cela veut dire que vous vous donnez la possibilité de penser que vous devez intervenir davantage. C'est pourquoi je suis d'accord avec M. Morrison qui a dit que l'OTAN devrait procéder prudemment lorsqu'il s'agit de s'agrandir encore. Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit le professeur Nossal concernant l'absence déplorable de débat dans notre pays avant que ne soient acceptés les trois nouveaux membres. Je ne dis pas qu'il n'aurait pas fallu les accepter, mais je dis que cela a été fait par un pays qui n'était pas informé ou, au mieux, qui était mal informé. Cela pourrait avoir de graves conséquences.

Le sénateur Stollery: Ma première question est d'ordre technique et vient du fait que je ne comprends pas très bien votre mention de l'article 4 de la déclaration de Washington. J'ai cet article et je ne pense pas qu'il y soit question de ce dont vous parliez. Il y est question de confirmer notre foi dans le Traité de l'Atlantique Nord, dans les objectifs et les principes de la Charte des Nations Unies, et de réitérer notre désir de vivre en paix avec toutes les nations et de régler tout différend international par des moyens pacifiques.

Est-ce bien de cet article 4 que vous parliez, qui est l'article 4 de la déclaration de Washington, ou s'agit-il du paragraphe 4 de la conception stratégique de l'Alliance?

M. Fraser: Monsieur le sénateur, je parlais de l'article 4 du traité de Washington qui est le traité par lequel a été créée l'OTAN. Je suis sûr que vous pouvez obtenir ce traité.

Le sénateur Stollery: Vous parliez de l'article 4 original, où il est question de consultation entre les parties chaque fois que l'une d'elles estime que l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'une quelconque des parties est menacée, n'est-ce pas?

M. Fraser: C'est exact. C'est de cela que je parlais lorsque j'ai dit que l'OTAN est en train de l'interpréter. Il y est question de l'une quelconque des parties. Je ne veux pas faire dire à ceux qui l'ont interprété ce qu'ils n'ont pas dit, mais ils estiment que l'esprit de l'article 4 vaut également pour la périphérie et qu'en conséquence, ils doivent agir.

Le sénateur Stollery: Ma question suivante vient de la confusion entre l'article 4 de la déclaration de Washington et l'article 4 du traité de Washington.

Il me semble que la déclaration de Washington, qui a été signée les 23 et 24 avril 1999, constituait une justification après coup de l'aventure du Kosovo puisqu'elle avait déjà commencé.

M. Fraser: Je n'ai pas la réponse à cette question. Je dirais simplement, parce que j'ai participé à la rédaction de tels documents, que l'on commence à les rédiger bien avant la date de la déclaration et que l'on peut modifier le texte jusqu'au tout dernier moment. Il n'est pas impossible que cela ait été fait au début de cette affaire, mais je ne le sais vraiment pas.

Le sénateur Stollery: Oui, mais une chose qui s'est produite en avril au sujet d'une chose qui a déjà commencé me porte à la remettre en question. Cela me porte à une plus grande confusion. Je trouve, en tant que profane, assez ahurissantes les interprétations générales et vagues des traités et des déclarations.

Le président: Vous avez très peu affaire aux tribunaux, j'imagine.

Le sénateur Stollery: C'est évident. Je n'ai pas eu grand-chose à voir avec les tribunaux, mais je trouve ces interprétations assez générales. Il me semble que ce soit un précédent dangereux que d'envoyer des hommes à l'action alors que la chose est douteuse légalement, car on lui donne une légalité forcée après coup. Je trouve cela très inquiétant.

Cela m'amène aux deux points auxquels se résume toute cette affaire: la question de l'intervention en dehors de l'article 5 et la question de la volonté politique. J'ai déjà dit plus tôt à ce comité qu'il y a en fait deux choses dans tout cela: premièrement, la volonté politique et deuxièmement, la technique militaire.

Plusieurs témoins ont mentionné la volonté politique au Kosovo. Plus tôt au cours de la journée, le colonel Morrison a dit qu'il ne fallait pas indiquer ce que l'on ne va pas faire. Cela me semble correspondre à la coalition qui constitue l'OTAN. Hier seulement, les Grecs ont refusé de permettre aux troupes britanniques d'aller en Macédoine alors qu'ils font partie de l'OTAN. Ils ont interdit aux troupes britanniques de débarquer. Si l'on veut montrer qu'il y a un manque d'unité à l'OTAN, c'est certainement ce que fait ce genre de refus.

Qu'en dites-vous? Il y a un problème de volonté politique qui se pose dans certains pays de l'OTAN. En raison du manque de volonté politique général, les techniques militaires sont remises en question. Le signal de départ du président des États-Unis était que nous n'allions pas utiliser l'armée de terre, par exemple.

Je ne veux pas m'en prendre particulièrement à l'affaire du Kosovo, mais c'est un exemple qu'il est tout à fait bon d'utiliser lorsqu'on veut formuler des lignes directrices pour la façon dont on devrait procéder à l'avenir.

M. Fraser: Vous soulevez trois questions très importantes: premièrement, la validité des traités et des déclarations; deuxièmement, les décisions politiques d'agir face aux moyens militaires que l'on souhaite utiliser pour les mettre en oeuvre; et troisièmement la question de la Grèce et des troupes britanniques. C'est un exemple des options dont j'ai parlé. Il s'agit d'une opération correspondant à l'article 4. La Grèce est particulièrement susceptible lorsqu'il s'agit de la situation en Macédoine. Je ne sais pas quel problème posait les Britanniques dans ce cas particulier, mais c'est une situation où la Grèce peut choisir de ne pas faire une chose donnée, tout en restant membre de l'OTAN, et continuer à joindre sa voix au consensus relatif à la politique générale de l'OTAN.

L'armée dans les sociétés démocratiques dépendra toujours pour son action des parlements. Les parlements auront toujours des raisons de prendre certaines décisions; certaines seront bonnes, d'autres mauvaises. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises, l'armée devra tout de même faire son travail. Si le chef d'état-major de la Défense, ou son équivalent, reçoit un mandat particulier qui ne peut de toute évidence pas être réalisé, il doit l'indiquer clairement et ensuite démissionner. Autrement, le système ne fonctionne pas. Si deux ou trois personnes démissionnent successivement, les gouvernements feront peut-être davantage attention lorsqu'il s'agit de donner des ordres que l'on ne peut pas appliquer.

Il y a une absence de débat sur toutes ces questions et un manque de clarté. Il est possible qu'il n'y ait pas vraiment de clarté dans ce genre de questions, mais du moins la population est-elle plus à l'aise lorsqu'elle en parle. Je ne crois pas que l'on en ait assez parlé.

M. Nossal: Je crois qu'il peut y avoir une certaine clarté. Je suis d'accord que le débat n'a pas été suffisant et il n'y a certainement pas eu assez de clarté.

Sénateur Stollery, permettez-moi de revenir à ce qui me semble être votre hypothèse, à savoir qu'il y a une législation internationale qui est comparable à la façon dont nous comprenons la législation nationale. Pour préciser l'objectif de l'OTAN au Kosovo il faut comprendre la nature essentiellement anarchique de la politique internationale qui signifie en gros que la législation internationale ne fonctionne tout simplement pas comme dans le contexte national où il y a de toute évidence un souverain qui décide de ce qui est juste et de ce qui est mal et qui dispose d'un pouvoir coercitif pour appuyer cette définition.

Très clairement, quel que soit le chemin cahoteux sur lequel s'est engagée l'OTAN depuis le 24 mars, ou beaucoup plus tôt, les principaux gouvernements de l'OTAN ont décidé que ce qui se passait dans la province du Kosovo représentait une menace, à l'avenir peut-être, pour la sécurité de l'OTAN, et en particulier pour la sécurité des membres récents de l'OTAN, qui ont bien sûr une minorité ethnique importante dans une autre partie de la République fédérale de Yougoslavie.

Les forces serbes n'ont pas changé de comportement depuis l'accord de Dayton comme ils l'ont prouvé très clairement tout au long de l'année 1998 dans la province du Kosovo. Bill Clinton est passé à la télévision le 24 mars pour dire qu'il s'agissait d'une question d'intérêt national et que nous ne nous engageons pas vraiment dans une guerre purement humanitaire, que nous avons aussi une préoccupation d'intérêt national. C'est probablement pour cette raison que l'on peut justifier la guerre. S'il s'agissait véritablement d'une guerre humanitaire, pourquoi 18 pays qui ont des forces armées ayant la capacité d'offrir la sécurité aux Kosovars d'origine albanaise ont-ils permis que des milliers d'entre eux meurent dans l'intervalle?

Je vois les choses autrement. Si c'est le cas, nous avons peut-être alors une guerre qui est livrée pour des notions dépassées d'intérêts nationaux. Dans ce cas particulier, détruire complètement la capacité serbe d'agir militairement à l'avenir.

Si vous considérez la guerre sous cet angle, et si vous prenez en compte la position dure de l'OTAN selon laquelle il faut accepter son point de vue sinon c'est une nouvelle journée de bombardements qui s'annonce, il me semble que la guerre est beaucoup plus logique sur le plan de la realpolitik, du point de vue politique et légal.

M. LaRose-Edwards a raison. Si vous lisez attentivement la définition de «génocide», cela ne veut pas seulement dire une opération de type holocauste. La définition du génocide dans la convention que de si nombreux pays ont signée exige une action de la part des signataires.

C'est dans ce sens que nous avons agi. En définitive, les Kosovars d'origine albanaise seront en sécurité. L'épuration ethnique cessera. En outre, et c'est la chose plus importante pour les intérêts nationaux de l'OTAN et de ses divers membres, la capacité de la République fédérale de Yougoslavie d'adopter le comportement qu'elle a adopté tout d'abord par moyen interposé en Bosnie au milieu des années 90, au Kosovo en 1998 et 1999, et ensuite éventuellement au Monténégro et en Vojvodine, n'existe plus.

Il est inutile d'essayer de trouver une justification légale internationale à l'intervention de l'OTAN car une telle chose n'existe pas. On ne peut la justifier de façon sérieuse en vertu du traité de Washington. On peut la justifier en vertu du droit d'ingérence dans la mesure où il s'agit de l'aspect humanitaire et on peut certainement la justifier au regard de l'intérêt national.

Le sénateur Bolduc: Je ne comprends pas pourquoi nous discutons de cette question. Les pays de l'OTAN ont décidé pour des raisons qui leur sont propres d'intervenir. Cela devrait clore le débat.

M. Nossal: Je crois que ce que Thucydide a dit il y a 2 500 ans est encore valable aujourd'hui. Thucydide a fait dire aux Athéniens, le peuple le plus puissant de l'époque, qu'il n'y a pas de norme de justice dans le système international, que la norme de la justice dépend du pouvoir de contrainte. Les forts font ce qu'ils ont le pouvoir de faire et les faibles acceptent ce qu'ils doivent accepter.

Si vous regardez le défi que pose pour la sécurité de l'OTAN les activités des forces associées directement ou indirectement au gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie, on pourrait évidemment donner comme argument que ce sont les faibles qui acceptent ce qu'ils doivent accepter.

Le sénateur Losier-Cool: Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que l'on devrait avoir un débat public et une discussion pour que les Canadiens comprennent mieux la participation du Canada à la guerre.

Vous savez que le Sénat a demandé à notre comité d'étudier le rôle du Canada dans l'OTAN.

Que diriez-vous si notre comité, pour favoriser la discussion entre les Canadiens, prévoyait dans le cadre de son travail qui consiste à se déplacer dans tout le pays la responsabilité de parler aux Canadiens ordinaires, pas nécessairement ceux qui sont dans l'armée ou qui sont professeurs universitaires, mais ceux que cette guerre peut intéresser?

M. Fraser: Ce serait très utile. Mais j'ajouterais à cela un codicille.

À écouter les divers débats nationaux qui ont lieu à Radio-Canada, à la radio, à la télévision et ailleurs, je conseillerais à votre comité de direction de faire en sorte qu'il y ait une représentation équilibrée à ces audiences.

Je représente une ONG. Je sais comment les ONG peuvent rallier des suffrages sur des questions sur lesquelles elles ont des opinions très marquées. Nombreux sont les Canadiens qui n'appartiennent pas à de telles organisations. Ils appartiennent au rotary club ou à un autre organisme qui n'a pas des convictions très profondes dans ces domaines. Mais le public a de telles convictions. Il n'en est tout simplement peut-être pas conscient.

Il faut que vous essayiez de voir comment vous pouvez obtenir un groupe équilibré de personnes pour les diverses audiences que vous tiendrez dans le pays. Sinon, le message que vous recevrez sera biaisé.

Je crois qu'une telle série de réunions pourrait être utile. Je demande que l'on débatte davantage de cette question. C'est nécessaire. Mais il faut que ce soit un débat en connaissance de cause. Cela exige un certain travail préparatoire pour organiser de telles rencontres afin d'être sûr que le débat soit équilibré.

Le sénateur Losier-Cool: Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par équilibre? Qu'est-ce qu'un point de vue canadien équilibré sur la question de la guerre?

M. Fraser: Au plus profond d'eux-mêmes, la plupart des Canadiens sont favorables à l'action du gouvernement au Kosovo en l'occurrence. Et cela pour des raisons essentiellement humanitaires. Ils veulent que le Canada participe et ils veulent que le Canada soit efficace. Après cela, ils iront passer la fin de semaine au chalet.

La plupart des Canadiens ne vont pas sur la colline du Parlement en portant des pancartes et ne téléphonent pas à Cross Country Checkup. Si vous posez la question aux Canadiens au coin de la rue ou au bar voisin, ils vous diront très clairement ce qu'ils en pensent.

Il nous faut trouver un mécanisme pour nous assurer que ces personnes soient entendues. Elles représentent le Canada à proprement parler, avec les militants et avec ceux qui ont un point de vue particulier. Il faut que vous entendiez toutes les opinions.

Dans le scénario que vous décrivez, franchement, vous entendriez des représentants des groupes qui sont contre la guerre, qui sont des gens dévoués et honnêtes, qui estiment que ce n'est pas une façon d'arriver à une solution.

D'autres diront: «Nous avons essayé d'autres moyens et ils n'ont rien donné; voilà pourquoi nous en sommes là.» Cela est confirmé par d'autres groupes qui disent: «Peut-être qu'on ne devrait pas en être là, mais nous y sommes et nous devons gagner», c'est-à-dire que nous devons l'emporter sur Milosevic. Je ne veux pas dire que nous devions gagner la guerre, mais nous devons arriver à la situation décrite par M. Nossal, c'est-à-dire que Milosevic ne doit plus constituer une menace permanente et croissante dans cette région d'Europe.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Fraser, dans votre introduction, vous déclarez que le conseil souhaite un mandat du Conseil de sécurité pour toute action d'imposition de la paix.

L'action entreprise par l'OTAN au Kosovo est remise en question à cause de l'effet qu'elle aura sur le futur rôle des Nations Unies.

Ce que je crains, c'est que nous soyons en train de constituer des groupes de puissance régionaux qui pourraient agir unilatéralement au cours de crises futures dans diverses régions du monde. Nous avons peut-être ouvert là une boîte de Pandore et d'autres groupes régionaux pourraient décider que l'ONU n'a pas à s'occuper d'un problème en Afrique ou en Asie. Mais un groupe de pays de cette région du monde pourrait alors décider d'agir seul.

Quel effet le rôle que l'OTAN a choisi de jouer et l'action qu'elle a entreprise ont-ils sur l'avenir de l'ONU?

M. Fraser: Premièrement, je suis un défenseur acharné des Nations Unies. Dans un monde idéal, nous vivrions tous dans le respect de la Charte de l'ONU. Dans un monde idéal, nous aurions les ressources pour pouvoir vivre dans le respect de cette charte. Nous savons tous ce que sont les ressources de l'ONU à l'heure actuelle. Nous savons aussi que la charte n'est pas toujours facile à utiliser. Elle a été rédigée il y a de nombreuses années, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, et elle n'a été modifiée que deux fois depuis. C'est un instrument difficile à utiliser. Mais dans un monde idéal, nous devrions essayer de l'utiliser.

Lorsque l'ONU ne peut pas agir ou lorsqu'on a l'impression qu'elle n'est pas capable d'agir, il faut tout de même faire quelque chose. J'ai indiqué que le huitième chapitre de la charte disait en gros qu'il serait bon que toutes les organisations et les ententes régionales s'occupent des problèmes régionaux avec la bénédiction des Nations Unies.

Dans le cadre de la communauté économique actuelle des États de l'Afrique occidentale, l'opération au Sierra Leone, par exemple, est menée dans le cadre d'une organisation sous-régionale, mais avec l'approbation d'une résolution du Conseil de sécurité. Il n'y a rien de mal à ce que ce genre de choses se produise dans les circonstances voulues. Je ne pense pas que la situation puisse se généraliser trop parce qu'il n'y a guère de capacité pour cela dans la région. Mais je dois dire, puisque j'ai cité cette opération, que la seule raison pour laquelle elle existe encore, c'est parce qu'elle reçoit un soutien de l'étranger. Le Canada a accordé un million de dollars à titre de contribution pour aider à gagner la guerre du Sierra Leone. Je ne crois pas qu'elle risque beaucoup de s'étendre.

L'OTAN est la seule organisation qui ait le pouvoir, les ressources et les antécédents voulus pour assumer le type d'opération qu'elle a entrepris au Kosovo. Si elle est correctement menée, comme en Bosnie, où il y a un mandat des Nations Unies, je ne vois aucun problème à cela. La surveillance de l'ONU en Bosnie est sans doute plus théorique qu'effective, mais du moins existe-t-elle jusqu'à un certain point. Ça ne me pose pas de problème.

Le sénateur Di Nino: Ce n'est pas le cas au Kosovo. Il n'y a pas eu de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour le Kosovo.

M. Fraser: C'est exact. Je le regrette beaucoup. Comme l'ont expliqué plusieurs témoins, que ce soit la réalité ou une simple impression, il semble qu'il n'aurait pas pu y avoir de résolution du Conseil de sécurité en l'occurrence. La Russie ou la Chine, ou les deux, y auraient opposé leur veto. Mais il fallait trouver une autre solution. Cette autre solution est ancrée dans l'article 4 du traité de Washington.

Comme le professeur Nossal l'a indiqué, il n'y a pas d'absolu. Vous faites de votre mieux avec ce que vous pouvez trouver de mieux. Le résultat final est qu'il s'agit d'une intervention humanitaire sur laquelle se greffe des questions de sécurité nationale. Je la considère comme une intervention humanitaire essentiellement. C'est pourquoi je n'y vois aucun inconvénient. Je préférerais qu'il y ait une résolution de l'ONU, mais en l'occurrence, je peux accepter qu'il n'y en ait pas.

Le sénateur Di Nino: Le président m'a suggéré de vous mentionner ceci. Que devrait-on faire pour le Tibet? Vous n'êtes pas obligé de répondre.

M. Nossal: Je ne crois pas que l'intervention au Kosovo puisse justifier quelque chose de comparable dans le cas du Tibet. Les Russes savent qu'ils ont toute liberté d'agir comme ils le veulent en Tchétchnénie. Les Chinois savent qu'ils ont toute liberté d'action au Tibet. La boîte de Pandore dont vous vous inquiétiez reste bien fermée. Je crois aussi que les grandes puissances comprennent dans quelle mesure l'épuration ethnique qui avait lieu dans la région centrale des Balkans représentait exactement le même genre de menace pour leur sécurité que celui qu'elles ne pourraient jamais tolérer elles-mêmes. Je dois admettre qu'à mon avis la boîte de Pandore reste bien fermée. Il n'y a pas eu précédent en l'occurrence.

Le sénateur Bolduc: Et les Kurdes?

M. Nossal: Encore une fois, regarder la politique et voyer comment tout le monde reste silencieux sur cette question. Le gouvernement d'Ankara n'est-il pas notre allié et n'avons-nous pas à son endroit une garantie de sécurité en vertu de l'article 5?

Le sénateur Grafstein: Cette discussion est intéressante. Nous semblons être prisonniers du principe ou de l'idée que les Nations Unies sont la seule source de légitimité pour faire respecter ses résolutions, ce qui ne me semble pas être une prémisse indiquée en droit international. Dix-neuf nations acceptent de mettre en oeuvre une résolution de l'ONU. C'est un précédent très sérieux de légalité en droit international. Comme l'a dit le sénateur Bolduc, 19 nations se sont entendues. Le droit international dépend du droit coutumier et de l'acceptation, et là 19 nations se sont entendues. En vertu des principes internationaux, cela semble représenter une légitimité assez sérieuse.

Ceci dit, que l'on soit d'accord ou non, l'action de l'OTAN au Kosovo est assez généralement acceptée. Curieusement, l'action de l'OTAN n'est-elle pas en train de constituer une imposition de la légitimité de l'ONU qui n'a pas été capable de remplir son propre mandat? Je reviens à l'exemple des refuges sûrs de Srebrenica. On crée, avec toutes les résolutions et toute la légalité voulue, un havre de sécurité à Srebrenica, en Yougoslavie, et le monde et les membres de l'OTAN ont été témoins du meurtre de civils innocents qui essayaient de venir se mettre à l'abri de l'ONU.

Je soulève cette question parce que le colonel Fraser souhaite comme prémisse un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU pour toute action d'imposition de la paix, mais l'ONU a misérablement échoué en Yougoslavie dans le cadre de son propre mandat, et cela a coûté de nombreuses vies humaines. Ne vaut-il pas mieux -- et c'est une question que je pose aux deux témoins -- avoir d'autres sources de légitimité internationale comme l'OTAN que de compter sur des Nations Unies paralysées qui ne peuvent pas assumer leur propre mandat légal ni même oeuvrer dans ce sens? Cela ne vaut-il pas mieux pour les principes du droit international ou pour la primauté du droit?

M. Fraser: Je vais commencer par revenir sur une partie de vos arguments. Lorsque que vous dites que les Nations Unies n'ont pas pu remplir leur propre mandat, et vous utilisez l'exemple de Srebrenica, ce sont les États membres des Nations Unies qui n'ont pas rempli ce mandat.

J'ai indiqué plus tôt le danger que représentaient les résolutions vagues du Conseil de sécurité. Si vous lisez les résolutions concernant Srebrenica, ce sont d'excellents exemples de résolutions vagues et imprécises. Qu'est-ce qu'une zone sûre ou un refuge sûr? Comment allez-vous garantir une telle chose? Quel genre de ressources avez-vous? Les membres du comité se souviennent sans doute de ce qu'a dit M. Boutros Boutros-Ghali au Conseil de sécurité: «En tant que secrétaire général, j'essaierai de réunir les ressources pour le faire.» Je crois qu'on avait besoin de 24 000 soldats supplémentaires. Mais le total s'est avéré tourner autour de 2 000. Ce petit bataillon hollandais de Srebrenica, pour ce qui est de la présence, n'aurait rien pu faire, même s'il avait su ce qu'il était censé faire.

Oui lorsque ce genre de circonstances se produisent, il est bien d'avoir quelque chose d'autre sous la main comme l'OTAN. Tant que vous arrivez à réunir suffisamment d'éléments de légitimité, je crois que vous avez alors non seulement la capacité d'agir mais également le devoir et la responsabilité morale d'agir.

M. Nossal: L'essentiel ici est la responsabilité morale jugée après le fait. Je suis d'accord avec vous pour dire que Srebrenica constitue un bon exemple. Mais un meilleur exemple de précédent serait peut-être celui de la Somalie en 1992.

On se souvient généralement de la Somalie comme d'un échec. En effet, si vous regardez l'opération somalienne, on peut prétendre que le genre de politique musculaire qu'ont adopté les États-Unis était en fait une politique conçue essentiellement à des fins humanitaires. Dans ce sens, l'opération somalienne, l'atteinte à la souveraineté de l'Irak avec l'instauration des zones d'interdiction de vol, et l'atteinte à la souveraineté haïtienne -- autrement dit, la menace implicite d'invasion par les États-Unis -- créent d'une certaine façon un ensemble de pratiques que vous pouvez invoquer à l'avenir lorsque vous dites que, pour des raisons humanitaires, il est tout à fait justifié d'ignorer l'article 27 des Nations Unies, d'ignorer la définition traditionnelle de la souveraineté et de se lancer dans ce genre d'intervention.

En définitive, il s'agit simplement de savoir si ceux qui considèrent cette intervention a posteriori la jugent bonne ou mauvaise. Prenez le jugement que nous portons actuellement sur notre comportement au Rwanda.

Le sénateur Grafstein: La Yougoslavie et les pays européens n'ont-ils pas renoncé à l'idée de non-ingérence en ce qui concerne leur souveraineté pour les questions intérieures, précisément pour la protection des minorités, dans les Accords d'Helsinki? C'était le marché qu'on avait conclu pour les Accords d'Helsinki. La souveraineté devrait passer en deuxième place après la défense des droits de la personne à l'intérieur d'un pays.

M. Nossal: C'est la façade agréable que lui donnent les administrations américaines.

Le sénateur Grafstein: Les Américains étaient les plus réticents à participer. Je veux parler des ONG du Canada.

M. Nossal: La réalité veut que tous ces gouvernements très souverains d'Europe du centre et de l'Est n'ont pas vraiment cru à l'interprétation que vous venez de donner, monsieur le sénateur, des Accords d'Helsinki. Il me semble que cela voulait dire en gros que les pays occidentaux avaient le droit fondamental de donner leur avis, donc d'intervenir dans ce sens, sur la question des droits de la personne dans la pratique. Aller jusqu'à parler d'intervention, c'est pousser les choses très loin et cela pourrait se retourner contre vous.

Le sénateur Grafstein: J'admets les opinions opposées.

Le président: Chers collègues, je crois que nous devons être plus reconnaissants que d'habitude à nos témoins. Ils nous ont beaucoup appris et ils ont été d'une patience extrême.

La séance est levée.


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