Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 2 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 30 octobre 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons ce matin, du ministère de la Justice, M. Mark Berlin, M. Stephen Sharzer, Mme Gloria Mintah et Mme Carole Théberge. La parole est à vous.
M. Mark Berlin, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Madame la présidente, je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi S-5. Je vous donnerai certaines explications pour mieux vous faire comprendre le contexte dans lequel s'inscrit cette mesure législative. Je parlerai également des modifications qui ont trait à la réforme du droit pénal, surtout celles qui concernent la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel.
M. Sharzer expliquera ensuite les modifications apportées dans le cadre de la réforme de la législation sur les droits de la personne, tout particulièrement la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous serons bien sûr heureux de répondre à toutes vos questions sur les initiatives relatives à la réforme du droit qui ont été rassemblées dans ce projet de loi.
La mesure législative proposée correspond essentiellement au projet de loi C-98, mort au feuilleton lors de la dernière dissolution du Parlement. Laissez-moi vous donner brièvement le contexte de cette réforme législative.
[Français]
En mai 1991, le gouvernement fédéral a annoncé une stratégie nationale quinquennale en vue de l'intégration des personnes handicapées. La première étape de cette stratégie nationale a consisté en l'adoption du projet de loi C-78, Loi modifiant certaines lois relativement aux personnes handicapées. Ce projet de loi omnibus a modifié six lois fédérales, c`est-à-dire le Code criminel, la Loi nationale sur les transports, la Loi électorale du Canada, la Loi sur la citoyenneté, la Loi sur l'accès à l`information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il est entré en vigueur le 30 juin, 1992.
[Traduction]
En réponse aux demandes des groupes voués à la défense des personnes handicapées, le ministère de la Justice a réexaminé la législation dans le but de trouver des solutions aux obstacles que doivent surmonter ces personnes. Depuis quelques années, des consultations approfondies ont lieu auprès de la collectivité des personnes handicapées, de groupes des droits à l'égalité, d'organisations patronales, de corps policiers et d'avocats de la défense.
En outre, le comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées a rendu public son quatrième rapport à la Chambre des communes en décembre 1995, dans lequel il recommandait d'éliminer les obstacles susceptibles de nuire aux personnes handicapées. Le Groupe de travail fédéral concernant les personnes handicapées, mis sur pied le 5 juin 1996, était parrainé par quatre ministères et quatre ministres: Développement des ressources humaines, Finances, Revenu et Justice.
Dans le rapport qu'il a rendu public le 28 octobre 1996, ce groupe de travail, présidé par l'honorable Andy Scott, exhortait le gouvernement à modifier le droit pénal et la législation sur les droits de la personne en ce qui concerne les personnes handicapées.
[Français]
Comme je l'ai dit plus tôt, le projet de loi C-98, qui prévoyait essentiellement les mêmes modifications que le projet de loi S-5, est mort au Feuilleton à la suite de l'annonce des dernières élections. Toutefois, dans son programme électoral «Bâtir notre avenir ensemble», le gouvernement libéral a annoncé son intention d'apporter les modifications proposées du Code criminel, de la Loi sur la preuve au Canada et de la Loi canadienne des droits de la personne, ce qu'il fait ici au moyen de ce projet de loi.
[Traduction]
Dans le récent discours du Trône, le gouvernement a indiqué qu'il continuera, de concert avec les provinces, à donner une plus grande mobilité aux personnes handicapées et à assurer leur intégration dans la vie sociale et économique du pays.
Le projet de loi S-5 prévoit plusieurs solutions positives et concrètes pour résoudre certains des problèmes les plus urgents auxquels les personnes handicapées sont confrontées lorsqu'elles ont affaire au système de justice. En outre, les propositions contenues dans le projet de loi S-5 constituent essentiellement la réponse du gouvernement fédéral au groupe de travail susmentionné.
Madame la présidente, j'aimerais maintenant parler des modifications qui sont proposées relativement au droit pénal.
Plus de quatre millions de Canadiens sont atteints d'une déficience, chiffre qui représente quelque 16 p. 100 de la population canadienne. Les recherches effectuées sur la fréquence des mauvais traitements physiques et sexuels dont sont victimes les personnes handicapées démontrent immanquablement que celles-ci courent un risque beaucoup plus élevé à cet égard que les personnes non handicapées. Les modifications au droit pénal que propose ce projet de loi aideront l'ensemble des personnes handicapées à avoir plus facilement accès au système de justice pénale pour résoudre ces problèmes et d'autres du même ordre.
Le projet de loi S-5 vise cinq éléments qui peuvent être intégrés à la réforme du droit pénal en ce qui concerne les personnes handicapées. Premièrement, une nouvelle disposition de la Loi sur la preuve au Canada prévoit qu'une aide devra être offerte aux personnes handicapées, accusés ou témoins, qui éprouvent de la difficulté à communiquer. Cette disposition permettra par exemple le recours à un écran Bliss pour les personnes atteintes de paralysie cérébrale, aux services d'un interprète gestuel pour les sourds, à des dispositifs techniques -- sous-titrage simultané ou interprétation verbale -- pour les malentendants ainsi qu'à d'autres moyens de communication. Avant d'autoriser l'utilisation d'un de ces moyens, le juge pourra procéder à une enquête afin de déterminer si le moyen proposé est nécessaire et fiable.
Deuxièmement, une nouvelle disposition de la Loi sur la preuve au Canada permettra à un témoin d'identifier un accusé en se fondant sur d'autres sens, par exemple l'ouïe ou le toucher, qui s'ajoutent à la perception visuelle, le moyen d'identification le plus courant.
[Français]
Le reste des modifications relatives au droit pénal touchent le Code criminel. La troisième modification que renferme ce projet de loi consiste en une nouvelle disposition qui permettrait aux témoins ayant une déficience qui rend la communication difficile de témoigner au moyen d'une bande vidéo, que ces témoins soient des plaignants ou non, et ce, dans le cas des mêmes infractions que celles qui sont actuellement énumérées à l'article 715.1 en ce qui concerne les jeunes témoins.
Essentiellement, ces infractions se rapportent à des situations d'abus sexuel, de pornographie, de prostitution et d'agression. Dans de tels cas, une bande vidéo prise peu après l'infraction alléguée sera admissible devant les tribunaux à condition que la personne handicapée adopte le contenu de la bande vidéo lors de son témoignage devant le tribunal et qu'elle soit disponible pour le contre-interrogatoire. De plus, le tribunal pourra ordonner que cette bande vidéo ne soit utilisée que pour les fins auxquelles elle est destinée. Cette façon de procéder contribuera à protéger la vie privée de la personne dont l'histoire est enregistrée sur bande vidéo.
[Traduction]
Quatrièmement, une série de modifications connexes au Code criminel facilitera la participation des personnes handicapées dans un jury. Ainsi, une modification à l'alinéa 638(1)e) prévoit qu'une déficience physique ne constituera généralement pas un motif d'exclusion si, avec les moyens techniques appropriés ou des services d'interprétation, une personne est capable de remplir les fonctions de juré. Par exemple, une personne sourde pourrait remplir ces fonctions si elle est capable de suivre les délibérations en recourant au langage ASL, le langage gestuel américain, ou au langage LSQ, le langage des signes québécois.
Les autres modifications au Code criminel qui concernent les fonctions de juré visent les préposés ou interprètes présents dans le but d'aider un juré ayant une déficience physique. En vertu d'une modification à l'article 649, ces personnes seront tenues de ne pas divulguer les délibérations d'un jury. Aux termes du nouveau sous-alinéa à l'article 649, tout préposé, tout interprète ou toute autre personne fournissant une aide quelconque qui interviendrait dans les délibérations d'un jury ou influencerait indûment celles-ci se rendra coupable d'une infraction.
Une modification au paragraphe 631(4) prévoit que tout préposé, tout interprète ou toute autre personne fournissant une aide quelconque devra jurer d'interpréter objectivement les interventions, de ne pas intervenir et de ne pas exercer d'influence indue.
Finalement, une nouvelle disposition du Code criminel établira une infraction mixte pour les cas d'exploitation sexuelle mettant en cause une personne handicapée qui est en situation de dépendance par rapport au contrevenant. Cette infraction sera punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et sera passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans. Cette modification pourrait être surtout utile dans le cas, par exemple, d'adultes dépendants qui sont placés dans une institution ou qui reçoivent des soins ou des services semblables à leur domicile et qui sont exploités sexuellement par les personnes qui les soignent. Cette modification prévoit toutefois que ces adultes pourront consentir à une activité sexuelle quand tel sera leur désir.
En outre, le paragraphe 278.2(1) du Code criminel devra être modifié pour ajouter l'exploitation sexuelle à la liste des infractions pour lesquelles le dossier se rapportant à un plaignant ou à un témoin ne pourra être communiqué à un accusé.
En tout et pour tout, ces modifications à la Loi sur la preuve au Canada et au Code criminel ont recueilli un vaste appui de la part non seulement de la collectivité des personnes handicapées mais aussi des compétences provinciales et territoriales, des avocats de la défense et des responsables de l'application de la loi.
Je donne maintenant la parole à M. Sharzer qui vous entretiendra des modifications relatives à la législation sur les droits de la personne.
M. Stephen Sharzer, avocat-conseil, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Madame la présidente, comme mon collègue M. Berlin, je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi S-5.
M. Berlin a déjà indiqué le contexte dans lequel s'inscrit cette réforme législative. Je vais donc maintenant m'attarder plus particulièrement à certaines des modifications qui se rapportent à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
L'élément-clé des modifications à cette loi réside dans l'ajout d'une obligation expresse d'accommoder les besoins des personnes visées par la loi, notamment les personnes handicapées et les groupes religieux minoritaires, en tenant compte des questions de santé et de sécurité et des coûts. L'obligation d'accommodement aidera à éliminer les obstacles susceptibles d'empêcher tous les Canadiens de jouir de chances égales en milieu de travail comme au regard de la fourniture de services et de biens. Imposer une telle obligation, c'est répondre aux besoins des personnes atteintes d'une déficience sans alourdir immodérément les obligations des employeurs et des fournisseurs de services.
En plus des dispositions relatives à l'obligation d'accommodement, d'autres modifications sont apportées à la loi. Un grand nombre d'entre elles constituent une codification du droit existant, tandis que d'autres ont été adoptées afin d'harmoniser le droit fédéral avec les lois provinciales sur les droits de la personne.
[Français]
Par exemple, le projet de loi reconnaît que des personnes peuvent faire l'objet de discrimination pour des motifs multiples. Le projet de loi ferait également des représailles, ou des menaces de représailles, un acte discriminatoire. En outre, la protection en matière de droits de la personne serait étendue de manière à viser les marchés de services personnels. Le projet de loi permettrait encore que des plaintes relatives aux droits de la personne soient désormais déposées à l'égard de la fourniture de biens ou services lorsqu'il n'y a pas de victime identifiable.
[Traduction]
Madame la présidente, une autre modification importante à la Loi canadienne sur les droits de la personne concerne la rationalisation du processus d'arbitrage, au moyen de la mise sur pied d'un tribunal des droits de la personne efficace, spécialisé, permanent et de petite taille. Ce tribunal remplacerait le système actuel de groupes spéciaux et serait constitué de 15 membres, incluant un président et un vice-président. Les membres du tribunal devraient avoir de l'expérience, des compétences et de l'intérêt à l'égard des questions relatives aux droits de la personne et être sensibilisés à ces questions. On tiendra également compte de la représentation régionale lors des nominations.
Le pouvoir de redressement du tribunal serait également renforcé. Par exemple, le montant maximum de 5 000 $ pouvant être octroyé pour indemniser les souffrances augmenterait à 20 000 $. L'auteur d'actes discriminatoires posés de manière volontaire ou négligente pourrait se voir imposer en plus une indemnité spéciale maximale de 20 000 $.
[Français]
Le projet de loi accorderait au tribunal le pouvoir d'octroyer une indemnité spéciale maximale de 20 000 $ à une personne spécifiquement visée par des messages haineux. Le tribunal pourrait également ordonner à l'auteur de tels messages de payer une amende maximale de 10 000 $.
[Traduction]
Toute personne reconnue coupable d'une infraction à la loi, par exemple en faisant obstruction au tribunal, en réduisant des salaires comme moyen d'éliminer une pratique discriminatoire, en faisant obstruction à l'enquêteur, en faisant des représailles ou en menaçant de faire des représailles à l'endroit d'une personne qui dépose une plainte, pourrait se voir imposer une amende maximale de 50 000 $.
En vertu des modifications proposées, les règlements intervenus entre les parties pourraient être déposés auprès de la Cour fédérale et exécutés comme une ordonnance de cette cour.
[Français]
La période de prescription pour intenter des procédures à l'égard de violation de la loi passerait de six mois à un an, de manière à s'assurer qu'il y ait suffisamment de temps pour faire enquête.
[Traduction]
Afin de préserver l'indépendance de la Commission canadienne des droits de la personne, les modifications permettraient à celle-ci de déposer ses rapports annuels et spéciaux directement devant le Parlement, plutôt que par l'entremise du ministre de la Justice, comme c'est actuellement le cas.
C'était là l'essentiel des observations préliminaires que je désirais faire. Mon collègue et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Jessiman: L'article 1 du projet de loi permettrait aux personnes qui éprouvent de la difficulté à communiquer de recourir à des moyens de communication par lesquels elles pourraient se faire comprendre. Grâce à cette disposition, une personne pourrait témoigner quant à l'identité d'un accusé en se fondant sur n'importe lequel des sens comme l'ouïe ou le toucher.
En 1991, le Conseil canadien des droits des personnes handicapées avait recommandé l'adoption de modifications législatives visant à satisfaire les besoins en communication des personnes handicapées. Il demandait également que la loi précise que les coûts engendrés par ces moyens devaient être assumés par les tribunaux et non par les personnes handicapées.
Le projet de loi S-5 ne fait aucune mention des coûts. J'ai lu au sujet de l'affaire Eldridge c. Colombie-Britannique (procureur général). C'est une décision très récente. Avez-vous la citation pertinente?
M. Berlin: Monsieur le sénateur, il n'y en a pas encore. La décision a été rendue le 9 octobre et n'a donc pas encore fait l'objet d'un compte rendu.
Le sénateur Jessiman: Il ne s'agissait peut-être pas de la même affaire. Est-ce celle où le tribunal a déclaré qu'une aide devait être offerte aux malentendants?
M. Berlin: Dans ce cas particulier, il s'agissait de deux ou trois personnes sourdes qui avaient besoin de soins médicaux. Aux termes des lois de la Colombie-Britannique, les personnes sourdes qui vont voir leur médecin ont droit aux services d'un interprète. La Cour suprême du Canada n'a pas jugé que cette loi allait à l'encontre de la Charte, mais elle a déterminé que la façon dont elle était appliquée dans cette province violait la Charte parce que les autorités provinciales avaient choisi de ne pas offrir de services d'interprétation aux patients sourds ou aux parents sourds d'enfants ayant besoin de soins médicaux. Ces services d'interprétation n'étaient pas disponibles. La Cour suprême a jugé que l'absence de services d'interprétation allait à l'encontre de la Charte. Dans sa conclusion, elle a précisé que la fourniture de ce type de services médicaux représentait environ 0,0025 p. 100 du budget global que la Colombie-Britannique consacrait aux soins de santé. La Cour a jugé que ce montant était si minime que la province n'était pas justifiée de ne pas offrir ce type de services.
Le sénateur Jessiman: La Cour a donc déterminé que c'est la province qui applique la loi qui doit offrir les services?
M. Berlin: Dans ce cas particulier, comme il s'agissait d'une loi provinciale, la Cour a jugé que son application relevait également de la province. De la même façon, le Code criminel et la Loi sur la preuve au Canada sont appliqués par les autorités provinciales, et tous les coûts engendrés sont en règle générale assumés par les provinces.
Le sénateur Jessiman: Je pensais que cela s'était déroulé il y a un certain temps. J'ai lu différentes choses à propos de cette affaire.
N'y a-t-il pas également eu un tollé en Colombie-Britannique ou dans une autre province parce que la décision mettait en cause des coûts considérables?
M. Berlin: Vous avez raison. La Colombie-Britannique, qui a contesté le jugement, a déclaré que celui-ci risquait de faire boule de neige et de faire augmenter de façon énorme le fardeau financier de la province. La Cour suprême n'a pas accepté cette interprétation, mais elle a affirmé que la décision se limitait à ces deux lois. Comme je l'ai déjà dit, elle a jugé que les frais médicaux que cette décision engendrerait pour la province étaient minimes et qu'il n'y avait pas lieu de s'alarmer.
Le sénateur Jessiman: Voulez-vous dire que ces frais étaient minimes par rapport à tous les autres coûts?
M. Berlin: Ces frais étaient minimes par rapport aux coûts globaux des services médicaux. D'après ce que nous avons compris, les coûts supplémentaires reliés aux services d'interprétation offerts par les provinces seraient si minimes par rapport aux coûts globaux qui découlent de l'administration de la justice pénale que, par analogie, les tribunaux accepteront d'assumer ces frais supplémentaires pour ce genre de services.
Le sénateur Jessiman: Avant même l'adoption de cette disposition, les tribunaux ont décidé que les provinces devaient offrir des services d'interprétation. Savez-vous si cette décision fait l'objet d'un appel?
M. Berlin: Cette décision a été rendue par la Cour suprême du Canada. C'était une décision définitive qui ne peut faire l'objet d'un appel.
Ce que vous suggérez pourrait par contre se produire. On pourrait extrapoler à partir de l'affaire Eldridge que les provinces seront obligées d'offrir des services dans d'autres domaines, mais la Cour a toutefois précisé que la décision se limitait aux patients sourds et aux parents sourds d'enfants ayant besoin de services médicaux dans cette province. La décision se limitait à ces deux groupes, bien qu'on puisse penser comme vous le laissez entendre que d'autres services pourraient être visés.
Le sénateur Jessiman: Cela causera certains problèmes de taille.
La partie I du projet de loi traite notamment de la Loi sur la preuve au Canada, et l'article 1 modifie l'article 6 de cette loi. Le premier paragraphe de cet article porte sur la déficience physique et le second, sur l'incapacité mentale.
Lorsque le sénateur Kinsella a pris la parole devant le Sénat, il a parlé de l'article 16 de la Loi sur la preuve au Canada, qui concerne les personnes qui témoignent. Cet article fait toutefois uniquement référence à la capacité ou à l'incapacité mentale du témoin. Je vous pose maintenant la question qu'il a lui-même posée: pourquoi l'article 16 n'a-t-il pas aussi été modifié?
M. Berlin: C'était une bonne question quand elle a été posée par le sénateur Kinsella et elle l'est encore quand c'est vous qui la posez. Je vais essayer de vous répondre.
Nous avons tenté d'établir, à l'article 6 proposé, une distinction entre l'incapacité mentale et d'autres formes de déficience pour les raisons suivantes: l'article 16 de la Loi sur la preuve au Canada porte essentiellement sur la capacité de témoigner. La seule déficience pour laquelle cette capacité est mise en question est l'incapacité mentale. Le témoin doit comprendre la nature d'un serment ou d'une affirmation solennelle. C'est essentiellement le fait de comprendre la nature du serment qui détermine la capacité de témoigner.
Nous avons déterminé que la capacité de témoigner n'est pas reliée à la déficience physique mais uniquement à l'incapacité mentale. Nous voulons préciser clairement qu'une déficience physique ne constitue pas un empêchement aux termes de l'article 16. C'est plutôt une question de capacité. Toutefois, en modifiant l'article 6 de la Loi sur la preuve au Canada pour permettre aux personnes handicapées de témoigner, nous disons essentiellement que toute personne atteinte d'une déficience physique peut recourir aux moyens de communication dont elle a besoin pour témoigner.
La différence, c'est qu'il faut tout d'abord prouver qu'une personne atteinte d'une incapacité mentale est en mesure de témoigner en vertu des critères établis à l'article 16. S'il est ainsi démontré qu'une personne comprend la nature du serment et a la capacité de témoigner, nous passons alors à l'article 6 proposé qui fait mention des moyens qu'elle peut utiliser pour le faire.
En bref, l'article 16 porte sur la capacité de témoigner. Lorsqu'une personne atteinte d'une déficience respecte les critères, nous passons aux moyens qu'elle peut utiliser pour témoigner. L'article 6 proposé place ces personnes sur un pied d'égalité avec les autres.
Le sénateur Kinsella: J'aimerais maintenant passer à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les pages 6 et 7 du projet de loi portent sur la défense que peut invoquer un intimé lorsque, pour une raison quelconque, il n'a pas satisfait les besoins d'une personne handicapée qui a par la suite déposé une plainte à cet égard. L'intimé peut alors invoquer une restriction ou un motif justifiable comme défense.
Vous semblez avoir utilisé comme modèle le Code des droits de l'homme de l'Ontario. Avez-vous étudié d'autres codes similaires quand vous avez rédigé ce projet de loi?
M. Sharzer: Oui.
Le sénateur Kinsella: Avez-vous par exemple examiné le code en vigueur au Nouveau-Brunswick?
M. Sharzer: Oui.
Le sénateur Kinsella: En vertu du code du Nouveau-Brunswick, on pourrait se retrouver avec l'exemple suivant: la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, sachant qu'elle ne peut accommoder les besoins d'une personne handicapée, aimerait que soit déterminée à l'avance l'existence d'un motif justifiable parce que, aux termes d'un autre article que l'on retrouve dans les modifications proposées, le gouverneur en conseil pourra prendre des règlements définissant ce qui constitue un accommodement raisonnable. En conséquence, la Commission des droits de la personne connaîtrait bien les règles.
Aux termes de la loi en vigueur au Nouveau-Brunswick, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada pourrait se présenter devant la Commission des droits de la personne pour lui faire connaître la situation, lui dire qu'elle ne peut accommoder ces besoins et lui demander d'établir à l'avance l'existence d'un motif justifiable. Pourquoi n'avez-vous pas adopté ce modèle?
Imaginez les centaines de milliers de dollars que tout cela coûtera et l'angoisse que les plaignants devront subir. Si vous aviez adopté le modèle en vigueur au Nouveau-Brunswick, tout cela aurait été épargné.
M. Sharzer: Si je comprends bien, votre question ne concerne pas uniquement l'obligation d'accommodement, mais toutes les obligations découlant de la Loi canadienne sur les droits de la personne et le fait de pouvoir se présenter devant la ccommission pour savoir ce qu'elle pense de tout cela.
Je ne prétends pas parler au nom de la Commission des droits de la personne. Je sais que, par le passé, en tant que gouvernement régi par la ccommission, nous avons pu nous présenter devant elle pour connaître ses vues sur certaines questions. D'ailleurs, quelques-uns de ses membres sont justement assis derrière moi. Vous voudrez peut-être, à un moment donné, leur demander comment ils réagiraient si on leur demandait un avis consultatif. En ce qui concerne ces modifications, nous n'avons pas cherché à suivre une procédure législative qui permettrait aux gens d'obtenir un avis consultatif de la part de la commission.
Dans le cadre de la deuxième et prochaine étape de cet examen législatif, nous espérons pouvoir étudier plus attentivement le rôle global de la commission. Son comportement, quand on lui demande d'émettre un avis, dépend essentiellement du rôle global qu'elle a à jouer. Nous espérons examiner cette question au cours de la prochaine étape.
Le sénateur Kinsella: Le projet de loi cible tout particulièrement les besoins des personnes handicapées, un principe auquel je souscris entièrement. Mais la question que je me pose, c'est comment y parvenir? On nous demande d'approuver l'article 15 proposé, à la page 7 du projet de loi qui se lit en partie comme suit:
(2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins...
Le paragraphe 5(2) de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick traite du logement. Ainsi, au Nouveau-Brunswick, un hôtel local, régi par les lois provinciales, doit offrir des services sans faire de discrimination à l'égard des personnes handicapées. Toutefois, ce même paragraphe précise que, nonobstant cette obligation, une restriction est autorisée si elle est fondée sur une qualification réellement requise selon ce que détermine la commission.
Au Nouveau-Brunswick, si vous êtes propriétaire par exemple de l'hôtel Lord Nelson, un très vieil édifice, vous pouvez vous présenter devant la Commission des droits de la personne pour lui dire que, si vous le pouviez, vous accommoderiez les besoins des personnes handicapées mais que cela est impossible pour des raisons d'ingénierie et d'architecture. On parle ici de bonnes gens qui sont sensibilisées à la question et qui souhaitent promouvoir les droits de la personne et l'égalité des chances. Elles sont de bonne foi. Au Nouveau-Brunswick, ces personnes ont l'occasion de se présenter devant la commission pour que celle-ci rende une décision préalable. Cette restriction peut être établie à l'avance par la commission, et ce, sans l'aide d'aucun avocat.
Le sénateur Moore: Il est possible d'obtenir une décision préalable.
Le sénateur Kinsella: Oui.
Les lois antidiscrimination que l'on retrouve au Canada suivent deux modèles différents: le premier prévoit que des restrictions peuvent être autorisées à l'avance. Cela me semble très important, tout particulièrement en ce qui concerne l'accommodement raisonnable.
Je vais poser une question plutôt technique aux représentants du ministère. Lorsque vous avez rédigé cet article, je présume que vous avez examiné les modèles d'autres lois antidiscrimination. Il y a le modèle ontarien, dont semble s'inspirer l'article du projet de loi. Il semble que vous n'en ayez pas regardé d'autres. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? Comprenez-vous l'autre approche?
M. Sharzer: Nous avons examiné l'autre modèle mais, encore une fois, pas particulièrement dans le contexte de l'obligation d'accommodement, parce que cette question est soulevée dans tous les cas de discrimination visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Dans l'Ouest, une loi permet de demander un avis consultatif par le biais d'une procédure officielle. Celle-ci s'applique à tous les aspects de la loi et pas seulement à l'obligation d'accommodement. Nous avons déjà réfléchi à cette question. Cela dépend de ce qui, selon vous, fait partie du rôle global de la Commission des droits de la personne. Celle-ci devrait-elle prendre ce genre de décisions plus souvent ou devrait-elle, comme elle le fait maintenant, jouer le rôle d'un organisme d'arbitrage?
En dernière analyse, ce sont les tribunaux qui prennent les décisions à cet égard et c'est un point qu'il ne faut pas oublier. Comme je l'ai dit, je ne pense pas que cet enjeu fasse partie de cette série de modifications. Il s'agit plutôt d'une question plus générale qui relève de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C'est un point que nous désirons aborder au cours de la prochaine étape de l'examen dont le ministre a parlé.
Le sénateur Kinsella: L'article 16, à la page 9, se lit comme suit:
La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 16, de ce qui suit:
16.1 Ne constitue pas un acte discriminatoire le fait de recueillir des renseignements relatifs à un motif de distinction illicite s'ils sont destinés à servir lors de l'adoption ou de la mise en oeuvre des programmes, plans ou arrangements visés au paragraphe 16(1).
L'article 3.1 de la Loi, à la page 1, énumère les motifs de distinction illicite. On y retrouve maintenant l'orientation sexuelle. L'orientation sexuelle est un motif de distinction illicite en vertu de l'article 3.1 de la loi.
Ma question est la suivante: cette modification vise-t-elle à englober explicitement tous ces motifs de distinction illicite, y compris l'orientation sexuelle, par cette phrase: «un motif de distinction illicite» telle qu'elle s'applique à l'article 16?
M. Sharzer: Cette disposition particulière renvoie à l'article 16.1. Comme vous le savez, lorsque le Parlement a modifié la loi pour y ajouter l'orientation sexuelle, il ne l'a pas fait à l'article 16.1. En ce qui concerne cette disposition particulière, il s'agit, selon nous, d'une codification du droit. Si l'on recueille des renseignements relatifs à un motif particulier énuméré à l'article 3 de la loi, si cela se fait sans intention discriminatoire et si cela respecte les dispositions de justification de la loi, cela ne pose aucun problème. C'est un éclaircissement. Je crois que la loi prévoit déjà ce point particulier.
Le sénateur Kinsella: Si nous adoptons l'article 16.1 proposé, cela veut-il dire que ne constitue pas un acte discriminatoire le fait de mettre en oeuvre des programmes ou des arrangements spéciaux relatifs aux dispositions conçues pour prévenir, éliminer ou amoindrir les désavantages que subit un groupe de particuliers, lorsque ces désavantages sont fondés sur l'orientation sexuelle?
M. Sharzer: Si le programme répond aux exigences des justifications existantes de la loi, effectivement, il ne serait pas discriminatoire. Si les renseignements ne sont pas recueillis et utilisés à des fins discriminatoires, je crois alors que selon le concept de discrimination, tel qu'interprété par la Cour suprême, cela ne constituerait pas un acte discriminatoire.
Le sénateur Kinsella: L'article 16.1 de la loi renfermerait-il l'orientation sexuelle dans la liste des motifs de distinction illicite?
M. Sharzer: Cela ne figure pas dans la liste, cela n'y est pas précisé.
Le sénateur Kinsella: La modification proposée par le projet de loi S-5 prévoit-elle l'ajout de ce motif?
M. Sharzer: Cela ne change pas l'article 16.1, mais renvoie simplement à l'article 16.1.
Le sénateur Kinsella: Si l'on voulait s'en assurer, il faudrait le modifier de manière à inscrire l'orientation sexuelle à l'article 16.1 de la loi.
M. Sharzer: Si vous voulez que l'orientation sexuelle figure à l'article 16.1, il faudrait apporter cette modification. Pour ce qui est de la collecte de renseignements en vue de programmes sociaux, il s'agit, selon nous tout simplement d'une codification du droit existant qui s'appliquerait de la même manière à tout motif de discrimination lorsque les renseignements sont recueillis à des fins non discriminatoires.
Le sénateur Kinsella: Ma dernière question, pour l'instant, porte sur la disposition du projet de loi relative au nouveau Tribunal canadien des droits de la personne et aux exigences précisées par la loi pour les membres de ce tribunal.
Le sénateur Moore: Où cela se trouve-t-il?
Le sénateur Kinsella: À la page 18 du projet de loi.
M. Sharzer: À la page 12.
Le sénateur Kinsella: C'est aussi à la page 12. Cela paraît à deux reprises.
M. Sharzer: C'est au cas où vous ne l'auriez pas vu la première fois.
Le sénateur Kinsella: À la page 12, l'alinéa 48.1(2) proposé prévoit ce qui suit:
Les membres doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisés et avoir un intérêt marqué pour ce domaine.
Je crois que nous acceptons tous ces exigences.
Beaucoup de membres du barreau sont spécialistes en droit maritime, en droit de la famille ou en droit des sociétés. Le fait qu'ils soient admis au barreau ne signifie pas qu'ils répondent immédiatement et par magie aux critères de l'alinéa (2) proposé.
Le sénateur Gigantès: Quelle est cette logique? Êtes-vous en train de dire qu'aucun membre du barreau n'est sensibilisé aux questions des droits de la personne?
Le sénateur Kinsella: Non, au contraire.
Le sénateur Nolin: J'espère que non.
Le sénateur Gigantès: Vous renversez la logique.
Le sénateur Cogger: Ne faut-il pas lire les alinéas (2) et (3) conjointement? En d'autres termes, vous recherchez des membres du barreau qui ont une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, qui y sont sensibilisés et qui ont un intérêt marqué pour ce domaine. Ces deux alinéas ne sont pas incompatibles.
Le sénateur Kinsella: C'est une question délicate. Dans d'autres genres de tribunaux administratifs, comme les commissions du travail et de l'emploi et les commissions d'arbitrage, certains de nos meilleurs arbitres sont sensibilisés aux relations du travail, mais ne sont pas membres du barreau. Ils seraient exclus si vous aviez ce genre de dispositions dans la Loi sur les relations de travail. Pourquoi l'avez-vous ici?
M. Sharzer: Je dirais pour commencer que le tribunal se compose de 15 membres. Sur les 15, 11 ne sont pas tenus d'être membres du barreau en tant qu'avocats, si bien qu'il en reste quatre. Je l'expliquerais en disant qu'après beaucoup d'années d'expérience en matière d'audiences, on s'est aperçu que les procédures devenaient de plus en plus légalistes. Ces tribunaux sont saisis de beaucoup de questions plus complexes de droit, des questions de preuve et de procédures, qui deviennent très litigieuses.
En outre, d'autres lois fédérales sont contestées en vertu de la Loi sur les droits de la personne; il s'agit du même genre de contestations que celles présentées en vertu de la Charte. Compte tenu de tous ces éléments, on a pensé qu'il serait utile de confier la présidence de ces audiences à des personnes qui sont non seulement membres du barreau, mais qui également répondent aux exigences relatives à la nomination de magistrats. Les procédures deviennent plus judiciaires. L'atmosphère se rapproche plus de celle d'un tribunal.
On espère avoir une personne qui ait de l'expérience dans le domaine juridique. Cela est équilibré, bien sûr, puisque sur les 15 membres, 11 ne sont pas tenus d'être avocats. Ils vont s'asseoir avec les membres juridiques de ces comités et, dans de nombreux cas, seront peut-être plus nombreux que les membres juridiques, trois d'entre eux, pouvant faire partie d'un comité de trois membres, par exemple.
Le sénateur Doyle: J'ai une question à poser à M. Sharzer à propos de ce qu'il a dit au sujet du projet de loi qui permettrait maintenant que des plaintes relatives aux droits de la personne soient désormais déposées à l'égard de la fourniture de biens ou de services lorsqu'il n'y a pas de victime identifiable. J'aimerais qu'il me donne une explication simple.
M. Sharzer: Je vais essayer, même si je suis un avocat.
Le sénateur Doyle: Je vous écoute.
M. Sharzer: C'est parallèle aux dispositions relatives à l'emploi. C'est déjà prévu dans la loi à propos des dispositions relatives à l'emploi. Il est possible de déposer des plaintes à l'égard d'une question relative à l'emploi, lorsqu'il n'y a pas de victime identifiable.
On cherche ainsi à établir un parallèle avec ce que nous avons déjà dans la loi dans le domaine de l'emploi et qui permet de régler des cas où personne ne s'est manifesté, mais où la commission a identifié un acte discriminatoire ou en a pris conscience.
De temps en temps, la commission mène des enquêtes et se rend dans diverses installations pour voir si elles sont accessibles. Si elle se rend compte qu'un service est exploité de façon discriminatoire ou qu'une politique est discriminatoire, elle peut ne pas avoir à attendre qu'un particulier se présente pour déposer une plainte. Elle peut régler le problème immédiatement. Au lieu de fonctionner de manière réactive, en fonction d'un particulier qui se présente, la commission peut régler le problème de façon plus systémique et peut-être plus proactive.
Le sénateur Doyle: Je m'y perds encore plus. Vous n'êtes sûrement pas en train de nous dire que les membres de la commission peuvent être saisis de renseignements dont ne dispose pas l'organisme examinant l'infraction. Ils ne peuvent pas dire: «Nous savons que tous ces fabricants de montres ne répondent pas aux besoins de personnes ayant un handicap particulier et, par conséquent, nous allons examiner la question, même s'il n'y a pas de personne identifiable.»
M. Sharzer: Si je comprends bien la question, il peut ne pas y avoir de personne identifiable, mais il peut y avoir des victimes de cette politique ou de cet acte en particulier qui ne se sont pas manifestées. S'il n'est pas possible d'identifier des particuliers et si l'on se trouve en présence d'un acte ou d'une politique discriminatoire, la loi ne devrait pas l'ignorer. Il doit y avoir une façon de régler le problème, même si personne ne s'est manifesté pour apporter un correctif à cette politique ou à cet acte.
La commission a actuellement le pouvoir de déposer des plaintes de discrimination fondées sur des motifs raisonnables.
La présidente: Suite aux observations du sénateur Doyle, êtes-vous en train de dire que si la commission identifie elle-même une catégorie potentielle de victimes, elle peut intervenir?
M. Sharzer: Oui, c'est certainement prévu. Lorsqu'elle identifie un acte ou une politique discriminatoire, elle identifie probablement aussi une catégorie de personnes qui risquent d'être désavantagées par cette politique ou cet acte. C'est dans ces conditions et uniquement dans ces conditions que la commission interviendrait pour déposer une plainte.
La présidente: N'est-ce pas le genre de décision préalable dont a parlé le sénateur Kinsella à propos de la Déclaration des droits du Nouveau-Brunswick?
M. Sharzer: Si j'ai bien compris ce qu'a dit le sénateur Kinsella, il parlait de particuliers n'appartenant pas à la commission et demandant à cette dernière un avis consultatif. C'est plutôt la commission qui peut-être prend conscience d'une situation particulière.
Le sénateur Doyle: Le projet de loi prévoit le dépôt de plaintes relatives aux droits de la personne, mais qui dépose ces plaintes? Si je comprends bien, c'est un membre de la commission.
M. Sharzer: La commission peut le faire. La loi prévoit que toute personne qui a des motifs raisonnables de croire qu'un acte discriminatoire s'est produit peut déposer une plainte.
Le sénateur Doyle: Peut-on déposer une plainte contre ma société ou contre la présidence de ce comité au sujet de la façon dont il fonctionne?
M. Sharzer: Oui, comme on peut le faire dans le domaine de l'emploi. Ce projet de loi étendrait cette possibilité au secteur des services également.
Le sénateur Cogger: Je suis d'accord avec la présidente. Cela ne correspond-il pas au point soulevé par le sénateur Kinsella, c'est-à-dire que «l'attaque préventive», la décision préalable ne pourrait être autorisée que dans le cas de la victime et non dans le cas du fournisseur du service?
Je pense que le sénateur Kinsella parlait d'une autre situation où il n'y a pas de victime identifiable à cause de l'absence de fourniture du service, où le fournisseur éventuel demanderait à la commission: «Voici une situation hypothétique; puis-je obtenir une décision à ce sujet?»
Étant donné que vous semblez avoir tenu compte d'un membre de l'équation, ne serait-il pas plus juste de tenir compte de l'autre, comme l'a suggéré le sénateur Kinsella?
M. Sharzer: Peut-être n'ai-je pas décrit la situation dans son ensemble. Si vous invitez des membres de la Commission des droits de la personne à comparaître devant vous, je vous encourage de nouveau à leur demander comment ils fonctionnent. La loi est une chose, mais il faut également tenir compte de son application pratique par la commission. Je suis sûr que la commission vous dira qu'un très faible pourcentage des demandes qu'elle reçoit se transforme en plaintes. Pareillement, les tribunaux ne sont saisis que d'un très faible pourcentage de plaintes qu'elle reçoit. La commission fait tous les efforts possibles pour régler ces questions avant qu'elles n'aillent trop loin.
Ce qui se passe en pratique, et je ne voudrais pas décrire la commission comme étant un comité consultatif, c'est que les personnes visées rencontrent des représentants de la Commission des droits de la personne et examinent la situation et la manière dont la loi s'applique. Par exemple, d'après la commission, que devraient-elles faire pour régler ces questions? La commission dira qu'il est inutile d'aller plus loin.
Ce n'est pas un comité consultatif en tant que tel, mais il a le même effet pratique de résoudre des questions avant qu'elles ne parviennent au processus judiciaire; tel est l'objet de la loi, je crois.
Le sénateur Cogger: Êtes-vous en train de répondre au sénateur Kinsella que tout particulier peut déposer une plainte? L'«astuce» consisterait à déposer une plainte. Si j'étais propriétaire d'un hôtel, je pourrais déposer une plainte du fait qu'il n'y a pas de rampe d'accès. Au cours du processus d'examen, je finirais par obtenir une décision préalable.
M. Sharzer: Lorsque je remplis mes autres fonctions, c'est-à-dire celles de conseiller juridique auprès du gouvernement, je recommande à mes clients de contacter la Commission des droits de la personne pour déterminer leur situation et leurs politiques. C'est l'approche pratique. La commission a des politiques écrites relatives à plusieurs secteurs que l'on peut consulter; en plus, il est possible de consulter la commission et de lui demander des conseils sur les mesures à prendre pour telle ou telle question.
Le sénateur Jessiman: Revenons aux coûts. Vous nous en avez déjà parlé. J'aimerais maintenant aborder la question des coûts relatifs à l'obligation d'accommodement et ce qu'ils signifient véritablement.
Certains pensent qu'en prévoyant ceci dans la loi, vous créez deux catégories de requérants en matière de droits de la personne: ceux que nous pouvons nous permettre de traiter de la même façon et les autres. Par ailleurs, les employeurs et fournisseurs de services s'inquiètent de la possibilité d'une interprétation très restrictive de «difficultés excessives.» Ils souhaiteraient une interprétation plus réaliste des coûts pour tenir compte de l'impact sur la productivité et l'efficacité commerciales. Ces points ont-ils été pris en compte?
M. Sharzer: Je pense que oui, par la loi. On cherche ici à parvenir à un équilibre entre les besoins des divers groupes et particuliers protégés par la loi et les exigences des employeurs et des fournisseurs de services également.
Il suffit d'examiner ces dispositions pour s'apercevoir qu'elles ressemblent énormément à celles du Code des droits de la personne de l'Ontario. Il suffit d'examiner les décisions judiciaires sur le Code des droits de la personne pour s'apercevoir qu'elles renvoient aux décisions de la Cour suprême du Canada. Comme vous le savez, la Loi canadienne sur les droits de la personne, à l'exception de ces modifications, exige déjà que les employeurs et les fournisseurs de services prévoient des accommodements pour les particuliers protégés par la loi. En fait, elles renvoient à ces décisions.
Dans plusieurs de ses décisions, la Cour suprême du Canada a souligné le genre de critères qui seront appliqués dans ces cas. On cherche essentiellement à parvenir à un équilibre entre les intérêts des employeurs et les besoins des particuliers et des groupes. Vous le voyez dans la norme d'accommodement qui fait partie de la loi. Vous le voyez notamment dans le facteur des coûts, qui est crucial.
Le sénateur Jessiman: Expliquez-nous l'article 10, relatif aux Forces canadiennes. Dispense-t-il les Forces d'avoir à respecter l'obligation d'accommodement?
M. Sharzer: Non.
Le sénateur Jessiman: Veuillez expliquer l'article proposé.
M. Sharzer: Il renvoie au principe de l'universalité du service, qui a été pris en compte. La Cour fédérale a rendu plusieurs décisions. Cet article ne dispense pas les Forces canadiennes.
Selon le principe de l'universalité du service, tous les membres des forces régulières doivent être en mesure d'aller au combat. Par rapport à cette exigence, plusieurs normes médicales minimales sont prévues. C'est en fait ce dont il s'agit.
Si vous parlez d'autres normes des forces canadiennes qui ne se rapportent pas au principe de l'universalité du service, l'obligation d'accommodement s'applique.
On s'efforce de reconnaître cette norme particulière, norme appuyée par la division d'appel de la Cour fédérale dans quelques affaires pour lesquelles la Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation d'interjeter appel. Essentiellement, en raison de leur caractère unique, il est entendu que les Forces canadiennes vont au combat et sont prêtes à aller au combat.
Le sénateur Kinsella: La phrase «discrimination par suite d'un effet préjudiciable» apparaît à la page 7 du projet de loi à l'alinéa 8. Pouvez-vous donner aux membres du comité une définition de «discrimination directe» et une définition de «discrimination par suite d'un effet préjudiciable»?
M. Sharzer: Oui. Ces expressions renvoient aux décisions de la Cour suprême du Canada qui a reconnu les deux formes de discrimination. La discrimination intentionnelle serait un exemple typique de discrimination directe, par exemple affirmer qu'une personne d'une foi ou d'une origine particulière ne peut pas adhérer à un club. Il s'agit de quelque chose d'intentionnel ou d'évident au vu de la politique ou de l'acte.
Par «discrimination par suite d'un effet préjudiciable», il faut entendre une politique ou une règle qui n'établit pas, à première vue, de distinction à l'égard d'un groupe particulier. Elle n'est pas censée faire de la discrimination, mais elle a néanmoins pour résultat d'exclure certains groupes.
Un des exemples les plus typiques que l'on retrouve dans la documentation concerne les exigences de taille et de poids auxquelles il faut satisfaire pour devenir policier. À un certain moment donné, on a jugé que ces exigences avaient un effet préjudiciable sur les membres de minorités visibles et sur les femmes. Les tribunaux ont laissé entendre que cela représentait ce que nous appelons une preuve prima facie de discrimination par suite d'un effet préjudiciable.
Il y a alors lieu de se demander si cette discrimination est justifiable. Certains moyens de défense sont prévus.
Le sénateur Kinsella: Si le projet de loi à l'étude est adopté, la loi mentionnera les deux formes de discrimination. Croyez-vous qu'il serait utile de définir le mot «discrimination» avant l'article 5, là où l'on commence à définir les pratiques discriminatoires, pour faire en sorte d'y inclure toutes les pratiques ayant pour résultat la discrimination directe ou la discrimination par suite d'un effet préjudiciable? J'ai utilisé la forme affirmative pour poser ma question.
Dans la forme négative, cela donnerait: le fait de faire une distinction là pose-t-il des problèmes dans d'autres des dispositions relatives aux pratiques discriminatoires, en ce sens que quelqu'un pourrait dire: «Dans le projet de loi, vous faites une distinction plus loin». Il s'agira peut-être d'une affaire relative à l'emploi, mais elle deviendra une cause de discrimination par suite d'un effet préjudiciable parce qu'elle n'est pas définie ici. À ce moment-là, l'emploi ayant pour résultat la discrimination par suite d'un effet préjudiciable ne serait pas visé.
M. Sharzer: Cette disposition particulière a justement pour résultat d'éliminer la distinction. Nous avons envisagé la possibilité d'inclure une définition, mais la jurisprudence est claire en ce qui concerne l'application de la loi à la discrimination directe et à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. La Cour suprême du Canada les a décrites tant de fois que nous n'estimions pas utile de le faire. Cette disposition particulière était essentielle parce que la Cour suprême du Canada a jugé, dans l'arrêt Binder, que le devoir d'accommodement ne s'applique pas aux cas de discrimination directe en raison de la façon particulière dont est libellée la Loi sur les droits de la personne. La disposition vise à surmonter cet obstacle.
Le sénateur Kinsella: La disposition relative aux représailles se trouve à la page 8 du projet de loi, à l'article 14. Je me réjouis de sa présence parce que l'application de la Loi sur les droits de la personne repose entièrement sur le dépôt de plaintes. Si le dépôt d'une plainte fait peur à certains, le mécanisme n'est donc pas efficace, même si la commission peut elle-même déposer une plainte.
Il serait peut-être plus opportun de poser ma prochaine question à des membres de la commission. J'étais curieux de savoir si cela lui pose de gros problèmes dans l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pourquoi demande-t-elle maintenant l'insertion de cette disposition?
J'ajouterai, madame la présidente, qu'elle figure dans la plupart des lois provinciales.
M. Sharzer: Il faudrait peut-être poser la question aux membres de la commission. Je suis disposé à y répondre, dans la mesure où j'en suis capable.
Il y a effectivement eu un léger problème. Il est arrivé, par exemple, qu'une plainte soit déposée auprès des forces policières. Les policiers n'ont peut-être pas autant d'expérience que la commission dans les causes de discrimination. On leur demande d'examiner des situations plutôt complexes. Si la discrimination est manifeste, l'employeur a peut-être pris des mesures disciplinaires. Il faut alors décider si ces mesures sont des représailles ou si elles sont justifiables. Il est parfois difficile de le faire.
Quand la GRC est saisie de pareille plainte, on se demande si les personnes étaient justifiées de prendre la décision qu'ils ont prise à l'origine et qui a donné lieu à une plainte.
En fin de compte, quand il y a manifestement eu représailles ou intimidation, on peut agir grâce aux dispositions relatives aux infractions. Par contre, dans un contexte plus ambigu, la procédure de plainte donne une plus grande marge de manoeuvre à la commission.
Cette disposition a aussi l'avantage qu'elle ne prévoit pas d'amende, contrairement à celle qui traite d'infractions et qui se rapproche de la procédure criminelle. Désormais, les tribunaux pourraient ordonner que quelqu'un soit indemnisé ou qu'il soit rétabli dans ses fonctions. Par exemple, si les mesures d'intimidation ou de représailles prises avaient consisté à mettre l'employé à la porte, les dispositions relatives aux infractions ne prévoient pas de rétablissement dans les fonctions, contrairement à la disposition à l'étude.
Le sénateur Kinsella: Selon vous, les modifications projetées ont-elles un impact sur la prémisse voulant que la Loi sur les droits de la personne soit corrective plutôt que punitive?
M. Sharzer: Je conviens avec vous que la raison d'être essentielle de cette loi sur les droits de la personne est de permettre qu'il y ait réparation. Elle a aussi un caractère dissuasif et devrait décourager les employeurs d'avoir recours à de pareilles pratiques.
Le sénateur Kinsella: En établissant maintenant un tribunal permanent des droits de la personne, bureaucratise-t-on davantage ou moins les droits de la personne?
M. Sharzer: J'aime croire qu'on débureaucratise parce que la présence de tant d'intervenants s'est traduite par un manque d'uniformité dans la jurisprudence. J'ai l'impression que tous sont presque unanimes à appuyer un groupe plus restreint et spécialisé. Plutôt que d'avoir un résultat qui est fonction du tribunal saisi de l'affaire, il y aura un petit noyau de personnes, les décisions seront plus uniformes, l'expertise, meilleure et on pourra traiter plus rapidement et avec plus d'efficacité les plaintes.
Le sénateur Kinsella: En ce qui concerne le processus prévu pour traiter de problèmes qui pourraient survenir si un membre du tribunal fait l'objet d'une enquête, à la page 14 du projet de loi à l'étude, plus particulièrement au paragraphe 48.3(7) qui porte sur la confidentialité de l'enquête, le principe du secret est énoncé ailleurs.
M. Sharzer: Il est question ici des audiences du tribunal des droits de la personne comme tel plutôt que d'une enquête sur les agissements du membre en cause.
Le sénateur Kinsella: En règle générale, dans un cas comme dans l'autre, il faudrait que les audiences soient publiques. Dans toute plainte dont pourrait être saisi un tribunal, il y a trois parties, soit le plaignant, l'intimé et la Commission des droits de la personne. Si les agissements d'un membre du tribunal font problème, ces trois parties au moins auraient un enjeu direct dans l'audience. Il ne faudrait donc pas les en exclure. D'après le libellé actuel, seraient-elles exclues?
M. Sharzer: Que je sache, cette disposition ne vise pas à exclure qui que ce soit. Je suppose que l'interdiction de publication est possible.
Je vous donne un exemple de ce que nous envisagions, un fait vécu. Il y a eu plainte de harcèlement sexuel. Je ne me souviens plus maintenant du nom de la cause. C'était un cas très grave de ce qui s'est avéré être, en bout de ligne, une agression sexuelle. En vue d'éviter au témoin -- c'est-à-dire à la victime du harcèlement -- d'avoir à témoigner en public, cette partie des audiences a eu lieu à huis clos. En fin de compte, le compte rendu de l'audience est demeuré confidentiel. Ainsi, on pouvait se le procurer si l'on interjetait appel, mais il n'était pas communiqué au grand public.
Je suis d'accord avec le principe des audiences publiques. Le paragraphe projeté vise plutôt les circonstances exceptionnelles, inhabituelles, où, par exemple, il faut que le juge ou le tribunal protège la victime de harcèlement sexuel.
Le sénateur Gigantès: À ce même égard, le paragraphe 48.3(7) du projet de loi dit:
a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;
Pouvez-vous me donner un exemple de pareille situation, je vous prie?
M. Sharzer: Je m'y connais mieux en audiences du tribunal des droits de la personne qu'en mesures disciplinaires à l'égard de juges. Si, par exemple, un employé du Service canadien du renseignement de sécurité dépose une plainte, il se peut que certaines questions de la sécurité nationale soient abordées pour décrire sa situation d'emploi.
L'idée est d'éviter que des questions mettant en jeu la sécurité nationale ne soient rendues publiques. C'est le genre de questions visées par cette disposition.
Le sénateur Gigantès: De quelle protection jouit la personne qui a déposé la plainte?
M. Sharzer: Aucune partie de la preuve n'est exclue, forcément. Ces dispositions confèrent aux tribunaux le pouvoir d'en exclure d'autres, mais on peut supposer au départ qu'ils disposeront de la preuve. De la sorte, on voit à ce que le tribunal ait l'information en garantissant, je suppose, au service de renseignement que les renseignements fournis ne seront pas rendus publics. Par contre, on pourra s'en servir durant le procès.
Le sénateur Gigantès: La loi établissant le SCRS prévoyait pour la première fois la possibilité d'interjeter appel. De plus, il existe un deuxième palier de la procédure d'appel composé de tiers. Le tribunal se trouve-t-il à avoir un plus grand rayon d'action? Peut-il faire davantage?
M. Sharzer: Je ne crois pas que son champ d'action s'en trouve réellement élargi. On envisage des recours tout à fait indépendants de la Loi sur le SCRS. On peut ainsi déposer une plainte en vertu de la Loi sur les droits de la personne, et l'affaire sera entendue par un autre tribunal parce qu'elle met en cause des droits de la personne.
On essaie ainsi d'éviter qu'il n'y ait une lacune dans la Loi sur les droits de la personne du simple fait que l'une de ces questions aboutit devant le tribunal. Nous habilitons également le tribunal à faire en sorte que la preuve puisse être entendue sans compromettre la sécurité publique.
Le sénateur Gigantès: Vous avez élargi le champ d'application. Auparavant, le SCRS n'était pas visé. Il pouvait utiliser des mécanismes d'appel internes. Vous êtes maintenant en train de me dire qu'un membre du SCRS n'a pas à s'en tenir aux mécanismes internes, qu'il peut s'adresser au Tribunal des droits de la personne.
M. Sharzer: En fait, si vous examinez bien la loi, vous constaterez la présence de dispositions visant justement ce genre de situation. Il a toujours été possible de déposer des plaintes en matière d'emploi. Quiconque est employé d'un organisme assujetti à la réglementation fédérale, que cet organisme soit public ou privé, y compris le SCRS, peut toujours déposer une plainte de discrimination aux termes de la Loi sur les droits de la personne et en saisir la commission ou les tribunaux.
Certaines dispositions traitent des rapports entre les enquêtes menées par la Commission des droits de la personne et le processus du SCRS. Rien ne vise ce processus, excepté le genre de dispositions où la cause est entendue par un tribunal ou par un arbitre. Cependant, ce genre de situation aussi sera couvert.
Le sénateur Gigantès: L'employé du SCRS dont les appels auprès du mécanisme interne du SCRS et du Tribunal des droits de la personne ont été rejetés, peut alors s'adresser à la Cour fédérale?
M. Sharzer: Aux termes de la Loi sur les droits de la personne, la première étape du processus est de s'adresser à la commission, ensuite au tribunal. Enfin, on peut toujours demander une révision judiciaire à la Cour fédérale.
Le sénateur Watt: J'ai une question d'ordre général à poser. J'ai écouté votre exposé en essayant de voir comment un mécanisme comme le tribunal pourrait être utilisé par une certaine catégorie de personnes, soit les autochtones dont les besoins et le sens social peuvent être différents de ceux du reste de la société.
Je n'ai rien à redire de l'établissement du Tribunal canadien des droits de la personne, ni des qualités requises des membres nommés au tribunal.
Par contre, quand on en vient à la question de la représentation régionale, je me demande quels accommodements, si accommodements il y a, ont été faits pour les autochtones. Sont-ils entièrement laissés pour compte? Nous vivons tous au Canada et nous avons besoin d'un système qui permette de décider s'il y a discrimination.
Deux points me préoccupent. Les autochtones pratiquent une certaine forme de discrimination entre eux, sans parler de la discrimination qu'ils subissent de l'extérieur. Car cette forme de discrimination existe.
Je songe notamment au cas de celui qui estime avoir fait l'objet de discrimination, non pas en raison de son orientation sexuelle ou d'une faute de sa part, mais en raison de son mode de vie. Il y a eu une affaire mettant en cause un autochtone qui jetait ses filets à l'eau et pêchait. La Cour suprême du Canada a rendu une décision à ce sujet il y a quelque temps déjà.
Pouvez-vous me donner une réponse générale de sorte que je puisse au moins comprendre ce qui arrive dans ce domaine particulier? Bien que j'aie examiné tout le projet de loi, je n'ai pas l'impression, à ce stade-ci, qu'on en a tenu compte.
M. Sharzer: Je vous ferai une réponse en deux points. Tout d'abord, vous parliez des critères de nomination. Naturellement, en tant que fonctionnaire, je n'ai rien à voir avec le processus de nomination. Cependant, j'ai entendu le Cabinet du ministre dire qu'on a pris l'engagement de faire en sorte que les membres de la commission qui siègent au tribunal représentent toutes les couches de la société. C'est un engagement ferme.
Quant à la façon dont la loi est appliquée aux différentes collectivités, je vous encouragerais à nouveau à vous adresser à la Commission des droits de la personne. Je sais que, lorsque M. Max Yalden était chef de la commission, il avait pris de fermes engagements à cet égard. Je suis convaincu que Mme Michelle Falardeau-Ramsay s'était engagée tout aussi fermement à faire en sorte que la loi soit appliquée en tenant compte des besoins des autochtones. Si l'on se fie à leur feuille de route dans ce domaine, c'est évident.
Comme je vous le disais, c'est le genre de chose qu'on pourrait peut-être aborder avec les membres de la Commission des droits de la personne, s'ils viennent témoigner devant le comité.
Le sénateur Watt: Autre point dont il faut tenir compte, les droits des peuples autochtones ne sont pas encore définis et ils ne sont probablement pas sur le point de l'être. Ils existent néanmoins.
On cherche à définir ces droits, mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche. Jusqu'à ce qu'ils le soient tous et qu'ils relèvent de la compétence de ce tribunal ou d'un autre, nous demeurons dans le noir.
Si, enfin, nous optons pour le modèle américain, c'est-à-dire le creuset, il n'y a pas à s'en inquiéter.
La présidente: Sénateur Watt, je puis vous assurer que notre comité entendra les représentants des droits de la personne. S'ils n'ont pas déjà demandé à comparaître, nous les inviterons certainement. Je fais cependant remarquer que le fait d'être autochtone ne signifie pas vraiment qu'on est une personne handicapée.
Le sénateur Watt: Tout dépend de la façon dont vous interprétez le mot «handicapée». On pourrait dire qu'une personne est réputée handicapée si elle ne peut pas participer pleinement à la société. Qui sait? Nous ne le savons pas.
La présidente: Vous faites valoir un bon point.
J'ai une dernière question à poser à nos témoins très patients de ce matin. Vous avez parlé des qualités requises pour siéger au tribunal. Avant d'être nommé juge et de pouvoir siéger au tribunal, il faut, je crois, qu'un avocat ait pratiqué le droit pendant dix ans. Une autre loi prévoit-elle cette exigence particulière?
M. Sharzer: Il y a longtemps que je n'ai pas étudié la question. Je crois qu'il existe un ou deux précédents. Quand nous avons examiné le genre de cause dont étaient saisis les tribunaux, nous n'avons pas vraiment trouvé d'autres analogies. Le tribunal semblait unique, en ce sens, par exemple, qu'il pouvait invoquer la Loi sur les droits de la personne pour en invalider d'autres, tout comme on peut invoquer la Charte. L'approche est innovatrice, mais elle tient tout de même compte des circonstances spéciales entourant cette loi.
Je vérifierai à nouveau pour voir s'il existe des précédents et, dans l'affirmative, je vous les communiquerai.
La présidente: Je vous remercie beaucoup d'être venus ce matin.
La séance est levée.