Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 6 novembre 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada, et le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à la perpétration d'un acte criminel), se réunit aujourd'hui à 10 h 35 pour étudier ces projets de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Le premier point à l'ordre du jour est l'étude du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada. Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui l'honorable Don Boudria.
Monsieur Boudria, vous avez la parole.
L'honorable Don Boudria, député, c.p., leader du gouvernement à la Chambre des communes: Madame la présidente et honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici ce matin. Je vous sais gré d'avoir accepté mon offre de venir présenter le projet de loi C-13 aux membres du comité de cette honorable chambre.
Ce projet de loi découle directement de la nouvelle configuration de la Chambre des communes. Les honorables sénateurs savent que la Chambre compte cinq partis depuis les dernières élections. Malheureusement, aucune disposition de la Loi sur le Parlement du Canada ne permet actuellement au Bureau de régie interne de compter dans ses rangs des députés de ces cinq partis. Nous devons donc modifier cette loi pour que tous les partis reconnus à la Chambre des communes soient représentés au Bureau de régie interne, lequel gère les affaires internes de la Chambre.
On peut peut-être se demander pourquoi la loi actuelle précise le nombre exact de membres dont doit être composé le Bureau de régie interne, mais c'est comme ça. Deux choix s'offrent donc à nous: accepter que deux partis ne soient pas représentés au sein du bureau ou modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour changer la composition du bureau, solution que je viens vous présenter.
Les honorables sénateurs savent que nous avons dû apporter de nombreuses modifications à la Chambre des communes pour tenir compte de la nouvelle donne parlementaire. Nous avons ainsi notamment modifié les comités permanents, le déroulement de la période des questions et le Règlement.
Contrairement à ce qu'avaient prédit les médias avant la rentrée parlementaire, ce parlement régionalisé fonctionne dans l'ensemble très bien, grâce à la collaboration dont font preuve tous les partis représentés à la Chambre des communes.
[Français]
Honorables sénateurs, le projet de loi devant vous aujourd'hui propose d'augmenter de deux le nombre de députés siégeant au Bureau de régie interne. Il y aurait donc, conformément à ce projet de loi, cinq députés représentant le gouvernement, le président de la Chambre, le chef de l'opposition ou son délégué et un parlementaire représentant chaque parti. Comme il y a quatre partis de l'opposition, plus le représentant du chef de l'opposition, il y aurait cinq députés de l'opposition, cinq du gouvernement, plus le Président de la Chambre des communes.
Vous avez sans doute noté que le poste de vice-président de la Chambre des communes à titre de membre du Bureau de régie interne la Régie a été éliminé. Le vice-président est habituellement un membre du gouvernement, il a été remplacé par un membre du gouvernement, ceci toujours dans le but de garder l'équilibre des partis au sein de du bureau.
[Traduction]
Finalement, comme le vice-président ne sera plus membre du bureau, nous avons inclus une disposition qui stipule que, en cas de décès ou de démission du Président de la Chambre des communes, le bureau doit compter au moins un membre du parti gouvernemental. Sinon, on pourrait se retrouver dans une situation où le quorum serait uniquement formé de députés de l'opposition. Nous avons dû inclure une disposition particulière à cet égard parce que le nombre de députés provenant du parti gouvernemental est le même que celui des députés provenant de l'opposition.
Honorables sénateurs, cela décrit assez bien le projet de loi. Il importe peut-être que je vous signale que l'avant-projet de loi avait reçu l'appui de tous les partis de la Chambre des communes. Le projet de loi a quant à lui été adopté à l'unanimité pour chaque lecture en un seul jour. En conséquence, il est tout à fait conforme à la volonté de la Chambre des communes et de tous les partis qui y sont représentés.
Je suis prêt à répondre aux questions que madame la présidente ou les honorables sénateurs voudront poser.
La présidente: Merci, monsieur Boudria.
[Français]
Le sénateur Cogger: Je vous remercie pour ces explications, monsieur Boudria. Une question a été posée à l'honorable sénateur Carstairs, hier au Sénat, lorsqu'elle a présenté le projet de loi. Elle n'a cependant pas été en mesure d'y répondre. La question était la suivante: Est-ce que le comité, tel que désormais constitué, a l'intention d'ouvrir ses délibérations au public?
M. Boudria: Il n'y a pas de changement dans le projet de loi C-13 à cet effet. Comme vous le savez sans doute, le Bureau de régie interne est un conseil d'administration dont les membres, dûment assermentés, ne doivent pas divulguer le contenu des délibérations du bureau. Deux porte-parole sont choisis par le bureau pour commenter le compte rendu déposé à la Chambre des communes.
[Traduction]
La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais remercier monsieur le ministre d'avoir répondu à nos questions et je puis vous assurer que nous allons étudier cette question immédiatement.
M. Boudria: Merci beaucoup, madame la présidente et honorables sénateurs, de m'avoir accueilli ici ce matin. Je suis heureux que mon offre ait été acceptée et je crois qu'il est important de maintenir la bonne collaboration qui existe entre les deux Chambres, ce que je m'efforce de faire depuis que j'occupe ce poste. C'est pour cette raison que j'ai offert de venir ici ce matin pour présenter le projet de loi aux honorables sénateurs. Je vous remercie à l'avance de l'attention que vous accorderez à ce projet de loi. Je suis persuadé que les députés attendent avec impatience son adoption afin que ceux qui sont actuellement privés du droit de siéger au bureau -- à savoir les députés du Parti conservateur et du Nouveau Parti démocratique -- puissent être dûment représentés au Bureau de régie interne dès que possible.
La présidente: Merci beaucoup.
Chers collègues, quelqu'un pourrait peut-être proposer que le comité procède à l'étude du projet de loi et qu'il soit dispensé de l'étude article par article ou que rapport soit fait du projet de loi au Sénat sans amendement.
Le sénateur Pearson: J'en fais la proposition, madame la présidente.
La présidente: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: La proposition est adoptée. Je suis persuadée que M. Boudria sera très heureux de savoir que rapport sera fait au Sénat aujourd'hui même de ce projet de loi.
Nous passons maintenant à l'étude du projet de loi C-220. J'inviterais nos témoins à se joindre à nous. Si je ne m'abuse, nous accueillons maintenant M. Steve Sullivan et M. Gary Rosenfeldt.
Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez maintenant la parole.
M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Merci, madame la présidente. Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes est un groupe national qui se fait l'avocat des victimes de crimes. Nous travaillons de concert avec tous les principaux groupes de victimes du pays, y compris Victimes de violence. Notre exposé préliminaire sera bref afin que nous puissions répondre aux questions des honorables sénateurs.
Le projet de loi C-220 repose sur un principe très simple, à savoir que les criminels ne devraient pas tirer profit de leurs crimes. Ce principe est inscrit dans le système de justice pénal canadien. C'est également un raisonnement sensé qui recueille un vaste appui au sein de la population.
Le projet de loi C-220 aborde le problème des criminels déclarés coupables qui tentent de tirer profit de leurs crimes notamment en écrivant un livre, en vendant leur histoire aux médias ou en faisant une bande vidéo.
Le projet de loi C-220 modifierait essentiellement le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur de façon à ce que le droit d'auteur sur une oeuvre liée à une infraction appartienne désormais à la Couronne. Le droit d'auteur ferait dorénavant partie de la peine infligée. Si j'ai bien compris et d'après mes lectures sur le projet de loi, cette mesure législative présente l'avantage d'être applicable à l'extérieur du pays. Nous convenons tous que le risque de voir un film ou de lire un livre de cette sorte vient surtout de nos voisins du Sud. Je ne crois pas que les Canadiens raffolent autant de ce genre d'histoire que les Américains.
De nombreuses craintes légitimes ont été formulées au sujet du projet de loi C-220. Nous tenterons de dissiper quelques-unes d'entre elles aujourd'hui.
Le principal sujet de controverse, c'est que cette mesure législative pourrait violer l'alinéa 2b) de la Charte, qui garantit à tous la liberté d'expression. Nous ne croyons pas que le projet de loi C-220 viole ce droit en aucune façon. Rien dans la Charte ne précise que la liberté d'expression repose sur des profits. Rien dans le projet de loi C-220 ne précise qu'une personne déclarée coupable d'un crime ne peut raconter son histoire. Cette mesure législative précise simplement que ces personnes ne pourront tirer profit d'une telle activité.
Toutefois, la crainte que le projet de loi viole cet article continue d'être formulée. De récents articles de journaux démontrent que cette violation possible de l'alinéa 2b) de la Charte en préoccupe encore certains. Il importe de reconnaître que le Code criminel comporte déjà des articles qui restreignent la liberté d'expression. Nous avons des lois contre le matériel obscène et d'autres qui interdisent l'exploitation indue des choses sexuelles et de la violence. Les gens ne peuvent rien écrire à ce sujet. Nous avons des lois qui interdisent la pornographie juvénile. Nous limitons ce que les gens peuvent écrire sur des activités sexuelles qui mettent en cause des enfants. On ne peut pas crier «Au feu» dans une salle comble, parce que ce serait dangereux. Nous imposons certaines limites à la liberté d'expression parce qu'elles sont raisonnables. Nous avons examiné les deux côtés de la médaille -- la liberté d'expression et l'intérêt de la société -- et nous avons décidé que certaines choses ne pouvaient être dites. Nous avons également des lois interdisant la propagande haineuse.
Il faut se rappeler que nous avons déjà imposé des limites raisonnables à la liberté d'expression. Si le comité juge que cette mesure législative viole d'une façon quelconque l'alinéa 2b), nous soutenons qu'il s'agirait d'une violation raisonnable. Nous sommes toutefois d'avis qu'il ne s'agit pas d'une violation, parce que le projet de loi n'empêche personne de s'exprimer.
Certains se demandent si les articles du Code criminel relatifs aux produits de la criminalité se limitent directement ou indirectement à la perpétration d'un crime. Les profits visés par le projet de loi C-220 découlent d'un acte légitime, à savoir écrire un livre, raconter une histoire ou vendre des droits cinématographiques. Nous affirmons cependant qu'une personne ne peut écrire un livre sur un crime si elle ne l'a pas commis. En conséquence, il y a un lien direct ou indirect entre la perpétration d'un crime et le fait d'écrire un livre ou de raconter son déroulement.
D'autres se sont dit préoccupés par le fait que le projet de loi va trop loin, car il s'ajoute à la peine prononcée contre une personne reconnue coupable. Celle-ci est essentiellement assujettie à une interdiction perpétuelle. C'est exact, mais si nous appuyons le principe selon lequel une personne ne peut tirer profit de son crime, ce principe s'applique pendant son séjour en prison, après ce séjour et 50 ans plus tard. Si vous acceptez ce principe fondamental, vous conviendrez qu'une personne reconnue coupable ne doit jamais profiter de son crime.
M. Rosenfeldt parlera probablement de la protection que ce projet de loi offrira aux victimes de crimes. Il peut le faire avec plus d'éloquence que moi. Pour ceux d'entre vous qui ne le sauraient pas, son fils était l'un des 11 enfants assassinés par Clifford Olson. Je lui laisserai cette partie de la discussion.
Je sais que ce comité s'est intéressé au cas des personnes déclarées coupables d'un crime très grave qui sont par la suite innocentées. On pense évidemment à Donald Marshall, à Guy Paul Morin et à David Milgaard.
Je vous répondrais que ces personnes auraient pu écrire un livre ou en tirer profit. Si Guy Paul Morin avait écrit un livre pendant son séjour en prison alors qu'on le pensait encore coupable, je présume qu'il aurait écrit un livre clamant son innocence. Il aurait parlé de son procès et des moments terribles qu'il a vécus. Il aurait parlé du séjour en prison d'un homme innocent. Il n'aurait pu écrire un livre sur ce qu'il a ressenti en tuant Christine Jessop, par exemple, parce qu'il ne l'a pas tuée. Son livre n'aurait donc pu correspondre essentiellement au meurtre de Christine Jessop parce qu'il n'y a pas participé.
Les personnes qui purgent leur peine ou qui ont été déclarées coupables et qui n'ont pas commis ce crime pourraient écrire un livre sur leur expérience sans être visées par ce projet de loi. On pourrait dire la même chose d'un voleur qui écrirait un livre racontant sa vie. Il a peut-être eu une enfance malheureuse qui l'a incité à poser certains gestes. S'il ne faisait que mentionner ses crimes, il ne serait pas visé par ce projet de loi parce que son histoire ne correspondrait pas essentiellement à l'infraction dont il a été reconnu coupable. Si, par exemple, une personne déclarée coupable d'un vol à main armée écrivait un livre sur sa vie, son expérience carcérale, son changement de comportement et sa réadaptation, il ne serait pas visé par ce projet de loi.
Ce dont il faut se rappeler quand on parle du projet de loi C-220, c'est qu'il concerne les oeuvres qui correspondent essentiellement à un crime réel. Certains articles de journaux récents, parfois plutôt trompeurs, ont été publiés au sujet d'auteurs qui écrivent un livre sur des affaires criminelles notoires. Kirk Makin a écrit un excellent livre sur Guy Paul Morin. Je l'ai lu une ou deux fois. Michael Harris vient d'écrire un article à ce sujet. Je ne crois pas que le projet de loi ait pour but d'empêcher les gens d'écrire ce genre d'histoires. Je soutiens que ce n'est pas son but.
Toutefois, si vous croyez que ce projet de loi a une portée trop vaste parce qu'il pourrait empêcher quelqu'un comme Kirk Makin d'écrire un livre sur l'affaire Guy Paul Morin, des modifications en ce sens pourraient être apportées. Je pense que Kirk Makin pourrait de toute façon écrire son livre.
La collaboration dont il est question dans le projet de loi a également suscité une certaine controverse. Kirk Makin aurait-il pu collaborer avec Guy Paul Morin? Je crois qu'il aurait pu le faire et tirer profit de son oeuvre. Par contre, je ne crois pas que Guy Paul Morin aurait pu le faire. Je ne devrais probablement pas prendre l'exemple de Guy Paul Morin, parce qu'il a été innocenté. Si Kirk Makin collaborait par exemple avec Paul Bernardo pour écrire un livre, je ne crois pas que le projet de loi permettrait à M. Bernardo de tirer profit de cette oeuvre.
Pensons à ce que veut dire le mot «collaboration». Cela ne signifie pas qu'un auteur se rend dans une prison pour interviewer un détenu et lui demander ce qui s'est passé. À mon avis, pour collaborer, deux personnes doivent travailler ensemble au même projet. Cela ne signifie pas que vous lisez les comptes rendus d'un procès et parlez à l'auteur du crime pendant une ou deux heures. La collaboration est un partenariat très complet. Aucun des auteurs auxquels M. Harris et les autres font référence dans leurs articles n'a collaboré avec le contrevenant au sujet duquel ils ont écrit.
Le comité s'est aussi vivement intéressé à la situation des membres de la famille d'un criminel. Quand nous avions témoigné lorsque le projet de loi portait le numéro C-205, nous avions émis des réserves parce que nous trouvions que le projet de loi risquait d'empêcher une personne, par exemple une victime d'inceste, ayant un lien de parenté avec le contrevenant tout en étant sa victime de parler de ces crimes. Avant que le projet de loi ne soit modifié, cette personne n'aurait pu écrire un livre ni tirer profit de son expérience comme victime d'inceste parce qu'elle avait un lien de parenté avec le contrevenant. Ce problème a toutefois été résolu de façon appropriée à l'étape de l'étude en comité.
J'ai lu le compte rendu des délibérations de votre comité quand vous avez accueilli M. Wappel. La question qui semble demeurer est la suivante: comment pouvons-nous empêcher les membres de la famille d'un criminel d'écrire un livre? Ce ne sont pas eux les fautifs. Si le fils d'un homme qui a tué sa femme veut écrire un livre à ce sujet et en a parlé à son père, il ne s'agit pas d'une collaboration. Le projet de loi de M. Wappel tente d'empêcher les contrevenants d'utiliser tout simplement les noms des membres de leur famille comme auteur d'une oeuvre pour contourner le projet de loi et tirer profit de leur crime. Cette disposition pourrait être renforcée pour nous assurer qu'une personne désirant écrire par exemple un livre sur son père, qui a tué sa mère, pourrait le faire. Le projet de loi de M. Wappel vise le contrevenant.
La démarche que vous avez adoptée est saine, parce qu'elle vous permet d'examiner ce projet de loi et d'entendre des témoins comme moi-même, M. Rosenfeldt et des représentants d'associations d'écrivains pour l'améliorer. Je dis cela parce que je présume que nous acceptons tous le principe fondamental sur lequel repose le projet de loi. Si vous êtes d'accord avec le principe que les criminels ne devraient pas tirer profit de leurs crimes, vous pouvez partir du projet de loi et l'améliorer. Si certaines dispositions vous préoccupent et si vous jugez que sa portée est trop vaste, vous pouvez tout simplement le modifier. Ainsi, un détenu qui a écrit un livre dans lequel il fait preuve d'un talent artistique particulier pourrait se présenter devant les tribunaux pour demander de ne pas être assujetti au projet de loi de M. Wappel.
La définition que le Code criminel donne au mot «obscénité» pourrait peut-être être renforcée pour préciser: «dont une caractéristique dominante est l'exploitation indue...». Une formulation de ce genre pourrait être utilisée.
Ce que j'essaie de dire aux membres du comité, c'est que le principe est juste. Si vous trouvez que le projet de loi a une portée trop vaste, si vous craignez qu'il nuise aux membres de la famille d'un criminel, vous devez le modifier. La population canadienne appuie le principe sur lequel repose le projet de loi. Les représentants du ministère de la Justice l'appuient également, du moins en théorie. Ils collaboraient, et je crois qu'ils collaborent toujours, avec les provinces pour qu'elles adoptent une loi en ce sens.
À partir du moment où ce principe très simple est accepté, à savoir que les criminels ne devraient pas pouvoir tirer profit de leurs crimes, nous pouvons commencer à travailler ensemble pour améliorer ce projet de loi, si c'est possible.
J'aimerais maintenant céder la parole à M. Rosenfeldt qui va vous parler de son expérience en tant que père d'un garçon qui a été tué par Clifford Olson. Il peut vous expliquer d'une manière très émouvante comment on se sent quand on est exploité par des criminels.
M. Gary Rosenfeldt, directeur exécutif, Victimes de violence/Centre canadien pour enfants disparus: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de l'intérêt que vous portez à cette question, et aussi de la priorité que vous lui donnez.
C'est un grand plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. Je suis le directeur exécutif de Victimes de violence, une association nationale vouée à l'amélioration de la situation des victimes de crimes au Canada. Il y a 16 ans, j'ai commencé à travailler avec l'association et les victimes de crimes violents de toutes les régions du Canada. Nous sommes contre l'idée que les criminels puissent tirer profit de leurs crimes, et nous appuyons depuis le début, en tant qu'organisme national, le projet de loi de Tom Wappel.
M. Sullivan a présenté les arguments en faveur du projet de loi au nom du Centre de ressources pour les victimes de crimes. Nous appuyons ces arguments. Comme l'a mentionné M. Sullivan, je suis ici aujourd'hui en ma qualité de parent d'un enfant qui a été assassiné. J'aimerais vous faire part des problèmes auxquels nous avons dû faire face au cours des 16 dernières années en tant que parents d'une des victimes de Clifford Olson. Je ne prendrai pas trop de votre temps.
Je suis certain que vous êtes nombreux à connaître les faits. Peu de temps après le meurtre de notre fils et de 10 autres enfants, les médias ont commencé à dire que l'assassin avait reçu 100 000 $ pour dévoiler l'endroit où se trouvaient les corps des victimes. La plupart des Canadiens ont été choqués d'apprendre que la GRC et que le procureur général de la Colombie-Britannique de l'époque avaient versé de l'argent à un tueur. Nous avons appris plus tard que nous devions intenter des poursuites au civil si nous voulions essayer de récupérer l'argent. Ce fut un processus long et laborieux qui s'est échelonné sur plusieurs années.
Les tribunaux ont été saisis de l'affaire. Nous avons embauché une équipe d'avocats. Nous avons reçu beaucoup d'aide des membres de la GRC et des particuliers qui ont négocié le versement de cette somme à Olson. Ils étaient eux aussi préoccupés par le fait que ce tueur tirait profit du meurtre de nos enfants. Il y a eu beaucoup de malentendus au fil des ans entourant cette affaire, et la question de savoir si l'argent aurait dû être versé a suscité de nombreux débats. Les opinions à ce sujet sont partagées. En ce qui nous concerne, nous avions du mal à accepter que personne n'en avait discuté avec nous et que nous avons été mis au courant des faits par les médias. En tant que parents, nous voulions savoir, tout comme les autres familles des victimes d'Olson, où étaient cachés les corps des enfants qui n'avaient pas encore été trouvés. En fait, nous voulions que cet homme soit reconnu coupable de ses crimes. Et en nous indiquant le lieu où se trouvaient les corps, Clifford Olson ne pouvait prétendre qu'il n'avait pas tué les enfants.
Nous n'en voulions pas à la GRC d'avoir versé l'argent à Olson, ou au procureur général. Toutefois, la situation s'est compliquée lorsque le procureur général de la Colombie- Britannique a déclaré aux médias que Clifford Olson n'avait pas reçu d'argent. Ce mensonge a mis fin à sa carrière politique et révolté la population canadienne. Nous nous sommes fait dire dès le début de cette sordide histoire que le Canada interdisait aux criminels de tirer profit de leurs crimes.
Au cours des 15 dernières années, nous avons constaté qu'il y a une grande différence entre la politique officielle et ce qui se passe dans les faits. C'est cela qui est le plus difficile à accepter, parce que nous avons dû composer non seulement avec la perte d'un enfant, tout comme d'autres parents, mais aussi avec le fait que Clifford Olson tire profit de ses crimes. Il a tiré profit de la mort de nos enfants! Il est très douloureux pour nous, en tant que parents et membres d'une famille, d'abord, de composer avec le meurtre de notre enfant, sa disparition et la peine que cela suscite et, ensuite, d'accepter le fait que le tueur tire profit de ses crimes.
Nous avons donc intenté une poursuite au civil. Les tribunaux ont été saisis de l'affaire et nous avons eu gain de cause. Nous allions récupérer cet argent, mais nous n'en voulions absolument pas -- j'insiste là-dessus. On avait pensé, à l'époque, donner l'argent aux organismes qui viennent en aide aux victimes de crimes, mais je ne connais personne au Canada qui voudrait de cet argent teinté de sang. Les Victimes de violence n'en veulent pas. Notre intention, dès le début, était de remettre cet argent au gouvernement en lui faisant bien comprendre que, à l'avenir, nous ne voulions pas que des criminels tirent profit de leurs crimes.
Les tribunaux ont tranché en notre faveur. L'affaire a été portée en appel. Olson a obtenu gain de cause et le dossier a été renvoyé à la Cour suprême du Canada. Mon épouse et moi n'avons pas encore fini de payer les frais d'avocat associés à cette poursuite. Voilà ce qui nous avons dû subir en tant que parents d'une de ses victimes.
La situation n'a fait que s'aggraver au fil des ans. Si Olson était resté enfermé dans sa cellule et s'il avait gardé silence pendant toutes ces années, nous aurions peut-être été en mesure de vivre notre deuil en toute quiétude. Toutefois, nous avons dû lutter contre lui sans arrêt au cours des dernières années, ce qui n'a fait qu'ajouter à notre peine et à notre souffrance.
Par exemple, nous savons depuis des années qu'il écrit des livres. Nous avons eu, à l'occasion, quelques échos de son contenu. Je n'ai jamais essayé de mettre la main sur les manuscrits, mais nous avons entendu toutes sortes de rumeurs et d'histoires à leur sujet.
Il y a plusieurs années, le directeur du pénitencier de Prince Albert, Jim O'Sullivan, a signé un contrat avec Clifford Olson. Les deux ont convenu de réaliser 12 vidéos de deux heures chacun au cours desquels il ferait la lecture de son livre. On nous a dit que le directeur avait conclu cette entente parce qu'il voulait fournir les vidéos à la GRC, qui effectuait une étude sur les tueurs en série. Si tel est le cas, nous sommes en droit de poser la question suivante: dans quel but un directeur accepte-t-il de signer un contrat avec un criminel reconnu et de se réserver les droits d'auteur? Les droits d'auteur appartiennent en fait au directeur et à Clifford Olson.
Nous avons appris au fil des ans que l'avocat d'Olson, Robert Shantz, a sorti cinq vidéos de la prison de Mapleridge, en Colombie-Britannique. Cet homme a en sa possession cinq vidéos de deux heures chacun. Au cours des dernières années, Clifford Olson a essayé de vendre ces vidéos au public. Le député John Nunziata a reçu du matériel promotionnel de Clifford Olson. Au bas d'une de ses lettres, Olson dit: «Pour 300 $, vous pourrez obtenir cinq vidéos dans lesquels je décris les actes sexuels et les meurtres que j'ai commis».
Nous essayons depuis quelques années, avec l'aide de l'Association canadienne des policiers et du Centre de ressources pour les victimes, de mettre la main sur ces vidéos. Mais la seule façon dont nous pouvons les obtenir, c'est en versant 300 $ au tueur. Ces vidéos sont toujours en vente. Nous refusons tout simplement de les acheter, parce qu'en acceptant de payer pour ces vidéos, nous lui permettrions de tirer encore une fois profit du meurtre de nos enfants.
Il ne faut pas oublier que Clifford Olson doit sa notoriété aux onze meurtres qu'il a commis. Autrement, personne ne serait intéressé à enregistrer son récit sur vidéo ou à vendre des copies de celui-ci.
En août dernier, quand Olson a eu droit à une audience aux termes de l'article 745 du Code criminel, à Vancouver, la direction de la documentation de la GRC a communiqué avec nous. Elle possède des copies de ces vidéos, et elle voulait nous donner l'occasion de les visionner. Nous avons donc regardé, en compagnie de plusieurs agents de la GRC, les parties des vidéos où il raconte le meurtre de notre fils. Ce fut une expérience très difficile et traumatisante. M. Sullivan était également présent. Nous avons visionné les vidéos. Il est très difficile de les décrire. Olson est assis calmement devant la caméra et donne des instructions aux gens. Il dit: «Si vous voulez enlever et tuer un enfant, voici comment il faut faire et voici les erreurs que j'ai commises.» C'est un guide sur la façon de kidnapper et de tuer des enfants. On vidéo est en vente aujourd'hui au Canada. Si vous envoyez 300 $ à Robert Shantz, l'avocat d'Olson, vous allez recevoir cinq vidéos par le courrier.
J'ai beaucoup de mal à accepter cela. Nous avons invoqué toutes les dispositions de la loi sur la protection des renseignements personnels et utilisé tous les moyens possibles et imaginables pour faire saisir ces vidéos, mais Olson est protégé. Il a le droit de produire ces guides, d'en faire la promotion, de les vendre et de garder les profits.
Olson a lancé un autre produit sur le marché au cours des dernières années: des cartes de tueurs en série. Il en a déjà été question devant le comité, il y a quelques années.
Ce sont des cartes sur lesquelles on peut voir la photo, par exemple, de Clifford Olson, John Wayne Gacy et Paul Bernardo. Ces cartes ressemblent aux cartes de hockey que l'on trouvait dans les emballages de gomme à mâcher. Au total, 100 000 cartes avec la photo d'Olson ont été imprimées et distribuées au Canada et aux États-Unis. Plusieurs groupes, dont le nôtre, ont essayé d'empêcher la vente de ces cartes au Canada, il y a quelques années.
Dans son matériel promotionnel, Olson précise que si vous lui envoyez une des cartes, il va la signer pour 8 $ US ou 10 $ CAN. Cela fait partie de l'emballage promotionnel. Sa signature augmente, paraît-il, la valeur de la carte.
Le sénateur Gigantès: C'est dégoûtant.
M. Rosenfeldt: Je suis d'accord avec vous, sénateur. En tant que victimes d'un de ces crimes abominables, nous savons qu'il continue, depuis son incarcération, à promouvoir la vente de ces cartes. Je ne sais pas combien d'argent cela lui rapporte. Toutefois, qu'il gagne 8 $ US ou 10 $ CAN, ou qu'il vende des vidéos pour 300 $, l'idée que cet homme puisse continuer de tirer profit du meurtre de notre fils me répugne.
Cette cause nous tient à coeur depuis des années. En 1985, mon épouse et moi avons écrit au gouvernement du Canada pour dénoncer le fait qu'on avait versé de l'argent à Olson. Nous nous sommes même rendus à nos frais aux Nations Unies, avec l'aide du gouvernement canadien, pour discuter de cette question.
En 1985, l'honorable Joe Clark a fait des arrangements pour que nous puissions rencontrer le comité des affaires sociales et économiques des Nations Unies, à New York. Nous sommes partis d'Edmonton, en Alberta, pour rencontrer le comité.
Nous lui avons fait part de notre expérience personnelle. Nous avons demandé aux Nations Unies d'encourager les pays membres à adopter une loi qui empêcherait les criminels de tirer profit de leurs crimes. Rien n'a été fait. On nous a dit que nous devions nous rendre en Europe et nous adresser au comité plénier. Or, nous ne pouvions pas le faire, faute d'argent.
Le fait que nous ayons cette discussion aujourd'hui veut dire beaucoup pour moi. En tant que parents d'un enfant qui a été assassiné, nous avons eu beaucoup de mal à composer avec cette situation pendant toutes ces années. Nous avons essayé pendant 15 ans de saisir la Chambre de ce dossier.
Je vous demande aujourd'hui d'apporter toute votre attention à ce projet de loi, non pas à cause de ce que j'ai vécu ou des souffrances qu'il pourra nous épargner, à moi et à ma famille, dans les années à venir. Je pense surtout aux autres victimes d'actes criminels. Il y aura d'autres Clifford Olson. Nous connaissons les familles des victimes de Bernardo.
Il y a deux meurtres qui sont commis tous les jours au Canada. Nous faisons affaire sans arrêt avec des centaines de criminels. En tant que parent, je ne veux pas qu'une autre famille souffre comme nous avons souffert depuis la disparition de notre fils, il y a 16 ans.
Merci.
M. Sullivan: Honorables sénateurs, j'aimerais vous lire une brève déclaration de Mme Mahaffy, qui ne pouvait se joindre à nous ce matin. Voici ce qu'elle dit:
Les criminels ou leurs familles et amis ne devraient pas avoir le droit de tirer profit des crimes que ces personnes ont commis. Pour reprendre un vieil adage, le crime ne devrait pas être payant.
En permettant aux criminels de raconter ou d'écrire leur histoire pour en tirer un gain, qui en profite et qui en souffre?
Ce sont les criminels qui en profitent et les victimes qui en souffrent. Toutefois, les victimes, même si elles revivent leur peine à nouveau, ne demandent pas qu'on prive les criminels de leur liberté d'expression dans ce projet de loi. Cette mesure vise uniquement à empêcher les criminels de tirer profit de leurs actes criminels. Elle ne porte aucunement atteinte à leur liberté d'expression ou au droit du public de savoir.
D'une façon ou d'une autre, les victimes vont malheureusement revivre leur peine à nouveau.
Les victimes trouvent répugnante l'idée que les criminels puissent tirer profit de leurs crimes, alors que bon nombre d'entre elles se sont retrouvées aux prises avec de sérieux problèmes financiers par suite de ces crimes.
Vous ne pouvez accorder aux criminels le droit de commettre d'autres atrocités en tirant profit de leurs crimes, que ce soit au Canada ou à l'étranger.
Ma fille, Leslie Mahaffy, a été tuée par plaisir. Je ne veux pas que ses meurtriers, ou n'importe quel autre meurtrier, puissent tirer profit de leurs crimes horribles.
Je vous demande de mettre un terme à l'exploitation dont font l'objet les Canadiens en appuyant les principes qui sous-tendent ce projet de loi qu'ont déposé Tom Wappel et la Chambre des communes. Merci.
Nous sommes prêts à répondre aux questions des honorables sénateurs.
La présidente: Merci beaucoup. Avant de passer aux questions, je tiens à vous dire, monsieur Rosenfeldt, que j'ai trouvé votre exposé très émouvant. Je tiens aussi à préciser que nous ne voulons pas, à la fin de la réunion d'aujourd'hui, que vous pensiez que le projet de loi de M. Wappel s'appliquera à Clifford Olson.
M. Rosenfeldt: J'en suis conscient.
La présidente: Malheureusement, ce projet de loi ne peut avoir un effet rétroactif. Les Bernardo et les Olson de ce monde vont continuer de faire ce qu'ils font présentement.
M. Rosenfeldt: J'en suis conscient, madame la présidente, et je vous remercie de cette précision.
Les gens me demandent souvent pourquoi nous nous donnons tant de mal. Nous avons beaucoup souffert à la suite du meurtre de notre enfant. Nous ne pourrons peut-être pas empêcher que d'autres crimes de ce genre soient commis. Toutefois, nous voulons éviter que d'autres vivent les mêmes souffrances que nous avons connues parce que cet homme cherche à tirer profit de ses crimes.
Pour illustrer à quel point cette affaire est devenue absurde, Clifford Olson se fait maintenant appeler «la bête de la Colombie-Britannique» dans tout son matériel promotionnel dans le but de mieux se faire connaître et de gagner plus d'argent.
Clifford Olson se résout à passer le reste de ses jours en prison. Si, aujourd'hui, il peut bénéficier et tirer avantage de ses crimes, il consent à s'appeler lui-même «la bête de la Colombie- Britannique» lorsqu'il écrit des lettres.
Le sénateur Gigantès: Il n'est pas question que nous contestions le principe voulant que les criminels ne devraient pas être avantagés par leur crime. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous là-dessus.
Le problème en ce qui a trait aux principes, c'est que certains aspects de leur application sont clairs et nets, comme pour M. Olson. Cependant, j'ai des réserves à l'égard de deux autres aspects. Premièrement, si vous n'avez pas perpétré le crime, vous ne pouvez écrire à son sujet.
Pour ce qui est de Donald Marshall, il a bel et bien été témoin du crime bien qu'il ne l'ait pas commis. Ce projet de loi l'empêcherait d'écrire un livre, de parler au sujet du crime, de le décrire et de clamer son innocence. Pourquoi devrait-il vouloir écrire un livre de ce genre? Pour amasser l'argent qui servira à payer les Clayton Ruby de ce monde afin de prouver son innocence. C'est un point qui a son importance.
Deuxièmement, il y a le fait que le projet de loi s'appliquerait depuis le dépôt de l'acte d'accusation et non pas de celui où la personne est reconnue coupable. Nombreux sont les gens qui ont été faussement accusés et à l'égard desquels les accusations ont été retirées. Il y a aussi ceux qui ont été reconnus coupables à tort, comme Guy Paul Morin, David Milgaard et Donald Marshall. Les actes d'accusation n'auraient pas dû avoir été déposés au départ. Je ne crois pas, si l'on m'accuse à tort, que je devrais être considéré coupable tant que je n'ai pas été condamné.
Pour ce qui est de l'effet rétroactif en ce qui concerne M. Olson, nous pouvons peut-être refréner ses activités futures en disant qu'il ne peut avoir accès aux cartes qu'on lui envoie pour qu'il les signe.
Les deux points que j'ai soulevés me préoccupent parce qu'ils vont à l'encontre de la présomption d'innocence. Nous devons punir le coupable, mais nous ne pouvons punir l'innocent, même à titre temporaire.
M. Rosenfeldt: Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur Gigantès. Ce qui m'inquiète, c'est toute la question du profit. Je répondrai à cela que rien dans ce projet de loi n'empêche quiconque d'écrire un livre.
Le sénateur Gigantès: Steven Truscott était innocent et le profit qu'il a tiré d'un livre écrit avec sa collaboration l'a aidé à recouvrer sa liberté. Milgaard n'a pas commis le crime qu'on lui reprochait. Nous avons là quelqu'un qui ne pourrait écrire au sujet du crime, comme vous l'avez dit, parce qu'il ne l'a pas commis. Cependant, il y a le cas de Donald Marshall, qui était bel et bien présent lors de la perpétration du crime et qui a en a été témoin. Ayant été condamné, il n'aurait pas eu le droit de tirer avantage d'un livre pour se payer les services de Clayton Ruby.
M. Sullivan: Cela dépend du nombre de pages du livre qu'il consacre au meurtre dont il a été témoin. S'il parle du procès, de l'injustice qu'il a ressentie, de ce qu'il a vécu en prison en tant qu'homme innocent accusé à tort et qu'en passant il parle de ce dont il a été témoin ainsi que du meurtre, je suppose qu'un tribunal devrait alors décider si le livre se fonde en grande partie sur le crime. Combien de pages du livre portent en fait sur le meurtre réel? Si M. Marshall écrit au sujet de ce qu'il a vu et y consacre un chapitre sur 20, peut-on dire que le livre se fonde en grande partie sur le crime? Voilà les points que les tribunaux devront interpréter si cette loi est adoptée.
Le sénateur Gigantès: Avez-vous répondu à ma question portant sur le fait que le projet de loi s'applique dès le dépôt de l'acte d'accusation?
M. Sullivan: C'est un argument solide. L'argument contraire serait que les personnes qui sont déclarées coupables et qui le sont bel et bien se verraient ainsi offrir l'occasion d'écrire rapidement un livre et de faire beaucoup d'argent avant que cette loi entre en vigueur.
Le sénateur Gigantès: C'est ce que je disais. Un excellent principe comporte souvent des failles. Avons-nous le droit de porter atteinte de quelque manière à la liberté d'une personne qui n'a pas été reconnue coupable afin de limiter celle d'une autre qui le sera à coup sûr?
M. Sullivan: Il est difficile de savoir si une personne sera reconnue coupable lors du dépôt de l'accusation et ce, en raison de la présomption d'innocence. Je ne pense pas que ce soit une question de savoir si une personne sera déclarée coupable. Le problème se pose quand ces personnes savent qu'elles sont coupables. Nous espérons qu'elles seront reconnues coupables. Elles ont eu l'occasion de faire de l'argent en vendant leur histoire avant que cela se produise. Dans le cas d'une personne qui est accusée et qui est déclarée non coupable ou contre qui l'accusation est retirée, l'argent obtenu de la publication d'un livre de ce genre pourrait être placé en fiducie. Je suppose qu'elle pourrait revenir au moment où l'accusation est retirée ou après qu'on a reconnu son innocence et dire: «Cet argent m'appartient parce que je ne suis pas le coupable.»
Le sénateur Gigantès: Dans l'affaire Truscott, l'argent a été utilisé pour aider à payer les avocats.
M. Sullivan: J'ai lu un livre sur l'affaire Truscott. Je ne sais pas si c'est le seul qui existe. Une fois de plus, cela nous ramènerait au problème qui s'est posé avec M. Guy Paul Morin. M. Truscott n'était pas là lorsque Lynn Harper a été tuée et n'a donc pas traité du meurtre. Il a écrit sur la nuit en question lorsqu'il se promenait à bicyclette et qu'il a vu la victime et lui a parlé. De toute évidence, il dit qu'il ne l'a pas tuée de sorte qu'il ne pouvait pas écrire à ce sujet. Le livre pourrait quand même avoir été écrit au sujet de ses prétentions à l'innocence.
M. Rosenfeldt: C'est la question la plus importante ici. Si aucune de ces personnes n'a commis le crime, comment peuvent-elle écrire un livre le décrivant?
Le sénateur Gigantès: Que faites-vous dans le cas de Donald Marshall? Cela se complique dans ce cas. Supposons qu'une personne coupable dise: «Je suis innocent. J'ai été témoin du crime, mais je ne l'ai pas commis», alors qu'il en est bel et bien l'auteur. C'est complexe. Je ne peux voter en faveur de la disposition d'un projet de loi qui limite le moindrement quelqu'un à partir du moment où il est accusé. S'il est reconnu coupable, c'est une autre histoire.
M. Rosenfeldt: Allons-nous continuer de permettre aux Clifford Olson de ce monde de profiter de la mort de leurs victimes?
Le sénateur Gigantès: Il y a, d'un côté, l'horreur que représente Clifford Olson et, de l'autre, le drame que vivent tous ceux qui ont purgé de longues peines alors qu'ils étaient tout à fait innocents et qu'ils auraient pu utiliser les profits générés par un livre pour prouver leur innocence.
M. Rosenfeldt: Cependant, ils n'auraient pu écrire au sujet du crime s'ils ne l'avaient pas commis, sauf peut-être Donald Marshall, le seul cas que je connaisse.
Le sénateur Gigantès: Le Parlement du Canada n'adopte pas la peine capitale de peur qu'un innocent soit tué. Je sais que Clifford Olson a tué 11 petits innocents, mais l'État peut-il tuer un innocent par erreur? Nous aurions tué Donald Marshall, David Milgaard, Guy Paul Morin, Steven Truscott et beaucoup d'autres. Je demande votre aide. Proposez quelque chose pour nous tirer de cette situation.
M. Sullivan: Vous soulevez des questions difficiles, monsieur le sénateur. Il y a beaucoup de suppositions là-dedans. Je ne suis pas un spécialiste de l'affaire Donald Marshall, mais je crois qu'un livre a été écrit à son sujet pendant qu'il purgeait sa peine, n'est-ce pas?
Le sénateur Gigantès: Oui, un livre a été publié.
M. Sullivan: A-t-il collaboré avec l'auteur?
Le sénateur Gigantès: L'argent n'a pas servi à payer ses avocats.
M. Sullivan: Si, en tant qu'auteur, je choisissais d'écrire un livre au sujet d'un prisonnier que je crois innocent, je peux le faire et je peux aussi disposer à ma guise de l'argent que j'en tirerais. Je pourrais établir un fonds en fidéicommis.
Le sénateur Gigantès: C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Truscott, mais le type qui a écrit le livre au sujet de Marshall a gardé l'argent dans son propre compte bancaire. Disons-nous alors aux auteurs: «Si vous écrivez un livre sur un criminel qui a été reconnu coupable, vous ne pouvez bénéficier de la commercialisation de ce livre.»
M. Sullivan: Pas du tout. Je veux dire que si je suis un auteur et que je crois que quelqu'un est innocent et que j'écris un livre à ce sujet, je peux utiliser l'argent comme je le veux.
Le sénateur Gigantès: Effectivement. De nombreux auteurs disent qu'ils ont une famille à entretenir et que leur travail est leur gagne-pain; que ce sont eux qui ont écrit le livre et qu'ils ne paieront pas quelqu'un comme M. Clayton Ruby pour libérer M. Marshall.
Le sénateur Cogger: Le sénateur Hébert a écrit un livre intitulé J'accuse les assassins de Coffin, mais je ne crois pas qu'il ait jamais versé un sou à la famille Coffin. L'homme était mort 20 ans avant que le sénateur Hébert écrive ce livre.
Le sénateur Gigantès: Cela n'a rien à voir. D'après ce que l'on nous a dit, les activités d'un auteur ne sont pas visées par ce projet de loi s'il ne s'agit pas d'un membre de la famille.
Par conséquent, une personne innocente condamnée à tort ne peut pas utiliser les produits d'un livre qu'elle peut écrire pour payer un avocat afin qu'il prouve son innocence.
Le sénateur Cogger: Tout d'abord, les prisons sont pleines de gens qui soutiennent avoir été condamnés à tort. Il arrive effectivement que notre système de justice condamne à tort certaines personnes mais nous n'avons pas de meilleur système. Une personne est innocente jusqu'à ce qu'elle soit reconnue coupable. Une fois qu'elle est coupable, elle est coupable.
Le sénateur Gigantès: Même si elle est innocente?
Le sénateur Cogger: Même si elle est innocente. C'est ce que déclare notre système judiciaire malheureusement imparfait. C'est une chose qui arrive. Cependant, pour l'instant, selon notre système, un coupable est un coupable. C'est pourquoi nous avons des prisons et c'est pourquoi Clifford Olson est derrière les barreaux.
Pouvez-vous décrire brièvement vos organisations? Je ne comprends pas très bien. M. Sullivan représente le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes et M. Rosenfeldt est directeur exécutif de Victimes de violence. Y a-t-il chevauchement entre ces deux organisations?
M. Rosenfeldt: Non. Victimes de violence est une organisation nationale qui existe depuis mars 1984. Un grand nombre de familles de victimes de meurtres et de victimes de crimes de violence au Canada deviennent membres de notre organisation.
Nous sommes une organisation à but non lucratif. Nous faisons beaucoup d'études sur les victimes de crimes. Nous avons des bureaux ici à Ottawa. Nous avons un petit effectif. De nombreux étudiants travaillent avec nous, entre autres des diplômés en droit. La jeune femme assise derrière moi travaille pour nous depuis l'année dernière. Elle est diplômée en droit de l'Université Carleton.
Nous avons un certain nombre de programmes en vigueur ici au Canada. Nous avons un service d'écoute téléphonique sans frais pour les victimes dans l'ensemble du Canada. Nous avons un service d'information par télécopieur sans frais dans l'ensemble du Canada pour les victimes de crimes.
Le sénateur Cogger: Offrez-vous de la thérapie, du counselling et des choses de ce genre?
M. Rosenfeldt: Non, nous leur offrons un appui. Je suis allé chez les familles des victimes après des meurtres pour les aider à nettoyer le sang. C'est le genre de choses que font nos membres. Nous accompagnons les victimes au tribunal. Notre rôle est simplement d'offrir du soutien et de l'aide. Nous ne sommes pas affiliés au Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes même si nous connaissons très bien leur travail. Nous appuyons leur travail et ce qu'ils font pour les victimes de crimes au Canada.
M. Sullivan: Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes est un groupe de pression national qui travaille au nom des victimes. Nous travaillons avec des groupes comme celui de M. Rosenfeldt un peu partout au pays -- CAVEAT, ACTION, CRY -- c'est-à-dire des groupes qui se composent de gens qui ont été directement touchés par la violence et le crime.
Nous travaillons avec eux et nous tâchons de les tenir au courant de ce qui se passe à Ottawa au niveau législatif. Nous tâchons de nous tenir au courant de toutes les lois provinciales adoptées partout au pays qui traitent des droits des victimes. Nous aidons parfois les victimes à obtenir de l'information du Service correctionnel du Canada ou de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Notre groupe a les mêmes intérêts que celui de M. Rosenfeldt mais nous sommes probablement un peu plus politiques. Nous essayons d'avoir notre mot à dire à propos de toute loi adoptée, susceptible de toucher les victimes ou les victimes éventuelles de crimes.
Le sénateur Losier-Cool: S'agit-il particulièrement de crimes avec violence?
M. Sullivan: La majorité des gens qui s'adressent à nous sont des victimes de crimes de violence. Il n'y a toutefois pas de règle stricte à cet égard.
Le sénateur Cogger: Qui finance votre organisation?
M. Sullivan: Nous sommes financés en partie par l'Association canadienne des policiers.
M. Rosenfeldt: Nous sommes financés uniquement par la communauté. Nous n'acceptons pas d'aide financière du gouvernement.
Le sénateur Cogger: D'après la présentation que vous avez faite plus tôt, j'en déduis que vous n'avez pas réussi à récupérer de l'argent d'Olson.
M. Rosenfeldt: Sur la somme initiale de 100 000 $, il restait 55 000 $ à la fin du procès civil. C'est la somme qu'Olson et ses avocats avaient transférée aux Bahamas pour sortir cet argent du Canada au cas où nous voudrions y avoir accès. Nous n'avons pas réussi. En ce qui concerne la destination de cet argent, au départ le contrat indiquait que la famille d'Olson devait en bénéficier et non pas lui-même directement. Donc, un fonds de fiducie avait été établi pour sa femme et son enfant. Vraisemblablement, l'argent devait être versé dans ce fonds.
À la suite d'une enquête, nous avons constaté que c'était Olson lui-même qui dépensait l'argent. Il achetait des abonnements à des journaux et à des revues d'un peu partout au pays. À un certain moment, il offrait même à ses amis d'aller voir son avocat pour obtenir des billets d'avion afin qu'ils lui rendent visite au pénitencier de Kingston.
Le sénateur Cogger: Savez-vous qui payait son avocat?
M. Rosenfeldt: L'aide juridique a éventuellement payé son avocat. Au début, son avocat avait prélevé 10 000 $ de la somme de 100 000 $ versée à Olson par le biais du fonds de fiducie, pour payer ses honoraires.
Lorsque nous avons intenté des poursuites civiles, son avocat a rapidement remis les 10 000 $ dans le fonds de fiducie parce qu'il estimait qu'il pourrait être mal vu qu'il défende Olson avec de l'argent provenant du meurtre d'enfants.
Le sénateur Cogger: Si vous n'avez pas réussi à obtenir de l'argent, est-ce parce que le tribunal vous a opposé un refus catégorique ou parce que l'argent a été transféré aux Bahamas et que vous n'y aviez pas accès?
M. Rosenfeldt: Le juge Trainor nous a accordé l'argent, mais il nous était impossible d'y avoir accès puisque l'argent avait été transféré aux Bahamas. La cour d'appel a renversé la décision et a remis l'argent à Olson, mais cet argent ne lui a jamais été vraiment destiné. Le contrat initial prévoyait que cet argent était destiné à sa femme et à son enfant.
Le sénateur Cogger: J'aimerais vous expliquer quelque chose, monsieur Rosenfeldt. Je n'ai pas l'intention de reprendre les détails horribles de ce procès contre Olson. Vous savez que les gens qui s'opposent au projet de loi de M. Wappel soutiendront qu'Olson devrait conserver son droit d'auteur au nom de la liberté d'expression. S'il fait plein d'argent, que les gens intentent des poursuites civiles pour récupérer l'argent en réclamant des dommages-intérêts.
Je ne suis pas tellement partisan de laisser les gens s'en tirer à bon compte et d'essayer de les rattraper plus tard, car cela représente aussi un fardeau indu pour les familles de la victime. C'était l'objet de ma question.
M. Rosenfeldt: C'est un bon argument. La réalité est que nous n'avons jamais récupéré le moindre sou. Comme je l'ai déjà mentionné, nous sommes encore en train de payer les frais juridiques que nous avons dû engager pour présenter notre cas à la Cour suprême.
Le sénateur Cogger: Mais ce n'était pas uniquement vous et Mme Rosenfeldt, mais toutes les familles des victimes?
M. Rosenfeldt: Huit des onze familles ont contribué aux frais juridiques.
M. Sullivan: Il est important de se rendre compte que ces gens ont assez souffert. Pourquoi devrions-nous les obliger à appliquer un principe auquel nous croyons tous, à savoir que les criminels ne devraient pas profiter de leurs crimes? En fait, comme M. Rosenfeldt l'a indiqué, les victimes ne veulent pas de cet argent. Ce qu'elles veulent, c'est que le contrevenant n'ait pas accès à cet argent.
Le sénateur Jessiman: J'ai une question pour M. Sullivan. Je croyais que vous aviez dit plus tôt au cours de ces délibérations que des modifications avaient été apportées pour qu'un membre de la famille ou la victime d'une agression qui écrit un livre en collaboration avec l'accusé ne soit pas visé par le projet de loi. Selon mon interprétation du projet de loi, cette personne serait visée.
M. Sullivan: Je ne crois pas qu'il s'agisse de la version originale du projet de loi. Il a été modifié. Devant le comité de la justice de la Chambre des communes, nous avons soulevé le cas d'une survivante d'inceste, par exemple, qui voulait écrire un livre relatant la façon dont son père l'avait traitée, mais pas en collaboration avec lui. Selon l'interprétation du projet de loi tel qu'il était libellé auparavant, elle n'aurait pas été autorisée à le faire parce qu'elle était un membre de la famille. Nous avons signalé ce problème et je pense que le comité y a donné suite.
Le sénateur Jessiman: Donc, elle pourrait écrire son livre.
Quel problème y aurait-il à ce que la victime, l'épouse, obtienne l'information de son mari? Si elle collabore avec lui, pourquoi ne devrait-elle pas y avoir droit?
M. Sullivan: Si elle est celle qui a été battue, je ne suis pas sûr du genre d'information qu'elle pourrait obtenir de son mari. C'est elle qui a été battue.
Le sénateur Jessiman: Cela dépend de la teneur du livre.
M. Sullivan: Sans doute. Dans ces circonstances, peut-être ne devrait-il pas en tirer profit, mais si elle est aussi la victime, alors elle pourrait en tirer profit. S'il s'agit d'une lacune du projet de loi, je pense qu'alors le comité devrait y donner suite.
Nous convenons tous que les victimes ne devraient pas être visées par le projet de loi. Cela revient à de la collaboration -- qu'est-ce que la collaboration?
Le sénateur Jessiman: La réserve que m'inspire le projet de loi, c'est que si les membres de la famille collaborent avec le mari pour recueillir les faits, ils sont visés par ce projet de loi et ne peuvent pas en tirer profit. Cela me pose problème. Je n'ai pas d'objection à ce que l'auteur du crime ne puisse pas en tirer profit.
M. Sullivan: Cet article veut prévoir les situations où le contrevenant déclare: «J'écrirai le livre sous ton nom, puis nous partagerons les profits». C'est une façon d'assurer un certain équilibre.
Le sénateur Jessiman: C'est la loi. On ne peut pas tirer profit de son crime. C'est vrai. C'est prévu par la common law, mais vous ne pouvez pas voler de l'argent et le garder. Si on le trouve, on peut vous le prendre. Si vous achetez une voiture avec cet argent, on peut vous la prendre aussi.
C'est un pas dans la bonne direction. Mais il y a bien des gens qui s'y opposent.
M. Sullivan: Le problème n'est pas simple.
Le sénateur Jessiman: Je compatis toutefois.
M. Sullivan: Il y a des arguments légitimes des deux côtés. Cependant, une fois le principe accepté, j'espère que vous pourrez travailler dans les limites du projet de loi, donner suite à ces questions tout en conservant le principe du projet de loi.
Le sénateur Pearson: Vous avez dit que les projets de loi ne sont pas rétroactifs. Nous le savons.
Le sénateur Jessiman: Ils pourraient l'être. Si le Parlement décide de les rendre rétroactifs, il le peut.
Le sénateur Pearson: Dans ce cas, il s'appliquerait immédiatement. Nous ne parlons sûrement pas de crimes qui se sont produits par le passé. Je tiens à préciser ce point car je crois que dans ce cas cette disposition s'appliquerait à Clifford Olson et à n'importe qui d'autre.
Le sénateur Nolin: En ce qui concerne les oeuvres futures.
M. Rosenfeldt: J'espère qu'elle s'appliquerait, effectivement, aux oeuvres futures. Cela serait un grand soulagement pour moi-même et ma famille.
Le sénateur Pearson: Mis à part les questions que vous avez soulevées, et à propos desquelles nous compatissons pleinement, avez-vous une idée de l'ampleur du problème au Canada? J'ai une fille qui est écrivain et qui ne fait pas un sou.
M. Sullivan: Je ne crois qu'il s'agit d'un énorme problème. L'un des aspects les plus positifs du projet de loi, c'est qu'il n'attend pas que cela devienne un problème.
Le sénateur Pearson: Je comprends. Je me posais simplement la question.
M. Sullivan: Ce n'est pas un énorme problème au Canada à l'heure actuelle.
Le sénateur Pearson: Je compatis en ce qui concerne les cartes de tueurs en série. Dans mon dernier rôle au sein de la Coalition pour les droits de l'enfant, nous avons dénoncé les cartes de tueurs en série et je pense que nous avons mis fin à leur vente au Canada.
M. Sullivan: Le ministre de la Justice de l'époque, M. Rock, avait présenté un projet de loi pour empêcher leur vente aux enfants de moins de 18 ans. Je ne crois pas que le projet de loi ait été adopté. Ils l'ont remis à l'étude peut-être pour en élargir la portée.
Le sénateur Pearson: J'espère que ces cartes ont été retirées de la circulation.
M. Sullivan: Je l'ignore.
M. Rosenfeldt: À ma connaissance, elles l'ont été.
M. Sullivan: Les gens enverront une carte à M. Olson qui y inscrira son autographe.
Le sénateur Pearson: Il y a d'autres moyens d'aborder ce problème. Vous avez mentionné les limites actuelles dont fait l'objet la liberté d'expression, comme dans le cas de la pornographie. Les oeuvres ou les passages d'oeuvres qui décrivent des crimes graves ne pourraient-ils pas être considérés comme du matériel obscène? Ce serait peut-être un moyen de s'attaquer à ce problème puisque la possession de ce matériel est illégale. Si la possession de ce matériel est illégale, on ne peut donc pas le vendre.
M. Rosenfeldt: Nous avons enquêté sur cet aspect en ce qui concerne les bandes vidéo réalisées par Olson. Nous avons demandé à la GRC de les examiner et de déterminer si elles pourraient être déclarées obscènes ou si elles pourraient être confisquées. Nous sommes même allés en Colombie-Britannique nous adresser à la GRC pour lui demander si elle pouvait obtenir un mandat de perquisition afin d'aller chez l'avocat de Olson prendre les copies de ces bandes vidéos.
Les spécialistes nous ont dit que même si ces bandes vidéo traitent des crimes et donnent tous les détails concernant les actes sexuels et les meurtres -- je les ai visionnées et c'est ce qui s'y trouve -- elles ne sont pas considérées comme du matériel pornographique au Canada. Nous nous sommes donc trouvés dans une impasse et il nous a été impossible d'aller plus loin.
Le sénateur Gigantès: Mis à part les aspects légaux et pornographiques, il s'agit de matériel obscène.
M. Sullivan: Je n'ai pas le Code criminel sous les yeux mais je pense que la définition d'«obscénité» est l'exploitation du sexe et de la violence. Je ne crois pas que les policiers considéraient que ce matériel correspondait à cette définition.
M. Rosenfeldt: Pourtant, je ne pourrais pas vous décrire ici aujourd'hui ce que contiennent ces vidéos. C'est dégoûtant.
Le sénateur Gigantès: C'est obscène.
M. Sullivan: Selon une définition de sens commun.
Le sénateur Pearson: Le projet de loi actuel met la Couronne dans la situation odieuse de tirer profit des oeuvres en vertu de la disposition sur le droit d'auteur. Existe-t-il d'autres moyens d'éviter cette situation déplorable?
M. Rosenfeldt: Nous avons essayé, mais sans succès jusqu'à maintenant.
M. Sullivan: En ce qui concerne la rétroactivité, selon mon interprétation du projet de loi, le droit d'auteur devient la propriété de la Couronne au moment de la détermination de la peine. Cela se trouve à faire partie de la peine. Je ne crois pas qu'il soit possible de modifier rétroactivement la peine imposée. Cela pourrait être un problème. Vous voulez dire qu'une partie de la peine consiste à retirer au condamné son droit d'auteur.
Le sénateur Pearson: Vous voulez dire que vous n'avez plus droit au droit d'auteur.
M. Sullivan: Vous n'en êtes plus le détenteur.
Le sénateur Pearson: Beaucoup de ces personnes n'auraient pas demandé le droit d'auteur. Ne faut-il pas le demander?
M. Sullivan: Je n'en suis pas sûr.
Le sénateur Gigantès: Pour obtenir le droit d'auteur, il faut en faire la demande.
Le sénateur Jessiman: Olson possède un certificat qui indique qu'il en est le détenteur.
Le sénateur Pearson: Le détenteur de quoi?
Le sénateur Jessiman: Il détient le droit d'auteur.
Le sénateur Pearson: Sur quoi?
Le sénateur Jessiman: Je l'ignore.
M. Sullivan: Sur les bandes vidéo.
M. Rosenfeldt: Il existe un droit d'auteur sur ces bandes vidéo.
Le sénateur Jessiman: Il avait trois certificats qui nous ont été présentés.
Le sénateur Losier-Cool: Ma question va dans le sens de celles posées par Le sénateur Pearson; elle concerne les collectionneurs de cartes de tueur en série.
L'article 1 du projet de loi donne la définition de «produits de la criminalité» et d'une oeuvre qui «relate ou représente la perpétration d'une infraction réelle». Si sur la carte en question, il n'y a que la photo du criminel et un numéro de téléphone ou quoi que ce soit, il n'y a pas d'infraction, n'est-ce pas?
M. Sullivan: Au verso des cartes, il y a une description du crime. Je ne suis pas sûr que le projet de loi s'appliquerait aux bénéfices informels que M. Olson pourrait recevoir des cartes de tueurs en série.
M. Rosenfeldt: Je n'en suis pas sûr non plus. C'est un bon argument. Il y a une brève description des crimes au verso des cartes.
Le sénateur Losier-Cool: Des cartes qui existent à l'heure actuelle. Cependant, des gens pourraient collectionner des cartes où il n'y a pas de description du crime mais simplement la photo du criminel.
M. Rosenfeldt: Le projet de loi ne viserait probablement pas ce genre de cartes. Je voulais simplement vous expliquer qu'il s'agit de l'un des nombreux moyens par lequel il a réussi à tirer profit du meurtre de nos enfants. Il est possible que le projet de loi ne mette pas fin à ce genre d'activités. Cependant, cela ne nous causerait pas de souffrances à nous les victimes. Ce à quoi nous nous opposons, c'est à la description de ce qu'il a fait à nos enfants.
Le sénateur Losier-Cool: Pourrait-il quand même faire de l'argent grâce à ces cartes?
M. Rosenfeldt: Oui, mais cela ne causerait pas de souffrances et de douleurs aux victimes.
M. Sullivan: Il est important de souligner que l'argent qu'il touche grâce à ces cartes ne lui est pas versé par l'entreprise qui fabrique les cartes. Les gens qui sont fascinés par Olson lui envoient une carte et 10 $ pour qu'il la signe. L'entreprise qui fabrique les cartes n'a pas de contrat lui accordant une partie des profits. Même si le projet de loi englobait le commerce des cartes, je ne sais pas s'il s'appliquerait à cette situation.
Le sénateur Losier-Cool: C'est peut-être une question que nous devrions poser à un conseiller juridique.
M. Rosenfeldt: Certains de ces criminels peuvent quand même tirer profit de leur crime. Par exemple, dans l'affaire Jeffrey Dahmer aux États-Unis, il y a récemment eu une vente aux enchères de ses réfrigérateurs, de ses scies et autres articles dont il se servait pour conserver le corps des victimes, y compris les marmites dans lesquelles il les faisait cuire.
Ce projet de loi n'empêcherait pas un meurtrier de vendre des souvenirs du crime, mais ce n'est pas ce que nous demandons.
Le sénateur Pearson: Est-ce qu'il viserait le père qui a écrit un livre sur son fils?
M. Sullivan: Peut-être.
Le sénateur Pierre Claude Nolin (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant: J'ai lu récemment dans un journal d'Ottawa une lettre ouverte de Susan Musgrave. Elle y fait deux déclarations à propos desquelles j'aimerais avoir votre opinion. Elle dit qu'aucun éditeur ne publiera de livres si leur auteur ne contrôle pas entièrement leur droit d'auteur. Qu'en pensez-vous?
M. Sullivan: Je n'ai jamais publié de livre et je n'ai aucune expérience dans ce domaine. Cependant, si Clifford Olson ne peut pas écrire de livre parce qu'il n'a pas le contrôle, je n'y ai aucune objection.
Le président suppléant: Je vous pose cette question parce qu'en raison de l'alinéa 2b) de la Charte, nous ne disons pas qu'il ne devrait pas écrire ce livre mais qu'il ne devrait pas tirer profit de la rédaction de ce livre. J'aborderai ce dernier aspect plus tard.
À votre avis, la liberté d'expression comprend-elle l'accès aux moyens de diffusion de cette expression?
M. Sullivan: M. Olson pourrait écrire ses mémoires et en faire don aux Archives nationales ou à la Bibliothèque nationale. Je ne crois pas que la liberté d'expression comprend le droit de faire publier votre oeuvre.
Le président suppléant: Donc, à votre avis, l'alinéa 2b) ne vise pas les moyens.
M. Sullivan: Non.
Le sénateur Gigantès: Je pense que les tribunaux ont interprété la liberté d'expression comme le droit de détenir un droit d'auteur, et cetera. Les moyens font partie du droit.
Le président suppléant: Le témoin n'est pas un spécialiste en la matière. Je voulais simplement connaître son opinion sur la lettre de Mme Musgrave.
Une autre partie de sa lettre indique que le fait d'écrire ou de parler d'un crime n'est pas en soi un crime au Canada et que par conséquent une avance ou des redevances ne sont pas des produits de la criminalité, comme le laisse entendre M. Wappel, mais les produits de la rédaction d'une oeuvre.
Qu'en pensez-vous?
M. Sullivan: Je pense qu'il ne peut pas y avoir de profit s'il n'y a pas eu de crime. M. Wappel a utilisé l'exemple de quelqu'un qui prend une assurance-vie pour sa femme et qui ensuite la tue. Le fait de toucher l'assurance n'est pas un crime en soi mais le meurtrier ne peut pas toucher l'assurance. La loi le lui interdit. Il en serait de même dans ce cas-ci. La rédaction d'un livre ou le récit d'une histoire sont directement liés à la perpétration du crime.
M. Rosenfeldt: Je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine. Je n'ai pas d'objection à ce qu'un meurtrier reconnu coupable écrive un livre bien que j'aie une objection en ce qui concerne les bandes vidéo. Le problème n'est pas la rédaction mais le profit. Le criminel peut uniquement tirer profit de la description du crime du fait qu'il l'a commis. Cela revient à l'argument du sénateur Gigantès à propos des personnes innocentes. Il peut y avoir de rares exceptions, comme le cas de Donald Marshall.
Ce qui me préoccupe, c'est que quelqu'un relate le crime subi par les victimes et qu'il en tire profit.
Le président suppléant: Je ne devrais peut-être pas vous poser cette question. Elle est d'ordre technique et constitutionnel parce qu'elle concerne la Charte.
Vous considérez que le droit d'écrire ne comprend pas le droit d'avoir accès aux moyens de diffuser l'oeuvre. Il s'agit de deux choses différentes.
M. Rosenfeldt: Oui. C'est la question de profit qui nous inquiète le plus.
Le président suppléant: Nous entendrons probablement certains témoignages de spécialistes sur la question, qui risquent de vous contredire. J'ai le plus grand respect pour vous. C'est la première fois que nous entendons votre douloureuse histoire. Cependant, nous devons aborder ce projet de loi de façon très clinique car si nous l'adoptons sans avoir procédé de cette manière, les tribunaux démoliront cette loi.
Le sénateur Gigantès: J'aimerais proposer que si un criminel reconnu coupable qui clame son innocence -- et Clifford Olson ne clame pas son innocence -- écrit un livre, les produits de ce livre devraient être versés dans un fonds à l'intention des criminels qui clament leur innocence, qui servirait uniquement à payer des avocats chargés de prouver leur innocence.
C'est le genre de fonds qui aiderait des gens comme Guy Paul Morin et David Milgaard, car ils ont besoin des meilleurs avocats et leurs honoraires sont très élevés. Ils soutiennent avoir été condamnés à tort. Ils ont besoin des avocats les plus réputés pour prouver qu'ils ont été condamnés à tort.
M. Rosenfeldt: À première vue, je n'aurais probablement pas d'objection sérieuse à une telle proposition. Cependant, ce n'est pas mon projet de loi et je ne suis pas un spécialiste en la matière. M. Wappel a probablement examiné ces situations. Je suis ici pour vous présenter ce que vivent les victimes lorsqu'on permet aux criminels de tirer profit de leur crime.
M. Sullivan: Comme je l'ai mentionné dans mon mémoire, peut-être si ces personnes pouvaient prouver à un tribunal qu'elles ont des motifs valables, elles pourraient être exemptées de ce projet de loi pour pouvoir se payer les services d'un avocat.
Le sénateur Gigantès: Le tribunal dirait probablement exactement ce que M. Cogger a dit: «Vous avez été reconnu coupable par le tribunal de première instance. Vous avez été de nouveau reconnu coupable par le tribunal d'appel. Cela s'arrête là.» En ce qui concerne la loi, vous avez été reconnu coupable, un point c'est tout.
Ce que je dis, c'est que les personnes qui clament leur innocence et qui écrivent un livre -- et elles sont nombreuses -- devraient avoir accès à un fonds auquel seraient versés les produits du livre pour leur permettre de payer les avocats qui prouveront leur innocence.
M. Rosenfeldt: Sénateur Gigantès, avec tout le respect que je vous dois, j'ai encore beaucoup de difficulté à accepter cette proposition parce que je ne comprends pas comment Guy Paul Morin pourrait écrire un livre sur le meurtre de Christine Jessop s'il ne l'a pas tuée. Comprenez-vous ce que je veux dire?
Le sénateur Gigantès: Et Donald Marshall?
M. Rosenfeldt: C'est peut-être l'unique exception. Il était là au moment où Sandy Seale a été tuée, effectivement. Comment Donald Marshall, dans ce cas en particulier, pourrait-il écrire un livre à propos du crime même? Mais ce projet de loi lui aurait quand même permis d'écrire un livre sur sa vie en prison.
Le sénateur Gigantès: Le projet de loi, tel qu'il est libellé, pourrait s'appliquer à Guy Paul Morin. Sa portée est trop vaste. Ce que j'essaie de vous demander est ceci: pouvons-nous modifier le projet de loi afin que l'argent puisse être versé aux avocats, et non au criminel, de sorte qu'il ne verra jamais l'ombre de cet argent mais qu'il puisse payer des avocats? Cela ne servirait peut-être à rien parce que les avocats pourraient être incapables de l'aider à prouver son innocence ou il pourrait s'avérer au bout du compte qu'il ment et qu'il n'est pas innocent. Il n'a pas touché un sou. Ce n'est pas son argent et cet argent n'a pas non plus été versé à sa famille.
M. Sullivan: Ne croyez-vous pas que les avocats font assez d'argent comme ça?
Le sénateur Gigantès: Six membres de ma famille immédiate sont des avocats. Je ne peux donc pas abonder dans votre sens.
Le sénateur Jessiman: La présidente, avant son départ, m'a chargé de vous demander si vous connaissez la loi de 1994 adoptée par l'Ontario, la Victim Rights to Proceeds of Crime Act.
M. Sullivan: Je suis au courant de cette loi, oui.
Le sénateur Jessiman: Par ailleurs, la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada a mis au point une loi type, la Criminals Exploitation of Violent Crime Act, qu'elle a adoptée en août 1997, lors de son assemblée.
En vertu de la loi ontarienne, les produits sont versés à un fiduciaire qui remet ensuite l'argent aux victimes. Selon la loi type, les produits seraient versés à un organisme gouvernemental qui les remettrait ensuite aux victimes. Nous aimerions avoir votre opinion sur ce type de loi. À votre avis, que pensez-vous de la portée de cette loi? En vertu du projet de loi C-220, l'argent est versé au gouvernement qui le garde.
M. Sullivan: Je sais que M. Wappel préfère que le projet de loi ne précise pas la façon dont l'argent devrait être dépensé. Je serais tout à fait d'accord pour que cet argent serve à financer des programmes destinés à aider les victimes, comme des programmes de réadaptation. Nous parlons de la réadaptation du contrevenant. Nous devrions offrir la même chose à la victime. L'argent, peu importe le montant, devrait être versé, non pas directement aux victimes, car je sais que bien des victimes avec qui je travaille n'en voudraient pas, mais aux services destinés à aider les victimes et leur famille.
M. Rosenfeldt: Nous nous sommes toujours opposés à recevoir personnellement un sou de l'argent qu'Olson a pu accumuler en tirant profit du meurtre de notre enfant. Cependant, si on lui prenait cet argent, je n'aurais aucune objection à ce qu'il serve à financer des services d'aide aux victimes assurés par la police ou à des programmes quelconques d'aide aux victimes au Canada.
Le président suppléant: Pourrions-nous laisser de côté les crimes violents commis par M. Olson et dont il a été reconnu coupable et passer à des crimes plus techniques? Si un pirate informatique est attrapé et qu'il relate comment il a utilisé son ordinateur pour forcer l'accès au système informatique de la Défense nationale, il pourrait faire une fortune. Il pourrait probablement vendre ses connaissances à des entreprises spécialisées dans la protection de ces réseaux. Qu'en pensez-vous?
M. Rosenfeldt: J'estime que personne ne doit profiter de ses crimes.
Le président suppléant: Même si cela permet d'apprendre certaines choses?
M. Sullivan: Même si cela permet d'apprendre certaines choses. J'estime qu'aucun criminel quel qu'il soit ne devrait profiter directement du crime qu'il a commis. Si une personne est reconnue coupable d'un crime et est emprisonnée, purge sa peine et une fois libérée est engagée par une entreprise pour former son personnel, alors c'est une situation complètement différente. Ce à quoi je m'oppose, c'est qu'elle profite directement du crime même.
Le président suppléant: Je vous remercie de votre réponse. Je vous remercie tous deux d'avoir comparu devant nous.
La séance est levée.