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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 26 novembre 1997

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 24 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous accueillons cet après-midi des représentants du Tribunal des droits de la personne. Vous avez la parole.

Mme Anne L. Mactavish, présidente, Tribunal des droits de la personne: Je suis heureuse d'avoir été invitée à vous parler aujourd'hui du projet de loi S-5. Je commencerai par faire quelques brefs commentaires puis je serai heureuse de répondre à toutes vos questions concernant ce projet de loi.

Avant de commenter les modifications proposées à la Loi canadienne sur les droits de la personne, je tiens à souligner que, en ma qualité de présidente du Tribunal des droits de la personne, je dois, tout comme les membres instructeurs, interpréter et appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne en toute impartialité. En conséquence, il serait inconvenant que je commente les modifications de fond qui sont proposées à cette loi. Je suis toutefois très heureuse de vous faire savoir ce que je pense des changements proposés à la structure et à la composition du Tribunal des droits de la personne.

[Français]

J'aimerais souligner en guise d'introduction les changements proposés à la structure du Tribunal des droits de la personne. Je suis d'avis que la nouvelle structure permettra de disposer des plaintes de discrimination déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne de manière plus rapide et efficace.

[Traduction]

Permettez-moi d'aborder pendant quelques instants la question des délais d'exécution et de l'efficience. En vertu du système actuel, tous les membres du comité du Tribunal des droits de la personne remplissent leurs fonctions à temps partiel. La plupart d'entre eux poursuivent une carrière de professeur d'université, d'expert-conseil ou d'avocat par exemple. En conséquence, pour fixer les dates des audiences, il faut tenir compte non seulement des horaires des avocats qui comparaîtront, dont un grand nombre sont extrêmement occupés, mais aussi de la disponibilité des membres du tribunal.

En raison des responsabilités et engagements professionnels des membres du tribunal, les audiences peuvent être retardées ou s'étaler sur une période de temps assez longue, tout comme les décisions. On s'attend donc à ce que la constitution d'un tribunal plus petit dont les membres seraient plus disponibles qu'actuellement permette de régler les plaintes plus rapidement.

En outre, la constitution d'un tribunal plus petit permettra aux membres d'acquérir une plus grande expérience de la gestion des cas, ce qui devrait réduire la durée des audiences et les coûts, avec les avantages que cela suppose pour toutes les personnes concernées. La diminution du nombre de membres donnera lieu à des décisions et à une interprétation de la loi plus uniformes.

Un tribunal composé de 15 membres à temps plein et à temps partiel devrait être en mesure de traiter rapidement les plaintes, compte tenu de notre charge de travail habituelle et des nouvelles responsabilités que le tribunal doit assumer en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Je suis cependant soulagée de constater qu'une disposition a été ajoutée pour permettre la nomination de membres à titre temporaire si la charge de travail le justifie.

L'article 48.9 proposé, qui autorise le président du tribunal à établir des règles de pratique régissant notamment la production de documents, les enquêtes préalables ainsi que le délai d'audition et le délai pour rendre les décisions, permettra d'améliorer l'efficience du processus.

J'aimerais parler quelques instants de l'indépendance du Tribunal des droits de la personne. Cette indépendance a été contestée à un certain nombre de reprises au fil des ans et se retrouve maintenant devant la Cour fédérale. Les dispositions du projet de loi qui obligent le tribunal à faire rapport de ses activités au Parlement, le nouvel article qui permet aux membres de terminer les affaires dont ils ont été saisis même si leur mandat est échu et, tout particulièrement, la disposition stipulant que la rémunération des membres sera fixée par le gouverneur en conseil et non par la Commission des droits de la personne, comme c'est actuellement le cas, permettront de résoudre un certain nombre des problèmes soulevés par les personnes mises en cause et augmentera l'indépendance du tribunal et la crédibilité du processus.

Un changement mineur, mais néanmoins symbolique, est apporté au nom du tribunal. À l'heure actuelle, les membres font techniquement partie du comité du Tribunal des droits de la personne, mais la plupart des gens n'ont aucune idée de ce dont nous parlons quand nous disons être membres de ce comité.

Dans la pratique, la population connaît en général le Tribunal canadien des droits de la personne. La modification proposée correspond à une meilleure description de la réalité et permettra au public d'avoir une meilleure idée de qui nous sommes et de ce que nous faisons.

[Français]

Je répondrai volontiers aux questions des membres du comité.

[Traduction]

Le sénateur Jessiman: Lors d'une réunion précédente, le sénateur Kinsella s'est dit préoccupé par le fait que quatre des 15 membres du tribunal, dont le président et le vice-président, devront être des avocats. Pouvez-vous nous dire pourquoi c'est le cas?

Mme Mactavish: Avec plaisir. Selon moi, il est absolument essentiel qu'au moins quelques-uns des membres du tribunal aient une formation juridique.

Je dois avouer que je suis moi-même avocate. Je ne veux surtout pas laisser entendre que les avocats détiennent le monopole de la sagesse. Il y a certainement un grand nombre de personnes sans formation juridique qui sont très savantes et il y a malheureusement plusieurs avocats qui ne le sont pas tellement. Il serait utile que vous sachiez comment le mécanisme de traitement des plaintes a évolué au fil des ans.

Au tout début, les causes ne duraient qu'un jour ou deux. Les parties se présentaient fréquemment sans conseiller juridique et les causes reposaient en grande partie sur les faits.

On se retrouve maintenant avec une jurisprudence complexe. Si l'on exclut les causes de disparité salariale, qui peuvent prendre des mois et parfois des années, une cause dure en moyenne deux semaines et met parfois en jeu des milliers de dollars et parfois, des milliards.

Les parties sont généralement représentées par un conseiller juridique qui, dans bien des cas, possède une expérience et des compétences importantes dans ce domaine. Les tribunaux font souvent face à divers problèmes de compétence, de procédure et de preuve qui doivent être résolus dans le cadre d'une audience. Pour vous donner trois exemples, ces problèmes peuvent aller de la répartition constitutionnelle des pouvoirs à l'application de principes juridiques comme celui de la chose jugée en passant par l'utilisation appropriée des preuves de faits similaires. Ces problèmes sont déjà assez difficiles pour ceux d'entre nous qui ont une formation juridique, vous pouvez imaginer à quel point ils le seraient pour les personnes qui en n'ont pas.

Il importe de se rappeler que le tribunal doit appliquer une loi dont la nature quasi constitutionnelle a été reconnue à plus d'une reprise par la Cour suprême du Canada.

Pour autant que je sache, nous sommes peut-être le seul tribunal administratif qui ait le pouvoir d'ordonner au gouvernement de cesser d'appliquer une disposition législative s'il est établi que cette application aurait des conséquences discriminatoires.

Cela ne veut pas dire que les membres non juristes du tribunal n'ont pas énormément contribué au processus, parce que ce n'est pas le cas. Je suis d'ailleurs persuadée que leur contribution sera tout aussi importante, surtout lorsqu'il s'agira d'établir les faits et de déterminer le fondement d'une plainte.

Il faut aussi se rappeler que, aux termes du projet de loi, seulement quatre des 15 membres doivent avoir une formation juridique et seuls le président et le vice-président doivent satisfaire à une exigence pour occuper ces postes.

J'espère que cela répond à vos questions.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que le tribunal serait mieux organisé si ses membres étaient nommés en permanence. Pouvez-vous comparer ce qu'il en coûte aujourd'hui avec ce qu'il devrait en coûter aux termes de la nouvelle loi?

Mme Mactavish: Je peux vous parler avec précision des coûts actuels, mais je ne peux que spéculer sur les coûts futurs.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais que vous spéculiez en partant du principe qu'il y aura 15 membres, dont certains à temps plein.

Mme Mactavish: À l'heure actuelle, le niveau de financement du Tribunal des droits de la personne est d'environ 1,5 million de dollars.

Le sénateur Jessiman: Par année?

Mme Mactavish: Oui. Une somme d'environ 500 000 $ est versée en salaires et le reste sert au fonctionnement du Tribunal et à la tenue des audiences.

En outre, le Conseil du Trésor nous accorde un financement supplémentaire spécial pour traiter les causes de disparité salariale, sinon celles-ci épuiseraient notre budget.

Le montant accordé au titre du financement supplémentaire varie d'une année à l'autre, selon le nombre de plaintes instruites. Cette année, il était de 996 000 $, ce qui a porté notre financement total pour cet exercice à environ 2,5 millions de dollars.

En ce qui concerne les prévisions pour l'avenir, le passage de l'ancien système au nouveau entraînera certainement des frais initiaux. Nous estimons que ceux-ci seront d'environ 250 000 $ à 400 000 $. Cette somme servira notamment à former les nouveaux membres du tribunal. En outre, nous devrons légèrement modifier nos locaux afin d'y ajouter des bureaux pour les membres permanents. Nous modifierons également notre papier à lettre pour tenir compte de notre nouveau nom.

En ce qui a trait aux coûts de fonctionnement courants, un certain nombre de facteurs sont difficiles à quantifier. Ainsi, si le nombre d'appels diminue ou si le nombre de causes entendues une nouvelle fois diminue parce que les membres ont une plus grande compétence, nous réaliserons certaines économies. De la même façon, si les causes se déroulent plus rapidement parce que le président est plus efficient et parvient à mieux les gérer, des économies seront également réalisées. Il est difficile de prédire exactement ce qui se passera.

Pour toutes ces raisons, nous ne prévoyons pas que le nouveau tribunal coûtera beaucoup plus cher que le tribunal actuel. Je ne peux pas être plus précise que cela.

Le sénateur Cogger: Avez-vous lu la transcription de la séance d'hier?

Mme Mactavish: Oui.

Le sénateur Cogger: D'après votre expérience, combien de comités siègent en même temps?

Mme Mactavish: Si vous me donnez quelques instants, je vous trouverai ces données. Ce chiffre varie évidemment d'une année à l'autre.

Le sénateur Cogger: Parlons-nous par exemple de six comités en même temps, de trois, de cinq?

Mme Mactavish: Non. Le nombre de comités siégeant en même temps est plus élevé que cela.

Ce chiffre varie chaque année. Le nombre maximum de plaintes que la Commission des droits de la personne nous a renvoyées était d'environ 60.

Le sénateur Cogger: Dans la même année?

Mme Mactavish: Oui. L'an dernier, nous avions 15 ou 16 causes. Cette année, il semble que ce chiffre augmentera encore une fois.

Le sénateur Cogger: Vos comités sont généralement composés de trois personnes?

Mme Mactavish: La loi actuelle prévoit qu'ils peuvent être composés de trois personnes ou d'une seule.

Le sénateur Cogger: Est-ce que l'une de ces trois personnes doit être un avocat?

Mme Mactavish: Les comités sont généralement présidés par un avocat. Depuis la création du tribunal, il y a 19 ans, un seul comité n'a pas été présidé par un avocat, et il s'agissait du premier d'entre eux.

Le sénateur Cogger: Si l'on suppose que les comités sont composés de trois membres, cinq comités pourraient donc siéger en même temps en vertu de la modification proposée?

Mme Mactavish: Durant une semaine donnée. Cela ne signifie pas que les causes ne se poursuivent pas au-delà de cette semaine. Il nous arrive souvent d'examiner une plainte pendant une semaine puis d'y consacrer une autre semaine deux mois plus tard. Les membres examinent souvent plusieurs plaintes à la fois.

Le sénateur Cogger: Cela suffirait-il pour ne pas accumuler un arriéré?

Mme Mactavish: La nouvelle loi intervient dans ce sens. Si je ne m'abuse, celle-ci prévoit que les plaintes seront instruites par un seul membre à moins que la difficulté de l'affaire justifie la désignation de trois membres.

Le sénateur Cogger: D'après votre expérience, quel laps de temps s'écoule entre le dépôt d'une plainte et son issue?

Mme Mactavish: J'ai prévu cette question et j'ai des statistiques pour vous.

Cette période est calculée à partir du dépôt de la plainte jusqu'à son renvoi au Tribunal des droits de la personne. Elle correspond donc à la période où la plainte est entre les mains de la Commission canadienne des droits de la personne. J'ai examiné les statistiques des deux dernières années. En 1996, cette période était en moyenne de 42,76 mois.

Le sénateur Cogger: Avez-vous dit 42 mois?

Mme Mactavish: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: Avant que la plainte ne soit renvoyée au tribunal?

Mme Mactavish: Oui, du moment où la plainte est déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne jusqu'à celui où elle est renvoyée au Tribunal des droits de la personne.

Jusqu'ici en 1997, la moyenne est de 46,5 mois.

Le sénateur Cogger: Quel laps de temps s'écoule entre le renvoi d'une plainte au tribunal et sa résolution?

Mme Mactavish: Je peux vous donner deux séries de chiffres. Il y a environ 18 mois, nous avons mis sur pied un programme de médiation. J'ai des statistiques sur la période qui s'écoule entre le renvoi d'une affaire et sa résolution et j'ai aussi des statistiques sur les plaintes qui font l'objet d'une instruction complète.

Le sénateur Moore: À quoi correspondait encore la période de 46,5 mois?

Mme Mactavish: C'est la période qui s'écoule entre le moment où la plainte est déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne jusqu'à celui où le président de la commission la renvoie au tribunal.

Le sénateur Jessiman: Donnez-nous les statistiques sur la période qui va du renvoi de la plainte à sa résolution.

Mme Mactavish: Jusqu'à maintenant en 1997, il s'écoule 4,42 mois entre le renvoi d'une plainte et sa résolution -- qu'il s'agisse de l'issue de l'instruction ou d'une entente intervenue dans le cadre du programme de médiation. En 1996, ce délai était de 8,83 mois. Ces chiffres ne concernent pas uniquement les plaintes qui ont fait l'objet d'une instruction mais également celles qui ont donné lieu à une entente par voie de médiation.

En ce qui concerne ces dernières, nous ne possédons pas suffisamment de données pour 1997 pour vous donner des chiffres précis. En 1996, dans le cas des plaintes faisant l'objet d'une instruction complète, il s'écoulait en général un peu plus de 12 mois entre le dépôt d'une plainte et l'issue de l'instruction. Cela constituait une diminution par rapport à l'année précédente où ce délai d'exécution était de 15 mois.

Le sénateur Cogger: Avez-vous un arriéré à l'heure actuelle?

Mme Mactavish: Les affaires sont généralement attribuées aux membres du Tribunal dans les deux ou trois semaines qui suivent leur renvoi. Elles sont alors inscrites à l'horaire et le processus commence.

Le sénateur Cogger: Vos décisions sont-elles publiées?

Mme Mactavish: Oui.

Le sénateur Cogger: Il existe donc un recueil des jugements rendus?

Mme Mactavish: Les décisions sont publiées. Vous pouvez vous les procurer grâce au système informatique de recherche documentaire juridique. Elles figurent également dans le Canadian Human Rights Reporter. Qui plus est, nous venons tout juste de les télécharger sur un site Web. Bien que les décisions n'y figurent pas encore, elles le seront bientôt. Elles sont en règle générale accessibles au public.

[Français]

Le sénateur Nolin: Il est assez rare que nous ayons le plaisir d'avoir un président d'un tribunal quasi judiciaire devant nous. Je ne résisterai pas à la tentation de vous poser des questions sur votre perception de l'indépendance que vous devez avoir face à l'État qui subventionne vos besoins physiques et votre rémunération. Vous n'êtes certainement pas sans savoir que la Cour suprême vient de décider que le ministère de la Justice d'une province, lorsqu'il s'occupe de fournir à un tribunal ses locaux et tous les outils nécessaires pour rendre son travail efficace, met en danger cette indépendance. Est-ce que vous vous considérez suffisamment indépendante de l'administration de l'exécutif de l'État canadien dans l'exercice de vos fonctions quasi judiciaires?

[Traduction]

Mme Mactavish: J'hésite à vous répondre parce que, comme je l'ai indiqué dans mes remarques préliminaires, l'indépendance du Tribunal des droits de la personne fait actuellement l'objet d'une contestation devant la Cour fédérale. Comme cette question est devant les tribunaux, j'hésite à exprimer mes vues à cet égard. Je n'aime pas me défiler, mais je dois le faire dans ce cas-ci.

[Français]

Le sénateur Nolin: Vous pourrez peut-être me donner la même réponse, mais nous examinons en ce moment une loi fondamentale quant à l'exercice de vos fonctions. Est-ce que vous jugez que le texte que nous avons devant nous suffisant pour protéger cette indépendance?

[Traduction]

Mme Mactavish: Au fil des ans, l'indépendance du tribunal a fait l'objet d'un certain nombre de contestations, et ce, pour un certain nombre de motifs. Le Tribunal des droits de la personne n'a pas évolué en raison des modifications apportées aux mesures législatives mais uniquement par suite des changements dans notre façon d'administrer pour atteindre le plus haut degré d'indépendance possible.

Le projet de loi S-5 aborde la majorité des autres problèmes qui ont fait l'objet d'une contestation.

Le sénateur Nolin: Quels problèmes reste-t-il à régler?

Mme Mactavish: Un aspect a fait l'objet de contestations et se trouve maintenant devant la Cour fédérale. Je n'ai pas l'intention de le commenter, mais je vous indiquerai simplement que le paragraphe 27(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne renferme une disposition qui permet à la Commission canadienne des droits de la personne de diffuser des directives qui précisent les limitent et les modalités de l'application de la loi dans un cas ou dans plusieurs catégories de cas.

Le sénateur Nolin: S'agit-il de directives de fond?

Mme Mactavish: Oui, de directives de fond. C'est une question qui a été contestée et qui fait l'objet à l'heure actuelle d'une contestation devant la Cour fédérale. Le projet de loi S-5 n'y donne pas suite.

Le sénateur Beaudoin: De quelle cause s'agit-il? Qui en sont les parties?

Mme Mactavish: L'intimé est Bell Canada et je crois que le plaignant est l'Association canadienne des employés de téléphone.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends tout à fait que vous ne vouliez pas débattre de cette question puisqu'elle est devant les tribunaux. En tant que membres d'un comité sénatorial, nous respectons cela.

Vous avez dit que le comité compte 15 membres, dont quatre sont des avocats. Est-ce le minimum exigé?

Mme Mactavish: Le projet de loi exige que le comité compte un maximum de 15 membres bien qu'une disposition prévoie la nomination de membres temporaires. Sur ces 15 membres, le président et le vice-président doivent être des avocats et membres du Barreau depuis au moins dix ans. Le système actuel n'énonce pas les qualités requises pour être membres.

Le sénateur Beaudoin: Combien d'entre eux sont à l'heure actuelle des avocats?

Mme Mactavish: À l'heure actuelle, nous avons environ 43 membres, dont environ 65 p. 100 sont des avocats.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce que cela a toujours été le cas?

Mme Mactavish: Je le crois, bien que je n'exerce ces fonctions que depuis quelques années. Je ne suis pas sûre quelle était la situation par le passé.

La présidente: Sommes-nous en train de l'améliorer ou non?

Mme Mactavish: La formule a fonctionné.

Le sénateur Jessiman: Cela ne veut pas dire que tous les membres du comité devraient être des avocats.

Mme Mactavish: C'est une question qui relève du gouverneur en conseil.

Le sénateur Beaudoin: S'agit-il d'un minimum?

Mme Mactavish: Selon le nouveau régime, oui.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: J'aimerais avoir vos commentaires sur la question de l'équité en matière d'emploi pour les femmes et les minorités visibles. Est-ce que ce projet de loi va accommoder ces groupes minoritaires?

[Traduction]

Mme Mactavish: Comme je l'ai indiqué au début, je préfère ne pas commenter les changements aux dispositions de fond des droits de la personne.

Le sénateur Losier-Cool: En réponse au sénateur Nolin, vous avez dit «la majorité du projet de loi mais pas la totalité». J'en déduis que vous approuvez la majorité du projet de loi mais qu'il pourrait être étoffé.

Mme Mactavish: J'ai indiqué dès le départ que je restreindrais mes commentaires aux articles du projet de loi qui se rapportent aux activités et à la structure du Tribunal des droits de la personne. En réponse à la question du sénateur Nolin, j'ai mentionné que l'indépendance du tribunal avait été contestée. J'ai compris que le sénateur me demandait si le projet de loi avait permis de donner suite à toutes les préoccupations soulevées par les parties et j'ai répondu qu'il donnait suite à la majorité mais non à la totalité des préoccupations exprimées, et que la question des directives est un aspect qui a fait l'objet de contestations mais que le projet de loi n'y donne pas suite.

Le sénateur Losier-Cool: En ce qui concerne le travail du tribunal, pourquoi cela a-t-il pris presque quatre ans?

Mme Mactavish: Ce n'est pas le travail du tribunal; c'est le travail de la Commission des droits de la personne. Vous avez entendu Mme Falardeau-Ramsay il y a quelques semaines. C'est son organisme.

Pour ceux qui ne connaissent pas bien notre processus, je pourrais peut-être l'expliquer parce qu'il semble mal compris. Il ne s'agit pas de droit criminel mais de droit correctif. Pour utiliser l'analogie du processus criminel, si vous estimez avoir été lésé, vous allez voir la police et elle fait enquête. Si la police estime qu'il est justifié de déposer une accusation, les procureurs de la Couronne intentent une poursuite. Ce sont les deux rôles qu'exerce la Commission canadienne des droits de la personne. Pour poursuivre l'analogie, le Tribunal des droits de la personne fait office de juge; le rôle de la commission s'apparente à celui de la police et des procureurs.

Le sénateur Losier-Cool: Donc, c'est la commission qui prend tant de temps.

Mme Mactavish: Les périodes de 42 et 36 mois concernent le processus au niveau de la commission. Les chiffres de 12 et de quatre mois que je vous ai donnés concernent le processus au niveau du Tribunal.

Le sénateur Lewis: Vous nous avez donné des chiffres sur la période qui s'écoule depuis le dépôt d'une plainte jusqu'à ce qu'elle soit réglée. Je suppose qu'un grand nombre de plaintes déposées auprès de la commission sont traitées par la commission et réglées sans avoir à être portées devant le tribunal.

Mme Mactavish: Je n'ai pas les chiffres exacts mais la commission reçoit des milliers de plaintes chaque année. Il peut y avoir une foule de raisons pour lesquelles elles ne sont pas renvoyées devant le tribunal mais, comme je l'ai indiqué, sur les dizaines de milliers de plaintes que reçoit la commission, elle nous en a transmis une quinzaine l'année dernière.

Le sénateur Lewis: Je suppose que dans certains cas, la commission décide que la plainte n'est pas fondée?

Mme Mactavish: Je dirais que dans la majorité des cas soumis à l'attention des commissaires, c'est la conclusion à laquelle ils arrivent.

Le sénateur Lewis: Et il y d'autres plaintes qui font l'objet de règlements, je suppose?

Mme Mactavish: Probablement, bien que Mme Falardeau- Ramsay soit sans doute mieux placée pour répondre à ces questions.

Le sénateur Cogger: J'ai été stupéfait par les chiffres que vous nous avez donnés quant au temps que met une cause à parvenir à votre tribunal. Je ne vous demanderai pas d'en commenter les raisons. Plus tard nous pourrions envisager d'inviter Mme Falardeau-Ramsay à revenir pour aborder cette question en particulier.

Cette période de 3,5 à quatre ans gêne-t-elle votre travail? Donc, lorsque votre tribunal est saisi d'une cause des droits de la personne, c'est qu'il a été décidé qu'il y a eu violation d'un droit de la personne. Par conséquent, quatre ans pour obtenir une audience devant un tribunal, c'est très long.

Mme Mactavish: C'est nous qui prenons la décision finale quant à savoir s'il y a eu violation d'un droit.

Le sénateur Cogger: Oui, mais il existe des motifs suffisants. Cela n'en reste pas moins un long processus.

Les gens déménagent, prennent leur retraite, meurent. Toutes sortes de choses peuvent se produire en quatre ans. La longueur du processus ne vous crée-t-elle pas des difficultés pour ce qui est d'avoir accès à toutes les preuves voulues et ainsi de suite?

Mme Mactavish: Il n'est pas rare qu'un tribunal doive faire face à des requêtes concernant des problèmes de retard, que des témoins ne soient pas disponibles, que des preuves aient disparu et ainsi de suite.

Le sénateur Cogger: Je propose à mes collègues qu'il serait peut-être sage d'inviter Mme Falardeau-Ramsay à comparaître de nouveau devant nous pour nous aider à éclaircir cette question.

Le sénateur Losier-Cool: Nous n'avions pas fait de commentaires sur cette question à ce moment-là.

Le sénateur Cogger: Non, nous avions parlé de bien d'autres choses.

La présidente: J'ai été atterrée d'apprendre à quel point les délais sont longs. Cependant, le projet de loi dont nous sommes saisis n'en traite probablement pas. Le comité pourrait peut-être accepter que j'envoie une lettre à la commission pour lui exprimer notre étonnement et lui demander des précisions à propos des chiffres cités.

Le sénateur Cogger: Je ne veux pas laisser entendre que nous devrions retarder les travaux sur le projet de loi S-5 en empruntant une autre voie. Nous devrions poursuivre nos travaux. Cependant, si nous ne saisissons pas l'occasion d'inviter Mme Falardeau- Ramsay à revenir, il faudra peut-être attendre encore quatre ou dix ans avant qu'elle comparaisse à nouveau et d'ici là les délais pourraient être de huit ou dix ans.

La présidente: Cela n'a probablement aucun rapport avec la question dont nous sommes saisis. Nous pourrions peut-être en parler plus tard et régler la question plutôt que l'inviter à nouveau, ce qui pourrait retarder tout le processus. Je pourrais peut-être lui envoyer une lettre, au nom du comité, lui demandant de nous apporter des éclaircissements sur les différents chiffres qui ont été cités. Je crois que le témoin a indiqué que la commission commence à améliorer sa performance et que la période d'attente est maintenant de neuf mois. Quoi qu'il en soit, je conviens que nous devrions obtenir des éclaircissements à cet égard, sénateur Cogger.

Le sénateur Jessiman: Le requérant qui comparaît devant vous a-t-il la même responsabilité que le demandeur dans une poursuite au civil? Doit-il prouver le bien-fondé de sa cause selon la prépondérance de la preuve plutôt qu'au-delà d'un doute raisonnable?

Mme Mactavish: Non, on applique la norme de poursuite au civil. Il s'agit en fait d'un déplacement de la charge de la preuve, mais la norme est celle appliquée au civil.

[Français]

Le sénateur Nolin: Mme Mactavish, est-ce que plusieurs membres du tribunal, à l'expiration de leur terme, sont renommés ou s'il y a un roulement?

[Traduction]

Mme Mactavish: Il arrive souvent que des membres soient nommés de nouveau. De plus, le mandat des membres est fréquemment prolongé au lieu d'être renouvelé, pour leur permettre de terminer la preuve. À l'heure actuelle, notre loi ne renferme aucune disposition permettant aux membres de mener à bien les causes qui leur sont confiées si leur mandat expire en cours d'audience. Par conséquent, on prolonge souvent le mandat des membres pour leur permettre de terminer leur travail.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je voudrais attirer votre attention sur l'article 48.3 du projet de loi. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu comment va fonctionner cette procédure de plaintes au ministre de la Justice? Est-ce du droit nouveau? Est-ce que vous avez en ce moment des procédures similaires? Est-ce emprunté à un autre tribunal quasi judiciaire? Comment cela fonctionne-t-il?

[Traduction]

Mme Mactavish: Il s'agit de nouvelles dispositions. Je crois que des dispositions semblables existent dans les lois régissant plusieurs autres tribunaux. Par exemple, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a un processus semblable et je crois que les modifications proposées au Code canadien du travail renferment des dispositions semblables. On a de plus en plus recours à ce type de dispositions dans les lois qui régissent les tribunaux administratifs.

[Français]

Le sénateur Nolin: Comme présidente du tribunal, comment envisagez-vous ces dispositions?

[Traduction]

Mme Mactavish: J'espère que nous n'aurons jamais à nous en servir.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je comprends. Même si cela a été introduit dans des législations assez récentes, il n'en reste pas moins que, selon moi, il s'agit d'une intrusion de bonne foi dans un processus judiciaire. On essaie d'y mettre toutes les formes pour protéger l'indépendance judiciaire et le respect des droits des membres. Ces dispositions nouvelles vont s'appliquer à votre tribunal. Comment envisagez-vous l'application de ces règles?

[Traduction]

Mme Mactavish: J'ai l'impression qu'elles prévoient des mesures disciplinaires assez exhaustives à l'encontre des membres du Tribunal. Je n'ai pas vraiment examiné quelle serait leur application au-delà de ce qui est énoncé ici. Je suppose que chaque cas différerait et devrait être évalué individuellement. Il existe toutefois toute une gamme d'options, depuis le règlement informel et par voie de médiation de plaintes moins graves jusqu'à des enquêtes en bonne et due forme devant un juge de la cour supérieure dans les cas plus graves.

[Français]

Le sénateur Nolin: Est-ce que vous recevez en ce moment plusieurs plaintes concernant les membres de votre tribunal?

[Traduction]

Mme Mactavish: Non. Nous avons très rarement reçu de plaintes.

[Français]

Le sénateur Nolin: Lorsque vous en recevez, comment traitez-vous la plainte qui vous est formulée, sans mentionner de nom de toute évidence?

[Traduction]

Mme Mactavish: Les plaintes sont soumises à l'attention du membre et on détermine la suite à y donner en fonction des circonstances. Généralement, la première étape consiste à les porter à l'attention du membre. Il est très rare que nous recevions des plaintes.

[Français]

Le sénateur Nolin: Dans la procédure non légale et non législative actuelle, je comprends qu'il y a très peu de plaintes. Est-ce que vous vous imposez d'informer le gouverneur en conseil de ces plaintes?

[Traduction]

Mme Mactavish: Y suis-je obligée maintenant?

Le sénateur Nolin: Non. Est-ce que vous vous imposez l'obligation d'en informer le gouverneur en conseil?

Mme Mactavish: Selon le régime actuel?

Le sénateur Nolin: Oui.

Mme Mactavish: Je n'ai jamais eu à le faire.

La présidente: Avez-vous des objections aux dispositions du projet de loi qui confèrent des pouvoirs de réglementation au gouverneur en conseil? Est-ce une question qui vous préoccupe?

Mme Mactavish: Comme je l'ai indiqué, cela est de plus en plus fréquent en ce qui concerne les tribunaux administratifs. Je n'y ai aucune objection.

Le sénateur Doyle: Le tribunal se réunit-il dans la collectivité où la plainte a été déposée?

Mme Mactavish: D'habitude, oui. C'est le tribunal qui décide de l'endroit où l'audience aura lieu, mais à moins que cela soit contesté et qu'il existe des raisons impérieuses qui s'y opposent, nous tenons habituellement l'audience là où la plainte a été déposée.

Le sénateur Doyle: Ces procédures sont-elles ouvertes au public?

Mme Mactavish: Oui.

Le sénateur Doyle: Et à la presse?

Mme Mactavish: Oui.

Le sénateur Doyle: Est-ce que vous publiez ce qu'on pourrait appeler un répertoire -- c'est-à-dire un registre où sont indiqués les causes qui seront entendues ainsi que la date et le lieu des audiences?

Mme Mactavish: Je ne suis pas sûre que, jusqu'à ces dernières semaines, nous les ayons en fait publiés quelque part. Ces renseignements ont toujours été disponibles au registre pour quiconque souhaite en prendre connaissance. Nous venons tout juste de lancer notre site Web et ces renseignements sont disponibles sur Internet.

Le sénateur Doyle: Comment mettez-vous la presse au courant de l'instruction de certaines causes?

Mme Mactavish: La Commission des droits de la personne a pour principe de publier un communiqué lorsque les causes sont renvoyées au tribunal. Si la presse est intéressée, elle se renseigne habituellement auprès du personnel de notre registre pour connaître les dates et les lieux des audiences.

Le sénateur Doyle: Est-ce que la presse assiste à un grand nombre de vos audiences?

Mme Mactavish: Oui, à un assez bon nombre.

Le sénateur Doyle: De toute évidence, l'une des grandes utilités d'avoir un tribunal, mis à part rendre la justice, c'est de sensibiliser le public à propos des risques qu'il y a à faire de la discrimination.

Le sénateur Moore: Madame Mactavish, vous avez indiqué que la période qui s'écoule depuis le renvoi à votre tribunal jusqu'à la décision ou au règlement était en moyenne de 8,83 mois en 1996 et de 4,42 mois en 1997. En un an, cette période a été réduite de moitié. Cela s'est-il fait par suite d'un effort concerté en ce sens ou était-ce uniquement attribuable à la nature de la cause? Comment est-on arrivé à ce résultat?

Mme Mactavish: Cela s'explique par deux facteurs. Je tiens absolument à réduire les délais à notre niveau. C'est l'un des objectifs énoncés dans les rapports que nous présentons au gouvernement chaque année. Le tribunal a pris l'engagement de réduire les délais dans la mesure du possible. Nous avons examiné assidûment les moyens de rationaliser notre processus pour instruire ces causes plus rapidement.

C'est un facteur, mais un facteur de moindre importance. Si ce délai a été réduit de façon aussi remarquable, c'est en fait grâce au processus de médiation. De plus en plus de causes sont réglées par voie de médiation. La médiation permet d'obtenir un nombre incroyable de règlements. Le processus de médiation intervient assez rapidement après le moment où nous sommes saisis de la cause, ce qui explique la réduction des délais.

Le sénateur Jessiman: Lorsque la cause est renvoyée au tribunal, est-ce comme un nouveau procès ou comme l'audition d'un appel?

Mme Mactavish: Aucun procès n'a eu lieu au moment où la cause nous est renvoyée. Il y a eu enquête par la commission, les commissaires ont examiné les résultats de l'enquête, ont pris en compte les facteurs et arrêté leur décision. En vertu de la loi, ils doivent juger qu'une enquête plus approfondie s'impose.

Le sénateur Jessiman: Vous repartez de zéro?

Mme Mactavish: Nous tenons alors une audience et nous convoquons des témoins. Essentiellement, nous n'avons rien à voir avec le travail que la commission a déjà fait. D'habitude, on ne nous fournit pas les rapports d'enquête. Habituellement, lorsque la cause nous est renvoyée, nous recevons une copie du formulaire de plainte. Nous pouvons recevoir certains documents supplémentaires des parties si c'est ce qui est décidé, mais en général nous recommençons à zéro.

Le sénateur Jessiman: Vous procédez alors comme vous le feriez dans le cadre d'un procès: le demandeur présente ses arguments et le défendeur, s'il y a un défendeur, fait de même?

Mme Mactavish: C'est exact.

La présidente: L'article 27 du projet de loi créera de nouvelles dispositions qui autorisent les membres du tribunal de prendre des mesures pour garantir la confidentialité de l'instruction dans certaines circonstances. Donc, ce nouveau tribunal aura le pouvoir supplémentaire de tenir des réunions à huis clos.

Que pensez-vous de ces dispositions?

Mme Mactavish: La loi actuelle prévoit que nos audiences doivent se dérouler en public mais le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de tenir une partie ou la totalité de l'audience a huis clos si les circonstances l'exigent. C'est un pouvoir qui a été exercé avec modération mais il s'agit d'un pouvoir semblable à ceux que les tribunaux exercent. Il ne fait aucun doute qu'en principe, les audiences doivent être publiques.

La présidente: Donc, selon vous, l'article qui figure à la page 20 du projet de loi à l'étude ne vous confère pas de pouvoirs supplémentaires?

Mme Mactavish: Oui. Cette disposition concerne la procédure disciplinaire plutôt que l'audience comme telle.

La présidente: Elle dit que l'audience sera publique à moins qu'une ordonnance ne soit rendue pour en assurer la confidentialité. C'est un élément tout à fait nouveau.

Mme Mactavish: J'ignore si cet ajout change le fond de l'article existant. Il existe un article analogue dans la loi selon lequel les audiences sont publiques, mais le tribunal peut interdire aux membres du public d'assister à une partie de l'audience ou à sa totalité s'il juge que c'est dans l'intérêt public.

Les modifications codifient simplement certains des points dont on tenait compte auparavant. Elles n'entraînent pas de changement significatif dans nos pratiques.

La présidente: Je vous remercie beaucoup. Je vous suis reconnaissante d'être venue ici aujourd'hui. Vous avez répondu à certaines de nos questions et en avez soulevé au moins une.

J'aimerais souligner aux membres du comité que, d'après les bleus du mercredi 5 novembre, Mme Falardeau-Ramsay a dit:

À l'heure actuelle, l'examen d'un cas prend en moyenne neuf mois depuis le dépôt d'une plainte jusqu'à son renvoi au tribunal.

Il faut neuf mois, selon elle. C'est tout un écart par rapport à ce que nous avons entendu aujourd'hui. Il faudrait peut-être obtenir des explications.

Le sénateur Jessiman: Le lui avez-vous dit?

La présidente: Oui. Je le lui ai dit avant qu'elle ne nous quitte.

Le sénateur Jessiman: Qu'a-t-elle répondu?

La présidente: Elle ne peut commenter l'information d'une autre source au sujet du tribunal.

Le sénateur Jessiman: Quelles sont ses sources à elles?

La présidente: Mme Mactavish, le sénateur Jessiman et les autres membres du groupe ont une question à vous poser. Vous avez parlé d'une période de 42 mois environ qui s'écoule, en moyenne, à partir du moment où la plainte est déposée jusqu'à son renvoi au Tribunal. D'où tenez-vous ce chiffre?

Mme Mactavish: Je n'ai pas fait le calcul moi-même. Nous avons examiné les plaintes qui avaient été renvoyées au Tribunal en 1996 et en 1997. Nous nous sommes fiés à la date de dépôt qui figure sur le formulaire de plainte ainsi qu'à la date à laquelle Mme Falardeau-Ramsay m'a transmis les dossiers, en ma qualité de présidente. Nous nous sommes servis de ces deux dates.

La présidente: Je vous remercie beaucoup du renseignement.

Mme Mactavish: Il faudrait préciser que la commission s'efforce de raccourcir cette période. Certes, en ce qui concerne les plaintes qui m'ont été soumises récemment, le processus semble s'être accéléré. Toutefois, c'est ce que nous disent les données statistiques.

Le sénateur Jessiman: Parmi les dossiers dont vous avez été saisis, y en a-t-il eu pour lequel il n'a fallu que neuf mois?

Mme Mactavish: Pas dans le cours normal de nos activités, non.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais que nous réinvitions Mme Falardeau-Ramsay comme témoin.

La présidente: C'est une question au sujet de laquelle le comité aimerait obtenir des précisions.

Les membres du comité accepteraient-ils une réponse écrite de Mme Farladeau-Ramsay?

Des voix: Oui.

Le sénateur Lewis: Les moyennes peuvent cependant être trompeuses, n'est-ce pas?

La présidente: Effectivement. Cependant, l'écart est trop grand dans ce cas-ci.

Le sénateur Cogger: La meilleure façon de s'y prendre serait peut-être d'envoyer à Mme Falardeau-Ramsay les passages pertinents du témoignage que nous venons d'entendre en lui faisant remarquer à quel point les membres du comité en sont étonnés, puis de lui demander si elle a quelque chose à ajouter à ce sujet.

La présidente: Je suis d'accord.

Le prochain groupe de témoins représente les Employeurs des transports et communications de régie fédérale (ETCOF). Il est composé de Dianne Richards, gestionnaire, Relations de travail, B.C. Maritime Employers Association; de George Smith, président du conseil et vice-président, Ressources humaines, Société Radio-Canada; de Lorette Glasheen, gestionnaire, Équité en matière d'emploi, Canadien Pacifique; et de Roger MacDougall, conseiller juridique, Chemins de fer nationaux du Canada.

Mesdames et messieurs, vous avez la parole.

M. George C.B. Smith, président du conseil et vice-président, Ressources humaines, Société Radio-Canada: Nous vous sommes reconnaissants d'avoir invité notre groupe à venir prendre la parole aujourd'hui au sujet d'une question qui lui tient à coeur. Nous tenons d'ailleurs à remercier Mme Colette Charlebois d'avoir bien voulu reporter la date de notre témoignage afin de nous permettre de mieux nous préparer.

Avant de commencer mon exposé, j'aimerais préciser que, bien que les membres du groupe soient associés à diverses sociétés, nous représentons tous l'ETCOF. Le mémoire que nous vous avons envoyé et l'exposé que nous nous apprêtons à vous faire reflètent l'opinion de tous nos membres.

De plus, le point de vue que nous vous exposerons aujourd'hui sera celui de praticiens -- des employeurs et des personnes qui auront, en bout de ligne, à appliquer les mesures adoptées dans des milieux de travail répartis un peu partout au Canada. Ce n'est pas la théorie, mais les applications concrètes et leurs répercussions qui nous intéressent.

Enfin, il importe de noter que nos préoccupations sont peu nombreuses. La plupart d'entre nous acceptent à la fois l'esprit et la lettre des modifications proposées et les appuie chaudement. En effet, nous sommes confrontés à des problèmes en rapport avec cette loi tous les jours, au travail. Donc, bien que nous ayons l'intention de débattre de deux modifications importantes, nous appuyons la grande majorité d'entre elles.

L'ETCOF est un organisme comprenant 24 employeurs et associations d'employeurs qui ont à leur service plus de 400 000 salariés répartis dans des entreprises dont les effectifs varient de dizaines de milliers à quelques dizaines seulement. Notre organisme représente donc toute la gamme des employeurs. Par surcroît, plus de 75 p. 100 des travailleurs que nous employons sont syndiqués. Les relations patronales-syndicales n'ont donc pas de secrets pour nous. En fait, l'ETCOF a été formé en vue d'interagir avec le gouvernement au sujet des lois et des règlements qui ont autant d'importance dans nos milieux de travail.

Le dénominateur commun est que nous sommes tous assujettis à la législation fédérale. Il importe de souligner au comité que la régie fédérale est différente des régies provinciales et que c'est cette différence qui a entraîné la formation de notre organisme. Nos employeurs évoluent tous dans des environnements qui ne s'arrêtent pas aux frontières. Nous comptons plusieurs lieux de travail. Nous comptons souvent plusieurs unités de négociation et des rapports multiples avec les syndicats. Souvent, nos exploitations se déroulent 24 heures sur 24, sept jours par semaine et 365 jours par année. Nous parlons ici de milieux de travail comme des aéroports, des stations de télévision et de radio et des ports. Ce ne sont pas des milieux de travail traditionnels, comme les usines que l'on associe plus couramment aux compétences provinciales. Il est important d'en tenir compte à l'examen des modifications.

Enfin, depuis au moins une décennie, l'ETCOF travaille de concert avec divers ministères et organismes gouvernementaux à divers textes législatifs et réglementaires qui visent ses membres, avec pour seul objectif de faire en sorte que les mesures adoptées sont, dans la mesure du possible, applicables dans les milieux de travail. Nous avons fait savoir au ministère de la Justice et à votre comité, dans notre mémoire, à quel point nous étions déçus de constater que les modifications, particulièrement celles que nous estimons être litigieuses, n'aient pas fait l'objet de consultations plus poussées et sérieuses.

Le processus a été passablement tronqué. Nous estimons que nous aurions pu contribuer davantage à opérationnaliser la loi à l'égard de certains points que nous vous décrirons aujourd'hui.

Le Sénat aura bientôt en main le fruit de cette collaboration, soit le projet de loi C-19 qui fait suite au projet C-66 et qui modifie la partie I du code. L'ETCOF a participé pendant plus de deux ans aux consultations qui ont précédé ce projet de loi, qui représente pour ainsi dire un consensus entre les employeurs, les employés et le gouvernement quant à la façon de modifier la loi.

J'aimerais maintenant m'attarder à deux points importants du projet de loi qui nous posent des problèmes. Le premier concerne la définition de «contrainte excessive».

[Français]

Les membres de l'ETCOF appuient l'obligation d'accommodement en tant que politique sociale et parce qu'il s'agit d'une décision rentable pour leur entreprise.

C'est dans la jurisprudence que se fonde l'obligation d'accommodement et les critères utilisés pour déterminer s'il y a contrainte excessive. Ces critères incluent les domaines de la santé et de la sécurité, les coûts, les modifications de la convention collective, l'efficacité de l'exploitation, les répercussions sur la qualité du service et les effets préjudiciables indus sur les autres membres du personnel.

Le projet de loi S-5 limite ces critères à trois secteurs: la santé, la sécurité et les coûts, et néglige d'inclure d'autres facteurs reconnus par la Cour suprême du Canada et les commissions ou les tribunaux des droits de la personne.

[Traduction]

L'essentiel à retenir, c'est que les employeurs de l'ETCOF font des accommodements et sont réglementés à cet égard, mais qu'ils ont besoin d'un régime avec lequel ils peuvent vivre. En réalité, nous avons évolué jusqu'ici sous un régime défini par les tribunaux. Il reconnaît entre autres des facteurs comme les dérogations aux conventions collectives et aux autres droits des employés et laisse entendre qu'il faudrait au moins en tenir compte lorsqu'on essaie de décider s'il y a contrainte excessive.

Ce fait préoccupe particulièrement les membres de l'ETCOF. Comme je l'ai mentionné, nous devons souvent composer avec de multiples agents et unités de négociation et une série complexe de listes d'ancienneté. Nous évoluons dans un contexte de travail commercial très complexe au sein duquel s'opposent plusieurs intérêts. Pour que la présente loi puisse être appliquée, il faut tenir compte de cette réalité.

La gestion se fait actuellement en fonction de ce régime, et nous estimons qu'en le changeant, vous nous obligerez à le redéfinir à un coût extrême pour tous. Nous craignons que le fait de limiter les critères à trois facteurs n'incite peut-être la commission des droits de la personne à ne tenir compte que de ces seuls facteurs. Si ce n'est pas ce qui est envisagé, nous estimons qu'il faudrait le préciser dans le texte de loi.

À la page 9 de notre mémoire, nous proposons un libellé qui rendrait la loi moins restrictive, qui donnerait un peu plus de jeu, en ce sens qu'elle laisserait aux employeurs, aux employés, aux agents de négociation et, en bout de ligne, aux tribunaux, plus de souplesse dans l'interprétation des accommodements.

Notre seconde préoccupation a trait aux plaintes dont il est impossible d'identifier les victimes en ce qui concerne la fourniture de biens et services. Nous estimons que la loi fédérale donne déjà plus de latitude que d'autres codes des droits de la personne. En Ontario, par exemple, il faut que la plainte soit déposée par une personne identifiable, aussi bien dans le contexte de l'emploi que dans celui des services. S'il faut faire des accommodements à l'égard d'une personne, il faut au départ pouvoir définir ses besoins.

Le libellé projeté permettrait à des groupes d'intérêt de déposer des plaintes abstraites exigeant la prise de mesures d'adaptation au titre des services. S'il est impossible d'identifier la victime, il est très difficile, voire impossible, d'évaluer la nécessité et l'opportunité de faire les accommodements requis et de juger de la pertinence de la solution.

Nous sommes régulièrement appelés à faire des accommodements à la pièce. Les plaintes dont il est impossible d'identifier les victimes obligent les fournisseurs de services à se pencher sur des besoins hypothétiques et abstraits, ce qui entraîne des dépenses inutiles de temps, d'énergie et d'argent. Nous préférons les réserver à des situations réelles en milieu de travail. Il nous a été impossible de trouver des faits justifiant le besoin de modifier la loi en ce sens, et nous demandons donc que cette disposition soit retranchée du projet de loi.

Pour ce qui est des deux points soulevés, vus sous l'angle de leurs répercussions concrètes, si les critères définissant la «contrainte excessive» sont limités, nous estimons que les règles du jeu seront changées. Celles que nous avons suivies jusqu'ici avaient été établies dans l'affaire Central Alberta Dairy Pool et d'autre cas. Adoptées par les employeurs, elles sont à la base de leurs décisions et des accommodements. Je souligne que nous faisons régulièrement de pareils accommodements.

Nous estimons qu'il n'est pas dans le meilleur intérêt du gouvernement, des syndicats, des employeurs et des personnes handicapées de redéfinir les critères et d'en refaire l'interprétation dans le contexte restreint auquel ils s'appliquent. L'investissement que ces parties ont déjà fait en vue de définir un régime qui fonctionne et qui est applicable serait perdu s'il fallait tout reprendre de la case départ. Nous estimons que le processus actuel a évolué à un point tel qu'il est compris par tous et qu'il donne les résultats recherchés.

Si l'on autorise les plaintes dont il est impossible d'identifier les victimes, nous estimons que l'on détournera inutilement d'importantes ressources en temps, en énergie et en argent des vrais problèmes et des vrais besoins. On s'efforcera de régler des problèmes abstraits, comme s'il n'y avait pas déjà assez de problèmes à régler comme cela, problèmes que nous sommes habitués de traiter au cas par cas.

En résumé, voici ce que nous proposons.

[Français]

Premièrement, d'augmenter le nombre des critères relatifs à la contrainte excessive de manière à respecter ce qui a déjà été établi par la Cour suprême du Canada et d'autres tribunaux des droits de la personne.

Deuxièmement, d'éliminer toute référence aux plaintes dont il est impossible d'identifier la victime en ce qui concerne la fourniture des biens et des services jusqu'à ce qu'il puisse être prouvé que la loi actuelle est insuffisante.

[Traduction]

Ce que nous souhaitons, en fin de compte, c'est une loi qui permette les accommodements et qui mette en équilibre les intérêts opposés qui existent dans nos milieux de travail complexes.

La présidente: Je vous remercie beaucoup de cet exposé.

Le sénateur Gigantès: Je ne suis pas très sûr d'avoir bien compris ce que vous nous avez dit au sujet des plaintes. Est-ce qu'il ne faudrait pas consacrer de temps ou d'argent aux plaintes des victimes? Qu'êtes-vous en train de dire au juste?

Mme Dianne Richards, gestionnaire, Relations de travail, B.C. Maritime Employers Association, Employeurs des transports et communications de régie fédérale: Ce n'est pas ce que nous avons laissé entendre. Nous disons que nous avons investi beaucoup de temps et d'énergie -- par l'intermédiaire des tribunaux et du gouvernement -- à définir les critères en fonction desquels nous satisfaisons les besoins des personnes qui travaillent chez nous. Il faudrait conserver ces critères plutôt que de les abolir ou de réduire ceux qu'ont établis les tribunaux aux seuls trois critères prévus dans le projet de loi S-5, soit la santé, la sécurité et le coût, puis d'avoir à dépenser des montants additionnels pour en interpréter à nouveau le sens.

Nous ne disons pas qu'il ne faut pas satisfaire aux besoins des personnes. Au contraire, puisque nous le faisons déjà! Nous voulons pouvoir continuer de le faire. Si les critères sont modifiés, nous craignons qu'il ne faille encore investir beaucoup de temps et d'énergie à les faire définir par les tribunaux.

Le sénateur Gigantès: Êtes-vous en train de dire que, dans le cadre des trois critères existants -- Thank you. pas les trois qu'il faudrait définir --, il n'y a pas de plainte?

Mme Richards: Non, ce n'est pas ce que je dis. Il y a encore des plaintes, mais nous avons une idée des règles à suivre pour satisfaire aux besoins des personnes.

M. Roger MacDougall, conseiller juridique, Chemins de fer nationaux du Canada, Employeurs des transports et communications de régie fédérale: Je puis peut-être faire une petite contribution.

La loi actuelle et la loi projetée permettent indubitablement et continuent de permettre le dépôt de plaintes individuelles. Cela ne nous préoccupe pas du tout. Il est aussi vrai que la loi actuelle et la loi projetée prévoient que des organismes peuvent, au nom d'employés non identifiés, déposer des plaintes dont il est impossible d'identifier les victimes.

Nous sommes opposés à une modification projetée qui va encore plus loin. C'est celle qui permet à des organismes, non pas à des particuliers, de déposer des plaintes en matière de fourniture de services. En d'autres mots, sous le régime de la loi actuelle, il existe une dynamique entre l'employé et l'employeur. Il est tout à fait justifiable et raisonnable qu'une personne puisse hésiter à déposer une plainte. Par conséquent, la loi actuelle tout comme la loi projetée permettent à des organismes de déposer des plaintes au nom de cette personne. Cela ne nous pose pas de problème.

Par contre, la loi va plus loin, en ce sens qu'elle propose de permettre aux clients auxquels nous fournissons des services de faire déposer des plaintes par des organismes les représentant. La dynamique est alors faussée. Il ne s'agit certes pas de la même dynamique qu'entre l'employeur et l'employé. Pour que nous donnions suite aux plaintes du client, il est beaucoup plus utile de porter la plainte réelle à notre attention, de sorte que nous puissions y donner suite.

Le sénateur Gigantès: Nous avons entendu des témoins qui appuyaient cette nouvelle disposition. Selon eux, souvent, certains groupes de clients ou certains genres de personnes sont intimidés par les grandes sociétés ou les grandes banques ou les craignent.

Quelqu'un a dit que, si l'on se plaint et que l'on est seul, on ne rencontrera probablement pas le directeur de la succursale, mais bien un garde de sécurité qui nous montrera la porte. D'où la disposition dont il est question et qui permettrait de déposer une plainte collective.

Si un groupe important représentant de nombreux membres se plaint, il est probable qu'on lui prêtera une oreille un peu plus attentive qu'à, par exemple, la jeune femme d'une minorité visible ayant à sa traîne de jeunes enfants et ayant peut-être un trouble de la parole.

C'est ce qu'on a essayé de me faire subir au lub Price, la fin de semaine dernière. Bien sûr, je n'ai pas dit que j'étais sénateur. Je n'étais qu'un pauvre petit vieillard accompagné de son petit-fils. On essayait de me marcher sur les pieds. Je sais comment m'y prendre dans pareilles situations, mais beaucoup d'autres ne le savent pas.

M. Smith: Je ne sais pas ce que les autres groupes ont dit, mais d'après notre expérience, cette façon d'agir ne peut que nuire à l'entreprise. Si une personne se sent intimidée par les agents de bord et décide de voyager avec une autre compagnie aérienne, ce n'est tout simplement pas bon pour l'entreprise.

Ce que nous voulons, c'est nous attaquer à la source du problème. Les plaintes sont déjà assez difficiles à régler lorsqu'elles sont concrètes et réelles. Les choses se compliquent lorsqu'il agit de plaintes abstraites. Nous avons déjà assez de plaintes concrètes sur lesquelles nous pencher. Ce que nous craignons, c'est d'être confrontés à un problème que nous ne pourrons régler de façon concrète au moyen de mesures d'adaptation.

Le sénateur Gigantès: Laissons de côté la société mère que vous représentez, et restons avec les banques.

Supposons que le plaignant est une personne dont la banque préférerait ne pas avoir comme cliente ou dont la banque ne veut encaisser le chèque de sécurité sociale parce que cette personne n'a pas de compte bancaire. La banque ne sait pas si le chèque est bon, et elle préférerait que cette personne quitte les lieux. Supposons qu'il s'agit ici d'une femme appartenant à un groupe minoritaire visible, qui est accompagnée de deux enfants et qui ne maîtrise pas bien la langue. D'après ce que certains témoins nous ont dit, cette femme va être dirigée vers le commissaire, qui va lui montrer la porte. Elle n'aura pas l'occasion de rencontrer le directeur de banque.

M. Smith: Je tiens à préciser que les banques ne figurent pas parmi nos sociétés membres. Il serait injuste de ma part de répondre à cette question au nom des banques. Je crois comprendre que les représentants des banques vont comparaître devant le comité.

La présidente: Nous allons avoir l'occasion de les entendre la semaine prochaine.

Le sénateur Gigantès: Pouvons-nous parler des compagnies aériennes et des surréservations qu'elles font? Je me suis fait dire à maintes reprises: «Nous sommes désolés, vous avez un billet, mais il n'y a pas de place à bord de l'avion parce que nous avons fait trop de réservations.» Qu'est-ce que je fais dans ces cas-là? J'attends. Je vais rater une réunion, et puis après? Toutefois, supposons que cela arrive à une personne qui a l'habitude de se faire harceler et qui n'aime pas ça. Les compagnies aériennes le font tout le temps, et vous le savez.

M. Smith: Nous ne sommes pas exactement du même avis.

Les compagnies aériennes ici présentes ont fait beaucoup de progrès au chapitre des mesures d'adaptation pour répondre aux besoins des particuliers. Et c'est exactement là où nous voulons en venir -- chaque personne a des besoins qui lui sont particuliers. Prenons l'exemple de la personne en chaise roulante qui doit prendre l'avion, mais qui vit dans une localité éloignée desservie par un type d'avion difficilement adaptable. Les compagnies aériennes l'ont l'habitude de régler ce genre de problème au «cas par cas». Elles font de leur mieux pour répondre aux besoins particuliers des gens.

Si un groupe décidait de déposer collectivement une plainte contre des compagnies aériennes, celles-ci auraient beaucoup de difficulté à réagir parce qu'elles sont habituées à régler les problèmes au cas par cas.

Le sénateur Gigantès: Lorsque vous faites de la surréservation, est-ce que vous tenez compte des besoins de la personne que vous venez de déloger? Par exemple, il se peut que cette personne ait une entrevue le lendemain, qu'elle arrive en retard ou qu'elle la rate parce que la compagnie a accepté un trop grand nombre de réservations.

La présidente: Sénateur Gigantès, vous posez des questions hypothétiques.

Le sénateur Gigantès: Non. Ce sont des situations réelles. J'ai un jeune parent qui a vécu cette situation.

Le sénateur Cogger: C'est une autre victime qui a porté plainte.

La présidente: L'Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales, quand elle a comparu devant le comité, a parlé de cet amendement. Elle a dit qu'il faut absolument s'attaquer aux lieux de travail où l'atmosphère est empoisonnée et où la victime ne peut s'identifier ou refuse de le faire. Cet amendement permettra à une personne autre que la victime de porter plainte en son nom. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Richards: La loi permet déjà le dépôt de plaintes dans le contexte de l'emploi par des personnes non identifiables. Ces dispositions existent déjà dans la loi. L'amendement englobe les plaintes déposées par des victimes non identifiables dans le contexte des services.

Nous sommes en faveur de l'idée de déposer des plaintes abstraites dans le contexte de l'emploi en raison de la dynamique qui existe entre l'employeur, l'employé ou l'employé éventuel, soit celui qui va poser sa candidature pour un poste dans une entreprise.

La présidente: Vous traitez déjà les plaintes dont la victime n'est pas identifiable.

Mme Richards: Dans le contexte de l'emploi, oui.

Le sénateur Gigantès: Pas celles qui sont déposées par les clients.

La présidente: Pas celles qui sont déposées par les clients, mais par les employés.

Vous avez raison, sénateur Gigantès, votre question était pertinente.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que votre groupe a comparu devant le comité de la Chambre qui a examiné ce projet de loi?

Mme Richards: Le projet de loi n'a jamais été examiné par le comité. Il a franchi l'étape de la première lecture.

Le sénateur Jessiman: Il n'a jamais été envoyé au comité?

Mme Richards: Non.

La présidente: Il a été déposé au Sénat.

Le sénateur Jessiman: Je comprends.

M. Smith: C'est une première pour nous aussi.

Le sénateur Cogger: J'ai lu votre mémoire et il y a deux points que j'aimerais aborder avec vous.

J'ai tendance à penser comme vous pour ce qui est des plaintes dont la victime n'est pas identifiable. En fait, il est injuste de demander aux cours de justice ou aux tribunaux de rendre un jugement sur des plaines abstraites.

Le sénateur Kinsella, qui a assisté à la dernière réunion, a soulevé la question des décisions rendues d'avance, mécanisme qui est déjà prévu dans d'autres lois. Je ne dis pas que ces décisions sont la contrepartie des plaintes abstraites, mais elles constituent peut-être la meilleure solution qui existe.

Est-ce que une approche que vous préconisez? Est-ce que vous préféreriez cette formule à celle-ci?

M. MacDougall: Absolument pas. Le mécanisme auquel le sénateur Kinsella faisait allusion découle de la loi du Nouveau-Brunswick, qui précise qu'une personne peut s'adresser à une commission ou à un tribunal dans le but de déterminer, par anticipation, si une exigence professionnelle est justifiée ou non. C'est une formule que nous serions prêts à envisager. Nous n'avons pas vraiment discuté de cette question avec les membres de l'ETCOF, mais c'est un concept qui ne figure pas dans la loi actuelle ou dans le projet de loi S-5.

J'aimerais ajouter quelque chose au point que le sénateur Kinsella a soulevé concernant les exigences professionnelles justifiées. Si l'exigence professionnelle est justifiée et incontournable, il ne sera peut-être pas nécessaire, dans des cas bien précis, de prendre des mesures d'adaptation. Cette modalité est prévue par la loi actuelle. Le projet de loi S-5 s'écarte de ce principe et, en fait, l'élimine. Il dispose qu'on peut uniquement invoquer que les exigences professionnelles sont justifiées si l'on démontre que les mesures d'adaptation qui doivent être prises constituent une contrainte excessive. Alors, soit vous avez pris des mesures d'adaptation, soit vous ne pouvez pas en prendre. Dans ce cas, le concept des exigences professionnelles justifiées n'est pas applicable.

Le sénateur Cogger: Concernant les critères qui permettent de déterminer s'il y a contrainte excessive ou non, lorsque Mme Falardeau-Ramsay a comparu devant le comité, elle a déclaré qu'elle opterait pour le plan B, la deuxième option que vous avez mentionnée, à savoir que, dans l'éventualité où une longue liste de facteurs ne paraîtrait pas souhaitable, l'ETCOF propose que la notion de contrainte excessive ne soit pas définie.

Autrement dit, lorsqu'on lui a posé la question, Mme Falardeau-Ramsay a dit qu'il était préférable de garder les mots «contrainte excessive» et de supprimer les mots «en matière de santé», ainsi de suite.

La suggestion de Mme Falardeau-Ramsay découle du fait que l'on a constaté, entre autres, que la valeur architecturale ou patrimoniale, par exemple, de certains édifices était prise en compte parce que ce facteur pouvait toujours tomber sous le coup du critère des coûts. Je ne suis pas contre l'idée. Je préférerais supprimer ces mots. Avez-vous eu connaissance de la suggestion qu'a faite Mme Falardeau-Ramsay?

M. MacDougall: Je crois que M. Jackman a proposé quelque chose de similaire pour au moins un des trois critères.

Nous serions d'accord avec cette proposition. La Cour suprême a passé des décennies à définir les critères qui devraient être appliqués dans des circonstances précises. Ces critères peuvent être appliqués dans certains cas, et seulement certains peuvent l'être dans d'autres. Mais ce qui importe, c'est que l'organe judiciaire ou quasi-judiciaire chargé de prendre une décision pourra les prendre en compte. Sans cette souplesse, nous serions obligés d'assujettir toutes les autres mesures d'adaptation, qui sont réelles et imposantes, à ces trois critères. À notre avis, il est beaucoup plus préférable, pour toutes les parties, de s'en tenir aux définitions que la Cour suprême a établies après mûre réflexion.

Nous pourrions supprimer les neuf derniers mots du paragraphe 10(2) du projet de loi.

La présidente: Avant d'aller plus loin, pourriez-vous expliquer encore une fois aux membres du comité qui ne sont pas avocats ce que veut dire l'expression «exigence professionnelle justifiée». M. MacDougall, il est évident que vous êtes un avocat.

M. MacDougall: J'étais ingénieur avant cela.

La Cour suprême a essayé, pendant plusieurs années, de définir ce concept. Au lieu de vous l'expliquer, je vais vous donner quelques exemples concrets. Cela pourrait vous être utile.

Le port d'un casque protecteur peut constituer une exigence professionnelle pour des raisons de sécurité, sauf qu'elle peut aller à l'encontre de certains principes religieux. Les tribunaux ont essayé de déterminer si le port d'un casque constitue ou non une exigence professionnelle justifiée. Autrement dit, est-ce que ce travail exige vraiment le port d'un casque protecteur? Il faut considérer, d'une part, le respect des principes religieux et, d'autre part, la nécessité de porter un casque protecteur à des fins professionnelles.

Le sénateur Gigantès: Vous voulez dire pour effectuer le travail en toute sécurité?

M. MacDougall: Oui. Est-ce que ces explications vous aident?

Le sénateur Gigantès: Oui, merci. C'est ce que vous auriez dû dire la première fois.

Le sénateur Doyle: J'aimerais revenir aux définitions. J'ai examiné tout le projet de loi et je n'ai pas réussi à trouver la définition de «victime non identifiable».

La présidente: Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par cela?

Le sénateur Doyle: Vous avez peut-être tous les deux une interprétation différente.

Mme Richards: L'expression «victime non identifiable» signifie qu'il n'y a pas de victime précise qui soit identifiable. La plainte peut être déposée par un organisme au nom d'un groupe. Pour nous, une victime, par opposition à une «victime non identifiable», c'est une personne à qui vous pouvez parler. Si une personne nous dit qu'elle a des besoins particuliers, nous pouvons nous asseoir avec elle et trouver les mesures d'adaptation qui sauront la satisfaire. Lorsqu'une victime n'est pas identifiable, la plainte est abstraite. Nous ne pouvons pas nous asseoir avec la personne et lui demander: «Quelles sont les mesures d'adaptation qui vous conviendraient?» Les intérêts de la personne qui a des besoins particuliers sont mieux servis lorsque nous pouvons nous asseoir avec elle, avec la victime identifiable si vous voulez, et discuter ensemble des mesures d'adaptation qui doivent être prises.

Le sénateur Doyle: Ne pourriez-vous pas appeler cela une plainte collective ou quelque chose de ce genre? Je trouve bizarre qu'on traite de cette question dans un code sur les droits de la personne. Vous pouvez dire qu'il y a des victimes, mais il s'agit de groupes de victimes, pas d'une victime en particulier. Le fait d'avoir des «victimes non identifiables» signifie, même pour le sénateur Gigantès, qu'il n'y a pas de victimes.

Mme Richards: Ce n'est pas ce que nous disons.

Le président: Ce que nous voulons dire, c'est qu'une plainte peut être déposée contre une compagnie qui se montre discriminatoire envers les personnes de race noire. Dans ce cas-là, il n'y a pas seule une victime, sauf que les victimes sont certainement identifiables.

M. MacDougall: Le libellé n'est peut-être pas le meilleur, mais si vous jetez un coup d'oeil sur le paragraphe 23(2) du projet de loi, vous allez constater qu'il englobe des situations où la victime ne peut être identifiée. Nous nous sommes inspirés de ce libellé dans notre mémoire. Il est vrai qu'on aurait peut-être pu choisir des termes plus appropriés.

Le sénateur Cogger: J'aimerais vous poser une question en tant qu'avocat. Si cette disposition précise qu'aucune personne en particulier ne peut être identifiée comme victime, ai-je raison de dire qu'il se peut qu'il n'y ait pas de victime du tout?

M. MacDougall: Oui.

Le sénateur Doyle: Il pourrait toutefois y en avoir.

Le sénateur Cogger: Oui. Mais comment le prouver?

Le sénateur Doyle: Lorsqu'on lance des insultes à des gens de race noire, on appelle cela de la discrimination raciale. Ce n'est pas une personne en particulier qui a été insultée, mais plusieurs d'entre elles. On ne peut pas parler dans ce cas-là de victimes non identifiables.

Si quelqu'un enlève ses vêtements et se met à courir tout nu, vous ne serez pas en mesure d'identifier une victime en particulier. Toutefois, vous savez que cette personne a commis un outrage, peut-être un outrage à la pudeur. Je trouve ridicule qu'on parle de plaintes abstraites dans un projet de loi sur les droits de la personne. Si j'insiste là-dessus, c'est parce que, habituellement, je n'ai pas tendance à le faire quand il est question d'autres types de crime.

La présidente: Je pense que cette forme de discrimination est déjà jugée illicite dans le contexte de l'emploi. Toutefois, ce projet de loi permettrait le dépôt de plaintes dans le contexte des services.

M. Smith: C'est exact.

Le sénateur Gigantès: Je vais vous donner un exemple qui ne relève peut-être pas de votre domaine, mais qui va vous illustrer ce que j'essaie de dire.

Une de mes anciennes adjointes a obtenu un poste d'enseignante dans une autre ville. Elle a effectué un stage d'un an. Le directeur du département voulait avoir des relations sexuelles avec elle. Elle a refusé. Il a refusé de signer les documents attestant qu'elle possédait les aptitudes requises pour le poste, et elle est allée enseigner dans une autre école. Je lui ai demandé pourquoi elle n'a pas porté plainte à la Commission des droits de la personne. Elle m'a répondu: «Aucune autre école ne m'aurait embauchée, parce que j'aurais été perçue comme un fauteur de troubles.»

Je vais vous donner un autre exemple. Supposons qu'une entreprise décide de réduire ses effectifs. Voudriez-vous être perçue, au sein de l'entreprise, comme une personne qui ne cesse de se plaindre? Allez-vous figurer en tête de liste des personnes qui vont être renvoyées? Vous voudriez peut-être, dans ce cas-là, qu'un groupe défende vos intérêts à votre place.

Le libellé que vous nous avez lu ne dit pas qu'il n'y a pas nécessairement de victime. Il parle d'une victime qui n'est pas identifiable. Il y a des victimes qui ne veulent pas être identifiées.

Mme Richards: Nous sommes d'accord avec vous sur ce point. La loi prévoit déjà que, dans le contexte de l'emploi, la victime n'a pas à s'identifier. Elle pourrait être représentée par un organisme. Il n'est pas nécessaire que la personne qui dépose une plainte dans le contexte de l'emploi s'identifie.

Le projet de loi S-5 traite uniquement des produits et services. Dans la loi actuelle, il faut qu'une victime puisse être identifiée. C'est là la différence. Nous sommes d'accord avec la loi actuelle en ce qui concerne l'emploi. Ce qui nous inquiète, c'est la partie relative aux produits et services.

Le sénateur Gigantès: Nous en revenons aux banques ou aux passagers refoulés.

Le sénateur Lewis: J'aimerais m'attarder sur vos observations à propos des critères relatifs à la «contrainte excessive».

Je remarque dans votre mémoire que vous proposez une façon de modifier le libellé de l'article 10 du projet de loi.

Vous proposez, au lieu d'une longue liste de facteurs éventuels, que le concept de «contrainte excessive» demeure non défini de façon que les critères fixés par les tribunaux et les cours des droits de la personne continuent de s'appliquer.

Si l'on examine l'article 10 du projet de loi qui renvoie au paragraphe 15(2), que feriez-vous? Supprimeriez-vous les cinq derniers mots de ce paragraphe?

Mme Lorette Glasheen, chef, Équité en matière d'emploi, Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Employeurs des transports et communications de régie fédérale: Exactement.

Le sénateur Lewis: Que prévoit la loi actuelle?

M. MacDougall: Sous son libellé actuel, la loi ne prévoit ni accommodement raisonnable ni contrainte excessive. Ce sont des concepts introduits par les tribunaux pour la mise en application de la loi telle qu'elle se présente aujourd'hui. Elle n'en fait absolument aucune mention.

Le sénateur Lewis: Ce qui me frappe, c'est que nous ne serons jamais en mesure de définir absolument le concept de contrainte excessive. Il vaudrait donc mieux s'en remettre aux tribunaux.

M. Smith: Ce que nous essayons de dire, c'est qu'en général, les personnes intéressées commencent à comprendre que l'ensemble du droit, la jurisprudence et la pratique du droit ont évolué et renferment ce concept d'accommodement. Perturber ce qui s'est produit jusqu'à aujourd'hui équivaudrait, dans un certain sens, à recommencer à zéro, alors que selon nous, des progrès importants ont été réalisés.

Mme Glasheen: Il suffit d'examiner la situation des personnes handicapées en matière d'accommodements et de changements dans le contexte des sept dernières années pour s'apercevoir que les progrès réalisés sont importants. Le pourcentage des personnes handicapées qui font l'objet de nouvelles embauches a plus que doublé. Comme l'a dit le sénateur Gigantès, cela s'est produit au cours d'une période de réduction d'effectifs. Par rapport à l'emploi total, ce pourcentage a augmenté de plus de 70 p. 100.

N'oubliez pas qu'il s'agit de statistiques officielles dont on ne parle pas trop à cause de controverses à propos des définitions. La réduction des effectifs a été importante. Au cours de l'année, la situation s'est améliorée grâce à la mise en vigueur le mois dernier de la nouvelle Loi sur l'équité en matière d'emploi. La Commission des droits de la personne vérifie déjà si les employeurs visés respectent les droits de la personne.

D'après nous, le système fonctionne bien et commence à porter fruit. Nous pensons qu'il est de plus en plus prometteur pour l'avenir, malgré les problèmes difficiles auxquels les employeurs sont confrontés sur le marché.

Selon nous, si tout marche bien, pourquoi intervenir?

Le sénateur Lewis: Si je comprends bien, vous vous inquiétez au sujet des mots «en matière de coûts, de santé et de sécurité», car vous ne savez pas comment ils pourraient être interprétés.

Mme Glasheen: En plus, nous avons une vaste gamme de critères que ces trois-là n'englobent pas. Nous nous préoccupons entre autres de l'effet sur les autres employés. Si nous discutons d'un accommodement en milieu de travail pour une personne qui en aurait besoin, cela a nécessairement un effet sur les autres employés.

Ce critère particulier ne se retrouve pas dans les trois prévus. Qu'est-ce que cela va donner? Nous pensons que cela ne manquera pas de ralentir les progrès que nous avons pu réaliser dans des circonstances très difficiles. Peut-être cela créera-t-il davantage de controverse. Peut-être cela aura-t-il un effet contraire aux bonnes intentions sous-jacentes à cette amélioration. C'est paradoxal. Le fait d'avoir moins de critères pourrait se traduire par une diminution des possibilités d'accommodement, ce qui est quasiment contre-intuitif.

On a l'impression que les employeurs cherchent à éviter d'améliorer les circonstances qui suscitent de tels accommodements. En fait, c'est le contraire. C'est tout à fait paradoxal.

Le sénateur Gigantès: Je ne comprends pas bien pourquoi vous laissez entendre qu'il vaut mieux que les critères demeurent non définis.

Mme Richards: Les critères ont été définis par la Cour suprême et par les tribunaux. Nous disons simplement de ne pas les inscrire dans la loi. Ils sont définis par les cours et les tribunaux.

Le sénateur Gigantès: C'est ce qui fait problème. Avant l'invention de la démocratie occidentale et du système juridique occidental en l'an 594 av. J.-C, seuls les patrons savaient ce qu'étaient les critères. La publication des lois de manière que tout un chacun puisse les lire est l'un des grands changements apportés jusqu'à ce jour. Je ne suis pas vraiment d'accord et pense que les critères doivent être publiés dans quelques catégories simples et universelles ou exprimés dans des termes représentant des catégories, de manière que les gens puissent être informés à cet égard.

Vous dites ensuite que cela a un effet sur les autres employés et qu'il n'en est pas fait mention. Aimeriez-vous qu'il en soit fait mention? Aimeriez-vous en ajouter?

Mme Richards: Nous suggérons dans notre mémoire d'élargir les critères. S'il doit y avoir des critères dans la loi, nous aimerions qu'ils soient élargis et dépassent les critères de coûts, de santé et de sécurité.

Le sénateur Gigantès: Ces trois mots ne représentent pas des critères particuliers, mais de vastes catégories pouvant englober de nombreux critères.

Mme Richards: L'effet sur les collègues et sur le milieu de travail ne rentre pas les catégories de coûts, de santé et de sécurité.

Le sénateur Gigantès: Cet effet peut relever de la sécurité ou de la santé. Le stress est une question de santé.

Mme Richards: Imaginons le cas d'une employée qui aurait besoin d'un accommodement particulier pour se rendre au travail et que le moyen de transport nécessaire ne lui est offert que du lundi au vendredi. Cette personne ne peut pas travailler les samedis et dimanches. Une de ses collègues doit répondre à ses besoins et accepter de travailler la fin de semaine. Si cette collègue est une mère célibataire avec deux enfants et qu'elle ne peut être avec ses enfants que les fins de semaine, le fait de répondre aux besoins de sa collègue handicapée a un grand effet sur elle.

C'est ce que nous voulons dire par effet sur les autres employés du lieu de travail. Nous craignons que le fait d'éliminer ce critère n'entraîne de contre-coup, une fois ces mesures d'accommodement mises en oeuvre. Ce critère est pris en compte dans les arrêts de la Cour suprême. Nous demandons que ce genre de critère soit prévu dans la loi. Si vous voulez publier les lois, englobez-y tous les critères définis par la Cour suprême et par les tribunaux, critères que nous respectons.

Le sénateur Gigantès: Merci pour votre excellente réponse.

La présidente: Je tiens à remercier votre groupe.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant entendre des représentants du Conseil des Canadiens avec déficiences.

Bienvenue au comité. Je vous cède la parole.

M. Eric Norman, président national, Conseil des Canadiens avec déficiences: J'aimerais prendre quelques minutes pour présenter au comité l'organisation qui va s'adresser à vous. Il est important que vous sachiez ce que nous représentons. Ce soir, vous allez entendre les représentants des Canadiens avec déficiences. Dix-sept pour-cent des Canadiens déclarent avoir une déficience d'un type ou d'un autre.

Dans huit provinces sur dix, les personnes avec diverses sortes de déficiences se regroupent et forment des associations pour promouvoir leurs droits en tant que citoyens au sein de leurs provinces. Dans de nombreux cas, leurs organisations sont composées de groupes représentant des villes et des municipalités.

Ces huit groupes provinciaux se regroupent au plan national. Avec les groupes nationaux représentant les personnes avec une seule déficience, ils forment le Conseil des Canadiens avec déficiences. Ce conseil est le porte-parole des Canadiens avec déficiences auprès des gouvernements de tous les paliers. Le CCD est l'interlocuteur du gouvernement national du Canada. Nous parlons dans la plupart des cas de questions de citoyenneté. Votre comité nous est d'un grand intérêt.

Le CCD est doté de comités dont celui des droits de la personne, présidé par M. Hugh Scher. C'est lui qui va prendre la parole en premier lieu, avant la vice-présidente du CCD, Mme Lucie Lemieux-Brassard.

M. Hugh Scher, président, Comité des droits de la personne, Conseil des Canadiens avec déficiences: Honorables sénateurs, vous avez entendu ce qu'est le CCD et ce qu'il représente. J'aimerais maintenant vous décrire les étapes qui nous ont conduits jusqu'à vous aujourd'hui.

L'obligation d'accommodement est un concept que les personnes avec déficiences considèrent comme essentiel pour leur intégration et leur inclusion dans la société. C'est un concept qui a été reconnu et adopté par tous les régimes législatifs provinciaux en matière de droits de la personne. C'est un concept qui a été reconnu et confirmé par les tribunaux. C'est ce qui garantit aux personnes avec déficiences qu'elles bénéficient de l'égalité d'accès et de l'égalité des chances offertes aux citoyens en matière d'emploi, de transport et pour tout ce qui touche les produits, les services et l'emploi au Canada.

La Loi canadienne sur les droits de la personne est l'instrument essentiel qui garantit les droits fondamentaux de la personne des personnes avec déficiences et de tous les habitants du Canada. À part cela, bien sûr, c'est la Charte canadienne des droits et libertés qui assure cette protection. Les personnes avec déficiences sont reconnues aux termes de l'article 15 de la Charte des droits et libertés. C'est de l'article 15 de la Charte des droits et libertés que découlent les diverses lois sur les droits de la personne promulguées dans les provinces et au niveau fédéral, lois qui garantissent l'égalité d'accès et de chance aux personnes avec déficiences dans tous les aspects de la vie.

Comme les tribunaux l'ont reconnu, nous parlons ici d'une question quasi-constitutionnelle qui est des plus intégrantes et importantes pour la vie quotidienne des Canadiens avec déficiences. Elle influe sur la façon dont nous travaillons, dont nous voyageons et dont nous communiquons -- tous les aspects de la vie sociale, politique et économique des Canadiens avec déficiences.

Depuis la promulgation de l'article 15 de la Charte des droits et libertés--garantie en matière d'égalité--soit depuis 12 ans, les personnes avec déficiences se battent pour que l'obligation d'accommodement soit inscrite dans la Loi fédérale sur les droits de la personne. Les tribunaux ont reconnu ce concept mais jusqu'à présent, aucune loi fédérale ne l'a affirmé de façon positive.

Ceci étant dit, plusieurs tentatives ont été faites au cours des 12 dernières années pour mettre ce concept en oeuvre. La plupart d'entre elles ont été mises de côté à cause du calendrier politique de l'époque exigeant leur abandon ou leur report à une autre session.

Les mesures législatives initiales ont visé à inclure l'obligation d'accommodement en vue de garantir l'égalité d'accès et des chances aux personnes avec déficiences. Cela s'est fait en 1985. Tout au long du gouvernement précédent, Mme Kim Campbell, ministre de la Justice de l'époque, s'est efforcée de faire adopter des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne, modifications englobant l'obligation d'accommodement.

Après cela, le gouvernement actuel a tenté à la fin de son mandat précédent de mettre en oeuvre un projet de loi inscrivant l'obligation d'accommodement dans la législation canadienne. Par suite des élections, ce projet de loi n'a pas pu être adopté dans les délais prévus.

Le gouvernement actuel a présenté de nouveau ce projet de loi de manière que les 12 dernières années où l'on s'est battu pour englober ce droit des plus fondamentaux des personnes avec déficiences dans la Loi canadienne des droits de la personne n'aient pas été inutiles.

Le Conseil des Canadiens avec déficiences croit que le libellé du projet de loi actuel représente la perspective des personnes avec déficiences. Il prévoit une obligation positive d'accommodement des personnes avec déficiences par rapport à une norme de contrainte excessive. Le concept de contrainte excessive est défini en matière de coûts, de santé et de sécurité.

Il est très important de définir l'expression «contrainte excessive» et nous demandons votre aide à cet égard non seulement en ce qui concerne le projet de loi, mais aussi en ce qui concerne les directives concernant l'accommodement et la contrainte excessive, présentées par la Commission ontarienne des droits de la personne. Nous vous demandons d'examiner ces directives à propos de la contrainte excessive. Selon nous, elles exposent très clairement la jurisprudence ainsi que la politique des droits de la personne en ce qui concerne les limites à la contrainte excessive, permettant ainsi de garantir une obligation d'accommodement sérieuse à l'égard des personnes avec déficiences au sein de la société.

Il est important de définir clairement et soigneusement la disposition relative à la contrainte excessive de manière à ne pas marginaliser ni diminuer le droit le plus fondamental des personnes avec déficiences à l'accommodement. Comme je l'ai indiqué, sans accommodement, les personnes avec déficiences se voient refuser l'accès à l'emploi, au transport et aux aspects les plus fondamentaux de la vie sociale et continueront de se le voir refuser.

Il est extrêmement important de se pencher sur cette question pour faire en sorte que ce droit soit inclus dans notre législation et qu'il ne soit pas banalisé par les concepts de «contrainte excessive», «intérêt commercial» ou «efficacité opérationnelle», pour reprendre certaines des expressions utilisées dans le cadre de l'examen de projets de loi de cette nature. Cela ne ferait que banaliser et réduire à néant l'objet et l'effet de la modification que cette législature essaye de mettre en place aujourd'hui à propos de ce droit des plus fondamentaux.

Nous avons des inquiétudes quant aux limites de «contrainte excessive», surtout en matière de coûts. Dans le contexte actuel où nous essayons de réduire les déficits et où les sociétés diminuent leurs effectifs, il est important de clairement définir les coûts. Je vous renvoie encore une fois aux directives concernant l'accommodement, mises en place en Ontario et qui permettent de définir clairement et efficacement l'élément «coûts» de «contrainte excessive» de manière à modifier la législation en prévoyant une obligation d'accommodement à l'égard des Canadiens avec déficiences.

Je vous renvoie également à certains des points qui ont été examinés et qui, à mon avis, sont des plus utiles. Tout d'abord, ce projet de loi tire au clair ce qui a été l'un des aspects les plus complexes de la jurisprudence en matière de droits à l'égalité et de discrimination. En d'autres termes, le projet de loi reconnaît que l'obligation d'accommodement doit s'appliquer, que la discrimination dont il est question soit directe ou indirecte.

Permettez-moi de préciser. Le projet de loi prévoit l'obligation d'accommodement en cas de discrimination directe -- c'est-à-dire lorsqu'un employeur, par exemple, déclare qu'il est inutile que des personnes avec déficiences présentent une demande d'emploi. Une politique de cette nature qui vise directement un groupe, soit celui des personnes avec déficiences, dans le but d'empêcher leur inclusion et leur accès, est clairement discriminatoire et directe, puisqu'elle vise ce groupe en particulier.

Cela s'applique également à ce que les tribunaux ont déterminé comme étant de la «discrimination par suite d'un effet préjudiciable». Par exemple, d'après la loi, les maisons doivent être de 25 pieds sur 18 pieds. Cette loi vise à faire en sorte que les maisons soient construites de façon raisonnable et rationnelle. Toutefois, elle ne prend pas en compte le fait que cela ne permette pas un logement ou des toilettes accessibles aux personnes avec déficiences. La loi en elle-même, bien que neutre, a un effet discriminatoire sur un groupe particulier, soit celui des personnes avec déficiences.

Une fois promulguée -- nous espérons qu'elle le sera -- cette loi permettra de tirer au clair ce point de droit et de faire en sorte que l'obligation d'accommodement s'applique également, indépendamment du genre de discrimination.

La loi prévoit en outre un pouvoir de réglementation. Ce pouvoir conféré au gouverneur en conseil nous a quelque peu préoccupés, étant donné que tout règlement pris à l'égard de la contrainte excessive ne devrait pas l'être uniquement pour diminuer le droit à l'accommodement. Je vous renvoie de nouveau aux directives de la commission ontarienne qui sont louables et utiles et que l'on pourrait utiliser pour évaluer l'accommodement et la contrainte excessive, ainsi que pour prendre des règlements à cet égard.

Ceci étant dit, un des éléments de ce projet de loi nous plaît -- la commission elle-même ne peut pas être l'organe de réglementation -- un moyen de consultation est prévu par lequel les règlements doivent être publiés avant d'être promulgués. En d'autres termes, il est possible de présenter des observations avant que les règlements ne soient mis en vigueur et n'aient force de loi. C'est un point positif qui permet de s'assurer que la voix des personnes avec déficiences est entendue.

Nous proposons qu'un engagement positif soit prévu afin que les personnes avec déficiences soient consultées au cours du processus de prise de règlements à l'égard de la contrainte excessive et de toute limite à l'accommodement. La raison en est évidente. Il est impératif que les règlements pris ne diminuent pas et ne réduisent pas à néant le droit que nous cherchons à acquérir au moyen de la loi. Je vous renvoie de nouveaux aux directives concernant l'accommodement à cet égard.

Ce projet de loi ne renferme pas les modifications plus vastes que nous aimerions voir adopter ultérieurement. Il ne fait pas mention des conditions sociales ou du revenu comme motifs de discrimination. En outre, ce projet de loi ne prévoit pas les genres de modifications plus globales et plus vastes qui s'imposent pour assurer que le système des droits de la personne au niveau fédéral fonctionne comme il le faut et protège les droits de tous les Canadiens avec déficiences. Il ne garantit pas que la formation des enquêteurs de la commission le permette. Il ne garantit pas non plus que les bureaux régionaux soient répartis de manière que le processus de la commission et du tribunal permette effectivement de répondre aux besoins et aux préoccupations des Canadiens qui font l'objet de discrimination.

Nous appuyons ce projet de loi en ce qui concerne l'obligation d'accommodement, mais nous demandons instamment au comité et au Parlement d'effectuer un examen plus vaste de la Loi sur les droits de la personne, du système et du processus de la Commission des droits de la personne. Cela s'impose immédiatement et devrait faire partie des priorités de ce gouvernement.

Pour conclure, je dirais que nous sommes heureux de voir que le gouvernement prend au sérieux la question des personnes avec déficiences, qu'il veille à ce que notre voix soit entendue et que notre participation à la société soit mieux garantie grâce à la création d'un droit à l'accommodement. Nous souhaitons que les limites imposées à ce droit n'en diminuent pas la portée, mais qu'elles englobent le concept d'accommodement et garantissent que les personnes avec déficiences jouissent de l'égalité des chances offertes à tous les Canadiens.

Nous attendons un examen plus vaste. Nous espérons que cette modification sera adoptée de manière que nous puissions examiner de façon plus globale les questions générales qui se posent à propos de la Commission des droits de la personne et du processus.

Je vais maintenant céder la parole à ma collègue, Mme Lemieux-Brassard, qui va aborder la question des modifications à la Loi sur la preuve au Canada et au Code criminel.

[Français]

Mme Lucie Lemieux-Brassard, membre exécutif, Conseil des Canadiens avec déficience: Alors je voudrais mettre en contexte pour la deuxième partie, outre la présence de M. Scher et la mienne, entre autres toutes les démarches et les consultations faites au niveau des amendements au Code criminel et de la Loi de la preuve. Nous sommes impliqués depuis le tout début, soit en avril 1994, où les premiers groupes de travail ont été tenus.

Je n'aurai pas à élaborer beaucoup. Ce qui est écrit reflète directement les suggestions et ce que nous avions apporté lors des rencontres, entre autres, celle de Rockland en 1994 et les démarches continues qui ont été faites.

Il est important également de les mettre dans le contexte de tout ce que l'on a entendu. Je peux le dire comme membre du groupe de travail sur la condition des personnes handicapées en 1996.

Pourquoi soulève-t-on encore ces points en 1997? Par exemple, il n'y a rien dans la loi qui m'empêche d'être un membre du jury, mais je suis écartée automatiquement lorsque mon nom est inscrit sur la liste. C'est à cause de l'accessibilité physique à certains endroits.

Il n'y a rien qui, personnellement et pour plein d'autres personnes, devrait mettre un frein à ma participation à un jury. Pourtant la réalité à l'heure actuelle est que nous n'avons pas ce droit.

Je parle en tant que criminologue, souvent les victimes nous disent qu'il ne leur sert à rien de déposer une plainte parce que les policiers vont prétendre qu'elles ne pourront pas témoigner à la Cour.

En disant spécifiquement que oui, il y a une obligation de permettre l'adaptation de la transmission et de la communication du témoignage comme on le fait à l'article 6.1, c'est aussi lancer un message positif que les personnes qui ont des déficiences, des limitations fonctionnelles sont aussi des citoyens comme les autres. Cela a une signification dans le système de justice.

C'est la même chose avec les gens qui souffrent de paralysie cérébrale. Il y avait une certaine provision dans le texte au départ. On disait qu'il faut fournir un interprète.

Selon la définition actuelle, l'interprète est utilisé exclusivement pour les sourds. Qu'est-ce qu'on fait avec les gens qui souffrent de la paralysie cérébrale ou de tout autre problème ou de limitation avec la communication? Les interprètes «oralistes» ou gestuels ne peuvent en rien répondre à leurs besoins et leur faciliter la communication avec le monde extérieur. Avec le libellé des modifications à la Loi de la preuve, on peut maintenant écrire directement sur l'ordinateur et c'est transmis sur un écran à mesure que la personne communique ou avoir un interprète, donc un «facilitateur» ou un vulgarisateur de la communication.

Quant aux amendements au Code criminel, il n'y a pas de problème. Ce n'est pas sorcier. Cela fait plusieurs années que l'on mentionne des anecdotes, des cas particuliers d'individus qui ont vécu des situations d'abus sexuel. À cause de la relation de dépendance à la personne qui pose le geste, la victime doit se poser la question suivante: «Est-ce que je vais avoir quelqu'un pour me sortir du lit demain matin si je parle? Est-ce que je vais avoir quelqu'un pour me nourrir demain matin si je parle?» Et les gens ne parlent pas.

Si on regarde la documentation sur la violence faite aux femmes, il y en a beaucoup. Pour les femmes handicapées, il n'y a rien, sauf quelques phrases ici et là. On suspecte que cela doit s'appliquer également aux personnes handicapées.Si on regarde les principes directeurs, toute personne en situation de vulnérabilité est automatiquement vulnérable à la dépendance et de ce qui peut en découler. Certains projets de recherche se font plus spécifiquement avec des groupes de focus ou des entrevues individuelles pour identifier les endroits où des situations de violence se vivent au sein de la communauté. Il en ressort le maintien à domicile et le transport adapté. Pourquoi et comment peut-on l'étudier?

On a constaté cette réalité sur le terrain. Mais au moins que l'on passe le message que ce n'est pas plus correct d'abuser sexuellement des personnes plus vulnérables à cause de leur condition ou des limitates qu'ils ont. Oui, c'est une réalité que la société n'acceptera pas. C'est le but visé de ce texte de loi. Cela reflète nos préoccupations. Cela fait le tour de la couverture du projet.

[Traduction]

La présidente: J'aimerais signaler aux membres du comité que nous aurons demain les directives de l'Ontario, ce qui nous permettra de donner suite aux observations de M. Scher.

Le sénateur Jessiman: Monsieur Scher, avez-vous entendu le témoignage des employeurs des Transports et Communications de régie fédérale plus tôt cet après-midi?

M. Scher: Non.

Le sénateur Jessiman: Je vais vous citer un extrait de leur déclaration liminaire. D'après votre exposé, j'en conclus que vous connaissez parfaitement bien la question. Ils déclarent:

C'est dans la jurisprudence que se fondent l'obligation d'accommodement et les critères utilisés pour déterminer s'il y a contrainte excessive. Ces critères incluent la santé, la sécurité, les coûts...

Je comprends très bien que vous soyez parfaitement d'accord au sujet de la santé et de la sécurité et je peux voir le problème qui se pose à vous à propos des coûts, cela pouvant aller à l'encontre de vos intérêts.

Ils poursuivent:

...les modifications de la convention collective, l'efficacité de l'exploitation, les répercussions sur la qualité du service et les effets préjudiciables indus sur les autres membres du personnel.

Cette déclaration est-elle fondée? La jurisprudence est-elle allée aussi loin? Prennent-ils ces facteurs en compte pour en mettre d'autres en balance?

M. Scher: Ce n'est pas ainsi que je comprends la jurisprudence. Je ne sais pas de quelles affaires découle cette affirmation. J'aurais besoin de plus de contexte, peut-être.

D'après ma propre expérience, certains de ces facteurs ne renvoient pas à la jurisprudence que je connais. Certainement, dans le contexte de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, certains de ces facteurs ne seraient pas inclus. Les renvois à l'utilité commerciale et autres choses du genre ont été cités dans la jurisprudence.

Le sénateur Jessiman: Qu'en est-il des effets sur la qualité du produit ou du service dont parlent les employés de régie fédérale dans leur exposé?

M. Scher: Là encore, je ne les connais pas.

Le sénateur Jessiman: J'aurais pensé le contraire. Je vais lire moi-même le compte rendu de ces affaires. Peut-être vais-je demander à ce groupe de nous le fournir.

Selon eux, il y a déjà jurisprudence. Ils nous demandent de ne pas la codifier d'une façon qui serait tellement restrictive qu'elle ne nous permettrait pas de prendre en compte ce que les tribunaux ont pris en compte dans le passé. Ces employeurs ne vivent pas en vase clos. Ils font du travail, ce qui coûte de l'argent. Ce serait parfait si l'on pouvait obtenir tout ce qu'on veut, mais à quel prix?

Vous allez obtenir l'accommodement, et vous devez l'obtenir, mais les tribunaux ont déclaré qu'ils prennent en compte ces trois facteurs plus les autres.

Votre exposé m'a paru excellent. En ce qui vous concerne, seuls les facteurs de santé et de sécurité devraient être pris en compte. Si cela coûte trop cher, tant pis. Nous ne vivons pas dans un monde parfait, si bien qu'il faudra sans doute prendre le facteur coûts en compte. C'est ce que le gouvernement a décidé de faire.

M. Scher: Absolument. Tout d'abord, il faut décider en tant que société et gouvernement -- c'est votre rôle, en votre qualité de sénateurs -- que la protection des droits fondamentaux de la personne est une priorité pour le gouvernement. L'article 15 de la Charte des droits et libertés doit-il nous servir de guide, si vous voulez, au moment où nous envisageons des décisions de ce genre? Est-ce que la Charte, la Constitution doivent servir de fondement aux lois de notre pays et à toute réforme à l'égard des lois existantes? Cela doit-il être le point de départ fondamental? D'après moi, oui, ainsi qu'en témoignent nos coutumes et notre histoire.

À partir de là, il est clair qu'il y a des limites aux droits et je crois que c'est ce que vous voulez dire. La jurisprudence le reconnaît.

Nous n'avons pas d'obligation fédérale d'accommodement pour l'instant, mais il suffit d'examiner les régimes provinciaux des droits de la personne, ainsi que la jurisprudence, pour s'apercevoir que la santé, la sécurité et les coûts sont les critères retenus dans le contexte de ces régimes.

Le sénateur Jessiman: Êtes-vous en train de dire que les lois provinciales ne font mention que de la santé, de la sécurité et des coûts?

M. Scher: Elles font mention de la santé, de la sécurité et des coûts, ainsi que des sources extérieures de financement, le cas échéant.

Le sénateur Jessiman: Elles ne vont pas plus loin, comme on le laisse entendre?

M. Scher: Non. Les codes ne vont pas plus loin, pour une bonne raison, selon moi. Si l'on veut protéger les droits les plus fondamentaux des Canadiens, il faut le faire d'une manière respectueuse et qui n'impose des limites que dans la mesure du nécessaire. Il ne s'agit pas d'amoindrir ou d'édulcorer ces droits jusqu'au point où ils n'auraient plus aucun sens.

Ceci étant dit, diverses propositions ont été faites. Dans l'un des projets de loi présentés, par exemple, l'efficacité de l'exploitation représentait une limite à l'obligation d'accommodement. Cela me pose quelques problèmes. Tout d'abord, je ne comprends pas ce que cela veut dire. Cela ne figure pas dans les régimes actuels des droits de la personne. Ce n'est pas quelque chose que les tribunaux aient accepté sans hésiter. Par conséquent, le fait d'ajouter cet élément aux lois sur les droits de la personne et de le mettre à la disposition des tribunaux limiterait encore davantage les droits de la personne dans notre pays. Cela amoindrirait les droits les plus fondamentaux de la personne. Cela serait en désaccord avec notre Charte, ainsi qu'avec le principe d'accommodement et d'inclusion des personnes avec déficiences au sein de la société.

Lorsque d'autres disent vouloir réduire petit à petit la portée de l'obligation d'accommodement, nous devons, en tant que citoyens et législateurs, revenir à la question de base: La protection fondamentale des droits de la personne est-elle notre point de départ? Dans l'affirmative, il faut s'en tenir à ce point de départ. Toute limite doit être décidée de manière responsable. Il ne s'agit pas de donner de vagues indications aux tribunaux.

En d'autres termes, la santé, la sécurité et les coûts sont des balises qui permettent d'évaluer s'il y a contrainte excessive; c'est ce que les provinces ont adopté. Au cours des 15 dernières années, la jurisprudence découlant des limites imposées aux droits fondamentaux a été imposante.

C'est avec soin que le gouvernement doit envisager de nouvelles limites aux droits, puisque les tribunaux ne peuvent pas s'en remettre à la jurisprudence. Les législateurs se démettraient de leur responsabilité envers les Canadiens et la délégueraient aux tribunaux. Le gouvernement se contenterait simplement de dire aux tribunaux: voici un énoncé de principe vague et peu précis; c'est à vous d'en définir le contenu et le sens.

Les tribunaux sont là pour interpréter la loi. Ils ne sont pas là pour créer la loi. C'est le rôle du Parlement.

Pour ces raisons, il est impératif que les limites imposées soient clairement comprises par les législateurs. Les limites doivent également être claires et de portée restreinte, car les tribunaux, en fonction de la nature des affaires dont ils sont saisis, interprètent ces limites par rapport aux faits qui leur sont présentés. Par conséquent, les limites seront nécessairement interprétées, d'après moi, en fonction des affaires dont sont saisis les tribunaux.

Il est important pour les législateurs que les principes les plus fondamentaux soient exprimés de façon claire et précise. Notre organisation, pas plus que le Parlement, j'en suis sûr, ne souhaitent s'encombrer de mots ou de restrictions inutiles qui ne feraient qu'obscurcir la jurisprudence existante et donner carte blanche aux tribunaux dans le domaine de la création des lois.

Historiquement, le Parlement a accepté de légiférer avec sérieux. Je l'incite vivement à le faire dans ce cas également.

Le sénateur Jessiman: Connaissez-vous la plupart des lois provinciales?

M. Scher: Oui.

Le sénateur Jessiman: On me dit qu'au Nouveau-Brunswick, un employeur peut, avant d'engager qui que ce soit, demander une décision par anticipation à l'effet que l'accommodement qu'il a prévu est satisfaisant. Êtes-vous au courant de cela? Je vous renvoie à l'article 10 de ce projet de loi qui modifie l'article 15 de la loi. Il s'agit de l'article qui nous intéresse et qui permet de démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

Le sénateur Kinsella qui vient du Nouveau-Brunswick nous a dit que dans sa province, un employeur qui doit prévoir un accommodement particulier, peut demander à la commission une approbation par anticipation de l'accommodement en question. De cette façon, il ne court pas le risque de faire l'objet d'une plainte par la suite.

Vous froncez les sourcils. Ne connaissez-vous pas cet article?

M. Scher: Parlez-vous de la possibilité de renvoi à la commission?

Le sénateur Jessiman: Je parle d'une décision par anticipation, tout comme celle qui s'applique à la Loi de l'impôt sur le revenu.

M. Scher: Je connais ce processus.

Le sénateur Jessiman: Vous opposeriez-vous à des décisions par anticipation?

M. Scher: C'est problématique. La Loi sur les droits de la personne vise à donner aux employeurs tout comme aux employés des balises claires et précises. Le fait de permettre des décisions par anticipation, souvent sans fondement factuel, équivaut à poser des questions hypothétiques à une commission. La Cour suprême du Canada a indiqué très clairement qu'elle ne souhaite pas aborder de questions hypothétiques. La Cour d'appel de l'Ontario a fait de même.

Le sénateur Jessiman: Cela ne serait pas hypothétique. Je prends comme exemple l'accès à un édifice. Avant d'en terminer la construction, le propriétaire veut s'assurer que la conception est juste et accessible.

Mme Lemieux-Brassard: Au Québec, ce processus est assuré par l'Office des personnes handicapées. A l'heure actuelle, même en matière d'emploi, la collectivité essaie d'aller à l'encontre des modifications souhaitées par l'Office des personnes handicapées.

Depuis 1978, nous nous rendons compte de l'existence d'un obstacle. Les propriétaires et les employeurs ne cessent de dire qu'ils ne veulent pas des problèmes et des retards liés à l'accommodement; ils veulent doter le poste sans passer par tout le processus.

Il ne faut pas oublier qu'il existe déjà des programmes fédéraux et provinciaux relatifs à des mesures externes, ce qui permet à toute personne handicapée souhaitant occuper un poste et répondre à un appel de candidatures de le faire, comme n'importe qui d'autre. Ils évaluent les besoins des personnes handicapées qui sont prêtes à entrer sur le marché du travail. Ils déterminent le genre d'accommodement exigé. Ils servent d'intermédiaires sur les lieux du travail après l'embauche. Ils fournissent le service à l'employeur. C'est déjà prévu.

Le problème -- et cela rejoint la question des coûts -- c'est qu'il ne faut pas créer plus d'obstacles pour nous, qui voulons être citoyens à part entière comme n'importe qui d'autre. Les obstacles sont déjà nombreux. Pourquoi faudrait-il aller devant les tribunaux des droits de la personne, de compétence fédérale ou provinciale, pour s'entendre dire qu'effectivement, nous faisons l'objet de discrimination? Devons-nous attendre trois ans pour nous faire confirmer ce que nous savons déjà? Pendant ce temps-là, nous ne travaillons toujours pas. Le problème, l'obstacle est toujours là. C'est ce que nous voulons éviter.

S'il doit y avoir accommodement, il faudrait que ce soit une ouverture et non un obstacle. Nous continuons à demander cet accommodement, car les décisions des tribunaux n'ont pas été mises en oeuvre. Nous devons toujours nous défendre au coup par coup.

Le sénateur Gigantès: J'aimerais revenir à une question posée par le sénateur Jessiman. Mme Diane Richards, l'un des témoins de ETCOF, a parlé de l'effet sur les autres employés. Elle a donné l'exemple suivant: si vous répondez aux besoins d'une employée qui ne peut travailler que du lundi au vendredi et si vous demandez à une autre employée de travailler le samedi et le dimanche, celle-ci ne pourra pas voir ses enfants la fin de semaine. C'est l'exemple de l'effet sur les collègues qui a été donné.

Cela ne tombe-t-il pas dans la catégorie des coûts? Ne pourrait-on pas résoudre ce problème d'une manière qui réponde aux besoins des deux femmes? Les coûts sont-ils un critère global permettant de résoudre ce problème?

Mme Lemieux-Brassard: Je crois que oui. Si l'employeur est disposé à fournir un transport adapté les fins de semaine, la personne handicapée ne se heurte plus à un obstacle et peut faire la même chose que l'autre employée. Ce serait un accommodement. Le problème, c'est que l'on n'a pas accès à un transport adapté les fins de semaine pour aller travailler. Nous ne pouvons même pas l'obtenir pour aller à la bibliothèque.

C'est là qu'est le problème. Je me rappelle que cette question a été soulevée devant un tribunal. L'employeur qui a un programme d'accommodement ne peut-il pas s'en charger? C'est la raison pour laquelle les coûts posent un problème. Si les employeurs commencent à dire que l'accommodement est trop coûteux, il faut alors faire un choix. Je suis prête à aller travailler comme ma collègue. Inutile de me mettre de côté, sous prétexte que je ne peux pas me déplacer jusqu'à mon travail ou que je n'ai pas l'argent nécessaire pour obtenir un véhicule adapté ou encore que le système de transport en commun ne me fournit pas le transport qui convient. Pourquoi devrais-je être pénalisée sous prétexte que je n'ai pas de description d'emploi adapté? Pourquoi m'empêcherait-on de faire un travail que je peux faire, uniquement parce que mon fauteuil roulant ne rentre pas dans une voiture normale et que le service de transport adapté n'est pas offert le samedi?

Pourquoi devrais-je être obligée de démontrer que je suis en mesure d'effectuer le travail, si c'est le manque de transport qui est le véritable problème? Lorsque nous parlons de l'obligation d'accommodement, nous devons nous poser les questions suivantes: quels sont les besoins? Quelles mesures doit-on prendre pour aider cette personne compétente, mais handicapée, à remplir ses fonctions? Quel est l'obstacle et que pouvons-nous faire pour le surmonter?

C'est ce que nous appelons un «cas d'empêchement». Je ne vous donne pas l'impression d'être handicapée du fait que je suis assise ici devant vous aujourd'hui, mais j'ai un handicap qui m'empêche de fonctionner pleinement. Si je n'avais pas été en mesure d'obtenir du transport pour venir jusqu'ici, il m'aurait été impossible de vous rencontrer. Toutefois, ce n'est pas le cas puisque quelqu'un, en quelque part, m'a fourni du transport. Cela ne m'a pas empêché de faire mon travail, en tant que bénévole, et de venir vous rencontrer. Pourquoi m'empêcherait-on de faire quelque chose parce que je n'ai pas de moyen de transport?

La question des coûts suscite beaucoup d'inquiétudes. Nous craignons de nous faire dire que nous ne pouvons pas être embauchés parce que l'employeur devra prendre des mesures spéciales pour assurer notre transport les fins de semaine, et que cela lui coûtera trop cher. Voilà ce que nous craignons.

Le sénateur Gigantès: Est-ce que vous jugez que la portée de ces trois critères -- santé, sécurité et coût -- est suffisamment vaste?

M. Scher: Je tiens à vous rappeler que ces trois critères servent de fondement aux programmes provinciaux des droits de la personne. Leur application ne pose aucun problème au palier provincial.

Cela dit, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de prévoir de nouveaux critères. Comme je l'ai déjà mentionné, si vous définissez ces critères en termes trop larges, vous supprimez en fait le droit d'accommodement. Mme Lemieux-Brassard a expliqué ce qu'il faut faire: il faut cerner les besoins. Quels sont les besoins? Pourquoi des mesures d'adaptation sont-elles nécessaires?

Une fois que vous aurez répondu à cette question, vous vous rendrez compte que, la plupart du temps, le coût n'est même pas un facteur. On a tendance à croire -- à tort -- que les mesures d'adaptation qui doivent être prises pour répondre aux besoins des handicapés coûtent très cher. Le fait est que, dans la plupart des cas, on peut répondre aux besoins des handicapés en améliorant tout simplement la communication en milieu de travail. Il faut savoir quels sont les besoins des handicapés, et quels sont les obstacles qui doivent être surmontés pour y répondre.

Une fois cette étape franchie, une fois la communication établie et les obstacles cernés, les coûts, s'il en est, qu'entraîne l'élimination de ces obstacles sont, en général, très minimes.

Habituellement, le coût des mesures d'adaptation ne pose pas de problème. C'est lorsque des travaux majeurs doivent être entrepris -- comme, par exemple, l'installation d'une rampe -- que les coûts sont plus élevés. Toutefois, ces mesures d'adaptation systémique ne s'appliquent pas seulement aux personnes handicapées, mais aux citoyens en général.

En effet, la loi prescrit qu'un obstacle doit être systématiquement supprimé, et que l'accès doit être assuré pour que les personnes handicapées bénéficient des mêmes chances et des mêmes droits que les personnes non handicapées.

En général, le coût des mesures d'adaptation ne constitue pas un facteur lorsqu'il est question de fournir des accommodements aux personnes handicapées.

Le comité et le Parlement doivent tenir compte du fait que les coûts associés aux mesures d'adaptation sont, en général, peu élevés, même si on a tendance à croire le contraire.

Le sénateur Cogger: Je tiens à remercier M. Scher et Mme Lemieux-Brassard pour leur exposé.

Monsieur Scher, vous avez dit, en réponse à une question du sénateur Jessiman, que vous n'aimez pas l'idée d'obtenir une décision par anticipation à cause du caractère hypothétique de la question qui est posée.

On peut donc conclure que vous n'êtes pas d'accord avec la disposition qui traite, pour reprendre les paroles d'un autre témoin, des «plaintes abstraites». Je vous renvoie au paragraphe 23.(2) du projet de loi, qui vise à modifier l'alinéa 40(5)b) de la même loi pour permettre le dépôt d'une plainte:

...sans qu'il soit possible d'en identifier la victime...

N'est-ce pas là l'exemple parfait de votre question hypothétique?

M. Scher: Non. Bien qu'aucune personne en particulier ne soit associée à une plainte précise, la discrimination systémique qui résulte de l'existence d'obstacles systémiques, des obstacles qui nuisent à un grand nombre de personnes, ne doit pas nécessairement faire l'objet d'une plainte. En fait, la commission a le pouvoir, dans une certaine mesure, d'entreprendre un examen des obstacles systémiques qui existent sans qu'une personne dépose une plainte.

Ce n'est pas une situation hypothétique. Si un obstacle nuit à un grand nombre de personnes, la commission peut entreprendre une enquête de son propre chef et prendre des mesures pour le supprimer. Il n'est pas toujours nécessaire d'avoir une plainte d'un particulier pour venir à bout d'un obstacle systémique.

Il arrive souvent que nous recevions une plainte qui ne vise qu'une seule personne, et que les mesures prises par la commission ne s'appliquent qu'à cette seule personne. Toutefois, les mesures qui, autrement, s'appliqueraient à une seule personne devraient être mises en oeuvre de façon générale afin que la loi puisse être appliquée également au Canada et que l'obstacle en question puisse être supprimé.

Nous avons tort de laisser entendre qu'il y a des plaintes abstraites. Les choses ne se passent pas comme cela habituellement. Lorsqu'une personne dénonce l'existence d'un obstacle et qu'elle dépose une plainte, la commission a le pouvoir de faire enquête pour voir si cet obstacle existe dans d'autres contextes et faire en sorte qu'il soit supprimé. À partir de ce moment là, il ne sera pas nécessaire de déposer des plaintes individuelles et d'embourber le système de la Commission des droits de la personne, puisqu'une solution générale aura été fournie.

Cette disposition est utile, puisque la solution proposée sera appliquée de manière générale et que la commission pourra, de son propre chef ou sur dépôt d'une plainte, chercher à supprimer les obstacles systémiques qui empêchent les handicapés de participer pleinement à la société. C'est très différent de ce à quoi j'avais déjà fait allusion.

Le sénateur Moore: Monsieur Norman, vous avez dit dans votre déclaration liminaire qu'il y a, dans huit des dix provinces, des associations de citoyens qui défendent les intérêts des Canadiens handicapés. Ces associations sont regroupées sous l'égide du Conseil des Canadiens avec déficiences. Est-ce exact?

M. Norman: Oui. Il y a huit provinces concernées et six groupes nationaux qui représentent les personnes atteintes d'un seul type de déficience, comme par exemple l'Association canadienne des victimes de la thalidomide. Nous sommes un organisme cadre. Nous représentons la Coalition of People with Disabilities de Terre-Neuve et du Labrador, dont le siège social est situé à Saint-Jean; le Voice of People with Disabilities, à Regina, en Saskatchewan; et le British Columbia Coalition of People with Disabilities.

En fait, j'ai ici quelques brochures qui donnent la liste de tous les membres. Elles contiennent également des renseignements généraux sur la coalition, qui existe depuis vingt ans.

À l'heure actuelle, il y a deux provinces qui n'ont pas d'associations qui représentent l'ensemble des personnes handicapées. Au Nouveau-Brunswick, il y a un conseil du premier ministre qui remplit en quelque sorte ce rôle, mais il n'est pas vraiment indépendant. Il y avait en Ontario un groupe très actif, une sorte de quasi-association de personnes handicapées, qui s'appelait PUSH Ontario, People United for Self Help in Ontario. Cet organisme fait actuellement l'objet d'un remaniement en profondeur. La plupart des sections locales ont été dissoutes. Nous nous attendons à ce qu'il renaisse de ces cendres et qu'il devienne encore plus puissant.

Le sénateur Moore: Vous êtes donc un organisme national de coordination?

M. Norman: Nous représentons toutes les personnes handicapées.

M. Scher: Pour ceux qui ne connaissent pas notre histoire, le Conseil des Canadiens avec déficiences découle d'une autre coalition d'organisations provinciales des handicapés qui existait à la fin des années 70 et dans les années 80. C'était le principal organisme national qui défendait les intérêts des Canadiens handicapés. Le Conseil des Canadiens avec déficiences est le nouveau nom de l'organisme. Le groupe a décidé de changer de nom en 1992 pour tenir compte de l'évolution de la langue. Nous existons en fait depuis 1979.

Le sénateur Lewis: Nous avons parlé de la définition de l'expression «contrainte excessive» et des problèmes qu'elle peut poser.

L'article 10 du projet de loi, qui modifie l'article 15 de la loi actuelle, prévoit l'ajout d'un nouveau paragraphe dans lequel figurent les mots «contrainte excessive».

Le paragraphe 15(3) se lit comme suit:

Le gouverneur en conseil peut, par règlement, déterminer les critères d'évaluation d'une contrainte excessive.

On semble laisser entendre que la Couronne va établir des critères qui serviront de base à cette évaluation. Je ne sais pas exactement ce qu'on entend par «déterminer les critères», mais on semble laisser entendre qu'il y aura des critères qui seront établis par règlement. Quel règlement, je ne sais pas, mais on laisse entendre que les mots «contrainte excessive» y seront définis.

M. Scher: Oui, ils seront définis de façon plus précise. On retrouve le même libellé dans le Code des droits de la personne de l'Ontario. C'est pour cette raison que je vous ai parlé des directives sur les mesures d'adaptation et les préjudices injustifiés qui ont été adoptées par l'Ontario. Ces directives, bien qu'elles ne se présentent pas sous forme de règlement, ont été établies par la commission. Elles ont été appliquées par les tribunaux, et, même si elles n'ont pas été promulguées sous forme de règlement, elles ont fait l'objet d'interprétations et sont presque assimilées à une loi et à un règlement.

Ces directives ont servi à évaluer les préjudices injustifiés. Elles ont également servi de fondement, dans une large mesure, aux décisions qui ont été rendues en Ontario et au Canada.

Le gouvernement fédéral peut donc s'en inspirer pour établir des critères d'évaluation d'une contrainte excessive. Ces directives sont adéquates et peuvent être appliquées. Je vous encourage à les analyser de près.

Mme Lemieux-Brassard: Je tiens à préciser que nous ne voulons pas de nouveaux critères. Théoriquement, nous préférerions ne pas en avoir parce que nous nous sommes rendu compte que ces critères constituent, en fait, des obstacles.

Si ces deux critères sont inclus, nous espérons prendre une part active au processus qui consistera à définir les coûts des besoins essentiels. En ce qui concerne les sources de revenu, qui ne sont pas considérées comme un critère, nous avons déjà dit que ce facteur ne devrait pas être retenu, mais qu'il pourrait être pris en considération.

C'est une question qu'il faudrait aborder. Si les prestations d'invalidité sont assimilées à une source de revenu, nous ne pourrons obtenir des accommodements pour le travail. Nous ne recevrons rien pour compenser les coûts additionnels.

Il y a de nombreux cas où ce problème se pose. Nous espérons pouvoir exposer plus en détail nos préoccupations à ce sujet.

La présidente: Le paragraphe 15(5) s'attaque en fait à cette question. Il précise que:

La Commission des droits de la personne tient des consultations publiques concernant tout projet de règlement publié au titre du paragraphe (3) et fait rapport au gouverneur en conseil dans les meilleurs délais.

Voilà ce que dit le paragraphe. Il ne précise pas qui participera aux consultations publiques, mais nous le demanderons au ministre quand il comparaîtra devant nous.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir rencontrés aujourd'hui.

La séance est levée.


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