Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 9 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 3 décembre 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne des droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne des droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 33 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui des représentants de l'Association des banquiers canadiens.
Vous avez la parole.
Mme Harriet Stairs, vice-présidente à la direction, Banque de Montréal: Honorables sénateurs, nous comparaissons aujourd'hui au nom de l'Association des banquiers canadiens, qui représente les 53 banques à charte du Canada. Nous sommes très heureux d'avoir la possibilité de nous présenter devant vous cet après-midi afin d'aborder plusieurs questions concernant les modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne proposées par le projet de loi S-5.
Le secteur bancaire est l'une des trois principales industries régies en vertu des lois fédérales sur les droits de la personne. Nous travaillons avec plus de 200 000 employés et, littéralement, des millions de clients à l'échelle du pays.
Les banques appuient les principes et les objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous appuyons également bon nombre des modifications contenues dans le projet de loi S-5, y compris l'ajout de l'obligation d'accommodement des personnes ayant des besoins spéciaux. Depuis de nombreuses années, nous travaillons à cette obligation d'offrir des installations raisonnables à nos employés et à nos clients qui en ont besoin.
Les banques reconnaissent qu'il reste encore beaucoup à faire dans notre pays avant que les personnes handicapées puissent participer pleinement à la vie sociale et économique. Le secteur bancaire désire faire partie du mouvement vers le changement en faveur des personnes handicapées. À cette fin, nous avons besoin d'un cadre légal qui soit positif et habilitant, et non restrictif et déraisonnable.
Les aspects du projet de loi S-5 qui nous préoccupent concernent la clarté, la souplesse et le caractère raisonnable de la loi. Ils portent également sur ce qui est possible: pas sur ce qui est pratique, mais sur ce qui est possible et réalisable dans la perspective d'une meilleure intégration de la société.
Compte tenu de ces sujets de préoccupation, nous vous présentons deux recommandations seulement pour des modifications au projet de loi. Ces recommandations sont les suivantes: d'abord, nous recommandons de modifier le libellé proposé pour le paragraphe 15(2) afin d'ajouter le mot «raisonnable» à l'obligation d'accommodement et d'élargir les critères d'évaluation de la contrainte excessive, et, deuxièmement, nous recommandons que la loi ne permette pas les plaintes dans les cas où il n'y a pas de victime identifiable.
Je vais maintenant traiter de l'obligation d'accommodement sans s'imposer de contrainte excessive.
Dans nos observations écrites, nous recommandons une légère modification au libellé du paragraphe 15(2) relativement à l'obligation d'accommodement des personnes ayant des besoins spéciaux sans s'imposer de contrainte excessive. Les changements que nous suggérons consistent à insérer le mot «raisonnable» après «accommodement» et à ajouter, en ce qui a trait à la contrainte excessive, une phrase qui se lirait ainsi: «en ce qui concerne toutes les considérations pertinentes et justifiables, notamment la santé, la sécurité et le coût», ce qui apporterait plus de flexibilité à l'interprétation de la contrainte excessive, par rapport au projet de loi S-5. Nous croyons que ce libellé de la loi maintiendra l'obligation d'accommodement stricte et fondamentale sans s'imposer de contrainte excessive, d'une façon qui soit cohérente avec l'obligation que nous respectons déjà en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi.
Plus important encore, ce serait conforme aux jugements rendus à cet égard par la Cour suprême au cours des dix dernières années ou plus. Ces décisions offrent toute une gamme de facteurs à prendre en compte, entre autres, le coût financier, l'interruption d'une convention collective, le moral des employés, l'interchangeabilité des effectifs, les installations, la taille de l'entreprise et la sécurité. La prise en compte de ces facteurs favorise la souplesse et l'équilibre et reflète véritablement la notion du caractère raisonnable dans l'évaluation de la contrainte excessive.
Toutefois, le projet de loi S-5 limite explicitement les critères d'interprétation de la contrainte excessive à trois éléments: la santé, la sécurité et le coût. Ce sont là d'importants critères, mais la Cour suprême a reconnu et énuméré d'autres considérations. Et surtout, la cour a également noté que la liste des facteurs n'est pas limitative. Il peut être nécessaire d'appliquer une pondération différente à ces facteurs selon qu'il s'agit d'une grande ou d'une petite entreprise et aussi en fonction de la conjoncture économique. Il est évident qu'il y aura variation d'un cas à l'autre.
Nous ne pouvons pas accepter les arguments qui prétendent que le libellé actuel du projet de loi S-5 codifie simplement la jurisprudence existante. Les exemples de décisions judiciaires que nous avons énumérés dans notre mémoire démontrent que le libellé actuel du projet de loi constitue une déviation importante par rapport aux approches adoptées par la Cour suprême dans tous ces jugements à ce sujet.
Le sénateur Gigantès: Vous dites qu'il y a déviation importante?
Mme Stairs: Oui. Le libellé actuel du projet de loi constitue une déviation importante par rapport à l'approche adoptée par la Cour suprême.
Nous trouvons également difficile de comprendre pourquoi le projet de loi S-5 omet le qualificatif «raisonnable» de l'obligation d'accommodement. La Cour suprême a régulièrement stipulé que le caractère raisonnable constituait une partie nécessaire de l'accommodement.
Certaines personnes ont indiqué que la notion du caractère raisonnable est inhérente au projet de loi. Si tel est le cas, pourquoi ne devrait-elle pas être énoncée de façon à être claire et transparente pour tous?
Nous avons par ailleurs été avisés que l'approche adoptée en Ontario est le modèle que le ministère de la Justice a choisi pour la révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans notre mémoire écrit, nous vous fournissons des détails sur une décision d'un tribunal de l'Ontario donnant une interprétation stricte de la loi et des directives de l'Ontario. Cette décision démontre que cette approche peut déboucher sur des décisions qui ne sont pas raisonnables.
Je voudrais traiter d'un exemple d'accommodement qui pourra aider à préciser nos arguments au sujet de la nécessité de faire preuve de souplesse et d'équilibre et d'être raisonnable dans l'évaluation de la contrainte excessive.
Dans une banque, l'accommodement peut porter sur une vaste gamme de besoins. Nous en avons eu récemment un exemple: la nécessité d'aménager une salle de prières à l'intention d'un employé qui souhaite s'y rendre régulièrement pour respecter les exigences de sa religion. Pour une grande organisation, cet accommodement n'était pas déraisonnable; c'était simple et peu coûteux. Par contre, pour une petite entreprise qui occupe des locaux exigus, il serait plus difficile de faire cet accommodement.
Jusqu'où devrait-on aller pour ce qui est d'obliger un petit employeur à accommoder ce besoin? S'il faut en croire certains témoignages que vous avez entendus, si seules la sécurité et la santé étaient en question, peut-être qu'un chef de petite entreprise devrait construire une salle supplémentaire dans ses locaux pour répondre à ce besoin.
L'obligation d'accommodement raisonnable sans imposition de contrainte excessive est fermement enchâssée dans les lois fédérales en raison de jugements des tribunaux du plus haut niveau existant au pays. Elle est également enchâssée depuis 10 ans dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi, grâce à laquelle les banques, à titre d'employeurs, ont été en mesure de faire des progrès considérables en vue de la constitution d'effectifs représentatifs. La notion est bien comprise et nous sommes en mesure de l'appliquer adéquatement dans nos organisations respectives.
Notre deuxième point porte sur les plaintes sans victime dans le domaine de la prestation de biens et services. Je vais maintenant traiter brièvement de cette deuxième recommandation.
Nous sommes préoccupés par la modification qui permettrait le dépôt de plaintes dans le domaine de la prestation de biens et de services lorsqu'aucune personne n'est identifiée en tant que victime. À notre avis, l'ajout de l'article 5 au paragraphe qui prévoit le dépôt de plaintes lorsqu'il n'y a aucune victime identifiable, n'améliorera pas le processus du règlement des plaintes en vertu de la loi. Il aura plutôt pour effet d'immobiliser les ressources de la commission dans de longues négociations qui seront en bout de ligne impossibles à résoudre.
Les banques elles-mêmes ont connu des cas de plaintes sans victime en ce qui a trait à l'emploi, et ceux-ci se sont avérés presque impossibles à résoudre. Comme nous l'indiquions dans nos observations, trois des cinq plaintes sans victime déposées contre les banques en 1988 ne sont toujours pas réglées neuf ans plus tard.
Ces plaintes contreviennent à notre système de justice naturel qui protège le droit de l'accusé de savoir qui l'accuse. Il est également fondamental, dans le cas où une plainte est déposée contre une personne, que tous les détails soient définis afin que l'intimé ait la possibilité de préparer sa défense.
Nous désirons en outre signaler que lorsque la Loi sur l'équité en matière d'emploi a été revue et modifiée en 1995, le comité de la Chambre des communes sur les droits de la personne et la condition des personnes handicapées a reconnu l'inefficacité des plaintes sans victime et a veillé à ce que la nouvelle loi contienne une disposition qui empêche le dépôt de plaintes sans victime en matière d'emploi fondées uniquement sur des statistiques.
Nous exhortons le comité de modifier le projet de loi S-5 en supprimant l'article 5 de la liste des secteurs dans le cadre desquels une plainte peut être déposée lorsqu'il n'y a pas de victime identifiable.
En terminant, nous reconnaissons que le processus d'élimination de toute forme de discrimination dans la prestation de l'emploi et des biens et services est trop lent au gré de certains partisans. Nous désirons toutefois signaler que le Canada a fait beaucoup de progrès, à bien des égards, au cours des 20 dernières années. Grâce à la Loi sur l'équité en matière d'emploi et à la norme d'aménagement pour accès facile de l'Association canadienne de normalisation, les industries régies par le gouvernement fédéral ont été en mesure de progresser en fonction d'un cadre de lois et de normes structurées mais souples.
Les changements apportés à nos politiques et à nos méthodes en matière d'emploi, à nos installations et à nos services sont considérables et témoignent de l'efficacité des lois et des politiques fédérales. Nous avons appris par expérience que lorsque la loi établit des contraintes inflexibles et étroitement définies, paradoxalement, une telle loi ne débouche pas sur un changement positif. Elle devient plutôt une source de frustration, d'acrimonie, de plaintes et de litiges.
Nous vous exhortons de réfléchir aux changements que nous avons proposés. Ces changements donneront aux employeurs et aux fournisseurs de services la confiance nécessaire pour progresser à un rythme et d'une façon qui nous aideront à poursuivre sur notre élan et à ne pas relâcher nos efforts en vue d'atteindre l'objectif, qui est de permettre à tous de participer également à la vie économique.
Le sénateur Cogger: Madame Stairs, j'ai eu le temps de lire votre mémoire et j'ai rencontré des représentants de l'association. Nous avons entendu plusieurs points de vue sur ce projet de loi. Je voudrais vous parler de l'article 10 du projet de loi, qui modifie l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
L'application du critère de la contrainte excessive suscite des inquiétudes. D'aucuns nous suggèrent d'allonger la liste des critères s'appliquant à cette définition, jusqu'à la situation sociale, et cetera. Autrement dit, à titre de législateurs, nous aurions le pouvoir de dire: «Quand il s'agit d'évaluer s'il y a contrainte excessive, vous devrez tenir compte des éléments suivants.» Nous aurions ensuite une liste de 15 ou 30 éléments. D'autres nous suggèrent plutôt de nous en remettre entièrement au tribunal de la Commission des droits de la personne. Autrement dit, nous devrions supprimer les derniers mots de l'article 15 et dire simplement: «constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive», point final. Il incomberait donc au tribunal de tenir compte de tout facteur qu'il jugerait pertinent.
Comment réagissez-vous à cette deuxième proposition, non pas celle que vous venez d'énoncer, mais l'autre possibilité?
Mme Stairs: Nous préférerions la solution que nous avons proposée, mais la deuxième semble raisonnable. Peut-être que M. Finlay pourrait répondre à votre question.
M. Andrew Finlay, conseiller juridique principal, Groupe de législation sur l'emploi, Banque Scotia, Association des banquiers canadiens: Dans cette affaire, nous avons la chance que les tribunaux canadiens aient donné vie aux concepts de l'accommodement raisonnable et de la contrainte excessive. Ils ont fait du bon travail en guidant à la fois les employeurs et les fournisseurs de services à cet égard.
En ne définissant pas la «contrainte excessive» dans la loi, le Parlement reconnaît que la législation en vigueur à cet égard est valable et qu'elle donne des résultats satisfaisants. Il y a aussi des précédents assez solidement établis. Nous n'aurions pas d'objection à ce qu'il n'y ait aucune définition. La définition que nous avons proposée visait à intégrer la souplesse et l'équilibre que la Cour suprême a introduits.
Le sénateur Cogger: Ce que vous proposez n'est pas une définition, mais plutôt un critère d'évaluation. Vous ne définissez pas l'expression «contrainte excessive».
M. Finlay: C'est exact.
Le sénateur Cogger: Lorsqu'on vous demandera de déterminer si une situation constitue une contrainte excessive ou non, c'est à ce moment-là qu'on définira ce que cela signifie. Je voudrais supprimer les quelques derniers mots de cet article et demander au tribunal de définir ce que «contrainte excessive» signifie.
Si vous lisez plus loin que le paragraphe dont nous venons de discuter dans le projet de loi, vous constaterez que le gouverneur en conseil peut, par règlement, déterminer les critères. Je ne sais pas si vous avez déjà examiné des règlements -- vous l'avez certainement fait dans le cadre de votre pratique du droit --, mais chaque fois qu'on trouve une telle disposition dans un projet de loi, cela nous inquiète. Tôt ou tard, on ouvrira la porte sans savoir ce qu'on trouvera de l'autre côté.
Mme Stairs: Il faut qu'il y ait assez de souplesse pour permettre de prendre des décisions raisonnables. Il semble y avoir des précédents qui nous incitent à prendre des décisions raisonnables. Si vous ne voulez pas de cette disposition, si vous ne voulez pas inclure ces trois mots de façon explicite, la jurisprudence nous obligera à prendre des mesures très raisonnables. Je peux le dire à cause de ce qui s'est déjà produit devant les tribunaux. Ce n'est plus quelque chose de tout à fait nouveau. Il y a maintenant suffisamment de précédents.
La présidente: Il existe déjà une jurisprudence à ce sujet.
Mme Stairs: Les décisions prises dans le passé nous semblent très raisonnables. Cependant, ce serait certainement utile d'inclure le mot «raisonnable». C'est ce que nous voulons faire comprendre.
Le sénateur Gigantès: Cela m'inquiète quand je vois des mots comme «raisonnable» dans une loi, car ce qui peut sembler raisonnable au sénateur Cogger pourrait ne pas l'être pour moi et vice versa. En réalité, cela arrive assez souvent, n'est-ce pas?
Le sénateur Cogger: Cela fait 100 ans dans notre système de justice que la notion de doute raisonnable existe en droit pénal.
Le sénateur Gigantès: Tout à fait.
La présidente: Sénateurs, nos discussions réduisent le temps de parole de nos témoins.
Le sénateur Gigantès: Nous avons entendu d'autres témoins, et pas seulement du secteur bancaire. On ne nous a donné jusqu'ici aucun exemple concret d'un cas qu'on ne peut pas relier aux mots «santé», «sécurité» et «coût».
M. Finlay: Quand vous parlez d'un exemple concret, voulez-vous parler d'un exemple d'accommodement ou de facteur à prendre en compte?
Le sénateur Gigantès: Oui.
M. Finlay: Quant aux facteurs, la Cour suprême a fait preuve de souplesse et a rendu des décisions équilibrées. Nous avons essayé d'inclure dans notre mémoire des extraits d'arrêts importants de la Cour suprême qui font état de tels facteurs.
Le sénateur Gigantès: Dans le passé, les législateurs ont pris des mesures qui ne suivaient pas nécessairement les arrêts de la Cour suprême et qui étaient tout à fait novatrices. Pourquoi ces accommodements ne seraient-ils pas visés par ces trois critères? Peu importe ce que c'est, ou bien cela coûtera quelque chose, ou bien c'est mauvais pour la santé, ou bien c'est mauvais pour la sécurité. Il n'y a rien qu'on ne peut pas faire correspondre à ces trois mots. Pourquoi vous opposez-vous à ces trois mots?
Mme Stairs: Nous avons essayé de vous donner un exemple d'un cas qui ne correspondrait pas à ces trois mots. Je veux vous parler du cas où quelqu'un demandait un endroit pour faire ses dévotions. Même si cela peut coûter quelque chose, l'employeur peut vouloir le faire aussi.
Le sénateur Gigantès: Cela coûte cependant quelque chose. L'employeur refuserait de le faire parce que cela coûterait quelque chose. Dans mon cas, bien sûr, je m'y opposerais parce que je m'oppose à toutes les pratiques religieuses. Les pratiques religieuses sont cependant permises par la Constitution du Canada, ce qui veut dire que j'ai des opinions anticonstitutionnelles.
Mme Lynda White, directrice, Équité et diversité en matière d'emploi, Banque Royale, Association des banquiers canadiens: Il peut aussi y avoir des questions de moral ou de bon fonctionnement d'un milieu de travail. Et si votre entreprise fonctionne six jours sur sept, si vous avez besoin d'équipes complètes six jours sur sept, vous serez peut-être obligé de voir comment on peut faire un accommodement ou donner la souplesse nécessaire.
Le sénateur Gigantès: Nous avons déjà entendu cela. On nous a donné l'exemple d'une mère qui ne voit ses enfants que la fin de semaine. À cause de ces accommodements, elle doit travailler la fin de semaine. On pourrait résoudre le problème en dépensant un peu plus.
Mme White: Le coût n'est pas un problème dans le cas des accommodements pour notre industrie.
Le sénateur Doyle: De nos jours, un petit coût supplémentaire signifie très souvent «à n'importe quel prix». Si l'on trouve ces mots dans une loi sans qu'on y trouve aussi le mot «raisonnable», les coûts que cela peut représenter deviennent inquiétants.
Le sénateur Gigantès: J'espère que nous pourrons trouver un autre moment pour discuter de ce qui est raisonnable.
La présidente: Je pense que c'est une très bonne suggestion.
Le sénateur Jessiman: J'ai moi aussi eu l'occasion de discuter de cette question avec certains témoins. Vous parlez de la Loi sur l'équité en matière d'emploi dans votre mémoire. Je veux parler, bien sûr, des plaintes qui sont déposées lorsqu'il n'y a pas de victime. Vous voulez que cet article soit supprimé. Vous expliquez qu'il y a un certain nombre de cas de ce genre qui remontent jusqu'à 1987. Vous dites que trois des cinq plaintes déposées n'étaient toujours pas réglées neuf ans plus tard et que les règlements conclus dans les autres cas risquent de ne pas être valides à long terme.
Pourquoi pensez-vous que ces règlements ne seront pas valides? En savez-vous suffisamment à propos de cette affaire qui remonte à neuf ans?
M. Finlay: Voulez-vous parler des règlements?
Le sénateur Jessiman: Vous dites que cinq plaintes ne sont toujours pas réglées et qu'il est possible que les règlements conclus ne soient pas valides à long terme. Cela prouve à quel point les plaintes sans victime sont difficiles à résoudre.
Vous avez parlé des chiffres. Apparemment, parce que vous n'atteignez pas certains pourcentages, certains disent que vous êtes coupables de discrimination. Je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi c'est tellement difficile. Qu'est-ce qui rend la situation si difficile? Comment les trois cas ont-ils été réglés? S'ils ont été réglés, les deux parties se sont entendues. Cependant, vous dites que, d'après vous, les règlements conclus ne seront pas valides à long terme. Dites-nous pourquoi.
Non seulement devez-vous convaincre les sénateurs de ce côté-ci de la table, vous devez aussi convaincre les sénateurs d'en face et le gouvernement de modifier cette disposition. Donnez-moi des arguments. Je ne dis pas que je suis d'accord avec vous jusqu'ici, mais je suis prêt à vous écouter. J'ai lu votre mémoire.
Mme White: Je vous en sais gré. Vous savez probablement que, quand on a fait l'examen de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, on a modifié les exigences pour qu'on ne puisse plus porter plainte selon la loi uniquement en fonction des chiffres. On l'a fait parce que le gouvernement sait rendu compte qu'une plainte sans victime déposée en 1988 n'avait pas donné les résultats attendus. Selon cette plainte déposée en 1988, les cinq grandes banques et quatre autres grandes entreprises du Canada étaient coupables de discrimination parce qu'elles n'embauchaient pas suffisamment de personnes handicapées. On a porté plainte uniquement parce qu'on disait: «Votre pourcentage est faible. Vous devez donc être coupables de discrimination».
Nous avons commencé des examens avec la Commission des droits de la personne. La commission a passé des années à examiner nos rapports et nos politiques. Nous voulions tous les mêmes résultats. Nous avons collaboré avec la commission parce que nous voulions régler les problèmes qui existaient. Cependant, les questions en litige portaient sur l'embauche. Cela est devenu tellement compliqué que c'est l'une des raisons pour lesquelles certains cas ne sont toujours pas réglés.
Le sénateur Jessiman: Parlez-nous des cas qui ont été réglés, de ce que vous avez fait et des raisons qui vous portent à croire que les règlements ne seront pas valides.
Mme White: Je peux en parler personnellement parce que notre cas a été réglé et que j'y ai moi-même travaillé.
Il y avait trois éléments clés. Un portait sur l'embauche. Un portait sur les moyens techniques accessibles à nos employés handicapés. L'autre portait sur un nouveau sondage auprès de nos employés. Le nouveau sondage relatif aux données d'équité en matière d'emploi n'avait rien à voir avec la plainte.
Nous aurions fait ce sondage de toute façon. C'est une bonne pratique commerciale. D'après moi, cela n'a rien à voir avec le règlement de la plainte.
Le sénateur Gigantès: Qu'entendez-vous par ce nouveau sondage auprès de vos employés?
Mme White: Cela veut dire que nous envoyons un questionnaire à chacun de nos 55 000 employés en leur demandant de s'identifier s'ils font partie de l'un des groupes désignés, ou, à tout le moins, de nous renvoyer le questionnaire en disant qu'ils ne veulent pas y répondre. Ce sondage exige un énorme effort de communication parce que nous devons convaincre chacun de nos employés de répondre au questionnaire. C'est un élément.
Le sénateur Gigantès: Cela semble pire que dans la fonction publique.
Mme White: La fonction publique mène aussi des sondages de ce genre et je peux vous dire que c'est parce que la loi l'exige, pas parce que nous le voulons.
Le sénateur Jessiman: Vous devez le faire tous les trois ou cinq ans?
Mme White: La loi ne précise pas la fréquence des sondages, mais la plupart des employeurs mènent ces sondages régulièrement parce qu'il est difficile de garantir que l'on peut avoir des réponses des nouveaux employés ou d'employés dont la situation personnelle a changé, par exemple à cause d'une incapacité quelconque. Il arrive souvent qu'on acquière une incapacité quelconque à mesure qu'on vieillit, et il est difficile d'amener les gens à s'identifier ainsi. Le sondage était donc un élément de notre entente.
Je voudrais vous parler un peu de l'accès à la technologie, surtout pour les personnes handicapées. Nous nous sommes engagés à rendre notre technologie accessible aux personnes handicapées à l'avenir dans toute la mesure du possible. Nous avons une unité centrale de traitement individuel dans chacune de nos banques. Je ne suis pas expert en informatique et je ne peux pas vraiment parler de l'importance de ce système, mais nos employés se servent de systèmes centraux et de systèmes à base de logiciels. Certains systèmes centraux sont là depuis 20 ans et ont été modifiés et améliorés à bien des reprises au cours des années. Ce sont des systèmes coûteux qui fonctionnent encore bien. Dans certains cas, nous songeons peut-être à changer de systèmes, mais si nous voulons continuer de nous en servir, cela coûterait très cher de les rendre accessibles aux personnes handicapées.
Il y a aussi des problèmes à cause des changements qu'on apporte tous les jours ou même toutes les semaines à nos systèmes, parce que nous essayons de garantir que les personnes handicapées, surtout les aveugles, auront les moyens techniques nécessaires pour se servir d'un ordinateur personnel afin d'avoir accès aux programmes disponibles et à l'information des systèmes.
Le sénateur Jessiman: Une des plaintes portait-elle sur le fait que les aveugles n'avaient pas accès à ces systèmes, et est-ce une des mesures que vous prenez maintenant pour régler cette plainte?
Mme White: Nous essayons de rendre nos systèmes accessibles à toutes les personnes handicapées, mais c'est effectivement une des choses que nous faisons.
Le sénateur Jessiman: Je voulais parler de cette situation particulière. Qu'avez-vous fait pour résoudre le problème?
Mme White: Nous rendons la technologie accessible dans toute la mesure du possible.
Le sénateur Jessiman: Les personnes visées sont-elles d'accord pour dire que la question est réglée?
Mme White: Pas encore. Nous avons conclu une entente et la Commission canadienne des droits de la personne surveille pendant trois ans l'évolution de la situation. Elle verra quel progrès nous avons accompli plus tard.
Mme Stairs: La commission a accepté un plan dans le cadre des accommodements que les banques prennent pour les personnes handicapées dans ce cas-ci, mais la commission n'est pas encore satisfaite du résultat.
Mme White: Nous sommes en train d'appliquer le plan.
Le sénateur Jessiman: Vous vous êtes entendus pour que la commission surveille la situation. Vous dites que vous avez conclu une entente relativement aux autres plaintes neuf ans plus tard.
Mme White: C'est exact. L'entente prévoit aussi un objectif en matière d'embauche et celui-ci était relativement élevé parce que nous embauchions 400 nouveaux employés à plein temps par année à l'époque. À ce moment-là, nous ne pensions pas que nos chiffres d'embauche augmenteraient de façon marquée, mais c'est ce qui s'est produit et nous n'avons donc pas atteint le pourcentage convenu. Nous l'aurions atteint si nous avions continué d'embaucher au même rythme.
Le sénateur Jessiman: Parce que vous embauchez plus d'employés, votre pourcentage n'est pas aussi élevé que vous l'aviez convenu?
Mme White: Il y a un autre facteur dont il faut tenir compte, soit que l'industrie évolue et les emplois changent. Ce n'est pas particulier à notre secteur. La plupart des entreprises cherchent de nouvelles compétences chez leurs employés pour les nouveaux emplois basés sur le savoir. Auparavant, il y avait davantage de candidats parmi lesquels nous pouvions choisir pour doter les postes au premier niveau, mais les compétences requises ont augmenté et il n'y a pas autant de candidats qu'auparavant qui ont les compétences nécessaires. Nous avons de plus en plus de mal à trouver des candidats compétents. Comme vous le savez, cela n'a rien à voir avec l'emploi de personnes handicapées. Dans toutes les industries où l'on se sert de la technologie de l'information, on manque de candidats compétents.
Le sénateur Gigantès: Si l'on tourne à la page 7 du projet de loi, on trouve ceci à l'article 10(2):
Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive...
Une contrainte «excessive» serait une contrainte «déraisonnable». Nous avons d'une part la Commission des droits de la personne et de l'autre le tribunal et nous devons supposer que ces deux organismes sont raisonnables. Pourquoi faut-il ajouter le mot «raisonnable» si vous devez demander à ces organismes de s'assurer que les contraintes ne sont pas excessives et donc déraisonnables?
Mme Stairs: M. Finlay pourra peut-être vous répondre. Notre siège social est à Toronto et nous avons vu ce qui est arrivé en Ontario.
Le sénateur Gigantès: C'est la façon dont les conservateurs appliquent la réforme. Ce n'est pas ainsi que fonctionne notre gouvernement.
Mme Stairs: C'est ce qu'on a fait en Ontario.
M. Finlay: Avant Mike Harris.
Mme Stairs: C'est exact, et il y a eu un cas où on est allé jusqu'au bout. La décision nous a semblé déraisonnable parce qu'on est allé jusqu'au bout de ce qu'on pouvait vouloir dire par une contrainte excessive.
Le sénateur Gigantès: Était-ce à l'époque de Bob Rae?
Mme Stairs: Ce n'est pas une question politique, mais philosophique.
Le sénateur Gigantès: Il arrivera toujours qu'une décision quelconque sera jugée ne pas être la bonne par une partie ou une autre. Le projet de loi ajoute une autre étape parce que vous pouvez demander l'avis d'un tribunal à propos de la décision. Peu importe le libellé de la disposition, il y aura toujours des cas où l'on demandera si l'on a imposé des contraintes excessives ou non et si c'était raisonnable ou déraisonnable. Je me demande simplement si c'est nécessaire d'avoir le mot «raisonnable» si l'on a déjà le mot «excessive».
M. Finlay: Tout le monde a dit qu'ils s'attendent que le tribunal sera raisonnable. Si c'est bien vrai, à ce moment-là, cela ne fait de mal à personne d'ajouter le mot «raisonnable» à la définition.
Le sénateur Gigantès: C'est redondant. Pourquoi avoir une définition redondante?
M. Finlay: Les tribunaux ont indiqué très clairement qu'une contrainte excessive peut dépendre de toutes sortes de facteurs. Il n'y a pas de liste exhaustive. Il faut envisager la question de façon équilibrée et souple. Le libellé de cette disposition-ci qui est aussi celui de la loi de l'Ontario est très restrictif. Il ne prévoit que trois critères. On ne prévoit pas la possibilité qu'il existe d'autres critères.
Nous nous sommes reportés à la seule décision à ma connaissance qui a repris les lignes directrices de la commission pour définir une «contrainte excessive». Dans le cas en question, on a forcé un chiropraticien de London, en Ontario, à s'installer ailleurs parce qu'il ne pouvait pas respecter l'ordonnance du tribunal. Mme Stairs a déclaré que le tribunal est allé jusqu'à la limite de la contrainte excessive dans ce cas-là. D'après moi, ils ont dépassé cette limite.
Mme Stairs: Nous proposons qu'on ajoute le mot «raisonnable» parce que c'est un mot relatif. Ce qui est une contrainte excessive pour la Banque de Montréal ou la Banque Royale n'est pas la même chose que ce qui est une contrainte excessive pour un chiropraticien qui n'a que deux salles d'attente.
Le sénateur Gigantès: Vous pensez que la Commission des droits de la personne n'est pas capable de distinguer entre un chiropraticien qui a deux employés et la Banque de Montréal qui en a 55 000?
Mme Stairs: Je ne veux pas dire que la Commission des droits de la personne ne sait pas faire cette distinction.
Le sénateur Gigantès: Ou le tribunal des droits de la personne?
Mme Stairs: On n'a pas vraiment fait cette distinction dans le cas de cette décision en Ontario.
M. Finlay: La plupart des tribunaux l'ont faite. Ils rendent des décisions raisonnables. Cependant, s'ils doivent s'en tenir à seulement trois critères, la santé, la sécurité et le coût, ils n'auront peut-être pas la capacité ou la souplesse voulue pour tenir compte d'autres critères, comme la taille de l'entreprise.
Le sénateur Gigantès: Madame la présidente, je dois partir. Je serais reconnaissant aux témoins de me fournir des exemples concrets de cas qui ne seraient pas visés par les notions de coût, de santé ou de sécurité ou par l'interprétation qu'on peut faire du mot «excessif». On peut toujours trouver un tribunal ou quelqu'un qui n'est pas raisonnable. Nous avons déjà eu des juges qui condamnaient les accusés à la pendaison ou qui envoyaient des innocents en prison. C'est inévitable.
Le sénateur Jessiman: Les tribunaux ont établi sept ou huit critères.
Le sénateur Gigantès: Même avec ces critères, tout ce qu'on peut espérer, c'est que le tribunal ou la commission sera raisonnable. On ne peut pas leur dire d'être raisonnables. C'est à eux de l'être.
La présidente: Merci, sénateur Gigantès. Nous demanderons aux témoins de nous fournir quelque chose très rapidement, d'ici à demain, si possible, parce que nous ferons probablement l'étude article par article du projet de loi demain matin.
Le sénateur Doyle: Je regrette que le sénateur Gigantès soit pressé de partir parce que j'allais demander aux témoins de tourner à la page 3 de leur mémoire, où l'on cite trois jugements de la cour. Pensez-vous que ces jugements décrivent bien ce que vous préconisez.
Mme Stairs: Oui, je le pense.
Le sénateur Doyle: Je me demande si le sénateur Gigantès a lu ces jugements; ils semblent répondre exactement à ses questions. Quand je les ai lus moi-même, je me suis arrêté un instant et j'ai pensé à quelque chose de tout à fait différent, soit ce qui est arrivé aux États-Unis dans le cas des poursuites intentées aux médecins et au fait que, parce qu'on n'avait pas des mots comme «raisonnable» pour guider les tribunaux qui ont jugé ces causes, le prix de l'assurance contre l'erreur médicale est maintenant tellement élevé que cela pousse des médecins à quitter la profession. J'avais toujours pensé qu'on pourrait considérer que la Commission des droits de la personne était suffisamment bien renseignée pour ne pas faire quelque chose de déraisonnable et que quelqu'un qui agit au nom de la commission ne préconiserait pas la mauvaise chose. Cependant, il est toujours possible que le tribunal adjuge un montant excessif et qu'un autre tribunal accorde ensuite un montant encore plus excessif, alors que cela n'arriverait peut-être pas si le tribunal devait dès le départ tenir compte de ce qui est raisonnable.
Je ne vois pas pourquoi, madame la présidente, nous ne pourrions pas, dans l'examen de ce projet de loi, établir au moins au départ ce qui est raisonnable et voir ensuite si cela fonctionne. Enfin, ce n'est pas tant une question qu'un commentaire. Trouvez-vous que j'ai tort?
Mme Stairs: Nous pensions également qu'en intégrant à la mesure ce critère relatif à ce qui est raisonnable et en laissant des gens raisonnables prendre des décisions raisonnables, il serait possible d'éviter la rigidité qui mène au litige. Comme vous l'avez dit, c'est cela qui a entraîné certains problèmes aux États-Unis.
Entre parenthèses, je m'occupe également d'une banque aux États-Unis et je puis vous dire que nos mesures législatives sont bonnes et souples et qu'il est très intéressant de les appliquer, tant pour ce qui est de la Loi sur l'équité en matière d'emploi que des mesures législatives en matière de droits de la personne. Pour exploiter le même genre d'entreprises aux États-Unis sous le régime des lois de ce pays, qui sont plus rigides et plus litigieuses, on ne peut pas procéder à la même réflexion ni obtenir le même effet. J'ai eu l'occasion d'exploiter des entreprises dans les deux pays, une banque au Canada et une autre aux États-Unis, et je trouve que la loi canadienne est formidable.
Le sénateur Jessiman: La loi est peut-être bonne pour les banques, mais l'est-elle autant pour les utilisateurs des services bancaires?
Mme Stairs: Tout à fait.
Le sénateur Jessiman: Vous nous dites que vous avez fait de plus grands progrès au Canada?
Mme Stairs: Pour ce qui est des employés, oui. Nous faisons bien davantage de progrès dans nos succursales canadiennes pour ce qui est des femmes, des Autochtones, des personnes handicapées et des personnes appartenant à des minorités visibles.
Le sénateur Jessiman: Parce que la loi est plus souple?
Mme Stairs: Oui. La différence est vraiment étonnante. Aux États-Unis, il faut remplir des tas de formulaires d'action positive, et cetera, et il semble que tout ce qui compte, ce sont les chiffres, les quotas et les formulaires qu'il faut remplir pour le gouvernement. On semble perdre de vue l'intention sur laquelle tout cela s'appuie. Au Canada, par contre, on s'est surtout attaché à la signification et à l'esprit de la mesure. Dans les banques, environ 23 p. 100 des cadres supérieurs sont maintenant des femmes. Dans l'ensemble, le chiffre est peut-être de 17 p. 100, puisque le pourcentage diffère selon les banques, mais la proportion est beaucoup plus forte au Canada qu'aux États-Unis. On pourrait croire que les femmes sont plus avantagées aux États-Unis, mais dans le cas des services financiers, le Canada obtient des résultats bien supérieurs.
Le sénateur Cogger: Notre comité a entendu des témoignages étonnants. Certains nous ont dit qu'entre le dépôt d'une plainte et son règlement il fallait environ neuf mois. D'autres nous ont dit que le délai pouvait aller de 43 à 48 mois. Qu'en est-il, d'après votre expérience? Je suppose que, collectivement, vous avez souvent eu affaire avec la Commission des droits de la personne. L'écart entre les chiffres qu'on nous a fournis est très grand. D'après votre expérience, le délai est-il de 43 mois ou de neuf?
M. Finlay: Je suppose que le délai de 43 mois représente le temps qu'il faut pour aller devant les tribunaux. Dans le secteur bancaire, je ne me rappelle que d'un seul cas au cours des six ou sept dernières années pour lequel on ait dû avoir recours au tribunal. Dans ma propre banque, nous n'avons jamais eu affaire aux tribunaux.
La présidente: Je tiens à souligner que nous avons reçu une lettre de la Commission des droits de la personne à cet égard. Le sénateur Cogger est d'ailleurs en train de la lire. J'espère qu'on y explique la situation.
M. Finlay: Je dois dire que nous avons une expérience très positive quant à la commission.
Le sénateur Cogger: Il faut à la commission neuf mois, en moyenne, pour enquêter sur les plaintes, n'est-ce pas?
M. Finlay: Environ, oui.
Le sénateur Cogger: Après avoir fait l'enquête et s'être rassurée que la plainte est légitime ou non, que fait la commission? Je ne m'intéresse pas particulièrement au temps nécessaire à l'enquête. J'estime néanmoins qu'un délai de neuf mois représente une longue période de temps, mais ce qui m'intéresse, c'est tout le processus. Peu m'importe qu'il y ait un délai de neuf mois ici et un autre de trois mois ailleurs.
Vous recevez un jour un coup de téléphone de quelqu'un qui dépose une plainte, et le compteur se met à tourner. Le plaignant rappelle ensuite pour laisser tomber sa plainte ou pour insister sur la tenue d'une enquête. L'enquête est effectuée. Combien de temps tout cela représente-t-il? Certains dossiers remontent à huit ou neuf ans.
M. Finlay: Le délai peut être de quelques semaines ou, comme on l'a remarqué, de neuf ans.
Le sénateur Cogger: Mais même ces deux semaines pourraient venir après l'expiration du délai de neuf mois.
Mme White: Dans certains cas, il faut quelques mois, dans d'autres, plusieurs années. D'après notre expérience de l'application de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, cela dépend de ce que la plainte porte ou non sur un élément précis. Dans un dossier, le problème n'était pas précis, et il a fallu beaucoup de temps parce que nous avons dû tout passer en revue pour voir quels facteurs pouvaient être pris en compte.
Bien que nous n'ayons pas normalement recours aux tribunaux, si nous recevons une plainte précise, nous pouvons généralement résoudre le problème.
Il faudrait mettre l'accent sur les résultats, sur nos vrais objectifs, au lieu de nous demander qui gagne ou s'il y a un équilibre. De cette façon, nous pourrions résoudre les problèmes et les plaintes de façon plus rapide et plus facile, quel qu'en soit l'objet.
Le sénateur Cogger: Pourrait-on dire, d'après votre expérience, qu'il est plus facile ou plus rapide de résoudre une plainte lorsqu'on peut négocier avec une personne identifiable, contrairement au cas où il n'y a pas de victime?
Mme White: Tout à fait.
La présidente: Je remercie nos témoins.
Nous entendrons maintenant les représentants d'ÉGALE. Allez-y.
M. John Fisher, directeur exécutif, Égale: Merci de nous donner cette occasion de témoigner devant vous. Je tiens à souligner d'emblée que, comme l'a reconnu la ministre de la Justice, le projet de loi S-5 fait partie d'un train plus vaste de modifications de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, un certain nombre de questions importantes ne sont pas traitées dans ce projet de loi. Nous estimons qu'il faut inscrire ce projet de loi directement dans le contexte d'une réforme plus vaste.
Je crois savoir que la ministre comparaîtra devant vous cet après-midi. Je suis certain qu'elle vous parlera, du moins en partie, de ce train de modifications. Il sera alors intéressant et, à notre avis, essentiel, de connaître l'échéancier de cette réforme plus générale afin d'éviter que le traitement des dossiers actuels en matière de droits à l'égalité ne soit miné par l'introduction du projet de loi S-5 dans le système.
Deuxièmement, le projet de loi S-5 contient toutes sortes de dispositions. Parmi ces diverses dispositions, nous en appuyons un bon nombre, à titre d'organisme de défense des droits à l'égalité. Par exemple, la disposition sur la multiplicité des motifs, la hausse du plafond de l'indemnité et la création d'un tribunal sont, à notre avis, des mesures très importantes et efficaces. Cependant, les projets de loi omnibus comme celui-ci présentent un danger, celui que soient adoptées des dispositions qui pourraient, en fin de compte, nuire à l'exercice des droits à l'égalité, faute d'un examen approfondi.
Puisque ce projet de loi est issu du comité du Sénat, nous soumettons que le comité peut amender la mesure comme il l'entend pour renforcer la protection des droits de la personne. Bien sûr, lorsqu'un projet de loi vient de la Chambre des communes, c'est au comité de cette Chambre qu'il incombe d'apporter les corrections nécessaires aux différentes dispositions. Dans ce cas-ci, c'est le comité du Sénat qui fera le premier l'examen du projet de loi, et il est à notre avis important et à propos que les recommandations que nous proposons soient examinées à cette étape.
On trouvera dans notre mémoire les versions résumées et étoffées de nos préoccupations. Nous sommes convaincus qu'en acceptant les propositions présentées par des groupes comme l'Association des banquiers canadiens, qui ont comparu avant nous, on porterait un préjudice grave au mécanisme de protection des droits de la personne au Canada. L'élimination de facteurs comme la santé, la sécurité et les coûts pourrait permettre aux défendeurs d'invoquer à tout propos le motif de la «contrainte excessive». Nous nous inquiétons particulièrement de ce que la question des coûts pourrait servir d'argument de défense.
Nous nous inquiétons également des pouvoirs que réclame le gouvernement en matière de prise de règlements.
Nous nous étonnons également de ce que l'article 16 de la loi, dans sa version actuelle, ne s'applique pas à tous les motifs énoncés dans l'article 3 proposé. D'après nous, il y a là une rupture dans la logique de la mesure. Certains aspects du projet de loi S-5 sont liés à l'article 16 et nous estimons que le moment est opportun de corriger cette lacune interne.
Mme Pan MacEachern, membre, comité des affaires juridiques, ÉGALE: Permettez-moi de parler plus précisément de la positon d'ÉGALE quant aux facteurs qui permettent à l'employeur de se décharger de ses obligations à l'égard des droits de la personne, c'est-à-dire la santé, la sécurité et les coûts.
ÉGALE estime que ces facteurs ne sont pas bien définis et qu'ils pourraient être interprétés de façon trop générale. Nous estimons que les coûts ne devraient pas limiter l'exercice de droits de la personne fondamentaux à tous les Canadiens. De nombreux groupes de défense de l'égalité, vous ont dit, dans leur témoignage, que ce facteur des coûts devrait être éliminé complètement du projet de loi et qu'il ne devrait pas être acceptable de l'invoquer pour être dispensé de tout devoir en matière de droits de la personne.
Nous sommes d'accord avec ces groupes, mais nous présentons aujourd'hui une autre solution en préconisant que ce terme de «coût» soit à tout le moins assorti de critères conformes aux lignes directrices régissant l'application de la Loi sur les droits de la personne de l'Ontario. D'après ces lignes directrices, les coûts doivent être d'une importance telle qu'ils modifieraient la nature essentielle de l'entreprise ou nuiraient considérablement à sa viabilité.
À tout le moins, nous estimons qu'il faudrait parler de «coût démesuré».
Le sénateur Cogger: Dans votre mémoire, vous parlez de coût «excessif».
Mme MacEachern: Mais nous utilisons l'adjectif «démesuré» à la page 8.
M. Fisher: Au début de notre mémoire, dans le résumé, nous utilisons le mot «excessif» pour indiquer qu'il faut définir les coûts. Le texte de notre mémoire comprend deux propositions. Il y a d'abord une proposition plus détaillée quant aux coûts qui pourraient nuire à l'efficacité de l'entreprise, c'est-à-dire ce que l'on trouve dans les lignes directrices de l'Ontario. La formule de rechange que nous proposons consiste à parler de «coûts démesurés». Le terme «excessif» est un moyen terme quant aux deux propositions.
Mme MacEachern: Si les coûts ne sont pas définis, nous estimons qu'un employeur aura le loisir de plaider que même un coût minime doit suffire à le décharger de ses obligations à l'égard des droits de la personne. Cela se fait déjà sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, même si le critère des coûts n'est pas énoncé expressément comme motif de défense à une accusation de discrimination.
La société canadienne a accepté le principe d'une égalité fondamentale. Il ne suffit pas de traiter les gens de façon semblable pour atteindre l'égalité. Nous avons reconnu qu'il faut parfois traiter les gens de façon différente. Les femmes, plus particulièrement, et les membres d'autres groupes vulnérables, dont les personnes handicapées, savent bien que l'égalité fondamentale ne peut être obtenue au moyen d'un traitement égal.
Nous soumettons que si cet élément des coûts n'est pas défini dans le projet de loi, la protection offerte par la Loi canadienne sur les droits de la personne ne pourra s'appliquer qu'aux personnes qui peuvent atteindre à l'égalité fondamentale grâce à un traitement égal. Toutes celles qui ont besoin de mesures d'adaptation pour obtenir une égalité correspondant à ce qui est défini dans notre jurisprudence sur la qualité fondamentale ne jouiront que d'une protection limitée sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette protection sera limitée par les coûts. D'après nous, on ne saurait parler dans ce cas d'égalité.
Les personnes ici présentes sont peut-être toutes convaincues de ce que les coûts à eux seuls ne sauraient être invoqués à l'encontre d'un devoir en matière d'adaptation. Nous croyons que vous devriez préciser ce qu'il en est et établir le principe qui doit s'appliquer quant à ce facteur limitatif des coûts. Il ne faut pas s'en remettre aux tribunaux. C'est au Parlement qu'il incombe d'établir les principes et de définir ce que l'on entend par «protection des droits de la personne» et «devoir en matière d'adaptation» de façon à ce qu'il faille démontrer, en défense, que les coûts sont excessifs ou, selon une description plus détaillée, que les mesures d'adaptation sont d'une importance telle qu'elles modifieraient la nature essentielle de l'entreprise ou qu'elles nuiraient considérablement à sa viabilité. Ces deux propositions se trouvent aux pages 7 et 8 du mémoire d'ÉGALE.
M. Fisher: En résumé, le manque de définition des «coûts» nous inquiète d'autant plus que le gouvernement propose, à l'article 15 du projet de loi, de prendre des règlements définissant les critères d'évaluation d'une contrainte excessive. En Ontario, c'est la Commission qui établit les lignes directrices. La Commission de l'Ontario a mis en place des normes suffisamment sévères quant aux niveaux des coûts qui déchargent l'employeur de son obligation de répondre aux besoins des groupes désavantagés. Le gouvernement lui-même est l'intimé dans de nombreuses plaintes en matière de droits de la personne. Il se place lui-même dans un conflit d'intérêts extraordinaire en conférant le pouvoir de déterminer les critères selon lesquels il sera jugé. C'est pourquoi nous recommandons que les coûts soient définis, d'une part, mais aussi, d'autre part, que le rôle de la Commission soit renforcé en matière de réglementation afin que le gouverneur en conseil prenne des règlements sur sa recommandation.
Enfin, j'ai parlé dans mes remarques préliminaires du problème que pose l'article 16. Il s'agit simplement de rétablir la logique de la loi, puisque la liste des motifs de l'article 3 devrait être reprise à l'article 16. Comme vous le savez, les tribunaux, dans l'affaire Haig et, plus récemment, dans l'affaire Vriend devant la Cour suprême du Canada, ont étudié la question de savoir si la loi est inconstitutionnelle du fait qu'elle n'inclut pas tous les groupes désavantagés.
Nous croyons que l'absence de certains motifs à l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans sa version actuelle, ouvre la voie à des contestations d'ordre constitutionnel. Plutôt que de conserver des dispositions inconstitutionnelles dans la loi, il faudrait à notre avis profiter de l'occasion pour faire le lien entre les motifs de l'article 16 -- article sur les mesures positives -- et ceux de l'article 3, afin que la loi soit logique.
Voilà, en résumé, ce que nous proposons.
Le sénateur Cogger: Je ne comprends pas très bien la position que vous adoptez. Vous pouvez peut-être me l'expliquer. Tout comme votre collègue, vous dites qu'il ne faut pas s'en remettre aux tribunaux. Si j'ai bien compris votre témoignage, nous devrions mieux définir les critères, mais je ne suis pas certain que cela donnerait grand-chose. Par exemple, si nous adoptons votre proposition et que nous parlons de «coûts excessifs», par exemple, qui décidera de ce que signifie le terme «excessif»? Ne serait-ce pas le même tribunal? En principe, je ne suis pas d'accord pour accorder aux tribunaux le pouvoir de prendre de telles décisions. Par exemple, ce qui constitue une contrainte excessive pourrait ensuite devenir un coût excessif, n'est-ce pas? On pourrait donc faire valoir que des coûts non excessifs, même s'ils constituent peut-être une contrainte, ne constituent pas une contrainte excessive. Autrement dit, je crains que nous ne nous engagions dans des questions subjectives. La Cour suprême a statué que l'utilisation de l'expression «contrainte excessive» implique que certaines contraintes sont acceptables. Seule la contrainte excessive correspond au critère.
De la même façon, on pourrait dire que, d'après vous, certains coûts ne sont pas acceptables. Mais le critère ne s'appliquerait que lorsque les coûts deviennent excessifs. Ne croyez-vous pas que nous essayons d'en faire trop? Je suis tout aussi inquiet que vous quant au pouvoir sans limite du gouverneur en conseil, dont vous avez parlé, de prendre d'autres règlements. Laissons les commissions faire leur travail. Donnons-leur ce critère de la contrainte excessive et le pouvoir d'étudier tous les faits des dossiers afin qu'ils prennent les décisions.
Croyez-vous que ma position soit entièrement déraisonnable?
M. Fisher: Je ne dirais pas qu'elle est entièrement déraisonnable, sénateur. Nous ne serions pas aussi inquiets de cette question des coûts si le gouvernement ne voulait pas parallèlement se doter du pouvoir de définir les normes au moyen de règlements. À l'heure actuelle, toutefois, même si l'argument du coût n'est pas encore défini dans la loi, il est exact que tout critère établi par le Parlement est assujetti à l'interprétation des tribunaux. C'est pourquoi nous disons qu'il faudrait être aussi précis que possible.
Par exemple, si nous acceptons les recommandations de l'Association des banquiers canadiens et que nous éliminons les facteurs de la santé, de la sécurité et des coûts, il n'y aura plus de limite quant à ce qui constitue une contrainte excessive et il n'y aura plus rien de précis quant aux droits de la personne dont jouissent les groupes désavantagés. Nous ne saurions pas à quoi nous avons droit; et les employeurs ne connaîtraient pas non plus leurs obligations.
Le sénateur Cogger: Vous dites que les banques veulent faire retirer ces critères pour des raisons qui leur sont propres. D'autres voudraient peut-être ajouter la santé, la sécurité et les coûts, puis les conditions sociales, et cetera. Où s'arrêtera-t-on?
M. Fisher: Il me semble clair, en tout cas, que les groupes qui souhaitent l'élimination de facteurs comme la santé, la sécurité et les coûts ne réclament pas ce faisant une plus grande protection des droits de la personne. Ils veulent que ces facteurs soient éliminés afin de limiter les normes auxquelles ils sont assujettis.
Ce que nous souhaitons, c'est un équilibre raisonnable et un libellé clair. Nous convenons tous, je suppose, de ce que les employeurs ne pourraient invoquer des coûts minimes pour éviter de s'acquitter de leurs obligations en matière de droits de la personne. Les coûts minimes n'entraîneraient qu'un simple inconvénient commercial. Toute mesure d'adaptation entraîne des coûts.
Le sénateur Cogger: Des coûts qui seraient minimes pour la Banque de Montréal pourraient être excessifs ou démesurés pour l'exploitant du magasin du coin.
M. Fisher: C'est exact. En fin de compte, ce sont les tribunaux qui devront prendre cette décision.
Le sénateur Cogger: Ce que j'aimerais savoir, c'est ce que cela change d'ajouter un mot comme «excessif» ou «démesuré».
M. Fisher: Je crois que ce serait efficace. En tout cas, la Commission canadienne des droits de la personne de l'Ontario a estimé que cela valait la peine de produire des lignes directrices définissant les coûts et établissant des normes pour mesurer ces coûts.
Évidemment, les tribunaux devront déterminer ce qui constitue des coûts démesurés. Mais cela permet néanmoins d'offrir une protection plus élevée que si ce facteur des coûts n'était pas défini pas plus que leur ampleur pour être considérés comme étant démesurés.
Le gouvernement a inclus dans le projet de loi S-5 un préambule dans lequel il énonce son voeu de renforcer le droit des personnes handicapées et la protection des groupes désavantagés. Je ne crois pas que ces droits et cette protection seront accrus par l'établissement d'un critère minimal, non défini et illimité relatif aux coûts et si le gouvernement se voit conférer un droit sans entrave pour décider du niveau de protection.
Le sénateur Cogger: Pourriez-vous nous en dire davantage quant à vos autres propositions?
Mme MacEachern: Tout cela se trouve dans le résumé.
Le sénateur Cogger: Je ne parle pas de l'utilisation du terme «démesuré», mais plutôt de cette question du danger pour la viabilité de l'entreprise.
Mme MacEachern: Cela se trouve au sommaire des recommandations, page 11. On y parle d'une contrainte excessive en matière de coûts d'une importance telle qu'ils modifieraient la nature essentielle de l'entreprise ou qu'ils nuiraient considérablement à sa viabilité.
Le sénateur Cogger: Dites-vous sérieusement que c'est là la définition des coûts que vous aimeriez voir incluse au projet de loi?
Mme MacEachern: C'est la définition que la Commission canadienne des droits de la personne de l'Ontario a adoptée dans ses lignes directrices, à titre de critère de la contrainte excessive. Nous soumettons que cette description pourrait être ajoutée de façon utile au projet de loi afin de mieux indiquer ce que l'on entend par le mot «coût».
Le sénateur Lewis: Au sujet du pouvoir de réglementation, à la page 8 de votre mémoire, vous proposez que le paragraphe 15(3) de la loi soit modifié afin que le gouverneur en conseil puisse, par règlement, déterminer les critères d'évaluation d'une contrainte excessive, sur la recommandation de la Commission canadienne des droits de la personne.
Il semble qu'une telle mesure écarterait entièrement l'État de ce dossier, si ce n'est que le gouverneur en conseil aurait le pouvoir discrétionnaire de prendre des règlements. Il s'agirait là d'un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire de prendre des règlements ne pourrait être exercé que sur recommandation de la Commission.
M. Fisher: C'est exact. À notre connaissance, dans les autres codes des droits de la personne, le gouvernement ne s'est pas donné lui-même le pouvoir de définir les normes en vertu desquelles il sera jugé.
Évidemment, le gouvernement conserve toujours le pouvoir législatif d'adopter d'autres amendements s'il décide de modifier les normes ou d'en introduire de nouvelles. Cette démarche est assujettie au processus démocratique et à un vote à la Chambre des communes et au Sénat.
Par le biais de cet amendement, nous souhaitons autoriser le gouvernement, par l'entremise du gouverneur en conseil, à prendre ces règlements. Si la Commission des droits de la personne considère qu'il y a lieu d'apporter des précisions, nous proposons qu'elle puisse faire une recommandation en ce sens au gouverneur en conseil, et le processus d'élaboration d'un règlement débuterait. Nous estimons que la Commission des droits de la personne est l'instance la mieux placée pour faire cette recommandation et donner le coup d'envoi au processus. En outre, contrairement au gouvernement, elle n'est pas en situation de conflit d'intérêts.
Le sénateur Lewis: Vous proposez qu'aux termes du paragraphe 15(7), le gouverneur en conseil puisse procéder à la prise d'un règlement, conformément au paragraphe (3) qui sera compatible avec le rapport de la Commission et ce, six mois après la publication du règlement proposé.
Dans le projet de loi, le paragraphe (7) proposé stipule que le gouverneur en conseil peut procéder à la prise de règlement six mois après la publication du règlement proposé, que le rapport mentionné au paragraphe proposé ait été déposé ou non. Cependant, vous préconisez de supprimer cette disposition. On préciserait uniquement six mois après la publication du règlement.
M. Fisher: C'est exact. Compte tenu de la formulation actuelle, le processus de consultation ne peut être que symbolique. En effet, la Commission des droits de la personne est autorisée à tenir des consultations publiques, mais par la suite le gouverneur en conseil peut prendre un règlement à sa guise, que la Commission des droits de la personne ait déposé ou non son rapport. Le règlement pourrait aller dans un tout autre sens que le rapport de la Commission. Nous préférerions que le règlement ait un certain rapport avec le processus de consultation publique et les recommandations de la Commission des droits de la personne.
Les deux amendements que nous proposons à ces dispositions sont présentés sous forme d'alternatives. Or, nous préférerions que les deux options soient mises en oeuvre. Nous préférerions que la Commission des droits de la personne soit l'instance qui recommande le déclenchement du processus de prise de règlement et nous préférerions, en bout de ligne, que le règlement adopté respecte les recommandations de la Commission des droits de la personne.
Si le comité ne souhaitait pas aller aussi loin, nous estimons qu'au moins la première partie de la disposition devrait être modifiée pour que ce soit la Commission des droits de la personne qui indique la nécessité de prendre un règlement et recommande au gouverneur en conseil de déclencher le processus.
Nous serions très heureux que notre proposition d'amendement au paragraphe (7) soit adoptée car nous pensons que c'est là un élément important du processus. Cependant, nous voudrions à tout le moins que soit entérinés les amendements proposés au paragraphe (3).
Le sénateur Lewis: Advenant que la Commission ne fasse pas de recommandations, il pourrait arriver que le gouverneur en conseil ne puisse prendre de règlements.
M. Fisher: Une fois le processus amorcé, nous pensons qu'il est logique que la Commission tienne des consultations publiques et publie un rapport et qu'ensuite, le règlement soit rédigé conformément aux conclusions de ce rapport.
Vous avez raison de dire qu'on s'en remettrait aux bons offices de la Commission pour ce qui est d'organiser un processus de consultation publique et de rédiger un rapport. Au besoin, on pourrait ajouter une disposition stipulant que la Commission est tenue de déposer un rapport dans un délai prescrit. Six mois, ce n'est pas tellement long; je préférerais un an. Cependant, si l'on juge bon de ne pas laisser à la Commission le pouvoir discrétionnaire de déposer un rapport, il conviendrait de lui conférer l'obligation de le faire dans un délai prescrit.
Le sénateur Doyle: Je vous remercie de votre franchise cet après-midi.
Dans votre mémoire, je ne trouve nulle part de défense de l'expression «caractère raisonnable». Nous avons passé beaucoup de temps à discuter avant que vous ne vous asseyiez à la table. J'en suis à la page 8 de votre mémoire pour l'instant, sous la rubrique «Commentaire», relativement aux définitions de «coûts» et de «contraintes excessives».
La présidente: Ce sont les lignes directrices de l'Ontario que vous lisez.
Le sénateur Doyle: Êtes-vous disposé à accepter les lignes directrices de l'Ontario?
M. Fisher: Oui.
Le sénateur Doyle: Je vais donc m'y tenir étant donné que je suis de l'Ontario. On y parle de coûts si considérables qu'ils modifieraient la nature même de l'entreprise.
Tout à l'heure, lorsque nous discutions du «caractère raisonnable», nous parlions des banques. Il faudrait que les coûts en question soient très élevés avant qu'on puisse dire que la nature essentielle de l'exploitation d'une banque s'en trouve modifiée.
Vous prévoyez une somme énorme pour l'accommodement, sans considération autre que le fait que la personne est handicapée. Vous autorisez une dépense qui, au bout du compte, pourrait être destructrice. Supposons que vous deviez importer une pièce d'équipement pour permettre à une personne de soulever son bras. Comme j'ai un handicap moi-même, je suis assez sensible à cette question. Cependant, si vous dépensez une somme qui ne serait pas raisonnable, bien souvent, on court le risque de mettre l'entreprise en faillite ou de modifier la nature de l'exploitation.
Ne pensez-vous pas qu'il y a un risque associé à la description de ce qui serait autorisé?
Mme MacEachern: Je ne pense pas que cela mènerait à la faillite de l'entreprise compte tenu de la définition.
Votre référence aux banques est intéressante. D'ailleurs, le sénateur Cogger en a fait mention lui aussi. Il est évident que l'obligation d'accommodement faite à une entreprise d'une seule personne dont les profits sont très restreints sera différente de celle faite à une banque internationale affichant des profits de plus d'un milliard de dollars par année. L'obligation d'accommodement sera différente. C'est une prémisse que j'accepte.
Mais peut-être que j'interprète les propos du sénateur Cogger.
Le sénateur Cogger: L'obligation est la même. La justification de contraintes excessive sera très différente.
Mme MacEachern: La justification de contraintes excessives sera très différente. Vous avez raison. C'est une chose que nous acceptons, compte tenu du principe d'égalité auquel nous avons adhéré en tant que société. Il y aura différentes justifications de la contrainte excessive, selon la nature de l'entreprise et des accommodements nécessaires.
Le sénateur Doyle: Je pense que je comprends votre position.
La présidente: Je voudrais faire suite à la question du sénateur Lewis concernant le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements. Si nous supprimions ce pouvoir de la loi ou que nous l'élargissions en le conférant à la Commission canadienne des droits de la personne, ce serait certainement une innovation dans le processus législatif au Canada. Je crois savoir que toutes les lois, une fois qu'elles sont adoptées, sont mises en vigueur par le biais de règlements formulés et annoncés par le gouverneur en conseil. Concrètement, le projet de loi élargit ce concept dans une certaine mesure puisqu'il précise que le gouverneur en conseil «doit» et non pas «peut», tenir des consultations publiques. Il est tenu de le faire. Quelle est votre réaction? Cette disposition atténue-t-elle vos inquiétudes quant au processus?
M. Fisher: Pas particulièrement. Ce qui nous inquiète, et la raison pour laquelle nous proposons ces modifications, c'est qu'un processus de consultation publique vient de s'ajouter, sous l'égide de la Commission des droits de la personne. Cependant, le gouverneur en conseil est autorisé à amorcer le processus de son propre chef, peu importe le genre de règlement proposé ou l'objectif visé. Au bout du compte, il a le loisir de faire fi du processus de consultation et de prendre n'importe quel règlement qui lui convienne.
Nous accueillons favorablement le processus en vertu duquel la Commission ontarienne des droits de la personne a élaboré et publié les lignes directrices que nous avons jointes à notre mémoire. Nous pensons que les commissions sont bien placées pour tenir des consultations, élaborer des lignes directrices et pour régler au jour le jour les problèmes liés aux droits de la personne. Leur intérêt quant à l'issue d'une situation n'est pas le même que celui du gouvernement.
Nous nous inquiétons de ce que le gouvernement se dote de ce pouvoir et ce, uniquement en ce qui a trait aux normes liées à la contrainte excessive.
La loi renferme de nombreux principes, et nous ne savons pas trop pourquoi le gouvernement s'attache à la contrainte excessive en disant: «Nous voulons pouvoir décider de l'exercice de ce pouvoir en ce qui a trait à cet unique principe.» Si le gouvernement estime avoir un rôle en ce qui a trait à la prise de règlements en général, c'est une chose, mais cela n'est pas sans nous inquiéter.
Tout au long du processus de consultation avec des groupes de défense de l'égalité, le gouvernement a refusé de renforcer le terme «coûts» et résisté à l'imposition de limites au pouvoir de prescrire les normes en vertu desquelles les coûts sont fixés. Nous avons de sérieuses inquiétudes quant à la façon dont tout cela est structuré à l'heure actuelle.
La présidente: Votre groupe, ainsi que d'autres groupes de défense des droits de la personne qui ont comparu devant le comité nous ont demandé de renforcer la définition de «coûts» en ajoutant l'adjectif «excessif». Quant à l'Association des banquiers canadiens, ils nous ont proposé de supprimer cela entièrement ou de parler de «coûts à caractère raisonnable». Ne pensez-vous pas qu'en parlant de contraintes excessives le projet de loi, sous sa forme actuelle, s'inscrit entre ces deux positions?
M. Fisher: Peut-être. Mais à notre avis, ce n'est pas l'objet d'une loi relative aux droits de la personne que de faire plaisir à tout le monde et à ses pairs. Ce n'est pas son rôle que de satisfaire au même titre les éventuels coupables de discrimination et les victimes de discrimination. Comme cela est énoncé dans le préambule de la Loi sur les droits de la personne et du projet de loi S-5, l'objet de la Loi sur les droits de la personne est de renforcer la protection des droits de la personne de façon à ce qu'aucun Canadien ne subisse de discrimination en milieu de travail ou d'atteinte à ses droits fondamentaux en l'absence de procédures ou de mesures peu coûteuses permettant d'assurer le respect intégral de ces droits. Nous estimons que l'intention du projet de loi S-5, sous sa forme actuelle, est de plaire à tout le monde, alors que la mesure devrait être conçue pour protéger les droits de la personne.
La présidente: Merci beaucoup de votre exposé. Vous avez ajouté une perspective intéressante à notre discussion. Si vous voulez rester et entendre la ministre de la Justice, vous êtes le bienvenu.
M. Fisher: Je resterai avec plaisir.
La présidente: Nous accueillons maintenant la ministre de la Justice, et je lui cède la parole. J'ai averti les sénateurs qu'ils pourront poser une question au premier tour de table et, si le temps le permet, nous en ferons un second.
[Français]
L'honorable Anne McLellan, députée, c.p., ministre de la Justice et procureur général du Canada: Madame la présidente, je suis heureuse de comparaître aujourd'hui devant votre comité pour la première fois afin de parler du projet de loi S-5. Dans son ensemble, le but de ce projet de loi est d'améliorer l'accès des personnes handicapées au système de justice, à l'emploi, aux services et aux produits.
Notre société se doit de reconnaître et d'encourager l'importante contribution des quatre millions de Canadiens et de Canadiennes handicapés, lesquels représentent presque 6 p. 100 de la population canadienne. C'est pourquoi ce projet de loi est d'une importance capitale non seulement pour les personnes handicapées, mais également pour leurs familles, leurs amis, leurs employeurs et leurs collègues de travail.
[Traduction]
Un projet identique à celui à l'étude aujourd'hui, le projet de loi C-98, a été présenté au cours de la législature précédente, mais il est resté au Feuilleton à la dissolution des Chambres. Le gouvernement avait alors promis de représenter en priorité cette mesure législative, et c'est ce qu'il fait maintenant avec le projet de loi S-5.
Dans le discours du Trône, nous avons promis de continuer à collaborer avec les provinces afin de promouvoir l'intégration des personnes handicapées à tous les aspects de la société canadienne. Ce projet de loi est issu de la volonté constante et concrète du gouvernement de supprimer les obstacles auxquels font face les personnes handicapées.
Le projet de loi S-5 a nécessité plusieurs années de planification. Parmi les initiatives qui lui ont pavé la voie, citons la Stratégie nationale pour l'intégration des personnes handicapées, ainsi que le projet de loi C-78 qui est entré en vigueur le 30 juin 1992. Dans le contexte de l'élaboration de la politique, des consultations exhaustives ont eu lieu auprès des organismes des personnes handicapées, des groupes de défense de l'égalité, des associations d'employeurs, des corps policiers et des avocats de la défense.
Comme vous le savez, un groupe de travail fédéral sur les problèmes des personnes handicapées, présidé par l'honorable Andy Scott, a déposé son rapport l'automne dernier. Ce rapport s'intitulait: «Donner un sens à notre citoyenneté canadienne: la volonté d'intégrer les personnes handicapées». Nous sommes d'avis que le projet de loi S-5 illustre bien la volonté d'agir de notre gouvernement.
Au nombre de ses recommandations, il invitait le gouvernement fédéral à apporter des modifications au droit criminel et à la Loi sur les droits de la personne. Le projet de loi S-5 représente la réponse du gouvernement fédéral aux recommandations du groupe de travail. Il propose des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne, à la Loi sur la preuve au Canada et au Code criminel.
Tout d'abord, je passerai brièvement en revue les amendements au droit pénal que renferme le projet de loi S-5. La mesure propose cinq réformes qui concernent le droit pénal. Une nouvelle disposition de la Loi sur la preuve au Canada permettra au témoin qui éprouve des difficultés à communiquer d'obtenir de l'aide pour ce faire. Ainsi, un témoin sourd pourra recourir à l'interprétation gestuelle et un témoin malentendant à une interprétation écrite en temps réel, ainsi qu'à des dispositifs d'écoute ou à une interprétation orale.
Un deuxième amendement à la Loi sur la preuve au Canada permettrait aux témoins d'utiliser d'autres méthodes d'identification de l'accusé, notamment le recours au sens de l'ouïe ou du toucher.
Le troisième amendement que renferme le projet de loi S-5 à l'égard du droit pénal créerait dans le Code une nouvelle disposition permettant aux témoins handicapés ayant du mal à communiquer de témoigner sur enregistrement magnétoscopique. Le recours à une preuve enregistrée sur bande magnétoscopique serait possible dans le cas de certains crimes précis, dont l'agression sexuelle, la pornographie, la prostitution ou les voies de fait. Une disposition connexe limite également l'usage de l'enregistrement magnétoscopique au but visé afin d'assurer une protection contre un mauvais usage éventuel.
Quatrièmement, une série d'amendements au Code criminel vise à faciliter la participation d'une personne handicapée dans un jury. En outre, des amendements connexes sont nécessaires pour assurer la présence d'interprètes pour venir en aide à un juré handicapé. Ces assistants ou interprètes seraient tenus de respecter la règle de non-divulgation des délibérations du jury, et de ne pas nuire ou indûment influencer ces délibérations. Il est très clair dans les amendements que ces assistants ou interprètes ne sont pas la treizième personne du jury. Leur rôle se limite à aider les jurés handicapés.
Certains témoins, en particulier de l'Association du barreau du Québec, ont soulevé cette question devant le comité. Je tiens à vous donner l'assurance que l'intention du gouvernement n'est pas de créer un treizième juré. Les inquiétudes des représentants du Barreau du Québec sont légitimes, mais dans le contexte des amendements proposés, elles ne sont pas fondées et nous estimons y avoir répondu adéquatement. Cependant, je souhaiterais entendre votre point de vue à ce sujet.
Enfin, un dernier amendement au droit pénal créerait une nouvelle infraction pour réprimer le crime d'exploitation sexuelle d'une personne handicapée en situation de dépendance. C'est ainsi que des adultes handicapés dépendants vulnérables seraient protégés contre des abus sexuels perpétrés par leurs dispensateurs de soins.
Tous ces amendements au droit pénal ont recueilli l'appui des organismes de défense des intérêts des personnes handicapées. Ils sont aussi appuyés par les gouvernements provinciaux et territoriaux, les associations d'avocats du barreau et les corps policiers.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, le projet de loi S-5 renferme aussi d'importants amendements à la Loi canadienne sur les droits de la personne, présentée pour la première fois en 1977.
L'existence de la Charte, l'évolution de la jurisprudence, les amendements à la législation provinciale en matière de droits de la personne et les recommandations de divers comités parlementaires ont influé sur tous les aspects de la loi. Le but des amendements actuels est de la rendre conforme au moins avec certains de ces faits nouveaux.
Parmi les éléments importants de ces amendements, mentionnons l'ajout d'une obligation expresse d'accommodement, la restructuration du processus juridictionnel et le renforcement des pouvoirs correctifs du tribunal, particulièrement en ce qui a trait à la dissémination de propagandes haineuses.
Le projet de loi permettra aussi à la Commission canadienne des droits de la personne de faire rapport directement au Parlement, plutôt que par l'entremise du ministre de la Justice.
J'ai remarqué que presque tous les témoins qui ont comparu devant vous se sont prononcés en faveur des éléments essentiels de la réforme de la loi.
Par ailleurs, je suis sûr que certains auraient voulu que l'on apporte des changements plus profonds à la loi. Toutefois, étant donné que plusieurs gouvernements successifs ont fait savoir qu'ils donneraient suite à des recommandations précises visant à modifier la loi, je crois que les propositions qui ont été présentées ne sauraient être repoussées à plus tard. D'autres questions pourront être abordées à l'avenir, dans le cadre d'une refonte plus globale de la loi, et je tiens à donner l'assurance au comité que ce sera fait. Je note qu'il y a peut-être aussi un certain scepticisme quant à la date éventuelle de cette refonte plus globale, car un certain nombre de promesses ont été faites à cet égard.
Ce que nous avons sous les yeux aujourd'hui est un élément important de ce processus, puisqu'il règle certaines questions précises à l'égard desquelles nous estimons devoir agir immédiatement. Je tiens à rassurer les membres du comité: une refonte plus globale fait bel et bien partie des projets du ministère de la Justice et de mes propres projets à titre de ministre de la Justice.
J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt les délibérations du comité et j'ai observé qu'un certain nombre de questions ont été soulevées au sujet des modifications apportées aux droits de la personne. Je voudrais passer en revue les grandes lignes des réformes que nous proposons et aborder certaines questions qui ont été soulevées par des témoins qui ont comparu avant moi devant le comité.
Je sais que certains ont suggéré d'ajouter de nouvelles dispositions au projet de loi. Peut-être vais-je consacrer quelques minutes à cette question également.
L'élément clé de ces modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est l'ajout explicite de l'obligation d'accommodement. Aux termes de cette disposition, les employeurs et les fournisseurs de services sont tenus de répondre aux besoins des personnes protégées par la loi, sauf si cela leur imposerait une contrainte excessive, en tenant compte de la santé, de la sécurité et du coût.
Certains témoins ont déclaré que ce projet de loi introduira un nouveau facteur relativement à l'obligation d'accommodement, nommément le coût, et affaiblira ainsi l'obligation d'accommodement et la protection offerte aux personnes handicapées, tandis que d'autres ont dit plutôt estimer que l'obligation pourrait en fait être trop lourde ou trop contraignante.
On a également proposé d'ajouter après le mot coût l'épithète «excessif». Certains témoins ont exhorté le comité à ajouter cela à la liste des facteurs, tandis que d'autres ont soutenu qu'il fallait au contraire raccourcir la liste en supprimant le mot «coût».
Certains témoins estimaient que l'énumération des facteurs constitue une définition satisfaisante de la contrainte excessive, tandis que d'autres témoins ont demandé de supprimer tous les facteurs, afin que les employeurs et les fournisseurs de services soient tenus d'accommoder, l'obligation étant seulement limitée par la contrainte excessive.
Madame la présidente, je voudrais dire, premièrement, que le coût n'est pas un nouveau facteur pour ce qui est d'évaluer l'obligation d'accommodement. Il figure déjà dans la loi, autant par suite des décisions rendues par les tribunaux qu'en raison des dispositions législatives.
La Cour suprême du Canada a déclaré dans des décisions telles celles rendues dans l'affaire Central Alberta Dairy Pool c. the Alberta Human Rights Commission que le coût est l'un des facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer s'il y a contrainte excessive.
Dans la décision rendue récemment dans l'affaire Elderidge, la Cour suprême du Canada a considéré que le coût est un facteur dont il faut tenir compte relativement à l'obligation d'accommodement.
Dans le Code des droits de l'homme de l'Ontario, entré en vigueur en 1986, on énumère le coût, la santé et la sécurité comme facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer s'il y a contrainte excessive.
Je crois par ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de nuancer la notion de coût. Le projet de loi stipule expressément que les employeurs et les fournisseurs de services ont une obligation d'accommodement, sauf si cela représenterait pour eux une contrainte excessive. En anglais, on utilise de façon interchangeable les mots «undue» et «excessive», qui sont synonymes.
Il existe une jurisprudence relativement à la contrainte excessive, les tribunaux ayant établi clairement qu'il s'agit d'une obligation sérieuse et que l'on ne saurait invoquer un coût quelconque pour justifier le refus d'accommoder quelqu'un. Le projet de loi à l'étude codifie une obligation qui pèse déjà lourdement sur les employeurs et les fournisseurs de services.
À mon avis, la santé, la sécurité et le coût, comme facteurs pour l'évaluation de la contrainte excessive, posent les questions clés en ce qui a trait à l'obligation d'accommodement. Je suis convaincu que ces facteurs constituent un équilibre raisonnable qui garantira que l'on répondra aux besoins des personnes handicapées, tout en offrant en même temps une souplesse suffisante aux employeurs et aux fournisseurs de services. Une disposition semblable relativement à l'obligation d'accommodement existe déjà dans la législation ontarienne depuis 1986. Cela n'a pas imposé un fardeau déraisonnable aux employeurs et aux fournisseurs de services.
Il faut ajouter à la question des facteurs permettant l'évaluation de la contrainte excessive les pouvoirs réglementaires du gouverneur en conseil et je vais d'ailleurs y consacrer quelques instants. Le projet de loi donne au conseil des ministres le pouvoir de prescrire, par voie réglementaire, des normes pour l'évaluation de la contrainte excessive. Cette disposition vise à détailler davantage ces normes d'évaluation en leur imprimant la souplesse nécessaire pour pouvoir tenir compte de l'évolution future, incontestable selon nous, des normes d'accessibilité. À notre sens, il est plus rapide et plus facile d'intervenir par voie réglementaire que de modifier une loi ou de chercher un règlement par voie de contestation judiciaire.
Simultanément, je dois signaler que le public en général et la Commission en particulier sont des intervenants importants au niveau de l'élaboration de la réglementation. Le projet de loi porte clairement que tout projet de règlement doit être publié dans la Gazette du Canada et que toute personne intéressée doit avoir le loisir de présenter à ce sujet les instances qu'elle souhaite. Le projet de loi exige également que toute réglementation proposée soit ouverte à consultation par la Commission.
Je voudrais insister sur le fait que ces dispositions sont contraignantes. En accordant ce pouvoir au gouvernement, on signifie par la même occasion que les lois sur les droits de la personne doivent être élaborées et le sont d'ailleurs en prenant en compte l'intérêt national.
Madame la présidente, un autre amendement important à la Loi canadienne sur les droits de la personne est la restructuration du Tribunal canadien des droits de la personne. L'actuel système d'arbitrage qui fonctionne au cas par cas sera remplacé par un tribunal petit, certes, mais efficace, bien ciblé et à caractère permanent.
Pratiquement tous les témoins qui ont comparu devant le comité ont jugé qu'il s'agissait là d'un moyen permettant d'éliminer les retards et les longs délais qu'entraîne l'audition de ces causes. De plus, ses membres auront ainsi le loisir d'acquérir les compétences approfondies nécessaires pour leur permettre de se saisir de causes complexes qu'ils auront plus régulièrement à entendre.
Je sais toutefois, que d'aucuns se sont interrogés sur les qualifications en droit que devraient posséder le président, le vice-président et deux des 13 autres membres. Cette disposition fait partie du projet de loi pour plusieurs raisons.
Au fil du temps, les procédures intentées ont acquis un caractère de plus en plus légaliste, et ceux d'entre nous qui ont suivi de près les travaux du Tribunal canadien des droits de la personne depuis quelques années, ont pu le constater. Nous pouvons certes nous demander si c'est là une bonne ou une mauvaise chose, mais il ne fait aucun doute que les procédures sont devenues avec le temps de plus en plus légalistes.
Le tribunal est sans cesse appelé à entendre des questions de droit, de procédure et de preuve à caractère complexe. Qui plus est, d'autres lois fédérales peuvent être contestées devant le tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis personnellement d'avis qu'il serait donc utile que le barreau soit représenté au tribunal.
Je dois également vous signaler que cette condition de compétence ne vaut que pour quatre des 15 membres du tribunal et que les 11 autres ne doivent pas nécessairement être des juristes. Toutefois, comme le prescrit la loi, les 15 membres du tribunal, qu'ils aient ou non fait des études de droit, doivent être parfaitement ouverts aux droits de la personne et en avoir un excellent entendement.
Dans un autre amendement, nous proposons l'admissibilité de plaintes en discrimination dans le cas de la fourniture de biens et de services même si aucun plaignant n'a intenté une procédure. Nous n'avons pas pour but ici d'invoquer cette disposition pour saisir le tribunal de causes hypothétiques ou, en d'autres termes, pour aller à la pêche. Une plainte peut être interjetée en vertu de cette disposition uniquement s'il y a raisonnablement lieu de croire qu'une ou plusieurs personnes se sont livrées à des pratiques discriminatoires. En outre, en vertu de l'article 41 de la loi, la Commission a toujours le pouvoir de refuser toute plainte frivole, vexatoires ou de mauvaise foi, et il s'agit là d'un pouvoir auquel, nous le savons d'expérience, la Commission a eu recours.
Cette disposition donne à la Commission le moyen de se saisir de façon plus systémique de problèmes relatifs à la disponibilité de produits et de services. Nous savons tous que nous devons reconnaître qu'un problème tout particulier se pose dans le cas des discriminations structurelles ou systémiques, et dans les cas de discrimination de ce genre, une plainte déposée par un particulier n'est pas nécessairement le meilleur outil possible pour arriver à une solution. Il y a peut-être d'autres façons de s'y prendre, mais nous en proposons une qui nous permettrait précisément de nous attaquer à une discrimination structurelle ou systémique qui surviendrait à l'échelle d'un système ou d'une institution.
Cette disposition aligne également le traitement accordé aux plaintes relatives à la fourniture de biens et de services sur celui des plaintes concernant le secteur de l'emploi. À l'heure actuelle, la loi permet de déposer une plainte à l'endroit d'une politique d'emploi discriminatoire, même si aucune victime identifiable n'a pu se présenter. Rien ne prouve, que, dans ce contexte de l'emploi, cette disposition ait été invoquée à mauvais escient. Je suis d'avis que rien ne justifie une distinction entre l'emploi d'une part et la fourniture de biens et de services de l'autre.
Madame la présidente, voilà certaines seulement des dispositions principales que nous proposons dans ce projet de loi. À l'évidence, je n'ai pas le temps de vous exposer toutes nos propositions. Je vais maintenant aborder certains éléments nouveaux qui ont été évoqués pendant vos audiences.
S'inspirant de la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick, le sénateur Kinsella avait demandé s'il ne serait pas préférable, pour les employeurs et les fournisseurs de services, de demander au préalable à la Commission canadienne des droits de la personne si ses politiques et ses façons de procéder sont conformes au devoir qu'elle a de respecter les normes et, par conséquent, sont à l'abri de tout litige.
Le sénateur Kinsella a ainsi fait valoir un problème intéressant et difficile à la fois. À mon avis, il ne s'agit pas simplement ici du devoir d'accommodement; cela vaut pour tous les aspects de la Loi canadienne des droits de la personne. Il en va du rôle même de la Commission qui doit assurer l'application de la loi et, par ailleurs, cette question fait intervenir des problèmes de procédure. Nous entendons nous en saisir dans le cadre de l'examen élargi que nous prévoyons conduire ultérieurement et auquel j'ai déjà fait allusion.
Pour l'immédiat, je crois qu'il n'est pas nécessaire de donner à la Commission ce genre de mandat. Comme Mme Farlardeau-Ramsay l'avait dit pendant sa comparution, les articles 17 et 18 de la Loi canadienne des droits de la personne autorisent la Commission à donner son avis préalable à un plan destiné précisément à offrir ce genre d'accommodement. Elle ajoutait d'ailleurs à son témoignage que puisque la Commission est en consultation constante avec les organismes assujettis à la loi, elle peut ainsi se saisir de plans à long terme concernant les questions d'accessibilité ce qui, en fin de compte permettrait d'éviter des litiges aussi inutiles que coûteux, du moins c'est ce qu'on peut espérer, et nous avons déjà tous constaté que c'était effectivement le cas.
Dans son mémoire au comité, la professeur Jackman vous a dit que l'omission de la condition sociale comme motif de discrimination en vertu de la loi était contraire à l'article 15 de la Charte et elle demandait instamment au comité d'ajouter à la liste des motifs de discrimination interdits en vertu du projet d'article 3.1 du projet de loi la condition sociale et la pauvreté. En toute déférence, je ne suis pas certaine que la Charte exige d'une loi sur les droits de la personne qu'elle ne fasse état de ce genre de question. Quoi qu'il en soit, il faut que le ministère se penche de plus près sur ce dossier en consultant les groupes et les particuliers intéressés, et c'est ce qu'il fera dans le cadre de l'examen élargi qui est d'ores et déjà prévu.
En guise de conclusion, j'ai la conviction que ce que nous proposons dans le projet de loi S-5 est à la fois important et nécessaire pour tous nos compatriotes et de fait, certains d'entre eux, les handicapés en particulier, attendent depuis bien longtemps ces modifications.
Pour reprendre les termes du juge La Forest dans l'affaire Elderidge, une réalité regrettable dans l'histoire des handicapés au Canada est précisément en grande partie, cette exclusion et cette marginalisation que nous connaissons. Le projet de loi S-5 concrétise la volonté du gouvernement d'édifier une société intégrante dans laquelle les personnes handicapées ont les mêmes possibilités d'accès non seulement à l'emploi, mais également aux biens et aux services, tout en étant partie prenante à part entière dans le système judiciaire, ce dont à dire vrai, elles ont été pour l'essentiel exclues pendant 130 ans, en d'autres termes une société intégrante dans laquelle la participation des personnes présentant un handicap n'est pas une simple copie des normes applicables aux citoyens valides.
Ces propositions viennent renforcer les valeurs qui sous-tendent la Loi canadienne des droits de la personne, les dispositions de la Charte concernant l'égalité, mais également cette conviction qu'ont tous les Canadiens que chaque citoyen mérite qu'on se soucie de lui, qu'on le respecte et qu'on le considère à part entière.
Voilà, madame la présidente, qui conclut mon exposé liminaire. Je serais heureuse d'entendre les commentaires des membres du comité et de répondre à leurs éventuelles questions. Je suis également accompagnée par des agents du ministère qui me prêteront main-forte en cas de questions à caractère plus technique auxquelles je ne serais pas personnellement capable de répondre.
La présidente: Merci pour votre exposé.
Le sénateur Jessiman: Madame la ministre, plusieurs des amendements que vous proposez d'apporter à la Loi sur la preuve et au Code criminel, vont avoir des incidences financières sur les provinces. Ainsi, il semblerait que ce seront les provinces qui devront assumer les frais entraînés par l'obligation de répondre aux besoins en matière de communication des témoins à charge, étant donné que ce sont les provinces qui sont responsables de l'administration judiciaire.
Y a-t-il à ce sujet une entente avec les provinces?
Mme McLellan: Je vais demander à mes fonctionnaires de répondre à cette question au niveau du détail, mais je vous dirais néanmoins que c'est une question qui m'interpelle et qui est importante. Ce n'est pas qu'à cet endroit-ci qu'elle se pose. Ainsi, dans le cas de l'immigration, les lois fédérales actuelles et les amendements qui pourraient y être apportés font qu'il est fort probable que les provinces auront à assumer d'autres frais puisque, comme vous le signalez à très juste titre, ce sont elles que la Constitution rend responsables de l'administration judiciaire. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est là un dossier sur lequel je suis sans cesse en pourparlers avec mes homologues provinciaux. Il y a deux semaines encore, j'en discutais avec le procureur général de l'Ontario dans un autre contexte.
La question est donc importante et je suis donc en pourparlers à ce sujet avec mes homologues. Ces discussions vont se poursuivre. Cela étant toutefois, je ne vous dirais pas toute la vérité si je vous affirmais que le ministère de la Justice ou le gouvernement fédéral peut compter sur des moyens accrus considérables pour mettre en oeuvre certaines de ces propositions que nous vous signalons.
Au fil des ans, les procureurs généraux des provinces ont trouvé le moyen, grâce à leur budget, d'accommoder par exemple les personnes en chaise roulante ou celles qui ont des problèmes de mobilité en leur permettant, de façon limitée certes, de prendre part aux procédures.
Je ne saurais toutefois nier l'importance de cette question. Je ne peux promettre, néanmoins, que le gouvernement fédéral va débloquer de nouveaux crédits importants pour aider les provinces à cet égard.
M. Mark Berlin, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: En deux mots, les amendements techniques apportés au Code criminel et à la Loi sur la preuve sont pour l'essentiel une codification de ce qui se fait déjà dans les tribunaux par tout au Canada.
Le sénateur Jessiman: Mais il y a également des éléments nouveaux qui découlent directement de l'affaire Elderidge, n'est-ce pas?
M. Berlin: Vous avez raison, sénateur.
Le sénateur Jessiman: Et pour compléter ma question: le ministère a-t-il chiffré le coût de ces amendements? Savons-nous déjà ce qu'ils coûteront ou sommes-nous en train de le calculer?
M. Berlin: C'est ce que nous sommes en train de faire. Suite aux pourparlers que nous avons déjà eus avec les provinces, nous avons appris que le coût de l'administration judiciaire est pour elles un souci constant depuis plusieurs années. Cela fait en effet plusieurs années que les provinces en assument la charge. Elles n'ont pas encore chiffré leurs dépenses à notre intention dans le cas qui nous occupe en nous disant par exemple: «Les jurys nous coûtent tant et l'aide à la communication tant». Nous avons néanmoins, suite à ces discussions, la relative certitude que les surcoûts en question pour les provinces sont minimes par rapport au budget total de l'administration de la justice.
En outre, le jugement rendu dans l'affaire Elderidge dont vous avez parlé, dit bien que toute augmentation modique des frais encourus par les provinces doit être acceptée comme étant un accommodement nécessaire à l'endroit des personnes handicapées. C'est précisément ce qui ressort de la cause Elderidge dans le cas du financement des services d'interprétation en vertu de la Medical Services Act de la Colombie-Britannique. Nous avons donc le sentiment que par extrapolation, nous avons, oserai-je dire, l'aval de la cour pour ce qui est de ces frais supplémentaires.
Le sénateur Jessiman: Il est facile à la cour de dire ce que les provinces doivent payer.
Mme McLellan: Même s'il est probablement exact pour l'instant que les provinces estiment que ces surcoûts seront modiques et pourront être absorbés, je sais parfaitement que si ce n'est pas le cas, je ne tarderai pas à l'apprendre. À ce moment-là, il s'agira pour mois d'en discuter avec mes homologues des provinces pour savoir quels sont au juste ces surcoûts, s'ils sont abusifs et s'ils ne devraient pas alors sortir du cadre du budget normal de l'administration de la justice.
Bien entendu, les rapports entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour ce qui est du système judiciaire ont donné lieu à un très haut niveau d'intégration et de coopération. En général, nous parvenons à régler les questions de ce genre à la satisfaction des deux parties et dans le respect de leurs impératifs, de sorte que je ne prévois pas de gros problèmes qui seraient dus uniquement à ces amendements. Cela dit toutefois, le problème que vous évoquez est d'ordre plus général et je vais probablement devoir m'en saisir dans le cadre de mes fonctions de ministre de la Justice.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Le président du Tribunal des droits de la personne a expliqué que la pratique veut que les panels soient présidés par des membres qui sont avocats; je suis tout à fait d'accord. Le Barreau du Québec a suggéré qu'il en soit ainsi. Est-ce que, comme juriste, vous seriez disposée à l'inclure dans la loi ou à laisser cela à la pratique?
[Traduction]
Mme McLellan: Je laisserais probablement cela se régler au niveau pratique, mais vous avez tout à fait raison. J'estime sincèrement qu'il est parfaitement logique que le président d'un organe comme celui-là ait une formation en droit. Comme je l'ai déjà dit, ces auditions sont devenues, à tort ou à raison, extrêmement légalistes, et il y a des questions de preuve et de procédure qui risquent de faire dérailler tout le processus. Il est donc utile que le président ait la connaissance du droit nécessaire pour pouvoir traiter de questions de preuve et de procédure -- pas de façon unilatérale, c'est certain, mais en concertation avec les autres membres.
Nous connaissons tous le genre de questions qui sont évoquées et comment les avocats les amènent. Lorsque je dis cela, c'est l'avocate qui parle et je ne veux nullement donner l'impression qu'un avocat présenterait au tribunal une motion de procédure quelconque si ce n'est en utilisant au mieux ces moyens pour défendre véritablement les intérêts de son client. Il n'empêche qu'il s'agit-là souvent de questions complexes et difficiles qui se posent avant même qu'on en arrive à la substance de la plainte en discrimination.
Il est par conséquent utile qu'un organe comme celui-là compte au moins une personne ayant une formation en droit, et il est logique que cette personne en soit le président.
Le sénateur Beaudoin: Je suis on ne peut plus d'accord avec vous. Mais ne voudriez-vous pas que la loi précisément l'exige?
Mme McLellan: Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Le tribunal peut fort bien en faire un de ses principes directeurs si le président et les membres en décident ainsi.
Il n'est pas indispensable que la loi le prescrive, mais je pense que ce serait néanmoins un bon principe à suivre au niveau de l'administration du tribunal. À l'évidence, le tribunal arrête les principes dont il s'inspire pour fonctionner, et s'il arrive à la conclusion que c'est la façon la plus efficace et la plus rapide pour lui de procéder, il pourrait fort bien en faire un de ses principes.
Je ne suis pas du tout convaincue que ce soit le genre de chose qui doive être sanctionnée par la loi.
Le sénateur Beaudoin: Si je vous pose la question, c'est parce que ce tribunal, qui est un tribunal administratif, je m'en rends compte, est chargé de faire appliquer la Charte des droits et libertés.
Mme McLellan: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: C'est une responsabilité très importante que d'appliquer la Charte des droits et libertés au niveau législatif. Quoi qu'il en soit, c'est un débat qui reste entier et dans lequel je ne veux pas vous entraîner. Je sais déjà que le juge en chef de la Cour suprême du Canada pense plutôt deux fois qu'une à cette question de l'habilitation des tribunaux administratifs leur permettant de faire appliquer la Charte canadienne des droits et libertés.
Je suis d'ailleurs du même avis. Je sais que l'hypothèse est discutable, mais je suis enclin à penser que l'application de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Constitution doit rester l'exclusive des tribunaux en tant que tel par opposition aux tribunaux administratifs. Mais j'en conviens, c'est là une toute autre question.
Mme McLellan: C'est une question, sénateur, dont nous pourrions vous et moi débattre, ce que nous ferions probablement si nous étions encore professeurs de droit. Je sais toutefois à quoi vous faisiez allusion en parlant du juge en chef de la Cour suprême. La jurisprudence récente commence à nous montrer que les tribunaux s'interrogent sur certains jugements antérieurs de la Cour suprême du Canada, des jugements qui, nous le savons, ont précisément entrouvert la porte pour que les tribunaux administratifs puissent appliquer la Charte et rendre des décisions basées sur celle-ci.
C'est évidemment à la Cour suprême qu'il appartiendra d'apporter les conseils et les précisions qu'elle jugera bon dans ce domaine, mais il n'empêche que votre argumentation est valide. Elle démontre bien qu'il faut effectivement dans ces tribunaux administratifs à pouvoir décisionnaire des gens qui ont une formation en droit. Même les juristes parmi nous prennent parfois plaisir à s'en prendre aux avocats mais, au bout du compte, les avocats sont des gens extrêmement qualifiés qui éclairent de leurs talents et de leur compétence un litige, une préoccupation ou une plainte, et jamais ne devrions-nous sous-estimer ou minimiser l'importance de ces talents lorsqu'il s'agit d'aider les plaideurs à obtenir un juste résultat. C'est la raison pour laquelle à mon avis il faut que ce tribunal compte en son sein des gens qui ont une formation en droit.
Le sénateur Lewis: Ma question concerne le pouvoir réglementaire qui se trouve au projet d'amendement à l'article 15, et en particulier les paragraphes (3) et (7). Ces dispositions proposées donneraient au gouverneur en conseil le pouvoir de procéder par voie réglementaire et d'exiger que la Commission des droits de la personne soit consultée puis, après six mois, le nouveau paragraphe (7) prescrit la publication du règlement proposé. On nous a laissé entendre cet après-midi que cette disposition devrait être modifiée afin que le gouverneur en conseil ait le pouvoir de procéder par voie réglementaire, mais seulement sur la recommandation de la Commission canadienne des droits de la personne.
Selon mon interprétation, ce serait donc exclusivement sur la recommandation de la Commission. En outre, le gouverneur en conseil pourrait procéder par voie réglementaire en vertu du paragraphe (3), suite au rapport de la Commission canadienne des droits de la personne, six mois après la publication du projet de règlement. Cela semblerait limiter les pouvoirs du gouverneur en conseil. Cette proposition semble donc bien étonnante. Qu'en pensez-vous?
Mme McLellan: Cette disposition limiterait effectivement les pouvoirs du gouverneur en conseil. À l'heure actuelle, selon le texte proposé, le gouverneur en conseil pourrait procéder par voie réglementaire. La Commission joue un rôle important au niveau des consultations publiques. Le ministre de la Justice conseillerait alors le gouverneur en conseil pour ce qui est de la réglementation et ce conseil serait éclairé par les consultations qui auraient été conduites par la Commission, et serait également influencé par l'expérience et la réflexion propres de la Commission.
Le foyer même de ces pouvoirs changerait en ce sens que l'initiative viendrait désormais de la Commission et non plus du gouverneur en conseil. Nous avons précisément voulu qu'en l'occurrence l'initiative vienne non pas de la Commission mais du gouverneur en conseil. Il existe un rapport très étroit entre les deux, un rapport qui respecte d'ailleurs la compétence toute particulière de la Commission.
Au bout du compte, ces règlements seraient dictés par le gouverneur en conseil qui doit être le tout dernier tenant de la responsabilité politique.
Le sénateur Doyle: La ministre envisagerait-elle des amendements lorsque nous étudierons cette semaine le projet de loi article par article?
Mme McLellan: Les sénateurs procèdent actuellement à l'étude du projet de loi. Vous avez parfaitement le droit de proposer des amendements et je ne voudrais en aucune façon entraver ou limiter ce droit qui est le vôtre, même si j'en avais les moyens. Vous avez entendu les témoins. Vous avez pu examiner le projet de loi.
Au nom du gouvernement du Canada, j'ai proposé les amendements que nous souhaitions apporter au Code criminel, à la Loi sur la preuve et à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je n'ai toutefois pas la prétention d'avoir la vérité infuse et je ne voudrais pas affirmer que nos propositions représentent la seule solution possible. Si le comité croit possible d'arriver à ces objectifs que nous partageons tous, je n'en doute pas, en traduisant mieux encore les droits des parties en cause, de façon plus efficiente et moins coûteuse, à ce moment-là bien évidemment je serais tout à fait disposée à envisager des amendements de ce genre.
Le sénateur Doyle: Je n'ai jamais rien entendu d'aussi plaisant à ce comité. Je puis vous assurer que nous ne pensons nullement à chambouler tout ce projet de loi d'un bout à l'autre -- après tout il ne s'agit pas du C-220 -- mais il n'empêche que nous avons beaucoup discuté de l'utilisation du terme «raisonnable» et que nous n'en sommes pas encore arrivés à une solution.
Mme McLellan: En effet.
Le sénateur Doyle: Le sénateur Cogger a fait valoir des choses intéressantes lorsqu'il a parlé du temps qu'il fallait pour qu'une affaire soit tranchée par le tribunal. Nous nous demandons s'il n'y aurait pas moyen de faire quelque chose pour raccourcir le délai entre le dépôt d'une plainte et la réponse satisfaisante donnée au client.
Mme McLellan: Ce que vous venez de dire est intéressant. Cela pose en effet un problème d'ordre général, mais nous le traitons ici dans le cadre plus particulier des tribunaux des droits de la personne. C'est toute la question de la justice qui doit être rendue dans des délais raisonnables. Si elle ne l'est pas, à ce moment-là justice n'est pas faite. C'est donc une question importante et dont nous devons nous saisir. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de modifier la structure même du tribunal et de créer plutôt un organisme permanent composé de 15 personnes.
Nous avons tous en mémoire des cas de retards, probablement inacceptables, attribuables au fait que nous n'avions pas ce genre d'organisme permanent ayant pour mandat d'assumer cette fonction à plein temps, de délibérer sur les causes entendues et d'obtenir un résultat.
Je sais d'expérience qu'on choisit souvent des professeurs de droit pour faire partie de ce genre d'organe. Et bien que mes collègues et moi-même ayons sans nul doute réussi à apporter aux procédures de ce genre un certain niveau de compétences et de connaissances, ce n'était en revanche pas un mandat à plein temps. Les dates d'audience étaient sans cesse modifiées pour accommoder l'agenda de trois ou quatre personnes qui avaient toutes un poste à plein temps ailleurs. Les retards de ce genre n'étaient donc pas étonnants et il n'était pas étonnant non plus que les procédures se prolongent pendant plusieurs semaines. S'il fallait interrompre une audience, il n'était parfois pas possible de prévoir une date de reprise avant plusieurs mois. Et si quelqu'un affirme que cela est intolérable, je suis on ne peut plus d'accord.
Si justice n'est pas faite dans un délai raisonnable, c'est un déni de justice. Nous voulons que ces audiences soient conduites avec diligence. Il est évident que le président du tribunal doit bien comprendre, lorsqu'il organisera les activités de ce tribunal remanié, l'importance qu'il y a de faire diligence.
La présidente: Madame la ministre, nous n'avons pas encore abordé la question des plaintes sans victime. Plusieurs groupes de témoins nous ont fait valoir que cette disposition du projet de loi était extrêmement importante. En revanche, l'Association des banquiers canadiens nous a déclaré que l'un des principes fondamentaux du système judiciaire canadien était le droit pour l'accusé de connaître celui ou celle qui l'accuse. Ils nous recommandaient de ne pas ajouter l'article 5 du projet de loi à la liste des secteurs pour lesquels une plainte peut être déposée sans qu'il y ait de victime identifiable. Que penseriez-vous de cette affirmation?
Mme McLellan: Nous croyons qu'il est utile d'avoir une procédure qui puisse compléter celle qui est mise en branle par une personne qui dépose une plainte. Il est vrai, comme le signale entre autres l'Association des banquiers, que notre système judiciaire repose essentiellement sur la notion de plaintes déposées par un individu qu'on pourrait appeler la victime et que c'est ainsi qu'il peut intervenir. Il n'en demeure pas moins que, selon l'issue du litige ou de l'audience, ces gens-là se révéleraient effectivement des victimes.
Personne ne niera que notre système judiciaire est essentiellement, mais sans exclusive, animé par cette notion de plainte déposée par un plaignant. Nous essayons ici de traiter des cas où il risquerait d'y avoir violation d'un droit, en particulier lorsqu'il pourrait y avoir violation systémique ou structurelle. Dans les cas de ce genre, le fait d'avoir un plaignant, et même un plaignant identifiable, n'est peut-être pas la meilleure marche à suivre. Il serait peut-être préférable que la plainte soit déposée par quelqu'un d'autre qui s'appuierait sur une préoccupation d'ordre plus général, par exemple, par la façon dont un organisme procède pour recruter. Il n'est peut-être pas toujours nécessaire d'avoir un plaignant qui estime avoir fait l'objet d'une discrimination en raison de ces politiques, et qui en saisit le tribunal. On pourrait peut-être demander à ces derniers de se pencher sur les politiques et les méthodes de recrutement de tout un secteur industriel par exemple. Il y a peut-être aussi des barrières systémiques ou perçues comme telles qui barrent la route des gens qui ont un certain handicap, ou qui sont d'une race différente, je ne sais trop, et peut-être, à ce moment-là, la meilleure façon d'étudier ces entraves n'est pas de procéder dans le cadre d'une plainte individuelle parce qu'on risque alors, en se concentrant trop étroitement sur une plainte en particulier ou sur le cas d'un plaignant en particulier, de passer à côté de l'essence même du problème systémique ou structurel.
C'est la raison pour laquelle nous voulions inclure cet élément dans le projet de loi. Selon ma vision des choses, cela permet ainsi de rendre conforme cet élément-là du code. Nous modifions la loi pour qu'elle s'applique aux produits et aux services, ce qui vient se juxtaposer aux dispositions existantes relatives à l'emploi, dispositions qui dans l'état actuel des choses n'exigent pas qu'une plainte soit déposée par un particulier pour qu'il y ait enquête.
Le sénateur Cogger: Dans la même veine, à supposer qu'il s'agisse d'un problème systémique, à ce moment-là il serait d'autant plus facile d'en identifier les victimes, n'est-ce pas? Si c'est un problème tellement répandu à l'échelle du système, il doit y avoir pléthore de victimes.
Mme McLellan: Je vous suis très bien. On pourrait arriver ainsi au point de dire qu'il faudrait alors intenter des poursuites collectives et à ce moment-là il y aurait potentiellement toute une catégorie d'employés à l'échelle d'une entreprise ou d'un secteur industriel qui pourraient demander à être entendus.
Le sénateur Cogger: Le projet de loi que vous nous proposez prévoit déjà cela pour des catégories d'employés. Mais moi qui suis avocat, j'ai du mal à accepter un projet de loi qui impose l'obligation de donner satisfaction à une personne ou une catégorie de personne et qui, sitôt après, parle du cas de personnes virtuelles. Comment donner satisfaction à quelqu'un dont on ne sait même pas s'il existe?
Mme McLellan: Une partie de l'enquête permettrait de déterminer si cette prétendue discrimination systémique ou structurelle existe vraiment. J'ajouterai toutefois qu'il est utile, dans ce domaine des droits de la personne, de permettre à un tribunal ou à un panel de faire enquête sur un cas de discrimination structurelle ou systémique même s'il n'y a pas de plaignant.
Soyons honnêtes. Dans tout dossier relatif aux droits de la personne, le plaignant risque d'avoir à assumer de très grosses dépenses. Il y a plusieurs années, lorsqu'il n'y avait que très peu de femmes qui enseignaient dans les universités, il aurait été très difficile pour une de ces enseignantes de lancer une plainte à titre individuel. De fait, ce n'aurait peut-être même pas été une plainte la concernant, puisqu'elle-même avait un poste de professeur, mais peut-être y aurait-il eu des choses qui, selon elle, constituaient une discrimination systémique, une discrimination empêchant d'autres femmes ou des gens appartenant à d'autres minorités raciales d'avoir les mêmes chances en matière d'emploi que les hommes en général ou les gens appartenant à la race dominante.
Nous voulons donc pouvoir faire quelque chose dans ce domaine de la discrimination systémique ou structurelle. Il reste qu'il faut le prouver. Il ne s'agit pas de partir à la chasse aux sorcières. Il y a une accusation, mais la procédure et le fardeau de la preuve sont les mêmes que s'il s'agissait d'une plainte introduite à titre individuel.
M. Stephen Sharzer avocat-conseil, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Pendant les audiences, j'ai entendu plusieurs fois parler de ces «plaintes sans victimes». Mais je ne pense pas que c'est de cela que nous parlons. Ce sont plutôt des cas où une politique ou une procédure est peut-être discriminatoire sans pour autant que quelqu'un s'en plaigne. Cette disposition exige que la victime se manifeste et dépose une plainte à titre individuel. Si la victime ne se manifeste pas, on ne peut donner suite à aucune plainte.
Le sénateur Cogger: Dans ce cas, personne ne peut être identifié comme une victime. Comment appelleriez-vous cela? A-t-on tort de parler d'une «plainte sans victime»?
M. Sharzer: Cette disposition a en fait pour effet juridique qu'il est impossible de se saisir de ce genre de cas à moins que la victime porte plainte contre telle ou telle politique ou pratique. Cette disposition dirait que si personne ne se manifeste alors même qu'on a pu identifier une politique ou une pratique discriminatoire à l'égard d'un certain nombre de personnes, quelqu'un peut porter plainte, et ce quelqu'un peut être la Commission ou un particulier.
Le sénateur Cogger: Tout commence à l'article 15 qui parle du devoir d'accommodement. Faire des besoins d'un particulier un concept virtuel est, sur le plan juridique, une transition que j'ai du mal à faire.
Dans votre témoignage, vous avez parlé à quelques reprises de l'avènement futur d'un examen d'ensemble.
Mme McLellan: Effectivement, les gouvernements ont promis chacun à leur tour un examen élargi du dossier.
Le sénateur Cogger: Que dirait la ministre si nous proposions de réserver cette notion pour l'étape de l'examen élargi?
Mme McLellan: Manifestement, cette notion est d'ores et déjà sur le tapis. Nous l'avons nous-mêmes avancée. Nous aimerions qu'elle reçoive les suites nécessaires dans le cadre de cette mesure. Elle ajoute une certaine symétrie à la législation existante étant donné que cette disposition n'est pas nouvelle dans la mesure où elle existe déjà dans le cas de la discrimination en matière d'emploi. Nous disons simplement que nous souhaitons qu'une disposition semblable existe dans le cas d'accusations de discrimination en matière de fourniture de biens et de services.
Je soutiens quant à moi qu'il ne faudrait pas y surseoir et qu'il n'y a aucune raison de faire la distinction entre une accusation de discrimination en matière d'emploi et une accusation de discrimination en matière de fournitures de biens et de services, et que le contexte dans lequel ces accusations peuvent être portées devrait être identique. Je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir un traitement différent.
La présidente: Honorables sénateurs, la ministre a déjà été très accommodante à notre endroit en restant 20 minutes de plus que ce qui avait été prévu.
Si vous êtes attendue ailleurs, madame la ministre, nous pourrions peut-être demander à vos fonctionnaires de rester un peu plus longtemps.
Mme McLellan: Je resterais avec plaisir, mais je dois me rendre à Montréal où nous allons commencer nos rencontres fédérales-provinciales des ministres de la Justice et des solliciteurs généraux, où, d'ailleurs, mes collègues voudront sans nul doute m'entretenir de toute une palette de questions sur lesquelles ils voudraient me donner leur avis.
Je vais donc vous prier de m'excuser, mais mes fonctionnaires restent à votre disposition. Je vous remercie de m'avoir permis de comparaître. Vos questions m'ont beaucoup intéressée et vous m'avez donné matière à plus ample réflexion au sujet de ce projet de loi.
La présidente: C'est nous qui vous remercions, madame la ministre.
Le sénateur Cogger: L'un de vous était-il là pendant la présentation de l'Association des banquiers canadiens?
M. Sharzer: J'étais là.
Le sénateur Cogger: Qu'avez-vous pensé de cette présentation? La ministre nous a dit que cette notion de plainte sans victime faisait déjà partie de la Loi sur l'emploi. Toutefois, les banquiers nous ont également déclaré que les cas de ce genre étaient extrêmement difficiles, voire virtuellement impossibles à trancher. Certains cas datent de plus de 8 ans. Est-e le genre de situation que le nouveau tribunal veut créer?
M. Sharzer: Ces plaintes sont dans un sens différentes. Elles concernent des questions de sous-représentation générale. Lorsqu'il s'agit d'une plainte typique en discrimination, cette disposition existe déjà depuis 20 ans dans le domaine de l'emploi, et pourtant, il n'y a guère eu de plaintes à ce sujet. Il n'y a eu je crois qu'un ou deux cas de plaintes déposées à titre individuel. Nous pouvons imaginer que ce sera probablement la même chose dans le cas des biens et services. Nous avons toutefois pensé qu'il serait logique d'offrir une procédure semblable pour les cas de ce genre.
Même si personne ne se manifeste, les circonstances seront et devraient être aussi concrètes que dans le cas d'une plainte déposée à titre individuel. S'il s'agit par exemple d'une plainte concernant une politique -- et je ne veux pas ici mettre le doigt sur une entreprise ou un secteur en particulier, je n'aime pas faire ce genre de choses -- au sujet donc d'une politique d'une entreprise privée en matière de fournitures de biens ou de services, et si l'allégation fait état du caractère discriminatoire de cette politique pour tel ou tel motif, même s'il n'y a pas eu de plaintes à titre individuel, la Commission ou un tribunal demeure compétent et peut examiner la politique en question. C'est donc à la Commission ou au tribunal de déterminer si la politique est ou non discriminatoire, et il peut s'agir en l'occurrence d'une situation très concrète.
Le sénateur Jessiman: Cela existe-t-il déjà en Ontario?
M. Sharzer: Je l'ignore.
Mme Gloria Mintah conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit public, ministère de la Justice: Je dirais également qu'il est erroné de parler ici d'une plainte sans victime. Il y a des victimes, c'est certain, mais aucune ne s'est manifestée. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas de victimes. Je peux fort bien souffrir en silence, mais je suis quand même une victime.
Nous avons également signalé que la loi porte bien que si ce pouvoir est utilisé sans discernement, la Commission des droits de la personne peut intervenir en disant «Désolé, mais nous ne pouvons pas nous en saisir.»
Le sénateur Doyle: En tout état de cause, il pourrait y avoir des causes du genre Le Foetus c. la Cour suprême où quelqu'un se ferait le porte-parole d'un foetus.
M. Sharzer: Je ne suis pas certain que ce soit là une question qui puisse être invoquée dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le sénateur Doyle: Mais cela pourrait venir.
La présidente: Certains groupes sont venus nous demander d'ajouter l'affinité sexuelle à l'article 16 de la loi. Auriez-vous des raisons de ne pas le faire, ou quel est votre sentiment à ce sujet?
M. Sharzer: Je suis fonctionnaire et en tant que tel, mon rôle se limite généralement à expliquer les tenants et les aboutissants d'une politique. Il s'agit en l'occurrence ici d'une question politique qu'il faudrait plutôt poser au ministre de la Justice. Vous m'excuserez, mais je pense qu'elle serait mieux à même de répondre.
La présidente: Nous avons également reçu un mémoire de l'Association canadienne pour l'intégration communautaire qui déplorait également l'absence de certains amendements dans le projet de loi.
Cette association préconisait un examen quinquennal de l'article 2 du projet de loi afin de déterminer si cet article allait demeurer nécessaire. Cet article concerne l'exploitation sexuelle d'une personne handicapée. Là encore, que pensez-vous de cet aspect du projet de loi, si tant est que vous puissiez traduire la pensée du ministre à ce sujet?
M. Berlin: Ce que je voudrais vous dire au sujet de l'article 153.1 du Code criminel, c'est que les gens du ministère de la Justice ont reçu effectivement de nombreuses instances d'organismes représentant les handicapés qui nous demandaient avec véhémence d'inclure une disposition de ce genre.
Leur argumentation était qu'il arrive qu'une personne handicapée soit vulnérable en raison de son handicap. Ce ne sont pas toutes les personnes handicapées qui sont vulnérables, mais certaines d'entre elles le sont, par exemple lorsqu'elles résident dans une institution ou lorsqu'elles dépendent d'un soignant ou d'un intervenant quelconque.
On nous a effectivement relaté des cas de personnes vulnérables dans ce genre de situation qui bien souvent avaient été maltraitées par l'un ou l'autre pourvoyeur de soins, et l'Association nous avait donc demandé expressément de prévoir ce genre de chose dans le projet de loi.
J'ajouterais que cela a été proposé par de nombreux organismes de défense des handicapés, et je peux également vous signaler qu'une disposition de ce genre a également reçu l'aval d'organismes comme l'Association du Barreau canadien et l'Association des criminalistes pour qui une disposition de ce genre aurait un objectif d'éducation.
Si je me souviens bien, l'Association canadienne pour l'intégration communautaire est intervenue dans le cadre de notre processus de consultation en appuyant cette initiative. Elle nous demande donc de prévoir l'examen quinquennal de cette disposition.
Sur un plan général, les dispositions du Code criminel en matière de délit ne sont pas assujetties à ce genre d'examen. La loi est ainsi. Dans quelques années peut-être, le ministère public ne voudra-t-il plus demander l'application de ce genre de disposition. Pour l'essentiel, on nous a dit qu'il y avait suffisamment d'incidents pour que le ministère public puisse invoquer une disposition de ce genre sans se sentir mal à l'aise. Mais nous n'avons pas vraiment réfléchi à l'idée d'un examen ou d'une limitation quelconque.
La présidente: L'autre solution serait ce que le Barreau du Québec nous a suggéré, c'est-à-dire se débarrasser ni plus ni moins de ces dispositions.
M. Berlin: Je voudrais en dire quelques mots car il s'agissait effectivement d'un tournant critique. Il y a eu effectivement une suggestion dans ce sens, et je peux être plus précis parce que j'ai moi-même entendu les présentations du Barreau du Québec. Le Barreau pensait que comme il existe déjà une disposition concernant expressément les jeunes gens et l'exploitation sexuelle, au lieu de créer de toutes pièces un tout nouvel article, on aurait pu peut-être ajouter à la disposition existante les mots «et en ce qui concerne les personnes handicapées».
Mais la distinction qui à notre avis était ici fondamentale était que, dans le cas des jeunes gens qui sont victimes d'agressions sexuelles, il ne pourrait jamais y avoir consentement donné à un attouchement sexuel ou à une exploitation sexuelle. Il est impossible qu'un jeune puisse jamais accepter quelque chose de ce genre.
Par contre, les représentants des handicapés ont insisté sur le fait que lorsque les handicapés sont placés en établissement ou créent un rapport de confiance ou de dépendance avec un dispensateur de soins, il y a possibilité de liaison. Les handicapés adultes tenaient à ce que cette disposition reste pour les protéger contre les abus sexuels, mais ils voulaient en même temps avoir la possibilité de donner leur consentement à un rapport sexuel avec leurs aides-soignants dans la mesure où il s'agissait d'un accord mutuel et libre.
Pour cette raison, nous estimions qu'il était impossible de combiner les deux articles; il fallait prévoir la possibilité de consentement de la part de la personne handicapée. Voilà pourquoi il y a un article distinct.
Le sénateur Jessiman: Je voulais simplement que vous me disiez si cette affirmation concernant les crimes sans victimes faite par l'Association des banquiers canadiens est exacte ou non. Elle se trouve à la page 9 de leur mémoire et se lit comme suit:
...lorsque la Loi sur l'équité en matière d'emploi a été révisée et modifiée en 1995, le comité de la Chambre des communes sur les droits de la personne et la situation des personnes handicapées qui examinait le projet de loi C-85 a reconnu l'inefficacité des plaintes sans victimes...
Cela est-il exact? Savez-vous si le comité de la Chambre des communes en est arrivé à la conclusion que ces plaintes étaient inefficaces?
M. Sharzer: Je peux vous parler de ce que je sais au sujet de la Loi sur l'équité en matière d'emploi et de la manière dont elle a été adoptée.
Lorsqu'on examine une plainte en matière de discrimination, il faut d'abord déterminer qu'il y a eu discrimination avant de pouvoir y remédier. Toutefois, la Loi sur l'équité en matière d'emploi prévoit une approche qui ne repose pas sur la notion de responsabilité ou de faute. La méthode consiste à demander si les personnes de différents groupes-cibles sont sous-représentées sur le marché du travail. Si oui, il faut prévoir des mesures pour y remédier. Dans cette situation, il n'y a peut-être pas de victimes mais il n'y a pas de détermination de responsabilité comme telle; il s'agit plutôt d'améliorer la représentation.
Je ne sais pas si je décrirais la loi de la même façon. Elle me semble plutôt aller dans la direction contraire. Vous ne cherchez pas des victimes individuelles, vous prenez plutôt des mesures pour vous attaquer à des problèmes systémiques en milieu de travail.
Le sénateur Jessiman: Ces mesures ont-elles été efficaces?
M. Sharzer: Lesquelles?
Le sénateur Jessiman: Vous aviez une disposition concernant l'emploi. Elle est toujours en vigueur et elle s'est avérée inefficace, d'après le comité en 1995. C'était son affirmation. Vous pouvez la lire aussi bien que moi. Je vous demande si cette affirmation est exacte.
M. Sharzer: La justification de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, c'est qu'il ne suffisait plus d'attendre que les particuliers se présentent pour déposer une plainte en vertu de la Loi sur les droits de la personne pour régler tel ou tel problème d'emploi. La Loi sur l'équité en matière d'emploi obligeait tous les employeurs, sans exception et sans tenir compte des plaintes présentées au niveau fédéral, à instaurer des programmes d'équité afin d'améliorer la représentation, de supprimer les obstacles systémiques et cetera.
Le sénateur Jessiman: Mais le comité dit que ces mesures se sont révélées inefficaces. C'est la conclusion du comité. Si c'est le cas, pourquoi prendre ce genre de mesures ici?
M. Sharzer: Je ne connais pas très bien le contexte alors je ne ferai pas de commentaires là-dessus.
On semble croire que la Loi sur les droits de la personne n'a pas donné les résultats escomptés. C'est pour cette raison qu'ils ont voulu imposer aux employeurs l'obligation de prendre des mesures concrètes pour réaliser l'équité en matière d'emploi.
Le sénateur Jessiman: Cela semble correspondre exactement à ce que l'on disait.
M. Sharzer: Peut-être devriez-vous leur reposer la question mais je ne pense pas qu'ils critiquent la loi actuelle sur l'équité en matière d'emploi.
La présidente: La confusion à ce sujet est partiellement attribuable au fait que les banquiers ont parlé du projet de loi C-85 au lieu du projet de loi C-64, la Loi sur l'équité en matière d'emploi. C'est peut-être en partie la cause d'une certaine confusion. Le projet de loi C-85 est mort au Feuilleton avant même d'arriver au comité. Il n'a jamais été examiné en comité contrairement à celui-ci.
Le sénateur Jessiman: Même s'ils se sont trompés de numéro, le comité en est-il venu à la conclusion que ces plaintes sans victimes ne sont pas efficaces? C'est là la question fondamentale. Si cette approche ne marche pas quand il s'agit du marché du travail, pourquoi devrait-elle réussir dans le cas des biens et services? Si le comité de la Chambre des communes a eu raison de dire que ces mesures étaient inefficaces, pourquoi décidons-nous d'aller encore plus loin? Elles vont se révéler inefficaces dans ce cas-ci également si cette affirmation est exacte.
Le sénateur Beaudoin: Le Barreau du Québec a exprimé certaines inquiétudes concernant ce qu'il a désigné comme le treizième juré, c'est-à-dire celui qui interprète. Je n'y vois pas d'inconvénient. Si j'ai bien compris ses propos, la ministre est également d'avis que cela ne constitue pas un problème.
Le sénateur Cogger: Elle a raison.
Le sénateur Beaudoin: Oui, bien sûr. Je suis d'accord avec elle. Mais je voudrais en savoir plus long. Pourquoi est-elle si certaine à ce sujet?
M. Berlin: Je vais vous expliquer le régime qui a été proposé et cela devrait répondre à votre question.
À présent un juré handicapé peut faire l'objet d'une récusation motivée. Nous préconisons une approche positive en disant que cela ne devrait pas être automatiquement le cas. Si une personne handicapée est en mesure d'assumer les devoirs et les responsabilités d'un juré avec les soins ou l'aide nécessaires, il faudrait envisager cette possibilité. Dans certains cas, les personnes handicapées auront besoin de quelqu'un pour les aider, peut-être un interprète gestuel ou un aide-soignant pour les aider à entrer et sortir de la salle d'audience et les accompagner aux toilettes. Il faut faire face à la réalité.
Dans notre régime nous proposons la possibilité d'un aide-soignant pour permettre au juré de s'acquitter de ses responsabilités. Nous avons incorporé un certain nombre de sauvegardes destinées à empêcher que cette personne joue le rôle d'un treizième juré.
D'abord, le juge demanderait à la personne de s'assermenter comme le fait un juré mais en lui demandant notamment d'interpréter de façon objective. Elle ne doit rien faire qui gêne le jury dans son fonctionnement. Autrement dit, on va lui demander de se limiter exclusivement à son travail comme aide-soignant.
Deuxièmement, nous avons proposé que la divulgation de tout aspect des délibérations de la part de cet aide-soignant soit considérée comme une infraction. Ils ne peuvent pas être en présence du jury et ensuite de ses activités aux journaux, aux médias ou à qui que ce soit d'autre. Ces règles concernant la non-divulgation et l'assermentation limitent cette personne à son rôle d'aide ou de soignant et ne lui donnent aucune possibilité de jouer le rôle d'un treizième juré.
J'espère que cela vous donne une idée des paramètres que nous avons établis.
Le sénateur Beaudoin: Dans le cas d'un interprète, le témoin s'exprime peut-être dans une langue que vous ignorez. Vous êtes donc obligés de compter sur la traduction et cela ne crée pas de problème. Je ne comprends pas pourquoi le barreau s'inquiète à ce sujet.
M. Berlin: C'est curieux. C'est la première fois que nous avons entendu ce commentaire. Je ne sais pas d'où vient leur inquiétude. Ils n'ont peut-être pas bien compris le régime que nous proposons. C'est une crainte sans fondement pour ce qui est du droit et de la pratique.
Le sénateur Jessiman: Des dispositions de ce genre sont-elles en vigueur dans d'autres pays?
M. Berlin: Fait intéressant, et la Colombie-Britannique et l'Alberta prévoient actuellement la possibilité de fournir un aide-soignant. Ce que nous prévoyons dans le Code criminel, ce sont les règles que doivent respecter ces personnes qui jouent le rôle d'un aide auprès d'un juré. Le système existe déjà dans deux provinces canadiennes. Nous prévoyons donc les règles dans le Code criminel pour au moins deux provinces. Nous savons aussi qu'il y a un certain nombre d'États américains qui prévoient aussi la possibilité d'un aide-soignant pour un juré. Ce n'est pas unique ni nouveau.
La présidente: Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité.
La séance est levée.