Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 11 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le lundi 15 décembre 1997
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 39 pour examiner le règlement proposé par le directeur général des élections et pour étudier le projet de loi C-16, Loi modifiant le Code criminel et la Loi d'interprétation (arrestation et entrée dans les habitations).
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Sénateurs, nous recevons M. Jacques Girard, d'Élections Canada.
Je crois qu'il est une chose que vous souhaitiez que nous fassions pour vous, monsieur Girard.
[Français]
M. Jacques Girard, directeur, Services juridiques et Registraire des partis politiques, Élections Canada: Tel que requis par la loi, nous avons transmis aux membres du comité une proposition de modification à ce qu'on appelle en langage familier le «règlement référendaire». Je vais vous expliquer très rapidement ce dont il s'agit.
Le 18 décembre 1996, le Parlement a adopté le projet de loi qui modifiait la Loi électorale, notamment pour mettre en place un registre permanent des électeurs. Le registre est en place depuis avril dernier, suite au recensement effectué au Canada. Au moment de l'entrée en vigueur du registre, il subsistait dans la Loi électorale des dispositions régissant la tenue d'un recensement porte à porte, tel qu'on l'a connu au Canada depuis 75 ans.
Ces dispositions ne sont plus nécessaires puisqu'on a maintenant un registre permanent des électeurs. Dès qu'une élection est déclenchée, les listes préliminaires qui servent à cette élection sont extraites du registre. Le premier décembre dernier, par décret, le gouvernement a adopté les articles 20 et 21(2) du projet de loi C-63 qui ont pour effet d'abroger les dispositions de la Loi électorale qui concernent le recensement.
La procédure référendaire fait en sorte que la Loi électorale adoptée aux fins de référendum est applicable dans le cadre d'un référendum. Il devenait nécessaire de faire la même modification au règlement référendaire et c'est essentiellement le but du règlement qu'on vous a transmis la semaine dernière. Il aura pour effet d'abroger les dispositions qui rendaient obligatoire la tenue d'un recensement.
Le sénateur Beaudoin: L'amendement que vous suggérez ne vise pas la Loi électorale mais seulement le règlement pour l'adapter au nouveau système?
M. Girard: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: On aurait besoin de l'amendement que vous proposez lors d'un référendum?
M. Girard: Si on n'abrogeait pas les dispositions qui concernent le recensement, il y aurait techniquement une ambiguïté. La loi contient toutes les dispositions selon lesquelles les listes préliminaires sont extraites du registre s'il y a élection ou s'il y a référendum. Parallèlement, dans le règlement, certaines dispositions subsisteraient. Par exemple, que les recenseurs doivent visiter chaque habitation de porte à porte. L'ambiguïté ne devrait plus exister étant donné qu'il y a maintenant un registre permanent.
Le sénateur Beaudoin: Le but visé par cet amendement est de rendre le règlement plus clair dans l'éventualité où il y aurait un référendum fédéral?
M. Girard: C'est exact. Étant donné que notre mission à Élections Canada est d'être toujours prêts, il s'agit d'avoir un ajustement à jour. Cela nous permettra en même temps de préparer les codifications administratives.
Le sénateur Beaudoin: La Loi électorale pour le référendum est prête aussi?
M. Girard: Oui, elle est prête. C'est la seule modification qui est nécessaire de telle sorte que s'il y avait un référendum, à quelque moment que ce soit, on a la législation nécessaire pour le conduire.
Le sénateur Nolin: Je présume que vous êtes en train de travailler à un amendement pour permettre à la Saskatchewan de voter aux mêmes heures que les autres provinces?
M. Girard: Un rapport a été déposé au Parlement au mois de septembre dernier dans lequel on lui recommande de se pencher sur cette difficulté. Le problème de la Saskatchewan est particulier parce que des provinces ne s'adaptent pas au changement des fuseaux horaires comme d'autres provinces. Nous proposons de donner le pouvoir au directeur général des élections de fixer l'heure du vote en tenant compte du temps de l'année où le scrutin a lieu. Ainsi, cela pourra être adapté d'un océan à l'autre comme c'était le but initial de la modification.
Le sénateur Nolin: C'était l'objectif de l'amendement adopté?
M. Girard: Effectivement.
Le sénateur Nolin: On a découvert en cours de route qu'on n'avait pas été assez prévoyant?
M. Girard: Oui, si le scrutin s'était tenu en hiver, on n'aurait pas eu ce problème.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Girard, si j'ai bien compris, les formulaires d'impôt sur le revenu comportent une case que vous devez cocher pour indiquer si vous souhaitez que les renseignements fournis servent à vous inscrire sur la liste électorale. Avez-vous une idée du nombre de gens qui ont refusé, au moment des déclarations d'impôt, cette année?
M. Girard: Cette modification s'appliquera au formulaire d'impôt pour l'exercice 1997. Elle figurera sur les formulaires de déclaration en avril prochain. Jusqu'ici, 257 personnes sur 20 millions ont choisi de ne pas se faire inscrire.
La présidente: Depuis les élections en juin, vous êtes-vous servi d'une autre liste électorale pour mettre le registre à jour? Êtes-vous déjà en train de le réviser?
M. Girard: Nous sommes en train de faire une mise à jour à partir des listes de permis de conduire et des statistiques fournies par les autorités provinciales. Nous nous attendons à recevoir des données de Revenu Canada pour cette année parce que le ministère a passé l'été et une partie de l'automne à traiter l'information contenue dans les déclarations d'impôt qui ont été envoyées en avril. Oui, nous sommes en train de mettre la liste à jour.
La présidente: Comme il n'y a pas d'autres questions, nous vous remercions infiniment.
M. Girard: Merci.
La présidente: Honorables sénateurs, dois-je déposer le rapport au nom du comité? Ainsi, nous aurons pris toutes les mesures nécessaires à ce sujet.
Le sénateur Cools: Lorsque vous parlez de «déposer le rapport», parlez-vous du rapport du comité?
La présidente: Oui, indiquant que nous avons entendu le directeur.
Le sénateur Cools: Vous demandez l'approbation du comité pour en faire rapport?
La présidente: Oui, mais pour déposer le rapport plutôt que le présenter. Ainsi, il n'est pas nécessaire de prendre d'autres mesures.
Le sénateur Cools: Pourquoi voulez-vous procéder ainsi au lieu de présenter le rapport comme d'habitude?
La présidente: Parce que le directeur général des élections a déjà le pouvoir de modifier ces règlements. Il l'a fait et c'est ce qu'il nous a annoncé. Il nous suffit de déposer un rapport disant que nous avons reçu son rapport.
Le sénateur Cools: Dans la mesure où le directeur général des élections est l'un des quatre hauts fonctionnaires au service du Parlement, je ne vois aucun mal à proposer le rapport de la façon dont nous proposons et adoptons habituellement les rapports.
La présidente: Le comité l'a déjà fait pour des choses qui nous ont été présentées comme une situation habituelle.
Le sénateur Beaudoin: Y a-t-il un précédent?
La présidente: Oui, nous avons des précédents.
Le sénateur Beaudoin: Je ne vois pas d'objection à ce que dit le sénateur Cools. Cela me paraît acceptable. Vous faites cette suggestion parce que nous avons déjà procédé ainsi par le passé?
La présidente: Je crois que la procédure ne nous permet pas de présenter le rapport plutôt que de le déposer étant donné que ce rapport n'exige aucune mesure de la part du Sénat.
Le sénateur Beaudoin: Je vois.
Le sénateur Cools: Néanmoins, les rapports unanimes des comités exigent généralement très peu de mesures. Ils sont adoptés s'ils sont unanimes.
La présidente: Oui, mais il y a un précédent. Si aucune autre mesure n'est requise, les personnes qui préparent le programme quotidien au Sénat l'inscrivent au Feuilleton jusqu'à ce qu'il en soit radié.
Le comité désire-t-il que je dépose ou que je présente le rapport?
Le sénateur Beaudoin: L'un ou l'autre, peu m'importe.
Le sénateur Cools: Vous devez proposer une motion afin que nous puissions voter.
La présidente: On me dit que la procédure ne me permet pas de présenter le rapport.
Que tous ceux qui sont pour le dépôt du rapport veulent bien l'indiquer.
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Nous allons passer à l'article suivant de l'ordre du jour, à savoir l'examen du projet de loi C-16.
Le sénateur Cools: Avant que nous n'appelions les témoins, peut-être devrions-nous discuter des témoins que nous allons entendre et de la façon dont nous allons procéder au cours de la journée.
Nous avons sous les yeux une liste de témoins qui a été dressée, je le suppose, par le comité directeur, et il me semble donc que nous devrions au moins voir si nous sommes d'accord sur cette liste et l'ordre du jour.
Les témoins pourraient peut-être attendre quelques minutes.
Le sénateur Nolin: C'est un bon argument. Avant de le faire, avons-nous reçu des réponses des procureurs généraux des provinces?
La présidente: Oui, le sénateur Cogger voulait que nous contactions le procureur général de la Colombie-Britannique et c'est ce que nous avons fait. Il n'a pas pu venir.
Le sénateur Nolin: Pourront-ils venir plus tard cette semaine?
La présidente: Nous ne leur avons pas posé la question.
Le sénateur Beaudoin: Ont-ils été invités?
La présidente: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Ils ont été tous invités?
La présidente: Celui de la Colombie-Britannique a été invité.
Le sénateur Cools: J'estime que le comité devrait entendre les procureurs généraux des provinces. Est-il exact que nous n'en avons invité qu'un?
La présidente: Nous n'avons invité que le procureur général de la Colombie-Britannique parce que c'est là que s'est posé le problème. Il a été invité, vendredi, après la réunion du comité directeur.
Le sénateur Cools: Quand peut-il venir à Ottawa?
La présidente: Il faudrait le lui demander. Il n'a pas pu venir aujourd'hui.
Le sénateur Cools: Quelqu'un pourrait peut-être nous préciser quand l'invitation a été lancée, ce qu'il a dit exactement et à quel moment il préférerait venir au comité.
Ce sont là des questions très importantes. Je suis sidérée d'apprendre que tous les procureurs généraux ou leurs représentants n'ont pas été invités. Je comprends qu'il a fallu prendre certaines décisions à la hâte vendredi. Je crois que certaines d'entre elles ont été prises en quelques secondes, mais j'aimerais vraiment savoir ce qu'il en est.
La présidente: C'est notre greffière qui lui a parlé après la réunion du comité directeur, comme on le lui a demandé.
Madame la greffière, qu'a-t-il dit?
Le sénateur Cools: Pour que la greffière puisse nous parler, elle doit en obtenir la permission.
La présidente: A-t-elle la permission de répondre à la question?
Le sénateur Cools: Oui, la permission est accordée.
Mme Heather Lank, greffière du comité: J'ai communiqué avec le bureau du procureur général à plusieurs reprises vendredi, d'abord aussitôt après la réunion du comité directeur, en fin de matinée, vendredi. Le personnel de son bureau a demandé au procureur général s'il lui était possible de comparaître. Nous avions alors prévu officiellement de tenir nos audiences sur le projet de loi C-16 uniquement aujourd'hui et on m'a donc demandé de voir s'il serait disponible aujourd'hui.
Après avoir examiné son emploi du temps, le procureur général a dit à son personnel qu'il ne pouvait pas assister à une réunion aujourd'hui.
Le sénateur Cools: Il n'a pas pu non plus envoyer un représentant?
Mme Lank: En effet. J'ai demandé s'il pouvait envoyer quelqu'un, mais on m'a répondu par la négative.
Le sénateur Cools: C'était pour aujourd'hui. Si j'ai bien compris, le comité est également autorisé à siéger mardi. Lui avez-vous posé la question pour mardi?
Mme Lank: Non.
Le sénateur Cools: Pourquoi ne lui avez-vous pas posé la question pour mardi étant donné que le comité était autorisé à siéger mardi?
La présidente: Sénateur Cools...
Le sénateur Cools: Je regrette. Je lui pose la question. Comme vous lui avez donné la permission de siéger à cette table et répondre aux questions, je lui ai posé une question.
Pourquoi n'avez-vous pas dit au procureur général de la Colombie-Britannique que le comité pouvait siéger mardi?
Mme Lank: Parce que, sénateur, le comité directeur m'avait demandé de voir s'il pouvait venir lundi, le jour où nous avions prévu de tenir les audiences sur le projet de loi C-16. Je n'ai aucun pouvoir indépendamment du comité directeur, sénateur.
Le sénateur Cools: Je dirais également que le comité directeur n'a pas beaucoup de pouvoir indépendamment du comité sénatorial.
Sénateur Milne, peut-être pourriez-vous nous dire, étant donné que vous m'avez demandé l'autorisation de faire siéger le comité mardi, pourquoi le programme a été établi de cette façon. Deuxièmement, pourquoi les procureurs généraux n'ont-ils pas été invités? Si le procureur général de la Colombie-Britannique ne pouvait pas venir lundi, pourquoi ne lui a-t-on pas offert de comparaître mardi?
Honorables sénateurs, peut-être devrions-nous nous réunir à huis clos pour discuter de cette question. Étant donné que le comité directeur a proposé cet ordre du jour, j'estime qu'il devrait avoir l'approbation de tout le comité.
La présidente: Nous allons poursuivre la séance à huis clos.
La séance se poursuit à huis clos.
Reprise de la séance.
La présidente: Il a été entendu que le comité entendrait le ministre demain. Nous allons également inviter les procureurs généraux de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de l'Ontario et du Québec à comparaître devant nous.
Nous allons maintenant entendre M. Roy.
[Français]
M. Yvan Roy, avocat général principal, Politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je m'appelle Yvan Roy et je suis accompagné ce matin de Mme Gillian Blackell et de M. Michael Zigayer.
[Traduction]
Honorables sénateurs, nous sommes ici pour tenter de vous expliquer de notre mieux en quoi consiste le projet de loi C-16. Pour ce faire, je vais présenter mon exposé en trois parties.
Nous chercherons d'abord à expliquer de notre mieux ce que l'arrêt rendu dans l'affaire Feeney n'était pas, autrement dit, ce que la Cour suprême n'a pas décidé. Cela vous aidera à comprendre pourquoi et comment le ministre de la Justice a déterminé quelles étaient les questions à aborder dans le projet de loi C-16. Ensuite, nous discuterons de la teneur du projet de loi C-16.
J'invite les sénateurs à m'arrêter chaque fois qu'ils le jugeront nécessaire s'ils ont besoin d'explications supplémentaires.
Madame la présidente, j'essaierai de m'en tenir aux faits dans toute la mesure du possible. Je n'ai pas l'intention de présenter d'arguments pour ou contre.
Il faut d'abord préciser que dans l'affaire Feeney, la Cour suprême n'a aucunement ordonné au Parlement de légiférer dans ce domaine.
L'arrêt Feeney porte, en fait, sur une question très limitée. Il s'agit du droit de l'État d'entrer dans une habitation pour y arrêter une personne qu'il croit coupable d'un acte criminel. La Cour a dû décider si la common law permettait toujours de pénétrer dans une habitation pour procéder à une arrestation sans avoir d'abord obtenu l'autorisation d'un tribunal. La common law, qui est établie par les juges, comme chacun sait, était claire sur cette question.
En 1986, la Cour suprême a décidé, dans l'affaire Landry que, sans tenir compte de la Charte des droits et libertés, la common law permettait à l'État d'entrer dans une habitation pour y arrêter quelqu'un sans autorisation du tribunal. Telle a été la loi en vigueur à compter de 1986.
Dans l'affaire Feeney, la Cour suprême a constaté que, dans l'affaire Landry, elle avait clairement déclaré que la décision rendue en 1986 ne tenait pas compte de la Charte des droits et libertés. Ce n'était pas nécessaire étant donné que les faits étaient antérieurs à 1982, l'année de l'entrée en vigueur de la Charte.
Dans l'affaire Feeney, la Cour suprême a jugé que pour arrêter quelqu'un dans une habitation, la Constitution exigeait que l'État obtienne au préalable l'autorisation des tribunaux. Elle mentionnait que rien dans notre loi ne permettait à un juge d'émettre cette autorisation. Elle a clairement fait valoir dans son jugement qu'il fallait considérer que ce pouvoir existait. À mon avis, cela veut dire que le Parlement n'a pas besoin d'intervenir étant donné que le Code criminel peut être interprété comme permettant d'obtenir d'un juge l'autorisation nécessaire pour pénétrer dans une habitation.
La Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Feeney le 22 mai 1997. Dans les jours qui ont suivi, le procureur général a demandé à ses avocats de communiquer avec ses collègues des autres provinces pour voir comment interpréter la loi étant donné que la Cour suprême n'avait pas été explicite à cet égard.
Des discussions ont eu lieu au cours des semaines qui ont suivi jusqu'à ce que les procureurs généraux se rendent compte que cette interprétation posait des problèmes. J'ai participé à certaines de ces discussions avec les provinces. Nous avons clairement constaté, au début de juin 1997, qu'il n'y avait pas de solution à proprement parler étant donné que la Colombie-Britannique voulait agir d'une façon, Québec, d'une autre, de même que le Nouveau-Brunswick. L'Ontario avait des réserves quant à ce que le Québec et la Colombie-Britannique voulaient faire, et ainsi de suite.
C'est alors que le procureur général de la Colombie- Britannique a demandé à la Cour suprême du Canada de surseoir à l'exécution de son jugement. Pourquoi le procureur général de la Colombie-Britannique? La réponse est simple. Il était le seul à être allé devant la Cour suprême du Canada. C'est le seul qui était intervenu dans l'affaire de la Reine c. Feeney. Par conséquent, il était le seul à pouvoir agir et il avait notamment l'appui du Québec et de l'Ontario ainsi que du procureur général fédéral.
Ces procureurs généraux ont demandé à la Cour suprême du Canada de surseoir à l'exécution de son arrêt pendant six mois ou de clarifier le sens de sa décision. La cour leur a donné satisfaction, c'est-à-dire une période de six mois pour prendre les mesures qu'ils jugeaient appropriées dans les circonstances.
Dès juin 1996, le procureur général du Canada, qui est également ministre de la Justice, songeait à demander au Parlement à aborder la question. Les consultations avec les provinces s'étant poursuivies, on s'est rendu compte que d'autres problèmes se posaient en plus de l'interprétation du Code criminel.
De quels problèmes s'agit-il? Il ressort clairement de la décision de la majorité des juges qu'ils n'avaient pas décidé s'il fallait une situation d'urgence pour pouvoir arrêter quelqu'un dans une habitation. Ils ont laissé la porte ouverte. Le ministre de la Justice a estimé que le Parlement devrait préciser les choses. Comme vous pouvez le voir en examinant le projet de loi, il y a une disposition à cet égard.
Une autre question que la Cour suprême du Canada n'avait pas abordée était celle de savoir ce qu'il fallait faire au cas où d'autres lois fédérales s'appliquaient. Pensez à la Loi sur l'immigration qui pourrait amener les autorités à vouloir arrêter une personne dans une habitation pour pouvoir l'expulser du pays. À notre avis, il y a de bonnes chances pour que l'arrêt Feeney s'applique aux cas de ce genre. Il serait assez difficile d'établir comment interpréter la Loi sur l'immigration à cet égard.
Prenez la Loi sur la libération conditionnelle et l'individu qui enfreint certaines conditions de sa libération. La loi permet de l'arrêter dans une habitation. Cette loi ne tient pas compte de l'arrêt Feeney. Nous avons estimé qu'il était nécessaire de préciser les choses. Encore une fois, ce projet de loi permet de résoudre cette question.
Enfin, il s'agissait de savoir s'il devrait être possible...
Le sénateur Cools: Madame la présidente, j'aimerais que M. Roy clarifie une chose. Il a dit qu'au moment de l'arrêt Feeney, le procureur général du Canada n'était pas intervenu et que le seul à le faire avait été le procureur général de la Colombie-Britannique. Vous avez dit que lui seul avait qualité pour exercer une action.
M. Roy: C'est exact, devant la Cour suprême.
Le sénateur Cools: Je comprends très bien.
N'y a-t-il pas une disposition des règlements régissant la Cour suprême du Canada ou de la Loi sur la Cour suprême du Canada en vertu de laquelle cette dernière a l'obligation d'informer les procureurs généraux, tant fédéral que provinciaux, si elle est saisie de questions qui les touchent de très près? Dites-nous pourquoi le procureur général était seul à pouvoir agir?
M. Roy: Merci de cette question.
La Loi sur la Cour suprême et les règlements que la Cour peut adopter conformément à la loi portent que, lorsqu'une loi est en jeu, il faut en aviser les procureurs généraux. Néanmoins, en common law, la loi et les règlements ne créent pas l'obligation d'avertir les procureurs généraux avant de rendre une décision.
Le sénateur Cools: Très bien. Ce que vous dites est stupéfiant. La Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario précise que pour toute affaire intéressant les procureurs généraux, le tribunal doit les en aviser. Vous dites que cette obligation ne s'applique pas à la Cour suprême du Canada. C'est ma première question, mais elle est importante.
J'ai la copie des lois pertinentes, si vous le désirez.
La présidente: C'est seulement à titre d'éclaircissement et nous allons continuer.
Le sénateur Cools: Il s'est dit prêt à répondre aux questions.
Pourquoi la Cour suprême du Canada ne se sent-elle pas obligée d'appeler les procureurs généraux des provinces ou du pays au préalable afin qu'ils puissent lui faire des instances quant aux conséquences de ses décisions? Cela me paraît stupéfiant. Je constate également que les juges dissidents y ont vu aussi des objections.
Vous pouvez poursuivre.
M. Roy: Il m'est difficile de répondre à votre question sinon en disant que la loi n'oblige pas la Cour suprême à donner cet avis. Dans d'autres instances, par exemple dans certaines provinces, cela peut être une obligation.
Le sénateur Cools: Précisément.
M. Roy: Ce n'est pas prévu dans la Loi sur la Cour suprême du Canada ou dans les règlements pris par la cour.
Le sénateur Cools: C'est important.
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur Roy, je comprends que le jugement fait référence à la common law, mais lorsque les policiers sont entrés dans la roulotte, c'était l'article 495 qu'ils avaient en tête. C'était le Code criminel qui leur donnait le pouvoir d'entrer avec tout ce que la jurisprudence a ajouté à l'article 495. Cela constitue une disposition statutaire de l'article 495, paragraphe 1.
M. Roy: Absolument.
Le sénateur Nolin: La question est importante. La cour a pris une décision qui ébranle encore l'administration de la justice criminelle au Canada, et a mis en danger l'application de l'article 495, paragraphe 1, sans en aviser le procureur général du Canada. C'est cela finalement le débat?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Nolin: C'est important parce qu'il y a des arguments qui ont été soulevés. La cour s'est servie de la Charte et n'a rendu inconstitutionnelle aucune disposition légale.
M. Roy: Cela est tout à fait vrai. L'article 495 du Code criminel, pour clarifier, est l'article du Code qui donne un pouvoir d'arrestation sans mandat à un agent de la paix. La loi prévoit de façon très spécifique les circonstances dans lesquelles cela peut être fait, mais la loi ne dit pas où ce pouvoir peut être exercé.
Le sénateur Nolin: Donc c'est au Canada?
M. Roy: C'est au Canada, selon l'endroit où vous vous trouvez. La Cour suprême, dans l'arrêt Feeney, dit que dans une maison d'habitation, vous devez avoir une autorisation judiciaire avant d'exercer ce pouvoir. Si vous l'exercez sur la rue ou dans un endroit public, vous n'avez pas besoin de cette autorisation préalable parce que vous vous trouvez dans un lieu public. Ce que la common law dit dans l'arrêt Landry, c'est que lorsque vous utilisez votre pouvoir d'arrestation en vertu de l'article 495, même dans une maison d'habitation, vous n'avez pas besoin d'une autorisation judiciaire préalable. L'arrêt Feeney a changé cela en disant: à l'avenir, lorsque vous utiliserez votre pouvoir d'arrestation, si vous voulez l'exercer dans une maison d'habitation, vous devrez le faire avec, en main, une autorisation judiciaire d'entrer. C'est tout ce qui a été décidé dans l'arrêt Feeney, ni plus ni moins.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites que selon la common law, on n'a pas besoin de donner un avis parce que c'est la common law. Je trouve cela logique. L'arrêt Feeney dit: vous ne pourrez pas entrer dans une maison sans détenir un mandat. Là ils appliquent la Charte des droits. Mais une fois que la Charte des droits est appliquée, il n'y a jamais eu d'avis donné à aucun procureur général, c'est juste la décision qui a été communiquée.
[Traduction]
Je pourrais continuer, mais il y a là quelque chose d'assez technique.
[Français]
Le sénateur Nolin: C'est le danger que cela crée pour l'avenir. C'est cela le problème.
Le sénateur Beaudoin: Mais je suis votre logique. Si c'est un cas de common law, il n'y a pas d'avis.
[Traduction]
S'il s'agit d'une question de partage des pouvoirs ou de droits prévus dans la Charte, un avis doit être donné à tous les procureurs généraux.
M. Roy: L'avis est nécessaire si la cour examine une loi donnée et si cette loi risque d'être déclarée inconstitutionnelle. Dans le cas présent, l'article 495 n'était pas en jeu étant donné que le pouvoir d'arrestation sans mandat continue d'exister. En tenant compte de la jurisprudence, c'est-à-dire de la common law, la Cour suprême a seulement estimé que, pour satisfaire aux exigences de la Charte, à l'avenir, il faudrait disposer d'un mandat, d'une autorisation judiciaire pour pouvoir entrer dans une habitation. Elle n'a pas abordé l'article 495.
Le sénateur Beaudoin: C'est exact.
M. Roy: Elle a simplement dit que, lorsque l'article 495 s'appliquait dans des circonstances impliquant une habitation, il fallait une autorisation judiciaire.
Le sénateur Beaudoin: Votre distinction est exacte. Ce n'est pas une question de partage des compétences ou de Charte. À ce moment-là, il s'agissait d'un principe de la common law. Le juge a dit qu'à compter de maintenant, pour agir de cette façon il faudrait un mandat.
M. Roy: Exactement.
Le sénateur Nolin: C'est un type spécial de mandat.
M. Roy: C'est ce qui m'amène à la troisième partie de mon exposé. Parlons du mandat et de son rôle.
La présidente: Veuillez continuer.
M. Roy: Les procureurs généraux ont demandé que l'arrêt de la Cour suprême soit suspendu pendant six mois, ce qui leur a été accordé. Les intéressés se sont consultés au cours de l'été. Nous parlons des procureurs généraux des territoires et des provinces de même que des services de police, de l'Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec.
En fin de compte, le ministre de la Justice a déposé un projet de loi le 30 octobre dernier. Que fait ce projet de loi? Sa principale disposition est le nouvel article 529.1, le nouveau mandat qu'établit le projet de loi C-16.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'arrêt Feeney soulevait plusieurs problèmes évidents, notamment pour ce qui est de l'interprétation. Ce projet de loi propose d'établir un mandat d'entrée qui permet de pénétrer dans une habitation pour procéder à une arrestation. Vous me direz que c'est une évidence, mais je voudrais vous démontrer le contraire.
En examinant ce projet de loi, vous pourriez vous dire: «Que se passe-t-il si pour arrêter quelqu'un dans une habitation il faut d'abord que l'État obtienne un mandat d'arrestation?» Cela montre la distinction entre la teneur de l'article 529.1 et le mandat d'arrestation. Pour qu'un mandat d'arrestation puisse être émis, il faut que l'intéressé soit accusé d'un acte criminel.
Le sénateur Cools: Bien entendu.
M. Roy: La teneur de l'article 529.1 est différente. Il n'est pas nécessaire qu'une personne soit accusée pour qu'on puisse obtenir le mandat permettant d'entrer dans une habitation privée. L'article 529 permet à l'État d'obtenir le mandat et d'exercer ensuite le pouvoir que la loi confère à l'article 495 du Code criminel pour arrêter cette personne sans mandat.
Un policier détient un mandat pour pénétrer dans l'habitation, mais une fois à l'intérieur, il applique les pouvoirs que lui confère l'article 495 pour arrêter la personne en question au lieu d'avoir obtenu au préalable un mandat d'arrestation d'un juge de paix. En pratique, cela veut dire que le policier a accusé cette personne d'un crime. Cela confère à la police la latitude dont elle dit avoir besoin, ce que confirment les procureurs généraux.
Pourquoi? À l'heure actuelle, dans quatre des dix provinces -- et nous pourrons parler plus tard des territoires --, avant de pouvoir accuser quelqu'un d'un acte criminel, la police doit s'adresser à un procureur de la Couronne qui examine la question. Il se penche sur les allégations et décide s'il y a lieu ou non de porter des accusations.
Comme vous pouvez facilement le comprendre, s'il faut obtenir à l'avance un mandat d'arrestation, cela pose un problème étant donné que pour obtenir ce mandat d'arrestation il faut que la personne soit accusée d'un acte criminel. Les quatre provinces qui l'exigent sont le Nouveau-Brunswick, le Québec, le Manitoba et la Colombie-Britannique.
Le ministre de la Justice a préféré soumettre au Parlement une proposition plus souple. Lorsque la police a des raisons de croire qu'une personne qui a commis un acte criminel se trouve dans une habitation, il lui suffit de s'adresser à un juge de paix pour obtenir l'autorisation d'entrer dans l'habitation sans avoir à porter d'accusation. Si elle a des raisons de croire qu'un acte criminel a été commis, elle peut simplement entrer et appliquer l'article 495.
Si la police pénètre dans l'habitation et que la personne à l'intérieur se prétend innocente et explique ce qui s'est passé de façon satisfaisante, la police n'est pas tenue de procéder à l'arrestation. Par contre, s'il est en possession d'un mandat d'arrestation, l'agent de police se doit aux termes de la loi d'arrêter la personne; il n'a pas le choix.
D'un côté comme de l'autre, cette proposition offre une certaine souplesse. D'une part, la police doit convaincre tout d'abord un procureur de la Couronne et ensuite un juge de paix en vue d'obtenir un mandat d'arrestation. D'autre part, le citoyen de son côté peut fournir certaines explications aux policiers, lesquels ne seront pas tenus de l'arrêter.
Cette proposition offre une certaine souplesse d'application qui, selon nous, est constitutionnelle et nécessaire. Elle a l'appui des personnes responsables de l'application de la loi dans notre pays.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez deux mandats ou deux autorisations.
M. Roy: Aux termes de cette proposition, il n'y en aura qu'un.
Le sénateur Beaudoin: L'autorisation de pénétrer dans l'habitation et l'autorisation d'arrêter une personne sont deux choses différentes. Lorsque vous dites que cette souplesse est constitutionnelle, j'aimerais que vous me fournissiez quelques explications. Le fait d'avoir deux mandats distincts est sans doute très constitutionnel car on ne peut pas en avoir davantage.
M. Roy: Je demande au comité de se reporter au paragraphe 48 de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Feeney, où la décision rendue par la majorité des juges est très claire.
Voici la conclusion du juge Dickson:
Même si je conviens qu'un mandat d'arrestation ne suffit pas à protéger la vie privée, je rejette l'idée que puisque le code ne fait aucune mention d'une autorisation préalable pour rechercher une personne, les recherches de personnes sans mandat sont autorisées.
Et voici la phrase importante:
À mon avis, les droits à la vie privée garantis par la charte exigent que la police, en général, obtienne l'autorisation judiciaire préalable pour entrer dans une habitation en vue d'y arrêter la personne recherchée.
La cour demande que, avant que la police ne décide d'entrer dans une maison d'habitation, quelqu'un examine les intérêts d'un particulier qui se trouve dans son logement privé par rapport à ceux de l'État relativement à l'arrestation d'une personne en vue de l'amener devant les tribunaux.
Avant l'arrêt Feeney, il était possible à l'État d'entrer dans une habitation, sans autorisation, pour y effectuer une arrestation. Dans l'affaire Feeney, la cour déclare que la police doit obtenir l'autorisation d'un juge pour entrer dans une habitation pour y effectuer une arrestation. Cette autorisation est limitée. La loi exige qu'un agent de police indique au juge de paix les raisons qui le portent à croire que la personne devant être arrêtée dans cette habitation a commis un acte criminel. C'est nécessaire. Autrement, cela me fait plutôt penser à une expédition de pêche, en toute franchise. Ce ne serait pas permis aux termes de la charte.
Voilà ce qui a été décidé dans l'arrêt Feeney, et ce n'est pas ce que prévoit l'article 529. Autrement, nous aurions un problème. Nous ne sommes pas allés jusqu'à exiger, dans ce projet de loi, que la police obtienne un mandat d'arrestation. Là encore, ce détail est essentiel. Le mandat d'arrestation exige que la personne soit accusée de quelque chose. Or, personne n'est accusé en fonction de l'article 529.1. Nous ne sommes pas encore arrivés là.
Si après être entrés dans l'habitation et avoir parlé à la personne, les policiers sont convaincus qu'il ne s'agit pas de la personne recherchée ou qu'ils ont fait une erreur, ou autre chose du même genre, ils ne sont pas tenus d'effectuer une arrestation et de ramener la personne devant le juge de paix, comme le prévoit un mandat d'arrestation. Un mandat d'arrestation équivaut à un ordre donné à la police de ramener une personne car celle-ci a été accusée d'un acte criminel. Ce n'est pas l'objet de l'article 529.1 proposé.
Je le répète, à l'article 529.1, il est dit simplement que la cour exige l'intervention d'un juge entre le moment de la décision d'entrer dans une habitation et celui où l'on y entre réellement. Ce juge doit être convaincu que l'entrée est nécessaire et que l'on a des raisons de croire que la personne qui s'y trouve a commis un acte criminel. C'est tout ce qui est exigé en l'occurrence. Ce système présente une certaine souplesse tant pour les forces de police que pour les citoyens. Il n'est pas prévu qu'il faille emmener la personne au poste de police, comme le prévoit un mandat d'arrestation.
Le sénateur Jessiman: Lui faudra-t-il alors obtenir un autre mandat?
M. Roy: Non, pas du tout.
[Français]
Le sénateur Nolin: Vous faites référence à l'article 529.1?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Nolin: À l'article 529.1, il doit y avoir une situation de fait qui démontre qu'un mandat d'arrestation existe?
M. Roy: Non.
Le sénateur Nolin: Mais le a) dit:
Elle fait déjà l'objet au Canada, en vertu de la présente loi ou d'une autre loi fédérale, d'un mandat d'arrestation.
Selon b) on peut l'arrêter sans mandat en vertu du Code criminel, et selon c) on peut l'arrêter sans mandat en vertu d'une autre loi fédérale. Une de ces trois situations doit exister pour que l'article 529.1 s'applique?
M. Roy: C'est tout à fait exact, mais le mandat d'arrestation dont on parle, c'est que vous n'exécutez pas ce mandat en vertu de l'article 529.1. Vous connaissez son existence et vous arrêtez sans mandat.
Le sénateur Nolin: Mais ce pouvoir existe déjà?
M. Roy: Absolument, c'est dans la loi.
Le sénateur Nolin: Tout ce qu'on fait, c'est qu'on demande à un juge a priori plutôt qu'a posteriori. Avant de cogner à la porte, je suis dans une des trois situations de l'article 529.1. Est-ce que je peux le faire?
M. Roy: C'est ça.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas un mandat d'arrestation, c'est une autorisation d'entrer.
M. Roy: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Vous pouvez y aller, mais vous ne pouvez pas arrêter? Une fois entré avec un mandat ?
M. Roy: Une fois entré, vous utilisez votre pouvoir décrit à l'article 495 -- ou une autre loi fédérale -- pour arrêter la personne sans mandat.
[Traduction]
Le sénateur Watt: J'aimerais quelques précisions. Je pense comprendre ce que vous dites, à savoir que la police aura une certaine latitude si elle pénètre dans l'habitation en détenant une sorte de mandat, mais que ce dernier ne l'autorise pas à obliger la personne à la suivre. Est-ce bien exact?
M. Roy: Que voulez-vous dire? J'aimerais que vous précisiez votre pensée avant que je vous réponde.
Le sénateur Watt: Voilà ce qui me préoccupe. À quel moment le deuxième mandat s'applique-t-il? Est-ce lorsque le juge en décide ainsi, uniquement lorsqu'il arrive au tribunal? Je ne comprends pas bien.
M. Roy: Disons que vous êtes agent de police; vous reconnaissez dans la rue une personne dont vous avez des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis une infraction: vous pouvez l'arrêter sans mandat, il est inutile d'obtenir une autorisation judiciaire préalable.
Le sénateur Jessiman: Vous voulez dire avant et après?
M. Roy: Avant et après.
Le sénateur Watt: En vertu du projet de loi, l'agent de police aura automatiquement l'autorisation d'agir mais ne sera pas tenu d'obtenir un document pour prouver qu'il doit effectuer une arrestation?
M. Roy: Non. Il y aura un document qui sera émis aux termes de ce projet de loi. Là encore, si on pousse l'analyse un peu plus loin, si cette personne se trouve dans un lieu public, l'agent peut l'arrêter sans mandat. C'est ce que prévoyait la législation avant l'arrêt Feeney et rien n'a changé depuis cette décision. C'est déjà prévu.
En raison de l'arrêt Feeney, il est désormais stipulé que si l'on veut arrêter la même personne pour les mêmes motifs alors qu'elle se trouve dans une habitation, il faut obtenir une autorisation judiciaire fournie par un juge -- ce qui est actuellement prévu dans la loi -- soit un document vous autorisant, en tant que policier, à entrer dans l'habitation pour y effectuer l'arrestation. Ce que la loi n'exige pas -- et c'est une distinction importante; en fait, c'est plus qu'une distinction, c'est une différence -- c'est d'obtenir à cette fin un mandat d'arrestation visant cette personne car cela implique que celle-ci a été accusée d'une infraction criminelle.
Le sénateur Watt: Qu'elle a déjà été accusée d'une infraction criminelle?
M. Roy: Oui. Ce n'est pas exigé en l'occurrence.
Le sénateur Watt: Supposons que cette personne n'ait jamais été reconnue coupable. Que se passe-t-il alors? Quand la deuxième autorisation s'applique-t-elle? C'est ce que je veux savoir.
M. Roy: De quelle deuxième autorisation voulez-vous parler?
Le sénateur Watt: Vous avez dit que d'une part, ce projet de loi autorisera l'agent de police à entrer dans l'habitation sans la moindre autorisation, sans avoir plus que ce que vous nous décrivez.
M. Roy: Parfaitement. C'est l'autorisation d'entrer dans l'habitation.
Le sénateur Watt: C'est normal. Cela permet à l'agent de police d'établir si la personne est coupable ou non, n'est-ce pas?
Le sénateur Jessiman: Non.
Le sénateur Cools: Non. Il s'agit uniquement de porter des accusations et d'effectuer des arrestations, et non de faire un procès.
Le sénateur Watt: C'est ce que j'ai compris: la personne est déjà considérée comme coupable avant même que le procès n'ait lieu.
Le sénateur Jessiman: Non. La police pourrait porter une accusation, n'est-ce pas, en appréhendant la personne dans la rue, mais pas en allant la chercher dans une maison? Désormais, les policiers seront autorisés à entrer dans la maison et auront les mêmes droits à l'intérieur que ceux qu'ils possèdent dans la rue, n'est-ce pas?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Watt: C'est cela.
Le sénateur Petten: L'agent de police entre avec son mandat. À ce moment-là, il peut décider si la personne en question a oui ou non commis un acte criminel. Il peut donc l'obliger à le suivre ou la laisser là. Est-ce exact?
M. Roy: Poussons les choses un peu plus loin, si vous le voulez bien. Lorsque l'agent de police obtient l'autorisation d'entrer dans l'habitation, comme le prévoit le projet d'article 529.1, il ou elle doit déclarer ceci au juge de paix: «J'ai tout lieu de croire que la personne que je veux arrêter a commis un acte criminel», et le juge doit être convaincu que ses doutes sont fondés.
La norme dont nous parlons est la même que celle qui s'applique lorsque les policiers veulent effectuer une arrestation à l'extérieur de l'habitation.
Le sénateur Jessiman: Ils n'ont pas besoin d'un mandat?
M. Roy: Ils n'ont absolument pas besoin d'un mandat. Un agent de police doit toujours avoir des raisons de croire qu'une personne a commis un acte criminel. Autrement, nous vivons dans un État policier.
Pour répondre à la préoccupation du sénateur Watt, la norme qui s'applique avant qu'une personne puisse être déclarée coupable de cet acte criminel est tout à fait différente. Le fait d'avoir des raisons de croire qu'une personne a commis un acte criminel est une chose. Le juge qui en dernier ressort devra décider de la culpabilité de l'accusé doit être convaincu sans l'ombre d'un doute que la personne arrêtée est bien l'auteur de l'acte criminel. Il s'agit là de normes tout à fait différentes.
Les policiers pourront arrêter cette personne, la soumettre à la justice, de façon que le juge ou le jury, si l'accusé en fait le choix -- la partie qui sera appelée à juger les faits -- décide si la personne arrêtée est bien celle qui a commis l'acte criminel dont elle est accusée. Toutefois, cette norme est très différente de celle qui s'applique à l'arrestation d'une personne.
Cela répond-il à vos questions?
Le sénateur Petten: Je vous ai mal compris, alors. Je pensais que vous aviez dit que si l'agent de police entrait dans l'habitation et s'apercevait que ce n'est pas la bonne personne, ou que cette personne n'est pas l'auteur de l'acte criminel, il était inutile d'amener la personne devant un tribunal pour établir sa culpabilité ou non. C'est l'explication que je voulais obtenir.
M. Roy: Vous ne m'avez pas mal compris car c'est bien ce que j'ai dit; à mon avis, c'est ce que prévoit la loi.
Encore une fois, une certaine prudence s'impose. Il ne s'agit pas ici d'un mandat d'arrestation, mais d'un mandat pour entrer dans une habitation. Il faut utiliser la bonne expression. Le mandat dont je parle est un mandat d'entrée, mais il existe aussi un mandat d'arrestation. Dans ce dernier cas, une personne est accusée d'un acte criminel et le mandat est une ordonnance du juge en vue de lui ramener la personne en question. Voilà de quoi nous parlons.
Je parlais du mandat prévu à l'article 529.1, en vertu duquel un agent de police dit au juge qu'il y a tout lieu de croire que telle personne est l'auteur d'un acte criminel, que cette personne se trouve à tel endroit, en l'occurrence une maison d'habitation. Il demande donc au juge de lui accorder un mandat d'entrée, pour effectuer l'arrestation de cette personne sans mandat d'arrestation.
Le sénateur Jessiman: Comme on le ferait dans la rue.
M. Roy: Tout comme le policier le ferait dans la rue.
Une fois que l'agent est entré dans la maison et parle à la personne, celle-ci peut lui dire: «Attendez un instant, monsieur l'agent. Je n'étais pas à cet endroit à ce moment-là. Il vous suffira de vérifier auprès de ma femme et de mes enfants qui vous diront que j'étais ici.» Supposons que l'agent de police vérifie l'alibi de la personne. Il peut alors déclarer: «Je me suis trompé. Je n'ai pas reçu l'ordre de vous emmener et je n'ai pas de mandat d'arrestation.» L'agent peut alors présenter ses excuses à la personne et partir à la recherche du vrai coupable. La nouvelle proposition offre donc une certaine marge de manoeuvre.
Le sénateur Jessiman: J'ai une question à poser au sujet d'une lettre du Barreau du Québec concernant le projet d'article 529.1. Cette lettre date du 5 novembre 1997 et est confirmée dans la lettre en date du 1er décembre de la même année.
Voici ce qu'on peut y lire:
Le projet de loi modifie le paragraphe 487.3(1) du Code criminel en faisant référence notamment au nouvel article 529. Cependant, le législateur a omis de faire référence au mandat d'entrée de l'article 529.1 [...]
Est-ce celui dont vous avez parlé? D'après ces avocats, le projet de loi n'en fait pas mention.
M. Roy: J'ai dit que le projet d'article 529.1 constitue l'essentiel de ce projet de loi. Il s'agit d'un nouvel instrument créé pour répondre carrément aux arguments avancés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Feeney. La Cour suprême a déclaré qu'il fallait considérer que ce pouvoir existait. J'ai aussi dit au début de mon exposé que d'autres problèmes se posaient lorsqu'on essaie de trouver une façon de respecter la décision de la Cour suprême du Canada. L'article 529 en est un exemple. Il y aura des cas où la police a obtenu des mandats pour effectuer un mandat.
Le sénateur Jessiman: Par opposition à un mandat d'entrée?
M. Roy: Oui, un mandat d'entrée. Par conséquent, les policiers auront accusé quelqu'un d'un acte criminel et déclaré «Je veux être en mesure d'arrêter cette personne». Le juge accordera cette autorisation.
Dans l'affaire Feeney -- c'est le passage que j'ai lu en réponse à une question du sénateur Beaudoin --, la Cour suprême a déclaré clairement que le mandat d'arrestation ne suffit pas. La loi stipule que si l'on possède un mandat d'arrestation, il faut obtenir quelque chose de plus, à savoir le mandat d'entrée. C'est ce que prévoit l'article 529, juste avant l'article 529.1.
Nous avons dû prévoir dans la loi la possibilité pour les policiers, lorsqu'ils obtiennent un mandat d'arrestation, d'être autorisés à entrer dans les lieux, ce que prévoit le projet d'article 529. Ce n'est rien de plus. Il n'est pas nécessaire d'obtenir un mandat d'arrestation, mais si on en obtient un, il faut être autorisé à entrer dans la maison.
Le sénateur Jessiman: À votre avis, le projet de loi répond-il à ces préoccupations? D'après le Barreau du Québec, ce n'est pas le cas. Avez-vous lu sa lettre?
M. Roy: Oui, je l'ai lue.
Le sénateur Jessiman: Le barreau estime que le Parlement a omis de faire référence au mandat d'entrée, mais vous venez de dire que le projet de loi le prévoit.
M. Roy: Oui, à l'article 529.
Le sénateur Nolin: Il s'agit de la première distribution du projet de loi C-16, et cela a été corrigé par la Chambre des communes.
Le sénateur Jessiman: Cela a été corrigé?
Le sénateur Nolin: Oui.
Le sénateur Jessiman: Très bien.
M. Roy: Une seule motion a été jugée recevable à l'autre endroit, en vue de remédier à ce problème. Nous parlons d'un problème tout à fait différent.
Le sénateur Beaudoin: Quand l'a-t-on corrigé à la Chambre des communes?
Le sénateur Nolin: Lors de l'étude en comité.
M. Roy: La mesure a été adoptée par la Chambre le 7 novembre.
Le sénateur Jessiman: Le 1er décembre.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez raison. C'est ce qu'a dit le Barreau du Québec en décembre.
Le sénateur Jessiman: Voici ce qu'il dit dans sa lettre:
La version adoptée par la Chambre n'a pas eu pour effet d'écarter aucune des propositions faites par le Barreau du Québec dans sa lettre du 5 décembre.
M. Roy: Je n'ai pas lu cela. Vous parlez d'un document qui est arrivé après l'adoption du projet de loi à l'autre endroit.
Le sénateur Jessiman: Le 5 novembre, le barreau a écrit une lettre. Puis, le 1er décembre, il a envoyé un message par télécopieur annonçant que certains changements avaient été apportés, mais la lettre disait néanmoins:
L'analyse du projet de loi a été faite à partir du texte en première lecture déposé à la Chambre des communes. Nous avons pris connaissance de la version adoptée par la Chambre le 7 novembre et nous pouvons confirmer que les commentaires du barreau relativement au projet de loi sont toujours opportuns. Ainsi, la version adoptée par la Chambre n'a pas eu pour effet d'écarter aucune des propositions faites par le Barreau du Québec dans sa lettre datée du 5 novembre 1997.
Le sénateur Cools: Allons-nous entendre des témoignages au sujet de ce projet de loi? Je suis sûre que le sénateur Nolin, lorsqu'il a rencontré le président et le comité directeur vendredi, a insisté sur le droit du Barreau du Québec de témoigner devant le comité. Je sais que le sénateur défend toujours les intérêts de sa province.
Le sénateur Nolin: On a demandé à ses représentants de témoigner mais ils ont rejeté cette invitation en nous disant de lire leur mémoire.
Le sénateur Beaudoin: Puisqu'ils nous ont demandé de lire leur mémoire, c'est ce que nous ferons.
M. Roy: Je ne comprends pas ce qui les préoccupe. Tout d'abord, la question du mandat d'arrestation est réglée dans le projet de loi sous sa forme actuelle. L'article 529 prévoit un mandat d'entrée. La modification a été apportée à l'autre endroit grâce à une motion visant à modifier le libellé de l'actuel article 1, lequel prévoit la création d'un nouvel article 487.3 de la loi. Je peux vous expliquer l'objet de cet article proposé, si vous le désirez. Toutefois, j'ai jugé préférable, avant de passer à ce qui constitue une question secondaire, d'en finir avec l'essentiel du projet de loi.
J'ai parlé de l'article 529.1. Nous avons parlé de l'article 529, qui concerne le mandat d'arrestation, combiné à un mandat d'entrée. Il nous faut ensuite parler de la question des circonstances des situations d'urgence.
J'ai dit au tout début de mon exposé que la majorité des juges de la Cour suprême, dans l'affaire Feeney, n'ont pas rendu de conclusion définitive sur la présence de situations d'urgence autres qu'une prise en chasse, en vertu desquelles il serait possible à l'État d'entrer dans une maison d'habitation pour y effectuer une arrestation sans obtenir au préalable de mandat. Le projet de loi permet au Parlement de décréter sans équivoque que cela devrait être possible dans certaines circonstances. Deux de ces circonstances sont énoncées clairement à l'article 529.3.
Quels sont ces deux cas? Tout d'abord, les cas où il existe un doute -- et j'insiste bien sur les termes utilisés ici -- qu'une personne risque de subir des lésions corporelles imminentes. Le meilleur exemple qu'on puisse en donner est celui de la violence conjugale. Si les policiers ont des doutes raisonnables qu'une personne risque de subir des lésions corporelles imminentes, en vertu du projet de loi, ils seront autorisés à entrer dans une habitation pour éviter que cela ne se fasse ou pour empêcher la personne de commettre le délit.
Le sénateur Cools: Sans obtenir deux ou même un mandat?
M. Roy: Sans le moindre mandat.
Le sénateur Beaudoin: Mais il s'agit de circonstances exceptionnelles.
M. Roy: Cela s'applique de façon tout à fait exceptionnelle en cas de risque de lésions corporelles imminentes, et non à de pures spéculations qui ne sont pas visées par cet article.
Le sénateur Cools: Je voudrais obtenir un éclaircissement sur la question des mandats mais j'aimerais d'abord poursuivre dans la veine des propos de M. Roy.
Cela est très intéressant pour ce qui est de la violence conjugale. Je connais bien le problème. Dans ces cas-là, l'habitation particulière ou l'emplacement de celle-ci n'est jamais un problème. Il n'y a des problèmes dans le cas des habitations privées que lorsqu'on essaie d'appréhender un criminel éventuel, et que celui-ci se déplace d'une habitation à l'autre.
Dans les cas de violence conjugale, lorsqu'un mari bat sa femme ou qu'une femme bat un mari ou un enfant, lorsqu'on appelle la police, il s'agit toujours de la même résidence. Ce n'est pas un très bon exemple. Les cas de violence familiale se produisent généralement au foyer des victimes et des agresseurs. C'est bien beau de citer la violence conjugale comme exemple, mais il s'agit d'une infraction pour laquelle le lieu du crime n'est jamais un problème.
Si l'on habite dans un lotissement, par exemple, et qu'un accusé éventuel passe d'une habitation à l'autre, alors là il y a un problème. Il est difficile de savoir exactement dans quelle habitation l'accusé se trouve ou non.
Je sais que vous aimez toujours invoquer la violence conjugale car c'est une question toujours très opportune.
Quelle différence y a-t-il entre un mandat et une autorisation judiciaire? Cette question était soulevée par le procureur général de la Colombie-Britannique dans un mémoire. Vous pourriez peut-être expliquer au comité la différence qui existe entre un mandat, tel que nous le connaissons depuis des centaines d'années, et l'autorisation judiciaire telle que prévue dans l'affaire Feeney.
M. Roy: Sénateur, à mon avis, c'est la même chose. Un mandat est une autorisation fournie par un juge en vue de faire une certaine chose.
Le sénateur Cools: Je savais que vous diriez cela.
M. Roy: Il en va de même qu'il s'agisse d'un mandat d'arrestation, de perquisition ou d'empreintes génétiques. Il en existe plusieurs sortes. Lorsqu'on parle d'autorisation judiciaire, c'est simplement une autre expression pour un mandat.
Le sénateur Cools: Non, ce n'est pas le cas, monsieur Roy. Sinon, pourquoi le procureur général de la Colombie-Britannique déclare-t-il dans son mémoire que
L'intimé estime qu'il importe que ce pouvoir...
-- il veut parler de ce nouveau pouvoir --
... puisse être exercé par un juge de paix.
Plus loin, il ajoute qu'il ne s'agit pas des juges prévus à l'article 96. Pourquoi le procureur général de la Colombie-Britannique juge-t-il bon de faire cette remarque dans son mémoire s'il s'agit d'une seule et même chose?
M. Roy: En toute déférence, les propos du procureur général de la Colombie-Britannique et les miens ne sont pas contradictoires. On dit simplement qu'il faut l'intervention d'un juge à un certain niveau pour obtenir ces mandats.
Un juge aux termes de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 -- ce que nous appelions l'Acte de l'Amérique du Nord britannique -- est en fait un juge d'une cour supérieure. Le procureur général de la Colombie-Britannique déclare que s'il faut obtenir un mandat d'un juge, que ce ne soit pas un juge d'une cour supérieure. Qu'une autre instance suffise, par exemple un juge de paix. Ce sont tous des juges, et c'est ce que prévoit ce projet de loi.
Le sénateur Cools: Pas tout à fait. Le projet de loi C-16 vise à répondre aux préoccupations soulevées par le procureur général dans sa requête. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, il n'est pas certain que le projet de loi C-16 énonce l'intention initiale de la Cour suprême du Canada. Lorsque celle-ci a parlé de «autorisation judiciaire», il n'était pas certain qu'elle pensait à un mandat classique. C'est la question que pose le procureur général. Comment ce pouvoir sera-t-il exercé? Dans sa requête, le procureur général dit en fait qu'il importe, pour l'administration de la justice, que cette autorisation soit accordée par un juge de paix, ou les vieux magistrats, comme il les appelle. Il n'est pas évident qu'on parle des mêmes dans la décision initiale. Le projet de loi apporte une précision. Je m'en réjouis, et en cela j'approuve le projet de loi. Toutefois, lorsque vous témoignez devant notre comité, il vous incombe de préciser que l'un des problèmes qu'il a fallu résoudre en droit était la signification que la Cour suprême donnait à une «autorisation judiciaire».
M. Roy: Votre remarque est pertinente. La cour n'a pas précisé dans l'affaire Feeney quel juge devrait émettre le mandat. Elle parlait simplement d'obtenir une autorisation judiciaire. C'est au ministre de la Justice qu'il incombe de décider quel juge sera habilité à émettre ces mandats. Étant donné qu'il est possible d'obtenir un mandat d'arrestation d'un juge de paix, le ministre de la Justice a estimé qu'il devrait en aller de même pour obtenir un mandat d'entrée.
N'oubliez pas que lorsqu'on est juge de cour supérieure, on est également juge de paix, mais pas vice versa. Si l'on prévoit l'intervention d'un juge de paix, cela laisse une plus grande marge de manoeuvre. Pensez aux Territoires du Nord-Ouest où les juges de cour supérieure desservent toute la région. Il faut pouvoir s'adresser à des juges de paix qui se trouvent sur place et qui peuvent émettre ces autorisations après avoir pesé le pour et le contre. C'est ce que propose le ministère en l'occurrence.
La présidente: Si je puis vous interrompre, le sénateur Nolin m'a dit qu'il voulait poser une question. Messieurs, je voudrais savoir si vous avez autre chose à nous dire parce que, dans ce cas, nous devrions poursuivre votre exposé et passer ensuite aux questions.
Le sénateur Cools: Il a dit qu'il avait terminé son exposé.
La présidente: Il a dit que c'était la première de trois parties.
M. Roy: Relativement à la question de la situation d'urgence, je pourrais ajouter simplement qu'il y a une deuxième possibilité où l'on peut entrer dans une habitation sans avoir obtenu auparavant l'autorisation judiciaire de le faire ou un mandat d'entrée. Il s'agit du cas où la police a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve seront détruits d'un moment à l'autre si elle n'intervient pas. Le critère est différent ici. Il ne s'agit pas d'un soupçon raisonnable, mais bien d'un motif raisonnable.
La ministre de la Justice n'a pas dit dans son projet de loi -- et nous ne proposons pas non plus -- que l'État doit pouvoir intervenir lorsqu'on a des motifs de croire que des biens seront détruits. Le seul cas qui justifierait que l'on entre dans une habitation sans mandat serait si les biens qui risquent d'être détruits constituent la preuve d'un crime. À ce moment-là, dans une société démocratique, on juge que l'État peut et doit pouvoir entrer quelque part pour que l'administration de la justice ne soit pas compromise par le fait que la police attendait à l'extérieur d'une habitation une autorisation d'y entrer pendant que l'on détruisait des éléments de preuve. C'est ce que vise l'article 529.3 proposé.
Je voudrais dire un dernier mot au sujet de la situation d'urgence. Ce sont les situations d'urgence au sujet desquelles le Parlement peut s'exprimer ou énoncer la loi. Il peut y en avoir d'autres à l'avenir qui se présenteront et la nouvelle loi offrirait la souplesse voulue pour permettre à la common law d'évoluer. Le Parlement s'exprime maintenant sur les deux cas qui ont été identifiés comme nécessitant une mise au point. Il pourrait se présenter à l'avenir toutes sortes d'autres situations et, dans certaines d'entre elles, la police pourrait penser qu'elle doit intervenir sans mandat. Selon nous, on pourrait laisser le soin aux tribunaux de trancher. L'article 529.3 proposé n'est donc pas exhaustif. Le Parlement déclare clairement que, dans ces deux cas, on doit reconnaître qu'il existe une situation d'urgence. C'est important à notre avis parce que, dans un certain nombre d'affaires, la Cour suprême du Canada a déclaré très clairement que l'on doit se reporter dans une certaine mesure aux décisions prises par le Parlement dans le cas de dispositions particulières qui peuvent être considérées comme étant une violation des droits constitutionnels.
Dans ce cas-ci, nous croyons que, dans une société libre et démocratique, l'État doit pouvoir pénétrer dans une habitation à tout le moins si quelqu'un est sur le point d'être blessé ou si l'on a des raisons de croire que des éléments de preuve seront détruits. Le critère important ici est l'imminence du danger de blessures ou de la destruction des éléments de preuve.
Le sénateur Jessiman: À ce sujet, voulez-vous dire que les mots «sans que soit restreint ou limité le pouvoir d'entrer» qui est conféré à l'agent de la paix visent aussi les situations d'urgence et s'appliquent aux paragraphes 1 et 2?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Jessiman: Je me demande si un tribunal pourrait l'interpréter autrement. Vous dites que les pouvoirs peuvent être limités, mais qu'il y a situation d'urgence. Il pourrait y avoir autre chose, même si ce n'est pas précisé.
M. Roy: Je me demande si le moment est bien choisi pour poursuivre l'exposé, madame la présidente, et pour dire un mot au sujet du préambule. Je sais que cela intéresse tout particulièrement le sénateur Nolin.
La présidente: J'aimerais bien entendre la suite de ce que vous avez à nous dire sans trop d'interruptions.
M. Roy: Madame la présidente, j'essaie de faire comprendre que le présent projet de loi vise à fournir de la souplesse aux autorités policières tout en protégeant les droits des Canadiens tels qu'ils sont définis par la Cour suprême dans le jugement Feeney.
La Cour suprême a dit qu'il faut obtenir une autorisation judiciaire ou un mandat. Voilà le fondement de ce projet de loi. Il est important aussi de savoir comment on peut obtenir ledit mandat. Dans certaines circonstances, il sera difficile pour les policiers de s'entretenir en face-à-face avec un juge de paix. La loi offrira une souplesse telle qu'il sera possible d'obtenir le mandat en question en se servant du téléphone, un télémandat. Cette possibilité revêt une importance particulière surtout dans les régions septentrionales du Canada. Il s'agit évidemment des Territoires du Nord-Ouest, mais sans oublier les régions du nord de l'Ontario, du Québec et des provinces de l'Ouest. Dans les cas où il n'y a pas de situation d'urgence, il sera possible pour le policier d'obtenir le mandat en téléphonant à un juge de paix. La loi prévoit déjà comment cela peut se faire. On crée donc un document pour ceux qui s'en préoccupent et il existe déjà une procédure dans le cas des mandats de perquisition. On retrouve donc cette même procédure dans le projet de loi pour le mandat d'entrée. Cette disposition se trouve à la page 5 de ma version du projet de loi. Ce sera le nouvel article 529.5 si le Parlement daignait l'adopter.
Enfin, je vous ai fait part d'un autre problème que nous avons défini en étudiant de plus près la situation Feeney, c'est-à-dire qu'il y a d'autres lois qu'on ne pourra peut-être pas appliquer parce qu'il est impossible d'insérer dans ces lois le genre de disposition à laquelle songeait la Cour suprême dans le cas Feeney. Je vous renvoie plus précisément à la Loi sur l'immigration, à la Loi sur la libération conditionnelle et à la Loi sur la preuve. Afin de pouvoir régler ce problème, le ministre de la Justice propose de modifier la Loi d'interprétation en y ajoutant un nouvel article 34.1 qui nous permettrait «d'insérer» ce dont il était question par rapport à Feeney dans la Loi sur l'immigration, par exemple. À l'heure actuelle, il est impossible d'obtenir un mandat d'entrée. À l'avenir, il serait possible pour la personne émettant un mandat d'arrestation en vertu de la Loi sur l'immigration d'émettre aussi un mandat d'entrée. Cela étendrait le changement proposé au Code criminel aux autres lois fédérales comme la Loi sur l'immigration.
Je manquerais à mon devoir si je ne vous touchais quelques mots du préambule. Le préambule a pour objet de préciser aussi clairement que possible les faits législatifs dont a tenu compte le Parlement en décidant de ce qui serait approprié. Dans le passé, certains ont proposé de laisser tomber le préambule puisqu'il ne signifie rien. Madame la présidente, j'aimerais quand même rectifier cette mauvaise perception de la part de certains. Le préambule demeure. J'ai avec moi, pour les membres du comité, des exemplaires des lois du Canada. Dans le cas d'une autre loi adoptée par cette législature suite à une décision de la Cour suprême du Canada -- certains d'entre vous se rappelleront le cas Daviault concernant une intoxication extrême -- , on a demandé au Parlement d'étudier cette question et d'adopter quelques modifications à la loi. Cela nous a valu un nouvel article 33.1 au Code criminel. Le Parlement a pu se reporter à des faits législatifs, comme je les appelle, qui font maintenant partie de nos lois. Si vous vous reportez aux lois du Canada de 1995, vous y trouverez au chapitre 32 la loi en question.
La présidente: Nous avons un problème: il n'y a que cinq exemplaires du document.
Le sénateur Cools: De toute évidence, ils ne s'attendaient qu'à voir cinq sénateurs au comité.
La présidente: Nous en ferons faire des copies.
M. Roy: C'est de ma faute: je vous présente mes excuses.
Le sénateur Jessiman: Et où ce préambule aboutit-il?
M. Roy: Il aboutit dans les lois du Canada.
Le sénateur Jessiman: Où, dans les lois du Canada? Est-ce que ça se trouve dans le Code criminel aussi?
M. Roy: Cela fait partie du Code criminel. Cependant, si l'on se reporte à la codification administrative de Martin ou de Tremeear ou d'autres, vous ne l'y trouverez pas parce que, dans ces documents, on manque de place et on élague. Ces préambules font partie des lois. Les tribunaux s'en servent pour décider quelle était l'intention du Parlement, ce qui est utile, mais, plus important encore, ces préambules font partie de la preuve et de l'argumentation présentées par le procureur général pour justifier l'existence d'une telle loi en disant qu'il s'agit là de quelque chose qui doit être fait dans une société libre et démocratique. Il y a aussi l'argument de la partie 1 en vertu de la Charte: quelle était l'intention du Parlement en adoptant cette loi précise et quel est le problème qu'il cherche à corriger?
Voilà pourquoi, dans le projet de loi C-16, il existe ce préambule qui fait état du problème et, dans une grande mesure, qui propose la solution cherchée. Comme l'a dit le sénateur Jessiman, à l'article 529.3, on souligne bien qu'il y a «notamment» urgence dans les cas indiqués. Le préambule précise très clairement que la common law continue de s'appliquer. En lisant l'article 529.3 à la lumière du préambule, il ne peut faire aucun doute pour qui que ce soit que la common law doit continuer à évoluer pour tenir compte de situations nouvelles qui peuvent se présenter à l'avenir.
Le préambule est important puisqu'il sert à justifier la loi. Il est important aussi parce qu'il nous aide à interpréter ce qui se trouve dans la loi.
Madame la présidente, je serai heureux de répondre à toute autre question.
Le sénateur Cools: Monsieur Roy, j'ai lu un affidavit que vous avez présenté et je me demande si vous pourriez m'expliquer sur quoi vous vous fondez en matière de droit et de pratique parlementaire pour saisir la Cour suprême du Canada d'une procédure du Parlement.
M. Roy: Vous voulez dire, sénateur Cools...
Le sénateur Cools: Peut-être devrais-je préciser ce à quoi je me reporte.
M. Roy: Le projet de loi a été déposé le 30 octobre et adopté par l'autre Chambre le 7 novembre.
Le sénateur Cools: Nous le savons.
M. Roy: L'ordonnance de la Cour suprême, obtenue par le procureur général de la Colombie-Britannique et appuyée, entre autres, par le procureur général du Canada, a expiré le 22 novembre.
Le sénateur Cools: Je le sais.
M. Roy: J'essaie tout simplement...
Le sénateur Cools: Peut-être devrais-je poser plus clairement ma question. J'ai, entre les mains, une copie de l'avis de requête à la Cour suprême du Canada dans le cas de Michael Feeney c. Sa Majesté la Reine et le Procureur général du Canada présenté après l'adoption du projet de loi C-16 par la Chambre des communes, ce qui signifie que la Chambre des communes n'a plus rien à voir dans cette histoire.
Plus précisément, annexé à cet avis de requête se trouve un affidavit signé par M. Yvan Roy. Il y décrit essentiellement le cheminement du projet de loi à la Chambre des communes, mais pas tout à fait au Sénat parce qu'il n'y était pas encore arrivé.
La question que je me pose découle du paragraphe 25 de cet affidavit.
M. Roy y dit «qu'un exemplaire du projet de loi C-16 y est annexé à titre de pièce A.» Je vous le demande, monsieur Roy: sur quoi vous fondez-vous en droit et en pratique parlementaire pour saisir la Cour suprême du Canada d'une procédure du Parlement -- parce que le projet de loi C-16 n'est pas une loi, c'est un projet de loi -- afin d'obtenir l'opinion de ladite cour?
Le sénateur Nolin: Avant que M. Roy ne réponde à cette question, j'aimerais lui demander une précision.
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur Roy, il y a une première requête qui a été déposée au mois de juin?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Nolin: Pour s'assurer qu'on comprenne bien la séquence des événements et de vos affidavits, est-ce qu'il y aurait moyen d'avoir une copie de cette première requête avant que vous ne répondiez à cette question?
M. Roy: Sûrement. Ces documents font partie du dossier public et ils sont facilement accessibles. De fait, le sénateur Cools en a demandé copie en communiquant avec nous et c'est avec plaisir qu'on la lui a fait parvenir.
[Traduction]
Je ne sais pas si j'en ai des copies supplémentaires ici, mais j'ai certainement mes propres copies de ces documents. Si vous en désirez un exemplaire, je serai heureux, pendant la pause, de demander à la greffière de vous en fournir.
Voici de quoi tout ceci retourne, sénateur Cools: Le procureur général de la Colombie-Britannique et celui du Canada ont obtenu une ordonnance suspendant l'exécution de la décision de la Cour suprême du Canada au mois de juin. Le projet de loi a été déposé et étudié à la Chambre des communes. On a entendu des témoins et la Chambre a adopté le projet de loi le 7 novembre. Comme nous le savons tous, la Chambre ne siégeait pas la semaine suivante. Donc, dès le lundi 17 novembre, le Sénat n'aurait plus à sa disposition qu'un peu moins d'une semaine pour déposer le projet de loi, en débattre en deuxième lecture, passer à l'étape de l'étude en comité et adopter la loi en troisième lecture avant le 22 novembre.
Le ministre de la Justice a demandé à ses conseillers juridiques d'obtenir de la cour une prolongation de cette ordonnance dans le cas Feeney, sachant fort bien qu'il serait possible que la cour la lui refuse. Et pourquoi? Parce que cela plaçait la cour dans une position extrêmement difficile. D'après la cour, dès le 22 mai 1992, les droits constitutionnels des Canadiens avaient été violés et, après cette date, lorsque la police entrait chez quelqu'un pour arrêter une personne, les droits de cette personne étaient toujours violés si la police ne détenait pas de mandat. On demande donc à la cour d'accorder son aval à une telle chose. Nous avons demandé à la cour une période de grâce de six mois, ce qui est la période qui a été accordée dans d'autres cas. Si l'on doit ensuite retourner à la cour pour lui dire: «La procédure n'est pas encore complète», alors vous demandez en réalité à la cour de permettre à l'État de continuer à violer systématiquement les droits des Canadiens. C'est pour cela que le ministre nous a donné ordre de chercher à obtenir une prolongation correspondant à la période de temps que le Règlement prévoyait alors. D'après le Règlement, le Sénat devait siéger jusqu'au 19 décembre. Voilà de quoi il retourne dans mon affidavit. Lorsque je dis à la cour, dans l'affidavit, «voici un exemplaire du projet de loi C-16», je ne demande pas à la cour de nous donner son opinion à savoir si c'est constitutionnel ou quelque chose du genre. Je fournis tout simplement à la cour un projet de loi pour lui dire «voici le projet de loi qui a été déposé». En réalité, il s'agit d'un document public disponible sur le site Web. Je dis tout simplement: «Le voici. Plutôt que vous obliger à le chercher vous-mêmes, je dépose le document auprès de la cour. Voici la procédure que nous avons suivie afin d'en arriver à l'étape où nous en sommes à la date de l'affidavit en question.» Pour les fins de nos propos ce matin, il s'agit du 7 novembre 1997.
Le sénateur Cools: Je connais la chronologie de l'affaire, monsieur Roy. Je vous demandais sur quoi vous vous fondiez en droit, en pratique parlementaire et en usage constitutionnel de notre pays. Vous me répondez en me récitant une chronologie que j'ai devant moi et que, très franchement, je connais bien.
Je ne vous demandais pas de me réciter cette chronologie. Si le ministère ou le ministre de la Justice, le procureur général du Canada, avait voulu retourner en cour pour demander une prolongation de l'ordonnance, alors, lui, elle, c'est-à-dire ses représentants, auraient pu le faire sans saisir la cour de la procédure parlementaire.
Je répète donc ma question, alors, s'il vous plaît, épargnez-moi votre récitation de la chronologie; je la connais très bien. J'ai lu vos documents. La chronologie qui s'y trouve est excellente. Je vous le demande: sur quoi vous fondez-vous en droit, dans notre pratique parlementaire ou dans nos pratiques et usages constitutionnels dans ce pays, pour saisir un tribunal du pays d'une procédure du Parlement? C'est sans précédent. Je vous demande sur quoi vous vous fondez en droit, je ne vous demande pas quels étaient les impératifs politiques du moment. Nous connaissons tous les impératifs politiques. Nous sommes des politiciens. Laissez-nous nous occuper de politique.
M. Roy: Madame le sénateur, un affidavit en droit...
Le sénateur Cools: Non. Je veux savoir sur quoi vous vous fondez en droit pour saisir la cour de ce projet de loi. Citez les dispositions judiciaires qui vous le permettent.
La présidente: S'il vous plaît, laissez-le répondre.
Le sénateur Nolin: Nous avons déjà cette réponse.
Le sénateur Cools: Vous l'avez, mais moi non. M. Roy n'a cité aucune loi, aucun précédent, aucune règle parlementaire. D'ailleurs, cela est expressément défendu par les règlements du Parlement.
M. Roy: Qu'est-ce qui est défendu?
Le sénateur Cools: Dans le droit du Parlement, il est clairement indiqué que le Parlement a une autorité exclusive sur toutes les délibérations du Parlement. C'est clair que vous ne croyez pas cela, monsieur Roy. Mais c'est ça, c'est la loi.
M. Roy: Vous me demandez sur quoi je me fonde en droit.
Le sénateur Cools: Oui, votre fondement juridique.
M. Roy: Une motion a été présentée à la Cour suprême du Canada pour qu'elle prolonge son ordonnance.
Le sénateur Cools: Je sais.
M. Roy: Pour obtenir une telle ordonnance, il faut que le tribunal soit convaincu que quelque chose s'est produit. Sinon, à mon humble opinion, le tribunal devrait préciser l'ordonnance. En droit, un affidavit est une déclaration faite sous serment par quelqu'un et portant sur certains faits, et dans ce cas sur les faits qui se sont produits. Vous demandez à quelqu'un qui a une connaissance personnelle de ces faits de les énoncer dans une déclaration sous serment. Le 30 octobre 1997, le ministre de la Justice a déposé un projet de loi. C'est un fait et restera un fait. Le projet de loi porte le numéro C-16. Quand quelqu'un demande à la Cour suprême du Canada de prolonger une ordonnance, cette personne doit justifier cette demande, et montrer au tribunal les documents qui ont servi à obtenir l'ordonnance. Ces documents comprennent un document public -- le projet de loi C-16. Voilà ce que nous faisons. Tout cela est inclus au paragraphe 26 de mon affidavit en date du 7 novembre.
Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, il est vrai que le projet de loi C-16 est un document public, mais cela ne veut rien dire. D'après la pratique constitutionnelle du Canada, les délibérations du Parlement sont sous l'autorité exclusive du Parlement jusqu'au moment de la promulgation. C'est peut-être un document public, mais cela ne veut rien dire. Il y a toutes sortes de précédents qui appuient mon argument.
Quand vous avez préparé cet affidavit sous serment, en avez-vous montré une copie au ministre? Avez-vous expressément cherché à obtenir des instructions de la part du ministre, pour que le projet de loi C-16 fasse partie des faits présentés?
M. Roy: Je ne peux pas répondre avec un simple «oui» ou «non». Si vous me demandez si j'ai moi-même parlé à la ministre à ce sujet, la réponse est très claire: non.
Le sénateur Cools: Très bien. Laissez-moi reformuler la question. Avez-vous invité le ministre à vous donner des instructions portant sur votre désir de présenter le projet de loi C-16 à la cour?
M. Roy: Madame le sénateur, je ne peux pas répondre à cette question. En toute déférence, elle est erronée.
Le sénateur Cools: La question est erronée?
M. Roy: Personne n'a présenté le projet de loi C-16 à la cour. Ce n'est pas ce qu'on a fait. Le projet de loi n'a pas été soumis à la cour. On ne pourrait jamais soumettre un projet de loi à la cour avant qu'il ne soit promulgué. Cela serait tout à fait irrégulier.
Le sénateur Cools: Vous avez répondu vous-même à la question. C'est tout à fait irrégulier, monsieur Roy.
M. Roy: Mais ça n'a pas été fait.
Le sénateur Cools: Ça a été fait. Ici, on voit clairement qu'un exemplaire du projet de loi C-16 est joint à titre de pièce A. Cette pièce fait partie des faits présentés à la cour. Donc que voulez-vous dire en insistant que le projet de loi n'a pas été soumis? Il a été déposé. Il est devant le tribunal.
M. Roy: Il n'a pas été soumis à la Cour suprême du Canada pour une décision.
Le sénateur Cools: Je n'ai pas dit cela.
M. Roy: Nous nous écartons de la question fondamentale. Quand vous faites une déclaration sous serment, vous énoncez les faits. Dans le paragraphe, il est indiqué qu'un projet de loi avec un certain titre fut déposé le 30 octobre 1997. Ce projet de loi porte maintenant le numéro C-16. Et on le montre à la Cour suprême.
Le sénateur Cools: Moi je vous dis le contraire, monsieur Roy. Moi je vous dis qu'il est très irrégulier pour quelqu'un -- surtout un membre du personnel du procureur général du Canada -- de soumettre une copie des délibérations parlementaires comme preuve. Commençons par là.
Maintenant répondez clairement: quels conseils ou quelles instructions avez-vous demandés du ministre pour vous guider? Vous dites que le ministre ne connaissait rien de cette affaire. Je veux que cela soit clair.
La présidente: Madame le sénateur...
Le sénateur Cools: C'est ce qu'il a dit. Qu'il clarifie ses propos.
La présidente: Nous laisserons M. Roy répondre à cette question. Et puis on passera à d'autres intervenants.
M. Roy: Ce n'est pas ce que j'ai dit, sénateur Cools.
Le sénateur Cools: Donc dites-moi ce que vous vouliez dire.
M. Roy: Voici la question que vous m'avez posée. Avez-vous discuté de la question avec Mme la ministre McLellan? La réponse était non, donc j'ai dit non.
Le sénateur Nolin: Au sujet de l'affidavit.
M. Roy: Je n'ai pas présenté mon affidavit au ministre. Je n'ai pas dit: «Madame McLellan, maintenant que nous nous parlons, veuillez avoir la gentillesse de jeter un coup d'oeil sur mon affidavit».
J'ai montré l'affidavit à des gens de son bureau. Je ne sais pas si elle a vu l'affidavit elle-même.
Le sénateur Cools: J'ai une question très particulière à vous poser. Je veux savoir si le ministre savait que vous alliez saisir la cour d'un document appartenant au Parlement.
M. Roy: Oui.
Le sénateur Cools: Elle en a été avisée. Il a dit «oui». Voilà ce que je voulais savoir.
Le sénateur Beaudoin: Quelqu'un a dit que nous ne pouvions pas soumettre un projet de loi à la Cour suprême. Mais c'est faux, ça. Nous pouvons soumettre un projet de loi à la Cour suprême pour recevoir des conseils au sujet de la constitutionnalité de ce projet de loi. C'est faisable.
Le sénateur Cools: Seulement le procureur général peut faire cela, pour obtenir des informations.
Le sénateur Beaudoin: Oui, mais elle est toujours canadienne, si je ne m'abuse. Ici au Canada, tout citoyen peut soumettre une loi à la cour pour qu'elle décide si la loi est constitutionnelle. Cela n'est pas faisable dans toutes les autres démocraties, vous savez.
Au Canada, nous n'avons pas à attendre que le projet de loi soit promulgué avant de le soumettre à la cour. Cela figure dans la Loi sur la Cour suprême. Bien sûr que nous avons le droit de faire cela.
M. Roy: Sénateur Beaudoin, j'essaie d'expliquer que nous ne l'avons pas fait dans ce cas-ci.
Le sénateur Beaudoin: C'est vrai, et je veux que vous le disiez.
M. Roy: Purement et simplement, le projet de loi n'a pas été soumis avec l'objectif d'obtenir une opinion de la Cour suprême du Canada, et la Cour suprême n'a pas donné d'opinion là-dessus.
Le sénateur Beaudoin: Nous sommes donc tous d'accord qu'on peut demander à la cour de donner une opinion sur un projet de loi. Nous n'avons pas besoin d'attendre qu'il soit promulgué.
Donc dans votre argument vous dites que ce fait -- parce qu'il est un fait -- a été présenté à la Cour suprême pour étayer la demande de prolongation. C'est ce que vous dites.
M. Roy: Exactement. Dans mon humble opinion, cet argument est très clairement exprimé au paragraphe 26.
Le sénateur Beaudoin: Cette réponse me suffit. Vous avez dit que le principe de l'interprétation large sera entériné dans la Loi sur l'interprétation. Je trouve cela fascinant, et ça me plaît beaucoup. Mais c'est la première fois de ma vie que je le vois.
M. Roy: Si j'ai dit quelque chose laissant entendre qu'il y aurait une interprétation large de certaines dispositions, je ne voulais pas utiliser le terme avec le sens que lui a donné la Cour suprême du Canada dans le cas Feeney.
À la dernière page du projet de loi, on voit une modification à l'article 34.1 de la Loi d'interprétation, pour appliquer, compte tenu des adaptations de circonstances, à d'autres lois fédérales, établi pour le Code criminel. Par exemple, dans le domaine de l'immigration, il est possible en vertu de la Loi sur l'immigration d'obtenir un mandat pour arrêter quelqu'un avec l'objectif de l'expulser du pays.
Ici nous ne discutons pas d'un acte criminel, mais simplement d'un processus administratif. Les procédures en droit criminel qui s'appliqueront aux questions d'immigration seront établies sur la même base.
La procédure s'applique aussi aux détenus en libération conditionnelle qui violent une de leurs conditions. Un mandat est émis permettant de les arrêter et de les ramener. L'article 34.1 stipule que si vous avez besoin de pénétrer dans une habitation pour arrêter la personne, vous appliquez les dispositions du Code criminel, compte tenu des circonstances. Vous pouvez donc contacter la personne qui émet le mandat, et cette personne pourra vous donner un mandat vous permettant de pénétrer dans une habitation privée pour effectuer une arrestation, mais seulement quand la loi criminelle n'a pas d'application.
Si la loi criminelle peut être appliquée, il faudra se tourner vers les dispositions du Code criminel. L'objectif est d'importer au système d'immigration des procédures qui existent déjà dans le Code criminel.
Le sénateur Beaudoin: C'est purement une question d'interprétation.
M. Roy: Absolument. Vous avez raison. Je n'ai pas utilisé le bon terme.
Le sénateur Beaudoin: Ça ne fait rien. Je comprends ce que vous voulez dire.
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur Roy, j'aimerais bien avoir une copie de votre affidavit du mois de juin. Je pense que cela va éclaircir plusieurs points.
M. Roy: Sûrement.
Le sénateur Nolin: Je voudrais revenir à la période précédant le jugement de Feeney. La Cour suprême s'apprête à modifier une règle statutaire de common law: «en aviser au préalable». Avant que la Cour suprême ne prenne sa décision, est-ce que vous avez été mis au courant, soit par le procureur général de la province, soit par la cour elle-même, qu'elle s'apprêtait à prendre cette position?
M. Roy: Dans l'affaire Feeney?
Le sénateur Nolin: Oui.
M. Roy: La réponse est non. Il y a eu d'autres exemples dans le passé où de telles situations se sont produites. J'ai fait circuler ce qui est devenu le chapitre 32 des Lois de 1995, l'affaire Daviault. C'est une affaire un peu semblable où la cour, n'ayant aucune obligation légale, a créé une nouvelle règle de common law qui serait, de l'avis de la cour, plus conforme à la Charte. Comme je l'ai dit à quelques reprises, dans pareil cas, il n'y a pas d'obligation.
Ce qui a été proposé à la Chambre des communes, c'est qu'il y ait des efforts qui soient faits pour éviter que de telles situations ne se reproduisent. Les procureurs généraux devraient en être prévenus et pourraient intervenir pour donner un autre point de vue. Cela peut se faire par voie législative ou par voie des règles de la Cour suprême. Cela pourrait devenir une pratique qui se développe.
On me disait d'ailleurs ce matin, sous réserve de confirmer le tout, que la semaine dernière, lors d'auditions, alors qu'une question un peu semblable se présentait, la cour a décidé de ne pas considérer davantage une question qui impliquerait un changement à une règle de common law sur la base de la Charte, parce que cela a causé des difficultés dans le passé.
Je vous dirais qu'à notre point de vue, ce qui devrait d'abord être fait, c'est communiquer avec la cour pour faire connaître à celle-ci, si ce n'est pas déjà connu de sa part, les difficultés engendrées. Nous espérons que la cour décide, peut-être même par voie des règles de la cour, de changer sa façon de faire de manière à permettre éventuellement aux procureurs généraux d'intervenir s'ils le jugent approprié.
Ce projet de loi ne prévoit rien qui se retrouverait dans la Loi sur la Cour suprême. Il y a d'autres moyens de faire avancer un tel dossier. Ce que nous nous proposons de faire, c'est de continuer notre discussion avec les membres de la cour.
Le sénateur Nolin: Dans sa décision, la Cour suprême ordonne un nouveau procès. Avez-vous l'intention d'intervenir? Pensez-vous que tous les arguments ont été présentés devant la cour afin qu'elle puisse, de façon éclairée, rendre sa décision?
M. Roy: Le procès doit commencer au mois de février. L'état du droit est tel que le juge du procès n'aura pas à se poser la question à savoir si l'intrusion dans la roulotte était légale et si la preuve obtenue pouvait être utilisée. La Cour suprême a disposé de la question. À première vue, il n'y a pas de raison pour le procureur général du Canada d'intervenir au niveau du procès.
Le sénateur Nolin: Non, je pense beaucoup plus aux questions qu'aux arguments. Je ne veux pas présupposer de la culpabilité ou non de monsieur Feeney, mais de toute évidence, il y a des éléments de preuve qui ont été écartés par la décision de la Cour suprême. Ces éléments de preuve sont à l'origine de la possibilité pour le procureur général de la Colombie-Britannique de poursuivre M. Feeney. Il y a eu mort d'homme, il y a eu aveu, et quelqu'un jouit aujourd'hui d'une liberté.
Il y a un nouveau procès qui est ordonné. Croyez-vous que la Cour suprême a été confrontée à tous les arguments nécessaires de façon à ce que la loi soit appliquée? Je réfère à votre préambule parce que c'est quand même fondamental. On veut que l'application de la justice se fasse de façon harmonieuse, dans le respect des droits de tout le monde.
Si on se met à la place du Canadien moyen qui examine la séquence des événenements, celui-ci peut se poser des questions sur la qualité et la façon dont la justice est rendue au Canada. On peut alors retrouver des articles dans les journaux, comme on a eus récemment, sur la façon dont la Cour suprême s'acquitte de sa tâche. Ce sont d'ailleurs les points soulevés par le sénateur Cools lors du débat en deuxième lecture. Comme il s'agit d'un nouveau procès, est-ce que le procureur général du Canada a l'intention d'intervenir à toutes les étapes du nouveau procès?
M. Roy: Le procès lui-même, comme vous l'avez noté, ne permettra pas l'utilisation des éléments de preuve qui ont déjà été exclus par la Cour suprême, c'est-à-dire la chemise recouverte de sang et certaines des déclarations faites par l'accusé. Le procureur général de la Colombie-Britannique doit considérer qu'il a d'autres éléments de preuve à faire valoir devant un jury pour que celui-ci revienne avec un verdict de culpabilité. Quels sont ces éléments de preuve? Je ne les connais pas.
Vous l'avez dit, l'accusé dans cette affaire continue d'être présumé innocent. S'il y a, en cours de procès, de nouveaux arguments de la Charte qui sont présentés au sujet d'autres éléments de preuve, ce sera alors au procureur général de la Colombie-Britannique ou du Canada de juger s'il intervient à ce stade.
Je voudrais rappeler aux membres du comité qu'habituellement, le procureur général du Canada, pour une raison politique, n'intervient pas au niveau du procès mais plutôt au niveau des cours d'appel lorsque le débat est mieux circonscrit et que l'implication du droit est importante.
Au niveau d'un procès, plus souvent qu'autrement, cela est laissé entre les mains du procureur général local qui se doit d'intervenir et de faire part des arguments à être présentés. Pourquoi? Tout simplement parce qu'on n'aurait pas suffisamment d'avocats pour faire toutes les cours criminelles où il y a des arguments de la Charte qui sont présentés de nos jours.
Le sénateur Nolin: Je voudrais maintenant, si c'est possible, revenir sur la séquence des événenements entre le 22 mai, qui est la date où la Cour suprême a rendu sa décision, et le 30 octobre où le projet de loi a été déposé.
Vous personnellement, comme affiant, votre nom a fait partie de la discussion au Sénat. Je veux que ce soit bien clair et qu'on se comprenne bien sur ce qui s'est passé exactement. Dans un discours en deuxième lecture, le sénateur Moore a fait certaines affirmations que je voudrais vérifier avec vous.
Je cite le sénateur Moore:
Dans un lettre datée du 20 juin 1997, les fonctionnaires du ministère de la Justice se sont renseignés auprès de leurs collègues provinciaux au sujet des procédures provisoires prises dans chaque province avant la décision Feeney.
Quelles sont ces mesures provisoires auxquelles vos collègues du ministère faisaient référence?
M. Roy: Vous verrez qu'à mon affidavit, au paragraphe 8, je réfère à cet écrit qui était postérieur aux discussions qui ont eu lieu avec mes collègues des provinces, pour savoir en quoi consistaient essentiellement les solutions apportées suite à l'arrêt Feeney.
Vous vous rappellerez qu'on a parlé de «read it in». La question est: quel est le «it» et «in where»? Les opinions à cet égard variaient considérablement d'une province à l'autre. Certaines provinces voulaient utiliser, si mon souvenir est bon, un mandat général qui existe en vertu du code et qui se retrouve maintenant à l'article 487.01.
D'autres disaient: «Non, vous ne pouvez pas le faire.» Le paragraphe 2 de cet article 487.01 prévoit que si le mandat que vous voulez obtenir touche à l'intégrité physique de quelqu'un, vous ne pouvez pas l'utiliser. Il y a une clause qui l'exclut.
D'autres disaient: «D'accord, on voudrait avoir un mandat d'arrestation.» Mais le mandat d'arrestation n'a pas la clause voulue pour permettre l'entrée dans une maison d'habitation. «Comment va-t-on faire cela? Est-ce qu'il faut obtenir un mandat complètement différent ou si on peut l'obtenir à même le mandat que nous avons? Faut-il aller devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale ou un juge de la Cour supérieure?» Il y avait plusieurs questions qui se posaient.
Le Québec, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba et la Colombie-Britannique prévoient que les mandats d'arrestation ne peuvent être obtenus qu'après que les allégations soient vues par un procureur de la Couronne. Ces provinces se demandaient: est-ce qu'il faut maintenir notre politique ou on si on devrait laisser faire la police dans de tels cas? Et si on les laisse faire dans ces cas, pourquoi ne devrions-nous pas le faire dans d'autres cas?
La discussion, qui a duré un bon deux heures lors de la première conférence téléphonique, nous a fait constater qu'il y avait des petites difficultés. Personne ne s'entend sur ce qu'il faut faire. Il est devenu assez évident qu'en matière d'immigration et d'extradition...
Le sénateur Nolin: C'est ce qui est ressorti des conversations avec vos collègues fédéraux?
M. Roy: C'est cela. Au fur et à mesure qu'on a avancé.
Le sénateur Nolin: Je reviens au discours du sénateur Moore, parce que je n'avais pas pris connaissance de vos affidavits.
[Traduction]
La présidente: Sénateur, le sénateur Moore sera ici pour poser ses propres questions bientôt, si je ne m'abuse. Vous avez pu poser vos deux questions. Vous aurez l'occasion d'en poser d'autres au prochain tour.
Le sénateur Gigantès: Un rappel au Règlement, monsieur le président. Nous n'avons pas le droit d'apporter nos propres équipements électroniques à la Chambre. Est-ce que cela veut dire qu'on ne peut pas les apporter à des réunions du comité? Ai-je le droit de venir avec quelques ordinateurs?
Le sénateur Nolin: J'ai l'impression que cette question est dirigée vers moi.
La présidente: J'ai une interprétation du Règlement du Sénat pour vous, monsieur Gigantès. Pour ce qui est de l'ordinateur du sénateur Nolin, on a informé le sénateur Nolin qu'il peut l'utiliser au comité s'il ne fait absolument aucun bruit.
Le sénateur Nolin: Non seulement en comité. J'ai même le droit d'utiliser mon ordinateur à la Chambre, s'il ne fait pas de bruit. Avez-vous entendu le silence?
Le sénateur Cools: Il faut faire attention -- le silence n'est pas toujours parfait. Voici ce qu'a dit le tribunal: le silence du Parlement est un défaut constitutionnel.
La présidente: Nos témoins suivants sont M. Scott Newark, agent exécutif de l'Association canadienne des policiers, M. Brian Ford, président de l'Association canadienne des chefs de police, et M. Vince Westwick, conseiller juridique de l'Association canadienne des chefs de police.
Nos témoins nous ont donné des copies de leur mémoire, mais en anglais seulement. Elles sont sur la table à l'intérieur.
M. Scott Newark, agent exécutif, Association canadienne des policiers: Madame la présidente, nous avons envoyé le mémoire à votre comité il y a deux semaines, dans les deux langues officielles. Donc si vous n'en avez pas une copie, nous en avons en français et en anglais.
[Français]
M. Brian Ford, président, Comité de modifications aux lois, chef, Service de police Ottawa-Carleton, Association canadienne des chefs de polices: Madame la présidente, nous vous prions de nous excuser, mais nous n'avons pas eu le temps de traduire la présentation pour le comité du Sénat. Nous avions une présentation pour le comité de la Chambre des communes dans les deux langues officielles. Je vais la remettre au greffier afin qu'elle puisse en faire des photocopies.
[Traduction]
De plus, je ne suis pas le président de l'Association canadienne des chefs de police, mais le président du Comité de modifications aux lois. Je suis le chef du Service de police d'Ottawa-Carleton.
La présidente: Vous avez la parole si vous voulez commencer votre exposé.
M. Ford: Je ne prendrai pas beaucoup de temps. Notre message est très simple. Nous estimons que le projet de loi C-16 devrait être adopté, avant le 19 décembre. Du point de vue de l'exercice de nos fonctions policières, nous considérons cela très important.
Le 22 mai, la Cour suprême a publié la décision Feeney. La cause concernait l'homicide brutal de Frank Boyle, un habitant de la Colombie-Britannique âgé de 85 ans. Peu après l'homicide, l'accusé, Michael Feeney, a été arrêté dans sa caravane alors qu'il portait toujours un T-shirt éclaboussé de sang. Dans une décision controversée, feu M. le juge John Sopinka, a jugé, au nom de la majorité de la cour, que l'arrestation de l'accusé chez lui était anticonstitutionnelle, et a donc annulé la condamnation et a ordonné un nouveau procès. Le jugement modifiait de façon dramatique le droit concernant l'arrestation des accusés chez eux. De plus, il exigeait la mise en place de nouvelles pratiques et procédures de la part de la police.
À l'heure actuelle, il n'y a rien dans le Code criminel du Canada ni dans la common law qui s'applique à une situation comme celle de l'affaire Feeney. Le projet de loi C-16 prévoit les nouvelles pratiques et procédures que la police doit suivre, et nous préconisons l'adoption du projet de loi.
Je veux que vous sachiez exactement ce que nous pensons. L'Association canadienne des chefs de police et les policiers dans tout le Canada étaient très mécontents du jugement Feeney, qui a eu une incidence énorme sur notre façon de travailler. Je vous dis carrément qu'il s'agissait probablement d'une des pires décisions du point de vue de la police. Elle sait qu'un mandat est nécessaire afin d'arrêter quelqu'un qui fait déjà l'objet d'un mandat si la personne est dans une habitation. Autrement dit, si j'ai un mandat d'arrestation qui vise quelqu'un qui est accusé de meurtre, je dois me procurer un autre mandat afin d'entrer dans la maison et arrêter la personne qui fait déjà l'objet d'un mandat d'arrestation. Cette exigence ne fait pas partie du droit, et il faut maintenant prévoir de nouvelles dispositions dans le Code à cause de cette décision.
Nous nous demandons parfois si les tribunaux comprennent vraiment les problèmes auxquels font face les policiers et les situations qu'ils vivent de façon quotidienne. Les policiers comprennent et respectent la Charte canadienne des droits et libertés. Nous savons qu'elle est primordiale pour ce qui est de la garantie des droits de la personne. Cependant, nous vivons dans un monde difficile et complexe, et il incombe à la police d'appliquer la loi, souvent dans des conditions difficiles.
Nous croyons que le projet de loi C-16 nous donne les outils nécessaires pour faire notre travail de façon efficace, même si cette mesure nous impose de nouvelles responsabilités administratives. Elle rend plus difficile le travail des policiers et leur impose un fardeau bureaucratique supplémentaire.
Dans le mémoire que nous avons présenté à vos collègues de la Chambre des communes au début de novembre, nous avons dit qu'un jour le droit criminel sera tellement complexe qu'il sera nécessaire de recourir à la clause dérogatoire -- que nous avons demandée -- pour corriger certains des problèmes graves du système de justice pénale. Ce n'est peut-être pas le bon moment, mais nous nous devons de rappeler aux législateurs les situations quotidiennes auxquelles font face les policiers.
L'Association canadienne des chefs de police appuie le projet de loi C-16, même si ce n'est qu'un tout premier pas.
Nous ne sommes pas heureux de l'adoption par le Parlement d'un projet de loi comme le C-16. Il découle certainement de la décision Feeney, mais, néanmoins, nous en avons besoin pour faire notre travail selon la loi.
M. Newark: Honorables sénateurs, l'Association canadienne des policiers a déjà comparu devant ce comité sénatorial et d'autres comités au fil des ans. Je pense ne pas me tromper en disant que c'est la première fois que nous nous présentons devant un comité pour dire: «De grâce, adoptez ce projet de loi». Ce n'est pas parce qu'on trouve qu'il s'agit d'un projet de loi formidable, mais plutôt parce que le délai imposé de façon artificielle comporte des conséquences pour les policiers. Ce serait un chaos horrible si jamais les modifications que prévoit le projet de loi n'étaient pas en vigueur avant la date fixée de façon arbitraire par la Cour suprême.
Je tiens à faire une remarque au sujet de la procédure. Une employée de mon bureau qui s'est entretenue avec votre greffier pour fixer les dates a pris note d'une situation et m'en a fait part. C'est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup en tant que témoins.
Ce qui nous inquiète c'est qu'on nous a dit sur quoi notre témoignage devant votre comité devait porter ou, plus exactement, sur quoi il ne devrait pas porter. Je suis au courant de certains des débats qui ont eu lieu au Sénat avant l'arrivée du projet de loi. Cependant, sauf votre respect, dans mon domaine -- et j'ai été procureur de la Couronne pendant 12 ans avant d'assumer mon poste au sein de l'Association canadienne des policiers --, on désapprouve toute tentative de dire à un témoin quels faits il doit donner.
De façon générale, il n'est pas recommandé de donner des instructions de ce genre aux témoins. Si nos observations n'étaient pas pertinentes, je suis sûr que la présidente nous le dirait. Si nos observations étaient illogiques, je suis sûr que vous ne nous réinviteriez pas à comparaître devant le comité. Toujours est-il qu'on nous a dit d'avance qu'il ne faudrait pas parler des conséquences qui découlent du fait que c'est maintenant les tribunaux qui font la loi, plutôt que le Parlement, à qui incombe ce rôle traditionnellement. Je vous dis en toute franchise que je ne peux pas faire mon travail au nom de mes membres dans tout le pays et que je ne peux pas le faire non plus pour vous si l'on m'empêche d'une façon ou d'une autre de parler de la vérité.
La vérité c'est que l'arrêt Feeney et le projet de loi sur lequel le ministère a tant travaillé -- et on nous a beaucoup consultés -- constituent une réaction au fait que de plus en plus les lois sont faites ailleurs qu'au Parlement.
Ce matin vous avez entendu M. Roy qui parlait de l'importance du préambule. Si nous avons eu des problèmes pour ce qui est de l'arrêt Feeney, c'est que la Cour suprême, sans avertir la Couronne, a décidé de changer les règles du jeu en plein milieu du match. Elle a dû trouver un juste équilibre entre les intérêts fort légitimes de la vie privée et l'intérêt public que représente l'arrestation de quelqu'un qui fait l'objet d'un mandat. Ce sont des intérêts légitimes; il s'agit de trouver un juste équilibre. Étant donné que par le passé la Cour suprême n'a pas eu à tenir compte de la Charte des droits, historiquement le Parlement n'a pas adopté des lois comportant de longs préambules, dans lesquels les élus expliquent pourquoi ils ont adopté la loi.
Lorsqu'on demande à un tribunal de décider si oui ou non un article est conforme à la Constitution, il doit peser les différents intérêts en jeu. Dans l'affaire Feeney, les cinq juges ont décidé ce qu'il fallait faire sans tenir compte de l'avis du Parlement.
C'est la raison pour laquelle les préambules ont une importance critique dans les lois. On peut trouver des exemples qui remontent à il y a trois ou quatre ans où le Parlement a eu recours à des préambules de cette nature. Lorsque la Cour suprême décide de la validité constitutionnelle d'une loi -- et c'est le cas de toutes les lois de nos jours -- il y a là au moins un avis du Parlement quant aux intérêts qui sont en jeu.
Le sénateur Cools: Madame la présidente, je demande une précision, car, à mon avis, personne ici ne dirait aux témoins ce qu'il faut dire.
Qui vous a dit ce que vous deviez dire?
M. Newark: Quelqu'un de notre bureau a été informé lors des conversations avec le bureau du greffier qu'il fallait faire des observations au sujet du contenu du projet de loi, et non pas au sujet des questions plus générales concernant le différend qui existe entre le Parlement et les tribunaux concernant l'autorité législative ou les amendements motivés.
Le sénateur Cools: Ce n'est pas correct, madame la présidente. Je suis sûre que personne ne dirait à un témoin ce qu'il faut dire.
La présidente: Le comité directeur a décidé que le greffier devait dire aux témoins que le comité n'examinait que le projet de loi C-16. Nous ne sommes pas habilités à examiner autre chose que le projet de loi C-16. Nous ne sommes pas habilités à examiner les rapports qui existent entre le Parlement et la Cour suprême. Nous ne sommes pas habilités à examiner les amendements motivés dont le sénateur Cools a parlé. Nous examinons le projet de loi C-16, un point c'est tout.
M. Newark: Je comprends cela.
Le sénateur Cools: Je n'ai jamais entendu qu'on puisse donner des consignes à un greffier de comité afin d'influencer les propos d'un témoin. Peut-être que c'est la procédure normale de ce comité, mais si c'est le cas il nous faut absolument l'examiner. C'est la première fois que j'entends que le comité directeur donne des consignes au greffier sur les propos éventuels des témoins.
Madame la présidente, si je ne peux soulever la question ici je la soulèverai à la salle du Sénat. C'est inadmissible. Madame la présidente, je crois que vous nous avez demandé de nous en tenir au projet de loi lui-même, mais de toute évidence ce n'est pas ce qu'on a dit à M. Newark. Il faut faire très attention. Cependant, je sais pertinemment que dès que le comité est saisi du projet de loi C-16 ou de tout autre projet de loi, nous avons le droit de nous pencher sur toute question pertinente.
Le sénateur Gigantès: Si je comprends bien, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour suprême peut décider si une pratique judiciaire est conforme à la Constitution. Elle a le droit et le devoir de le faire. C'est ce qu'elle a fait. Ce n'est pas le seul cas de ce genre.
M. Newark: C'est exact.
Le sénateur Gigantès: Elle a statué, par exemple, que les lois du Manitoba qui n'avaient pas été traduites en français étaient inconstitutionnelles. Elle a fixé une date donnant le temps aux autorités de remédier à la situation. C'est exactement ce qui s'est produit ici. Elle a déclaré qu'une certaine pratique -- et je comprends votre point de vue -- était, de l'avis de la majorité de la cour, inconstitutionnelle, et elle a donné aux législateurs le temps de corriger cet état de choses. Ces derniers avaient le choix, soit de ne rien faire ou d'y remédier. La cour n'a pas dit aux législateurs ce qu'ils devraient faire.
Compte tenu des échéanciers -- et il y en a -- que nous devons respecter, un comité saisi d'un projet de loi ou de tout autre sujet a le droit de préciser qu'il veut que les témoins limitent leurs remarques au projet de loi même, et qu'ils ne parlent pas de la nécessité d'une charte de droits ou de la façon dont les juges de la Cour suprême s'acquittaient mieux de leurs responsabilités au Moyen-âge, c'est-à-dire avant l'adoption de la Charte en 1982. C'est tout ce qu'on vous a dit.
M. Newark: Non, ce n'est pas exact. Je conclus de vos remarques, monsieur le sénateur, que vous n'avez pas lu le mémoire que nous avons soumis.
Le sénateur Gigantès: Je n'ai pas lu votre mémoire. Je parlais de vos commentaires qui m'ont choqué.
M. Newark: Je dois vous dire, sénateur, que j'ai trouvé choquant qu'un greffier d'un comité parlementaire nous indique que le projet de modification que nous avons proposé pourrait avoir des conséquences constitutionnelles pour les tribunaux quand il s'agit d'exclure des éléments de preuve. Sauf votre respect, je dois dire qu'un système qui catalogue ainsi les témoignages ne représente pas une très bonne façon d'approfondir la question. Vous aviez tout à fait raison, sénateur, de parler de l'échéancier. Je dois signaler à ce sujet qu'on nous donne seulement encore 14 minutes pour étudier un projet de loi qui, je vous l'assure, aura des conséquences graves pour les forces policières et les citoyens de notre pays. C'est quelque chose sur laquelle je n'ai aucun contrôle. À vrai dire, je crois que personne d'entre nous n'exerce un contrôle sur cela. Je crois au moins que quelqu'un devrait le signaler.
La présidente: Monsieur Newark, vous l'avez signalé. Je vous ai déjà expliqué que nous avions convenu que le greffier informe les témoins que le mandat du comité est d'étudier le projet de loi C-16 tel qu'adopté en deuxième lecture, et non pas de se pencher sur la question plus large du rôle du Parlement par rapport à la Cour suprême. Nous perdons du temps, et je vous demanderais de commencer votre exposé.
M. Newark: Je suis d'accord. J'ai pensé que c'était quelque chose à dire.
Vous vous souviendrez que j'ai commencé mes observations en disant: «De grâce, adoptez ce projet de loi».
Nous avons participé à des discussions avec le ministère comme nous ne l'avions jamais fait jusqu'ici au sujet de ce qui était nécessaire. Je conviens certainement avec le chef Ford que le projet de loi lui-même n'est pas parfait. Toutefois, à notre avis, il est extrêmement préférable à la décision de la Cour suprême du Canada. En tant que tel, c'est quelque chose qui nécessite votre attention de façon urgente.
Si le projet de loi n'est pas adopté, le résultat sera le chaos du point de vue de la répression criminelle. Et ne croyez pas que j'exagère.
Bien que cela ne soit pas directement lié aux amendements, les deux choses que j'aimerais vous dire et que vous devriez peut-être examiner portent sur un élément essentiel, à savoir les télémandats. M. Roy en a parlé ce matin. À l'origine, nous avions dit qu'il serait préférable de pouvoir inclure dans une loi les autorisations à entrer dans des habitations en cas d'actes criminels lorsque l'on émettait des mandats. Ce serait d'abord lorsqu'une accusation est portée ou lorsque quelqu'un omet de comparaître. On reconnaît qu'au Canada, dans les années 90, la majorité des gens vivent dans des habitations. Il devrait y avoir une autorisation par le tribunal de se conformer à ce qui était jugé nécessaire dans la cause Feeney, à savoir à l'existence d'une autorisation d'entrer dans le domicile. Le ministère et le ministre n'ont pas accepté cette recommandation et ont choisi ce qui est en fait ce système de télémandat.
Comprenez que ce qui est important, là-dedans, c'est que lorsque la police téléphone à quelqu'un à deux heures du matin pour essayer d'obtenir l'autorisation d'entrer dans un domicile, il faut qu'il y ait quelqu'un à l'autre bout du fil, sinon cela ne marche pas. Or, dans la situation actuelle au Canada, pour ce qui est des ressources disponibles, financières et humaines, nous ne pouvons le faire.
Lorsque nous avons posé la question, le ministre a répondu que parce qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle pratique du gouvernement fédéral, il n'était pas nécessaire d'engager d'autres fonds fédéraux. Je sais qu'il en a été discuté la semaine dernière à la réunion des ministres provinciaux. S'il n'y a personne pour répondre au téléphone, ce système ne pourra pas marcher. Très franchement, le résultat sera encore une menace tout à fait injustifiée pour la sécurité publique. Ce n'est pas quelque chose qui peut être réglé par voie législative.
Toutefois, lorsque le comité des Communes a eu terminé d'examiner ce projet de loi, il a adopté -- vous êtes certainement au courant--un deuxième rapport portant sur les questions soulevées par l'affaire Feeney. Ce rapport portait sur un sujet soulevé ce matin. Comment la Cour suprême avait-elle pu rendre cette décision sans avis à la Couronne? Nous avons soulevé la question auprès du comité de la Chambre des communes.
Nous vous invitons instamment à considérer l'importance du fardeau administratif que représente ce système de télémandat. Je répète que si cela n'est pas possible, le régime prévu dans le projet de loi C-16 ne marchera pas.
Nous vous invitons instamment à adopter le projet de loi.
Le sénateur Nolin: J'ai une observation à faire. Nous devons aller à la salle du Sénat. Toutefois, nous allons revenir. Sentez-vous bien libres de faire toutes les observations et de présenter toutes les recommandations que vous voudrez. Nous prendrons toute la semaine, si nécessaire, mais nous parviendrons à une décision.
Le sénateur Gigantès: Je dois dire que le temps est très limité. Toutefois, les questions que vous voulez soulever en tant que citoyens sont des questions que vous pouvez nous demander de soulever à une autre occasion ou d'étudier en vue même d'un rapport. Le Sénat est là pour cela. À l'heure actuelle, nous avons tout de même cette contrainte du 19 décembre.
M. Newark: Ayant considéré également ces questions dans le contexte de ces contraintes de temps, sénateur, notre association qui représente des agents de police de première ligne a jugé qu'il est évident que le plus important était que ce projet de loi soit adopté.
Le sénateur Gigantès: C'est la raison pour laquelle nous voulions que vous vous en teniez au sujet qui vous intéresse plutôt que de discuter de l'autre question, très importante aussi, de la relation entre le Parlement et les tribunaux.
Le sénateur Nolin: Vous avez parlé de risques de conséquences graves. Je pense qu'il serait bon que l'on explique à des gens comme nous qui ne sont pas des agents de police comment se présentait la situation avant Feeney et comment vont les choses maintenant et comment cela a été entre les deux. Quels outils ou quels problèmes allez-vous avoir après l'adoption du projet de loi C-16?
M. Newark: La loi pour ce qui est des arrestations avec ou sans mandat combinait les éléments du Code criminel et de la common law.
Au début des années 90, la Cour suprême avait même attiré l'attention du monde sur le fait qu'il n'y avait pas d'autorisation législative spécifique concernant les arrestations sans mandat à domicile. Aucune loi n'avait été adoptée pour faire face à cette situation précise et, de ce fait, lorsque l'affaire Feeney a été entendue par la Cour suprême du Canada, c'était la situation. Le Parlement n'avait pas donné de directives législatives concernant une telle situation de fait.
Il est peut-être plus utile de considérer la fonction législative de la Cour suprême, si je peux m'exprimer ainsi, dans ce contexte. Il existait un vide législatif et la cour a en fait déclaré: «Voilà ce qui à notre avis devrait être». Une de nos recommandations est de ne pas laisser de tels vides législatifs lorsque l'intention du Parlement est en fait claire. Vous devez préciser cette intention et ensuite adopter un texte législatif parce qu'il est préférable que cela se fasse ici que plus loin.
Le vrai problème est un problème d'efficacité et de sécurité publique parce que les termes mal définis dans la décision Feeney créent des circonstances où les agents de police risquent de ne pas vouloir faire ce qu'ils ont toujours fait, à savoir entrer et arrêter des gens, non pas au hasard mais en se fondant sur des motifs spécifiés dans le Code criminel, sans obtenir d'autorisation supplémentaire de la part des juges. La raison n'était pas que l'on ne voulait pas parler aux juges, aux juges de paix, mais que cela retardait obligatoirement les choses et pouvait compromettre la sécurité des gens à l'intérieur du domicile et les éléments de preuve.
Dans la décision Feeney, il y a certaines observations sur le fait que les agents de police devaient donner avis avant d'entrer. Un des éléments les plus positifs du projet de loi est qu'il est beaucoup plus pratique et reflète une bien meilleure analyse de ce qui est nécessaire. Littéralement, du moins d'après nous, la décision de la majorité rédigée par le juge Sopinka aurait mis en danger les agents de police et le grand public si elle avait été appliquée à la lettre. L'essentiel c'est que l'on reconnaît qu'il y aura maintenant une autorisation supplémentaire nécessaire de la part des juges lorsque l'on envisage une arrestation dans un domicile. On peut l'obtenir tout de suite lorsque l'on fait la demande d'un mandat d'arrestation et le résultat pratique sera que les agents de police vont modifier la façon dont ils inscrivent les informations au dossier. Il faudra une petite note distincte pour les domiciles liés au suspect. Quand vous avez demandé ce mandat au début, vous pouvez présenter une liste de résidences, par exemple, mais vous devez savoir ce qu'elles sont. Si quelqu'un ne comparaît pas, vous avez la liste de ces différents domiciles. Ce n'est pas quelque chose que l'on fait normalement aujourd'hui et si nous voulons utiliser au maximum la décision Feeney, il nous faudra le faire.
Le sénateur Nolin: Êtes-vous en train de nous dire que vous pouvez indiquer dans le même formulaire plusieurs domiciles?
M. Newark: Oui, et c'est également le point de vue du ministre. Je puis vous dire que c'est ce qui est ressorti des conversations que j'ai eues avec elle et de ses témoignages devant la Chambre.
Le sénateur Nolin: C'est une des questions qui a été soulevée à la Chambre des communes. Nous entendrons le ministère à ce sujet.
M. Newark: En fait, nous avons demandé si certains députés pourraient poser la question au ministre.
La meilleure façon dont je puis résumer la chose, comme l'a dit le chef Ford, c'est que cela rajoute encore à la paperasserie nécessaire. Nous nous inquiétons beaucoup car nous constatons qu'il arrive souvent que les tribunaux ou le Parlement adoptent des dispositions sans prévoir les ressources nécessaires pour les mettre en oeuvre et en laissant ainsi à l'administration de la police le soin de trouver de telles ressources. Le projet de loi C-16 est mieux que ce qui est ressorti de l'affaire Feeney et c'est la raison pour laquelle nous vous demandons de l'adopter.
La présidente: Monsieur Newark et monsieur Ford, que pensez-vous qu'il se passerait si nous n'adoptions pas ce projet de loi à temps?
M. Ford: Très franchement, nos agents de police ne sauraient pas quoi faire ni comment agir dans certains cas. Dans la situation actuelle, si ce projet de loi n'est pas adopté, que devons-nous faire lorsque nous allons arrêter quelqu'un? Il n'y a aucune disposition législative que nous puissions suivre. À moins que la Cour suprême prolonge à nouveau le délai, ce sera le chaos. Les procureurs de la Couronne ne sauront pas quoi faire. L'autre côté de la médaille est qu'un certain nombre de causes, des causes très graves et notamment des affaires de meurtre, pourraient être menacées parce que nous n'avons pas de procédure judiciaire à suivre. Il est extrêmement important que nous en ayons une si la Cour suprême ne prolonge pas ce délai.
M. Newark: La Cour suprême du Canada a dit aux agents de police de suivre une procédure judiciaire qui n'existait pas. C'est la meilleure façon dont je peux résumer la situation. Elle a ensuite dit que cela devait être limité dans le temps. Après, elle a déclaré: «Nous allons donner au Parlement un délai pour mettre en place une telle procédure; s'il le fait, l'effet sera rétroactif à la date de la décision de la cour». C'est aussi grave que cela.
Le sénateur Gigantès: La cour n'avait pas le choix.
M. Newark: Je me ferais un plaisir de débattre de cela avec vous à un autre moment.
Le sénateur Gigantès: Une fois qu'elle a jugé que ce qui se passait était anticonstitutionnel, elle n'avait pas le choix, elle devait s'en remettre à nous pour que nous réglions le problème d'une manière quelconque, sinon nous devions accepter le chaos. C'est à nous de le faire mais nous devons le faire avant une certaine date. Elle nous a accordé deux prolongations.
M. Newark: Il aurait été apprécié qu'elle demande l'avis des gens directement touchés avant de décider de faire ce qu'elle a fait et c'est une des choses qui se trouve dans le mémoire du comité. Nous avons suggéré des modifications à la Loi sur la Cour suprême qui auraient rendu impossible ce genre d'embuscade. Cela n'a pas été accepté par le comité.
M. Vince Westwick, conseiller juridique, Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police: S'il arrivait que le projet de loi ne soit pas adopté et que la prolongation ne soit pas renouvelée, les agents de police seraient critiqués quoi qu'ils fassent. S'ils suivent une situation similaire à Feeney, la Cour suprême a déjà dit très clairement que c'était anticonstitutionnel. Si, par exemple, un agent de police, prudent et précautionneux, a dû demander à un juge une sorte de mandat, ce serait vraisemblablement utilisé comme élément de preuve contre la poursuite dans le procès, que le juge ait ou non été disposé à émettre un mandat alors que la loi était vague à ce sujet. Ce serait donc une situation assez gênante parce que personne dans le système, ni les agents de police, ni les juges, ni les procureurs, ni les juges émettant les mandats ou les juges de première instance ne sauraient précisément quels sont les motifs.
S'il y a incertitude lors d'un procès criminel, il y a un acquittement. Ce n'est certainement pas dans l'intérêt public. Donc, ce n'est pas juste quelque chose qui dérange un peu et qui cause des problèmes pour les policiers; il y a aussi l'intérêt public qui est un aspect très sérieux.
Le sénateur Moore: Monsieur Newark, avez-vous un exemplaire du rapport du comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes?
M. Newark: Oui.
Le sénateur Moore: Avez-vous pris connaissance de la recommandation à la fin du rapport, c'est-à-dire la section qui est en caractères gras?
M. Newark: Oui.
Le sénateur Moore: Est-ce que c'est à cela que vous faisiez référence en parlant d'une sorte de mécanisme pour assurer que rien ne passe entre les mailles du filet dans l'avenir?
M. Newark: Dans le mémoire, à la page 14, en guise de modification à la Loi sur la Cour suprême -- nous l'avons rédigée lors de nos discussions avec le ministère de la Justice relatives au projet de loi. Cette section aurait été la dernière à modifier la Loi sur la Cour suprême. C'est un début et c'est la même chose. Nous sommes allés un peu plus loin, en fournissant des précisions.
Le sénateur Moore: C'est peut-être une recommandation que nous pourrons faire en plus de ce que nous acceptons de faire ici.
La présidente: Une recommandation qui porte sur la même chose que la Chambre des communes...
Le sénateur Moore: Oui, ce serait peut-être utile.
La présidente: Nous devrions peut-être examiner la question.
Le sénateur Gigantès: Nous pouvons réparer les choses. Vous vous en rappellerez peut-être, c'était beaucoup plus facile avant la modification du Code criminel d'invoquer l'ivresse comme le motif de défense. Je suis fier d'être l'auteur de cette modification. Tout a commencé au Sénat, donc vous pouvez comparaître devant nous pour dire que les choses ne fonctionnent pas d'une façon ou d'une autre, et nous pouvons faire quelque chose. Le projet de loi n'est pas parfait. Il peut être amélioré. C'est tout ce que nous avons réussi à faire accepter par les avocats du ministère de la Justice.
Je voulais une nouvelle infraction appelée «intoxication dangereuse». Dans ce cas, si quelqu'un dit: «J'ai battu cette salope parce que j'étais saoul», c'est l'équivalent d'un aveu de culpabilité d'intoxication dangereuse.
M. Newark: Je suis au courant de l'affaire.
Le sénateur Gigantès: Nous, au Sénat, vous écoutons et faisons des choses pour vous. Maintenant, nous devons tout simplement adopter ce projet de loi.
La présidente: Le sénateur Gigantès vous appuie fortement. Merci d'avoir comparu devant nous.
La séance est suspendue.