Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 17 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 25 février 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à la perpétration d'un acte criminel), se réunit aujourd'hui à 15 h 23 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, c'est la dernière fois que le sénateur Doyle siégera avec nous à cette table. J'aimerais dire publiquement quelques mots à son sujet.
Le sénateur Doyle: Oh là là!
La présidente: Le sénateur Doyle a servi comme bombardier et lieutenant d'aviation dans l'ARC lors de la Seconde Guerre mondiale. Presque tout le monde au Canada sait qu'il a été éditorialiste en chef du journal The Globe and Mail. Il a été nommé au Sénat par le premier ministre Brian Mulroney en mars 1985 et, deux mois plus tard, il siégeait déjà au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Sénateur Doyle, je sais qu'au cours des années, vous avez été l'un des plus assidus au Sénat et à notre comité. Je crois même savoir que vous avez annulé des rendez-vous médicaux pour ne pas vous absenter. Vous avez contribué de façon remarquable aux délibérations du comité.
Lors de la première session de la trente-troisième législature, le sénateur Doyle a participé aux délibérations sur le projet de loi C-67, Loi modifiant la Loi sur la libération conditionnelle et la Loi sur les pénitenciers; à trois projets de loi portant sur la Loi sur le divorce et ses dispositions accessoires; à un projet de loi concernant l'équité en matière d'emploi; et à une loi visant à modifier la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales. Lors de la deuxième session, vous avez examiné le projet de loi C-15, Loi modifiant le Code criminel (infractions d'ordre sexuel contre des enfants); le projet de loi C-82, Loi concernant l'inscription des lobbyistes. Au cours de la trente-quatrième législature, soit à la première et à la deuxième sessions, vous avez participé activement aux délibérations sur le projet de loi C-36, Loi concernant le système correctionnel et la libération sous condition; au projet de loi S-14, Loi concernant une loi interdisant le mariage entre personnes apparentées; le projet de loi C-47, Loi modifiant la Loi électorale du Canada. La liste s'allonge jusqu'à la trente-quatrième législature, la trente-cinquième et aujourd'hui à la deuxième session de la trente-sixième législature.
Sénateur Doyle, je siège depuis deux ans au comité, et j'ai appris à respecter et à écouter ce que vous dites. Vous allez nous manquer énormément.
Des voix: Bravo! Bravo!
La présidente: Nous accueillons aujourd'hui des représentants de l'Association du Barreau canadien.
Vous avez la parole.
Le sénateur Cogger: Madame la présidente, avant de commencer, je crois que la plupart des membres du comité ont reçu une lettre de M. Wappel, et une lettre du sénateur Gigantès.
Le sénateur Beaudoin: C'est exact.
Le sénateur Cogger: Je ne sais pas ce que le comité a l'intention de faire. En ce qui me concerne, le sénateur Gigantès est membre du comité.
La présidente: J'ai reçu un double de cette lettre, et le sénateur Gigantès en a expliqué la nature au Sénat. En ce qui me concerne, le comité accepte les sénateurs désignés pour en faire partie.
Le sénateur Cogger: Reste à régler le problème mineur, à savoir si le comité souhaite informer en bonne et due forme M. Wappel que nous avons pris note de sa lettre mais que nous voulons continuer comme avant?
La présidente: Je le ferai si on me le demande, mais je ne crois pas que ce soit nécessaire.
Le sénateur Cogger: Je propose que la présidente écrive à M. Wappel pour lui indiquer que nous avons pris note de sa lettre, mais que nous décidons de maintenir les choses en l'état.
Le sénateur Beaudoin: Veut-il comparaître devant le comité?
La présidente: M. Wappel reviendra devant le comité à la fin de notre étude.
Le sénateur Beaudoin: Ne devrions-nous pas simplement accuser réception de la lettre?
Le sénateur Cogger: Non, M. Wappel veut que le sénateur Gigantès soit exclu du comité. Il dit que le sénateur Gigantès devrait se retirer de lui-même ou que nous devrions l'exclure du comité. Nous pouvons dire à M. Wappel que non, le sénateur Gigantès est membre du comité et le restera, à condition, bien sûr, qu'il le désire.
Le sénateur Moore: Je crois que vos observations sont justes. Le sénateur Gigantès a expliqué la question au Sénat. Il serait peut-être bon d'obtenir un exemplaire des Débats du Sénat, mais il a indiqué clairement, selon moi, que les observations qu'il faisait étaient des observations personnelles et qu'il ne parlait pas au nom du comité. Si quelqu'un pensait que tel était le cas, il s'est excusé de cette erreur commise par mégarde.
La présidente: C'est juste. J'ai devant moi la transcription de ses propos au sein du comité.
Je tiens à signaler aux sénateurs que notre comité n'a aucun pouvoir quant à la sélection des membres qui en font partie. Cette décision est prise à d'autres niveaux.
Le sénateur Gigantès a dit devant le comité qu'il avait fait état dans une lettre de ce que le projet de loi que nous étudions était mal rédigé et que M. Wappel s'était plaint que ce n'était pas l'affaire du sénateur Gigantès de dire cela avant que le comité en arrive à une conclusion. Le sénateur Gigantès a reconnu que M. Wappel avait peut-être raison, mais il s'est excusé auprès du comité d'avoir utilisé des termes qui avaient pu donner l'impression qu'il parlait au nom du comité. C'était à la suite des débats du comité.
Si le comité me le demande, j'écrirai une lettre, mais je ne crois pas que ce soit nécessaire.
Le sénateur Doyle: Je trouve plutôt extraordinaire que quelqu'un s'oppose à ce qu'un membre du comité exprime une opinion. Si mes souvenirs sont bons, nous étions tous censés exprimer des opinions. Et au cours des délibérations, nos opinions peuvent changer. En fait, on peut même se persuader mutuellement de temps à autre. Je reçois parfois des lettres de gens qui me demandent de prendre telle ou telle position; je suis souvent d'accord avec ces correspondants qu'un projet de loi ne vaut rien et je réponds que je ferai mon possible pour qu'on s'en défasse; ou encore il peut m'arriver de leur dire, chose étonnante, qu'à mon avis, un projet de loi est excellent et alors de déclarer que je ne suis pas d'accord avec l'auteur de la lettre. Cependant, cela n'a rien à voir avec l'opinion du comité.
La présidente: Exactement.
Le sénateur Doyle: Sûrement, si nous avons l'occasion de dire, ne serait-ce qu'à une personne de l'autre endroit, comme M. Wappel, que ce qui s'est passé ne concernait que le sénateur Gigantès, nous pouvons le dire. Nous avons tous nos opinions.
La présidente: Cela ne veut pas dire pour autant que nous soyons arrêtés dans nos opinions.
Le sénateur Doyle: Non, jamais!
La présidente: Madame Thomson, vous avez la parole.
Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: L'Association du Barreau canadien est heureuse d'avoir l'occasion de vous entretenir aujourd'hui du projet de loi C-220. Notre association est une association nationale qui représente plus de 35 000 juristes de tout le Canada, dont des avocats, des notaires, des professeurs et des étudiants de droit. Entre autres grands objectifs de l'Association, mentionnons l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce contexte que nous comparaissons devant votre comité aujourd'hui pour vous présenter nos observations sur ce projet de loi.
Avant d'aborder le fond même de notre exposé, j'aimerais prendre quelques instants pour vous parler du document que vous avez sous les yeux.
Nous avons préparé deux mémoires. Le premier a été rédigé par la section de la justice pénale en collaboration avec celle du droit des médias et des communications de l'Association du Barreau canadien. Ce mémoire porte sur des questions d'orientation et sur les aspects techniques du projet de loi. C'est de ce mémoire que nous vous entretiendrons aujourd'hui. L'autre a été préparé par le comité mixte sur la législation du droit d'auteur, qui est un comité mixte de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des brevets et marques de commerce. Ce mémoire-là porte uniquement sur les questions techniques du projet de loi.
Les membres du comité mixte sur le droit d'auteur estiment que les questions abordées dans ce mémoire ont été convenablement et admirablement examinées par les témoins du ministère de la Justice qui ont comparu devant le comité. Ils ont donc estimé qu'il n'était pas nécessaire de faire partie de la délégation d'aujourd'hui. L'exposé d'aujourd'hui portera sur le mémoire d'orientation qui a été rédigé par la Section de justice pénale et la Section du droit des médias et des communications.
Je demanderai maintenant à M. Blanchard de présenter son exposé.
[Français]
M. Marc-André Blanchard, président, comité sur la liberté d'expression, section du droit de l'information et des télécommunications: L'Association du Barreau canadien, plus particulièrement sa section sur les médias et les communications est d'avis que le projet de loi C-220 n'est pas constitutionnel en ce qui regarde à la fois la liberté constitutionnellement garantie d'expression, c'est-à-dire l'article 2. b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il pose également des sérieux problèmes eu égard à l'article 7 de la Charte canadienne.
Nous sommes d'avis que le préjudice social que l'on veut contrecarrer n'est pas d'une importance telle qu'il justifie les mesures qui se retrouvent dans le projet de loi C-220, d'une part, et d'autre part, les moyens qui y sont pris sont tout à fait disproportionnés avec l'objectif poursuivi.
Nous sommes d'avis qu'il s'agit de la discrimination de contenu et à cet égard, ce serait une violation évidente de l'article 2. b) de la Charte canadienne. Il est utile de rappeler au comité qu'une législation aux États-Unis, connue sous le nom «The Son of Sam Law», a été déclarée inconstitutionnelle par un vote de 9 à 0 de la Cour suprême des États-Unis en 1991.
Malgré le fait que la mécanique de la Charte canadienne est différente, notamment eu égard à l'article 1 de la Charte canadienne, il est évident, selon nous, que les motifs et les moyens qui sont dévoilés dans ce projet de loi, ne rencontreraient pas le test de l'article 1 de la Charte. Il n'y a aucune proportionnalité dans la mesure des moyens que l'on prend.
Il nous apparaît important de souligner que d'autres moyens seraient probablement plus adéquats. Des recours civils probablement peuvent être préservés ou entrepris par différentes parties pour se prémunir de cette exploitation commerciale de faits qui peuvent être sordides et déplorables. Nous ne croyons pas que cela relève d'amendements au Code criminel.
Il est utile d'évoquer certains exemples pour démontrer que dans certains cas une loi telle celle qui est proposée aurait eu des effets extrêmement dommageables et néfastes. Prenons, par exemple, Donald Marshall, David Milgaard, Guy Paul Morin, Réjean Hinse au Québec. Ces gens ont tous été condamnés, et plusieurs années par la suite, après une campagne publique et quelques fois médiatique, et ils ont réussi à obtenir un acquittement parce qu'ils avaient fait l'objet d'une erreur judiciaire. Ces exemples montrent clairement les dangers d'une législation comme celle-ci. Cela voudrait dire qu'une personne comme David Milgaard, par exemple, ou Donald Marshall n'aurait pas pu écrire un livre sur son expérience. Il n'aurait pas pu profiter des royautés qui proviendraient de l'écriture d'un livre pour pouvoir payer ses avocats à même les bénéfices de cet ouvrage.
Selon nous, cela cause de sérieux problèmes à l'égard de l'article 3. b) de la Charte et de l'article 7. On retrouve une définition à l'article 1 de la loi qui concerne les membres de la famille ou l'un de ses dépendants. Encore là on impose une sanction à des personnes qui n'ont commis aucun crime et qui n'ont eu aucune adjudication de leurs droits. Ces gens se retrouvent donc avec un jugement qui leur est opposable alors qu'ils n'ont pas pu être entendus. C'est la règle peut-être la plus fondamentale de notre système de justice. À cet égard, les règles de justice naturelle, «the duty to act fairly» ne seraient pas respectées, et cela est compris à l'article 7 de la Charte canadienne. Cette disposition pose aussi de très sérieuses difficultés.
En ce qui concerne la liberté d'expression, l'article 2. b) et l'article 7 de la Charte canadienne, nous apparaissent de façon claire, évidente, manifeste que le projet de loi devant vous est manifestement inconstitutionnel.
[Traduction]
Mme Heather Perkins-McVey, trésorière, section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien: Du point de vue du droit pénal, outre les préoccupations concernant la liberté d'expression dont ont fait état mes collègues, il existe, selon nous, d'autres violations fondamentales.
Le projet de loi présente certaines difficultés relatives au paragraphe 11d) de la Charte, qui est le droit d'être présumé innocent, de même que certaines inquiétudes concernant l'article 7. La situation provient en grande partie de ce qu'on pourrait considérer comme un libellé négligé et l'absence de procédures.
En outre, nous sommes préoccupés parce que l'infraction proposée pourrait ne pas être conforme aux dispositions du Code criminel concernant les produits de la criminalité. La modification proposée à l'article 462.3 du Code criminel, dans son libellé actuel, est définie étroitement pour répondre à un certain besoin. Les dispositions actuelles du Code exigent un lien direct entre le crime perpétré et tout bien qui en résulte. Le bien, le bénéfice ou les avantages définis comme des produits de la criminalité doivent nécessairement être manifestes au moment de la perpétration du délit. C'est ainsi que les tribunaux ont interprété la loi. Il doit y avoir un lien immédiat entre les deux.
Nous estimons que le projet de loi C-220 n'est pas basé sur le même lien direct entre l'acte criminel et le bien que le sont les autres situations envisagées dans l'article 462.3 actuel.
En outre -- et mon collègue en a parlé -- nous sommes préoccupés par l'inclusion dans la loi des membres de la famille des personnes reconnues coupables d'un délit. Cette préoccupation se rattache à la violation de l'article 7. Cela impose, me semble-t-il, une responsabilité indirecte à des personnes qui ne sont pas coupables d'infractions criminelles. Cela empiète, et pas seulement de façon mineure, sur les droits de personnes qui ne sont coupables d'aucun acte criminel. Le projet de loi, dans son libellé actuel, ne prévoit pour elles aucun recours à une audition ou à une demande d'intervention pour faire connaître leurs préoccupations, pour parler de la violation de leurs droits, ou même leur donner qualité pour agir, ce qui est grave. En général, en droit pénal, un membre de la famille n'a pas le droit d'intervenir devant le tribunal au moment de l'audition de détermination de la peine; seule la personne accusée et l'avocat de la Couronne peuvent agir.
Nous estimons également que le projet de loi, dans sa version actuelle, est trop vaste et vague et qu'il renferme certaines contradictions. Si vous regardez le résumé du projet de loi, on y dit:
... la personne déclarée coupable de l'infraction ou un membre de sa famille (...) en raison de la création de l'oeuvre...
Cela vise manifestement une situation postérieure à la condamnation, mais ce que l'on dit ensuite dans le projet de loi, c'est qu'il s'applique à des oeuvres publiées après que la personne reconnue coupable a été accusée. Nous savons tous qu'une personne qui est accusée est encore présumée innocente. Cette incohérence importante doit être corrigée. Dire que le projet de loi s'applique au moment où la personne est accusée laisse sous-entendre qu'il n'est pas même nécessaire de la condamner. C'est là une ambiguïté qui, à notre avis, crée un problème d'ordre constitutionnel.
Autre problème: on dit dans le résumé «une personne reconnue coupable d'une infraction qui peut faire l'objet d'une accusation». Cependant, si on considère l'alinéa 462.3c)(i) et le projet de loi même, cela inclut des crimes pouvant faire l'objet de procédures par mise en accusation. Par définition, cela inclut des infractions mixtes et même des infractions qui peuvent faire l'objet d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Prenons par exemple une infraction comme un vol de moins de 5 000 $, un vol à l'étalage, qui est l'une des infractions les moins graves couvertes par le Code criminel. Selon cette définition, une telle infraction pourrait tomber sous la loi. Nous estimons que c'est une disposition trop vaste et inappropriée compte tenu de la violation extrême de droits qui s'ensuit.
Là encore, on fait face au problème d'équilibrer des droits concurrents et de décider si une partie de cette loi peut être sauvegardée en recourant à l'article 1.
Autre préoccupation: le projet de loi ne porte pas sur les conséquences de la publication, seulement sur la recherche d'un profit ou d'un avantage. Par conséquent, on se retrouve dans des situations comme celles de MM. Milgaard, Morin et Marshall, où les gens peuvent publier leur récit dans le but de prouver leur innocence. Ce projet de loi signifierait qu'ils ne pourraient pas non plus publier leur oeuvre, ce qui est difficilement acceptable. La société gagne à ce que ces personnes -- les trois M, comme on les appelle -- puissent publier.
Autre point à signaler: le désir de publier peut s'expliquer par de nombreux facteurs, pas toujours par le profit. En s'arrêtant uniquement à l'élément profit, on ne corrige pas le tort qui est fait à la société et qui, selon moi, est probablement ce qu'attend le public. Nous estimons que le tort peut être corrigé en recourant aux solutions civiles qui existent.
Autre préoccupation: la modification proposée au paragraphe 12.1(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Selon le libellé actuel, cette disposition s'applique aux personnes qui collaborent avec des condamnés, et empêche nécessairement des professeurs ou des auteurs de consulter la personne reconnue coupable dans la préparation de leurs travaux universitaires ou leurs analyses. Est-ce que cette loi vise vraiment à empêcher ce genre de travaux universitaires ou d'analyse?
Nous sommes également préoccupés par la proposition voulant que ce projet de loi ait des attributions extraterritoriales. Je me demande quelle loi ou quelle compétence le Canada pourrait invoquer pour saisir les profits provenant d'une oeuvre créée complètement à l'extérieur de ses frontières.
L'article 729.1 qui est proposé est aussi une autre source de grande préoccupation. Cette disposition stipule que le transfert du droit d'auteur est inclus dans la peine, mais aucune procédure n'est prévue, telle qu'une audition, pour examiner les faits ou pour entendre les parties intéressées. Au minimum, si un tel transfert doit se faire, il devrait y avoir une audition pour permettre aux parties intéressées de participer.
Lorsqu'on parle de biens, cela peut toucher des personnes qui ont des intérêts dans ces biens. Ces personnes devraient pouvoir être entendues et faire respecter leurs droits, de même que pouvoir soumettre le litige même aux tribunaux. Il faudrait accorder un droit d'agir à ces personnes. Nous estimons que l'absence de procédure donnerait lieu à une violation de l'article 7 et ne serait pas constitutionnelle.
Quant au reste de l'article 462.3 du Code criminel, la section sur les produits de la criminalité, vous noterez que la majeure partie de cette disposition concerne les règles et les procédures à suivre pour s'assurer que toutes les personnes qui ont un intérêt dans ces biens puissent être entendues. Cette disposition vise à ce que l'on tienne une audition équitable pour établir le lien de cause à effet entre l'infraction et les biens mêmes. On ne trouve pas cela dans cette loi. Pour ces raisons techniques, de même que pour les problèmes d'ordre constitutionnel, je crois que le projet de loi est très faible et ne résistera pas à l'examen ou ne devrait pas y résister.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons entendu des arguments sur la répartition des pouvoirs, et ils sont très forts. Certains ont invoqué un argument allant à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, mais si je ne m'abuse, c'est la première fois que l'on nous présente un argument basé sur l'article 7.
Vous avez raison en ce sens que si un membre de la famille est puni pour une action qui n'a rien à voir avec la Loi, la situation est certainement discutable. Je comprends que votre argument, de même que celui de M. Blanchard, est que cela va à l'encontre de la justice naturelle. Est-ce là-dessus que repose votre argument concernant l'article 7 de la Charte?
[Français]
M. Blanchard: En grande partie, sénateur Beaudoin, lorsque l'on rend une ordonnance à l'égard de certaines personnes, surtout dans le cadre d'un procès criminel, ces personnes ont, à tout le moins, le droit d'être entendues. L'article 7 prévoit toutes les règles de justice naturelle auxquelles il est inutile de faire référence spécifiquement. Il serait certainement très problématique si, par exemple, l'épouse de quelqu'un voulait écrire un livre. C'est la pire situation, la personne qui voudrait écrire un livre même critique des gestes posés -- cela n'a pas besoin d'être l'apologie des gestes posés. On pourrait s'imaginer qu'une épouse ou un époux pourrait écrire un texte ou un livre très critique à l'égard des gestes de son conjoint. Cela entrerait tout à fait dans la définition telle qu'elle se retrouve au projet de loi. On pourrait retirer les produits de cette vente sans que cette personne soit entendue, alors que même les buts sociaux, que l'on tente de préserver par la législation, seraient atteints.
Comme ma collègue vous le disait, le texte couvre un tel éventail que le bienfait que l'on voudrait retirer de la législation en l'adoptant serait contrecarré parce que cette personne pourrait décider d'écrire un livre sur les méfaits de son conjoint et donner les profits à un organisme de charité pour la défense des victimes d'agression sexuelle ou quoi que ce soit. Mais il ne pourrait pas le faire à son bon loisir. Cette législation pèche par un très grand défaut de précision.
Le sénateur Beaudoin: Je dois avouer que votre argument est convaincant, mais cela en fait, à mon avis, un de plus.
[Traduction]
Mme Perkins-McVey: Ce qui nous préoccupe aussi, c'est qu'on utilise le Code criminel et les procédures et garanties du Code criminel. L'article 729 s'applique au moment même de la détermination de la peine, pourtant on impose une pénalité à quelqu'un qui n'a joué aucun rôle dans l'affaire à moins que cette personne ait été reconnue coupable de complicité. Cela soulève un argument totalement différent. C'est une erreur très grave que de tenter d'étendre ainsi la disposition.
C'est très différent de la Loi sur l'environnement qui impose des responsabilités indirectes aux administrateurs. Même une telle extension a été sujette à examen rigoureux car elle touche la responsabilité absolue et la responsabilité inconditionnelle. Je ne crois pas que l'on puisse imposer une sanction criminelle à quelqu'un qui n'est pas impliqué dans l'infraction, à moins de lui donner toutes les garanties et tous les droits de procédure auxquels une personne a droit devant les tribunaux dans une instance pénale. Cela ne se trouve pas dans le Code criminel. Je ne crois pas qu'une autre section du Code criminel impose ce genre de responsabilité indirecte à une personne. Ce n'est pas comme une loi provinciale où on voit parfois cela se produire.
[Français]
Le sénateur Cogger: M. Blanchard, êtes-vous familier avec la loi adoptée en Ontario qui s'appelle, «Victims' Rights to Proceeds of Crime Act»?
M. Blanchard: Pas particulièrement, sénateur Cogger. Peut-être que ma collègue pourrait vous répondre.
Le sénateur Cogger: Est-ce que vous la connaissez?
[Traduction]
Mme Perkins-McVey: J'en connais le but et je sais qu'il a été rédigé.
Le sénateur Cogger: Il a été adopté.
Mme Perkins-McVey: Je connais certaines des préoccupations qui ont été soulevées.
Le sénateur Cogger: Il est en vigueur depuis 1994. C'est un peu comme le projet de loi que nous étudions, sauf que les redevances sont versées à une fiducie publique qui les utilise ensuite pour informer la population qu'elle détient l'argent, permettant ainsi aux victimes de le réclamer.
[Français]
M. Blanchard: Il y a déjà une distinction majeure: si on veut remédier au mal social puis compenser les victimes, je vous soumettrai respectueusement que l'argent ne devrait pas aller à la Couronne. Il devrait aller dans un fonds de cette nature.
[Traduction]
Le sénateur Cogger: De toute façon, vous savez qu'elle existe, mais vous ne savez pas si la disposition a été contestée soit par l'Association du Barreau canadien, soit par les tribunaux?
Mme Perkins-McVey: Non, je ne suis au courant d'aucune contestation, et je ne sais pas non plus si la disposition a déjà été utilisée. Je ne sais pas comment elle a été appliquée.
Le sénateur Cogger: On nous a dit qu'elle est en vigueur et que la fiducie a récolté depuis les cinq dernières années environ 11 $.
Mme Perkins-McVey: Mais la question plus générale n'est-elle pas de savoir pourquoi il faut agir ainsi? Considérez les recours dont disposent les victimes en faisant appliquer le Code civil. Par exemple, dans le cas d'une infraction d'ordre sexuel, la pratique commune veut que l'on intente une poursuite au civil contre l'accusé en même temps que la Couronne intente une action au pénal. Il y a des cas où les victimes sont indemnisées même si les accusés ne sont pas reconnus coupables par un tribunal pénal. Ça se fait couramment.
Dans ce cas-ci, si une poursuite au civil était intentée, on pourrait obtenir jugement et les profits tirés d'oeuvres littéraires ou d'affaires qui tombent sous le coup de cette loi pourraient être saisis et versés directement aux victimes.
On pourrait résoudre ce problème de façon simple en prolongeant les périodes de limitation afin qu'elles ne soient pas les mêmes pour les droits des plaignants d'intenter des poursuites.
Le sénateur Cogger: Un avocat nous a dit, je crois, que cette question ne relevait même pas du Parlement fédéral dans la mesure où elle porte sur les droits civils et le droit des biens prévus par la Constitution. Par conséquent, que c'était simplement une question de compétence provinciale.
[Français]
M. Blanchard: De très bons arguments sur la séparation des pouvoirs peuvent être faits à cet égard. Ce sont clairement des sanctions de nature civile, entre autres, qui sont visées par le Code criminel. Ce n'était pas le but de notre présentation, mais mon expérience en matière de jurisprudence sur la séparation des pouvoirs m'amène à conclure dans le même sens que cette personne qui vous a dit cela. Cela m'apparaît être une opinion manifestement bien fondée.
[Traduction]
Le sénateur Lewis: À la page 3 de votre mémoire, en haut de la page 4, vous parlez de l'article 690; du Code criminel, je suppose?
Mme Perkins-McVey: Oui, c'est la disposition du Code criminel qui permet à une personne de demander directement pardon au ministre de la Justice et révision de son audition. C'est une procédure qu'on utilise habituellement lorsque tous les recours d'appel ont été épuisés. David Milgaard a présenté une telle demande. Je ne crois pas que Guy Paul Morin l'ait fait. Il s'agit souvent de l'un des mécanismes utilisés pour faire réviser une affaire, plus particulièrement quand des preuves nouvelles peuvent avoir fait surface après une longue période.
Le sénateur Lewis: Ce serait dans le cas d'une révision. Mais que dire du pardon? Ce ne sont là que des hypothèses qui ne revêtent peut-être pas tellement d'intérêt pour nous, mais dans le cas d'un pardon, ça semblerait un peu étrange. Une personne peut être reconnue coupable, obtenir un jour le pardon, mais entre-temps, les oeuvres prévues dans ce projet de loi seraient réputées appartenir à la Couronne. Il n'existerait pas de disposition permettant de renverser la vapeur, je suppose?
Mme Perkins-McVey: Non. C'est là une de mes inquiétudes. J'ai noté qu'il y a un problème non seulement si quelqu'un obtient le pardon, mais si la personne a été reconnue coupable, qu'elle interjette appel, qu'on ordonne la tenue d'un nouveau procès, le premier étant cassé, que se passe-t-il alors dans la période entre le moment où un nouveau procès est ordonné et celui où un nouveau jugement est rendu? La loi ne prévoit aucun mécanisme à cet égard, comment contester, comment l'argent est-il détenu, où doit-il être gardé, qui en fait la comptabilité, comment la disposition est-elle appliquée? Il y a aussi un problème concernant l'effet rétroactif s'il y a condamnation ultérieurement.
Le sénateur Lewis: À la page 5, dans votre conclusion, vous dites que d'autres solutions sont envisagées par des organismes comme la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada.
On nous a dit que le problème que ce projet de loi est censé régler a déjà été examiné dans le passé et qu'il l'est encore. Est-ce que vous êtes au courant de cela et est-ce que c'est comme ce que vous décrivez dans votre mémoire? Est-ce qu'on a fait des progrès?
Mme Thomson: Nous savons que la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada, qui est un organisme comptant des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, a examiné la question des profits provenant du droit d'auteur sur une oeuvre concernant un crime, et que la Conférence examine actuellement une ébauche de projet de loi. Cependant, nous ne sommes pas en mesure de parler des détails précis de son projet de loi, et nous proposerions au comité de convoquer un représentant du ministère de la Justice pour en parler avec lui.
Le sénateur Lewis: Est-ce que cette étude est entreprise depuis très longtemps? Vous dites qu'il s'agit d'une ébauche de projet de loi ou d'une ébauche de rapport?
Mme Thomson: La procédure normale de la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada prend pas mal de temps. D'abord, elle étudie une question qui est mise à son ordre du jour. Ensuite, elle produit un rapport provisoire qui est étudié par chacune des instances, qui fait ses commentaires; ensuite, elle présente un rapport final et, souvent, si cela est indiqué, une ébauche de projet de loi est rédigée en dernier lieu. Ensuite, chaque instance décide d'adopter ou non l'ébauche de projet de loi, selon qu'elle le juge acceptable.
Nous croyons savoir que ce projet de loi en particulier est en route depuis un certain nombre d'années, et qu'il en est à l'étape de l'ébauche.
Le sénateur Lewis: Oui, la conférence doit consulter toutes les provinces et cela doit prendre pas mal de temps.
[Français]
Le sénateur Pépin: Tantôt il a été question de quelqu'un qui obtiendrait un pardon. Même si le contrevenant obtenait un pardon, il aurait quand même commis ce crime. Il ne pourrait pas écrire son livre ou publier quelque chose à ce sujet. Ce serait contre la loi.
M. Blanchard: Aux termes de la loi C-220, effectivement, les fruits de sa création lui seraient retirés.
[Traduction]
Le sénateur Doyle: Comment vous y prendriez-vous pour réviser cette loi afin qu'elle soit acceptable? Recommenceriez-vous à zéro?
Mme Perkins-McVey: Je peux vous parler de certains des problèmes de procédure et de rédaction que j'ai soulevés. On pourrait supprimer les termes «peut inclure» certaines infractions criminelles pour y lire «incluant seulement» les infractions criminelles d'une certaine nature. Par exemple, on pourrait dire que seules les infractions aux termes de l'article 469, où seules les infractions établies à l'article 463.3 sont incluses. On pourrait donner une définition plus succincte. Cela aiderait.
On pourrait établir certaines procédures concernant les audiences et le droit d'intervenir dans une affaire criminelle au moment de la détermination de la peine. Cela serait utile. On pourrait supprimer l'imposition de responsabilités indirectes aux familles et aux personnes à charge à propos desquelles j'ai dit que l'article 7 soulevait des préoccupations. Cela aussi serait bon. Cependant, j'estime que le problème le plus grave est alors la lacune que présente l'article 2, parce qu'il faut toujours évaluer le poids de la violation par rapport à l'article 1. Il faut se demander s'il n'y aurait pas d'autres moyens de régler cette inquiétude. Nous estimons qu'il y a d'autres façons de s'y prendre par l'intermédiaire du mécanisme des lois civiles et des recours au civil qui existent.
N'oubliez pas que le but premier du projet de loi était essentiellement d'empêcher d'abord et avant tout que ces oeuvres soient publiées. Ce n'est pas ce que fait cette mesure législative. Elle ne porte pas sur les effets, mais seulement sur les profits. Les tribunaux civils disposent de mécanismes d'injonction et d'interdiction de publication de certains renseignements qui pourraient être utilisés par des victimes et qui ne porteraient pas seulement sur l'élément profit, mais également sur la communication de l'information.
Pour toutes ces raisons, je dirais que même si on prenait la peine de s'asseoir pour reprendre soigneusement le projet de loi, que si on en enlevait les incohérences et les ambiguïtés et qu'on établissait une procédure d'audition, la violation grave en vertu de l'article 2 rendrait toujours cette loi inacceptable. C'est ce que nous pensons.
Le sénateur Doyle: D'autres témoins ont surtout insisté sur le fait que l'écriture en soi n'est pas un acte criminel et que, par conséquent, dire qu'il ne devrait pas y avoir de profits résultant d'une chose qui en soi n'est pas criminelle va à l'encontre de toute tentative de reformuler le projet de loi à cette étape-ci.
Diriez-vous que cet argument, qui nous a déjà été présenté, est trop fort et que par conséquent, il est possible de réparer le projet de loi si l'on va de l'avant et qu'on tienne compte de certaines choses dont vous avez parlé?
À votre avis, est-ce que les choses sont vraiment irréparables ou est-ce que ce serait simplement très difficile?
[Français]
M. Blanchard: Sénateur Doyle, comme ma collègue vous le disait, les problèmes spécifiques de logistique ou de rédaction de la loi sont un problème. Mais le problème plus fondamental, plus global, plus général est l'affrontement direct avec la liberté d'expression, selon l'article 2. b) de la Charte. À cet égard, quand on regarde les tests que notre Cour suprême a établis, tous et chacun d'entre eux ne les rencontrent pas. Même à cet égard, il y a des problèmes que l'on n'a pas soulevés mais qui concernent la rédaction à l'égard de la liberté d'expression. Quand on parle, par exemple à l'article 12(1) de la Loi sur les droits d'auteur, d'un sujet qui relate en substance l'interprétation de cette infraction ou des circonstances, ce sont des termes tellement vagues et imprécis, cette imprécision est bien grande pour empêcher une liberté constitutionnellement garantie. Je pense que l'affrontement avec l'article 2. b) fait en sorte que cette loi est malheureusement -- le bébé se présente tellement mal que le bébé est mort-né -- si vous me permettez l'expression.
[Traduction]
Le sénateur Doyle: Je crois que vous m'avez donné la réponse que j'attendais.
La présidente: J'aimerais poser une question à laquelle j'aimerais avoir la réponse d'un groupe éminent comme le vôtre. Croyez-vous que le public canadien soit déjà suffisamment protégé contre les problèmes prévus dans ce projet de loi grâce à notre code criminel tel qu'il est?
[Français]
M. Blanchard: En toute déférence, je ne pense pas qu'il s'agit d'un problème de droit criminel a priori. C'est plutôt un problème de droit civil. Comme ma collègue vous l'a dit, les remèdes déjà à la disposition de nos concitoyens canadiens dans toutes les provinces, que ce soit par moyens d'injonction, de saisie avant jugement ou d'autres mesures adéquates, sont tout à fait adéquats pour se prémunir. Dans l'adjudication de ces droits, les tribunaux font cette balance d'intérêt entre la liberté d'expression, le droit des victimes, la réputation et la vie privé. Il y a déjà des moyens, des recours qui sont appropriés pour nos concitoyens pour faire valoir leurs droits.
Mon expérience personnelle, je ne sais pas si c'est celle de mes autres collègues, me démontre qu'il n'y a pas de problèmes à cet égard au Canada. On n'a pas entendu parler d'une personne qui ait profité de façon outrageante ni même profité de quelque façon que ce soit, des produits de la criminalité en ayant écrit des ouvrages.
L'exemple du sénateur Cogger est tout à fait juste: en Ontario, on aurait reçu seulement 11 $ depuis quatre ans. Cela démontre que de mettre en place une législation avec une logistique, à ce stade-ci est complètement disproportionné avec un mal social anticipé. On n'est pas du tout dans une situation où on a besoin d'une législation: on a déjà d'autres moyens tout à fait efficaces dans notre arsenal juridique au point de vue provincial.
Le sénateur Pépin: On nous a dit qu'il n'y avait eu que huit livres qui ont été publiés dans toute l'histoire.
M. Blanchard: C'est fort possible. Cela ne serait pas surprenant qu'il y en ait si peu.
[Traduction]
Mme Perkins-McVey: Nous étudions tous les problèmes concernant le côté constitutionnel et le libellé du projet de loi et, pour ainsi dire, nous essayons d'insérer une cheville carrée dans un trou rond. L'une des raisons pour lesquelles il est si difficile d'insérer ce projet de loi dans le Code criminel, c'est qu'il n'y a pas sa place. Les exemples donnés concernant les recours au civil et aux tribunaux civils indiquent que c'est là que se trouve la solution. Le projet de loi est inapproprié dans ce cadre-ci.
Le sénateur Gigantès: Est-ce que la question du paragraphe 11d) de la Charte canadienne des droits et des libertés a été soulevée avant que je n'arrive?
Mme Perkins-McVey: Oui. J'ai parlé assez longuement de la présomption d'innocence.
Le sénateur Gigantès: Le projet de loi s'applique au moment où la personne est accusée.
Mme Perkins-McVey: Oui.
Le sénateur Gigantès: L'ancien ministre John Munro a été accusé et les accusations n'ont été abandonnées que dix ans plus tard lorsqu'il a été prouvé qu'elles étaient sans fondement.
Mme Perkins-McVey: La question est de savoir quel recours il aurait contre la Couronne pour avoir perdu cette possibilité. De toute façon, oui, les préoccupations concernant la violation de la présomption d'innocence sont certainement graves.
Le sénateur Gigantès: Est-ce que quelqu'un vous a lu toutes les accusations qui tomberaient sous ce projet de loi comme alerter la Reine?
Mme Perkins-McVey: Oui, j'ai parlé des infractions aux termes de l'article 469. La piraterie est également incluse.
Le sénateur Gigantès: Cela inclut le fait de retarder un train en touchant indûment aux signaux. Qu'est-ce qui est le plus grave, alerter la Reine ou retarder le train? Et si elle se trouvait dans le train?
Mme Perkins-McVey: Nous avons effectivement discuté des problèmes que posent le libellé du projet de loi et la façon dont il permet d'inclure à la fois des infractions mixtes et des infractions criminelles qui pourraient, par définition, se référer à des affaires pouvant faire l'objet d'une déclaration sommaire de culpabilité.
Le sénateur Cogger: Vous êtes ici pour représenter l'Association du Barreau canadien, 35 000 avocats de tout le pays. Essentiellement, vous nous demandez de rejeter une mesure législative. C'est ce que vous êtes en train de nous dire. Ce projet de loi a été adopté à l'unanimité par la Chambre des communes. Je ne crois pas devoir vous décrire en détail à quel point le Sénat du Canada est tenu en haute estime par les Canadiens et, je suppose, par les membres de l'Association du Barreau canadien également.
Comment concilier les deux? Êtes-vous satisfaite de la situation? Ne voyez-vous pas un problème quand nous, une Chambre non élue, refusons un projet de loi adopté à l'unanimité par la Chambre des communes?
Mme Perkins-McVey: De mon point de vue, en tant que criminaliste représentant la section du droit pénal, je crois que le Sénat serait davantage respecté s'il analysait adéquatement le projet de loi et prenait les mesures nécessaires pour assurer la protection de toutes les personnes conformément à la Charte et à un projet bien rédigé.
Mme Thomson: À vrai dire, la conclusion que nous avons présentée à votre comité aujourd'hui, nous ne l'avons pas prise à la légère. Cependant, nous remarquons qu'à la Chambre, il n'a pas été possible d'entendre beaucoup de témoins publics comme ici et que c'est la première fois que nous avons la possibilité, nous et de nombreux autres groupes, de donner notre opinion à des parlementaires.
La présidente: La première fois?
M. Blanchard: Absolument.
La présidente: Notre témoin suivant est Mme Wendy Lill, députée du NPD et critique du Patrimoine canadien.
Mme Wendy Lill, députée, critique du Nouveau Parti démocratique en matière de patrimoine: Je suis députée de la circonscription de Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Je suis consciente, d'après les propos du sénateur Cogger, que nous examinons une question plutôt inhabituelle ici. Il n'est pas courant pour vous d'entendre des députés dans le cadre de vos délibérations parce que l'on suppose que nous faisons notre travail au bout du couloir dans l'autre Chambre.
Cependant, l'une des raisons pour lesquelles je suis ici aujourd'hui, c'est pour faire part de mon inquiétude à propos de la façon dont ce projet de loi a été examiné à différentes étapes à la Chambre pour en arriver là où il en est. J'exprime également une préoccupation en tant qu'écrivaine et membre de la Writers' Union of Canada, de la Playwrights' Union et de la Nova Scotia Writers' Federation.
Soit dit en passant, l'un de vos éminents collègues, Jean-Louis Roux, jouera dans une de mes pièces ce soir à la Great Canadian Theatre Company.
Je m'excuse de ne pas avoir rédigé de document à vous soumettre, document qui aurait pu être traduit et distribué.
Tout d'abord, à l'instar de nombreux groupes qui ont comparu devant votre comité, je tiens à dire toute l'horreur que je ressens à l'idée que certaines personnes qui ont commis des crimes atroces puissent profiter des fruits de leur crime. À vrai dire, c'est peut-être cette aversion commune à l'égard de certains crimes commis au Canada et hautement médiatisés qui a facilité l'adoption rapide de ce projet de loi à la Chambre des communes. D'après mon expérience de cet endroit, certaines des questions les plus obscures peuvent être débattues dans les moindres détails et interminablement, mais cela n'a pas été le cas cette fois-ci. Ce projet de loi n'a pas été retourné sur tous les côtés et inspectés de tous les angles. On ne se l'est pas renvoyé d'un bout de la Chambre à l'autre avec l'ardeur habituelle.
L'une des raisons en est peut-être que l'auteur de ce projet de loi a évoqué les noms de Paul Bernardo, Clifford Olson, Karla Homolka, des noms qui ont été gravés au fer rouge dans l'esprit du public au cours des deux dernières années, des noms auxquels personne ne veut être associé étroitement, encore moins les défendre. Cela explique peut-être en partie l'absence d'envie de débattre de ce projet de loi à la Chambre.
Le projet de loi C-220 exige que toute personne accusée...
Le sénateur Gigantès: On dit «accusée» et non «inculpée», et c'est encore pire.
Mme Lill: Vous avez raison. Quiconque est accusé d'une infraction fédérale se verra confisquer ses droits d'auteur et les redevances d'une oeuvre portant sur ses crimes. L'interdiction s'applique également aux familles des accusés. L'auteur du projet de loi est lui-même avocat. On a peut-être supposé qu'il avait une certaine compétence pour rédiger de tels textes.
On a également supposé que ce projet de loi avait été étudié au comité de la justice lors de la dernière session. Je crois savoir que l'auteur a déposé à nouveau le projet de loi C-220 sans y ajouter les recommandations qui avaient été présentées par le comité parlementaire.
Ces recommandations visaient à retirer du projet de loi les dispositions qui empêchaient les parents d'un criminel de publier le récit du crime. L'auteur du projet de loi n'a pas tenu compte de ces modifications lorsqu'il l'a présenté à nouveau.
Le projet de loi a été présenté à nouveau au début de la session d'une nouvelle législature comptant plus de 100 nouveaux députés, y compris moi-même, qui en étaient encore à chercher les salles de toilette. J'oserais même dire que ce projet de loi a été délibérément présenté à un moment propice pour profiter du manque de maturité général et de la confusion des débuts d'une législature.
Le projet de loi a été déposé à nouveau au même stade où il se trouvait lors de la législature précédente. Fait inusité, on a utilisé le consentement unanime pour adopter un projet de loi d'initiative parlementaire. Même le député qui a apporté son aide pour présenter le projet de loi a dit depuis que sa motion avait été présentée sur l'impulsion du moment pour aider l'auteur du projet de loi à éviter les obstacles auxquels font habituellement face les projets de loi d'initiative parlementaire. Il aurait même dit qu'il n'est pas certain que le projet de loi permette de régler le problème de criminels qui profitent des fruits de leur crime en rédigeant des livres ou en en faisant des films.
Quoi qu'il en soit, le 1er octobre, un projet de loi qui modifie fondamentalement la liberté d'expression des Canadiens a reçu l'approbation des Communes en moins de cinq minutes. Ce n'est pas là l'une des heures les plus glorieuses de la Chambre. Je ne suis pas ici pour pointer quelqu'un du doigt parce que je suis certainement en partie responsable moi aussi de ce qui s'est produit.
J'espère que nous tirerons profit de cette expérience, et que l'exemple de ce cas éveillera notre attention à la nécessité d'imposer plus de garanties à un procédé pour empêcher que des projets de loi d'initiative parlementaire soient adoptés à toute vapeur comme ça été le cas. J'aimerais maintenant passer de la question de la méthode à celle du contenu.
Je sais que vous avez reçu des mémoires de nombreuses organisations artistiques, y compris le Conseil canadien des arts et la Writers' Union of Canada. Je tiens à faire écho à leurs soucis concernant la liberté d'expression du point de vue de la protection de la démocratie sociale au Canada.
Ce projet de loi met tout le monde dans le même sac. Il touchera de la même façon tous ceux qui sont accusés d'une infraction criminelle. Il traitera les faussaires sur le même pied que les tueurs en série, les agresseurs d'enfants, les renifleurs de colle qui commettent des vols par effraction, rue Main dans le nord de Winnipeg, les jeunes prostitué(e)s, les voleurs de voitures. Ainsi, cela pourrait inclure un condamné qui a purgé sa peine et qui relate son expérience afin d'aider d'autres gens qui s'engagent peut-être sur le même chemin dangereux ou des personnes qui essaient de remettre de l'ordre dans leur vie en écrivant sur leur expérience dans le but d'y trouver un sens.
L'écriture est un très bon moyen de rédemption et de réadaptation. Le projet de loi C-220 viendrait bâillonner les gens, il constituerait une mesure lourde, oppressive, qui va à l'encontre du droit des gens de ce pays de réfléchir à leurs propres expériences et d'en parler.
Je n'ai besoin de dire à personne que nos prisons sont pleines à craquer de jeunes. Un article récemment paru dans The Globe and Mail parlait du taux élevé d'incarcération au Canada, la majorité des détenus étant de très jeunes personnes et un nombre stupéfiant de jeunes autochtones et de Canadiens noirs. Ne voulons-nous pas entendre ce que ces gens ont à dire de leur vie? Ne voulons-nous pas leur permettre de s'engager dans une réflexion sur les raisons qui les ont amenés derrière les barreaux? Ne voulons-nous pas leur donner la possibilité et la liberté d'exprimer leur rage par écrit -- méthode bien plus sûre que les poings et les armes -- contre une société qui ne leur a pas donné leur dû, qui les a laissés tomber et qui à maints égards les a maltraités, eux et leurs espoirs?
Toute forme de thérapie ou de réhabilitation implique l'écriture de ses expériences. Est-ce qu'on veut simplement emprisonner ces criminels et leur faire purger leur peine? Je ne crois pas. J'irais jusqu'à dire que l'on a déjà bâillonné trop de gens. Nous ne les avons pas suffisamment écoutés et pas assez tôt. Nous risquons de baisser le volume encore plus avec un projet de loi aussi draconien que le projet de loi C-220.
J'appartiens à une organisation qui parraine l'art dans les prisons. Je lis avec étonnement la poésie ou les nouvelles de gens qui se sont retrouvés en prison. J'y entends des voix plus critiques et perceptives que certains des articles les plus clairvoyants que j'aie lus dans les journaux ou les magazines. Je ne veux pas faire taire ces gens simplement parce que nous sommes tous d'accord qu'une poignée de criminels ne devraient pas être autorisés à tirer profit de leurs atrocités.
Certains ont soutenu que l'on n'empêche personne d'écrire, que le projet de loi C-220 n'aurait un impact que sur la capacité de tirer profit de ses écrits. Je ne suis pas d'accord. Nous sommes tous des êtres privés et publics à la fois. Je sais que lorsque je parle, je le fais dans l'espoir d'être entendue. J'écris dans l'espoir d'être lue. Nous avons tous besoin d'être reconnus. Lorsque nous disons que nous voulons raconter notre histoire, nous ne voulons pas la raconter à un mur, mais bien à la société dans son ensemble. Et cela veut dire être publié. La liberté d'expression inclut l'accès à des moyens qui permettent de faire connaître ses opinions.
Susan Musgrave, présidente de la Writers' Union of Canada, a dit qu'un éditeur ne publiera un livre que si son auteur a le plein contrôle sur les droits d'auteur de ce livre. La première disposition de tout contrat entre un auteur et un éditeur traite de la propriété littéraire et artistique. Douglas Gibson, éditeur en chef chez McClelland & Stewart, a dit qu'un auteur doit pouvoir lui prouver qu'il est propriétaire de ses droits d'auteur avant qu'il n'accepte de les acheter.
En vertu de ce projet de loi, l'État sera propriétaire des droits d'auteur. Il décidera si le livre sera publié ou non. L'État contrôlera aussi le système juridique qui a peut-être fait condamner une personne innocente. Comme l'a mentionné Clayton Ruby, un avocat de la défense bien connu, si quelqu'un attaque le système juridique, pourquoi ce système permettrait-il à cette personne de publier son livre?
Si personne n'avait publié l'histoire de Donald Marshall, un jeune Micmac d'une réserve du Cap-Breton qui a été injustement trouvé coupable de meurtre, sa cause n'aurait jamais été en appel et il ne serait pas libre aujourd'hui.
J'ai lu le mémoire que M. Rudy Wiebe a déposé au nom de sept organismes et je répète son argument, à savoir que le Canada est fier de ne pas avoir de prisonniers politiques. Il est rassurant de penser qu'une personne comme Martin Luther King ne pourrait pas publier sa version d'une manifestation politique non autorisée au Canada si le projet de loi C-220 est adopté.
Je demande au comité de couler ce projet de loi avant qu'il n'aille plus loin. Les gens ont le droit de s'exprimer. C'est un élément essentiel à toute société démocratique. Pourtant, par suite d'une série d'erreurs et d'omissions et d'un travail fait à la hâte un début d'après-midi d'automne, nous voilà maintenant sur le point de tout foutre en l'air.
Le projet de loi C-220 doit être rejeté à cause des graves répercussions qu'il aura sur la liberté d'expression, le droit d'auteur et la démocratie sociale dans notre pays. Il empiète sur la liberté d'expression, non seulement des auteurs qui ont commis des actes criminels, mais sur le droit de tous les Canadiens qui veulent être actifs au sein d'une société démocratique sans se voir imposer des restrictions injustifiées sur leur droit de savoir.
Le projet de loi C-220 s'attaque inutilement aux libertés des Canadiens. Il cherche à bâillonner trop de nos concitoyens que nous devrions écouter attentivement. L'Association du Barreau canadien, entre autres, mentionne que des dispositions sont déjà prévues pour empêcher les gens de profiter des fruits de leurs crimes. Jetons un coup d'oeil à ces dispositions et utilisons-les comme point de départ. Pourquoi se doter «d'armes de destruction massive» pour aborder un problème qui pourrait être réglé d'une façon plus méticuleuse et efficace.
Je vous invite à rejeter le projet de loi C-220, mais il ne doit pas être mis de côté avant que nous ayons compris comment nous en sommes arrivés là et comment nous pouvons éviter de nous y retrouver à nouveau. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
La présidente: Je sais que cette question est hors contexte, mais puis-je savoir le titre de votre pièce qui débute ce soir?
Mme Lill: La pièce s'intitule: Glace Bay Miners' Museum et est tirée d'une nouvelle de Sheldon Currie.
Le sénateur Moore: Madame Lill, à titre d'information, vous faites partie du caucus du Nouveau Parti démocratique à la Chambre des communes?
Mme Lill: C'est exact.
Le sénateur Moore: Quelle est la position officielle du NPD en ce qui concerne le Sénat?
Mme Lill: Je crois que vous connaissez notre position officielle, sénateur Moore. Nous sommes en faveur de l'abolition du Sénat.
Le sénateur Moore: Êtes-vous d'accord avec ceux qui défendent cette position?
Mme Lill: Je serais certainement en faveur d'une révision de la constitution actuelle du Sénat.
Le sénateur Moore: Si le Sénat se prévalait de ses pouvoirs constitutionnels pour rejeter ce projet de loi comme vous le suggérez, diriez-vous que nous ferions un travail utile?
Mme Lill: Oui, je le penserais certainement.
Le sénateur Moore: J'ai entendu vos commentaires sur nos nouveaux membres et sur le peu de discussions qui ont eu lieu sur ce projet de loi. Vous avez dit que l'auteur du projet de loi n'y avait pas annexé les recommandations du comité de la justice de la Chambre des communes présentées à la dernière législature.
Que faites-vous des occasions qu'ont eues les parties intéressées de soumettre leurs opinions? N'y a-t-il pas eu des séances de comité pour donner l'occasion aux auteurs, aux avocats et à toutes les personnes intéressées de faire des commentaires, de proposer des changements ou de suggérer que le projet de loi soit rejeté?
Mme Lill: Aucune audience n'a été tenue au cours de la présente législature. Le comité de la justice a examiné ce projet de loi au cours de la dernière législature et a recommandé d'éliminer la disposition qui empêcherait les parents d'un criminel d'écrire quoi que ce soit au sujet de son crime.
Le sénateur Moore: Donc, il y a bien eu des audiences du comité de la justice au cours de la dernière législature. Des élections ont eu lieu et toutes ces audiences sont devenues de l'histoire ancienne. Lors d'une nouvelle législature, quand le projet est à nouveau déposé, de nouvelles audiences n'ont-elles pas lieu?
Mme Lill: Je sais que le 1er octobre, un simple député a présenté une motion visant à faire adopter son projet de loi avec le consentement unanime de la Chambre, ce qui est plutôt inhabituel. La faille qui a permis cette démarche existe toujours. Cela pourrait se reproduire demain. Je ne crois pas que ce genre de démarche ait l'assentiment d'aucun des partis, incluant le Parti conservateur. Cependant, ce genre d'événement pourrait se reproduire si un simple député tente de faire approuver son projet de cette façon.
Le sénateur Moore: Étiez-vous présente à la Chambre quand cela s'est produit?
Mme Lill: Non, je n'y étais pas.
Le sénateur Moore: Savez-vous combien de personnes y étaient ce jour-là?
Mme Lill: Je n'en suis pas certaine. Je sais qu'il n'y avait pas foule. Il y a des après-midi où j'ai siégé où nous avions peine à constituer un quorum. J'imagine que l'assistance devait être peu nombreuse.
Le sénateur Moore: N'y avait-il pas des représentants de tous les partis?
Mme Lill: Je crois que oui.
Le sénateur Moore: Savez-vous si les responsables des partis ont eu des discussions avant que M. White ne dépose sa motion pour faire adopter son projet de loi?
Mme Lill: Je ne le sais pas.
La présidente: Madame Lill, vous êtes probablement en train de démontrer l'utilité du Sénat. La parole est au sénateur Pépin.
[Français]
Le sénateur Pépin: Je voudrais simplement faire un commentaire. Ayant été parlementaire moi-même, je comprends très bien ce que vous avez dit: vous êtes élue une première fois, vous avez bien des choses à faire et vous voulez très bien faire votre travail. Je comprends qu'il faut jongler avec notre travail au Parlement, aux comités et avec le travail de comté. Il y a bien des choses à faire.
Je vous trouve très courageuse d'être venue nous dire que vous reconnaissiez que ce projet de loi n'a pas été suffisamment étudié par les gens qui l'on voté. Je l'apprécie et je suis d'accord que le Sénat devrait faire une réforme. Peut-être qu'à ce moment, vous pourriez étudier cette question avec nous. Au lieu d'abolir le Sénat, on pourrait peut être le réformer. J'apprécie le courage de vos convictions et que vous veniez nous rencontrer pour nous dire que vous croyez qu'il y a eu une erreur en Chambre.
[Traduction]
Le sénateur Gigantès: Est-ce que je me trompe en disant que tous les députés de la Chambre des communes savent lire?
Le sénateur Doyle: C'est un bobard.
Mme Lill: Je ne peux me prononcer pour chacun d'entre eux.
Le sénateur Gigantès: Les personnes qui ont approuvé ce projet de loi ne savent-elles pas lire et écrire? Ne pouvaient-elles pas le lire? Il n'est pas très long. Ne savaient-elles pas qu'il allait à l'encontre de la Charte? Je ne suis pas avocat. Dès que je l'ai lu, j'ai remarqué que les paragraphes 11d) et 2b) faisaient problème.
Il s'agit ici d'un projet de loi important quand on pense aux dommages qui pourraient en découler et la Chambre des communes l'a approuvé à l'unanimité. Nous avons à l'occasion peu de personnes qui siègent au Sénat, mais jamais nous n'approuverions un projet de loi comme celui-là.
Une des réalisations du Sénat a été d'inclure une disposition prévoyant un droit d'appel dans le projet de loi sur le SCRS, le projet de loi qui a divisé la GRC en deux pour ainsi former le SCRS. Un groupe de révision a été créé. Pour la première fois, un accusé pouvait se défendre des accusations portées contre lui. Auparavant, un sous-ministre pouvait tout simplement congédier quelqu'un sans avoir à expliquer son geste, sous prétexte de préserver le secret. Il pouvait donner à quelqu'un la réputation de manquer de loyauté envers son pays. J'ai été victime de ces manoeuvres. C'est un sénateur qui a mis les changements de l'avant et un autre qui les a parrainés.
Vous souvenez-vous de l'intoxication invoquée comme motif de défense? Vous souvenez-vous de ce criminel qui a battu et violé une femme et s'est défendu en disant qu'il était trop ivre et qu'il ne pouvait, de ce fait, avoir des intentions coupables, qu'il ne savait pas ce qu'il faisait? C'est nous, au Sénat, qui avons changé cela. En fait, j'ai moi-même été l'instigateur de ce changement. La Chambre des communes y a apporté quelques modifications et l'a adopté.
Savez-vous combien coûte annuellement le Sénat à chaque Canadien?
Mme Lill: Non, je ne le sais pas.
Le sénateur Gigantès: Il coûte 1,30 $. Je coûte donc 1,3 cent annuellement à chaque Canadien. Quand je prendrai ma retraite en août, j'aurai coûté à chaque Canadien 22 cents pour mes quatorze années et demie de service. J'ai travaillé à faire adopter les changements au SCRS et à interdire l'intoxication comme motif de défense. Je vais maintenant voter contre ce projet de loi. Je pense que cet appui vaut bien que vous dépensiez 22 cents. Je sais que nous ne sommes que des politicards nommés sans être élus qui n'ont absolument aucun talent, aucune instruction. J'ai de la famille néo-démocrate qui pense que je n'ai aucune valeur morale parce que j'ai des idées progressistes mais que je ne suis pas membre du NPD.
Toute personne qui travaille à faire fonctionner la démocratie, peu importe son titre ou son affiliation politique, est essentiellement un libéral, un membre du parti qui admet que les solutions absolues et parfaites ne fonctionnent pas et qu'il doit trouver des compromis qui sont acceptables par la majorité. Je suis très fier d'être libéral et non pas un réformiste doctrinaire ou un néo-démocrate doctrinaire. J'ai vraiment été étonné de voir ce texte de loi.
Mme Lill: Je suis entièrement d'accord avec vous sur toute la ligne. De toute évidence, il y a en ce moment 35 000 avocats et tous les groupes d'auteurs qui ont comparu ici qui sont heureux aujourd'hui que le Sénat existe. Je suis heureuse que cette question soit sérieusement réévaluée par le Sénat. Il est important que cela se fasse dès maintenant.
Le sénateur Gigantès: Notre comité est impartial. Nous n'agissons pas de façon sectaire. Le sénateur Doyle et moi-même nous retrouvons pratiquement toujours du même côté. Il est conservateur, je suis libéral, mais il s'agit là de questions humaines et nous les traitons en tant que telles, même si nous ne sommes que des valets de parti nommés et non élus.
Mme Lill: Je ne sais pas très bien pourquoi le sénateur Moore m'a demandé quel parti je représente car, à vrai dire, je représente 70 000 personnes de Dartmouth, ma circonscription. Je ne crois pas qu'il soit pertinent dans le contexte actuel de se demander quel parti je représente.
Le sénateur Gigantès: Cela n'est en effet pas pertinent, mais j'ai des groupes de jeunes qui me disent: «Mais vous n'avez pas de comptes à rendre», et je leur réponds que j'ai des comptes à rendre à ma conscience. C'est ma conscience qui fait que je suis d'accord avec vous au sujet de ce projet de loi, et pas le fait que j'aie à faire face à un électorat qui s'inquiète d'Homolka ou de toute autre question du genre.
Mme Lill: Si vous le permettez, j'aimerais vous poser une question. Êtes-vous en faveur de la réforme du Sénat? Croyez-vous qu'elle soit nécessaire en ce moment?
Le sénateur Gigantès: Aujourd'hui, le Calgary Herald a publié un article disant que si le Sénat était élu, le sénateur Ghitter ne se présenterait pas. Je ne sais pas si je dois me réjouir du fait qu'il ne se présenterait pas ou s'il s'agissait d'une bonne nouvelle parce que si le sénateur Ghitter ne se présentait pas, nous n'aurions aucun sénateur élu.
Supposons que nous ayons un Sénat «triple E» qui est, selon ce que nous avons entendu dire, ce que l'Ouest veut avoir, nous aurions un Sénat à l'américaine et les lobbyistes feraient leur apparition. Un sénateur américain qui veut être réélu doit avoir beaucoup d'argent. Nous n'en aurions pas autant besoin, mais nous en viendrions à cela.
La présidente: Je n'aime pas interrompre la discussion puisqu'elle est libre et plutôt informelle, mais nous nous égarons passablement. Sénateur Gigantès, avez-vous d'autres questions à poser à ce témoin à propos de ce projet de loi?
Le sénateur Gigantès: Non, je n'en ai pas.
Le sénateur Cogger: Madame Lill, je vous remercie d'avoir comparu devant nous. Avez-vous reçu du courrier en faveur de ce projet de loi?
Mme Lill: Non, je n'en ai pas reçu.
Le sénateur Cogger: Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais vous ne serez probablement pas surprise d'apprendre que tous les sénateurs sans exception on reçu beaucoup de courrier. Il est naturel pour le promoteur et les partisans d'un projet de loi d'inviter les gens à écrire à leur sénateur. Il est donc important que chacun sache qu'une bonne partie de l'opinion publique est en faveur à tout le moins du principe de ce projet de loi.
J'ai noté dans vos commentaires du début, que vous avez indiqué, avec sagesse d'ailleurs, qu'à l'instar de la plupart des Canadiens j'en suis sûr, vous acceptez le principe qui veut qu'une personne ne devrait pas pouvoir jouir des fruits de son crime. Cela relève beaucoup plus du commentaire. L'avenir de ce projet de loi m'est à présent bien évident. Nous aurons cependant des comptes à rendre -- vous, moi, les autres partis, l'Association du Barreau canadien et la Writers' Union -- car les gens qui nous ont écrit seront très déçus. De leur point de vue très général, ce projet semble sage et raisonnable. Nous aurons des comptes à rendre. Ils nous demanderont pourquoi nous n'avons pas été en faveur du projet de loi alors que nous étions en faveur de son principe?
Je fais appel à votre soutien ainsi qu'à celui de vos collègues de la Chambre des communes.
Mme Lill: Je suis d'accord avec vous pour dire que nous aurons des comptes à rendre. Il faut maintenant que nous nous expliquions devant les médias. Les articles qui paraissent en ce moment informent réellement les gens sur les abus de ce projet de loi et leur disent combien il verse dans l'excès. Les experts en droit constitutionnel nous disent que ce projet de loi va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et que des solutions à ce problème sont prévues au civil.
Je crois qu'il s'agit ici d'un avertissement. Il en a certainement été ainsi pour moi. Moi aussi, quand je pénètre dans la vénérable enceinte de la Chambre des communes, je crois que c'est l'endroit où les lois du pays sont promulguées et les politiques élaborées. Nous avons commis une véritable erreur il y quelques mois. Il est embarrassant de l'admettre, mais il est important que nous la corrigions. Nous ne pouvons nous permettre de continuer d'errer dans la même direction et de poursuivre notre démarche même si nous savons que dans les faits, c'était une erreur. Voilà pourquoi je suis ici. Ce n'est certainement pas parce que j'aime me faire blâmer pour les erreurs que j'ai commises, mais bien parce qu'il s'agit de quelque chose qu'il faut que nous mettions de côté.
Il serait probablement utile d'expliquer pourquoi cette mesure n'est pas requise dans sa forme actuelle.
Le sénateur Pépin: Avez-vous dit que certains des amendements proposés à la dernière législature n'avaient pas été respectés?
Mme Lill: J'ai cru comprendre que certains amendements proposés par le comité de la justice à la dernière législature suggéraient simplement que les membres de la famille ne devaient pas être mis dans le même sac que le criminel.
J'ai cru comprendre que, même à ce moment-là, cette question a soulevé beaucoup de critiques qui n'ont jamais été exposées au grand jour. Nous sommes témoins encore une fois d'erreurs, d'omissions et d'une certaine défaillance du système qui sont maintenant exposés et à vous, et aux médias. On ne sait trop comment, mais ce projet a trébuché d'une étape à l'autre.
Le sénateur Pépin: Je croyais que lorsque des amendements sont proposés en comité, la Chambre doit en tenir compte avant de pouvoir revenir avec le projet de loi.
La présidente: Pour répondre au commentaire du sénateur Pépin, les seuls amendements qui ont émané du comité de la Chambre à la dernière législature ont été ceux qui ont été proposés par M. Wappel lui-même. Je me demande d'ailleurs pourquoi il n'a pas annexé ses propres amendements au projet de loi au moment où il l'a déposé à nouveau après les élections.
Le sénateur Cogger: Il a utilisé cette procédure spéciale qui permet de déposer à nouveau un projet de loi au même point qu'il était avant l'ajournement du Parlement, soit sans amendements. Celui-ci est ensuite adopté.
La présidente: Mais ce projet de loi avait été adopté à la dernière législature et avait été soumis au Sénat.
Le sénateur Cogger: Non, il était en deuxième lecture et le Parlement a ensuite été prorogé.
La présidente: Sénateur Cogger, je crois que le projet de loi était au Sénat quand les élections ont été déclenchées. Il nous avait été renvoyé un ou deux jours avant le déclenchement des élections. Pour corriger le compte rendu, j'aimerais mentionner que je crois me souvenir que M. White, qui a déposé ce projet de loi à l'époque, ait demandé un rappel au Règlement au cours des affaires courantes après que le député de Scarborough eut présenté un projet de loi d'initiative parlementaire. Ce projet de loi avait alors franchi toutes les étapes à la Chambre et au Sénat.
Je tiens à préciser qu'il avait été adopté à la Chambre, mais pas au Sénat. Il a été discuté en deuxième lecture et soumis à notre comité, mais les élections ont été déclenchées et le projet de loi est mort au Feuilleton. Je veux être absolument certaine que le compte rendu est clair à ce sujet.
Le sénateur Rossiter: Nous pourrions vérifier le compte rendu du comité pour savoir ce qui s'est passé.
La présidente: Notre comité ne s'est jamais réuni, mais nous pourrions obtenir le compte rendu du comité de la Chambre des communes si vous le désirez, sénateur Rossiter. Je crois que le sénateur Gigantès a une dernière question à poser. Il nous a dit qu'il serait bref.
Le sénateur Gigantès: Pour me faire pardonner d'avoir été aussi émotif et pour vous remercier d'avoir comparu devant nous, permettez-moi de vous rendre les 22 cents que je vous aurai coûté d'ici au mois d'août. Donnez-les à votre oeuvre de charité préférée.
Le sénateur Moore: Madame Lill, je me suis informé de votre affiliation politique parce que vous êtes la première députée de la Chambre des communes que j'aie vu comparaître devant notre comité depuis que j'en suis membre et la seule à se prononcer sur cette question.
La présidente: À l'exception du parrain du projet de loi.
Le sénateur Moore: À l'exception, en effet, du parrain du projet de loi, mais elle est la seule députée à se présenter à titre de témoin qui souhaite faire des commentaires, quels qu'ils soient. Pour fins d'information, il est important que nous sachions qui vous êtes.
La présidente: Puisqu'il n'y a plus de questions, je vous remercie beaucoup d'avoir comparu devant nous.
Mme Lill: Je vous remercie beaucoup. C'était très intéressant.
La présidente: Je devrais sans doute souligner le fait que cette étude illustre clairement l'ampleur des discussions au sein des comités du Sénat et comment nous suivons les choses jusqu'à la fin, plutôt que d'adopter une approche sectaire en interrompant une personne après un certain nombre de questions pour laisser à une personne d'un autre parti l'occasion de poser un certain nombre de questions. Nous essayons réellement d'aller au fond des choses et d'effectuer de façon sérieuse un second examen objectif des projets de loi qui nous sont soumis.
La séance est levée.