Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 18 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 26 février 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 52 pour étudier le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel afin d'interdire la coercition contre une personne à l'égard des actes médicaux qui sont contraires à sa religion ou à sa croyance au caractère inviolable de la vie humaine.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous accueillons ce matin l'honorable sénateur Stanley Haidasz, C.P., parrain du projet de loi. Je vous en prie.
L'honorable Stanley Haidasz: C'est un honneur et un privilège de comparaître ce matin dans le cadre de votre examen du projet de loi S-7, un projet de loi que j'ai présenté au Sénat, il y a quelques semaines, afin d'offrir à la conscience des professionnels de la santé une forme de défense et afin d'obtenir vos conseils et suggestions sur ce projet de loi.
Comme médecin qui a travaillé avec d'autres médecins dans les hôpitaux, ce projet de loi me touche de très près. Je suis également très préoccupé par les problèmes auxquels ont été confrontés et sont toujours confrontés les infirmières et les autres professionnels de la santé vis-à-vis de leur religion et de leur conscience, surtout lorsque leur travail suppose l'exécution d'un acte médical ou chirurgical que leur conscience ou leur religion leur interdit.
En préface à mes remarques d'aujourd'hui, j'aimerais donner lecture de deux lettres que j'ai reçues ce matin de M. Marwick de Vancouver qui est entre autres le directeur d'une association bénévole de Vancouver qui s'appelle la Ligue catholique des droits de la personne.
Vous avez mon exposé devant vous, mais j'aimerais avant de l'aborder vous citer quelques paragraphes tirés de ces deux lettres que j'estime plus pertinents dans le cadre de nos travaux de ce matin. Il s'agit d'abord d'une lettre de l'évêque Henry, l'évêque de Thunder Bay, à l'intention de l'éditorialiste du Chronicle-Journal de Thunder Bay. Je vais lire trois paragraphes:
Lorsque je me suis informé afin de savoir si les infirmières catholiques et non catholiques transférées de l'hôpital St. Joseph, suite à une restructuration de l'hôpital, étaient forcées de participer à des avortements, un des principaux membres du conseil d'administration et un administrateur m'ont informé qu'il n'y avait aucune difficulté puisqu'il suffisait d'une seule infirmière. Cette réponse, offerte sans doute dans le but de limiter les dégâts, s'est révélée tout à fait fausse. Depuis lors, d'autres infirmières ont fait l'objet des mêmes pressions ou contraintes et ont demandé l'aide de leurs curés.
Vu la réduction des effectifs dans notre réseau local des soins de santé, certaines infirmières craignent de s'opposer ou d'exprimer leur désaccord de crainte de perdre leur emploi. Ma propre tentative, depuis le 23 mai, en vue d'intervenir discrètement auprès des responsables de l'hôpital dans le but de trouver une solution au dilemme a connu peu de succès. Les responsables de l'hôpital continuent à faire obstruction, à nier et comme Ponce Pilate, à se laver les mains de toute responsabilité institutionnelle.
On rapporte qu'un administrateur aurait dit que si les infirmières ne souhaitent pas participer à des avortements, elles ont toujours l'option de changer de quart de travail avec quelqu'un d'autre.
C'est moi qui souligne. Pour revenir à la lettre:
On semble sous-entendre qu'un avortement, c'est un acte si populaire qu'on fait la ligne pour y participer. En réalité, même les infirmières les plus aguerries de l'hôpital régional de Thunder Bay ne sont pas tout à fait à l'aise dans ce rôle, mais l'administration refuse de le reconnaître ou de faire face à cette réalité.
Plus loin, l'évêque Henry déclare:
On ne peut que s'interroger sur les raisons pour lesquelles nos décideurs locaux n'ont pas choisi l'option morale et copié une approche aussi raisonnable et équilibrée. Lorsqu'on leur signale les lacunes du programme actuel des ressources humaines, pourquoi font-ils preuve d'une si grande intransigeance? Ne se préoccupent-ils pas des principes moraux et des croyances religieuses de leurs employés? Sont-ils anti-catholiques?
À la lumière des déclarations publiques rapportées dans ce journal, l'administration semble certainement confuse sur le plan moral, si elle a un sens moral, comparant l'avortement aux soins des patients séropositifs. Il ne s'agit pas d'abandonner les patients ni de refuser des soins aux personnes qui ont des avortements ou qui sont séropositives, car ces personnes ont en effet le droit de recevoir des soins professionnels du personnel hospitalier. Toutefois, les infirmières transférées de St. Joseph viennent d'une tradition qui croit que la vie humaine est inviolable; qu'il faut la défendre, la promouvoir, la vénérer et l'aimer. L'avortement consiste à tuer directement un être humain innocent. Vu cette tradition, la participation à un avortement revient à participer à un meurtre. Je pense que cela constitue certainement «l'abandon» d'un des patients. Il s'agit d'une catégorie différente de questions.
Des lettres semblables de partout au Canada et 8 000 signatures sur des pétitions que j'ai présentées au Sénat ces dernières années demandant la protection de leur conscience me poussent à faire appel à vous ce matin.
Comme médecin, je suis conscient de leurs difficultés et de leur impuissance.
Le projet de loi S-7 vise à protéger les professionnels de la santé contre des incitations à caractère coercitif comme la menace de perdre des lits, une promotion ou même un emploi, qui visent à leur faire exécuter un acte médical ou chirurgical ou à leur faire omettre d'apporter des soins mettant inutilement en danger la vie humaine.
Je parle ici de risques inutiles ou évitables, parce qu'il y a presque toujours des risques associés aux actes médicaux visant le bien d'un patient. Mais retirer à un patient sa source de nutrition ou d'hydratation, ou pire encore, lui donner une injection équivaut de toute évidence à prendre un risque évitable.
Sur le plan social, le projet de loi S-7 défend la liberté d'un professionnel de croire et de vivre sa croyance que la vie humaine est sacrée -- ou, si on préfère un terme non religieux, inviolable.
Il n'est pas question que, grâce au projet de loi S-7, les professionnels de la santé puissent se soustraire à leurs devoirs pour n'importe quelle raison de conscience. Les professionnels savent qu'il y aura toujours des risques inévitables ainsi que des décisions délicates à prendre, des préférences personnelles à écarter ou des aversions à vaincre. On ne peut rien gagner en donnant à quelqu'un qui a des scrupules excessifs ou des compulsions exagérées les moyens de refuser ses services à ses employeurs ou à ses clients, particulièrement si leur vie en dépend.
Les critères envisagés dans le projet de loi S-7 sont nets et objectifs. Le professionnel touché a-t-il fait l'objet de menaces de représailles réelles ou implicites? Les représailles devaient-elles s'exercer s'il refusait de s'associer à un acte ou à une omission exposant une vie humaine à des risques ou à sa suppression? La menace de représailles s'est-elle concrétisée parce qu'on savait le professionnel convaincu que la vie humaine est inviolable? Connaissait-on cette conviction, en fait?
Ce sont là les critères objectifs que le projet de loi S-7 met en place. Le demandeur ne peut avoir gain de cause s'il n'y a pas de réponse satisfaisante à chaque question. Conformément au droit criminel, il incombe aux professionnels lésés de prouver l'infraction ainsi que l'intention de nuire, ce qui, bien entendu, protège l'innocent.
Comme je l'ai mentionné dans le discours que j'ai prononcé à la deuxième lecture, j'ai reçu sur plusieurs années une correspondance énorme à ce sujet, y compris plus de 8 000 pétitions de professionnels de la santé, dont des médecins se disant bouleversés que des décisions éthiques concernant la préservation de la vie humaine soient influencées par la crainte de représailles.
Veuillez noter qu'il s'agissait de craintes rationnelles, concernant des représailles réelles à l'égard de personnes ne voulant pas exposer la vie à des risques mortels ou voulant éviter de détruire la vie.
La coercition exercée à l'égard des professionnels de la santé ne date pas d'hier. Lors de la remise des diplômes aux étudiants en médecine dont je faisais partie au mois de juin 1951 à l'Université de Toronto, on nous a demandé de nous mettre debout, de lever la main droite devant le chancelier et de prononcer le serment d'Hippocrate. Nous avons promis d'éviter de commettre des meurtres, d'exécuter des avortements, d'être honnêtes et de nous préoccuper des soins donnés à nos patients. Ce n'est qu'après cela qu'on nous remettait notre diplôme de médecine. Je présume que même à l'époque d'Hippocrate, la coercition existait.
L'amniocentèse constitue un bon exemple. Il s'agit d'un acte moderne qui consiste à insérer un tube dans l'abdomen d'un patient -- en général une femme enceinte -- afin de prélever des fluides de l'utérus où se trouve le foetus, l'enfant à naître.
À l'heure actuelle, on abuse fréquemment de l'amniocentèse pour déterminer le sexe d'un foetus. Le test en question, qui comporte des risques à la fois pour l'enfant et la mère, est souvent demandé et fourni uniquement pour déterminer le sexe, parfois en vue d'un avortement si le résultat n'est pas celui souhaité.
Par exemple, en Inde, les parents souhaitent habituellement un enfant mâle. Si on leur dit qu'il s'agit d'une fille, souvent, ils veulent détruire le foetus.
Certains professionnels refusent encore cette pratique pour le motif que, compte tenu des risques, la simple détermination du sexe de l'enfant n'est pas nécessaire sur le plan médical. Or, ils subissent souvent des pressions coercitives, des menaces et même des représailles pour ce qui équivaut en réalité à une bonne pratique de la médecine.
La congélation des embryons offre un autre exemple. La plupart des embryons ne survivent pas à la surgélation cryogénique. Lorsqu'on choisit d'obtenir un certain nombre d'embryons au même moment, habituellement par superovulation et insémination artificielle, et de les surgeler, on décide en fait que la plupart ou l'ensemble d'entre eux mourront. De nos jours, de nombreux cliniciens n'accepteraient pas de congeler un embryon humain, soit comme moyen soit comme fin en soi. On peut juger louable un motif comme la remise du foetus dans le ventre de la mère après une chirurgie de sauvetage, mais beaucoup adhèrent encore au principe moral selon lequel la fin ne justifie pas les moyens.
Ces praticiens de la bonne médecine devraient-ils, devant les pressions croissantes du marché, laisser leur conscience au vestiaire lorsqu'ils commencent à travailler dans une clinique de traitement de la stérilité? C'est vraiment d'un principe de justice fondamentale qu'il est question dans ce projet de loi, et c'est pourquoi je suis certain qu'il n'aurait aucun mal à passer le difficile test de la Charte canadienne des droits et libertés. Le nombre et la variété des cas d'espèce rendent absolument nécessaire une telle mesure législative applicable dans tout le Canada.
À plus d'une occasion, le Tribunal fédéral des droits de la personne a refusé de faire droit à la plainte d'un professionnel concernant des pratiques discriminatoires contre sa conscience ou ses convictions religieuses. Le Tribunal fédéral a tendance à considérer ces conflits comme relevant essentiellement du droit du travail. Quant aux tribunaux provinciaux des droits de la personne, ils ne veulent pas se prononcer à ce sujet, et ils ont raison à mon avis. Selon eux, les questions de conscience ou de religion et les préoccupations touchant la valeur sociale de la vie humaine relèvent de la compétence fédérale. Malheureusement, le résultat est que les plaignants n'ont personne à qui s'adresser.
Je suis surpris d'entendre autant de gens dire en toute naïveté que la Charte des droits et libertés suffit à la tâche et qu'il n'est pas nécessaire d'adopter des lois d'application pour empêcher les violations de la liberté de conscience. Sans le mordant d'une loi ou de précédents judiciaires, la Charte ne produit pas cet effet. En ce sens, elle ne constitue pas un élément de droit positif ou punitif. La Charte a pour fonction première d'encadrer et de guider l'application des autres lois et des procédures réglementaires ou judiciaires, lesquelles sont généralement des constructions de l'État. Toutefois, la Charte n'est pas la seule mesure du droit ou de l'équité, et les critères qu'elle propose renvoient eux-mêmes aux principes fondamentaux de justice. L'injustice de la coercition, lorsqu'elle compromet une conscience formée dans l'optique d'un bien particulier, notamment la vie humaine, peut aussi bien être démontrée sans la Charte.
La Charte définit de façon essentielle la place des principes de justice dans la Constitution canadienne. Rien dans la Charte ne contredit les vénérables principes de la partie VIII du Code criminel, par exemple, où l'on formule les exigences fondamentales quant au respect de la vie. Et la Charte s'applique à «chacun», c'est-à-dire aussi bien aux générations futures qu'à ceux qui sont déjà nés; dans le cas contraire, on ne pourrait la préserver comme loi constitutionnelle.
La haute cour de l'Allemagne a réglé cette question de façon définitive en 1992-1993, lorsqu'elle a examiné le principe de la continuité constitutionnelle. Mais la Charte elle-même laisse le champ libre au Parlement pour ce qui est de rectifier au moyen de mesures particulières certains abus qui se commettent dans la société.
De très nombreux professionnels pour qui la médecine consiste à sauver des vies et à veiller au bien-être des patients se trouvent dans une situation nettement problématique. Ils peuvent se trouver submergés dans un univers où la médecine obéit à des impératifs utilitaires ou de consommation, et où leurs propres valeurs -- peut-être judéo-chrétiennes, peut-être islamiques -- concernant le caractère sacré de la vie ne sont pas seulement négligées, mais carrément attaquées. Les médecins qui, pour des raisons de conscience, ne veulent pas conseiller l'avortement, se voient refuser des lits dans des services d'obstétrique. Les praticiens qui passent outre à une ordonnance de non-réanimation ou qui ne veulent pas en signer une, ou qui continuent à traiter l'affection d'un patient qui est en train de mourir d'une autre maladie, peuvent également perdre des lits ou des possibilités d'avancement, voire leur emploi. C'est de la coercition; et il n'y a aucune voie de recours en vertu de la Charte, même si cela est dans la logique des choses.
J'ai entendu beaucoup d'autres histoires semblables racontées par des infirmières et des infirmiers. Au moment où de nombreux hôpitaux voient leurs sources de financement se tarir, on trouve de plus en plus d'exemples de centres de naissance administrés conjointement avec des services d'avortement. Il arrive donc souvent que, par suite des réductions de personnel, des infirmières et des infirmiers ayant une formation en obstétrique soient obligés de préparer des avortements. Beaucoup s'y refusent et en subissent les conséquences. Pour une infirmière ou un infirmier, les conséquences d'une sanction disciplinaire ne se limitent pas à une mutation, à un marchandage de nouvelles conditions d'emploi ou à un changement d'hôpital ou de lieu d'affectation. Cela se traduit par une marque d'insubordination dans le dossier -- de sorte qu'il sera difficile ou impossible à la personne de trouver par la suite du travail dans son domaine.
Honorables sénateurs, il n'est pas question que les infirmières et les infirmiers décident que telle ou telle personne est digne ou non de recevoir un traitement. Les membres de Nurses for Life ont indiqué qu'elles sont tout aussi disposées à apporter des soins et du réconfort, y compris tout ce qui est nécessaire au bien-être, à une patiente qui se fait avorter qu'à n'importe qui d'autre. Ce qu'elles ne peuvent absolument pas accomplir sans trahir leur croyance que la vie humaine est inviolable, aussi intangible que cette vie puisse paraître à certains, c'est de prendre des mesures pour la détruire. Tous les patients doivent être soignés, sans aucune distinction.
Les infirmières, les infirmiers et les médecins ont également le droit de considérer leur travail, leur profession, comme une vocation. Dans la langue française, le mot vocation dénote chez le médecin une attitude apparentée à la ferveur religieuse. En effet, pour un grand nombre de praticiens, qu'ils soient juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes ou hindous, la vocation se vit comme un prolongement de la religion. Et dans la plupart de ces croyances, la vie est considérée comme sacro-sainte. Même pour le praticien qui ne considère pas véritablement la vie humaine comme sacrée, le devoir de protection de la vie humaine peut apparaître comme sacré. C'est là une nuance subtile qu'un non-bouddhiste peut avoir de la difficulté à comprendre.
Il y a aussi de l'ambivalence dans le regard que portent les fervents pratiquants sur l'autorité. Les praticiens qui manifestent cette ferveur voient dans les dispositions de la Charte, les principes de la partie VIII et les principes fondamentaux de la justice ou de la common law, des principes sacro-saints qui sont malmenés par les pressions actuelles en vue de mettre fin à la vie ou de la risquer, peut-être pour accommoder une autre personne ou pour satisfaire une autorité inférieure. Ces praticiens ont eux aussi raison de se plaindre du fait que la loi, malgré les principes qu'elle énonce, n'est pas articulée dans une forme qui permet des moyens de défense véritables. Ils se sentent confus, trahis et ébranlés dans leur confiance à l'égard du principe et de la règle de droit. Même s'ils ne perdent pas leur emploi ou leurs possibilités d'avancement, ce qu'ils vivent est très dramatique.
Pour conclure, honorables sénateurs, je vais tenter de répondre à votre question, celle de savoir si le droit criminel est le lieu approprié pour donner force exécutoire à la liberté de conscience. N'oublions pas que nous parlons toujours d'un ensemble particulier de circonstances. Il est vrai qu'en règle générale, la législation canadienne ne délimite ni ne définit entièrement les termes «religion» ou «liberté religieuse». Mais le projet de loi S-7 ne cherche à promouvoir ni la liberté religieuse ni la liberté de conscience en général. Il vise plutôt à contrer efficacement toute mesure coercitive visant à suspendre chez les praticiens de la santé la croyance particulière que la vie est sacrée ou inviolable.
Feu Walter Tarnopolsky, juge réputé de la Cour d'appel de l'Ontario et professeur de droit à Osgoode, que je connaissais très bien et avec qui j'ai travaillé, a produit il y a 20 ans un document intitulé «Freedom of Religion in Canada: The Legal and Constitutional Basis (Osgoode Hall)». Dans ce document, le professeur établit que la première protection accordée au Canada à la liberté de conscience et de religion est celle de la loi criminelle.
Ce document, ainsi que l'étude intitulée «The Canadian Bill of Rights», publiée en 1975 par la maison MacMillan de Toronto, ont été cités régulièrement par les autorités judiciaires et des intellectuels cherchant à approfondir le droit à la liberté religieuse et de conscience, ce même après la promulgation de la Charte canadienne des droits et libertés qui a eu lieu un certain nombre d'années après la proposition d'une déclaration des droits.
La doctrine établie selon laquelle le droit fédéral constitue le principal rempart de protection de la liberté de religion et de conscience n'est pas contestée et conserve tout son crédit.
La common law reconnaît depuis longtemps la liberté de parole, souvent apparentée à la liberté d'expression religieuse. Ce n'est qu'une des raisons historiques pour lesquelles la juridiction fédérale constitue le premier ressort de défense des droits inhérents, dont l'importance est tellement cruciale dans une société libre, juste et démocratique.
Nous disposons déjà de l'article 172 du Code criminel, en vertu duquel on ne peut faire obstacle à la tenue d'une réunion religieuse. Nous avons également la Loi sur les droits de la personne, qui interdit la discrimination fondée sur la religion ou la croyance. Conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, ces dispositions sont assujetties à des «limites qui soient raisonnables» lorsque cela est nécessaire à la protection «de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui».
Ces mots proviennent d'un document international dont je vais dire quelques mots.
Les constitutionnalistes utilisent l'expression «limites raisonnables» pour signifier que le droit à la liberté religieuse n'est pas absolu. Mais le fait de croire que la vie d'un patient est sacrée peut difficilement constituer une menace à la santé, à la morale ou à l'ordre public.
Quoi qu'il en soit, lorsque des mesures coercitives menacent la liberté de vivre selon cette conviction, il devrait exister une loi offrant une protection conforme à la justice fondamentale.
Dans les recueils de jurisprudence canadienne, lorsqu'il est question de la liberté de conscience et de religion, on mentionne souvent l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Canada a ratifié en 1976. Madame la présidente, puis-je lire cet article ou sera-t-il imprimé dans le cadre du mémoire?
La présidente: Pour économiser du papier, le comité ne reproduit normalement pas ce qui est annexé à un mémoire.
Le sénateur Haidasz: Dans ce cas, je vous ferai lecture de l'article. Voici donc les trois premiers paragraphes de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques:
Paragraphe 1:
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement.
Paragraphe 2:
Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.
Paragraphe 3:
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.
Honorables sénateurs, c'est pour les raisons de justice fondamentale décrites dans ce dernier paragraphe qu'un technicien médical d'urgence peut devoir aider à une transfusion sanguine même s'il est devenu un témoin de Jéhovah. On considère qu'il est raisonnable de limiter la liberté de religion dans de telles circonstances. Toutefois, un patient conscient et jouissant de toutes ses facultés, s'il est témoin de Jéhovah, ne peut être forcé d'accepter une transfusion sanguine. Dans le projet de loi S-7 proposé, c'est le refus de mettre la vie en péril, et non de la sauver, qui fait l'objet d'une protection.
La liberté de conscience et de religion a formé des convictions, et la liberté de les exprimer réside au coeur même de la Confédération canadienne. La liberté culturelle de groupes religieux divers a constitué une pierre angulaire de l'édifice canadien, dans les écrits, dans le Code civil et dans ce que nous appelons les droits inhérents, une réalité qui existe depuis le début de la Confédération.
Compte tenu du fait que la pratique et la science médicale se sont écartées des principes qui sous-tendent le respect de la vie humaine, il convient de donner un poids concret à notre vision de la liberté de conscience. Sans mesures exécutoires, on peut difficilement empêcher des abus graves à l'encontre des libertés individuelles et, en dernière analyse, de la vie des patients.
Honorables sénateurs, je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
Le sénateur Gigantès: Je vous remercie de cet exposé qui aborde de difficiles problèmes philosophiques.
Vous et moi sommes du même âge. Je me souviens d'une époque où de jeunes femmes qui devenaient enceintes sans le vouloir s'adressaient à des faiseuses d'ange pour obtenir un avortement et y laissaient parfois la vie lorsqu'elles ne devenaient pas stériles. Que fait-on de ce problème?
Le sénateur Haidasz: Au Canada, l'avortement est permis et on peut même obtenir un avortement sur demande. Certaines Canadiennes ont déjà eu trois ou quatre avortements et continuent d'en avoir. L'avortement sur demande existe actuellement au Canada non pas parce que c'est ce que prévoit la loi, mais plutôt parce qu'il y a un vide juridique.
Le sénateur Gigantès: Supposons que vous soyez le seul médecin dans une petite ville et qu'une jeune femme s'adresse à vous pour obtenir un avortement parce qu'elle a été violée. Je présume que vous lui refuserez cet avortement, n'est-ce pas?
Le sénateur Haidasz: Je lui dirai que je ne peux pas faire cet avortement en raison de mes convictions religieuses. Tous les médecins catholiques ont évidemment leur propre conscience. Il se peut qu'un médecin catholique soit amené à prendre des décisions draconiennes dans certaines circonstances. Tous les médecins catholiques ont une conscience, mais c'est à eux de décider s'ils vont l'écouter ou non. J'ai vraiment beaucoup de mal à répondre à cette question.
Le sénateur Gigantès: C'est une question difficile. Si j'étais à votre place, j'aurais autant de mal à y répondre.
Cette question fait intervenir les droits de l'enfant à naître, mais un enfant déjà né a aussi les mêmes droits. Si un témoin de Jéhovah se présente à un hôpital avec un petit enfant dont la vie dépend d'une transfusion sanguine, que faut-il faire? Respecter les croyances religieuses de ses parents ou sauver cet enfant?
Le sénateur Haidasz: Voilà une autre question difficile. Je ne sais pas si elle se rapporte vraiment à la teneur du projet de loi. Ce projet de loi vise spécifiquement à empêcher qu'un travailleur du domaine de la santé soit forcé de faire quelque chose qui répugne à sa conscience. Je ne vois pas le lien entre votre question, sénateur, et l'objet du projet de loi. Je suis incapable de répondre à votre question.
Le sénateur Gigantès: Que diriez-vous si l'on vous disait que le serment d'Hippocrate n'interdit pas l'avortement et qu'il y a eu une erreur de traduction?
Le sénateur Haidasz: Dans notre programme, nous avions le texte en anglais. J'aimerais bien que vous me donniez la juste traduction du serment d'Hippocrate.
Le sénateur Gigantès: Il n'interdit pas l'avortement.
Le sénateur Haidasz: Que dit-il?
Le sénateur Gigantès: Il précise qu'il y a des choses qui sont interdites, mais on ne trouve nulle part le mot «avortement».
Le sénateur Haidasz: Certaines parties du serment d'Hippocrate traitent des préjudices causés à une femme enceinte ou à l'enfant qui se trouve dans le sein de sa mère. Si ma réponse ne vous va pas, référez-vous aux experts en la matière pour obtenir satisfaction.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: C'est votre dernière journée, sénateur Haidasz et c'est évidemment regrettable parce que vous êtes au Sénat depuis longtemps. Je profite de l'occasion pour vous exprimer mes félicitations suite à votre longue carrière parmi nous.
[Traduction]
Selon moi, le sujet de ce projet de loi est une question d'objection de conscience et c'est un principe fondamental. La difficulté vient du fait qu'au Canada il n'y a pas beaucoup de jurisprudence là-dessus qui nous vienne de la Cour suprême. Dans votre mémoire, vous faites référence à Walter Tarnopolsky, avec qui j'ai passé bien des années à l'Université d'Ottawa et qui est coauteur avec moi et d'autres avocats d'un livre sur la Charte canadienne des droits et libertés.
L'oeuvre de Tarnopolsky que vous citez dans votre mémoire remonte à 1975, avant l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Nous savons que l'article 24 de la Charte canadienne des droits précise que si un droit est violé, il y a un recours. D'après moi, ceci ne s'y trouve pas. Aux États-Unis par exemple, il y a des cas prévus pour la conscription dans l'armée, et cetera.
Avez-vous consulté un avocat sur la question de l'objection de conscience? Je respecte ce principe car il est important. Notre société est fondée sur des valeurs comme la liberté de religion, et cetera, et l'objection de conscience est certainement une valeur qui mérite d'être respectée. Toutefois, il faut se demander s'il convient de se servir ici du Code criminel, comme vous le faites, ou bien si une contestation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, l'article 24 en l'occurrence, ne conviendrait pas mieux et il faut aussi se demander s'il ne s'agit pas d'une question de compétence provinciale étant donné que le domaine de la santé relève des provinces au premier chef?
Vous avez choisi une voie, le droit criminel. Je ne dis pas que vous avez eu tort. Toutefois, je suis intrigué et je voudrais savoir si vous avez consulté un avocat à ce propos.
Le sénateur Haidasz: C'est mon attaché de recherche, M. Gary Knight, qui a procédé à toutes les consultations.
M. Gary Knight, attaché de recherche du sénateur Haidasz: Au fil des ans, il y a eu diverses consultations. En fait, l'élaboration de ce projet de loi a commencé il y a neuf ans quand j'ai moi-même commencé à travailler pour le sénateur Haidasz.
La plupart des avocats consultés sont membres d'une association laïque que je connais mieux que l'Evangelical Fellowship, mais malgré tout j'ai consulté l'un de ses avocats. Pendant les consultations, j'ai passé en revue toutes les questions que vous avez soulevées et qui sous-tendent votre question principale.
Je ne voudrais pas ici prendre trop de temps, mais il est tout à fait pertinent de se demander si l'article 24 et d'autres articles de la Charte des droits et libertés pourraient suffire. En fin de compte, on m'a renvoyé à l'article 15(2) de la Charte. On parle beaucoup des motifs de discrimination illicites énoncés à l'article 15(1) mais moins souvent de l'article 15(2) qui précise essentiellement que le Parlement peut et doit apporter les redressements qui s'imposent au besoin dans certaines circonstances ou à l'égard de certains groupes. Le paragraphe (1) concernant l'inégalité des droits ou l'égalité des droits n'interdit pas une loi, un programme ou une activité qui a pour objectif d'améliorer la condition de groupes ou de particuliers défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leur déficience mentale ou physique, et l'on m'a dit que cette énumération servait d'illustration et n'était pas exhaustive ni limitative, ce qui laisse supposer par exemple qu'un mot comme «conscience», que l'on trouve à l'article 2(a) où il est défini comme droit fondamental, pourrait être interprété comme un motif donnant lieu à des redressements, au titre de la liberté de conscience.
Je me suis aussi renseigné sur l'autre question, celle de savoir s'il conviendrait de se servir du droit criminel et c'est comme cela que pour finir j'ai mis la main sur un ouvrage difficile à trouver. Il ne s'agit pas de ce que M. Tarnopolsky a écrit en 1975 sur la Déclaration des droits. Il s'agit d'un article non publié du juge Tarnopolsky et il est très difficile à trouver. On ne le trouve pas à la bibliothèque de la Cour suprême ni à la bibliothèque du Parlement. Il se trouve à la bibliothèque d'Osgoode Hall. Dans cet article, il démontre que s'il y a contestation au titre de la conscience, s'il faut donc présenter des arguments de défense, avec une application générale, il faudra s'en référer au droit criminel. À partir de cette date-là, Tarnopolsky est cité par presque tous les auteurs qu'on m'a conseillé de consulter.
Cela répond-il à votre question?
Le sénateur Beaudoin: Je vous suis. Si cet article se trouve à la faculté de droit d'Osgoode Hall, il n'y a pas de problème, on pourra le trouver. Il n'y a là rien de secret.
Vous affirmez que s'il nous faut un recours, nous le trouvons dans l'article 24 de la Charte. Toutefois, vous dites qu'il existe aussi un recours en droit criminel. C'est une réponse. Cependant, j'aimerais entendre la contrepartie.
Vous avez cité l'article 15(2), et l'objection de conscience ne peut pas y figurer parce que l'article 15 est celui du droit à l'égalité devant la loi. Pendant des centaines et des milliers d'années, par exemple, les femmes n'ont pas été traitées équitablement. Il est possible de mettre en oeuvre des programmes d'action positive pour redresser une situation comme celle-là et j'espère que nous continuerons de le faire parce que c'est ce que nous devons faire mais cependant, cela n'a rien à voir avec la liberté de religion. C'est à l'article 2 qu'il est question de liberté de religion. Où voyez-vous un lien avec l'action positive?
M. Knight: L'interprétation de la Charte n'a pas toujours été cloisonnée. Le fait que l'article 15(2) fasse allusion aux autres droits fondamentaux que nous reconnaissons comme garanties de nos libertés et motifs illicites de discrimination renvoie aux droits qui sont stipulés dans les premiers articles de la Charte.
Depuis 1984, deux ou trois oeuvres de référence majeures ont été publiées sur la Charte des droits et en l'occurrence, ce dont vous parlez, les droits à l'égalité, fait l'objet de chapitres entiers sur la question du droit à l'égalité en matière de religion. La discrimination religieuse peut se manifester au lieu de travail et en matière de soins de santé, ceux parmi nous qui pensent particulièrement que la vie humaine est sacrée, peuvent dès lors être victimes de discrimination.
Quant à l'article de ce projet de loi qui entraînera un délit putatif, ce sera seulement dans le cas où, par la contrainte, il y aura eu infraction contre la vie humaine sacrée et inviolable. Cela provient du témoignage, par pétition écrite, de 8 000 personnes qui constituent un vaste groupe de défavorisés.
Le sénateur Beaudoin: Dans votre mémoire, sénateur Haidasz, vous dites que vous êtes prêt à revenir devant le comité pour répondre à d'autres questions. Nous ne pourrons peut-être pas en terminer avec ce projet de loi dans l'immédiat étant donné que la question de l'objection de conscience, qui est une notion de droit importante, doit être réglée car elle est le fondement de votre projet de loi.
Nous allons entendre le témoignage de gens qui vont nous donner leur opinion du point de vue du droit canadien. Le problème est épineux mais il faut bien dire que nous sommes ici pour régler des problèmes épineux.
La présidente: Le sénateur Beaudoin a raison de dire qu'au fur et à mesure que nous progresserons dans nos travaux, qui portent sur divers projets de loi notamment sur celui-ci, vous aurez l'occasion de vous faire entendre de nouveau. Nous vous inviterons une nouvelle fois.
Le sénateur Jessiman: Dois-je en conclure, étant donné qu'il vous a fallu neuf ans pour rédiger ce projet de loi, que vous n'avez pas réussi à convaincre un seul ministre de la Justice du gouvernement fédéral d'en faire un projet de loi du gouvernement?
Le sénateur Haidasz: Je n'ai jamais consulté le ministre pour un seul des projets de loi que j'ai parrainés.
Le sénateur Jessiman: Ce genre de loi existe-t-il aux États-Unis ou dans un autre pays?
M. Knight: La réponse à cette question sera sans doute intéressante, mais je vais vous prier de m'excuser de vous donner une réponse indirecte. Je ne suis pas suffisamment au courant de la situation dans d'autres pays pour vous répondre quant à l'existence de lois ou de dispositions législatives semblables.
Il faut savoir toutefois que la haute cour de justice en Allemagne, dans un jugement de 1993, a posé la question de savoir si la constitution d'un pays peut être considérée comme un instrument légitime pour l'avenir alors qu'elle ne tient pas compte du droit inaliénable à la vie de chacun des sujets de ce pays, même ceux qui se trouvent dans le sein de leur mère. En d'autres termes, si une constitution ne tient pas compte des générations à venir, ce n'est pas une constitution. Une telle constitution n'est en vigueur que dans la mesure où il y a des êtres vivants qui y adhèrent. Qu'en est-il alors des nouveau-nés? Comment cela s'applique-t-il à eux? Puisqu'on a établi le principe qu'une constitution devait servir la justice naturelle, par conséquent, elle doit s'appliquer du moment qu'un individu entre dans l'existence -- non pas l'existence juridique, mais l'existence fondamentale.
Excusez-moi de vous donner une réponse indirecte, mais c'est la seule référence que j'ai.
Le sénateur Jessiman: Sénateur, vous êtes médecin et vous connaissez sans doute bien des gens qui exercent la profession d'infirmier et d'infirmière. Avez-vous demandé à ces derniers et à vos collègues s'ils appuyaient votre projet de loi?
Le sénateur Haidasz: Oui.
Le sénateur Jessiman: Vont-ils venir exprimer leur appui ici?
Le sénateur Haidasz: Oui, sénateur.
Le sénateur Jessiman: Vous nous avez dit qu'il y avait déjà eu des affaires de discrimination dont les tribunaux des droits de la personne ont été saisis, n'est-ce pas?
Le sénateur Haidasz: Des tribunaux provinciaux.
Le sénateur Jessiman: Ces tribunaux ont indiqué que ces affaires n'étaient pas de leur ressort, n'est-ce pas?
Le sénateur Haidasz: Oui.
Le sénateur Jessiman: Merci beaucoup.
La présidente: Avez-vous contacté l'Association médicale canadienne pour obtenir son opinion?
Le sénateur Haidasz: Non, pas l'Association médicale canadienne, mais comme je l'ai dit, des associations d'infirmières et d'infirmiers et des médecins.
Le sénateur Jessiman: Je vous ai posé la question à propos de l'Association médicale canadienne.
Le sénateur Haidasz: Non, pas l'Association médicale canadienne. Toutefois, les membres de l'exécutif de l'association Nurses for life.
M. Knight: C'est tout à fait pertinent à la question.
Le sénateur Jessiman: Quelle est la position de l'Association médicale canadienne? De toute façon, je suis sûr que ses représentants vont venir l'exposer ici.
Le sénateur Haidasz: Je ne connais pas la position officielle de l'Association quant à ce projet de loi. En fait, puisque le projet de loi est si récent, je doute que l'Association en ait reçu un exemplaire.
Le sénateur Jessiman: En est-il de même pour l'association d'infirmiers et d'infirmières?
Le sénateur Haidasz: Oui. Je n'ai consulté que quelques-uns des membres de l'exécutif de la Nurses for Life Association of Canada.
La présidente: Il faut dire que cette association nous a manifesté le désir de comparaître.
M. Knight: La Christian Medical/Dental Association donne également son appui au projet de loi.
Le sénateur Gigantès: Combien d'infirmiers et d'infirmières appartiennent-ils à la Nurses for Life Association?
M. Knight: Il est difficile de répondre à cette question étant donné que les membres de cette association le sont en libre association. En d'autres termes, il n'existe pas de liste des adhérents.
La meilleure chose à faire serait de poser la question aux représentants de la Nurses for Life quand ils vont comparaître. On me dit que l'Association a été contactée par plus de 4 000 infirmières et infirmiers qui se sont dits préoccupés étant donné les situations de contrainte dont ils avaient été témoins.
Le sénateur Haidasz: La Nurses for Life Association est également membre de diverses autres associations professionnelles à l'échelle du Canada.
M. Knight: Il est également révélateur de constater que l'AMC a publié un document il y a quelques années pour affirmer que les médecins et les professionnels de la santé ne doivent pas être soumis à des contraintes. L'Association appuie donc le principe. Il faudrait donc demander l'avis de l'Association pour savoir si elle appuie l'inclusion dans le Code criminel de mesures susceptibles de le faire respecter. Toutefois, puisqu'il s'agit d'une grosse organisation, on a pu constater par le passé que les dirigeants de l'organisation n'expriment pas nécessairement l'opinion du plus grand nombre de médecins qui, en particulier, peuvent être pour ou contre notre position.
Le sénateur Cogger: Sénateur Haidasz, est-ce votre anniversaire aujourd'hui?
Le sénateur Haidasz: Ce sera le 4 mars. Toutefois, étant donné que le Sénat ne siège pas la première semaine de mars, je quitterai mon poste à 18 heures cet après-midi.
Le sénateur Cogger: Vous allez nous manquer. J'en profite pour vous souhaiter, à l'avance, un très bon 75e anniversaire, et une longue vie.
J'ai écouté avec attention les réponses aux questions posées, et je suis face à un dilemme, comme sans doute certains de mes collègues. Nous voici saisis d'un projet de loi, dont l'intention est indéniablement admirable et louable. Il faut donc l'appuyer. Toutefois, je commence à avoir de la difficulté à partir du moment où il faut songer à ce projet de loi dans un contexte global. Vous pourrez peut-être m'éclairer.
Dans votre mémoire, vous dites que les médecins qui, pour des raisons de conscience, ne conseillent pas l'avortement, se voient refuser des places à l'hôpital. Les praticiens qui ne tiennent pas compte des ordonnances de non-réanimation risquent eux aussi de perdre des places à l'hôpital ou des promotions.
Je ne suis pas médecin. Toutefois, je suppose que le monde médical est régi par d'autres médecins, par des conseils ou par des groupes, n'est-ce pas?
Ce sont donc des médecins qui embrassent d'autres convictions religieuses, qui ne voient pas d'inconvénient à l'avortement ou à ce que l'on pratique des avortements, qui prennent donc la décision de refuser des places à l'hôpital à d'autres médecins. Ils sont eux aussi régis par la Charte des droits et libertés. Ils peuvent invoquer leurs droits et la liberté de conscience dans la prise de ce genre de décision. C'est donc en vertu des mêmes règles qu'un médecin exerce son autorité et répartit les lits d'hôpitaux suivant ce que lui dicte sa conscience. Voilà qu'un autre médecin ne voit pas les choses de la même façon et se voit refuser des places à l'hôpital. L'un d'entre eux pourra être accusé en vertu des dispositions du Code criminel.
Au nom de l'exercice de sa liberté, un médecin ne pratique pas d'avortement. L'autre médecin, au nom de l'exercice de sa liberté et au nom de son devoir ou de sa responsabilité d'administrateur de l'hôpital, prend une décision différente. L'un d'entre eux prétend que ses droits ont été violés par un de ses collègues qui dès lors aurait commis un crime.
Le sénateur Haidasz: J'ai reçu des plaintes de la part d'infirmières, de médecins et même d'un anesthésiste dont le fils suivait des études de gynécologie. En tant que législateur, comme membre d'un organe législatif, je me fais le porte-parole des plaintes de ces gens. J'ai 40 ans d'expérience comme parlementaire, et j'ai pu constater que nous avons voté bien des lois qui n'ont aucun mordant, qui sont inutiles. Les gens m'écrivent, me contactent pour se plaindre qu'ils se sont adressés à des organismes de la profession médicale, voire à une Commission provinciale des droits de la personne, et cela en vain. Ils n'ont pas pu obtenir le recours qu'ils souhaitaient. Ils constatent donc qu'il manque quelque chose parce qu'ils ont droit à cette protection.
Tout ce que j'ai pu leur dire, c'est que je pouvais exposer leur problème au Parlement, dans l'espoir de muscler certaines dispositions législatives.
J'ai choisi le Code criminel parce que le Code criminel est musclé et qu'en dernier recours, des sanctions sont imposées ou des dédommagements sont accordés. Je n'essaie ici que d'aider ces gens qui estiment avoir été persécutés, opprimés ou lésés.
Si je peux aider ces gens d'une autre façon, qu'on me le dise. Toutefois, je pense que c'est la meilleure solution à leur problème. J'ai choisi le Code criminel parce qu'il s'agit de règles juridiques de fond. Il permet aux gens de réclamer un dédommagement pour le préjudice qu'ils ont subi.
Je ne suis pas avocat, je ne suis pas juriste. Je suis un sénateur ordinaire et un médecin qui s'intéresse au cas de ces gens. J'essaie de trouver la meilleure solution au problème.
Sénateur, s'il y a une meilleure solution, faites-moi part de vos conseils et suggestions.
Le sénateur Cogger: Je ne prétends pas avoir la réponse. J'aimerais bien cependant.
Je comprends très bien pourquoi vous avez opté pour le Code criminel. Cependant, avez-vous pensé qu'en optant pour le code, vous imposez de facto à la partie adverse un seuil de preuve plus élevé allant au-delà du doute raisonnable? À supposer que ce projet de loi soit adopté, il sera peut-être difficile de convaincre un tribunal au-delà de tout doute raisonnable que le motif d'un refus de promotion est strictement imputable à une croyance religieuse. Je crois que le fardeau de la preuve n'est pas aussi lourd devant d'autres instances, par exemple devant le Tribunal des droits de la personne. Les dents sont plus longues, mais il est plus difficile de mordre.
M. Knight: Sénateur, c'est précisément l'idée de modération. L'intention n'est pas de donner un tel pouvoir aux plaignants simplement pour qu'ils puissent prouver quelque chose sur la base de probabilités ou d'une série d'allégations. Il arrive que les tribunaux donnent un certain crédit à de simples rumeurs.
Vous avez raison de dire que pour convaincre quelqu'un de coercition, il faut des preuves sérieuses. Le fait que le droit criminel en fasse un chef d'accusation est largement compensé par le fait que ce même droit impose une énorme responsabilité à l'accusateur. C'est la raison de cette modération.
Si nous avons opté pour le droit criminel plutôt que pour la Loi sur les droits de la personne, c'est précisément parce qu'il existe déjà d'autres dispositions dans le droit criminel concernant la vie humaine et les nécessités de l'être humain. Même dans le domaine de la santé, peu importe que la santé soit largement une question relevant du provincial, au bas mot, la prestation des services est provinciale. Cependant, la question du traitement fondamental de la vie humaine relève du droit criminel. C'est la raison pour laquelle je recommande au comité d'examiner les décisions riches en enseignements du juge Tarnopolsky. Vous y trouverez peut-être la réponse à certaines de vos réserves.
Le sénateur Lewis: Un de nos principes est que nul n'est censé ignorer la loi. Dans un certain sens, c'est un peu illusoire.
Ce projet de loi créerait une nouvelle infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Le projet de loi ne prévoit pas de sanction. J'en conclus que cette sanction sera fixée par l'article à tout faire du Code criminel régissant les sanctions de procédure sommaire.
Pouvez-vous nous dire quelles sanctions ce projet de loi entraînerait s'il était adopté?
Le sénateur Haidasz: C'est le juge qui prendra la décision et qui imposera la sanction qui lui semblera appropriée.
Le sénateur Lewis: Je crois que le Code criminel contient des dispositions à ce sujet.
M. Knight: Il y a une question similaire qui se pose à propos d'un autre projet de loi déposé devant le Sénat par le sénateur Haidasz, et il s'agit des maximums déclarés de quantités de substances dangereuses autorisées dans le tabac. Certains se sont demandé si cela constituait une directive stricte. La réponse est que bien que cela établisse des plafonds, il reste la procédure d'équité qui permet à l'autorité de réglementation de déterminer si un seuil inférieur est plus approprié.
De manière analogue, si nous n'avons pas mentionné de sanction précise dans ce projet de loi, c'est qu'en renvoyant aux plafonds considérés appropriés par le Parlement dans le Code criminel pour les dispositions de la procédure sommaire, nous avons visé la pratique de l'équité dans la pratique de la loi.
À titre personnel, j'ai une fois aidé à représenter quelqu'un devant un tribunal de l'impôt. Le juge prétendait qu'il n'y avait pas d'équité dans la Loi sur l'impôt. Je lui ai répondu qu'à ma connaissance aucune loi écrite ne contenait d'équité et qu'à mon avis c'était aux juges d'assurer cette équité. Il l'avait oublié car beaucoup d'avocats et de juges n'étudient pas la jurisprudence.
C'est ce qui est recherché ici; la pratique de l'équité et la compréhension des particularités d'un dossier afin que le juge puisse agir à sa guise.
Le sénateur Lewis: Tout ça c'est très bien, mais je crois que dans le Code criminel il y a une disposition concernant les infractions punissables par procédure sommaire.
Le sénateur Cogger: Notre conseiller a peut-être la réponse.
Le sénateur Lewis: Il faudrait la verser au dossier.
Mme Katharine Dunkley, directrice, Division du droit et du gouvernement, Direction de la recherche, Bibliothèque du Parlement: L'article 787 du Code criminel annuel de Martin contient une sanction générale pour les infractions punissables par procédure sommaire qui correspond à une amende ne devant pas dépasser 2 000 $ ou un emprisonnement de six mois, ou les deux.
Le sénateur Lewis: C'est le maximum?
Mme Dunkley: Oui, c'est le maximum, si bien que toute discrétion devrait être exercée sous ce niveau.
Le sénateur Lewis: Au moins, nous savons maintenant la conséquence de l'adoption de ce projet de loi.
M. Knight: Il n'y a pas non plus la même chose dans le casier judiciaire qui accompagne la procédure par accusation. L'intention n'est nullement de faire de cette loi une masse. Elle vise à donner quelques arguments aux désavantagés.
[Français]
Le sénateur Pépin: Je ne suis pas une avocate mais je viens d'une approche différente: vous êtes médecin, je suis une ex-infirmière spécialisée en gynécologie et obstétrique. Je suis toujours en communication étroite avec les infirmières du Canada. D'ailleurs, je vais faire un discours à leur prochaine réunion annuelle, au mois de juin. J'ai également siégé sur le conseil d'administration d'un hôpital de Montréal jusqu'à tout dernièrement.
Lorsque je vois votre proposition, je me pose la question suivante: comment peut-on appliquer ce que vous demandez? Vous dites qu'on pourrait refuser à un médecin qui ne fait pas d'avortement le droit d'hospitaliser un malade. Je ne connais aucun hôpital actuellement qui oblige un médecin, s'il veut hospitaliser des malades, à faire des avortements, même si c'est un gynécologue. Il a le choix de décider d'en faire ou non. Si je fais erreur, vous pouvez me corriger. On ne peut pas lui refuser un lit parce qu'il ne fait pas d'avortement, à moins que ce soit un hôpital réservé à cet effet. Un obstétricien ou un gynécologue a le droit de choisir d'en faire ou non.
Vous dites qu'il y a des nuances. Des étudiants en gynécologie peuvent peut-être faire des avortements dans leur processus d'apprentissage, mais lorsque cela touche au droit d'avoir accès à des lits, personne ne peut vous imposer à faire des avortements.
Je ne sais pas comment vous organisez un département. Prenons par exemple celui de l'urgence. Actuellement, que ce soit en Ontario ou au Québec, les infirmières -- il n'y en a presque pas -- aux urgences sont débordées. Si, par exemple, une patiente arrivait parce qu'elle fait une fausse couche suite à un avortement et l'on refusait de lui donner des soins, qu'est-ce qu'une infirmière ou un médecin pourrait dire à cette femme? Comment procéderait-on?
[Traduction]
M. Knight: Je suis sûr que le sénateur Haidasz peut vous parler des lettres qu'il a reçues de médecins qui ont vécu ce genre d'expérience.
Je ne suis pas sûr de comprendre votre question, mais ce projet de loi ne vise certainement pas à rendre plus difficile la vie de quiconque souhaite prendre des décisions de soins post-natals ou post-avortement.
Comme nous le mentionnons dans le mémoire, les Nurses for Life et certains médecins nous ont dit qu'ils ne s'opposaient absolument pas à ce que les patients soient traités selon leurs besoins. Par contre, en toute bonne conscience, ils ne peuvent participer activement à des actes ou à des omissions d'actes qui provoquent une mort inéluctable.
Une personne arrivant à l'urgence et souffrant d'un syndrome de stress de post-avortement ou de complications est traitée.
[Français]
Le sénateur Pépin: Elle arrive à l'hôpital pour un avortement. Elle répond qu'elle ne peut pas aider parce qu'elle sait que c'est un avortement? Ce sont des cas qui arrivent.
Vous dites que l'amniocentèse est utilisée fréquemment pour déterminer le sexe des enfants.
[Traduction]
Le sénateur Haidasz: C'est la demande de la patiente ou du mari de la patiente au radiologue ou à l'obstétricien.
[Français]
Le sénateur Pépin: Habituellement, l'amniocentèse est faite dans le but de savoir si l'enfant a des malformations ou d'autres problèmes. Je ne sais pas si c'est une pratique régulière de faire une amniocentèse simplement pour déterminer le sexe de l'enfant.
[Traduction]
Le sénateur Haidasz: Je dis simplement qu'il y a des conjoints de patientes qui réclament une amniocentèse simplement pour savoir si l'enfant porté par leur femme est un garçon ou une fille.
[Français]
Le sénateur Pépin: Dites-moi pourquoi une infirmière ou un médecin pourrait refuser de faire ce geste médical? Je ne comprends pas.
[Traduction]
Le sénateur Haidasz: Il est abusif de faire ce test juste pour déterminer si le foetus est de sexe masculin ou de sexe féminin. C'est un abus de l'amniocentèse.
M. Knight: Le foetus peut être blessé.
Le sénateur Haidasz: Les amniocentèses ne sont pas sans risque et coûtent aussi de l'argent à l'État.
Le sénateur Pépin: Je ne crois pas que nous sommes en train de discuter d'un problème d'argent.
Le sénateur Haidasz: Pour certains c'est seulement un aspect secondaire. Je connais certains médecins qui prennent leur décision en fonction du coût et de l'intérêt d'un acte.
Le sénateur Pépin: Oui, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit maintenant. Pour certains, pratiquer des amniocentèses et congeler des embryons est contraire à leur conscience. Qu'est-ce que je fais si je suis chef d'un service?
[Français]
Vous englobez, vous faites de grandes déclarations générales. Au premier regard, je suis d'accord que quelqu'un doit avoir le droit de dire que c'est contre sa conscience, qu'elle ne peut pas participer à un avortement. Je peux considérer cela. De la façon dont vous le présentez, j'ai l'impression qu'on est rendu que l'amniocentèse, c'est pour le choix. Je trouve que c'est trop général. J'ai l'impression qu'on fait plutôt le procès de l'avortement plutôt que du choix de la conscience, je ne le sais pas.
Vous dites aussi que des infirmières auraient de la difficulté à se trouver du travail. Si une infirmière est contre l'avortement, elle ne pourrait pas se trouver du travail dans d'autres hôpitaux. Expliquez-moi pourquoi vous dites cela? Il y a d'autres choses à faire dans les hôpitaux que des avortements.
[Traduction]
Le sénateur Haidasz: Certaines infirmières m'ont dit avoir ce problème particulier. Probablement ce problème, à votre avis, n'est pas important.
Le sénateur Pépin: Ce n'est pas ce que je dis. Vous dites qu'elles ont du mal à trouver du travail. Je demande pourquoi elles n'arrivent pas à trouver de travail. Je comprends qu'elles puissent ne pas aimer faire des avortements, cependant, étant donné le nombre d'hôpitaux au Canada il ne doit pas être bien difficile de trouver du travail si leur seul problème c'est qu'elles ne veulent pas participer à des avortements. Il y a d'autres services.
Le sénateur Haidasz: Je ne sais pas où vous habitez, mais à Toronto il est difficile pour les infirmières de trouver un travail, n'importe lequel, même pour changer des draps.
Le sénateur Pépin: Cela n'a alors rien à voir avec leur objection de conscience.
Le sénateur Haidasz: Vous venez de dire que n'importe quelle infirmière peut trouver du travail dans n'importe quel hôpital. C'est ce que vous avez dit et c'est ce que je vous réponds.
M. Knight: Je peux vous donner l'exemple de l'hôpital Markham Stouffville au nord de Toronto dans la région de Richmond Hill. Il y a environ trois ans, dû à l'effondrement des ressources et à la fusion des unités de natalité et des installations d'avortement, les infirmières qui avaient une formation en obstétrique et qui auparavant s'occupaient des naissances ont dû participer aux procédures préparatoires aux avortements.
Ces infirmières ont manifesté leur objection de conscience et se sont retrouvées confrontées à des choix difficiles, soit travailler dans un service pour lequel elles n'avaient aucune formation, soit accepter une réduction de salaire, soit, dans un cas, perdre carrément son emploi, ou faire l'objet de mesures disciplinaires pour insubordination, décision inscrite à leur dossier. Vous n'avez peut-être jamais partagé la souffrance de collègues portant une tache d'insubordination dans leur dossier, moi oui, plusieurs fois. Il leur a été extrêmement difficile de retrouver du travail dans leur métier.
Le sénateur Pépin: Je suis d'accord. Je sais qu'aujourd'hui les services d'obstétrique et de gynécologie sont souvent regroupés. Il est probable que les infirmières travaillant dans le service d'obstétrique sont aussi obligées de travailler dans celui de gynécologie pour cette raison. Il faudra que j'y réfléchisse.
Le sénateur Moore: J'aimerais revenir à la question du sénateur Cogger. Ma réaction immédiate est que le Code criminel est un outil très puissant pour être utilisé pour une question aussi délicate et aussi sensible que la conscience. Je pense également que les hôpitaux et leur administration relèvent normalement de la compétence provinciale. N'est-ce pas une invasion de cette compétence? Cette question ne devrait-elle pas être réglée par législation provinciale?
Qu'est-ce qui vous a incité à choisir la voie du Code criminel plutôt que celle d'une loi provinciale? Pourriez-vous me répondre?
Le sénateur Haidasz: Les pétitionnaires qui sont venus me voir avaient tout essayé au niveau provincial. Dans la majorité des cas ils étaient renvoyés à leur commission provinciale des droits de la personne et leur plainte ou leur problème n'aboutissait nulle part.
L'autre raison est que le Code criminel s'applique dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada. J'ai pensé que c'était un bon moyen universel d'offrir certaines satisfactions et certaines réparations à ces professionnels de la santé qui étaient venus me voir avec leurs problèmes.
Je ne prétends pas connaître le fonctionnement de chacune des commissions provinciales des droits de la personne. Pour ceux qui sont venus me voir avec des plaintes, la Commission des droits de la personne de l'Ontario ne pouvait rien faire. J'ai demandé à mon adjoint de contacter la commission fédérale des droits de la personne et les résultats n'ont pas été du tout probants. J'ai essayé de leur trouver de l'aide qui pourrait leur être accordée quelle que soit la province dans laquelle ils résidaient. Il m'a semblé que le meilleur outil serait le Code criminel. Il y a peut-être mieux. Dans ce cas, j'apprécierais vos suggestions.
Le sénateur Moore: Toute affaire d'atteinte à des droits individuels est importante. Combien de cas connaissez-vous de personnes à qui on a demandé de participer à une procédure allant à l'encontre de leurs croyances religieuses, avec des conséquences négatives pour leur carrière entraînant une comparution devant un tribunal provincial ou fédéral? Combien de cas de ce genre, sénateur?
Le sénateur Haidasz: Je n'ai pas lu toutes les lettres et tous les noms de tous les pétitionnaires. Cependant, mon adjoint Gary Knight me dit qu'au moins des centaines de cas ont été portés à son attention.
Le sénateur Jessiman: Est-ce que ces centaines de cas ont abouti devant les tribunaux?
M. Knight: Non, ces centaines de lettres émanaient de médecins et d'infirmières se plaignant de circonstances particulières. Les plaintes qui ont fini par aboutir devant les tribunaux n'atteignent pas la douzaine, mais c'est suffisant pour démontrer l'incapacité des tribunaux.
Le sénateur Jessiman: Toujours sur ce même sujet, nous parlons de personnes travaillant dans des hôpitaux. Y a-t-il des exemples de personnes ayant été refusées à des cours ou de personnes dont l'accès à certaines professions a été refusé? Combien avez-vous d'exemples?
M. Knight: Les étudiants qui souhaitaient étudier l'obstétrique, par exemple, devaient participer à un avortement. Dans cette école particulière ils n'avaient pas le choix. Il y a plusieurs douzaines de cas de ce genre. Il y a au moins un ou deux cas dans le domaine de la gestion moderne de la fertilité et de la congélation des embryons dans la science médicale.
Le sénateur Jessiman: Et pour l'adhésion à des associations professionnelles?
M. Knight: Je n'ai pas le souvenir de plaintes à ce sujet.
Le sénateur Lewis: Si j'ai bien compris, la Commission des droits de la personne ne leur a apporté aucune aide. Vous avez parlé d'une douzaine de dossiers. Est-ce que c'est parce que la Commission leur a dit: «Nous n'avons pas compétence dans ce domaine et nous ne pouvons rien faire», ou est-ce parce que les demandes ont été rejetées a priori ou après audience?
M. Knight: Environ 90 p. 100 des cas dont j'ai parlé -- je fais appel à ma mémoire -- étaient des cas dans lesquels le tribunal concerné après examen préliminaire du mérite du dossier avait conseillé au plaignant de s'adresser à un autre tribunal car il pensait que ce n'était pas de sa compétence. C'était une décision de compétence.
Le sénateur Moore: J'ai reçu une lettre du très révérend Colin Campbell, l'évêque du diocèse d'Antigonish en Nouvelle-Écosse. Je souhaite vous en lire une partie et ensuite je vous poserai une question. Il écrit:
Il a été porté à mon attention que le sénateur Stanley Haidasz vient de parrainer le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel afin d'interdire la coercition contre une personne à l'égard des actes médicaux qui sont contraires à sa religion ou à sa croyance au caractère inviolable de la vie humaine. Pour être franc, j'ai été surpris de découvrir que ces droits n'étaient pas déjà protégés par la loi ou par le Code des droits de la personne. Il semble difficile de croire que dans un pays libre on puisse par coercition imposer à une personne de pratiquer une activité qui viole sa conscience ou viole la dignité et le droit à la vie.
Pendant vos recherches pour préparer votre déposition d'aujourd'hui ou pour préparer le projet de loi, n'avez-vous, ou votre adjoint, trouvé aucune législation, ou êtes-vous convaincus qu'aucune loi n'existe nulle part permettant d'atteindre les objectifs que vous essayez d'atteindre dans ce projet de loi sans en faire une infraction criminelle?
M. Knight: Il est évident que c'est un point controversé parce que cette question a été soulevée plusieurs fois. Oui, nous nous sommes informés auprès des spécialistes juridiques pour savoir s'il existait d'autres outils ou d'autres instruments juridiques. Cependant, nous voulions que cela devienne une loi fédérale afin qu'elle soit appliquée à l'ensemble du pays étant donné que les pétitionnaires étaient originaires de différentes parties du pays.
À l'occasion on nous a signalé l'existence d'un code, à savoir, le Code des droits de la personne. Cependant, encore une fois, on nous faisait remarquer en même temps qu'il n'y avait jamais eu d'affaires traitées concernant cette question précise.
Il n'y a aucun précédent d'utilisation de ce code ayant aidé des personnes ayant connu ce problème. C'est apparemment parce que le code est considéré comme étant interprété et couvre la loi de la même manière que la Charte. C'est peut-être parce que les juristes ne savent pas comment procéder. Il n'y a pas de recours contre les transgressions de statuts fédéraux. Si on pouvait prouver que quelqu'un a transgressé ce statut par un acte de discrimination, il y aurait peut-être un recours et des précédents. Ce n'est pas ce qui est arrivé -- tout au moins dans les circonstances qui nous ont été communiquées.
La plupart des avocats croient que chacune des provinces devrait s'y attaquer individuellement. Même les avocats qui défendaient le principe selon lequel la vie est sacrée disaient qu'ils ne croyaient absolument pas que le gouvernement fédéral pourrait réussir à faire quoi que ce soit pour la conscience des travailleurs où que ce soit au Canada. Ils ont recommandé d'aller voir chaque province individuellement. Néanmoins, même ces avocats ont avoué qu'en vertu de la loi et de la Charte, il est possible d'essayer d'atteindre ce but au niveau du criminel, là où cela doit se faire.
Ils avouent que parce que le principe en jeu est celui de la vie humaine et de la conscience humaine, le tout relève de cette juridiction. Cependant, je vais vous expliquer pourquoi nous avons choisi de ne pas nous servir du Code des droits de la personne en soi. Il faut se rappeler qu'il existe d'autres dispositions dans le Code criminel lui-même, sans oublier qu'il est plus facile d'obtenir certaines garanties et certains tests d'objectivité, ainsi que certaines exigences quant à la preuve, ce qui permet de défendre plus pleinement les innocents. En d'autres termes, il est relativement facile pour l'accusé de faire en sorte qu'il soit très difficile pour l'accusateur de prouver qu'il y a eu un quelconque recours à la coercition ou que l'on a invoqué les limites déraisonnables d'une liberté religieuse pour mettre fin à une vie humaine.
Le sénateur Beaudoin: Si je suis bien votre raisonnement, pour protéger la vie humaine, vous préférez vous en remettre au Code criminel plutôt qu'à la Charte elle-même surtout pour ce qui est de l'article 7; c'est bien cela?
M. Knight: Nous comptons sur la Charte comme appui dans ce cas précis. On ne cherche pas à faire modifier la Charte pour lui faire dire, plus précisément, qu'il est interdit de contraindre quiconque à mettre fin à une vie humaine contrairement à sa conviction religieuse. Ce n'est pas ce que nous attendons de la Charte. Nous croyons que ces principes s'y trouvent déjà et qu'ils serviront à défendre et à avaliser cette loi précise.
Le sénateur Beaudoin: Vous voulez avoir recours au Code criminel parce que vous avez l'impression d'avoir besoin de cette protection parce que la Charte ne l'offre pas de façon suffisamment claire; c'est bien cela?
M. Knight: C'est aussi vers là qu'on nous a dirigés.
Le sénateur Beaudoin: Je ne porte pas de jugement, je vous pose simplement la question.
M. Knight: Le juge Tarnopolsky a clairement fait comprendre que c'est là où cette défense doit se trouver.
Le sénateur Beaudoin: Il a rédigé ce texte en 1975, avant l'avènement de la Charte des droits et libertés.
M. Knight: La Charte ne le contredit en rien.
Le sénateur Beaudoin: La Charte a été rédigée en 1982. Environ 20 juristes, à l'époque, ont écrit un gros bouquin à ce sujet précis. Je ne peux pas parler au nom de M. Tarnopolsky parce que tout ce qu'il a écrit parle pour lui. Cependant, j'aimerais comprendre pourquoi vous nous avez saisis de ce projet de loi.
Vous dites qu'il nous faut ce projet de loi et que nous comptons sur le Code criminel parce que c'est la seule façon de faire. Le sénateur Haidasz dit que s'il y a une meilleure façon de faire, il aimerait qu'on lui dise laquelle. N'est-ce pas ce que vous dites?
Le sénateur Haidasz: Oui.
M. Knight: Je ne dis pas que c'est la seule façon. Je dis que cela semblait être la façon la plus appropriée après avoir étudié tous les conseils reçus. C'était la façon la plus directe et la plus appropriée pour aborder la question.
La présidente: Puisque vous voulez que ce projet de loi fasse partie du Code criminel -- et pour nous éloigner de la question de l'avortement pour aborder la question des transfusions de sang et des convictions religieuses -- posons l'hypothèse d'un médecin travaillant dans un petit hôpital et qui se trouve être un témoin de Jéhovah; il arrive un enfant qui a désespérément besoin d'une transfusion sanguine et le médecin refuse d'effectuer cette transfusion à cause de ses propres convictions religieuses, mais le directeur de l'hôpital lui ordonne de la faire.
Ce directeur tomberait-il alors sous le coup de cette loi?
M. Knight: Non, ce ne serait pas le cas et cela, pour deux raisons. D'abord, il existe déjà ce qu'on appelle les exigences professionnelles en matière d'emploi dont les paramètres sont bien fixés par la jurisprudence. Les cas en matière des droits de la personne, par exemple, stipulent que pour travailler dans une clinique d'urgence où l'on risque de se retrouver en présence de traumatisés qui perdent rapidement leur sang, il faut être prêt à faire des transfusions et c'est une exigence professionnelle. Lorsqu'une personne entreprend ce genre de travail, elle n'est peut-être pas témoin de Jéhovah, au départ, mais il se peut qu'elle se convertisse à cette foi en cours d'emploi. Il s'agit donc d'une exigence professionnelle sérieuse et d'une limite raisonnable à la liberté de religion d'apprendre à cette personne que si elle désire garder cet emploi, elle doit laisser de côté ses principes en la matière et qu'il y a donc un accommodement possible. Mais l'employeur doit aussi être prêt à faire certaines concessions. Si l'employeur ne cherche pas à en venir à une entente raisonnable, la personne peut alors saisir le tribunal des droits de la personne d'une plainte et les précédents en la matière nous apprennent que la personne a toutes les chances de gagner sa cause. Ce n'est pas un problème.
La deuxième partie de la réponse, c'est que le Code ne s'appliquerait pas étant donné que l'objet de la coercition, c'est le fait d'exécuter ou de ne pas exécuter un acte pour sauver une vie humaine. Autrement dit, il y aurait coercition si quelqu'un voulait exécuter un acte, donner une transfusion sanguine, par exemple, et qu'on lui interdisait de le faire.
La présidente: Vraiment vous procédez par la négative et appliquez le principe de façon très étroite?
M. Knight: Oui c'est nécessaire en droit criminel.
La présidente: Et que dire des autres formes de discrimination? À mon avis, il s'agit là d'une forme de discrimination. Est-ce que les autres formes de discrimination, celles en fonction de l'âge, du sexe, du genre ou de l'origine ethnique par exemple, devraient également relever du Code criminel?
M. Knight: Dans la mesure où la personne qui s'estime être victime de discrimination en fonction de son âge est capable de montrer d'une manière quelconque que cette discrimination nuit en quelque sorte au respect d'une valeur fondamentale comme la vie humaine, telle qu'établie dans la partie VIII du Code criminel, peut-être, mais il faudrait une certaine gymnastique intellectuelle pour arriver à prouver que le fait qu'on m'ait refusé un emploi parce que j'ai 75 ans pourrait avoir des conséquences néfastes pour la vie d'une autre personne.
Il y a eu à l'immigration le cas d'un homme qui était déséquilibré psychologiquement. Aucune intervention médicale ne pouvait vraiment l'aider. Sa mère pouvait l'aider. Elle était la seule qui pouvait l'aider. Elle se demandait aussi si elle pourrait rester au Canada en tant qu'immigrante légale.
On pourrait peut-être en déduire qu'on pourrait créer une mesure législative utile qui, dans un cas comme celui-là, dirait qu'on serait malavisé d'expulser ou de renvoyer la mère parce qu'elle est en train de rendre un grand service à la société, étant donné que c'est la seule personne -- et elle économise aussi de l'argent aux contribuables -- capable d'aider son pauvre fils, qui autrement n'est capable de rien. Cela est vraiment arrivé.
La présidente: Peut-être que nous exagérons un tout petit peu.
Sénateur Haidasz, vous avez connu une longue et brillante carrière au Parlement, au Sénat aussi bien qu'à la Chambre des communes et, votre chant du cygne est tout à fait à la hauteur.
La séance est levée.