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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 29 - Le onzième rapport du comité


Le MERCREDI 10 juin 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son

ONZIÈME RAPPORT

Votre comité auquel a été déféré le projet de loi C-220 intitulé Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à la perpétration d'un acte criminel), a, conformément à l'ordre de renvoi du 22 octobre 1997, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport comme suit :

Votre comité recommande que ce projet de loi ne soit plus examiné par le Sénat pour les raisons formulées ci-après. Le rapport de votre comité se termine par des suggestions au gouvernement.

Remarques préliminaires

Votre comité prend note que pendant la trente-cinquième législature, un projet de loi identique au projet de loi C-220 lui a été déféré pour examen en vertu de l'ordre de renvoi du 22 avril 1997. Ce texte, étant alors le projet de loi C-205, a expiré au Feuilleton avant d'être étudié par votre comité, lors de la dissolution du Parlement le 27 avril 1997.

En exécutant l'ordre de renvoi d'octobre 1997, votre comité a gardé à l'esprit la nature de sa fonction lorsqu'il est appelé à étudier les dispositions législatives qui lui sont déférées. Votre comité croit que l'intérêt public et l'intégrité du processus législatif exigent un examen approfondi à la fois des projets de loi du gouvernement et des projets de loi d'initiative parlementaire afin d'évaluer leur efficacité, leur équité et leur compatibilité avec la Constitution. Les témoins qui ont comparu devant votre comité lors de l'étude du projet de loi C-220 et qui ont demandé une analyse adéquate de ces dispositions législatives ont en outre exprimé ce même point de vue.

En conséquence, votre comité a consacré beaucoup de temps à l'examen des dispositions du projet de loi C-220 visant à modifier le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur dans le but d'empêcher les personnes reconnues coupables de crimes de tirer profit d'oeuvres portant sur ces crimes. Après une première série d'auditions tenues entre le 29 octobre 1997 et le 12 mars 1998, le parrain du projet de loi, M. Tom Wappel, député (Scarborough Southwest), a suggéré des modifications au projet de loi C-220. Le comité a sollicité d'autres observations et tenu des audiences supplémentaires les 29 et 30 avril afin de veiller à ce que ces propositions soient examinées à fond.

Pendant tout le temps où il a examiné ce projet de loi, votre comité a été vivement sensible aux préoccupations des victimes de crimes, notamment les victimes de crimes haineux et leurs familles, qui s'inquiètent que les personnes reconnues coupables de tels crimes puissent tirer profit de la représentation de ces crimes, sous quelque forme que ce soit. Comme beaucoup de Canadiens, votre comité trouverait ces récits, non seulement profondément choquants, mais aussi profondément insensibles à la douleur et aux souffrances supplémentaires qu'ils occasionneraient inévitablement aux victimes.

Pour ces considérations, votre comité s'associe pleinement aux motifs sur lesquels s'appuie la démarche inédite que propose le projet de loi C-220 et félicite le parrain du projet de loi pour son ardeur à le faire soumettre au Parlement et pour la qualité de ses interventions lors des délibérations de votre comité.

Votre comité souscrit tout à fait au principe, reconnu depuis longtemps en common law et maintenant consacré aussi aux termes de la partie XII.2 du Code criminel, que le droit ne devrait pas permettre aux criminels de tirer profit de leurs crimes. Votre comité est pleinement conscient que la common law doit s'adapter au changement des besoins de la société et que la solution adoptée dans le projet de loi C-220 cherche essentiellement à appliquer ce principe à de nouvelles circonstances. Néanmoins, après une étude approfondie, votre comité vient à la conclusion qu'il ne peut souscrire aux moyens proposés dans le projet de loi C-220, dans sa version actuelle, pour atteindre ce but.

Le projet de loi C-220

Selon le sommaire du projet de loi, le projet de loi C-220 aurait les effets suivants :

- «[modifierait] le Code criminel afin de faire porter la définition de " produits de la criminalité " sur les gains ou avantages que tire une personne déclarée coupable d'un acte criminel ou sa famille d'une oeuvre fondée sur cet acte criminel»;

- «[soumettrait] ces gains ou avantages aux dispositions actuelles du Code criminel relatives aux perquisitions, aux fouilles, aux saisies et à la détention des produits de la criminalité»;

- «[édicterait] que la peine relative à un acte criminel [serait] réputée comporter une ordonnance du tribunal portant que toute oeuvre fondée sur la perpétration de l'acte criminel [serait] sujette à un nouvel article de la Loi sur le droit d'auteur»;

- «[modifierait] la Loi sur le droit d'auteur afin de disposer que le droit d'auteur sur une telle oeuvre, qui normalement appartiendrait à la personne déclarée coupable de l'acte criminel, [serait] dévolu à Sa Majesté et [demeurerait] sa propriété même après le paiement de l'amende ou l'accomplissement de la peine de prison imposée.»

Le sommaire mentionne de plus que le projet de loi C-220 «[n'empêcherait] pas les tiers de créer ou de publier une telle oeuvre » et qu'il « n'en [viserait] que les gains ou avantages qu'en tire la personne déclarée coupable ou sa famille.»

Dispositions du projet de loi C-220 modifiant le Code criminel

Les produits de la criminalité

Le fait d'écrire n'est pas une infraction criminelle en droit canadien. Votre comité a de sérieuses réticences au sujet de la modification de la définition de « produits de la criminalité » que propose le projet de loi C-220, laquelle assimilerait les produits d'une activité criminelle à ceux de l'activité licite d'écrire au sujet de crimes. Pour ce qui est de sa mise en oeuvre, votre comité croit que la définition proposée n'aurait pas d'effets réels, par elle-même, en vertu du régime complexe de dispositions sur les produits de la criminalité qu'on trouve au Code criminel. De plus, votre comité est d'avis que la proposition est inutile puisque la dévolution du droit d'auteur à la Couronne, telle que proposée en vertu du projet de loi C-220, ferait elle-même en sorte que les auteurs des oeuvres visées par le projet de loi, lorsqu'il s'agit de personnes déclarées coupables des crimes en cause, ne touchent pas les produits de ces oeuvres.

Même en supposant qu'elle soit applicable, votre comité considère que le fait d'appliquer la définition proposée des «produits de la criminalité» aux membres de la famille de la personne déclarée coupable est susceptible de soulever des problèmes importants de justice fondamentale.

De surcroît, même si la proposition était applicable, sa constitutionnalité paraît douteuse. Votre comité estime probable qu'en vertu du partage des compétences, la réglementation de l'argent que propose le projet de loi C-220 ne relève pas de la compétence fédérale sur le droit pénal. Elle semble plutôt constituer une réglementation du droit des contrats, lequel relève du domaine de la propriété et des droits civils qui est de la compétence exclusive des provinces. Tant la législation ontarienne que le processus continu de la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada traitent la confiscation des sommes d'argent découlant de l'évocation et de la représentation d'un crime comme une question de compétence provinciale.

Votre comité craint sérieusement aussi que le fait de réglementer des sommes versées à des personnes déclarées coupables d'un crime en se fondant uniquement sur le contenu de l'oeuvre puisse constituer une atteinte à la liberté d'expression en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

La détermination de la peine

L'étude des dispositions du projet de loi C-220 qui auraient pour effet de lier la détermination de la peine criminelle à la propriété du droit d'auteur met au jour d'autres difficultés importantes. Le caractère automatique de l'ordonnance de peine prévue au projet de loi qui assujettirait les personnes déclarées coupables de certains crimes à la perte possible du droit d'auteur sur leurs oeuvres ayant trait à ces crimes ne laisse place à aucune exception. De l'avis de votre comité, cette mesure constitue une entrave tout à fait inusitée au pouvoir discrétionnaire judiciaire en matière de détermination de la peine.

Votre comité souligne avec appréhension que les dispositions du projet de loi relatives à la détermination de la peine viseraient non seulement les personnes déclarées coupables, mais aussi «toute oeuvre liée à l'infraction» sans égard à la paternité de l'oeuvre. L'absence de mécanisme pour permettre d'établir les droits de tiers ayant un intérêt dans les oeuvres de personnes déclarées coupables est aussi inquiétant.

Dispositions du projet de loi C-220 modifiant la Loi sur le droit d'auteur

L'examen le plus fouillé de votre comité a porté sur les propositions du projet de loi C-220 visant à transférer à la Couronne le droit d'auteur sur les oeuvres relatant les crimes de personnes déclarées coupables ou de leurs collaborateurs. Votre comité conclut, d'après les témoignages qu'il a reçus, que ces dispositions comportent des vices graves tant à l'égard de la Constitution que des obligations internationales du Canada en matière de droit d'auteur.

La liberté d'expression en vertu de la Charte

Votre comité croit que parmi les libertés fondamentales auxquelles les Canadiens tiennent et que les tribunaux canadiens ont constamment consacrées, la liberté d'expression occupe une place de choix. De l'avis de votre comité, le projet de loi C-220 porterait atteinte à cette valeur fondamentale.

Votre comité sait que le projet de loi C-220 est censé porter seulement sur les produits des oeuvres liées au crime et non sur les oeuvres elles-mêmes. Votre comité se demande s'il est possible de dissocier de cette façon la propriété du droit d'auteur et la paternité de l'oeuvre.

De l'avis de votre comité, l'expropriation du droit d'auteur par la Couronne aurait vraisemblablement pour effet, en pratique, de décourager la production d'oeuvres en rendant plus difficile aux personnes déclarées coupables et à leurs collaborateurs de produire certaines oeuvres et de les faire éditer. Votre comité est d'avis que cet effet additionnel sur l'objet de l'expression rend le projet de loi C-220 très vulnérable aux contestations constitutionnelles fondées sur le droit à la liberté d'expression garanti en vertu de la Charte.

Votre comité comprend qu'une longue tradition d'écrits de prisonniers ou de condamnés a aidé la société à comprendre les causes et les effets du crime, des peines et de certains autres problèmes sociaux importants. Pendant les audiences, on a régulièrement évoqué les noms de personnages célèbres du passé et du présent, canadiens et étrangers, dont les oeuvres auraient été visées par le projet de loi C-220. Votre comité comprend qu'au nombre de ces personnages on compte Gandhi, Mandela, Malcom X, Martin Luther King, Nehru, Riel, Garcia Lorca, Roger Caron, lauréat du prix du gouverneur général, et d'autres qui ont été condamnés et qui ont écrit au sujet de leurs crimes et dont les oeuvres sont universellement tenues pour une importante contribution au patrimoine littéraire, social et politique.

Votre comité trouve intensément troublant que le projet de loi C-220 ne se limite pas aux personnes déclarées coupables de crimes haineux ou atroces dont la représentation à des fins lucratives devrait normalement provoquer l'indignation morale. Le projet de loi vise plutôt toutes les personnes déclarées coupables d'une vaste gamme d'infractions dont le récit ne devrait pas répugner au public.

Votre comité considère que la durée de l'expropriation envisagée dans le projet de loi C-220, laquelle resterait en vigueur durant tout la vie de la personne déclarée coupable, indépendamment de la peine imposée pour une infraction donnée, aggrave les effets de la portée générale du projet de loi.

Votre comité s'inquiète aussi vivement de ce qu'en vertu du projet de loi C-220, l'expropriation du droit d'auteur, qui prendrait effet lors de la déclaration de culpabilité, s'appliquerait rétroactivement au moment de la mise en accusation. Votre comité estime que, pour les personnes qui sont mises en accusation, mais qui n'ont pas été déclarées coupables, cette mesure pourrait avoir un effet particulièrement grave et prolongé sur l'expression, en raison notamment de l'incertitude qu'elle créerait d'emblée quant au droit d'auteur éventuel, du seul fait de la mise en accusation.

Conscient que la garantie relative à la liberté d'expression protège l'auditeur autant que le locuteur, votre comité s'inquiète aussi de ce que le projet de loi C-220 puisse aussi limiter le droit qu'ont les Canadiens, en vertu de la Charte, de prendre connaissance de l'éventail le plus large possible d'oeuvres traitant de sujets importants pour la société.

L'étude de l'histoire récente de la justice pénale au Canada à laquelle votre comité s'est livré soulève une autre question troublante, celle de savoir si le projet de loi C-220 pourrait priver les personnes injustement condamnées de la possibilité de présenter leur cause au public. Votre comité estime que le manque de précision de l'expression «qui correspond essentiellement» et du terme « collaboration » pourrait créer encore plus d'incertitude quant aux oeuvres auxquelles ces termes pourraient s'appliquer et, par conséquent, les assujettir à l'expropriation du droit d'auteur.

Votre comité s'inquiète de ce que le projet de loi C-220 accorderait à la Couronne un rôle de censeur doté du pouvoir de contrôler la diffusion des oeuvres des personnes déclarées coupables. L'à-propos de conférer un tel rôle soulève un grave problème en raison de l'obligation explicite du gouvernement de respecter les valeurs de la Charte.

Votre comité tient compte également de ce qu'en vertu du système canadien de justice pénale, le dépôt d'accusations n'aboutit pas forcément à un verdict et qu'on ne peut présumer du caractère définitif des déclarations de culpabilité. Les condamnations injustes ne sont pas du domaine de la fiction, les déclarations de culpabilité peuvent être cassées en appel, de nouveaux procès peuvent être ordonnés et des déclarations de culpabilité peuvent être annulées pour des motifs techniques ou constitutionnels. De l'avis de votre comité, l'absence, au projet de loi C-220, soit dans les dispositions relatives à la peine, soit ailleurs, de garanties ou d'exceptions de procédure destinées à pourvoir à ces cas est très inquiétante.

Même s'il croit que le projet de loi C-220 enfreint la Charte, votre comité s'est demandé si ce projet de loi serait quand même efficace à titre de mesure visant à répondre à un besoin pressant du public ou à un objectif urgent relatif à l'ordre public. Votre comité comprend le point de vue du parrain du projet de loi selon lequel les législateurs devraient veiller à ce que la société soit protégée contre l'éventualité d'une conduite inacceptable et que même si le projet de loi C-220 est jugé contraire à la liberté d'expression, les tribunaux jugeraient cette dérogation justifiée.

Votre comité croit que, pour être efficaces, les dispositions législatives ne doivent pas avoir pour seul souci de prévenir une éventualité, mais elles doivent répondre à un problème social réel. Dans son examen du projet de loi C-220, votre comité n'a entendu aucun témoignage faisant état de l'existence au Canada d'un problème national urgent ou d'un tort social réel découlant de la réalisation ou de la publication d'oeuvres par des personnes qui y traitent de leurs crimes. Le poids des témoignages va plutôt dans le sens opposé.

Bien qu'il soit pleinement conscient de la crainte que les victimes de crimes haineux ressentent face à la possibilité d'un tel tort, votre comité est d'avis, selon la compréhension qu'il a de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada relative à la Charte, qu'il est peu probable que les tribunaux canadiens concluent qu'il existe présentement un mal social d'une ampleur telle qu'il justifierait les mesures radicales envisagées dans le projet de loi C-220.

Le partage des compétences

Au titre du partage des pouvoirs que prévoit la Constitution, la compétence sur le droit d'auteur appartient au Parlement du Canada. Votre comité est d'avis que l'expropriation proposée du droit d'auteur et des produits de celui-ci peut cependant équivaloir à une confiscation de biens, lequel acte relève de la compétence des provinces sur la propriété et les droits civils.

Obligations internationales du Canada

Votre comité est conscient qu'à titre de signataire de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques depuis 1928, le Canada a convenu d'adhérer aux normes de protection minimales du droit d'auteur en vertu de cette Convention. De plus, l'Accord de libre-échange nord-américain et l'Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l'Organisation mondiale du commerce obligent expressément le Canada à respecter les dispositions attributives de droits de la Convention.

Votre comité estime que l'expropriation du droit d'auteur envisagée dans le projet de loi C-220 est incompatible avec les obligations internationales auxquelles le Canada est soumis en vertu de ces textes. Votre comité est conscient qu'en vertu de la Convention, il existe une exception aux normes qu'elle établit permettant aux États d'exercer certaines restrictions aux droits d'un auteur dans l'intérêt de l'ordre public. Votre comité a examiné cette exception et est persuadé que son libellé n'est pas assez général pour autoriser l'expropriation proposée dans le projet de loi C-220.

Votre comité connaît les dispositions de transfert du droit d'auteur que comporte la Loi sur le droit d'auteur, mais il estime qu'il n'est pas possible d'établir d'analogie entre ces dispositions et le mécanisme que propose le projet de loi C-220. Les dispositions existantes sur le droit d'auteur s'appliquent aux relations contractuelles ou aux relations d'emploi qui comportent obligatoirement l'indemnisation financière. De plus ces dispositions permettent aux parties de se soustraire à leur application, ce que le projet de loi C-220 ne permet pas.

Modifications proposées au projet de loi C-220

Votre comité a soigneusement examiné les modifications suggérées par le parrain du projet de loi en réponse aux problèmes mentionnés à l'égard du projet de loi C-220 au cours des audiences initiales. Certains de ces problèmes sont évoqués dans les paragraphes qui précèdent.

Le fait de retirer du projet de loi C-220 la nouvelle définition des «produits de la criminalité» aurait pour effet d'éliminer une disposition qui, de l'avis même aussi du parrain du projet de loi, devenait superflue en raison des dispositions du projet de loi portant sur le droit d'auteur.

Votre comité s'inquiète cependant de l'effet que produirait le retranchement de l'expression «et toute oeuvre liée à l'infraction» de la disposition relative à la détermination de la peine du projet de loi C-220, tel que propose de le faire le parrain du projet de loi. Votre comité estime que le fait d'axer le libellé de cette disposition sur la personne déclarée coupable plutôt que sur son oeuvre pourrait assujettir des oeuvres sur n'importe quel sujet à l'examen institué en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.

Votre comité s'est aussi demandé si la proposition qui aurait pour effet de ne rendre le projet de loi C-220 applicable qu'aux « actes criminels » modifierait de façon importante la portée du projet de loi. Votre comité est conscient qu'en vertu de la Loi d'interprétation fédérale, l'infraction «est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation». En présumant que la proposition restreint le projet de loi aux infractions effectivement poursuivies par mise en accusation, le projet de loi continuerait, de l'avis de votre comité, à englober une gamme trop grande d'infractions. Au nombre de celles-ci, on compte non seulement de nombreuses infractions non violentes, mais aussi, à ce qu'il semble, des actes criminels créés par d'autres textes que le Code criminel.

Votre comité a noté de façon particulière qu'en vertu des modifications soumises par son parrain, le projet de loi C-220 comporterait toujours, comme composante fondamentale, le mécanisme d'expropriation du droit d'auteur. Le transfert du droit d'auteur à la Couronne serait assorti d'une obligation pour celle-ci de concéder une licence gratuite aux personnes désirant publier les oeuvres dont le droit d'auteur a été exproprié, à la condition que la personne déclarée coupable n'en tire aucun profit. Votre comité reconnaît que cette proposition vise à répondre aux critiques selon lesquelles le projet de loi réduirait ou pourrait réduire l'accès à la publication. Votre comité ne croit pas que cette proposition atténue le problème relatif à la liberté d'expression qui découle essentiellement de l'expropriation elle-même.

Votre comité souligne que dans l'éventualité où une oeuvre serait susceptible de provoquer l'indignation morale, le fait de soumettre la Couronne à l'obligation d'accorder une licence gratuite autorisant la publication de cette oeuvre paraîtrait tout à fait inopportun. L'obligation proposée paraît en outre incompatible avec l'interdiction générale des licences obligatoires prévue aux termes de la Convention de Berne.

Après examen approfondi, votre comité a donc conclu que les modifications proposées au projet de loi C-220 par le parrain de ce dernier ne résolvent pas les problèmes fondamentaux quant à sa constitutionnalité, aux obligations internationales du Canada en matière de droit d'auteur et à sa portée trop générale.

Commentaire

Votre comité apprécie grandement les efforts déployés par le parrain du projet de loi afin de répondre de façon constructive aux nombreuses questions soulevées devant le comité et prend acte des remerciements que de ce dernier a exprimés au comité pour l'examen sérieux, équitable et franc qu'il a fait du projet de loi C-220.

Votre comité a examiné la proposition que lui a faite le parrain du projet de loi pour l'inviter à améliorer le projet de loi par voie de modifications et remercie le parrain d'avoir offert au comité de l'aider à accomplir cette tâche. Après avoir longuement réfléchi à la question, votre comité ne croit pas que le projet de loi C-220 soit susceptible de correction par voie de modifications. De plus, votre comité n'estime pas que la nouvelle rédaction complète qu'il faudrait en faire, de l'avis du comité, pour que le projet de loi résiste à la contestation constitutionnelle, relève de son mandat.

Suggestions à l'attention du gouvernement

Les questions que soulève le projet de loi C-220 sont complexes et il n'y existe pas de solution simple.

Bien que, d'après les témoignages qu'il a reçus, il ne soit pas convaincu qu'une intervention législative est requise d'urgence au Canada, votre comité reconnaît que l'idée que des personnes déclarées coupables de certains crimes graves contre la personne puissent retirer des bénéfices de la représentation de ces crimes constitue une question légitime d'intérêt public que les gouvernements devraient être prêts à régler par des mesures législatives.

Votre comité est d'avis que la méthode la plus prometteuse pour aborder cette question avec efficacité et équité, dans le respect de la Constitution, consiste à procéder de manière ciblée et circonspecte.

Dans cette optique, les suggestions de votre comité se concentrent sur deux formules. La première porte sur la réglementation de l'utilisation des recettes des produits de la criminalité à des fins d'indemnisation des victimes. La seconde envisage la possibilité d'utiliser la compétence fédérale sur le droit pénal pour ce qui a trait à la représentation du crime.

L'indemnisation des victimes

Comme il l'a déjà signalé, votre comité est persuadé que le réglementation de la disposition des produits de la criminalité relève du domaine de «la propriété et des droits civils» et, en conséquence, est carrément de la compétence législative des provinces.

Votre comité sait que, à cet égard, le souci principal d'un certain nombre de victimes -- un grand nombre peut-être --, est de faire en sorte que les criminels ne tirent aucun profit de la représentation de leurs crimes. Pour d'autres victimes, la possibilité d'obtenir une indemnisation financière grâce aux produits de cette représentation semble plus importante. Votre comité sait aussi qu'en vertu du droit canadien, les recours civils existants permettent aux victimes d'un acte criminel de demander un redressement par injonction ou une réparation sous forme de dommages-intérêts, dans la cas où une personne déclarée coupable tente de publier ou publie effectivement un ouvrage racontant son crime. Votre comité est sensible à l'opinion selon laquelle ces recours peuvent représenter un fardeau supplémentaire pour les victimes.

Pendant ses audiences, votre comité a appris qu'au cours des dernières années, la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada a étudié avec attention les questions relatives aux produits de la représentation du crime. Votre comité sait que la Conférence sur l'uniformisation des lois, qui compte des participants de nombreux domaines du droit, favorise l'uniformisation des lois dans l'ensemble du Canada dans les domaines où l'uniformité est possible et serait avantageuse.

Votre comité croit que le projet modèle intitulé Loi sur l'exploitation financière du crime préparé dans le contexte des travaux de la Conférence sur l'uniformisation des lois porte sur les préoccupations des victimes tout en adoptant une solution convenablement modérée pour ce qui a trait à la portée et à la constitutionnalité de son application.

Le projet de loi type de la Conférence sur l'uniformisation des lois respecte le partage des compétences en ce qu'il ne vise ni la légalité de la représentation du crime, ni ne porte sur le droit d'auteur. De l'avis de votre comité, le projet de loi modèle est particulièrement remarquable en ce que son application se limiterait à la représentation de crimes violents et graves précis. Les produits de telle représentation seraient répartis entre les victimes par un organisme provincial habilité à cette fin, en se fondant sur une évaluation à laquelle procéderait ce même organisme à l'égard des torts subis. Cette solution diffère fondamentalement des lois actuelles de l'Ontario et des États-Unis en vertu desquelles le droit des victimes à une indemnisation est conditionnel à l'adjudication de dommages-intérêts par les tribunaux.

Une autre caractéristique louable que votre comité a remarquée dans le projet de la Conférence sur l'uniformisation des lois est celle qui a trait aux problèmes relatifs à la liberté d'expression. Le texte législatif autoriserait un tribunal à ordonner le paiement de la totalité ou d'une partie des sommes à une personne déclarée coupable si le fait de retenir ces sommes constituait une violation injustifiée de la liberté d'expression. Au moment de déterminer s'il y a lieu de rendre une telle ordonnance, le tribunal aurait le devoir d'assurer l'équilibre entre les droits que confère la Charte à la personne déclarée coupable et le but des dispositions législatives, et de tenir compte des circonstances du crime, de l'objet de la représentation et de ses conséquences éventuelles sur la victime et de sa valeur pour la société.

Votre comité comprend qu'à la suite d'un processus long et complexe, le projet de loi type de la Conférence sur l'uniformisation des lois a reçu l'appui de nombreux procureurs généraux et d'autres autorités judiciaires partout au pays. Conscient que cet appui ne lie pas les parties, votre comité encourage les gouvernements provinciaux à prendre des mesures concrètes en vue de faire adopter cette loi type par leurs législatures respectives.

La compétence en matière de droit pénal

Votre comité n'est pas convaincu que les questions que soulève la représentation de leurs crimes par les criminels doivent se limiter à celles qui ont trait aux bénéfices et à l'indemnisation. Votre comité se soucie que le fait même de leur représentation à des fins de diffusion publique puisse, dans de rares cas de crimes particulièrement abominables contre la personne, causer suffisamment de tort pour justifier l'adoption d'une mesure en matière de droit pénal.

Votre comité est conscient que le paragraphe 163(8) du Code criminel définit comme criminellement «obscène toute publication dont une caractéristique dominante est l'exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l'un ou plusieurs des sujets suivants [...]: le crime, l'horreur, la cruauté et la violence.» L'article 163 s'appliquerait probablement à un certain nombre de représentations dangereuses de crimes haineux contre la personne, dont votre comité se préoccupe. Cependant, tous ces crimes ne comportent pas une caractéristique sexuelle et leur représentation ne se concentrerait pas forcément sur leur caractère sexuel.

Votre comité estime qu'il pourrait être opportun d'envisager d'étendre la définition de l'obscénité afin de rendre criminelles les oeuvres dominées par l'exploitation indue ou la glorification du crime, de l'horreur, de la cruauté et de la violence, indépendamment de l'aspect sexuel. Votre comité a noté de façon particulière que les dispositions du Code criminel relatives à l'obscénité ont résisté à l'examen de la Cour suprême du Canada à l'égard de la Charte.

Votre comité croit que pour respecter les principes de la Charte, toute répression en droit pénal relative à l'acte de relater un crime, si elle est possible, devrait être fondée très strictement sur un critère de tort. Il faudrait en outre prévoir des garanties de procédure et de fond qui feraient en sorte que les motifs graves d'intérêt public soient le fondement de toute nouvelle mesure répressive.

En procédant à l'examen de cette question, votre comité s'est penché sur un certain nombre d'autres considérations. À cet égard, le comité a notamment réfléchi à la possibilité d'autoriser les tribunaux à interdire certaines représentations de crimes haineux dans des cas précis, soit dans le contexte de la détermination de la peine, soit autrement. Les délibérations de votre comité sur cet aspect ont établi la nécessité de veiller à ce que les personnes injustement déclarées coupables de crimes haineux ne soient pas privées d'une tribune publique qui pourrait leur permettre de faire valoir leur cause. Votre comité est en outre persuadé de la nécessité de pourvoir à d'autres exceptions à toute interdiction criminelle, lesquelles seraient applicables en fonction de facteurs tels l'éventuelle valeur sociale ou culturelle d'une oeuvre donnée.

Votre comité est d'avis que cette question et certaines autres questions qui s'y rattachent méritent d'être examinées plus à fond. Votre comité suggère donc que le ministre fédéral de la Justice examine si le pouvoir en matière de droit pénal pourrait servir à réglementer la représentation de crimes haineux contre la personne et comment, le cas échéant, il devrait le faire. Votre comité sait qu'en plus de disposer des ressources importantes du ministère, le ministre peut, à cette fin, faire aussi appel à la Commission du droit du Canada afin de préparer des rapports sur différents sujets. Votre comité est d'avis que cette question pourrait faire l'objet du programme de recherches de la Commission du droit du Canada, soit sur renvoi de la part du ministre ou de la propre initiative de la Commission.

Enfin, votre comité note que le comité permanent de la Chambre des communes de la justice et des droits de la personne a entrepris une étude sur le rôle des victimes au sein du système de justice pénale. Votre comité suggère que cette étude comporte des consultations auprès des victimes et des groupes de victimes afin d'obtenir leur avis sur les torts réels ou éventuels découlant de la représentation de crimes haineux.

Respectueusement soumis,

La présidente,

LORNA MILNE


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