Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 32 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 30 septembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-37, modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 37 pour l'étude du projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Notre témoin est M. David Scott, président de la commission de 1995 sur le traitement et les avantages des juges.
Nous sommes impatients d'entendre vos remarques, monsieur Scott.
M. David Scott, président, Commission de 1995 sur le traitement et les avantages des juges: Je tiens à réaffirmer que je suis l'un des auteurs de ce rapport. Les deux autres auteurs sont Michel Vennat, éminent avocat chez Stikeman Elliot à Montréal, et Barbara Rae, très réputée femme d'affaires de Vancouver. La contribution de Mme Rae nous a été précieuse, car elle nous a fait profiter de son expérience en matière de gestion du personnel sans le moindre rapport avec la magistrature. Étant donné que, personnellement, j'ai passé toute ma vie dans les tribunaux, il m'est difficile d'être complètement détaché de ce monde.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Votre rapport est très intéressant. Ma question concerne la page 28 de votre rapport où vous recommandez que la Loi sur les juges prévoie le versement au conjoint de fait, dans les circonstances légalement applicables, d'une rente viagère de conjoint survivant. Je n'ai pas de difficulté avec la question du paiement des pensions parce que cela tombe sous l'article 100 de la Constitution. Tout est parfait sur ce plan.
Pour les conjoints de fait, que voulez-vous dire par la phrase: «nous recommandons que la Loi sur les juges prévoie le versement au conjoint de fait, dans les circonstances légalement applicables.»
[Traduction]
S'agit-il de la législation provinciale ou fédérale? Qu'entendez-vous par là?
M. Scott: Il s'agit de situations juridiques où une personne est considérée comme un conjoint de fait, ce qui suppose une certaine période de cohabitation. Nous n'avions pas l'intention de définir certains cas précis, mais plutôt d'appliquer aux conjoints de fait des juges les règles concernant les conjoints de fait ayant établi des droits conformément aux lois provinciales dans toutes les provinces.
Le sénateur Beaudoin: Certains de mes collègues reviendront à la question du conjoint de fait.
Le sénateur Murray: On parle du principe que les deux conjoints d'une union libre sont légalement libres de se marier; autrement dit, ils ne sont pas mariés à une autre personne.
M. Scott: Permettez-moi de dire d'entrée de jeu que je ne suis pas avocat spécialisé en droit de la famille. Toutefois, je ne pense pas que la définition d'un conjoint de fait suppose la liberté de se marier. Si je comprends bien votre question, vous dites que si la personne est déjà mariée, il lui est impossible d'être un conjoint de fait.
Le sénateur Murray: Il ou elle n'est absolument pas en mesure de se marier légalement avec quelqu'un d'autre.
M. Scott: Je me trompe peut-être, mais je ne pense pas que cela empêche qui que ce soit d'être un conjoint de fait. D'après mon interprétation, cette personne peut tout à fait être considérée comme un conjoint de fait.
Le sénateur Beaudoin: Revenons-en à la première question sur la commission. Je n'ai rien à redire à l'existence de celle-ci. Que nous le voulions ou non, il n'en demeure pas moins que la Cour suprême a déjà statué que pour protéger l'indépendance de la magistrature, il nous faut une institution comme la commission. Je sais que le juge La Forest a exprimé une opinion divergente sur ce point, mais la majorité des juges de la cour sont d'avis que cette commission est nécessaire pour garantir l'indépendance judiciaire.
Qu'en pensez-vous? Sauf erreur, le rapport n'est pas obligatoire pour les appareils législatif et exécutif, mais si le Parlement ou le gouvernement ne sont pas d'accord, ils doivent fournir une justification, au besoin devant un tribunal.
Avez-vous étudié le problème pour votre rapport?
M. Scott: Sénateur, après avoir lu la transcription de certaines de vos délibérations, la seule chose qui m'ait quelque peu inquiété, ça a été d'entendre certains témoins déclarer que le système de la commission triennale est satisfaisant et qu'il ne faut rien y changer.
Mes collègues et moi étions parfaitement d'accord pour dire que le système de la commission triennale est non seulement imparfait, mais qu'il est carrément inutile. Cela paraît peut-être très attrayant à première vue, mais rien ne s'est jamais passé. Nous étions fermement convaincus que, comme nous l'affirmons dans notre rapport, c'est devenu un simple mécanisme qui permet au gouvernement de l'heure de ne rien faire au sujet des juges, car prendre des mesures à l'égard des juges est une initiative très peu populaire.
Le débat actuel est presque unique en son genre. Auparavant, personne ne voulait rien faire pour les juges croyait qu'ils étaient très bien lotis. Étant donné qu'ils ont un emploi garanti, droit à pension, et cetera, il n'y a aucune raison de s'occuper d'eux. Sur le plan politique, ce n'est pas très bien vu de se préoccuper des juges.
Lorsque notre commission a été nommée et que nous avons débuté nos travaux, nous avons lu ce qui s'était produit auparavant. Toutes les commissions précédentes avaient déclaré que le système ne fonctionnait pas. Le gouvernement n'a donné suite à aucune des idées intéressantes de réforme dans les domaines comme la rémunération et les indemnités, pas plus qu'il n'a retenu les propositions de remaniement du système de commission triennale. L'idée principale de notre rapport c'est qu'il faut changer ce système.
Heureusement, la Cour suprême du Canada a rendu en même temps sa décision dans l'affaire de l'Île-du-Prince-Édouard. Ce fut une vraie surprise pour nous, car nous n'avions pas envisagé une telle chose, même si elle me paraît tout à fait justifiable. À notre avis, le gouvernement devrait être obligé de réagir aux opinions exprimées par la commission triennale. En outre, nous avons estimé qu'il devrait être obligé de déposer un projet de loi et de faire quelque chose pour légitimer le processus de consultation des Canadiens dans le cadre de cette étude prolongée, pour que ce projet de loi ne soit pas simplement renvoyé par un comité et qu'il disparaisse de la circulation.
Ce qui importe le plus à mes yeux, c'est que ce comité et tous ceux qui seront responsables du processus, reconnaissent que le système de commission triennale n'est pas satisfaisant.
D'après ce que je sais, le projet de loi ne prévoit pas ce qu'a proposé la commission, à savoir une exigence pour déposer le projet de loi -- et je pense que c'est peut-être une attente peu réaliste -- mais le gouvernement devra répondre d'une façon ou d'une autre. C'est pourquoi à la suite de la décision du tribunal, tout le processus fera l'objet d'une révision judiciaire et le critère sera la rationalité.
Je dois avouer que j'ai lu les témoignages très impressionnants fournis par des professeurs de droit devant votre comité. Je ne suis pas aussi inquiet qu'eux. Mis à part l'aspect constitutionnel, un critère de rationalité pour un rapport de commission comme celui-ci sera à mon avis un seuil très facile à atteindre pour le gouvernement du jour. S'il est impossible de remplir ce critère, mises à part toutes les exigences constitutionnelles, qu'y a-t-il de mal avec l'idée avancée par le tribunal?
En tant que membre de cette commission, je crois qu'il faut faire quelque chose pour résoudre le problème. Le projet de loi y contribue en partie. La décision de la Cour suprême et ce qu'elle implique sont une autre question.
Le sénateur Beaudoin: Je comprends votre point de vue que je respecte vivement. Toutefois, que se passe-t-il si le gouvernement n'est pas d'accord? La grande majorité des juges de la Cour suprême ont déclaré que les appareils exécutif et législatif devraient justifier leur opinion. En fin de compte, si on en arrive à ce qu'on appelle une impasse, la cour pourra trancher en fonction de la rationalité.
M. Scott: Faut-il dire au gouvernement qu'il doit indiquer ses motifs? Les juges n'aiment pas qu'on leur dise qu'ils doivent fournir des motifs, et il est donc un peu choquant que les juges disent au Parlement de le faire.
En un mot, il s'agit d'un critère de rationalité et cela ne m'affole pas autant que d'autres.
Le sénateur Joyal: Nous avons essayé de comprendre les modifications fondamentales au principe de la Constitution découlant de cette proposition dans le projet de loi C-37. En un mot, aux termes de l'article 100 de la Constitution, c'est au Parlement du Canada qu'il incombe de faire en sorte que les juges obtiennent une rémunération adéquate. La commission triennale n'a pas fourni un résultat satisfaisant au cours d'un délai raisonnable. Il nous semble que, de l'avis des juges, nous devrions en arriver à l'autre extrême, à savoir que le Parlement renonce à sa responsabilité d'avoir le dernier mot en votant les crédits nécessaires au paiement des traitements. C'est mal, à mon avis. C'est une chose de dire que le Parlement a fait de l'obstruction, mais si l'on veut que le Parlement assume comme il se doit sa responsabilité, il faut modifier le système en prévoyant un délai au bout duquel il faut en arriver à un résultat, qu'il soit positif ou négatif. Je peux le comprendre et je pense que tout citoyen raisonnable peut le comprendre également.
Ce qui échappe à l'entendement, c'est que la commission n'ait aucun paramètre pour décider de ce que représente une juste augmentation. Le projet de loi ne renferme aucun critère définissant la marge de manoeuvre dont dispose la commission pour décider de ce qui constitue une augmentation raisonnable, quelles que soient les raisons qu'elle trouve justes. Notre problème, c'est que si le gouvernement ne donne pas suite aux recommandations du comité de la Chambre des communes ou du Sénat, ni même aux critères de ses propres politiques financières, le tribunal pourra décider qu'il y a litige et le gouvernement devra justifier sa décision devant le tribunal. Nous serons donc à la fois juge et partie dans ce genre de cause. C'est pourquoi il faut trouver une façon de perfectionner la solution qui nous est proposée.
Vous avez passé beaucoup de temps aux côtés de personnes érudites à étudier la rémunération des juges. En va-t-il de même dans d'autres pays -- c'est-à-dire, les juges ont-ils le dernier mot quant à leur augmentation de traitement et les gouvernements des pays en question doivent-ils respecter les rapports des commissions parce qu'il leur est impossible de dire «non»? Au Canada, la fonction publique et les forces armées, entre autres, se sont vu imposer un gel des salaires. Les juges sont comme les autres: ils font un effort. Je ne m'oppose pas à l'idée d'une augmentation de traitement. En fait, les juges sont même sous-payés à mon avis. Toutefois, pour ne pas en arriver à l'autre extrême, il faut protéger les principes dans le nouveau système que nous mettons en place. Ne peut-on pas trouver un juste milieu par rapport au système précédent, qui n'a pas donné de résultats satisfaisants pour nos érudits juges? Peut-on opter pour l'autre solution? Il y a peut-être une autre façon d'améliorer le système.
M. Scott: La distinction que vous faites est la bonne. La décision du tribunal selon laquelle les juges doivent avoir le dernier mot quant à leur traitement est une question; le fait que le gouvernement doive remplir un critère de rationalité comme le propose le tribunal en est une autre.
Pour ce qui est de la commission et de l'analyse qui constitue une rémunération, il y a des antécédents. Avant 1981, il n'existait aucune évaluation indépendante. La commission triennale a été créée en vertu de la loi en vue de donner au Parlement un avis indépendant sur ce qui constituait une juste rémunération. Se fonder sur des critères ne serait pas une bonne idée. Comment procéder? Faudrait-il fixer des plafonds? Non. La commission -- c'est-à-dire, à supposer que les membres qui la composent soient bien choisis -- devrait avoir les coudées franches quant aux solutions qu'elle propose. Elle doit ensuite présenter un rapport. Jusque-là, il y a des antécédents à cette façon de procéder.
Que se passe-t-il ensuite? Dans notre mémoire, nous disons que quelque chose doit se produire, et qu'il ne faut pas en rester là.
Le sénateur Moore: Dans un certain délai?
M. Scott: Oui. Autrement, ce n'est que de la théorie. Il faut que quelque chose se produise.
J'accepte le postulat selon lequel aux termes de la Constitution, c'est au Parlement qu'il revient de décider. Le Parlement devrait avoir le dernier mot. Nous parlons du mécanisme qui garantit que quelque chose se passe. Le projet de loi, qui ne va pas aussi loin que nous l'espérions, stipule que dans un délai fixe, le gouvernement doit réagir par un énoncé de principe. Le tribunal affirme que le gouvernement doit justifier sa décision et que le tribunal aura ce pouvoir de révision judiciaire. Il serait intéressant de savoir si les gens estiment que c'est souhaitable. Le tribunal s'est prononcé, et que va-t-il se passer maintenant?
Il s'agit maintenant de prendre une décision quant à la nature de la commission, à sa composition et à son champ de compétence. Il importe que ceux qui sont choqués par l'attitude des juges ne perdent pas cela de vue. Ce qui m'intéresse davantage, c'est ce qui se passera ensuite et la garantie que nous aurons une commission pratique et en mesure de faire son travail.
Le sénateur Joyal: Je suis tout à fait d'accord avec vous, tout comme certains de mes collègues autour de la table, quand vous parlez de délai et de l'adoption d'une sorte d'échéancier obligatoire, de sorte qu'une solution soit atteinte lorsque le délai est écoulé. Tout le monde est d'accord.
J'ai une petite réserve quant à votre déclaration selon laquelle il ne faut pas adopter de critères. Même la Cour suprême du Canada a déclaré que la commission devrait se fixer certains critères. La majorité des juges se sont dits d'avis que l'organisme devait se réunir si un certain délai s'était écoulé depuis son dernier rapport afin d'étudier l'insuffisance du traitement des juges en tenant compte du coût de la vie et d'autres facteurs pertinents. Même la Cour suprême du Canada a admis qu'il qu'il doit exister certains facteurs.
On ne peut pas laisser ainsi toute liberté à une commission en disant «discutons pour voir s'il faut ou non augmenter le traitement des juges». Les juges de l'Australie ont peut-être eu une augmentation de traitement l'an dernier. Les nôtres diront peut-être: «Nous travaillons aussi fort qu'eux, et nous avons donc droit à la même augmentation.» Il faut qu'il existe des critères. Le Conseil du Trésor négocie avec le syndicat et il y a des critères. Le gouvernement du Québec va entreprendre des négociations avec les enseignants, les syndicats et tous les autres services. Il se fondera sur des critères comme l'équité, la rémunération, et une foule d'autres principes qu'il souhaite mettre en vigueur.
À mon sens, il n'est ni antidémocratique ni injuste envers les juges d'exiger que la commission respecte des critères précis, au lieu de nous présenter un rapport général en disant que les juges sont des gens très bien qui sont érudits et qui renoncent à une partie de leur liberté de vie au sein de la société parce qu'ils sont considérés comme des symboles de droiture, et cetera. Nous le savons tous.
Façonnons le mandat de la commission pour que le Parlement ait l'impression que ces personnes ne sont pas simplement à la recherche d'une augmentation quelconque -- surtout si nous exigeons qu'elle fournisse un résultat à la fin du processus. C'est une chose d'avoir tout d'un côté et rien de l'autre. À mon avis, cela représente un juste équilibre entre les deux et même la Cour suprême l'a admis.
M. Scott: Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je ne prétends pas que la commission doive fonctionner de façon arbitraire. Je ne sais pas s'il faut être très précis. Le tribunal a dit: «et les autres critères pertinents». Faudra-t-il désormais définir les critères dans la loi? Les commissions triennales précédentes -- et oublions la nôtre pour l'instant -- ont suivi le même processus, c'est-à-dire qu'elles se sont penchées sur les niveaux de traitement dans le secteur privé, parmi les membres du barreau, et au gouvernement. Puis elles ont fait des comparaisons en tenant compte de la hausse du coût de la vie. Voilà le critère pertinent.
Si vous parlez de critères stricts, par exemple savoir si le traitement des juges doit être évalué par rapport à celui des fonctionnaires, nos amis américains sont justement en train de laisser tomber ce système. Ils appliquent un régime de rémunération par échelon et essaient de le supprimer. Je ne dis pas qu'il ne devrait y avoir aucun critère, mais lorsqu'on commence à élaborer des critères, on risque de créer un monstre. Ces commissions devraient tenir compte de tous les facteurs pertinents -- et évidemment pas de facteurs futiles ou arbitraires. Il ne faut pas qu'elles se limitent aux hausses du coût de la vie, même si cela paraît logique à première vue. Je ne sais pas quel devrait être le critère pertinent.
Le sénateur Joyal: Lorsque vous avez rédigé votre rapport, vous vous êtes fondés sur un certain nombre de critères. Lesquels?
M. Scott: C'étaient exactement les critères que l'on utiliserait pour faire ce genre de travail. Personne ne nous a fourni de critères. Nous avons tenu compte du niveau de rémunération actuel des juges, de leur rémunération antérieure, de la rémunération des juges dans d'autres pays, de celle de groupes comparables aux juges et de la situation des juges. La question à prendre en ligne de compte ne posait pas de problème. Le processus de détermination des questions à étudier était important, mais il n'y avait rien de définitif pour nous.
Ce qui nous tenait à coeur, c'était de savoir s'il fallait nous en tenir à un niveau de rémunération en vigueur dans la fonction publique. Cela a toujours été un sujet de discussion traditionnel au sein de ces commissions. Cela mis à part, il n'a pas été trop difficile de choisir les questions à étudier.
Le sénateur Bryden: Sauf erreur, aux termes du projet de loi, la recommandation du gouvernement, fondée sur le rapport de la commission, sera présentée au Parlement et adoptée par ce dernier. Est-ce exact?
M. Scott: Oui.
Le sénateur Bryden: Si je ne m'abuse, il y a au moins deux cas où le tribunal affirme clairement qu'il peut intervenir. Tout d'abord, il peut le faire si la commission proprement dite, à l'instar de tout autre tribunal administratif, est accusée d'avoir outrepassé son champ de compétence. Dans ce cas-là, le tribunal peut casser la décision de la commission. Il ne peut sans doute pas imposer sa propre décision à la place, mais il peut demander à la commission de se pencher à nouveau sur la question. C'est la procédure normale en droit administratif.
Le tribunal semble partir du principe que, si le gouvernement donne suite au rapport de la commission et que quelqu'un déclare qu'il a pris une décision illogique, cette personne peut demander au tribunal de procéder à une révision judiciaire de la décision du gouvernement. Cette révision pourrait, selon le cas, permettre l'annulation de cette décision. Est-ce bien vrai?
M. Scott: Oui. D'après mon interprétation, le principe de la décision est que le critère de rationalité est lié à l'empiétement sur l'indépendance. Autrement dit, si l'on agit de cette façon, c'est pour préserver l'indépendance de la magistrature. Je suis toutefois d'accord avec ce que vous avez dit.
Le sénateur Bryden: Je ne veux pas faire intervenir le critère de «la personne raisonnable omniprésente», sur lequel débouche le critère de la rationalité, mais j'aimerais aller un peu plus loin.
La commission formule ses recommandations qui sont acceptées par le gouvernement. Ce dernier rédige un projet de loi et le présente au Parlement. Ce dernier débat du projet de loi et le rejette. En fonction du critère de l'indépendance prévu dans la Constitution, est-il possible de demander à un juge d'annuler la loi du Parlement parce qu'elle enfreint la Loi constitutionnelle, laquelle garantit l'indépendance des juges?
M. Scott: Pardonnez-moi, car je ne connais rien au régime parlementaire. Si le Parlement rejette le projet de loi, toutefois, y a-t-il une loi du Parlement?
Le sénateur Bryden: Permettez-moi de reformuler la question. Disons que la loi du Parlement est adoptée, mais elle accorde aux juges seulement 1 $.
Ce qui inquiète certains d'entre nous c'est que, après l'adoption de documents comme la Charte des droits et libertés, le Parlement a été autorisé à conserver très peu de droits parlementaires réels par rapport aux tribunaux. L'entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés a marqué la fin de la suprématie du Parlement. Ce dernier a toujours protégé jalousement son droit à l'égard des impôts et taxes -- les deniers publics.
C'est ce qui préoccupe un certain nombre d'entre nous. Les tribunaux affirment-ils maintenant, sous prétexte de protéger l'indépendance de la magistrature, que les décisions des juges peuvent l'emporter sur celles du Parlement, et qu'une décision particulière est illogique et entrave l'indépendance constitutionnelle de la magistrature?
M. Scott: Je crois que c'est ce qui se dit. Je vais vous expliquer pourquoi dans un instant. Si le gouvernement dépose un projet de loi qui n'est pas chaleureusement recommandé par la commission, et que le projet prend force de loi, sauf erreur, il est dit que les tribunaux peuvent intervenir au moyen d'une révision judiciaire. En fait, c'est un euphémisme car cela reviendrait à mettre en cause la constitutionnalité d'une loi. Toutefois, c'est de cette façon que le tribunal interviendrait. Il serait confronté à cette loi et il en irait exactement de même si le gouvernement proposait de donner suite aux recommandations et que le Parlement rejetait cette proposition. Je pense que votre analyse est bonne. Je me trompe peut-être, mais c'est mon interprétation de la question.
Que se passe-t-il si le Parlement adopte un projet de loi délibérément rédigé dans le but de contrôler le comportement des juges en les attaquant sur le plan économique? Que se passe-t-il si la commission déclare que les juges n'ont pas eu d'augmentation depuis 40 ans et qu'ils vivent au seuil de la pauvreté, et que pourtant le Parlement essaie de réduire encore leur traitement? Quel mécanisme existe-t-il pour résoudre ce problème?
Le sénateur Bryden: La réponse à votre question, c'est qu'il y aurait un autre Parlement. En démocratie, c'est la population chargée d'élire les parlementaires qui est l'arbitre en dernier recours et, si les parlementaires agissaient de façon aussi ridicule, ils seraient remplacés aux prochaines élections.
J'espère ne pas m'exprimer de façon trop simpliste, mais ce qu'il est à craindre c'est que, outre tous les autres pouvoirs dont jouit actuellement la Cour suprême, nous donnions désormais aux juges le pouvoir de percevoir des impôts. Autrement dit, ils seront en mesure de rejeter la décision du Parlement selon laquelle les Canadiens n'ont pas les moyens de faire telle ou telle chose, même si cela a été recommandé par la commission et par le gouvernement, et d'accroître la rémunération des juges. Il peut arriver que, une fois le processus terminé, le tribunal décide que le résultat est inadmissible.
Les juges vont-ils alors fixer le montant de leur rémunération, ou feront-ils ce qu'il est normal de faire, à savoir déclarer: «Remettez-vous au travail»?
M. Scott: Je pense que c'est ce qu'ils diront.
Le sénateur Bryden: Cela inquiète vivement bon nombre d'entre nous qui ont grandi dans la conviction que le Parlement détenait certains pouvoirs.
M. Scott: Je comprends bien, et je suppose que tout dépend du point de vue de chacun. J'aborde la question sous l'angle de l'indépendance de la magistrature. Pour prendre un exemple tiré par les cheveux, si un Parlement élu en bonne et due forme par les électeurs concluait que les magistrats agissent de façon débridée et qu'il décidait de leur nuire sur le plan économique, il serait réconfortant de savoir que le Gouverneur général pourra refuser de donner force de loi au projet de loi ou que l'on pourra avoir des élections. Sans doute que cette fois-là le Parlement exprimera la volonté du peuple.
Je comprends ce que vous voulez dire. Je comprends votre préoccupation.
Je serais très surpris que les juges de la Cour suprême du Canada, et les autres qui ont appuyé cette idée, aient envisagé de pousser les choses aussi loin que ce que vous nous dites.
Le sénateur Bryden: Je suis sûr qu'ils ne l'ont pas fait. Notre rôle, c'est de faire en sorte que l'on comprenne bien toutes les répercussions de ces déclarations.
À titre personnel, je suis préoccupé de voir que, pour la première fois en 130 ans, pour préserver l'indépendance de la magistrature, la Cour suprême demande le droit d'examen. Elle ne l'a jamais fait auparavant. Pourquoi est-ce soudain nécessaire à ce stade?
La présidente: Dans la même veine, si le tribunal annulait un projet de loi de ce genre, les juges n'auraient pas de pouvoir en matière d'imposition puisque les mesures législatives en vigueur seraient celles de la loi précédente, n'est-ce pas?
Le sénateur Bryden: Annuler le projet de loi signifie qu'il nous faut essayer à nouveau.
M. Scott: Cela signifie que le régime actuel restera en vigueur.
Le sénateur Bryden: Ils disposent indirectement de ce pouvoir car ils pourraient revenir à la charge en disant «Ajoutez encore 10 et 10 encore jusqu'à ce que nous obtenions un montant acceptable.»
Si les juges tranchent et déclarent qu'ils vont annuler le projet de loi pour des raisons constitutionnelles, la clause dérogatoire prend-elle alors effet ou est-il impossible qu'elle s'applique en l'occurrence?
M. Scott: Non, elle ne s'applique pas dans ces cas-là.
Le sénateur Murray: En vertu du processus prévu dans le projet de loi, la commission présente son rapport et le ministre de la Justice est obligé de le déposer devant les deux Chambres du Parlement dans les 10 jours. Le rapport doit ensuite être renvoyé à notre comité, au Sénat et à nos homologues de la Chambre des communes. Les comités ont 90 jours ouvrables pour présenter le rapport de leurs conclusions. Il est dit ensuite que «le ministre de la Justice donne suite au rapport au plus tard six mois après l'avoir reçu».
Sommes-nous certains que le ministre de la Justice a l'obligation de donner suite au rapport de la commission ou au comité parlementaire? Si vous examinez les notes en marge de la page 4, elles mentionnent «Étude en comité et rapport», «Définition de "jour de séance"» et «Suivi». Je pose la question parce que le Règlement de la Chambre des communes oblige le gouvernement à répondre aux rapports des comités parlementaires dans un certain délai. Nous n'avons pas la même règle au Sénat.
À ma connaissance, les ministres ou le gouvernement ne sont pas tenus, par la loi, de donner suite aux rapports des autres commissions, même s'ils peuvent être tenus de le faire.
M. Scott: Cette disposition vise à faire en sorte que le ministre donne suite au rapport de la commission. Que les sénateurs jugent cela souhaitable ou non, je crois que c'est le but recherché. C'est parce que, comme diverses commissions qui nous ont précédés, nous estimions que le gouvernement devrait être tenu de donner suite au lieu de se contenter de ne rien dire. C'est ainsi que j'ai compris les choses, mais je me trompe peut-être.
Le sénateur Murray: Nous devrions sans doute poser la question à la ministre.
La présidente: C'est une bonne question à poser aux représentants du ministère lorsqu'ils reviendront.
M. Scott: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Dans le même esprit que la question du sénateur Bryden, est-il vrai que, si le gouvernement s'oppose à la recommandation de la commission, il peut avoir à se justifier? Si j'ai bien compris le projet de loi, cela veut dire que le fardeau de la preuve incombe au pouvoir législatif. Ce n'est pas souvent le cas, mais c'est ce qui est prévu ici. La Cour suprême s'est prononcée sur cette question dans le renvoi des juges de la Cour provinciale.
Néanmoins, la cour ne peut intervenir que si la décision n'est pas rationnelle. C'est ainsi que je comprends la loi. Cela ne veut pas dire -- et je m'y opposerais énergiquement -- que la cour fixerait elle-même la rémunération. Ce serait tout à fait inacceptable. Je ne vois pas comment nous pourrions aller aussi loin.
Comment comprenez-vous la situation? Autrement dit, la cour pourrait dire: votre refus n'est pas rationnel. Cela veut dire qu'il faut réexaminer votre position.
M. Scott: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Cela ne veut pas dire plus, ce qui est déjà quelque chose.
M. Scott: Comme le dit le sénateur Beaudoin, c'est déjà quelque chose.
Le sénateur Beaudoin: Au moins, le pouvoir du tribunal porte sur le fait que la décision est irrationnelle et non pas sur la question de l'imposition, ce genre de choses. Je sais que la nuance est mince.
M. Scott: À tort ou à raison, il détermine si la décision est rationnelle ou non en fonction de la mesure dans laquelle l'indépendance des juges se trouve limitée. La décision n'a pas à être rationnelle sur le plan économique ou autre. Je me trompe peut-être, mais c'est ainsi que je comprends le jugement. La cour se préoccupe uniquement de la question de l'indépendance et c'est sur ce plan que la décision doit être rationnelle.
Le sénateur Beaudoin: Le sénateur Bryden a fait valoir que le tribunal avait le dernier mot.
M. Scott: Oui, mais ce n'est pas lui qui fixe la rémunération.
Le sénateur Beaudoin: Il ne fixe pas la rémunération, mais il demande que l'on réexamine le dossier?
M. Scott: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Les juges de la Cour suprême n'étaient pas unanimes, mais l'unanimité n'est pas nécessaire. Il y avait une forte majorité.
M. Scott: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Nous ne pouvons pas aller plus loin sur cette question précise. Que cela nous plaise ou non, le fait est que la Cour suprême s'est déjà prononcée en faveur du mécanisme que représente la commission. Nous devons nous conformer à cette décision.
Je ne vois pas comment nous pourrions invoquer la clause dérogatoire étant donné que la Charte n'est pas en cause. Il s'agit là d'un principe fondamental de la Constitution canadienne, celui de l'indépendance de la magistrature. C'est un débat complexe. Le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire sont séparés au Canada depuis 300 ans. C'est un des principes fondamentaux de notre Constitution. Néanmoins, dans un cas comme celui-ci, le problème est quelque peu technique. Je me réjouis que nous ayons à résoudre une question aussi intéressante.
Le sénateur Sparrow: Disons que le rapport ne recommande pas de maintenir le statu quo. Que se passerait-il alors?
Vous dites que ce rapport doit être soumis au Parlement. Si le statu quo est maintenu, vous dites qu'il faut quand même le soumettre au Parlement sans proposer de changement. Si c'est le cas, le juge établirait si le Parlement a pris une décision irrationnelle.
Cette décision irrationnelle pourrait-elle avoir été prise par la commission? La recommandation a été faite et maintenant le gouvernement et le Parlement l'appuient et, dans les deux cas, on a agi de façon irrationnelle. Le tribunal estimera-t-il que la commission a pris une décision irrationnelle, de même que le Parlement? S'il n'y a pas eu de rapport, peut-on considérer que cette décision est irrationnelle étant donné qu'aucun changement n'a été recommandé?
M. Scott: Je pense que le sénateur Bryden a raison. Si la commission outrepasse son mandat en prenant une décision irrationnelle, il y aurait de toute façon un examen judiciaire.
Ce dont il faut tenir compte ici, selon moi, c'est de la réponse du gouvernement au rapport de la commission plutôt que du rapport de la commission comme tel. Autrement dit, la commission indépendante doit agir comme conseiller indépendant auprès du gouvernement et l'on craint ici que ce dernier décide arbitrairement de ne pas en tenir compte. Si la commission se montre irrationnelle, par sa méthodologie ou par ses propos ou encore parce qu'elle outrepasse son champ de compétence, je crois que la révision judiciaire aura lieu de toute façon.
Ce qu'il y aura de rationnel ou d'irrationnel, ce sera la réaction du gouvernement au rapport de la commission. Si je comprends bien, c'est dans cet esprit que la Cour suprême du Canada a abordé la cause de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Sparrow: Mais si le juge estime que les deux décisions sont irrationnelles, que se passe-t-il?
M. Scott: Si la décision de la commission est irrationnelle au point de justifier un examen judiciaire, ce sera la première étape. Bien entendu, si les juges la contestent, il s'agit d'abord d'appuyer ou de réfuter la décision de la commission. Tout cela part du principe que cette commission indépendante va faire une recommandation rationnelle que le gouvernement rejettera arbitrairement.
[Français]
Le sénateur Pépin: L'article 45 indique que les juges pensionnés peuvent laisser leur pension à leur conjoint de fait avec lequel ils ont cohabité depuis au moins un an. Des personnes ont attiré notre attention sur le fait que dans les régimes de la plupart des provinces, on parle d'une période de trois ans. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet?
[Traduction]
M. Scott: J'ai lu ce qui a été dit à votre comité à ce sujet. Trois ans représentent sans doute la norme dans de nombreuses provinces. Comme je ne suis pas expert en la matière, je ne peux pas vous éclairer. Néanmoins, si j'ai bien compris, cela reflète le régime en place ailleurs. J'ignore toutefois si cela s'éloigne ou non du régime en place au niveau provincial. Je ne suis pas très au courant. Si je me souviens bien, c'était trois ans, mais cette disposition qui prévoit un an est certainement défendable pour ce qui est de la prestation de survivant, qui ne s'appliquait pas aux juges. Je regrette de ne pas pouvoir vous aider.
Le sénateur Beaudoin: Quelqu'un a dit que ce projet de loi harmonisait la situation des juges avec celle des employés d'autres secteurs de la fonction publique comme la GRC.
La présidente: Je crois qu'elle l'harmonise avec la fonction publique.
Le sénateur Beaudoin: Oui, et même les parlementaires.
La présidente: Oui. Nous allons entendre un autre témoin qui connaît bien ce domaine. Nous pourrons reposer cette question.
Le sénateur Joyal: Avez-vous étudié la façon dont d'autres systèmes de common law comparables à celui du Canada abordent la question de la rémunération des juges pour protéger l'indépendance de la magistrature?
M. Scott: Nous l'avons fait. En venant ici, je me demandais où étaient passés nos documents de recherche. Ils ont tous été envoyés au Centre des affaires judiciaires et je vais voir si je peux les trouver.
Nous avons étudié la question. Comme on vous l'a dit certainement, certains États australiens ont la procédure de résolution négative. Je crois que c'est le cas en Nouvelle-Galles du Sud. Dans d'autres États, il y a des commissions qui ont seulement un pouvoir de recommandation. Je ne peux pas vous les énumérer, mais l'une des formules les plus en faveur des juges est la procédure de résolution négative qui existe en Nouvelle-Galles du Sud. Le rapport est déposé et si aucun projet de loi ne le rejette, il obtient force de loi.
Le sénateur Joyal: Connaissez-vous de façon générale le système en place au Royaume-Uni?
M. Scott: Je ne m'en souviens pas. Nous en avons fait une étude, mais je ne me souviens pas de ce que nous avons appris. Je vais vérifier et envoyer ces renseignements à la greffière.
Le sénateur Joyal: Je voudrais en revenir à la question de la rationalité. Comme vous le savez, cela nous ennuie parfois beaucoup. Vous dites que le critère de rationalité vise au maintien de l'indépendance de la magistrature.
Prenons un cas que nous avons connu ces dernières années. Nous avons connu une situation économique difficile au Canada et le gouvernement a alors décidé d'imposer un gel des prix et des salaires. La rémunération des juges a également été gelée.
Imaginons qu'un jour, la même chose se reproduit et que le gouvernement recourt de nouveau à ce genre de mesure. La commission étudiera la charge de travail des juges et, estimant qu'elle a augmenté, elle demandera une augmentation de 2 p. 100, ce qui semble raisonnable. Toutefois, le comité de la Chambre des communes et du Sénat se prononcera contre la recommandation de la commission, de même que le ministre de la Justice.
Dans ce genre de situation, où tout le monde est touché, que fait-on, selon vous, du principe de la rationalité en ce qui concerne l'indépendance de la magistrature?
M. Scott: Un gel général des salaires est rationnel. Néanmoins, les juges n'ont pas toujours été de cet avis. Ce que le juge en chef a déclaré dans l'affaire de l'Île-du-Prince-Édouard est très intéressant. Il a dit qu'un gel général serait défendable, même si cela revenait à une réduction de salaire.
Les juges n'ont pas toujours eu cette opinion. Ils ne voulaient pas s'aligner sur le pouvoir exécutif pas plus que sur les autres fonctionnaires. Le dernier gel a été largement critiqué par les juges.
D'après le jugement, le juge en chef reconnaît qu'un gel général qui amènerait tout le monde à faire sa part, serait rationnel. Je considère que c'est là un progrès. Ce serait rationnel, mais la question à se poser est la suivante: qu'est-ce qui serait irrationnel? Je ne suis pas certain de la réponse à cette question. C'est ce qui contribue au problème étant donné qu'une décision qui serait irrationnelle aux yeux de la société serait une baisse de salaire massive qui ne toucherait que les juges. Les juges pourraient voir là une tentative évidente de saper leur indépendance ou de contrôler leur comportement.
Des affaires comme celle de l'Île-du-Prince-Édouard ont soulevé le problème de l'indépendance. Cela vient du fait que le pouvoir exécutif établit la rémunération des juges tandis que ces derniers n'ont pas voix au chapitre. On cherche toujours à mettre sur le tapis la question de l'indépendance. Voilà pourquoi ce n'est pas la question de la rationalité comme telle qui se pose. Cette rationalité est établie en fonction de la mesure où l'indépendance de la magistrature est maintenue.
Le sénateur Joyal: Pour aller dans le même sens que votre réponse, un juge reconnaîtrait que si l'on demande à tout le monde de faire sa part, la magistrature devrait faire un effort elle aussi. Elle fait partie de la société.
Pourquoi hésite-t-on tellement à demander à la commission de suivre les mêmes critères que le Conseil du Trésor lorsqu'elle présente une proposition qui fait appel aux deniers publics? C'est ce que doit faire le Conseil du Trésor lorsqu'il présente une proposition aux syndicats. Cela tiendrait compte de la capacité de payer des contribuables.
M. Scott: Je vais peut-être trop loin, mais je ne dis pas qu'on peut se passer totalement de critères. Toutefois, à un moment donné, les critères sont suffisamment développés pour qu'il ne soit pas nécessaire d'avoir une commission indépendante. Autrement dit, il vous suffit d'appliquer des critères. Vous pourriez dire que la rémunération des juges doit s'aligner sur celle des sous-ministres ou encore le salaire ou les avantages sociaux des sous-ministres et cela n'ira pas plus loin.
Je crois que la magistrature étant indépendante du gouvernement, il faudrait un mécanisme pour déterminer la rémunération qui convient.
Je ne dis pas que les critères sont inutiles. Je dis seulement qu'il faut déterminer la nature de ces critères. Allons-nous tenir compte des avantages sociaux qu'obtiennent les sous-ministres? Si c'est le cas, à quels niveaux? Si vous en arrivez là, vous n'avez pas besoin de commission indépendante, n'est-ce pas?
Le sénateur Joyal: Aux États-Unis, il y a des critères et l'on fixe le niveau de rémunération afin d'éviter l'intervention discrétionnaire des élus et protéger ainsi l'indépendance de la magistrature.
Lorsque vous proposez des critères, n'est-ce pas une façon de limiter l'indépendance de la magistrature? Vous appliquez alors les critères et il n'y a pas de discussion.
M. Scott: Si ce n'est que cette solution part du principe que les critères suffisent à eux seuls. Il y a un certain jugement à porter et il est donc possible d'exercer des pressions dans un sens ou dans l'autre. Comme les juges ne peuvent pas exercer des pressions, il faut une commission indépendante.
Aux États-Unis, il y a tout un mouvement pour la suppression du lien entre la rémunération des juges et celle des bureaucrates. La magistrature n'en est pas seule responsable. On estime que la magistrature étant une branche distincte du gouvernement, elle doit être traitée séparément. Les critères changent de temps à autre, selon l'attrait que représentent ces nominations. Il y a quatre ans environ, une nomination à la magistrature était beaucoup plus attrayante que ce n'est le cas maintenant. Un tas de gens souhaitaient se faire nommer juge ces 10 dernières années. Cela présentait beaucoup moins d'attrait avant cela et en tout cas maintenant.
Nous essayons de mettre au point un système de rémunération comparable à ce qui est offert à l'extérieur afin d'attirer des gens compétents. Je ne serais pas en faveur de l'établissement d'une série de critères disant que les juges seront traités comme tel autre groupe de personnes présentant les mêmes critères. Si vous le faites, vous n'avez pas besoin d'une commission indépendante.
Le sénateur Joyal: Vous dites qu'il y a, aux États-Unis, un mouvement en faveur de la déréglementation de la rémunération des juges. N'est-ce pas, pour ceux qui se battent pour l'activisme judiciaire, une façon de soumettre les juges à des décisions discrétionnaires concernant leur rémunération?
M. Scott: Les premiers à demander l'élimination de ces liens sont les juges. Ils estiment qu'on ne répondra pas à leur situation et à la nécessité d'attirer des gens compétents en les associant aux fonctionnaires fédéraux et que, la magistrature étant une branche distincte du gouvernement, elle devrait être traitée comme telle. Quant à ce qui motive les autres, c'est une autre question, mais cela suscite actuellement la controverse aux États-Unis.
Le sénateur Joyal: Je comprends ce que vous dites. En dehors de l'indice du coût de la vie, de la croissance économique du Canada et des objectifs de la politique budgétaire du gouvernement, ce qui comprend les salaires, vous voulez qu'on offre suffisamment d'argent aux juges afin qu'il y ait suffisamment de candidats qui s'intéressent à la profession.
M. Scott: Oui, les bons candidats.
Le sénateur Joyal: Autrement dit, il faut rendre les conditions de rémunération suffisamment attrayantes pour attirer les personnes que nous voulons avoir, et non pas celles qui recherchent un autre emploi parce qu'elles estiment être sous-payées. Est-ce bien ce que vous voulez dire?
M. Scott: Oui.
La présidente: Je m'étonne, monsieur Scott, de vous entendre dire que ce n'est pas un poste très convoité. La plupart des parlementaires seront également étonnés de l'entendre.
M. Scott: Mais s'agit-il des bonnes personnes? Tout est là. Nous avons, d'un bout à l'autre du pays, une magistrature extrêmement compétente au Canada. Dans ma province, l'Ontario, la Cour d'appel a toujours eu les meilleurs avocats de la profession. Ce n'est pas vrai dans d'autres pays. Ailleurs, la magistrature est souvent composée de gens qui ont été nommés très jeunes. L'atmosphère y est totalement différente. Je n'hésite pas à faire valoir que le processus de détermination du salaire versé aux juges pour attirer des gens compétents doit être suffisamment indépendant. Les bonnes personnes ne seront pas nécessairement des gens de Bay Street, mais plutôt des gens des divers coins du pays. Notre magistrature doit être composée des meilleurs éléments.
Le sénateur Lawson: Pour ce qui est des critères, je suis d'accord avec M. Scott. Ce serait une grave erreur, selon moi, que d'avoir des critères fixes. Le sénateur Joyal dit que le Conseil du Trésor applique certains critères et je suis certain que le comité de direction aussi. Chaque syndicat a des critères souples s'appliquant à chaque circonstance. Vous conservez ceux qui donnent de bons résultats et, s'ils laissent à désirer la prochaine fois, vous les modifiez pour tenir compte de l'évolution des circonstances.
J'ai participé à des négociations pendant plus de 40 ans et j'ai appris qu'il était impossible d'avoir des critères fixes et rigides. Certains critères sont évidents tels que le coût de la vie, mais il n'est pas possible d'avoir des paramètres très stricts.
Les parties qui ont le droit de négocier ont des critères souples. Il serait impossible de chercher à les appliquer dans ce genre de situation. Je conviens avec vous qu'il ne sert à rien d'avoir une commission si vous avez des critères rigides. Il faudrait plutôt recourir à l'arbitrage ou à la conciliation obligatoire, comme dans l'ancien temps. La décision est sans appel.
M. Scott: Je ne pense pas que beaucoup de gens croient vraiment qu'il soit difficile d'attirer des gens compétents dans les rangs de la magistrature. C'est plutôt le contraire. Nous avons des gens exceptionnels dans la magistrature. Néanmoins, vous avez parfois des gens qui veulent devenir juges et vous voyez alors l'autre côté de la médaille, qui n'est pas très beau à voir. Certaines personnes veulent devenir juges parce qu'elles pensent que ce sera un travail plus facile ou parce qu'elles sont attirées par la pension et le reste. Nous ne voulons certainement pas de ces gens-là. Ils perdent très rapidement leur enthousiasme et le résultat est désastreux.
Néanmoins, pour ce qui est des critères, il faudra toujours mesurer la façon dont nous rémunérons nos juges en faisant une comparaison avec le secteur dans lequel nous les recrutons afin d'être concurrentiels. Nous ne payons évidemment pas de salaires comparables aux revenus auxquels les juges doivent renoncer, mais nous devons payer une rémunération suffisante pour que le sacrifice ne soit pas énorme au point d'être dissuasif.
Le sénateur Bryden: Il est intéressant de constater que les merveilleux tribunaux que nous connaissons tous ont été établis sans ce genre de protection. Je ne vois pas pourquoi nous devrions aller plus loin pour le moment. Selon un vieil adage qui avait cours à la faculté de droit, les étudiants qui ont des A deviennent professeurs, ceux qui ont des B deviennent juges et ceux qui ont des C gagnent beaucoup d'argent.
Comme vous le savez, ce n'est pas parce qu'un avocat gagne 500 000 $ par an en droit immobilier et commercial qu'il est plus compétent que l'avocat prudent qui gagne juste assez pour payer sa secrétaire et ses frais généraux et empocher 80 000 $ ou 100 000 $.
M. Scott: En effet.
Le sénateur Bryden: Je voudrais en revenir à la question des critères ou des lignes directrices. Le sénateur Lawson et moi-même avons travaillé dans le milieu syndical pendant longtemps. Le droit de défendre ses intérêts économiques vous est parfois supprimé dans l'intérêt public. Par exemple, dans le cas des pompiers et parfois des policiers, le droit de grève a été remplacé par l'arbitrage.
La plupart des lois qui imposent l'arbitrage énoncent certains critères. S'il n'y a pas de critères, vous ne pouvez pas tenir compte de la capacité de payer de l'employeur. Par conséquent, le fait que la province de l'Île-du-Prince-Édouard ne pourrait pas se permettre de payer une augmentation de 25 p. 100 n'est pas un facteur dont un arbitre pourrait tenir compte. Il doit maintenant le faire car c'est sur la liste. Autrement dit, c'est une chose dont vous devez tenir compte.
Les commissions d'un grand nombre de provinces ont déjà des critères à appliquer. L'Ontario, la Colombie-Britannique, l'Alberta, le Québec et l'Île-du-Prince-Edouard en ont. La loi de l'Île-du-Prince-Edouard, par exemple, prévoit la nécessité de payer aux juges une rémunération juste et raisonnable et contient également des critères visant la politique du conseil de gestion et d'autres éléments concernant les dépenses des juges, des changements dans le coût de la vie, la nécessité d'attirer d'excellents candidats, la situation économique dans la province et l'état général de l'économie provinciale ainsi que les salaires et avantages sociaux versés à d'autres juges de la Cour provinciale dans d'autres provinces canadiennes. Ce n'est pas précisé ici, mais cela fait sans doute partie de «tout autre critère pertinent». Néanmoins, conformément à la règle ejusdem generis, on ne doit pas trop s'éloigner de ce genre de critères.
La loi néo-zélandaise comprend des critères très intéressants. Ce sont la nécessité d'assurer un niveau de rémunération assez comparable aux autres; la nécessité d'être équitable envers les personnes dont on détermine la rémunération et envers le contribuable ainsi que la nécessité de recruter et de retenir des personnes compétentes. Tels sont les critères dont la commission doit tenir compte.
M. Scott: J'ai commencé en donnant l'impression que je n'étais pas d'accord avec le sénateur Joyal sur ce point. Je dis seulement que ce sont des critères évidents. Cela n'a rien de bien nouveau. Pendant que vous parliez, j'ai écrit: «Quels seraient les critères? Ce que les autres touchent, ce qui est payé ailleurs, le coût de la vie, le montant requis pour attirer des candidats compétents et l'état de l'économie.»
Le sénateur Bryden: Alors inscrivez-le dans la loi.
M. Scott: Je n'y vois pas d'objection, mais si vous allez plus loin, cela soulève des problèmes.
Le sénateur Bryden: La commission doit être composée de trois personnes. La première sera nommée par la magistrature, la deuxième par le ministre de la Justice du Canada et la troisième, qui assumera la présidence, sera nommée avec l'accord des deux premières.
Le sénateur Lawson et moi-même savons que, dans la vraie vie, les gens ne sont pas toujours d'accord sur le choix de la troisième personne. Le projet de loi ne contient aucune disposition en pareille circonstance.
J'ai demandé à la ministre ce qui se passerait en pareil cas et elle m'a répondu que les deux premières choisies seraient congédiées et que le processus recommencerait à zéro.
Si l'une des parties -- en principe le gouvernement -- voulait saboter le processus, il lui suffirait de ne pas être d'accord sur le choix du président.
M. Scott: C'est intéressant, car la plupart des lois sur l'arbitrage portent qu'en cas d'impasse, vous vous adressez à un juge -- ce qui ne conviendrait pas dans ce cas.
Le sénateur Bryden: J'y arrive. Pour rompre une impasse vous faites appel à un juge et ce dernier sera intéressé au choix de la personne nommée à la présidence. C'est curieux.
M. Scott: En effet. La ministre a peut-être raison. Elle pourrait dire aux deux personnes qui ont été nommées que si elles n'arrivent pas à se mettre d'accord dans les 10 jours, leur nomination sera révoquée et elles seront remplacées par deux autres personnes qui pourront s'entendre.
Le sénateur Bryden: La loi ne confère pas ce pouvoir au ministre. Il faudrait simplement que les deux personnes s'entendent.
Si la magistrature continuait à s'opposer aux recommandations du gouvernement ou si elle pouvait déclarer une décision du Parlement ultra vires en vertu de la Constitution, je suppose que le statu quo serait maintenu jusqu'à ce qu'un changement soit finalement effectué en légiférant. Les juges n'ont donc pas intérêt à se montrer parfaitement déraisonnables.
Le sénateur Moore: Ils peuvent quand même modifier la loi.
Le sénateur Bryden: C'est exact, mais ce qui m'inquiète un peu c'est que toute cette question découle de la désobéissance de la magistrature à l'Île-du-Prince-Edouard où les juges de la Cour provinciale ont estimé qu'ils ne pouvaient pas se pencher sur ces causes parce qu'ils manquaient d'objectivité.
En effet, leur employeur s'apprêtait à réduire leur traitement, ou n'était pas disposé à l'augmenter. En conséquence, dans toutes les affaires plaidées par la Couronne, le juge risquait d'avoir un préjugé favorable à l'adversaire de la Couronne et de lui donner gain de cause. À mon avis, on peut parler ici de désobéissance judiciaire comme on parle de désobéissance civile. Finalement, la situation a continué à mitonner, et voilà où on en est rendu.
Je suis dans la même situation que le sénateur Lawson: qui a le gros bout du bâton? Le Parlement a la possibilité de refuser d'adopter le projet de loi, et les juges ont la possibilité de dire que si tout cela est vrai, ils refuseront de juger. Quoi qu'il en soit, il faut absolument éviter les circonstances de ce genre.
Sur la question des critères, les tribunaux en ont déjà fixé un certain nombre. Il y en a un dont nous n'avons pas parlé, car il n'est pas appliqué très souvent. À ma connaissance, il n'a été appliqué qu'une fois par une juridiction inférieure.
Dans le cas des juges provinciaux, la Cour suprême a déclaré que toute réduction de salaire était invalide et qu'elle outrepassait les pouvoirs de l'exécutif. La cour a obligé le gouvernement à rembourser les juges.
En ce qui concerne l'indépendance des juges, il faut tenir compte du fait qu'en l'occurrence, nous nous sommes intéressés au véritable problème, car les salaires des juges ont subi des réductions au niveau provincial.
Je ne me souviens plus de quelle partie de la Constitution il s'agit, mais j'ai vu un jour une disposition qui interdit de réduire le salaire d'un juge. D'emblée c'est une mesure anticonstitutionnelle. C'est impossible dans notre pays, mais il faut en déduire qu'en termes de réduction, le gouvernement sera automatiquement condamné car de toute évidence, une telle réduction va à l'encontre du principe de l'indépendance de la magistrature. Qu'en pensez-vous?
M. Scott: J'ai deux choses à dire à ce sujet. On remarque avec intérêt que dans l'arrêt concernant l'Île-du-Prince-Édouard, la cour a considéré qu'un gel de salaire équivaut théoriquement à une réduction. À cause de l'augmentation du coût de la vie, c'est une réduction de salaire.
Dans l'arrêt Beauregard, on a considéré qu'après la nomination d'un juge, tout changement législatif qui impose un régime de pensions contributif équivaut à une réduction de salaire. Le juge en chef Dickson a considéré qu'il s'agissait d'une réduction, mais d'une réduction légitime. C'est un arrêt de la Cour d'appel du Québec. L'Assemblée nationale avait adopté un projet de loi et quelques semaines après la nomination d'un juge, le gouvernement a promulgué une loi prévoyant que les juges, qui bénéficiaient antérieurement des régimes de pension gratuits, devaient désormais verser des contributions. Naturellement, le juge a interprété cette mesure comme une forme de réduction de salaire. Il a poursuivi la Couronne jusqu'en cour fédérale. Il a obtenu gain de cause à tous les niveaux, jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce sur division et lui donne tort.
La cour a considéré -- et c'était là le premier argument du juge en chef Dickson, qui a parlé de traitement uniforme -- que tout le monde contribuait à son régime de pension et qu'il n'y avait aucune raison pour que les juges ne contribuent pas au leur. Une telle mesure n'a rien d'inconstitutionnel.
L'argumentation portait sur la constitution: les salaires doivent être fixes et ne peuvent être réduits. L'argument a été rejeté. Dans le contexte contemporain, une simple réduction ne prouve rien.
Le sénateur Beaudoin: Il peut arriver qu'elle soit justifiée.
M. Scott: Elle peut être justifiée. On essaye de juxtaposer deux notions. Dans un autre exemple intéressant, on a présenté en Arizona un projet de loi à un moment où, d'une part, on parlait beaucoup des juges qui échappaient à tout contrôle -- c'est ce qui se passe là-bas -- et où, parallèlement, on disait aussi que les revenus des juges étaient trop élevés. Quand des sujets de cette nature font simultanément l'objet d'un débat public, la situation prête à confusion. On peut alors parler d'une véritable réduction.
Le sénateur Fraser: Dans le même ordre d'idées, j'étais en train de me demander ce que cela pouvait donner en pratique. Je trouve gênant de conférer à une profession le droit de déterminer sa propre rémunération, alors même que les salaires de ses membres proviennent du Trésor public.
Le sénateur Lawson: C'est pourtant ce que font les députés.
Le sénateur Fraser: Les députés doivent s'exposer à l'opinion publique, et c'est pourquoi ils sont si nerveux à chaque fois qu'ils envisagent d'augmenter leur rémunération. Ce n'est pas le cas des juges.
J'ai bien apprécié la remarque de la présidente, qui a dit que lorsqu'il est question d'une augmentation de salaire, si un juge s'oppose à un projet de loi, il n'obtient aucune augmentation. Il conserve le même salaire. Mais lorsqu'il est question d'une réduction, j'ai des doutes, car si un juge s'oppose au projet de loi, il évite une réduction de salaire. Il conserve ses acquis.
J'ai beaucoup de respect pour les juges, mais il me semble qu'une partie de leur sagesse -- par exemple dans le cas des pensions que vous avez cité -- s'envole en fumée lorsqu'il est question de leur propre intérêt. Il y a quelques années, à Montréal, les juges ont prétendu que pour préserver leur indépendance, il fallait continuer de leur accorder gratuitement des places dans un stationnement intérieur, à proximité de l'ascenseur.
M. Scott: Cela ne devait pas être leur seul argument.
Le sénateur Fraser: Non, ils ont dit qu'ils étaient très occupés et qu'ils ne voulaient pas avoir tout un stationnement à traverser, et qu'ils n'accepteraient pas de frais de stationnement.
Vous avez présenté divers facteurs intéressants qui semblent indiquer qu'en définitive, l'opinion de la magistrature a déjà évolué considérablement, par exemple lorsque le juge Lamer reconnaît qu'un gel de salaire n'est pas injuste.
J'aimerais savoir si les tribunaux resteraient sans bouger dans un contexte de déflation ou de difficulté budgétaire grave qui obligerait le gouvernement à réduire tous les salaires.
M. Scott: Je suis sûr qu'ils resteraient sans bouger aujourd'hui, alors que les choses auraient peut-être été différentes il y a 10 ans.
Le sénateur Fraser: Pensez-vous qu'on ait progressé à ce point?
M. Scott: Oui.
Le sénateur Fraser: Pensez-vous qu'on puisse interpréter en ce sens les commentaires du juge Lamer?
M. Scott: Oui, je n'ai pas son arrêt par-devers moi, mais c'est presque ce qu'il a dit. Lorsqu'une décision générale fondée sur le contexte économique a des conséquences pour tout le monde, les juges sont obligés de l'accepter. C'est l'évidence même.
Le sénateur Fraser: Bien sûr, mais les places de stationnement près de l'ascenseur me semblent aussi évidentes.
La présidente: Merci de votre aide, monsieur Scott. Vous avez gardé la balle de notre côté.
Notre témoin suivant, Mme Lucie Laliberté, est avocate; elle se consacre depuis plus de 13 ans à des recherches sur les femmes et la retraite. Elle est spécialisée en droit de la famille. Elle est également présidente de l'Organization of Spouses of Military Members, qu'elle a représentée auprès du gouvernement de l'Ontario, de la Chambre des communes et du comité sénatorial des finances. Mme Laliberté a demandé à comparaître devant notre comité parce que de nombreux amendements concernant le projet de loi C-37 sont semblables à des amendements concernant le projet de loi C-35 qu'elle a étudiés et elle a pensé que son expérience pouvait intéresser le comité; notre comité directeur lui a donné raison.
Madame Laliberté, vous avez la parole.
Mme Lucie Laliberté, avocate, Gahrns & Laliberté: Je voudrais soulever tout d'abord une question préliminaire dont j'ai parlé avec la greffière avant d'être autorisée à comparaître devant vous. J'ai signalé que cette question est actuellement devant les tribunaux et la greffière du comité s'en est inquiétée. Voilà pourquoi j'aimerais avoir votre avis.
Je me propose de ne traiter ni du fond, ni du bien-fondé de la question, mais tout porte spécifiquement sur la définition de la «prestation au survivant». Je limiterai mon propos aux questions soulevées dans cette affaire, dans le contexte des éléments découverts lors de l'étude du projet de loi C-57.
Le sénateur Beaudoin: Sur le plan juridique, il ne devrait pas y avoir de problème si vous nous faites simplement part de l'information que vous avez à l'esprit. En tant que membres d'un comité sénatorial, nous avons le droit d'entendre des témoins. Je comprends vos craintes, mais si vous faites preuve de prudence dans votre exposé, il ne devrait pas y avoir de problème.
Mme Laliberté: Ce que je craignais, c'est que compte tenu de la façon dont l'invitation avait été présentée, je pouvais refuser de comparaître ou décider de limiter mon exposé. Je suis avocate, et j'ai donc résolu la difficulté. Je vous remercie de vos remarques.
Je ne vais parler que des questions concernant la division de la pension et des prestations de décès, y compris des prestations au survivant telles qu'elles apparaissent dans le projet de loi C-57. Je commencerai par comparer brièvement les principales dispositions des régimes de pension de la fonction publique. Les régimes que je connais le mieux sont ceux des Forces armées canadiennes, de la GRC et de la fonction publique, parmi tous les régimes visés par le projet de loi. Je parlerai ensuite de la Loi sur les juges pour montrer qu'elle est différente au point qu'on ne peut pas prétendre qu'il s'agit simplement d'une harmonisation de la législation.
Mon principal argument, c'est que les pensions des juges ne peuvent être divisées à la source. Contrairement à ce que prévoient toutes les autres lois, notamment celles qui concernent le Régime des pensions du Canada, la Loi sur les juges ne prévoit pas le partage des crédits, ce qui a d'importantes conséquences en ce qui concerne les prestations au survivant.
Avant d'aborder le fond du problème, j'aimerais vous présenter un point de vue conceptuel différent des pensions considérées en tant que biens, et comparer l'aspect contributif des pensions à l'élément de dépendance qu'elles comportent.
Je commencerai par la structure des régimes de la fonction publique, en particulier les trois que j'ai signalés, en ce qui concerne la rupture du mariage.
Dans tous ces régimes de pension, on prévoit le partage des crédits. C'est ce qu'on trouve dans la Loi sur le partage des prestations de retraite, qui permet une évaluation actuarielle du régime de pension, et le transfert d'un montant forfaitaire dans un REER bloqué au profit du conjoint lors de la rupture du mariage quand celle-ci résulte d'une ordonnance judiciaire ou d'un accord entre les parties. Pour autant que je puisse voir, on ne trouve aucune disposition comparable dans la Loi sur les juges.
Les régimes de la fonction publique prévoient également la saisie-arrêt des salaires au moment de l'interruption du mariage, de même que la distraction de la pension alimentaire pour les enfants et le conjoint. La seule chose que je trouve dans la Loi sur les juges, c'est que la pension peut faire l'objet d'une distraction. Il n'y a pas de saisie-arrêt du salaire à des fins alimentaires.
La disposition suivante concerne ce qui se passe au moment du décès. Dans les régimes de la fonction publique, on trouve ce qu'on appelle une prestation supplémentaire de décès, prévue à l'article 2. Il s'agit d'une prestation d'assurance-vie collective qui équivaut, à quelques exceptions près, à deux ans de salaire et qui est versée à titre de montant forfaitaire lors du décès de l'assuré. Il s'agit d'un régime contributif et le bénéficiaire de ce versement est désigné par l'assuré, mais obligatoirement sur un formulaire approprié. Il est arrivé qu'un assuré désigne son bénéficiaire dans un testament ou dans un accord de séparation, mais cette désignation n'a pas été reconnue par les administrateurs du régime.
Initialement, il s'agissait de défrayer le survivant du coût des obsèques et des frais connexes lors du décès de l'assuré. Depuis lors, cette prestation a été considérablement augmentée. Reportons-nous à ce sujet au paragraphe 46(1) de la Loi sur les juges, mais nous voyons qu'il ne s'agit ici que d'un sixième du salaire, qui est versé lors du décès au conjoint survivant. En vertu de la modification, il n'y a pas de désignation. Le bénéficiaire est stipulé par la loi.
La loi prévoit également une allocation annuelle ou une prestation au survivant, qui correspond généralement à 50 p. 100 de la prestation de pension actuelle ou future, et qui est accordée au conjoint survivant, qui peut être un conjoint de fait. Cependant, c'est l'administrateur, et non le contributeur, qui détermine qui est le conjoint survivant aux fins de l'allocation annuelle et de la prestation mensuelle. Le contributeur ne décide pas qui va recevoir l'allocation annuelle ou la prestation du survivant. La décision est prise discrétionnairement par le Conseil du Trésor, et on nous dit que ces décisions, de même que les critères auxquels elles sont soumises, sont régies par le secret du Cabinet car, pour l'essentiel, la loi confère tous les pouvoirs au ministre. Nous avons eu du mal à nous renseigner sur ces critères.
Je dirais cependant que l'élément déterminant est la situation matrimoniale au moment du décès du contributeur et on trouve dans la loi une disposition qui empêche l'éventualité d'un deuxième conjoint. Le premier conjoint peut effectivement être réputé décédé avant le contributeur, auquel cas la prestation au survivant est accordé au deuxième conjoint ou au conjoint de fait.
Le Conseil du Trésor nous a dit que cette disposition ne s'applique plus, mais qu'elle s'appliquait autrefois lorsque le premier conjoint était séparé et cohabitait avec quelqu'un d'autre. Dans ce cas, on accordait intégralement la prestation à la personne qui cohabitait avec le contributeur. La loi existe toujours. Elle est contestée actuellement, mais le Conseil du Trésor dispose toujours de pouvoirs discrétionnaires à cet égard.
Cela étant dit, lorsqu'on décide qui est le conjoint survivant, on détermine avec précision la situation matrimoniale des parties et le statut de cohabitation. Une personne divorcée ne peut jamais obtenir la prestation du survivant. En cas de séparation, l'un des critères retenus est le temps écoulé depuis la séparation. Si les parties sont séparées depuis 10 ans, peu importe que les époux soient restés ensemble pendant toute la période de contributions, on opte pour le conjoint de fait.
On trouve également une définition du «conjoint survivant» semblable à la nouvelle définition proposée. Il n'y a pas de définition du «conjoint» dans la Loi sur les juges, ni de définition du «conjoint survivant». En vertu de la modification, la définition du «conjoint survivant» comprend le «conjoint de fait», mais ne comprend pas le «conjoint divorcé». Des témoins vous ont dit que la loi avait été interprétée en ce sens et que le conjoint divorcé ne pouvait jamais toucher la prestation au survivant. Cette question est toujours contestée. J'en reparlerai après avoir présenté la structure essentielle de la loi.
Tous ces régimes prévoient également une prestation minimale à payer. Ils garantissent le versement minimal de cinq années de contributions au contributeur. Si une personne décède après avoir versé des contributions pendant 20 ans alors qu'elle n'a pas encore commencé à toucher sa pension, la succession peut recevoir un maximum de cinq ans de prestations. Si le contributeur était retraité depuis deux ans, par exemple, sa succession aurait droit à l'équivalent de trois ans de contributions, en plus des prestations au survivant.
Par exemple, si un conjoint ou des enfants ont reçu la prestation au survivant, ce montant est déduit du minimum de cinq ans avant que la succession ne reçoive le versement. Pour plus de précision, s'il n'y a pas de survivant ni d'enfant, et que le contributeur meurt le lendemain de son départ en retraite, la succession reçoit l'équivalent de cinq ans de contributions.
On trouve une situation semblable à l'article 51 de la Loi sur les juges, mais les juges n'obtiennent dans ce cas que la réintégration de leurs contributions dans le régime.
Le Régime des pensions du Canada prévoit également la division des crédits. Dans tous ces régimes, on fait une distinction entre la prestation de retraite proprement dite, qui disparaît avec le décès du contributeur, et la prestation au survivant, qui est considérée comme un ajout par rapport à la prestation de pension. C'est là un élément très important, car il en résulte des problèmes par la suite lorsque les conjoints se séparent ou divorcent.
C'est aussi une différence importante par rapport à la Loi sur les juges, car lorsqu'on ne peut pas diviser les crédits, l'équité de la détermination du bénéficiaire de la prestation au survivant peut s'en ressentir.
Le sénateur Moore: Qu'entendez-vous par division des crédits?
Mme Laliberté: Il y a une somme forfaitaire qui provient directement du régime. Dans le cas du RPC, c'est une somme forfaitaire calculée au prorata qui s'ajoute à la prestation. Elle est versée dans un compte au nom du conjoint non contributeur au moment de l'interruption du mariage par un accord ou une ordonnance du tribunal.
Le partage des crédits dans les régimes de la fonction publique signifie qu'en vertu de la Loi sur le droit de la famille, la valeur de la pension est un actif qui peut être divisé entre les parties. S'il y a partage des crédits, la Loi sur le partage des prestations de retraite prévoit qu'une fois qu'on a appliqué la Loi sur le droit de la famille et qu'il y a interruption du mariage en vertu d'un accord ou d'une ordonnance, un mécanisme d'application entre en jeu.
Le sénateur Moore: C'est ce qui détermine la valeur de l'actif à séparer entre les deux personnes, soit l'ancien conjoint et le conjoint actuel.
Mme Laliberté: C'est exact, et cela comprend la division de tous les biens; la valeur de la pension, la valeur de l'indemnité de départ, la valeur des maisons, des voitures, des REER et de tout ce que les conjoints possédaient. Au bout du compte, on obtient un chiffre. Il faut ensuite demander au régime de verser un montant forfaitaire dans un REER bloqué au nom de l'autre conjoint. C'est ce que j'entends par partage des crédits.
L'administrateur détermine la valeur du régime et indique le maximum qu'on peut en retirer pour préserver sa viabilité. En cas d'insuffisance des fonds, les conjoints déterminent comment ils entendent y faire face s'ils atteignent le maximum autorisé par la loi.
Voilà ce que j'entends par partage des crédits. Il existe une autre façon de procéder, que nous avons déjà préconisée mais qui n'a pas été retenue, et qui consiste à mettre le régime en fiducie, à isoler la partie du conjoint et à la lui verser mensuellement quand la pension est acquittée. Cette solution a toujours été rejetée, alors qu'elle semble toujours viable et facile à administrer, puisque c'est déjà ce que l'on fait pour la pension alimentaire.
J'aimerais examiner rapidement la Loi sur le droit de la famille avant de la comparer au présent projet de loi. Dans des témoignages précédents, on semble avoir indiqué que la définition du «conjoint» qui figure dans la Loi sur le droit de la famille s'appliquait à la division des biens. Ce n'est pas le cas. Elle ne s'applique qu'en matière de pension alimentaire.
Ce n'est pas simplement une question de durée de trois ans. La durée peut être inférieure à trois ans si le couple a eu des enfants et si la relation présente un caractère de permanence. La Loi sur le droit de la famille prévoit la possibilité d'une durée inférieure à trois ans.
On trouve une solution semblable dans d'autres lois lorsque deux définitions différentes peuvent s'appliquer. C'est le cas dans la Loi portant réforme du droit des successions, où on trouve une définition étendue du conjoint qui englobe l'ancien conjoint en matière de dépendance, au même titre que le conjoint de fait et le conjoint légitime.
Je crois avoir indiqué comment se produit la division des biens dans le cadre de cette première question. Je vais maintenant envisager les pensions d'un point de vue différent de celui qui était présenté dans des témoignages précédents, c'est-à-dire sans tenir compte de l'élément de dépendance, ni du stéréotype du cadeau fait au conjoint.
En Ontario, la législation sur le droit de la famille en matière de biens et de pension a été modifiée en 1986 pour tenir compte du fait que le mariage est un partenariat et que la pension a été gagnée par les deux parties. Il s'agit d'un régime d'épargne différée gagné par les deux parties pendant toute la période de contribution. C'est le point de vue qui a été retenu dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Clark c. Clark, dans lequel la Cour a considéré que la pension de M. Clark était une garantie pour la durée de sa retraite. La contribution de l'épouse au partenariat du mariage a permis à M. Clark de garder son emploi et d'accumuler des prestations de pension.
Nous essayons de faire évoluer les mentalités. Les pensions s'accumulent pendant une longue période, alors que la législation ne prend en considération qu'un moment particulier, à savoir le décès du cotisant. À notre avis, c'est injuste, car si l'on commence à considérer la pension comme un bien que le conjoint a gagné pendant toute la durée du partenariat, les prestations aux survivants prennent un aspect bien différent.
Ce sont également les arguments que nous pourrions avancer dans une contestation aux termes de la Charte pour discrimination en vertu du paragraphe 15(6), car dans presque tous les cas, la femme est le conjoint non-cotisant, en particulier dans le régime de pension des Forces armées canadiennes. Je suppose qu'il en va de même pour les juges, compte tenu de la composition actuelle des tribunaux.
Si l'on considère la pension non pas comme un facteur de dépendance, ou comme un cadeau, mais comme quelque chose qu'on a gagné, on comprendra mieux les injustices et les inégalités qui persistent dans la loi malgré les changements apportés, et qui vont être perpétués dans le projet de loi C-57.
Je considère également que cette nouvelle perspective fait disparaître tout dilemme moral dans le choix entre le conjoint de fait et le conjoint marié. Si l'on considère que la pension est gagnée pendant toute la période de cotisation, il est juste de diviser des crédits si le cotisant a eu un conjoint de fait pendant la période de cotisation, car ce conjoint a contribué aux gains du couple, et c'est le revenu de ce couple qui, en définitive, a donné lieu à la pension.
À mon avis, le projet de loi C-57 pose des problèmes tant par ce qu'il exclut que par ce qu'il inclut. Le problème, c'est qu'aucune méthode de partage des crédits n'est prévue et s'il n'y a pas d'autres biens au moment de l'interruption du mariage, le conjoint qui divorce est obligé de prendre la pension avec tous les risques éventuels. C'est pour lui une situation très dangereuse. Des témoins précédents ont dit que si les conjoints divorcent, la femme ne peut jamais obtenir la prestation du survivant. Comme la pension disparaît lorsque le cotisant décède, elle perd ses droits à pension. Si elle n'est pas protégée par une assurance, elle perd les prestations.
Par exemple, j'ai vu des pensions de militaires de haut rang dont la valeur peut atteindre 800 000 $. L'ex-femme devrait donc recevoir 400 000 $, mais si elle meurt le lendemain, elle ne peut pas faire valoir ses droits à pension.
L'autre problème, c'est que, lorsque les conjoints divorcent, si l'ex-épouse n'a pas d'autres façons de faire valoir ses droits, ce sera pour elle un dilemme. Dans le cas de la pension d'un juge, une pension à long terme peut atteindre plus d'un million de dollars. S'il n'a pas 500 000 $ à donner à l'ex-épouse et qu'il n'a pas d'autres biens, ou que la valeur des biens ne représente que 250 000 $, elle ne pourra pas obtenir la prestation au survivant en cas de décès du juge, et elle aura perdu 250 000 $. Sa situation financière à long terme risque de s'en ressentir et on voit également pourquoi il serait injuste de diviser les prestations au survivant selon les modalités envisagées dans ce projet de loi.
Avant 1986, lorsqu'il n'y avait pas de division des crédits et quand la loi a commencé à s'appliquer, le conjoint obtenait parfois un droit sur les biens à titre de pension alimentaire. Aujourd'hui, les crédits sont divisés, mais ce principe est contesté devant les tribunaux. Ou les femmes n'ont pas les moyens de modifier l'accord pour l'intégrer aux biens de façon à les soumettre à la division des crédits, ou elles s'attendent à pouvoir obtenir la prestation au survivant et constatent amèrement, au moment du décès du cotisant, qu'elles ont perdu tout droit à pension alimentaire.
Certains de nos membres, par exemple, ont divorcé en 1978. Leur pension alimentaire est toujours intacte mais elles n'ont jamais obtenu une partie de la pension, bien qu'elles aient vécu avec le cotisant pendant toute la période de cotisation. C'est pourquoi je dis qu'il est important de considérer la pension comme quelque chose que le couple a gagné. Dans ce cas, on peut y voir ce qu'on appelle une fiducie constructive. À défaut, il y a enrichissement sans cause. Si la femme a vécu avec le cotisant pendant toute la période de contribution, à notre avis, elle a gagné un droit à pension. Or, actuellement, elle n'obtient pas les prestations au survivant lorsque le cotisant décède. C'est un problème récurrent. Les femmes de cette catégorie sont de moins en moins nombreuses, mais il y en a toujours.
Il y a également le cas d'un conjoint divorcé qui poursuit un autre conjoint -- il y a plusieurs de ces cas en ce moment même -- pour obtenir ces prestations de survivant. Cela se produit actuellement. À notre avis, c'est tout à fait injuste. Elle peut déjà être sans ressources, elle a perdu son soutien, elle n'a pas touché la pension, et le plus souvent elle touche l'assistance sociale. Pour couronner le tout, elle doit entamer des poursuites pour obtenir la prestation de survivant.
Dans ce cas particulier, le second conjoint s'est déjà séparé et reçoit sa propre pension également. Elle touche donc à la fois la prestation de survivant et sa propre pension. La première épouse, qui a été mariée pendant 30 ans, ne reçoit rien du tout et de fait, si elle survit, c'est grâce à la générosité de sa famille, de ses enfants. Et ce genre de chose existe en dépit d'une loi qui prévoit déjà le partage des crédits.
À l'inverse, il y a le partage des crédits, ou la possibilité pour les parties de se partager la pension. Si tous les biens ont été attribués, et s'il est possible de racheter cette part de la pension, je pense que ces témoins sont exacts. La répartition pendant la période de cotisation entre un conjoint de droit commun et un conjoint séparé peut être une bonne chose, mais un problème peut se poser car il y a une distinction. Il est possible de divorcer après avoir vécu séparément pendant une année, mais on peut séparer toutes les questions de biens et de soutien. Un conjoint divorcé qui n'a pas droit à sa pension ne peut pas obtenir les prestations de survivant lorsque le conjoint qui a cotisé meurt.
Toutefois, si les conjoints viennent de se séparer ou se sont déjà mis d'accord ou ont obtenu un décret du tribunal, le conjoint séparé peut obtenir une partie des prestations de survivant. C'est une injustice grave qui figurait déjà dans l'ancienne loi et qui sera maintenue si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle.
J'ai une autre observation au sujet des différences, et je ne suis pas absolument certaine de ce que j'avance. C'est seulement hier que j'ai appris que je devais comparaître, et c'est seulement vendredi que j'ai su qu'on discuterait des prestations de survivant. En ce qui concerne le taux d'intérêt pour le remboursement des cotisations des juges, si je comprends bien, il s'agit de 4 p. 100, composé, par année. Il semblerait que dans tous les autres régimes, il s'agisse de 4 p. 100, mais avec intérêts simples. Cela a peut-être changé depuis notre dernière intervention, mais cela fait une différence considérable entre les deux régimes. Cela n'a pas un effet direct dans le cas qui nous occupe, mais cela pourrait faire une différence lorsqu'on évalue les pensions aux fins d'une séparation.
La présidente: Nous pensons que cette disposition a été alignée sur des changements introduits dans la Fonction publique, mais il faudrait peut-être que nous nous informions.
Mme Laliberté: Il faudrait vérifier.
Le sénateur Murray: Madame Laliberté, avez-vous réfléchi aux amendements qui pourraient corriger les lacunes que vous avez mentionnées? Je ne parle pas d'un texte légal, mais avez-vous fait le point sur l'ensemble du projet de loi?
Mme Laliberté: Pour commencer, nous essayons d'obtenir une définition de «conjoint survivant» sur la base d'autres lois.
Comme je l'ai dit, nous n'avons pas d'interprétation, et nous ne voudrions pas que cela soit confié aux administrateurs du régime. Nous avons une définition très large du conjoint survivant qui comprenait «l'ancien conjoint», comme cela existe dans la loi ontarienne qui remanie le droit des successions.
Ce serait un début. Il resterait tout de même un problème car il faudrait déterminer si les crédits de pension ont déjà été divisés par le passé.
C'est un élément qui a été omis et qui pourrait être pertinent. Lorsqu'une épouse reçoit un transfert global en vertu de la Loi sur le partage des prestations de retraite, la loi prévoit qu'elle ne peut toucher la prestation de survivant. À mon avis, cela est équitable car elle a déjà eu sa part du crédit de pension. Si vous décidez d'élargir la définition de l'ancien conjoint, il faudrait que vous en teniez compte. Il faudrait exclure un conjoint lorsque tout a déjà été partagé équitablement, lorsque tous les biens des conjoints ont été dûment séparés.
Le sénateur Murray: N'étant pas spécialiste, il y a des termes que j'ai du mal à comprendre. Qu'est-ce qu'un «ancien conjoint»? Un conjoint dont on a divorcé?
Mme Laliberté: Oui. On considère que ce sont des prestations qui ont été accumulées par deux personnes, qui peuvent être des conjoints de droits communs, et au moment de la séparation, cette pension doit être partagée. La Loi sur le partage des prestations de retraite prévoit qu'après une certaine période de cohabitation les conjoints de fait doivent partager leurs crédits de pension.
Le sénateur Murray: Pardonnez-moi, mais pouvez-vous me donner une définition de conjoint de fait ou d'union de fait?
Mme Laliberté: Non, car si vous voulez une définition statutaire, cela dépend des différentes lois. Ce qui constitue une union «de fait» est déterminé dans chaque cas particulier. Pour déterminer qui est un conjoint de fait et celui des conjoints qui a droit aux prestations de survivant, on tient compte du compte en banque, selon qu'il était en commun ou pas. On se demande si les conjoints prenaient leurs vacances ensemble, s'ils couchaient ensemble, s'ils avaient des enfants ensemble.
En règle générale, si les tribunaux sont appeler à trancher la question, ils tiennent compte du mode de vie des parties, ils se demandent si ce mode de vie était comparable à celui de conjoints de droit. On tient compte de tous ces facteurs.
Le sénateur Murray: Peu importe que les deux parties à une union de fait soient libres également de se marier ou pas?
Mme Laliberté: C'est cela.
Le sénateur Murray: On n'en tient absolument pas compte?
Mme Laliberté: Non, on n'en tient pas compte. Cela inspire aux journaux toutes sortes d'articles sur les harems qui existent et ce genre de chose. En fait, on peut contourner ce problème en tenant compte de la période de cotisation: pendant la période de cotisation, qui était le conjoint? Quand les choses sont faites en toute équité, on tient compte du travail effectué, des fonds familiaux utilisés, ou bien des fonds dont la famille a été privée.
On peut contourner une partie du problème en regardant en arrière et en considérant qu'il s'agit d'une pension gagnée par les deux conjoints et pas seulement par le conjoint qui a cotisé. Toutefois, cela ne dispense pas de trouver des définitions.
Le sénateur Murray: Ce n'est pas juste de vous demander des conseils juridiques gratuits, mais puisque vous êtes ici, peut-être pourriez-vous fournir au président une liste succincte des changements qui vous semblent nécessaires? Je ne vous demande pas de les rédiger.
Mme Laliberté: Ma spécialité, c'est le droit de la famille, la rédaction juridique m'est assez étrangère. Je peux rédiger des amendements, ce genre de chose. Je crois comprendre que le Conseil du Trésor s'est déjà penché sur ce problème, et a décidé de ne rien faire, ou encore n'a pas réussi à trouver les définitions en question.
Nous regardons en arrière, et en particulier nous considérons le cas des Forces armées qui ont les régimes de pension les plus anciens et qui pendant ce temps ont essayé de recruter et de conserver du personnel pendant de courtes périodes de temps. Jadis, on privait une épouse de ses droits lorsqu'elle avait une fortune personnelle, mais c'était il y a longtemps. Nous devons nous débarrasser de ce passé et moderniser le concept.
Je suis prête à me charger de cette tâche dans une certaine mesure, mais ce n'est pas facile avec un concept aussi ancien qui considère encore exclusivement le statut marital des conjoints le jour où le juge meurt. Nous travaillons sur de véritables stéréotypes. Vous pensez que c'est la personne avec laquelle le juge vit à ce moment là qui doit toucher toutes les prestations? Pour quelle raison?
Nous parlons surtout de «lui» et on a presque l'impression que deux femmes se disputent la pension. En réalité, tout tourne autour de celui qui a cotisé. C'est une prestation qui appartient au juge, et c'est lui qui devrait décider qui en bénéficiera.
Nous essayons de nous écarter de cette notion. Cela revient aux arguments de l'article 15.
Le sénateur Murray: Avez-vous considéré le projet de loi dans ce contexte?
Mme Laliberté: Oui, je pense qu'il y a dans le projet de loi C-37, certaines contestations aux termes de l'article 15 de la Charte qui portent sur les prestations au survivant. Il y a déjà une affaire en cours sur la base de l'autre loi. En fait, avec ce projet de loi, et en particulier en ce qui concerne la définition du «conjoint survivant» vous constitutionnalisez cette notion. On a tendance à ne considérer que le «conjoint de fait» mais à mon avis, ce qu'on devrait considérer, ce sont les anciens conjoints et le fait qu'on prive de prestations des conjoints qui étaient là pendant toute la période de cotisation.
Le sénateur Joyal: Je ne peux résister à la tentation de vous soumettre un cas particulier pour essayer de mieux cerner les principes. Il est toujours plus facile de comprendre avec des exemples.
Prenons le cas suivant: un juge a une épouse de droit commun pendant une période de, disons, 10 ans. Il a des enfants avec cette personne, puis il se sépare. Il vit avec une autre personne pendant un an, c'est une union de fait. Qui a droit à l'argent?
Mme Laliberté: Qui peut toucher la pension de survivant? Je tiens à poser les choses très clairement. Ce n'est pas la prestation de pension que nous considérons. Ce que nous considérons, c'est la prestation de survivant. Aux termes de ce projet de loi, à mon avis, c'est la personne qui a vécu avec le juge pendant un an qui reçoit la pension de survivant.
Le sénateur Joyal: Le projet de loi ne tient pas compte d'une situation de fait, de la «famille» du juge lorsqu'il vivait avec la première personne pendant 10 ou 15 ans. Évidemment, ils n'étaient pas liés par les liens ordinaires du mariage, mais ils avaient une responsabilité financière mutuelle à cause de l'enfant. Par exemple, avec ce projet de loi, cette personne n'aurait aucun droit aux prestations de survivant.
Mme Laliberté: Aux termes du droit familial, elle n'aurait pas non plus une part de la pension à moins de pouvoir présenter des arguments de fiducie convaincants pour prouver qu'il est en train de s'enrichir injustement. Cette première épouse, celle qui est restée 10 ans, serait privée de sa pension aux termes du droit de la famille, et privée également d'une prestation de survivant aux termes de ce projet de loi s'il est adopté.
Le sénateur Joyal: Cela confirme mon argument. Le principe en cause, c'est celui que vous avez exposé dans votre déclaration d'ouverture, c'est-à-dire un test de dépendance par rapport à un test de partenariat.
Cela nous a mis la puce à l'oreille lorsque nous avons discuté avec la ministre la semaine dernière. Elle nous a dit que le ministère reconsidérait le concept de «conjoint» dans une unité familiale pour tenir compte de la dépendance.
Je me pose des questions. Je me demande si nous revenons en arrière en revenant au principe de la dépendance et en rejetant le principe du partenariat comme vous venez de nous l'expliquer. Pourriez-vous développer cet aspect là et nous faire profiter de votre expérience dans le domaine du droit de la famille?
Mme Laliberté: À mon avis, c'est effectivement un pas en arrière que de considérer l'ensemble de la loi sur la base de la dépendance. Toutefois, vous vous apercevrez peut-être qu'il existe une relation de dépendance financière basée sur le fait qu'on ne reconnaît pas tout le travail non payé effectué par ces conjoints pendant toute la période de cotisation. C'est la raison pour laquelle toutes les provinces ont mis en place des dispositions de droit de la famille qui introduisent cette distinction. En dépit de la dépendance financière, on ne veut pas que ce soit la personne qui est payée pour son travail qui tire tous les avantages financiers du partenariat marital au moment de la séparation. La Cour suprême du Canada s'est clairement prononcée en faveur de cette notion. C'est la raison pour laquelle on a changé vers le milieu des années 80 les dispositions du droit de la famille relatives à la division de la valeur des avoirs de retraite.
Le problème est dû en partie au fait qu'on n'a pas considéré les prestations de survivant comme un avoir. Dans un cas particulier, le juge a refusé d'attribuer une valeur aux prestations de survivant. Dans une certaine mesure, je comprends ce raisonnement car dans un tel cas c'est une prestation que le juge ne verra jamais. Par conséquent, on a décidé qu'il ne s'agissait pas d'une prestation destinée au juge. On pourrait donc prétendre que la prestation au survivant est en fait la propriété du conjoint qui était là pendant toute la période de cotisation. Cela n'a pas encore été fait. À cause du partage des crédits cela risque de ne pas être fait non plus dans d'autres lois. Mais dans le cas des juges, certaines femmes contesteront peut-être cet aspect pour obtenir la prestation au survivant, surtout si on les a privées de la pension proprement dite.
Le sénateur Joyal: À mon avis, la notion de dépendance ne met pas les deux personnes sur un pied d'égalité. Il y a toujours quelqu'un qui attend que quelqu'un d'autre fasse quelque chose. C'est contraire à l'égalité de la relation conjugale. La relation conjugale, qu'elle soit de même sexe ou hétérosexuelle, qu'ils aient des enfants ou qu'ils soient tous les deux milliardaires, est une relation d'égal à égal. Tout ce qui revient à un partenaire devrait profiter à l'autre dans le contexte des pensions, même s'ils n'ont pas besoin de cette pension, car le conjoint pourrait être plus riche que la personne qui a cotisé.
La question de dépendance met en cause un principe que j'ai du mal à accepter. Je me trompe peut-être, mais voilà comment je vois la question.
Mme Laliberté: C'est seulement un soutien fondé sur le besoin ou les moyens nécessaires pour payer. En droit de la famille, on détermine quels sont les avoirs et on fait une péréquation entre les parties. Jadis, les pensions et les prestations de survivant étaient fondées sur le besoin mais ce n'est plus le cas à l'heure actuelle, et c'est normal. Voilà comment je comprends la position de la ministre. J'ai parcouru ces observations, et je ressens la même appréhension. C'est un pas dans la mauvaise direction. Nous devrions chercher à renforcer l'égalité du partenariat, et c'est sur cette base que nous devrions considérer les prestations de survivant.
Le sénateur Joyal: Faut-il les considérer comme des avoirs?
Mme Laliberté: Précisément.
Le sénateur Joyal: Il y a un principe important dans la définition du conjoint survivant. Comme vous l'avez remarqué, dans les autres lois que vous avez étudiées, il n'y a pas de définition du «conjoint survivant».
Mme Laliberté: Il n'y a pas de définition du «conjoint survivant» dans la Loi sur les juges et on ajoute quelque chose qui n'a déjà pas de définition. Cela pose un problème. Il n'y a pas non plus de définition du «conjoint» dans ce texte.
Puisqu'on a laissé au Conseil du Trésor ou aux administrateurs le soin d'interpréter, ils ont décidé que l'ancien conjoint ne peut être un conjoint survivant. En l'absence d'une définition, cela marche dans les deux sens. Parfois c'est une bonne chose, mais dans le cas présent, à mon avis, c'est regrettable.
Le sénateur Joyal: Pensez-vous que le principe des avoirs confirme votre notion de ce qui constitue une pension?
Mme Laliberté: Oui, et en même temps cela laisse aux administrateurs du régime une trop grande discrétion en ce qui concerne les destinataires des prestations.
C'est ce qui se produira en l'absence d'une définition. Ce sont les administrateurs du régime qui décideront qui est le conjoint survivant et qui trouveront les arguments nécessaires.
Je n'ai pas beaucoup parlé d'une prestation globale, mais le juge n'a pas le droit de désigner ce bénéficiaire-là. S'il n'y a pas de méthode pour le partage des crédits, si le juge meurt, le conjoint est protégé uniquement par une police d'assurance et une prestation globale unique. Ensuite, les parties n'ont plus la possibilité de s'arranger entre elles pour permettre à l'épouse de recevoir cette prestation pour protéger ses propres droits à une pension. C'est une somme qui dépasse de beaucoup ce qui est nécessaire pour les dépenses funéraires. Cela vient s'ajouter.
Le sénateur Lawson: De toute évidence, c'est une question complexe, je parle à la fois de la pension et des prestations au survivant. C'est un domaine où nous devons faire très attention à ce que nous faisons.
Il n'y a pas très longtemps, j'ai reçu une lettre du gouvernement américain me disant: «il est possible que vous ayez droit à des prestations de sécurité sociale. Prière de vous mettre en rapport avec notre bureau.» C'est donc ce que j'ai fait. Comme j'ai vécu une partie de ma vie aux États-Unis, j'avais droit à des prestations de sécurité sociale. Ils m'ont dit qu'ils devaient me poser un certain nombre de questions. J'ai dit: «très bien». Ils m'ont demandé: «Avez-vous une ou plusieurs anciennes épouses?» Je leur ai répondu: «Y a-t-il un minimum d'épouses nécessaires pour avoir droit à des prestations?»
Je ne me suis peut-être pas très bien exprimé, mais d'après nos règles, si vous avez d'anciennes épouses qui ont vécu avec vous dans les liens du mariage pendant une période de dix ans ou moins, chacune d'entre elles à droit à 50 p. 100 des prestations que vous recevez. Supposons que votre prestation soit de 1 000 $ par mois et que vous ayez eu quatre femmes différentes sur une période de 40 ans, chacune d'entre elles aurait droit à 500 $ par mois.
Mme Laliberté: Le régime pourrait rapidement tomber en faillite.
Le sénateur Lawson: Exactement. Nous sommes sur un terrain dangereux. Il nous faut examiner la question avec soin. Vous parlez d'équité, et c'est une question très importante. C'est peut-être une question plus vaste encore, qui déborde du cadre de la Loi sur les juges.
Vous avez mentionné le régime de pensions du Canada, qui ressemble au régime américain de sécurité sociale. J'ignore si ces règles s'appliquent. Les dispositions sur l'équité, le partage, les actifs et les bénéficiaires ne tiennent pas compte de la possibilité d'ex-conjoints multiples. À mon avis, c'est très complexe.
Mme Laliberté: Effectivement, c'est très complexe. Même si le ministre inclut le RPC, c'est très différent, parce que le RPC permet aux conjoints de partager les crédits. Donc, la première conjointe peut se faire créditer son propre compte. Alors, cela ne semble pas si dramatique si le conjoint de fait qui ne l'était que depuis un an touche la prestation au survivant. Toutefois, des problèmes pourraient surgir. Je ne veux pas me prononcer pour ou contre, mais à l'heure actuelle, il y a des contestations devant les tribunaux sur la prestation de survivant en vertu du RPC.
Le sénateur Lawson: Le RPC dit-il qu'on a droit qu'à un certain nombre d'ex-femmes? Faut-il une limite?
Mme Laliberté: Pour le partage des crédits, c'est proportionnel.
Le sénateur Moore: Vous avez parlé de la répartition de la rente. D'après le paragraphe 44.1 (1), «... si deux conjoints survivants ont droit à une pension... chacun reçoit la partie de la pension qui lui revient par application du paragraphe (2).»
Mme Laliberté: Oui, c'est un ajout. Je voudrais préciser que cette disposition s'applique dans le cas d'un mariage après la période de cotisation.
La présidente: Je crois que non.
Mme Laliberté: Vous avez raison, ce n'est pas le cas.
Le sénateur Moore: Pendant votre exposé, vous avez dit que le projet de loi ne prévoit pas de répartition pour le premier conjoint.
Mme Laliberté: S'ils ont divorcé, le conjoint divorcé est exclu.
Le sénateur Cools: Vous dites qu'il est exclu.
Mme Laliberté: C'est ça que je voulais dire. Si les deux sont tout simplement séparés, il y a répartition. Dans les cas de divorce, il n'y a pas de répartition.
Le sénateur Moore: Cela suppose qu'il n'y a pas d'accord de séparation. Cela suppose également que l'ordonnance de la Cour sur l'action en divorce n'a pas exigé la répartition de la rente.
Mme Laliberté: Je crois que non. C'est le cas pour un conjoint séparé.
Si les deux sont divorcés, même s'il n'y a aucun accord ou ordonnance touchant la pension, le conjoint ne peut pas toucher la prestation du survivant, peu importe s'il y a un accord sur cette prestation ou non. Toutefois, dans le cas d'un conjoint séparé, peu importe si les deux ont une entente ou non, ce conjoint a droit à une partie de la prestation au survivant.
Le sénateur Moore: Pourquoi? Je ne comprends pas.
Mme Laliberté: La notion du conjoint survivant n'est pas définie, et les administrateurs ont décidé qu'un conjoint divorcé ne peut pas être un conjoint survivant. Cette question est actuellement devant les tribunaux, et la contestation se fait en vertu de l'autre loi également.
Cette décision pourrait facilement mener à un grand nombre de contestations devant les tribunaux, ou à des injustices si le conjoint n'est pas en mesure de contester.
Le sénateur Moore: Si la définition du conjoint survivant incluait l'ex-conjoint qui n'a pas reçu une partie de la rente en vertu d'une autre loi, d'un accord de séparation, d'une ordonnance de la cour ou en raison d'une action en divorce, cela vous serait utile.
Mme Laliberté: Cela serait utile, mais s'il n'est pas possible de partager les crédits, et si la femme touche sa part de la pension mensuellement, il y a encore un problème. Si la conjointe est divorcée, elle perd son droit à la pension au moment du décès du juge, et si elle est divorcée elle n'a pas le droit à la prestation du survivant. Donc, ce changement à la définition serait utile, mais il ne va pas assez loin.
Le sénateur Moore: Vous avez dit à la fin de votre exposé que le juge n'a pas le droit de nommer le bénéficiaire de la somme forfaitaire. Vouliez-vous dire qu'il ne devrait pas avoir ce droit?
Mme Laliberté: À mon avis, il devrait avoir ce droit.
Le sénateur Moore: Pourquoi n'a-t-il pas ce droit?
Mme Laliberté: Il l'aurait si cet amendement est retenu. Il l'a peut-être déjà, mais je pourrais revenir au comité pour apporter des précisions. D'après mon interprétation de l'amendement, la loi stipule que la somme forfaitaire est versée au conjoint de fait qui a vécu au moins un an avec le juge.
La loi antérieure n'a pas précisé qui aurait droit à cette somme; elle stipulait tout simplement «conjoint survivant». J'ignore si c'était le juge lui-même qui désignait la personne, ou s'il incombait à l'administrateur du régime en vertu de la Loi sur les juges de désigner la personne. Je sais qu'en vertu de la Loi sur les pensions versées aux membres des Forces canadiennes, c'est aux miliaires de désigner la personne qui touchera la somme forfaitaire, mais pas le bénéficiaire de la prestation au survivant.
Je me rends compte que c'est déroutant. Le militaire ne désigne pas la personne qui touchera la prestation mensuelle, mais il désigne celle qui touchera l'assurance-vie, la somme forfaitaire. Donc, quand les parties négocient leur accord de séparation, ils peuvent protéger un conjoint pour ce qui est de son droit à une pension ou à une pension alimentaire si l'autre conjoint meurt.
Le sénateur Moore: À la page 6, clause 9, on dit «n'a pas droit à la pension prévue au présent article le conjoint survivant qui y a renoncé aux termes d'un accord de séparation conclu conformément au droit provincial applicable».
Devrions-nous ajouter «ou aux termes d'une ordonnance d'un tribunal ou d'une action en divorce entre les deux parties»? Le projet de loi ne dit rien sur les ordonnances faites dans le cadre d'une action en divorce. Par contre, il mentionne les accords de séparation.
Mme Laliberté: En règle générale, les accords de séparation comportent les ordonnances des tribunaux.
J'ai du mal à accepter cela également. En règle générale, les ordonnances d'un tribunal ne parlent même pas des prestations au survivant. D'après mon expérience, les administrateurs du Régime de pension pour la fonction publique ne respectent pas les accords entre les parties, les ordonnances d'un tribunal ou les testaments quand il s'agit des prestations versées au survivant.
Par conséquent, quand j'ai lu cette clause, je craignais que les administrateurs soient obligés de le faire, maintenant que cette question est incluse; toutefois, quand les parties sont en train de se séparer et quand les accords sont rédigés, on ne tient pas compte de cela en général. Je ne sais pas trop d'où cela vient, mais d'après moi, si vous incluez les accords, vous devriez inclure les ordonnances des tribunaux aussi, car les deux vont de pair.
Le sénateur Moore: En haut de la page 8, à la clause 11, on parle d'une somme forfaitaire égale à un sixième du traitement. Vous dites que cette somme est la prestation du survivant, n'est-ce pas?
Mme Laliberté: Non, c'est une somme forfaitaire.
Le sénateur Moore: Je ne m'y retrouve plus; il y a la prestation en vertu de la pension et la prestation du survivant.
Mme Laliberté: Effectivement, c'est déroutant. Dans cette clause, on parle d'une somme forfaitaire qui n'a rien à voir avec la prestation au survivant.
On dit, «du juge décédé en exercice». J'ignore ce qui se passe si le juge n'est pas en exercice. La Loi sur les juges prévoit une prestation de décès distincte dans ce cas-là, prestation à laquelle on ne fait pas référence ici. À mon avis, c'est une somme forfaitaire qui est payée si le juge est encore en fonction au moment de sa mort, et dans la loi cette somme est désignée pour un conjoint survivant.
Le sénateur Moore: Serait-il utile d'ajouter une phrase dans cet article qui dirait que chaque conjoint survivant toucherait une pension de cette somme forfaitaire, de façon proportionnelle, comme c'est prévu dans la clause 44?
Mme Laliberté: Cela serait préférable à la disposition qui se trouve ici, mais il faut changer le libellé de cette disposition pour permettre au juge de désigner la personne qui toucherait la somme forfaitaire pour la raison que j'ai évoquée plus tôt, c'est-à-dire, pour assurer une certaine protection pour des raisons autres que des frais d'obsèques.
Le sénateur Sparrow: Devraient-ils avoir le droit de désigner une personne en particulier ou la succession?
Mme Laliberté: Oui, l'un ou l'autre, et cela pourrait se faire par contrat. La décision serait prise par le juge et les conjoints, qui décideraient ensemble du ou de la bénéficiaire de cette somme au moment d'une rupture. Cela leur permettrait d'organiser leurs accords au moment de la rupture du mariage et de protéger la personne qui aurait besoin de protection ou qui avait droit à la protection.
Le sénateur Lawson: Chaque année, nous recevons un état qui nous donne les informations sur la prestation de décès et on demande qui est la personne désignée. Je ne vois pas pourquoi cela serait différent dans ce cas-ci.
Mme Laliberté: Même si vous pouvez désigner la personne qui touchera la prestation de décès pour le survivant, vous devez vous servir du formulaire fourni. Le Conseil du Trésor a refusé d'accorder la prestation supplémentaire de décès à une personne qui a été désignée dans un testament ou dans un accord de séparation. À mon sens, il faudrait éviter ce problème.
Le sénateur Cools: Les propos de ce témoin m'ont beaucoup impressionnée, et je tiens à la remercier. Je crois comprendre qu'elle travaille sur ce dossier depuis un certain temps pour aider les femmes des militaires. Je pense qu'elle a présenté un excellent exposé, avec très peu de préavis.
La présidente: Vous avez certainement démontré que vous connaissez très bien ce domaine. Merci d'être venue et de nous avoir fait part de vos opinions. En conséquence, je crois qu'il nous faudra tenir compte de beaucoup plus de questions.
Mme Laliberté: Merci de m'avoir invitée.
La séance est levée.