Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 34 - Témoignages (projet de loi C-25)
OTTAWA, le mardi 6 octobre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui est saisi du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 31 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui l'honorable Art Eggleton, ministre de la Défense nationale, et le brigadier-général Pitzul, qui est le juge-avocat général.
Monsieur Eggleton, nous procédons ici de façon assez informelle. Vous aurez d'abord la parole pour faire une allocution, après quoi les sénateurs pourront vous poser des questions. Vous avez la parole.
[Français]
M. Arthur C. Eggleton, député, c.p., ministre de la Défense nationale: Madame la présidente, j'aimerais d'abord vous remercier ainsi que les autres honorables membres du comité de me donner l'occasion de vous parler du projet de loi C-25. Je suis heureux d'être ici pour discuter de cet élément clé du vaste programme de changement en cours au ministère de la Défense nationale et dans les Forces armées canadiennes.
[Traduction]
Ce projet de loi représente un ensemble ambitieux de modifications qui renforceront le cadre juridique qui régit le fonctionnement du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Les modifications proposées dans ce projet de loi constituent la refonte la plus en profondeur de la Loi sur la défense nationale depuis sa promulgation en 1950.
Les Forces canadiennes ont fait la preuve à maintes et maintes reprises qu'elles sont véritablement une institution nationale vitale. À l'instar de tous les Canadiens, nous avons tout lieu de nous féliciter de leur dévouement et de leur professionnalisme. Encore tout récemment, lors de l'opération de recherche et de récupération au large de Peggy's Cove en Nouvelle-Écosse, nous avons vu nos militaires accomplir leurs tâches avec compétence, professionnalisme et sensibilité, dans des conditions extrêmement difficiles.
Pour que les Forces canadiennes puissent s'acquitter des missions qui leur sont confiées par le gouvernement, elles doivent avoir les outils nécessaires. L'un de ces outils est le système judiciaire. Il ne faut pas oublier que nous avons affaire à des forces armées, entraînées au combat, qui exigent un système judiciaire militaire distinct. Cette exigence découle du caractère unique du mandat des Forces canadiennes, de leur objet même et des rôles qui leur sont confiés, mais aussi des responsabilités et obligations spéciales de leurs membres. L'élément central de ce caractère unique tient au fait que les militaires peuvent être appelés à risquer leur vie dans l'accomplissement de leurs tâches. D'où l'importance extrême de la discipline et de la cohésion des unités militaires. Cette réalité opérationnelle a des conséquences précises pour le système de justice militaire.
Premièrement, les Forces canadiennes ont besoin d'un système judiciaire qui peut juger aussi bien les infractions contre les lois ordinaires du Canada que les infractions qui sont particulières aux militaires, par exemple la mutinerie ou l'absence sans permission.
Deuxièmement, la chaîne de commandement militaire, qui est responsable non seulement du maintien de la discipline, mais aussi de l'accomplissement des missions confiées par le gouvernement, doit jouer un rôle clé dans l'administration de la justice.
Troisièmement, le système doit être capable de punir rapidement les infractions, pour que les soldats soient retournés à leurs unités le plus vite possible.
Enfin, le système doit être mobile pour pouvoir fonctionner partout où les Forces sont déployées, que ce soit en temps de paix ou de conflit, au Canada ou à l'étranger.
En prenant des mesures pour faire en sorte que les Forces canadiennes soient dotées du système judiciaire dont elles ont besoin, nous avons demandé conseil aux militaires, au grand public et à d'éminents Canadiens possédant des connaissances spécialisées. Les modifications proposées dans le projet de loi C-25 sont le fruit de ce processus et représentent un élément crucial du vaste programme de changements actuellement en cours au ministère de la Défense nationale et dans les Forces canadiennes.
Le projet de loi C-25 comporte quatre éléments principaux qui visent directement à la modernisation du système judiciaire militaire. Premièrement, il établit clairement dans la Loi sur la défense nationale, pour la première fois, les rôles et responsabilités des principaux intervenants du système de justice militaire. Il fixe clairement des normes de séparation institutionnelle entre les fonctions d'enquête, de poursuite et de défense et les fonctions judiciaires. Deuxièmement, il renforce la transparence et encadre de façon plus structurée l'exercice du pouvoir discrétionnaire individuel dans les processus d'enquête et de mise en accusation. Troisièmement, il modernise les pouvoirs et procédures des tribunaux militaires, et supprime la peine de mort en droit militaire. Quatrièmement, il renforce la supervision et le contrôle de l'administration de la justice militaire.
Nous avons aussi saisi l'occasion que nous offrait ce projet de loi pour modifier une foule d'autres dispositions de la Loi sur la défense nationale. Par exemple, le projet de loi C-25 modernise les dispositions relatives aux commissions d'enquête. Il précise également les autorisations légales qui régissent l'accomplissement de fonctions de service public par les membres des Forces canadiennes, par exemple les services qui ont été rendus récemment pendant la tempête de verglas.
Je me ferai un plaisir de discuter de tout aspect du projet de loi avec les membres du comité, mais dans mon allocution d'ouverture, je voudrais énoncer notre position sur quatre questions précises qui sont abordées dans le projet de loi. Premièrement, les recommandations de la Commission d'enquête sur la Somalie visant la création, dans la Loi sur la défense nationale, d'un poste d'inspecteur général; deuxièmement, la nécessité de modifier la loi pour créer le poste d'ombudsman; troisièmement, la juridiction des tribunaux militaires sur les agressions sexuelles perpétrées au Canada; et quatrièmement, l'indépendance des juges militaires.
Je vais d'abord aborder la question de la création du poste d'inspecteur général. Certains ont dit que le gouvernement avait laissé de côté la recommandation de la Commission d'enquête sur la Somalie visant la création d'un poste d'inspecteur général. Nous donnons suite à environ 83 p. 100 des recommandations de cette commission, notamment dans le domaine de la justice militaire. À ma connaissance, aucune autre commission d'enquête, dans l'histoire canadienne récente, n'a vu ses recommandations appuyées de façon aussi généralisée ou appliquées aussi rapidement.
Il est vrai que nous ne sommes pas d'accord avec la recommandation précise concernant l'inspecteur général, mais nous souscrivons à l'objectif sous-jacent, que nous appuyons fermement: le renforcement de la supervision du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, c'est-à-dire la supervision par les autorités civiles et par le Parlement. Pour atteindre cet objectif, nous avons adopté une stratégie en trois volets.
Premièrement, nous nous sommes efforcés de renforcer notre coopération avec des organismes de supervision existants, avec lesquels nous traitons actuellement, par exemple le vérificateur général, le commissaire aux langues officielles et la Commission canadienne des droits de la personne.
Deuxièmement, nous avons renforcé considérablement les exigences en matière de rapports annuels et publics, notamment pour ce qui est des rapports devant obligatoirement être présentés au Parlement sur les questions de défense. En fait, pas moins de six rapports seront rendus publics et seront déposés au Parlement.
Troisièmement, dans le projet de loi C-25 et ailleurs, nous avons ajouté de nouveaux organes de supervision spécialisés, par exemple le comité d'examen des griefs des Forces canadiennes et la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire.
Notre approche pour ce qui est des activités de surveillance du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes comporte deux avantages: premièrement, elle permettra de renforcer la supervision par les civils; et deuxièmement, elle prévoit la création de mécanismes de révision spécialisés taillés sur mesure pour aborder des domaines spécifiques. C'est la principale différence et c'est la raison pour laquelle nous n'appuyons pas la recommandation relative à l'inspecteur général. De plus, les mandats des nouveaux organismes serviront de complément à ceux des organismes de révision interne et externe actuels au lieu de s'y opposer.
Étant donné les nouveaux organismes que le gouvernement établit, nous ne voyons pas le besoin d'un inspecteur général. C'est bien simple, nous répondons à tous les besoins.
D'aucuns ont dit qu'il fallait ajouter à la Loi sur la défense nationale des dispositions créant le poste d'ombudsman. Comme vous le savez peut-être, j'ai récemment nommé M. André Marin au poste d'ombudsman des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale; M. Marin est le premier à occuper ce poste. L'ombudsman fournira des renseignements, des conseils et des avis à tous les employés, militaires ou civils, qui ont des raisons de croire qu'ils ont été injustement traités. Il sera un intermédiaire, un médiateur et un rapporteur neutre et indépendant. Comme tel, il sera particulièrement bien placé pour provoquer des améliorations sensibles et durables au bien-être des membres des Forces canadiennes, de leurs personnes à charge et de tous les employés du ministère. Étant donné la nature des fonctions de l'ombudsman, il n'est pas nécessaire que le poste soit établi dans la Loi sur la défense nationale.
L'ombudsman jouit d'une très grande autorité morale et d'une grande crédibilité aux yeux des principaux décideurs du ministère et des Forces canadiennes; cette autorité morale et cette crédibilité découlent dans une large mesure de la neutralité et de la confidentialité de ses fonctions et aussi du fait qu'il relève directement de moi. L'ombudsman mettra cette autorité à profit dans des affaires qui ne peuvent pas être résolues par la chaîne de commandement et lui permettra d'attirer l'attention du public sur tout problème éventuel. L'ombudsman relève directement de moi et son rapport annuel sera rendu public.
Au début de l'année, les médias ont rapporté un certain nombre d'incidents ou d'allégations d'agressions sexuelles dans les forces armées. L'agression sexuelle est un crime et est traitée comme telle. En plus d'être intrinsèquement répréhensible, une agression sexuelle perpétrée dans le contexte militaire entrave la capacité des militaires des deux sexes de contribuer également à l'accomplissement de la mission des Forces canadiennes. Les agressions sexuelles sont extrêmement néfastes pour le moral et la cohésion de l'unité. Elles sapent le respect mutuel et la confiance envers les collègues, deux éléments sur lesquels repose l'efficacité militaire.
C'est pourquoi dans le projet de loi C-25, nous proposons de modifier la loi de manière à abroger les limites actuelles relativement à l'instruction des affaires d'agressions sexuelles au Canada. Ces modifications conféreront aux Forces canadiennes une compétence concurrente à celle des autorités civiles en ce qui a trait à l'agression sexuelle, comme c'est le cas pour la grande majorité des infractions fédérales. Les Forces canadiennes ont déjà compétence concurrente sur presque toutes les infractions de compétence fédérale commises au Canada, y compris les infractions d'ordre sexuel comme l'exploitation sexuelle.
Les Forces canadiennes sont déterminées à traiter sérieusement toute affaire de violence sexuelle contre des militaires, afin de favoriser l'égalité dans les Forces. Les accusations d'agressions sexuelles pourront seulement être instruites dans un procès devant une cour martiale présidée par un juge militaire.
Je passe maintenant à un autre aspect clé du projet de loi C-25, c'est-à-dire les changements en profondeur apportés au cadre réglementaire du poste de juge militaire. La cour d'appel des cours martiales du Canada s'est récemment prononcée dans l'affaire Lauzon sur le cadre réglementaire et légal du poste de juge militaire, tel qu'il existait en août 1997. La cour a jugé que les cours martiales permanentes, et par voie de conséquence les autres cours martiales, ne répondaient pas aux exigences du paragraphe 11d) de la Charte relativement à l'indépendance des tribunaux. La décision de la cour renforce l'importance d'une séparation claire des pouvoirs judiciaires et exécutifs, et c'est l'un des principaux objectifs du projet de loi C-25.
C'est en prévision de décisions comme celle qui a été rendue dans l'affaire Lauzon que nous avons proposée dans le projet de loi C-25 de modifier la loi afin de renforcer l'indépendance des juges militaires. Aux termes du projet de loi C-25, les juges militaires, comme tous les juges fédéraux, seront nommés par le gouverneur en conseil pour un mandat de cinq ans. Toute décision concernant le renouvellement du mandat ou la destitution des juges militaires sera prise après examen des recommandations d'un comité constitué à cette fin. La composition du comité sera fixée par règlement et sera équilibrée de manière à assurer l'indépendance, l'efficacité et l'objectivité.
Les juges militaires disposeront d'un mécanisme indépendant, efficace et objectif permettant de dépolitiser le processus de l'établissement du traitement. Le traitement des juges militaires sera établi de manière à se conformer aux exigences énoncées récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire du Renvoi I.-P.-É. Aux termes du projet de loi C-25, le traitement des juges devra être réexaminé régulièrement par un comité de révision. Tout changement au traitement sera apporté sur la recommandation du comité. La composition du comité sera prescrite par règlement et la méthode choisie constituera une façon indépendante, efficace et objective de régler cette question.
Dans la décision rendue en 1992 par la Cour suprême dans l'affaire Généreux, le juge en chef Lamer a fait observer que la force de la justice militaire réside dans l'utilisation d'officiers militaires qui ont une formation juridique, et il a dit que le fait de priver le système de justice militaire des connaissances et de l'expérience de ces officiers ne serait avantageux ni pour les Forces canadiennes ni pour l'accusé. C'était là une importante décision dans toute cette affaire de l'existence d'un système de justice militaire séparé.
Les juges militaires sont des participants clés de ce système et les changements proposés dans le projet de loi C-25 renforceront leur indépendance et le respect à l'égard de notre système de justice militaire.
Honorables sénateurs, il y a près de 50 ans que la Loi sur la défense nationale a été promulguée; c'était le premier texte de loi traitant de façon exhaustive de la défense nationale et applicable également aux trois composantes de la défense. Le monde a changé considérablement depuis cette date, mais il demeure nécessaire de faire en sorte que nos forces armées soient prêtes au combat, aux missions de maintien de la paix et à toute autre fonction que le gouvernement peut leur assigner. En modernisant le système de justice militaire, les modifications proposées dans le projet de loi C-25 renforceront l'efficacité et l'efficience de nos forces armées et permettront aux hommes et aux femmes qui sont membres des Forces canadiennes et qui nous servent si bien de continuer à le faire et de le faire encore mieux.
[Français]
Je serai heureux de participer à vos discussions du projet de loi C-25 et de répondre à vos questions.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Premièrement, je vous félicite pour la disposition traitant de la peine de mort. C'est une bonne chose et c'est conforme à l'esprit de la Charte canadienne des droits et des libertés.
Ma question porte sur l'indépendance de la justice militaire, dont il est fait mention dans le projet de loi. La Cour suprême du Canada s'est prononcée sur cette question. Nous devons avoir un système de justice militaire plus transparent et plus indépendant. Vous n'ignorez pas que le juge en chef Brian Dickson a fait rapport au Parlement sur cette question. Dans quelle mesure ce projet de loi met-il en application les suggestions faites par le juge en chef Dickson? Je n'ai aucune objection à ce que le traitement des juges militaires soit établi de manière à répondre aux exigences énoncées dans le Renvoi Î.-P.-É. En fait, je suis d'accord avec cette mesure. Toutefois, le mandat de cinq ans est plutôt bref. Peut-être devrait-il être plus long. Il y a aussi la question de savoir dans quelle mesure la possibilité ou l'impossibilité de renouveler le mandat peut influer sur l'indépendance du juge.
M. Eggleton: Le travail accompli par le comité consultatif spécial présidé par l'ancien juge en chef Dickson a été le document de référence de base pour l'élaboration de ces modifications. C'est essentiellement ce que lui et le comité ont recommandé. Dans l'ensemble, c'était également ce que recommandait la Commission sur la Somalie. Il y a certaines différences, mais il y a aussi beaucoup de points communs entre les recommandations de la Commission d'enquête sur la Somalie et le rapport du juge en chef Dickson. Toutefois, c'est le rapport de l'ancien juge en chef qui a servi de base à l'élaboration de ces mesures.
Le mandat de cinq ans est renouvelable. Comme je l'ai dit dans mon allocution, toute décision en matière de renouvellement et de destitution sera prise par un comité spécial constitué à cette fin. Cela dépolitisera ce processus.
Je vais demander au JAG s'il a d'autres observations à faire là-dessus.
Le brigadier général J. Pitzul, juge-avocat général (JAG), ministère de la Défense nationale: Les recommandations de M. le juge Dickson sont entièrement reprises dans le projet de loi.
Les nominations d'une durée déterminée représentent une mesure raisonnable dans le contexte militaire. Cela permet de faire carrière en alternant les fonctions dans la structure militaire.
Les juges militaires ne fonctionnent pas dans un cadre statique. Ils sont obligés de se déplacer partout dans le monde pour administrer la justice et ils trouvent difficile de vivre dans leurs valises pendant de longues périodes. Les mandats d'une durée déterminée proposés dans le projet de loi sont raisonnables et sont fondés sur les recommandations de l'ancien juge en chef.
Quand il y a possibilité de renouvellement, cela pose toujours la question de savoir quelle influence une nomination d'une durée déterminée peut avoir sur l'indépendance de la personne ainsi nommée. Les décisions de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Valenti et d'autres indiquent qu'une nomination pour une durée déterminée est acceptable pour ce qui est de l'indépendance de la magistrature.
Le sénateur Beaudoin: Je n'ai aucune objection à ce que les nominations soient faites pour des durées déterminées, que ce soit cinq ou même dix ans. Toutefois, la question du renouvellement me pose certaines difficultés. Dans beaucoup de grandes démocraties, les gens sont nommés aux conseils ou tribunaux constitutionnels pour des mandats de neuf ou dix ans, mais il n'y a pas de renouvellement du mandat, parce que les gens estiment que ce ne serait pas aussi transparent qu'un mandat fixe et non renouvelable. Pourquoi avez-vous choisi de rendre possible le renouvellement? Pourquoi ne pas proposer un mandat d'une durée déterminée et s'en tenir là?
Le Le bgén Pitzul: Comme je l'ai dit, cela permet aux gens qui viennent de terminer un mandat de choisir de s'orienter vers une autre carrière au sein des Forces, ou bien de continuer à voyager de par le monde pour exercer leurs fonctions. Bien des gens estiment qu'un mandat de cinq ans est suffisant. J'ai été moi-même juge militaire pendant cinq ans. C'est une période suffisante, compte tenu du caractère astreignant de ce poste.
Le processus de renouvellement sera assumé par le comité de renouvellement, tel que prévu dans la loi, et la durée et les modalités seront les mêmes que pour la nomination initiale. Toute préoccupation relative au processus de renouvellement sera dissipée par l'indépendance et l'objectivité de ce comité. Sa structure sera semblable à celle du comité qui a recommandé la nomination du juge au départ.
M. Eggleton: C'est une nomination par décret du gouverneur en conseil.
Le sénateur Beaudoin: Un comité recommande éventuellement le renouvellement du mandat, mais la décision est prise par le gouverneur en conseil; c'est bien cela?
Le bgén Pitzul: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Un comité quelconque évalue-t-il le rendement avant que la décision ne soit prise de renouveler le mandat?
M. Eggleton: Un comité se penche sur la question de la destitution d'une personne. J'ai bien compris votre question, mais je devrai vérifier si le comité s'occupe des renouvellements.
Le bgén Pitzul: C'est un comité différent.
M. Eggleton: Mais il y a un comité.
Le sénateur Nolin: Votre ministère est complexe et comporte en fait deux volets distincts: les militaires et la défense. Au sommet de la hiérarchie, il y a le chef d'état-major et un sous-ministre. Qui est le patron, après vous?
M. Eggleton: Le chef d'état-major de la défense est assurément le grand patron, au bout de la chaîne de commandement militaire. Le sous-ministre est le chef du ministère civil. Les deux ont des fonctions fort différentes et des domaines de compétence distincts. Ils comprennent ce que l'on attend d'eux. Ils relèvent tous les deux de moi. Ils collaborent entre eux dans un certain nombre de domaines, mais ils comprennent tous les deux que leurs fonctions sont distinctes.
Le sénateur Nolin: La loi et les modifications que vous recommandez au Parlement d'y apporter définissent minutieusement les règles et responsabilités du volet militaire de votre ministère.
M. Eggleton: En effet.
Le sénateur Nolin: Il n'y est pas fait mention du côté civil. Pourquoi?
M. Eggleton: De façon générale, les affaires civiles sont instruites par le système judiciaire civil.
Le sénateur Nolin: Je ne songe pas seulement au système de justice. J'en reviens à votre réponse à ma première question. Vous avez dit qu'ils connaissent leur domaine de compétence respectif. Pour ce qui est de l'aspect militaire, vos responsabilités sont bien définies. Toutes ces responsabilités sont clairement énoncées dans la loi. Par contre, les responsabilités du sous-ministre ne sont pas aussi claires, d'où ma question. Comment savent-ils quelles sont exactement leurs responsabilités et comment s'assurent-ils de fonctionner d'une façon parfaitement coordonnée, sous votre responsabilité?
M. Eggleton: Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir. Par conséquent, je ne sais trop quel genre de réponse vous escomptez.
Les attributions énoncent clairement les fonctions et les domaines de responsabilité qui incombent au sous-ministre.
Le sénateur Nolin: Est-ce du domaine public?
M. Eggleton: Que je sache, oui. En tout cas, je connais bien leurs attributions et eux aussi.
Le sénateur Kinsella: Mes collègues seront surpris d'apprendre que j'ai moi-même des états de service militaire. J'ai servi dans la 112e Compagnie du Corps royal de l'intendance de l'armée canadienne. J'ai commencé comme simple soldat, je suis devenu camionneur et j'ai terminé mon service comme simple soldat. J'ai un document de libération honorable pour le prouver.
Je dis cela pour établir le contexte de ma question. Comme vous le savez, je viens du Nouveau-Brunswick, province dans laquelle se trouve -- en fait, elle se trouve même dans la région de cette province que je représente -- la plus grande base militaire non seulement au Canada, mais dans tout le Commonwealth. Par conséquent, je reçois souvent des appels téléphoniques de militaires de la base et de leurs personnes à charge. Bon nombre des articles de ce projet de loi sont associés aux questions que l'on m'a posées au fil des années.
J'ajoute que, quoique je représente la région où se trouve cette base militaire, je n'ai jamais été invité par le ministère à visiter la base. J'espère que vos collaborateurs en prendront bonne note.
M. Eggleton: Je crois que vous êtes sur le point de recevoir une telle invitation.
Le sénateur Kinsella: Il est important que tous les éléments de l'appareil gouvernemental prennent bonne note du fait qu'il y a deux Chambres du Parlement, le Sénat en étant une, et que les sénateurs soient mis en contact avec les divers organes de l'administration afin que nous puissions assumer nos responsabilités sénatoriales.
En tant que simple soldat, en lisant le projet de loi, j'ai eu l'impression qu'il s'adresse aux gradés. Par exemple, une modification propose de permettre aux non-officiers de devenir membres d'une cour martiale. En principe, je m'en réjouis. Le principe général de l'administration de la justice veut que l'on soit jugé par des pairs. C'est un principe établi des droits de la personne. On propose donc de modifier la Loi sur la défense nationale pour permettre aux non-officiers d'être membres d'une cour martiale, mais il faut avoir un grade supérieur à celui d'adjudant.
Je m'intéresse au raisonnement politique qui sous-tend ce changement. Pourriez-vous nous l'expliquer?
M. Eggleton: Premièrement, vous pouvez considérer que vous êtes invité à visiter la base de Gagetown. Je vais veiller à ce que vous ayez l'occasion de le faire. Je me ferai d'ailleurs un plaisir de faciliter les choses pour tout sénateur qui voudrait visiter une base militaire située dans la région géographique qui l'intéresse. Il est d'une importance vitale que vous compreniez bien les opérations militaires et le rôle qu'y jouent nos soldats, hommes et femmes. J'encourage cela et je vous remercie d'avoir attiré mon attention là-dessus.
Le projet de loi rapproche le système de justice militaire du système des tribunaux civils auxquels les Canadiens sont habitués et qu'ils jugent acceptable.
L'un des objectifs clés est l'équité; il faut avoir l'assurance que les militaires de tous les grades auront confiance d'être traités équitablement par ce système. C'est d'une importance vitale. Il est également essentiel d'avoir une plus grande transparence pour établir la confiance que nous voulons inculquer à tous nos soldats, hommes et femmes, de tous les grades.
Pour la première fois, nous ouvrons la porte aux sous-officiers en invitant les adjudants. Ce sont des gens qui comprennent bien les militaires du rang -- les simples soldats, les caporaux et autres gradés -- et je crois que cela aidera beaucoup à inspirer confiance dans le système judiciaire. C'est un pas dans cette direction.
Je vais demander au général Pitzul de vous en dire plus long là-dessus.
Le bgén Pitzul: Je souscris aux observations du ministre. Nous avons choisi un grade; c'était un choix à faire. Il fallait choisir un grade qui permette à l'intéressé d'avoir un bagage d'expérience suffisant pour qu'un sous-officier puisse contribuer au processus du procès devant jury. Les militaires de ce grade ont une compréhension de la vie militaire, du code de discipline militaire et des besoins spécifiques, à un degré qui ne serait peut-être pas atteint si l'on ouvrait la porte à tout le monde.
Le sénateur Kinsella: Pourriez-vous être plus précis? Supposons par exemple que le projet de loi soit adopté sous la forme présentée. Si un simple soldat est accusé d'agression sexuelle, quelle serait la composition du jury qui serait chargé d'entendre l'affaire?
Le bgén Pitzul: Le jury comprendrait deux officiers et un sous-officier.
Le sénateur Kinsella: Il n'y aurait aucun simple soldat?
Le bgén Pitzul: Non, monsieur.
Le sénateur Kinsella: Est-il exact de dire que dans une affaire d'agression sexuelle, une personne ne serait pas jugée par un jury formé de ses pairs?
Le bgén Pitzul: Pas dans le sens traditionnel du terme; c'est exact.
Le sénateur Kinsella: Beaucoup de soldats en garnison à la BFC Gagetown habitent à Oromocto. Si une agression sexuelle a lieu à cet endroit, à l'heure actuelle, l'affaire est instruite selon la procédure civile et le jury serait donc composé d'un échantillon de gens choisis au hasard. Si nous acceptons la modification proposée, le simple soldat pourrait être jugé par un sous-officier ou peut-être par des officiers. Est-ce ainsi que les choses vont se passer?
Le bgén Pitzul: L'affaire serait instruite par un jury composé de deux officiers et d'un sous-officier, aidés d'un juge militaire qui remplit la fonction de juge au procès.
M. Eggleton: Je voudrais ajouter que le système de justice militaire est un système de justice différent. C'est une structure différente, par rapport à ce qui existe dans l'ensemble de la société, étant donné l'existence des grades et de la chaîne de commandement. Il en a toujours été ainsi. La mesure proposée atténue cette différence.
Les adjudants sont des soldats bien informés, qui comptent de nombreuses années de service et d'expérience qui peuvent être avantageuses pour le système. Mais c'est un système différent. Tout de même, il est important d'assurer l'équité et la justice et de veiller à ce que les affaires soient instruites dans les plus brefs délais. À l'exception des accusations les plus graves qui peuvent aboutir à l'expulsion ou à l'incarcération, nous voulons faire en sorte, pour assurer la cohésion des unités, qu'une personne soit jugée rapidement par le système avant de pouvoir réintégrer le service. La cohésion de l'unité est vitale pour l'efficacité opérationnelle des militaires.
Nous nous occupons déjà des affaires d'agressions sexuelles commises à l'extérieur du Canada, mais nous estimons que nous devrions en faire autant pour les cas qui ont lieu au Canada. Ce genre d'affaires est très mauvais pour le moral et la cohésion de nos unités militaires et peut menacer l'efficacité de nos opérations, ce qui pose énormément de risques. Nos soldats risquent leur vie et s'exposent au danger, bien souvent, dans de nombreux théâtres d'opération. Il est très important que le moral et la cohésion soient au plus haut. Il nous faut un système de justice militaire équitable, mais rapide.
Quand des hommes et des femmes travaillent ensemble, ils doivent se faire confiance. C'est essentiel parce que, quand leur vie est en jeu, chacun pourrait sauver la vie de l'autre. Nous ne pouvons pas tolérer que des infractions sexuelles aient lieu. À bien des égards, il se pourrait bien que les sanctions soient plus sévères quand nous en serons responsables. Il faut qu'elles soient plus sévères pour assurer la cohésion de l'unité.
Le sénateur Rompkey: Dans le contexte de l'expérience en Somalie, je voudrais vous interroger sur les changements apportés aux fonctions, aux responsabilités et à l'indépendance de la police militaire.
Vous vous rappellerez que le problème qui s'est posé en Somalie, c'est que l'on n'avait pas bien fait enquête sur certains incidents et que l'on avait omis complètement de faire enquête sur d'autres. Nous avons constaté que les policiers militaires qui accompagnaient le régiment étaient trop peu nombreux. Seulement deux policiers militaires accompagnaient le régiment aéroporté. Les commandants ont trop tardé à demander à la police militaire de faire enquête sur certains incidents.
Le projet de loi propose certains changements. Les commandants demeurent les décideurs ultimes, mais ils devront faire rapport de toute infraction grave et délicate au Service national des enquêtes. Ils ne peuvent plus rejeter les accusations, et une accusation sera un document public.
J'ai encore certaines réserves, que vous pourrez dissiper, je l'espère, au sujet de l'indépendance de la police, puisque celle-ci est placée sous l'autorité du commandant de l'unité.
Je sais que le Service national des enquêtes est séparé et peut faire à peu près ce qu'il veut. Il peut décider de faire enquête. Dans le cas de la police militaire affectée à l'unité sur le terrain, êtes-vous convaincu que, sous l'égide de ce nouveau système, les problèmes qui ont surgi en Somalie ne pourront plus se reproduire?
M. Eggleton: D'importants changements ont été apportés aux enquêtes de la police depuis la Somalie. Nous avons la police militaire, dont les membres jouent le rôle de gendarmes dans les différentes unités tant au Canada qu'à l'étranger. Toutefois, depuis septembre de l'année dernière, nous avons mis en place le Service national des enquêtes. Ce dernier fait enquête sur les accusations graves et les affaires délicates. Il s'occupe par exemple des accusations d'agressions sexuelles et fait également enquête sur toutes les allégations qui ont été faites dans des articles du magazine Maclean(null)'s.
Le Service national des enquêtes est dirigé par le prévôt, qui est notre chef de police. Actuellement, c'est le colonel Patricia Samson qui occupe le poste de prévôt. De concert avec le Service national des enquêtes, elle fonctionne séparément de la chaîne de commandement. Elle relève du chef d'état-major adjoint de la Défense nationale, lequel ne fait pas directement partie de la chaîne de commandement. Elle fait seulement rapport au sujet de questions d'organisation générale, et non pas sur des affaires précises. Ces affaires relèvent de sa compétence.
Elle est l'une des personnes qui devront faire rapport. J'ai mentionné que l'on avait créé six nouveaux rapports publics. Le sien est l'un d'entre eux. Elle fera donc rapport chaque année, et ce rapport sera du domaine public. De plus, elle publie mensuellement des renseignements sur les accusations qui font l'objet d'enquêtes et sur l'aboutissement des accusations, tout comme le ferait un chef de police dans une collectivité, en précisant quelles affaires font l'objet d'une enquête et quelles accusations sont portées.
Tout cela se fait séparément de la chaîne de commandement opérationnel. Il ne sera plus possible que des accusations soient portées par le Service national des enquêtes dirigé par le prévôt et que ces accusations soient par la suite rejetées par la chaîne de commandement. Une fois que des accusations seront portées, elles devront suivre la procédure dans le système judiciaire.
Des changements importants ont été apportés depuis l'époque de la Somalie.
Le sénateur Rompkey: Je sais ce qu'il en est du Service national des enquêtes, mais la police militaire est-elle entièrement placée sous la surveillance directe du Service national des enquêtes? Si c'est le cas, comment évolueront à l'avenir les relations entre les agents de la police militaire et leur commandant sur le terrain? Auparavant, le commandant avait un pouvoir discrétionnaire étendu quant aux suites qu'il voulait donner à l'action de la police militaire ou même quant à savoir s'il lui demanderait d'intervenir. À l'avenir, la police militaire sera-t-elle dirigée ou pourra-t-elle être stoppée par le commandant, ou bien a-t-elle une certaine latitude lui permettant de faire enquête de son propre chef ou en passant par la chaîne de commandement?
M. Eggleton: Certainement pas dans le cas d'affaires graves qui relèvent du Service national des enquêtes. Il y a encore des agents de la police militaire qui fonctionnent dans le cadre de la chaîne de commandement et qui font du travail de gendarmes. En fait, la plupart des accusations qui sont portées pour quelque infraction au code de discipline militaire ne sont pas des accusations graves. Les incidents graves relèvent du Service national des enquêtes. La plupart n'aboutissent pas devant la cour martiale. Elles font l'objet d'une procédure sommaire, de concert avec la chaîne de commandement et le commandant de chaque unité particulière, que ce soit au Canada ou à l'étranger. Pour l'essentiel, ces infractions sont particulières au système militaire et visent à tenter de maintenir cette discipline et cette cohésion dont j'ai parlé.
En cas d'accusations graves, par exemple l'agression sexuelle, le Service national des enquêtes intervient. Il est tout à fait indépendant de la chaîne de commandement. Il est régi par un processus différent et relève du prévôt. C'est très différent, par rapport à la situation antérieure.
Le sénateur Rompkey: Ce qui s'est passé en Somalie ne pourrait plus arriver?
M. Eggleton: J'hésite toujours à dire que ce qui s'est passé une fois ne se reproduira plus jamais. Chose certaine, les choses ne pourront plus jamais se passer de cette façon. Si l'on prend chacun des incidents qui ont eu lieu en Somalie et que l'on examine le système tel qu'il est aujourd'hui, et le système tel qu'il serait après les nouvelles modifications apportées par le projet de loi C-25, l'affaire serait traitée d'une façon tout à fait différente et l'aboutissement serait considérablement différent.
Donc, bien des choses ont changé depuis la Somalie, non seulement pour ce qui est du système de justice militaire, mais aussi en ce qui concerne l'entraînement, le leadership et la performance, au point qu'il est difficile de croire que des événements de ce genre puissent se reproduire. Quand on est en présence d'un grand nombre de personnes, comme c'est le cas dans les forces armées, dont la grande majorité, hommes et femmes, sont des gens bien et dévoués, il y aura toujours des cas problématiques.
Des changements en profondeur ont été apportés depuis la Somalie. Il est difficile d'imaginer que l'on puisse jamais se retrouver dans la même situation, à la lumière des changements proposés.
Le sénateur Fraser: J'ai trouvé particulièrement intéressant d'écouter le colonel Fenske, quand il a témoigné devant nous la semaine dernière, au sujet de la nécessité de préserver l'indépendance absolue des fonctions de poursuite et de défense. Je suis consciente des efforts qui ont été déployés pour en avoir l'assurance. Toutefois, ce n'est pas seulement une question de fait, c'est aussi une question de perception de l'indépendance de ces parties et le fait que les deux services relèvent, ultimement, du juge-avocat général.
Mettrez-vous en place des arrangements spéciaux quelconques pour l'évaluation du rendement ou la promotion de ces deux directeurs clés des services de la défense et de la poursuite, comme il en existe actuellement, je crois, pour les juges militaires?
M. Eggleton: Chacun fait l'objet d'une évaluation. Nous changeons complètement le système et la façon de procéder pour que ce soit plus efficace.
Le sénateur Fraser: Je souhaiterais un système plus indépendant pour l'évaluation, au lieu de passer par la chaîne de commandement habituelle.
Le bgén Pitzul: Il n'y a pas de processus d'évaluation des juges militaires. La magistrature ne fait pas l'objet d'une évaluation de rendement. Ni le nouveau directeur des poursuites militaires ni le directeur des services de défense ne feront l'objet d'une évaluation annuelle de rendement. Toutefois, les deux directeurs évalueront chaque année le rendement de leurs employés. Ainsi, le directeur des poursuites militaires évalue le rendement de ses propres procureurs. Et c'est la même chose pour les services de la défense. Nous n'avons pas l'intention de procéder à l'évaluation du rendement du directeur des poursuites militaires ou du directeur des services de défense.
Le sénateur Fraser: Ou de l'unité?
Le bgén Pitzul: Il pourrait y avoir une évaluation globale du rendement, par exemple en ce qui a trait aux poursuites, c'est-à-dire que l'on pourrait poser les questions suivantes: combien de poursuites avez-vous effectuées? Combien de temps vous a-t-il fallu pour les mener à terme? Ce sera la même chose pour les services de défense. Cela nous donnera un tableau général de notre rendement, globalement, comme système, par opposition au rendement des particuliers.
C'est quand on aborde l'évaluation individuelle que l'on commence à influer sur l'indépendance. L'évaluation administrative est une simple affaire de bonne gestion dans un système quelconque.
Le sénateur Fraser: Il peut y avoir un certain chevauchement ici entre l'évaluation de rendement normale à laquelle les gens sont assujettis et un examen un peu plus indépendant, compte tenu de la sensibilité de ces postes en particulier. Aucune disposition n'est prévue pour confier cette évaluation à un quelconque organisme extérieur ou indépendant?
Le bgén Pitzul: Exact.
Le sénateur Buchanan: Je félicite le général Pitzul pour sa nomination. Comme il vient de la Nouvelle-Écosse, il est bien préparé pour assumer ses fonctions.
A-t-on changé la méthode de nomination des procureurs dans la mesure législative?
Le bgén Pitzul: Oui, le ministre fera les nominations.
Le sénateur Buchanan: Comment les procureurs étaient-ils nommés auparavant?
Le bgén Pitzul: Le directeur des poursuites militaires sera nommé par le ministre. Les procureurs se verront assigner des tâches dans le cadre du processus normal des affectations pour les juristes militaires.
Le sénateur Buchanan: Aux termes de la nouvelle loi, le directeur pourra-t-il nommer des procureurs civils, ou bien s'agira-t-il toujours de militaires?
Le bgén Pitzul: C'est toujours un procureur militaire, bien que nous ayons une structure comportant une première réserve, de sorte que le service des poursuites qui sera constitué sera organisé régionalement. Ainsi, il y aura les services régionaux des poursuites des Maritimes, de l'Ouest et du Centre. Dans chacune de ces régions, le procureur de la force régulière sera appuyé par un procureur issu de la force de réserve dont nous n'avons pas besoin pour le moment. Ce seront tous des procureurs de la Couronne issus des régions dans lesquelles ils pratiquent. C'est parce que nous avons suffisamment d'éléments dans notre force de réserve pour avoir des procureurs de la Couronne civils qui pourront remplacer au pied levé les juristes militaires. Ils seront les remplaçants du procureur régional de la force militaire régulière.
Le sénateur Buchanan: Si je comprends bien, aux termes de la loi actuelle, l'avocat d'une personne qui est traduite devant une cour martiale sera nommé à même les rangs des forces armées par des avocats qui sont eux aussi membres des Forces. Cette façon de faire sera-t-elle modifiée?
Le bgén Pitzul: Il y aura un changement en ce sens que le directeur des services de la défense sera nommé par le ministre et constituera une unité permanente. Ce n'est pas une unité des Forces armées canadiennes. C'est un secteur permanent du bureau du juge-avocat général. Les gens qui travaillent dans ce service ne font rien d'autre que du travail de défense. Quatre postes sont prévus à cet effet. Le bureau est situé à Ottawa, dans des locaux qui sont éloignés de mon bureau. Je n'ai pas grand-chose à voir avec ces gens-là, sinon que je m'entretiens avec le directeur, qui peut avoir des exigences en matière de ressources.
Ils fournissent des services d'avocat de la défense aux membres des Forces qui ont été accusés d'infractions militaires. Les membres des Forces ont la possibilité d'obtenir ce service gratuitement, sans qu'il leur en coûte un sou, ou bien ils peuvent choisir de se faire défendre par des avocats civils, à leurs propres frais.
Le sénateur Buchanan: Je croyais que l'on avait proposé de modifier la loi actuelle de manière à permettre à l'accusé de choisir son avocat de la défense parmi les rangs des militaires. Si je comprends bien, ce n'est pas le cas.
Le bgén Pitzul: En effet. C'est le directeur qui désigne ou affecte un avocat de la défense à l'accusé.
Le sénateur Buchanan: D'après ce projet de loi, si je comprends bien, le directeur peut avoir parmi ses effectifs des avocats civils. Ces avocats civils ne pourront pas représenter un accusé si ce dernier en fait la demande. C'est bien cela?
Le bgén Pitzul: Il n'aura pas d'avocats civils dans ses effectifs. Toutefois, comme les procureurs, il a accès à la force de réserve. Dans la force de réserve, du lundi au vendredi, certains avocats civils sont disponibles, et d'autres le sont les mercredis soir et les samedis.
Il y a une force de réserve dans laquelle le directeur des services d'avocats de la défense peut puiser. En ce moment même, l'avocat principal de la réserve, qui est de la Nouvelle-Écosse, et moi-même sommes en train de constituer un groupe d'officiers de réserve qui sont avocats ou d'avocats civils qui pourront aider à la défense.
Le sénateur Buchanan: Disons que quelqu'un comme Joel Pink de Halifax est dans la réserve; un accusé devant une cour martiale pourrait-il demander que M. Pink soit son avocat?
Le bgén Pitzul: Il pourrait demander d'être représenté par un avocat militaire. Le directeur des services de défense examinerait les ressources à sa disposition. Si le nom de M. Pink était signalé à l'attention du directeur des services de défense et si M. Pink était disponible, alors il serait convoqué à titre de réserviste et, oui, il pourrait alors représenter cette personne.
Le sénateur Moore: La semaine dernière, j'ai lu la décision rendue dans l'affaire Lauzon. Dans cette affaire, la cour a jugé que le processus actuel pour la nomination, le renouvellement de mandat, la destitution et la rémunération des officiers qui président les cours martiales était inconstitutionnel. Le système n'offrait pas de garanties suffisantes de l'indépendance constitutionnelle de ces juges, comme l'exige le paragraphe 11d) de la Charte des droits et libertés.
En particulier, les juges ont exprimé les préoccupations suivantes: a) le fait que la nomination et la reconduction de ces juges sont laissées à la discrétion du ministre; b) l'absence de toute norme dans la loi qui régit la décision de reconduire ces juges; c) le fait que les personnes clés participant au processus de destitution de ces juges ne possèdent pas elles-mêmes une indépendance institutionnelle suffisante par rapport à la chaîne de commandement et à ceux qui assument la responsabilité de la poursuite -- c'est-à-dire le ministre et le juge-avocat général; et d) l'absence d'un mécanisme indépendant, efficace et objectif pour établir la rémunération des juges.
De façon générale, pourriez-vous commenter la décision Lauzon et ses répercussions en ce qui a trait au projet de loi C-25 et à la composition prévue des trois comités? Il y a un comité de reconduction, un comité d'enquête et un comité qui s'occupe de la rémunération. Le projet de loi ne prévoit aucune norme pour encadrer la décision de reconduire les juges. La décision rendue dans l'affaire Lauzon pose-t-elle un problème à cet égard? Pourriez-vous nous parler du comité de rémunération que l'on prévoit créer et de sa constitution, particulièrement à la lumière de l'affaire du Renvoi Î.-P.-É.?
M. Eggleton: La décision Lauzon était fondée sur la situation telle que le tribunal la percevait à l'époque, le 28 août 1997.
Le sénateur Moore: Cette décision est récente; sauf erreur, elle date du 18 septembre.
M. Eggleton: Oui, mais elle est fondée sur la situation qui existait il y a plus d'un an. J'ai dit aujourd'hui que des changements en profondeur découleraient de la mise en oeuvre de ce projet de loi.
Je vais laisser le général Pitzul entrer dans les détails, mais j'ai décrit comment l'on procéderait pour la paye, la rémunération et la destitution. J'ai commenté le cloisonnement du système -- les fonctions d'enquête, de poursuites, de défense et judiciaires -- les filières séparées, les nominations séparées, et le nouveau rôle du JAG dans ce processus. Ces mesures répondent à la majeure partie ou peut-être même à l'ensemble des points soulevés dans cette décision.
Le bgén Pitzul: C'est exact. La décision s'applique à la structure et au processus qui existaient à ce moment-là pour la nomination, la paye et la destitution. Par exemple, depuis l'audition de cette affaire, les Forces canadiennes ont créé une unité séparée pour le juge militaire en chef. Ils constituent une unité en eux-mêmes. Ils ne relèvent absolument pas du bureau du juge-avocat général.
Dans le projet de loi C-25, on prévoit que les nominations ne seront plus faites par le ministre, mais plutôt par le gouverneur en conseil, comme dans le cas de tous les autres juges nommés par les autorités fédérales.
La destitution et la reconduction des juges seront faites par un comité constitué selon le règlement qui sera pris aux termes de la loi, et il en ira de même pour la rémunération des juges.
Le sénateur Moore: C'est-à-dire le comité de la rémunération?
Le bgén Pitzul: C'est exact. Le comité doit être établi de manière à être conforme aux normes fixées par la Cour suprême du Canada dans la décision du Renvoi Î.-P.-É..
La présidente: Sénateur Moore, je m'excuse de vous interrompre, mais je constate que c'est le bgén Pitzul qui répond à toutes ces questions. Le ministre a accepté de rester encore dix minutes. Peut-être pourrions-nous poser quelques brèves questions au ministre, après quoi nous pourrons revenir au bgén Pitzul pour obtenir une réponse plus complète sur cette question.
Le sénateur Kinsella: Il est important que les ministres comparaissent devant nous parce que seul le ministre peut répondre aux questions d'ordre politique au nom du gouvernement. Nous pouvons toujours faire revenir les fonctionnaires pour donner des détails techniques.
Ma question d'ordre politique concerne l'ombudsman. Si je comprends bien, vous êtes convaincu de la valeur du poste d'ombudsman et vous en avez créé un. Cet ombudsman est-il établi par la loi, ou bien est-ce seulement un service interne au ministère?
M. Eggleton: Non. Ce n'est pas un ombudsman institutionnel comme le sont les ombudsmans qui existent dans la plupart des provinces. C'est un ombudsman organisationnel. C'est une autre sorte d'ombudsman.
Comme je l'ai dit, dans notre cas, l'ombudsman se penchera sur le cas des gens au ministère ou dans les Forces canadiennes qui estiment qu'ils n'ont pas été traités avec justice. Il leur donnera des conseils ou les dirigera pour les aider à résoudre leurs griefs. Il s'efforcera de trouver une solution.
Il relève de moi. Il ne fait absolument pas partie de la chaîne de commandement, et ne relève même pas du sous-ministre. Il est placé directement sous mes ordres. C'est un ombudsman organisationnel. C'est une première. Tous les détails n'ont pas encore été fignolés, mais nous sommes en train d'y voir et il fait actuellement des consultations.
Le sénateur Kinsella: Dans sa version canadienne, l'ombudsman est un agent de l'assemblée législative et il est habituellement protégé, dans son travail de défenseur des droits du citoyen, par une majorité renforcée. Je sais que dans la plupart des lois établissant des postes d'ombudsman au Canada, il faut un vote à la majorité des deux tiers à l'assemblée pour destituer un ombudsman.
L'ombudsman est protégé par l'assemblée. De votre point de vue, comment le Parlement peut-il exercer une supervision suffisante, compte tenu de ce qui s'est passé ces dernières années et des très vives préoccupations qui ont été exprimées? L'ombudsman classique fait rapport au Parlement ou à l'assemblée législative. Il me semble que l'ombudsman en question n'est pas un ombudsman du tout; il exerce plutôt une sorte de fonction administrative interne.
Ne percevez-vous pas le besoin d'un ombudsman dans le sens traditionnel du terme pour protéger les militaires, un ombudsman qui aurait la protection du Parlement?
M. Eggleton: Comme je l'ai dit il y a un instant, cet ombudsman ne correspond pas à l'image que l'on a traditionnellement d'un ombudsman. Il n'a jamais été question d'aller dans cette voie. C'est un ombudsman organisationnel.
Le type d'ombudsman dont vous parler et qui existe dans un certain nombre de provinces ne s'occupe pas seulement d'un ministère ou des griefs formulés dans un ministère à l'égard des autorités du ministère. Il s'occupe des griefs du grand public à l'égard du gouvernement. C'est une fonction complètement différente.
Toute décision pour ce qui est de la création d'un ombudsman du genre traditionnel, qui s'occuperait non seulement des questions de défense, mais des dossiers de tous les autres ministères et de tous les aspects de l'administration fédérale ne relève pas d'un seul ministre ou d'un seul ministère. C'est une décision qui incomberait à l'ensemble du gouvernement. Je ne veux pas faire de commentaires là-dessus, ce n'est pas de mon ressort.
Par contre, la création d'un poste d'ombudsman qui s'occupera des nombreuses plaintes et préoccupations qui sont soulevées au sein de l'organisation relève de mon ressort. Les Forces constituent une grande organisation et j'estime qu'il est tout à fait pertinent d'avoir un ombudsman pour s'en occuper.
Pour ce qui est de faire rapport et de la transparence, l'ombudsman aura une très grande autorité morale et pourra résoudre des questions. Il me présentera chaque année un rapport qui sera rendu public et qui sera déposé au Parlement, de sorte que l'on pourra l'examiner. Ce n'est pas le genre d'ombudsman dont vous parlez. Au départ, ce n'est pas ce que l'on envisageait de faire. La création d'un tel poste d'ombudsman est une question distincte qui relève du gouvernement du Canada dans son ensemble.
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur le ministre, vous suivez maintenant des cours de français, cela me fera plaisir de vous parler en français. Dans quelques semaines, nous aurons à étudier le projet de loi C-3 qui vise à instituer une banque d'empreintes génétiques.
Les militaires accusés ou trouvés coupables en vertu de la nouvelle Loi sur la défense nationale, puisqu'on réorganise le système de justice militaire, seront-ils sujets à l'application de cette loi?
[Traduction]
M. Eggleton: Je prends note de votre question et vous répondrai plus tard.
Le sénateur Nolin: Pendant que vous y êtes, pourriez-vous vérifier aussi si c'est la GRC ou la police militaire qui s'occupera du prélèvement d'échantillons d'ADN et de leur conservation?
[Français]
Le bgén Pitzul: Pour répondre à votre question, sénateur Nolin, nous négocions présentement l'application des dossiers judiciaires pour pouvoir inscrire dans leur banque de données les condamnations selon notre procédure. Pour le moment, je ne peux pas vous dire si le projet de loi C-3 nous concerne.
Le sénateur Nolin: Je vous explique pourquoi je trouve ma question importante: dorénavant les infractions d'ordre sexuelles vont relever des tribunaux militaires. Si on se souvient bien, une des raisons pour laquelle la ministre de la Justice a présenté le projet de loi C-3 était la constitution de la nouvelle banque. Cela m'apparaît une question de politique importante.
[Traduction]
M. Eggleton: Nous vous ferons parvenir la réponse à cette question.
Le sénateur Rompkey: Je poserai ma question plus tard au juge-avocat général. Je veux en savoir plus long sur les relations entre les avocats civils et militaires et sur la façon dont les forces de réserve et actives travaillent ensemble.
Le sénateur Buchanan: Les affaires d'agressions sexuelles seront désormais du ressort exclusif des militaires. C'est bien cela?
M. Eggleton: Ces affaires seront jugées par le système de justice militaire au Canada. À l'étranger, c'est déjà le système de justice militaire qui s'en occupe.
Le sénateur Buchanan: Pourquoi le harcèlement sexuel sera-t-il confié à la Commission des droits de la personne plutôt qu'aux militaires?
M. Eggleton: Le harcèlement sexuel, aussi répréhensible qu'il puisse être, n'est pas nécessairement une infraction criminelle. Même s'il n'y a pas d'attouchements, par exemple, il n'y a aucun doute qu'il peut y avoir des problèmes de comportement auxquels il faut s'attaquer. Nous avons toute une procédure pour en traiter. Nous avons des conseillers en harcèlement, non seulement pour le harcèlement sexuel, mais aussi pour d'autres types de harcèlement. Nous avons tout un programme pour traiter les affaires de ce genre. L'agression sexuelle est une infraction prévue au Code criminel, qui est tout à fait distincte du harcèlement.
Le bgén Pitzul: À titre d'avocat, je voudrais apporter une précision. Le sénateur vous a demandé si les infractions d'agressions sexuelles relèveraient de la juridiction exclusive des militaires. Comme vous le dites dans votre texte préparé, il y a juridiction concurrente.
Le sénateur Beaudoin: Concurrente?
Le bgén Pitzul: Oui.
La présidente: Le ministre Eggleton doit maintenant partir, mais je demanderais aux fonctionnaires de rester car nous n'avons pas terminé nos délibérations.
Le sénateur Moore: Bgén Pitzul, j'ai bien compris ce que le ministre a dit au sujet du processus relatif aux comités de renouvellement, d'enquête et de rémunération. J'ai entendu ce qu'il a dit la première fois qu'il en a parlé et aussi ce qu'il m'a répondu, mais je m'intéresse à la composition de ces comités. Comment vous proposez-vous de structurer ces comités pour permettre une indépendance institutionnelle suffisante, à la lumière de la décision Lauzon?
Le bgén Pitzul: Je vais inviter la personne qui a préparé le cadre réglementaire sur cette question à se joindre à moi. C'est le lieutenant-colonel Alex Weatherston, qui fait partie de l'équipe qui s'occupe des modifications à la Loi sur la défense nationale. Il a rédigé une bonne partie du projet de loi C-25 et participera à l'établissement du processus réglementaire pour la mise en oeuvre de la loi.
Le lieutenant-colonel Alex Weatherston, membre de l'équipe de modification de la Loi sur la défense nationale, ministère de la Défense nationale: Comme il est précisé dans le projet de loi, nous aurons un comité de renouvellement, un comité d'enquête et un comité de rémunération. Pour ces dispositions et le règlement que nous préparons, nous nous inspirons des dispositions de la Loi sur les juges.
Nous avons commencé la rédaction de nos règlements, mais pour le moment, ce sont des documents confidentiels du gouverneur en conseil qui ne peuvent donc être rendus publics. Nous pouvons toutefois dire que les comités s'inspireront des principes établis dans la décision rendue dans l'affaire Lauzon, c'est-à-dire que les juges doivent être efficaces, indépendants et objectifs.
Dans la décision Lauzon, par exemple, on critique le fait que le juge-avocat général est membre de ces comités. Nous n'envisageons donc pas que le JAG joue un rôle quelconque au sein de l'un ou l'autre de ces comités.
Le sénateur Moore: Ces comités seront-ils formés de gens issus des forces armées, ou bien compteront-ils aussi des civils parmi leurs membres?
Le lcol Weatherston: Nous croyons que le gouverneur en conseil peut nommer n'importe qui.
Le sénateur Moore: Qu'est-ce que vous recommandez?
Le lcol Weatherston: Nous recommandons que le gouverneur en conseil nomme des gens qui ne font pas partie de l'administration publique.
Le sénateur Moore: Des gens qui ne sont pas des militaires?
Le lcol Weatherston: En effet; peut-être des avocats et des juges civils. Nous avons l'intention de faire en sorte que ces comités soient indépendants, efficaces et objectifs.
Le bgén Pitzul: Telles étaient les exigences énoncées dans le Renvoi Î.-P.-É. Si l'on regarde ce qui se fait un peu partout au pays, on constate que les comités de rémunération sont normalement formés de gens de l'extérieur de la fonction publique.
Le sénateur Rompkey: J'ai une question à poser sur la composition du groupe d'avocats auquel on ferra appel au ministère.
Le ministre nous a dit tout à l'heure que le système au sein des forces armées était très différent. Pourtant, en réponse au sénateur Buchanan, vous avez dit, et vous venez de le répéter, que certains membres des comités proviendront de l'extérieur du ministère et ne seront pas des militaires, et que des avocats civils de la réserve seront également nommés. Je ne suis pas certain qu'ils puissent vraiment jouer les premiers rôles dans une cour martiale, mais ils participent, peut-être à l'arrière-plan.
Je veux donc vous interroger au sujet des avocats des forces armées.
Je pose cette question dans le contexte de l'une des recommandations que nous avons faites à l'issue de notre examen parlementaire de la politique de la défense, recommandation qui n'a pas été reprise dans le Livre blanc. Pour en avoir le plus possible pour notre argent du point de vue militaire, nous avons recommandé de procéder à un examen rigoureux pour déterminer quels métiers et professions militaires pourraient être assumés par des employés civils et des contractuels. Nous avons dit qu'il fallait faire cela non seulement pour économiser de l'argent, mais aussi pour maximiser le ratio dents-queue des Forces canadiennes.
Autrement dit, la tâche essentielle des Forces canadiennes est de livrer bataille, que ce soit en défense ou à l'attaque. Il y a au sein des Forces canadiennes des professions qui peuvent être occupées par des gens qui ne sont pas nécessairement membres à plein temps de la force active. Ces tâches peuvent être accomplies par des réservistes ou même parfois par des civils. Voilà donc le contexte de ma question.
Je voudrais de plus amples explications sur la place respective des civils et des réservistes dans le processus judiciaire, compte tenu des commentaires du ministre, qui a dit que le système de justice militaire est un système spécialisé.
Le bgén Pitzul: Le rôle et la fonction d'un avocat militaire, à la fois au sein du système de justice militaire et à l'extérieur de ce système, ne sont pas évidemment confinés aux fonctions associées aux procès, fonctions qui peuvent à l'occasion être accomplies par des avocats civils. C'est vrai. Cela s'est déjà fait dans le passé. D'éminents avocats de pratique privée font régulièrement des prestations devant les cours martiales. Toutefois, le rôle et la fonction d'un avocat militaire, que ce soit comme procureur ou comme avocat de la défense, comportent des tâches associées au procès. À titre de procureur, l'avocat doit aussi conseiller, au nom de l'État, le Service national des enquêtes qui se penche sur les infractions -- par exemple en ce qui a trait aux mandats de perquisition et à l'écoute électronique, à toutes ces choses auxquelles s'intéresserait le procureur de la Couronne dans le contexte du système de justice militaire. Pour ce faire, il faut posséder des connaissances spécialisées et particulières du système de justice militaire. Les avocats doivent par ailleurs accomplir ces fonctions non seulement au Canada, mais aussi à l'étranger. L'avocat de la force de réserve peut évidemment aider dans la région, mais il n'est pas toujours aussi disponible qu'on le voudrait. C'est la première limite pour ce qui est de l'emploi d'un avocat civil de la réserve. Même chose pour les avocats de pratique privée. La disponibilité est la principale contrainte dans leur cas. Ils aident dans la mesure du possible, mais il s'agit d'une aide assez limitée.
En plus de leur rôle de procureurs ou d'avocats de la défense, les juristes militaires accomplissent un certain nombre d'autres fonctions.
Le sénateur Rompkey: Comment paie-t-on le réserviste dont on retient les services?
Le bgén Pitzul: Selon un taux quotidien.
Le sénateur Rompkey: Un taux militaire?
Le bgén Pitzul: Oui.
Le sénateur Rompkey: Il ne touche pas les honoraires qu'il exigerait normalement comme avocat?
Le bgén Pitzul: C'est bien cela. Il y a un taux de rémunération distinct dans leur cas. Je crois qu'ils le font plutôt pour rendre service. À plus d'une reprise, je me suis adressé à de grands cabinets d'avocats et leur ai demandé de nous prêter l'un de leurs associés pour nous aider.
Les avocats militaires sont également déployés avec les troupes. Le droit des conflits armés et le droit opérationnel exigent maintenant que nos unités qui sont déployées à l'étranger soient accompagnées d'un avocat; les lois qui régissent nos unités sont devenues à ce point complexes et rigoureuses. Les aspects juridiques sont divers et multiformes, depuis le statut des ententes concernant les forces armées avec des pays que nous visitons ou traversons, jusqu'à l'aide aux soldats qui ont des démêlés avec la loi à l'étranger, en passant par la négociation de contrats pour la fourniture de services sur place. Quand une unité est déployée à l'étranger, elle doit compter sur toute la panoplie des services juridiques.
Au quartier général d'Ottawa, nous avons nos domaines de spécialité, notamment la rédaction juridique, les pensions, les droits de la personne, bien que nous puissions maintenant compter sur des avocats du ministère de la Justice qui nous viennent en aide dans ces domaines précis. Le rôle d'un avocat militaire recouvre toute la gamme des activités juridiques, le tout dans un contexte particulier qu'un avocat civil n'est pas toujours en mesure de comprendre. Ayant passé 25 ans dans ce service, je peux vous dire que l'expérience est quelque peu différente de celle que l'on peut connaître dans la pratique privée.
Le sénateur Rompkey: Je vous ai posé cette question parce que je me rappelle d'une conversation que j'ai eue avec le gén Scott Clements au sujet des réserves, quand il était commandant de l'armée de l'air. Je pense que nous n'avons pas examiné assez attentivement le rôle des réserves. L'attitude des gens de l'aviation à l'égard des réserves m'apparaissait très logique. Il m'a dit en substance: «Quand nous avons besoin de gens, nous allons les chercher, nous les mettons en uniforme et nous les convoquons à titre de réservistes». Cela ne se fait pas dans l'armée ni dans la marine. Dans l'armée, il y a la milice, tandis que dans la marine, on fait essentiellement de la défense maritime, mais dans l'armée de l'air, l'attitude était que dès que l'on avait besoin de quelqu'un, on allait le chercher quelque part. On trouve la personne qui a les compétences dont on a besoin, on habille cette personne d'un uniforme et on en fait un membre des forces armées. Cela m'apparaît très logique. C'est dans ce contexte que j'ai posé cette question au sujet de l'aide juridique.
Le bgén Pitzul: Nous ne sommes peut-être pas aussi directs que cela, mais je peux vous parler du plan que nous avons pour nos forces de réserve. Leur principal rôle est de servir de substitut aux procureurs ou aux avocats de la défense à l'occasion des procès. De plus, nous avons un groupe d'excellents avocats qui sont d'anciens militaires et dont nous pouvons retenir les services pour la rédaction de règles ou de doctrines. Nous les utilisons à cette fin, parce que beaucoup d'entre eux se lancent dans la pratique privée et peuvent alors compter sur un bagage mixte de pratiques militaires et privées et nous aider pour la rédaction des règles et autres documents. Nous faisons appel à eux à cette fin. Ils suivent de très près les activités militaires. Ils assistent à nos conférences et à nos séances de formation quand ils le peuvent. De ce point de vue, nous sommes chanceux de pouvoir compter sur d'excellents avocats.
Le sénateur Rompkey: Quelle est la tendance? Compte-t-on de plus en plus sur les civils et les réservistes, ou bien est-ce le statu quo?
Le bgén Pitzul: La tendance est qu'ils participent de plus en plus, sauf qu'avec la complexification du droit opérationnel intérieur et international et du droit des conflits armés, nous nous trouvons à embaucher des réservistes dans la force régulière. J'ai actuellement 15 postes vacants; nous venons d'embaucher huit personnes, toutes des réservistes. C'est une bonne source de recrutement. On fait venir des avocats dans la force de réserve, on évalue leur rendement et l'on constitue ainsi un bassin d'avocats.
Le sénateur Joyal: Quand j'ai lu les articles publiés dans les journaux à la suite de la décision dans l'affaire Lauzon, j'ai été étonné de l'ampleur des recommandations du juge dans cette affaire. La première question qui m'est venue à l'esprit était celle-ci: est-ce la première décision depuis la promulgation de la Charte des droits et libertés qui traite du système judiciaire militaire?
Le bgén Pitzul: La réponse à cette question est non. Il y en a eu plusieurs.
La question qui se pose au sujet de l'indépendance judiciaire dans le système militaire découle de la nécessité d'avoir un juge militaire en uniforme pouvant être déployé n'importe où dans le monde à un préavis très bref pour rendre la justice d'une manière efficace, crédible et transparente. Pour obtenir un juste équilibre des trois volets de l'indépendance judiciaire que la Cour suprême du Canada exige de nous -- l'indépendance institutionnelle, l'indépendance financière et l'inamovibilité -- , nous avons dû évoluer, à l'instar de tous les autres processus judiciaires au Canada. Nous avons peut-être même évolué plus rapidement que d'autres intervenants, au point que vous êtes maintenant saisis du projet de loi C-25.
Le sénateur Joyal: Ai-je raison de dire que le projet de loi C-25 est la première refonte législative du système judiciaire militaire à la suite des diverses recommandations qui ont été faites depuis la promulgation de la charte?
Le bgén Pitzul: C'est la première refonte globale de la loi elle-même. Nous avons fait, à l'occasion de projets de loi omnibus, les changements qui étaient rendus nécessaires par l'adoption de notre charte en 1982. Il y a eu aussi des modifications au code de discipline militaire, qui constitue le principal volet de la Loi sur la défense nationale. Avant le dépôt du projet de loi C-25, aucun projet de loi ne s'était jamais attaqué à une refonte complète de la loi elle-même.
Le sénateur Joyal: Avez-vous dit que, depuis l'entrée en vigueur de la charte, certains changements ont été apportés aux règles qui régissent le système judiciaire?
Le bgén Pitzul: Des changements ont été apportés à la loi.
Le sénateur Joyal: Est-ce la première refonte complète de la loi?
Le bgén Pitzul: Oui.
Le sénateur Joyal: Ce qui me rend perplexe, et je crois que n'importe quel profane aurait la même réaction, c'est que ce jugement était fondé sur la loi telle qu'elle existait en 1997. Le jugement est assez récent, puisqu'il date de moins d'un mois; il est daté du 18 septembre. Je m'étonne que, par l'effet du hasard, cette mesure réponde dans le moindre détail au jugement rendu dans l'affaire Lauzon. Je trouve étrange que l'on réponde en tout point, dans un projet de loi qui a été présenté il y a un certain temps et qui a été adopté par la Chambre des communes en mai ou juin dernier, aux arguments soulevés par le savant juge dans sa décision. Ce projet de loi a été déposé avant que la décision soit rendue.
Je voudrais avoir l'assurance que tous les points soulevés dans le jugement, sans exception, sont abordés dans ce projet de loi. Je n'ai pas eu le temps de vérifier que l'on y répondait sur tous les points de façon complète et satisfaisante, en faisant une comparaison détaillée des recommandations du jugement et des dispositions du projet de loi. C'est important parce que c'est là l'élément clé de cette initiative. Nous nous trouvons en ce moment à refondre le système au complet. Nous devons être convaincus que tous les points abordés dans le jugement sont traités de façon satisfaisante dans le projet de loi, étant donné que le projet de loi a été déposé avant le jugement.
Dans sa décision, le juge a reporté le prononcé de la sentence d'un an parce que la loi devait être refondue. Nous devons être certains que nous respectons les critères qui ont été établis, y compris ceux qui se trouvent dans le Renvoi Î.-P.-É. Certains d'entre nous ont des préoccupations au sujet de la décision rendue dans le Renvoi Î.-P.-É. et nous continuons d'en débattre. Les réponses ne sont pas claires. Il y a place à l'interprétation, par exemple en ce qui a trait à la commission sur la rémunération. Nous sommes nombreux à avoir des questions là-dessus et sur le fonctionnement de ce comité.
Les principes qui sont en jeu sont importants. Il s'agit de la séparation du judiciaire et de l'exécutif et ces principes sont définis de façon assez mince dans bien des cas. Serait-il possible de demander au lcol Weatherston de préparer un tableau mettant en parallèle les recommandations contenues dans le jugement, les modifications proposées dans le projet de loi et les dispositions de la Loi sur les juges? La rémunération est abondamment traitée dans la Loi sur les juges, de même que dans les principes qui ont été énoncés dans le Renvoi Î.-P.-É. C'est seulement en comparant tous ces aspects que nous pourrons nous convaincre que rien ne manque.
La présidente: Je trouve que c'est une bonne question. Colonel Weatherston, peut-être pourriez-vous nous préparer un tableau comparatif mettant en regard les éléments de ce projet de loi et ceux des jugements en question. Je ne pense pas que l'on puisse faire intervenir le projet de loi C-37 dans la discussion, puisque nous étudions le projet de loi C-25.
Le sénateur Nolin: On pourrait aussi mettre en relief certains éléments du projet de loi C-37.
Le sénateur Beaudoin: Il y a un certain chevauchement entre les projets de loi C-25 et C-37.
Le sénateur Fraser: Sur ce dernier point, je crois que dans la décision du Renvoi Î.-P.-É., on réclame des mécanismes qui vont au-delà des recommandations sur le comité de rémunération. Si les autorités, le gouvernement ou les forces armées n'acceptent pas la recommandation, il leur faut le justifier. On peut en appeler devant les tribunaux. Ces mécanismes sont-ils définis dans le projet de loi? Je ne les ai pas vus, mais cela ne veut rien dire.
Le lcol Weatherston: Vous ne les y trouveriez pas, parce que c'est abordé dans le règlement qui sera adopté par le gouverneur en conseil.
Le sénateur Fraser: Les juges mécontents ne peuvent pas faire appel.
Le lcol Weatherston: Il pourrait y avoir appel si l'un de nos accusés était traduit en cour martiale.
Le sénateur Fraser: Je parle de la question de la rémunération.
Le lcol Weatherston: C'est exact. S'il croit que nos juges ne sont pas payés comme il faut en conformité des décisions rendues dans l'affaire du Renvoi Î.-P.-É. et dans l'affaire Lauzon, il peut soulever la question et s'adresser à la cour d'appel des cours martiales.
Le sénateur Joyal: Pour faire suite à la question du sénateur Fraser, vous avez dit que la rémunération sera fixée par décret du gouverneur en conseil. Ceux d'entre nous qui sont avocats ou juristes experts comme le sénateur Beaudoin connaissent la différence entre les décrets et les lois. La protection n'est pas la même. L'un peut bien sûr être changé par une simple signature; tandis que l'autre doit être débattu et adopté trois fois dans chacune des deux Chambres. Ce n'est pas du tout la même chose.
Vous serait-il possible d'identifier les points qui relèvent du règlement pris par décret et ceux qui sont abordés dans la loi?
Le lcol Weatherston: Oui, sans aucun doute. Je voudrais seulement faire remarquer que ces mesures auront force de loi, peu importe qu'elles prennent la forme d'un projet de loi étudié devant le comité et le Parlement ou d'un règlement adopté par décret du conseil. Dans les deux cas, il faut respecter les normes établies par la charte.
Le sénateur Joyal: J'en conviens. Le résultat final est exécutoire, mais le processus d'adoption n'est pas du tout le même.
Le sénateur Beaudoin: Ma question pourrait peut-être attendre à demain, mais je voudrais discuter du salaire des juges militaires. C'est un aspect de l'indépendance de la magistrature qui ressort très clairement de la décision rendue dans l'affaire Valenti.
Auparavant, la cour avait été critiquée par la Cour suprême parce que les structures n'étaient pas assez transparentes pour assurer l'indépendance du judiciaire. Qu'a-t-on fait pour donner suite aux décisions de la Cour suprême à cet égard? Qu'est-ce qui est prévu actuellement en ce qui concerne le traitement des juges des cours martiales? Ont-ils une certaine indépendance financière?
Le bgén Pitzul: Ils sont actuellement payés selon un barème qui est fixé par règlement par le Conseil du Trésor. Le règlement prévoit que tous les juges militaires sont payés au sommet de l'échelle, plus 2 p. 100, plus le mérite, jusqu'à un maximum de 8 p. 100. Ces 2 p. 100 supplémentaires, plus les autres 8 p. 100, font 10 p. 100, soit le maximum qu'ils peuvent recevoir.
Il n'y a pas d'évaluation du mérite. La rémunération au mérite est accordée à tous les avocats militaires. Elle correspond à l'une des cotes suivantes: «exceptionnel», «supérieur» ou «normal». Ils touchent le traitement correspondant à «exceptionnel». Je répète que c'est le sommet de l'échelle plus 2 p. 100 plus le salaire au mérite «exceptionnel», quand le salaire au mérite est versé. Car le salaire au mérite n'est pas nécessairement payé chaque année.
Le sénateur Beaudoin: L'indépendance financière de la magistrature est un principe important. Nous nous penchons dans une certaine mesure sur ce point dans notre étude du projet de loi C-37.
Toutefois, les mêmes principes s'appliquent aux juges militaires. Je crois qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Trois éléments entrent en ligne de compte: les juges doivent être indépendants financièrement; ils doivent être indépendants de l'exécutif; et l'exécutif ne peut pas intervenir dans leurs décisions, directement ou indirectement. De plus, ils doivent être nommés pour un mandat d'une certaine durée. S'ils sont seulement nommés pour un an, ils ne sont pas vraiment indépendants.
Le bgén Pitzul: La décision de la Cour suprême dans l'affaire Valenti a été rendue en 1986, et elle a été suivie en 1990 par la décision Généreux. C'est pour l'affaire Généreux que nous avons adopté le système actuel pour les juges militaires. Nous en sommes maintenant à l'étape suivante de cette évolution, étant passés d'un barème à un comité de rémunération créé par règlement. Ce comité répondra aux exigences énoncées par la Cour suprême du Canada dans la décision du Renvoi Î.-P.-É.
La différence est que les juges pourront désormais s'expliquer devant le comité de la rémunération quant à la nature de leur traitement, tandis qu'auparavant, la rémunération était fixée par le Conseil du Trésor. Les juges recevaient un montant fixe en sus de ce qui était versé aux avocats. Ils touchaient le maximum de l'échelle du salaire des avocats, plus 8 p. 100.
Le sénateur Beaudoin: Dans l'affaire du Renvoi Î.-P.-É., comme vous le savez, les juges de la Cour suprême ont beaucoup écrit au sujet de la commission et de l'interaction entre cette commission et le Parlement et entre le Parlement et les tribunaux. Ils ont également abordé la question de savoir qui a le dernier mot. C'est une affaire à la fois délicate et fort importante.
La présidente: Je trouve intéressant qu'il y ait rémunération au mérite alors qu'il n'y a aucune évaluation du mérite. Vous dites qu'ils peuvent toucher cette paye au mérite, mais pas nécessairement. Aux termes de cette nouvelle loi, comment vous proposez-vous de déterminer s'ils toucheront la paye au mérite de 8 p. 100? Est-ce une prime de 10 p. 100 versée automatiquement à tous les juges militaires, ou bien est-ce 2 p. 100 garanti plus la possibilité d'une autre tranche de 8 p. 100?
Le bgén Pitzul: Quand le salaire au mérite est versé, ils touchent le montant correspondant au niveau «exceptionnel».
La présidente: Ils touchent donc 8 p. 100.
Le bgén Pitzul: Cela varie entre 2 p. 100 et 8 p. 100. Pour chaque grade, les avocats militaires sont payés selon une échelle de salaire, plus le salaire au mérite.
Le sénateur Beaudoin: Cela s'applique-t-il également aux juges?
Le bgén Pitzul: Laissons les juges de côté pour l'instant. Je vais vous expliquer les salaires des avocats, ce qui touche aussi la rémunération des juges. Ils sont payés selon une échelle de salaire, et ils touchent en plus un salaire au mérite. Le salaire au mérite est discrétionnaire; il est fonction d'une décision ministérielle. Il est versé à tous les avocats ou à aucun d'entre eux. S'il est versé aux avocats, normalement, on le fait selon une échelle. Il y a les catégories «exceptionnel», «supérieur», «moyen» et «satisfaisant».
La présidente: Est-ce fondé sur une quelconque évaluation de leur mérite?
Le bgén Pitzul: Oui, et comme nous n'évaluons pas le mérite des juges, les juges sont automatiquement placés dans l'une des catégories de l'échelle du mérite, à savoir «supérieur». Par conséquent, les juges, par règlement, touchent le maximum de l'échelle pour leur grade. Par exemple, un lieutenant-colonel touchera la rémunération maximale d'un lieutenant-colonel, ce qui est établi par la loi, plus 2 p. 100, et ce, chaque année. En plus, si l'on décide une année donnée de verser un salaire au mérite aux avocats militaires, les juges reçoivent le montant qui correspond à la catégorie «supérieur».
Le sénateur Nolin: Sans évaluation?
Le bgén Pitzul: Sans évaluation.
Le sénateur Moore: Ces 8 p. 100 comprennent-ils les 2 p. 100?
Le bgén Pitzul: L'augmentation de 2 p. 100 plus la paye au mérite ne peuvent en aucun cas dépasser 10 p. 100.
La présidente: Ce n'est donc pas un taux composé.
Le bgén Pitzul: Non.
[Français]
Le sénateur Nolin: Le Sénat a examiné ce projet de loi il y a huit mois. Je me pose des questions sur l'article 154 de la Loi sur la défense nationale ainsi que sur l'amendement apporté à l'article 156. Un militaire est en fonction 24 heures par jour. Selon l'amendement apporté au Code criminel qui incluait toutes les lois fédérales, est-ce qu'il a un lieu d'habitation,? Autrement dit, est-ce qu'un militaire jouit de la protection de la Charte lors d'une arrestation sans mandat?
Le bgén Pitzul: Oui, entièrement.
Le sénateur Nolin: Son lieu de résidence se situe où?
Le bgén Pitzul: S'il vit dans une baraque, sa chambrette normalement est considérée comme son lieu de résidence. S'il vit ailleurs, ce sera son lieu de résidence.
Le sénateur Nolin: C'est une question de curiosité. Comment peut-on accorder une protection légale?
Le bgén Pitzul: Cela peut devenir compliqué à bord d'un navire. On a pris une décision en 1983 à ce sujet. Le lit, le cabinet ou le casier d'un marin est considéré comme son lieu de résidence et il y jouit de la protection de la Charte. C'est ainsi que nous avons interprété la loi.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Quand le ministre était ici, il a mentionné une affaire de viol. Il a dit qu'il est très important que l'affaire soit expédiée rapidement, dans l'intérêt de la cohésion de l'unité. Il m'a semblé qu'il laissait entendre que la sentence serait plus sévère qu'elle ne le serait pour le même crime jugé par les tribunaux civils. Est-ce le cas?
Le bgén Pitzul: Je vais répondre à cette question comme si je le faisais si je rendais une décision à titre de juge.
Il faut examiner chaque cas séparément. Chaque accusé est distinct, les circonstances de chaque cas sont particulières, et l'on applique les principes de la détermination de la peine à chacun des cas séparément.
Il y a toutefois des principes qui régissent la détermination de la peine, en sus de ceux qui s'appliquent dans le domaine civil. Dans le contexte civil, la réinsertion dans la collectivité n'est peut-être pas une préoccupation aussi grave que pour les militaires. Réinsérer une personne dans la communauté militaire doit être envisagé dans le contexte de cette communauté. Il ne faut pas perdre de vue la confiance mutuelle qui doit exister entre les militaires pour qu'ils puissent accomplir leur mission. Par conséquent, la conduite d'une personne a des conséquences importantes sur la communauté. C'est une question de justice militaire. S'il y a eu des abus entre personnes de grades différents, de sorte que l'accusé est d'un grade supérieur et la victime un subalterne, cela exige une punition plus sévère. Dans le contexte civil, le rang ou le grade ne font aucune différence, mais dans le contexte militaire, ils comptent.
L'endroit où l'infraction a eu lieu peut avoir une importance extrême, tandis que dans le contexte civil, ce n'est pas aussi important. Par exemple, si une personne quitte son poste pour perpétrer son infraction d'agression sexuelle sur la personne d'un subalterne pendant que les deux sont en poste sur un théâtre d'opération dangereux, la seule raison pour laquelle il a pu commettre l'infraction, c'est qu'il avait une emprise totale sur son subalterne dans ce théâtre d'opération. Ce sont là des circonstances aggravantes que l'on ne retrouverait peut-être pas dans le contexte civil.
C'était peut-être à des scénarios de ce genre que le ministre faisait allusion.
Il a aussi mentionné la cohésion et le moral qu'une unité militaire doit posséder pour fonctionner efficacement. S'il y a la moindre inconduite dans cette unité, il faut examiner la chose dans ce contexte. Parfois, les sentences peuvent être plus sévères; par contre, elles peuvent aussi être moins sévères. Parfois, une agression commise dans un bar peut être traitée moins sévèrement que dans le contexte civil.
L'environnement militaire est assez particulier. Il y a des principes de détermination de la peine. Ce sont les mêmes que dans le contexte civil, mais nous appliquons des principes supplémentaires.
Le sénateur Joyal: D'après la charte, chacun a droit d'être protégé également par la loi. Autant je souscris à l'idée que le fait d'occuper une position dominante entraîne des responsabilités -- et bien sûr, les tribunaux en tiennent compte, de même que des circonstances, que ce soit dans le contexte civil ou militaire -- , peut-on dire que le simple fait de faire partie d'un groupe comme tel entraîne une sentence plus sévère? Il y a là matière à réflexion.
[Français]
Le bgén Pitzul: On n'applique pas une peine plus sévère seulement parce que la personne est en uniforme. Ce n'est pas le message que je voulais passer. Le contexte militaire comporte des circonstances parfois différentes et uniques. On applique des principes sur la détermination de la sentence de la même façon qu'un juge en cour des sessions de la paix.
Le sénateur Nolin: La semaine dernière, M. Fenske semblait avoir de la difficulté à répondre lorsque nous lui avons demandé le nombre de poursuites en vertu d'une procédure sommaire. Est-ce qu'il existe un registre et si oui, comment est-il tenu? Est-ce public? Est-ce qu'il y a un plumitif comme on en retrouve dans les tribunaux civils? Ces questions concernent la gestion administrative ou la mémoire corporative de ce que j'appellerais la juridiction inférieure. Les réponses obtenues la semaine dernière n'étaient pas concluantes. Est-ce que vous pouvez nous donner plus de renseignements à ce sujet?
Le bgén Pitzul: Je suis arrivé à mon poste en avril dernier et j'étais parti depuis trois ans. Avant de partir, je savais qu'on avait émis des ordres selon lesquels les unités étaient obligées de fournir ces renseignements. Je crois, entre-temps, que les réductions budgétaires ont nécessité l'arrêt de cette procédure. On réapprend et on est en train de créer une «military justice data bank» dans laquelle on va trouver ces renseignements. Je ne pense pas que cela existe présentement. Je ne dis pas que ce n'est pas une mauvaise idée de l'avoir.
Le sénateur Nolin: Si je comprends bien les réponses données au sénateur Joyal, même si une jurisprudence concerne une infraction mineure, le citoyen peut prétendre avoir droit à la même sentence que celle infligée à son collègue dans des circonstances similaires. S'il n'y a pas un registre qui tient compte des sentences, c'est la mémoire de chacun qui fera foi.
Le bgén Pitzul: Je suis entièrement d'accord. Si vous regardez mes rapports annuels de la Nouvelle-Écosse, vous trouvez une comparaison de toutes les infractions, les renseignements nécessaires sur les sentences. J'ai l'intention de mettre en vigueur le même système chez nous.
Le sénateur Nolin: Ce projet de loi ne vous empêchera pas de le faire?
Le bgén Pitzul: Non, je suis même obligé de fournir un rapport annuel qui sera remis au Parlement.
[Traduction]
La présidente: Dorénavant, il y aura un rapport statistique.
Le sénateur Nolin: C'est plus que statistique. C'est en fait la véritable mémoire juridique d'un tribunal.
Le bgén Pitzul: Le plan que nous avons maintenant vise la création d'une banque de données de la justice militaire à laquelle le public aurait accès.
De plus, il y aura un dossier de discipline militaire. Le dossier de l'unité, qui sera du domaine public, est local. La banque de données sur la justice militaire, qui sera sous forme électronique et du domaine public, ne sera pas aussi à jour que le dossier de l'unité. Ce dernier sera mis à jour quotidiennement. Le dossier électronique sera centralisé à Ottawa. Le temps qu'une unité fasse parvenir un document et que celui-ci soit inséré dans la banque de données, et la banque a probablement 30 ou 60 jours de retard. Par contre, si quelqu'un veut se rendre sur place, par exemple à Cold Lake, en Alberta, il est possible d'obtenir des renseignements précis et à jour sur l'unité. C'est le processus que nous sommes en train de mettre au point: une banque de données électroniques et un dossier papier sur l'unité.
La présidente: Je vous remercie beaucoup d'être venus cet après-midi.
La séance est levée.