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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 35 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 7 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 20 pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous recevons ce matin deux témoins, M. Patrick McCann, avocat criminaliste, et le brigadier général James Simpson.

Je vous laisse le soin de décider qui va commencer. Je vous en prie, allez-y.

Le brigadier général (retraité) James Simpson, ancien juge-avocat général du Canada: Je vous remercie de me donner l'occasion d'être ici ce matin. Je ne travaille plus comme juge militaire depuis quelques années, mais votre invitation m'a donné l'occasion d'obtenir un exemplaire du projet de loi C-25 et de l'examiner à la lumière des réflexions qui me sont venues pendant les débats relatifs à l'enquête sur la Somalie, particulièrement en ce qui concerne le Code de discipline militaire.

Je m'intéresse principalement au système de justice militaire, en particulier, à la question de l'indépendance des tribunaux militaires, et c'est, je pense, à propos de cette partie de la loi que je pourrai peut-être offrir des commentaires utiles.

Ce projet de loi est un grand pas en avant. Il y a de longues années, aussi bien avant que je devienne juge-avocat général que quand j'occupais ce poste, le bureau du juge-avocat général et le ministère de la Défense nationale ont essayé à de nombreuses reprises d'inscrire un projet de loi au Feuilleton pour modifier en profondeur le Code de discipline militaire, mais nous n'y sommes jamais parvenus. Il est réjouissant de constater maintenant qu'on en est déjà à cette étape de l'étude du projet de loi et qu'il répond à nombre des préoccupations et des critiques auxquelles ont donné lieu le système de justice militaire et, en particulier, la juridiction des tribunaux militaires.

Ma comparution me permet de mentionner un aspect de ce projet de loi que j'ai trouvé quelque peu étonnant; c'est le fait qu'on continue de donner le titre de juge-avocat général à un officier auquel le projet de loi retirerait, tout au moins implicitement, toute fonction judiciaire. En outre, le projet de loi place explicitement ce poste sous la tutelle du ministre de la Défense nationale.

Comme, j'en suis sûr, vous le savez, le juge-avocat général britannique est un juge civil. Ce poste est occupé par un juge civil depuis au moins 50 ans. Or, suite à l'arrêt rendu il y a quelques années par le Tribunal européen des droits de l'homme dans l'affaire Findley, les Britanniques ont jugé bon, en 1996, de supprimer le rôle consultatif qu'exerçait le juge-avocat général auprès du Secrétaire d'État à la défense à propos des questions juridiques militaires. En d'autres termes, ils voulaient mettre entièrement à part les fonctions de conseiller juridique qui faisaient partie des fonctions et des responsabilités du juge-avocat général en lui laissant seulement ses fonctions judiciaires et quasi judiciaires.

En 1996 également, le juge-avocat général australien a déclaré, dans son rapport annuel, qu'à son avis, il ne devait pas jouer un rôle général de conseiller en matière juridique auprès des Forces armées australiennes parce que ce serait incompatible avec sa charge judiciaire.

Je me rends compte que ce projet de loi n'entraînerait probablement aucun conflit entre, d'une part, le fait que le juge-avocat général relèverait du ministre et le conseillerait en matière juridique et, d'autre part, toutes les tâches judiciaires, puisque ces dernières lui sont retirées. Il semble qu'elles seront confiées exclusivement au juge militaire en chef, aux autres juges militaires et à d'autres officiers.

Il semble toutefois regrettable que le projet de loi crée deux postes de «juges», c'est-à-dire le juge-avocat général, qui n'aura aucune fonction judiciaire, et le juge militaire en chef, qui assumera toutes les fonctions judiciaires. Il aurait peut-être mieux valu que le projet de loi donne un titre différent à cet officier, qui aura un rôle non judiciaire et exercera principalement un rôle consultatif en matière juridique.

Vu l'ensemble des mesures prévues dans ce projet de loi, ce n'est peut-être pas un système illégal ou contraire à la constitution, mais on ne sait jamais. Le fait même que le juge-avocat général relève apparemment du ministre de la Défense nationale pourrait inciter quelqu'un à soulever la question de son indépendance administrative et nécessiter éventuellement qu'une modification y soit apportée un jour ou l'autre.

Personnellement, j'aimerais qu'on conserve l'expression ou le titre de juge-avocat général à cause de mon expérience à cet égard. Toutefois, ce projet de loi modifierait radicalement les fonctions du juge-avocat général canadien par rapport à celles de ses homologues britanniques, australiens ou américains, qui conservent leurs fonctions judiciaires. Je pense qu'il serait bon d'envisager d'adopter un autre nom, par exemple directeur général des services juridiques; le titre de juge militaire en chef serait alors donné à celui qui assumerait toutes les fonctions judiciaires.

Je m'en tiendrai là et donnerai maintenant la parole à M. McCann.

M. Patrick McCann, avocat, McCann & Giamberardino: Je vous remercie également de m'avoir invité à me présenter devant vous ce matin. Je ne l'ai encore jamais fait, et c'est une expérience intéressante. Je vous suis reconnaissant de me donner cette possibilité.

J'ai deux préoccupations au sujet du système de justice militaire. Il y a, d'une part, la mesure dans laquelle il cherche à constituer un système judiciaire complet et, d'autre part, la question de l'indépendance institutionnelle des différents acteurs qui interviennent dans ce système.

Je m'intéresse au système de justice militaire pour deux raisons. La première est que, pendant les années 60, avant de m'inscrire en faculté de droit, j'ai passé quelques années comme officier des transmissions dans l'armée. À ce titre, j'ai été officier désigné lors de quelques procès sommaires devant le commandant. C'est probablement ce qui est à l'origine de mon intérêt pour la défense dans les procès criminels.

Il s'agit d'une fonction relativement rudimentaire consistant à confier la défense d'un accusé à un officier. Je me suis familiarisé avec ce domaine et j'ai très bien compris la nécessité d'intervenir et de prendre des mesures disciplinaires rapidement à ce niveau.

La deuxième raison de mon intérêt est ma participation, il y a quelques années, au procès en cour martiale du soldat Kyle Brown, qui était accusé d'avoir assassiné et torturé un prisonnier en Somalie. J'ai pu observer directement le système d'en haut, du niveau d'une cour martiale générale, à propos de ce qui était également une affaire dont on parlait beaucoup et qui était analysée par le menu dans la presse.

Mon expérience se situe à ces deux niveaux extrêmes. Je n'ai guère d'expérience du fonctionnement quotidien du système entre ces deux extrêmes. J'ai eu l'impression qu'ils montraient le problème que posait l'ampleur de ce système.

Je n'ai eu aucun mal à comprendre qu'il fallait des procédures disciplinaires permettant de régler rapidement les problèmes de discipline. C'est une méthode valable et c'est quelque chose qui est nécessaire dans tous les systèmes militaires. Je m'inquiète toutefois quand cette même philosophie de réaction rapide est appliquée quand quelqu'un est accusé d'un meurtre. J'ai toujours eu l'impression que le système militaire, qui est conçu comme un système disciplinaire permettant de régler rapidement les problèmes de discipline, convenait mal quand quelqu'un est accusé d'un crime aussi grave qu'un meurtre.

Dans le système civil, l'idéal est de suivre une procédure lente, réfléchie et prudente pour éviter toute injustice. Ces notions ne concordent pas avec l'idée de réagir rapidement en cas de problème disciplinaire. Or, c'est cette nécessité d'une réaction rapide qu'on invoque pour justifier des choses comme les procès confiés à un groupe d'officiers supérieurs plutôt qu'un jugement par les pairs ou les verdicts à la majorité plutôt qu'à l'unanimité.

Depuis que j'ai participé à l'affaire Brown, j'ai toujours dit que l'armée ne devrait pas juger ce genre de délit sauf, en temps de guerre, dans une situation d'urgence, quand il serait pratiquement impossible de rapatrier l'accusé et tous les témoins pour tenir le procès au Canada. Dans tous les autres cas, je ne vois pas pourquoi l'armée devrait juger des gens. On peut effectivement les transférer devant les tribunaux civils pour que ceux-ci les jugent. J'ai toujours été d'avis qu'il fallait appliquer de façon aussi large que possible l'alinéa 11f) de la Charte, qui garantit le droit à un procès avec jury à toute personne accusée d'une infraction passible de cinq ans d'emprisonnement ou d'une peine plus grave.

Cet article prévoit une exception pour les infractions relevant de la justice militaire. À mon avis, on peut avancer que, d'après cet alinéa, on devrait considérer que seules relèvent de la «justice militaire» les infractions de nature purement militaire qui n'ont aucun équivalent dans la procédure civile.

Je pense également que la garantie du droit à un procès équitable, qui inclut la présomption d'innocence et la nécessité de prouver les faits au-delà de tout doute raisonnable, n'est pas compatible avec les verdicts rendus à la majorité, car cela ressemble plus à la notion de prépondérance des probabilités, qui est la norme de preuve requise par notre système pour les procès civils et non pas pour les procès criminels.

Cela dit, je dois signaler que j'ai invoqué en vain cet argument lors du procès en cour martiale du soldat Brown, devant la cour d'appel de la cour martiale à propos de la même affaire ainsi que lorsque j'ai demandé que l'affaire soit entendue par la Cour suprême du Canada. Les arguments ont, en fait, été rejetés. J'ai défendu les mêmes principes devant le Groupe Dickson, qui n'en a manifestement pas fait état dans son rapport, et ils n'ont pas été non plus retenus dans le projet de loi C-25.

Maintenant que le projet de loi a été étudié par la Chambre des communes et adopté en deuxième lecture par le Sénat, je dois peut-être m'avouer vaincu et convenir que je devrai revenir sur cette question lorsque ce texte sera à nouveau amendé, peut-être dans cinq ans. C'est toutefois une question qui me tient à coeur. Je crois que mes amis dans le système juridique militaire et au Bureau du juge-avocat général connaissent mes idées à ce sujet, et nous en avons débattu à de nombreuses reprises.

Je vais donc maintenant parler de ce qui me paraît constituer le deuxième problème qui existait dans le système et que le projet de loi C-25 a corrigé très efficacement. Il s'agit de l'indépendance institutionnelle des différents intervenants.

Le rôle du commandant est un domaine dans lequel j'ai cru constater un manque d'indépendance institutionnelle ou l'existence d'un parti pris dans le système. Par exemple, lors du procès en cour martiale du soldat Brown, le commandant, qui faisait lui-même l'objet d'une enquête, a participé au renvoi de l'affaire devant l'autorité convocatrice. J'ai trouvé également préoccupant que les officiers chargés des poursuites contre l'accusé aient également conseillé le commandant relativement au renvoi de l'affaire devant l'autorité convocatrice et ait aussi conseillé cette dernière.

D'après ce que je sais de la jurisprudence qui s'est constituée dans le système militaire, l'autorité convocatrice et le commandant sont tous deux censés exercer des fonctions quasi judiciaires en ce qui concerne le renvoi d'une affaire devant l'autorité convocatrice et la question de savoir si la cour martiale doit ou non être convoquée. Il me semblait tout à fait inacceptable que le juriste chargé de poursuivre l'accusé agisse comme conseiller juridique auprès de ces gens, qui n'étaient pas eux-mêmes des officiers juridiques et n'étaient pas associés à la procédure judiciaire à d'autres titres. Le projet de loi semble avoir répondu à ces préoccupations.

Je tiens à mentionner un autre aspect du projet de loi qui me paraît louable. Le rôle de la chaîne de commandement dans une procédure disciplinaire a été maintenu. Pour moi, le système de justice militaire est pratiquement composé de deux branches. Il y a la méthode strictement disciplinaire, avec des procès sommaires qui se tiennent devant le commandant, ce qui est absolument nécessaire dans le système militaire parce que c'est la façon appropriée d'intervenir rapidement à propos des problèmes de discipline de nature relativement mineure. Dans l'armée, tout le monde a toujours reconnu que c'est une partie intégrante du système. Si on commet une faute, on est mis sur la sellette devant le commandant. Tout le monde l'accepte et agit en conséquence. Le fait d'avoir conservé cela ne me pose aucun problème, je suis même content qu'il en soit ainsi.

Par ailleurs, le projet de loi a complètement réorganisé le système judiciaire. J'utilise ces termes pour faire une distinction entre les procès sommaires, que je qualifierais de méthode disciplinaire, et le système judiciaire des cours martiales. Je suis heureux de constater que le projet de loi prévoit que la police puisse maintenant prendre l'initiative d'une enquête, porter des accusations et arrêter des gens et confier ensuite l'affaire à un organisme indépendant chargé des poursuites, qui déterminera si un procès doit avoir lieu, et cetera.

Je suis également heureux de constater que le juge jouira maintenant d'une indépendance institutionnelle totale, comme les juges dans le système civil.

Je suis également superficiellement satisfait de constater qu'il y aura maintenant une direction indépendante responsable de la défense ou des avocats indépendants pour venir en aide aux accusés.

Je dis «superficiellement» parce que le paragraphe 249(2) me préoccupe un peu. Il stipule que le directeur du Service d'avocats de la défense exerce ses fonctions sous la direction générale du juge-avocat général et doit respecter les instructions ou les lignes directrices générales établies par ce dernier.

À mon avis, un système judiciaire conforme aux principes de la justice fondamentale doit comporter des avocats forts et indépendants.

Je terminerai mes remarques en signalant que, malgré ces critiques, tous les gens avec qui j'ai traité dans le système judiciaire militaire, dans les bureaux des juges-avocats généraux et ailleurs, se sont toujours montrés tout à fait professionnels, équitables et compétents dans leurs rapports avec moi. Je suis sûr qu'une fois que les modifications qu'apporte le projet de loi C-25 seront entrées en vigueur, nous aurons un système de justice militaire efficace et équitable.

Le sénateur Beaudoin: Je vais commencer par ce que disent souvent les avocats et les juges -- il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut aussi qu'elle le soit de façon manifeste.

Une, deux ou trois affaires soumises à la Cour suprême du Canada ont fait ressortir qu'à l'évidence, le système actuel ne répond pas à toutes les questions posées par celle-ci. Nous avons certainement besoin d'un projet de loi comme le C-25. Je n'en suis pas encore vraiment sûr, mais nous devons peut-être faire plus.

Je suis heureux d'apprendre que l'ancien juge en chef Dickson a présenté un rapport. Est-il confidentiel ou notre comité peut-il en recevoir un exemplaire? Est-ce un avis qui a été donné à votre ministère?

Le lieutenant-colonel Alex Weatherston: C'est un document public.

Le sénateur Beaudoin: Dans le même ordre d'idées, j'ai l'impression que nous devrions transformer notre système de justice militaire parce qu'il devrait être aussi transparent que le système civil et le système de droit criminel. Nous avons peut-être nos propres traditions depuis un, deux ou trois siècles, mais l'indépendance du pouvoir judiciaire est exactement la même dans l'armée que dans les tribunaux criminels et civils de notre système.

Je suis heureux d'apprendre qu'il y aura un nouveau système et un chef de la justice militaire.

En ce qui concerne le juge-avocat général, ce qui me paraît important est de savoir s'il s'agit vraiment d'un juge. Apparemment, ce n'est pas ou plus le cas. Cela ne me pose aucun problème. Le problème est que la justice militaire devrait être aussi indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif du ministère de la Défense que le sont les tribunaux qui s'occupent des affaires civiles et criminelles.

Le mandat renouvelable de cinq ans suffit-il à assurer une transparence et une indépendance réelles par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif? Je ne dis pas que non, je vous pose simplement la question.

M. McCann: Quand je lis ce document, je suis tout à fait convaincu que les juges seront nommés avec la plus grande indépendance possible.

Le mandat de cinq ans est quelque chose qui m'a frappé quand j'ai lu l'arrêt récemment rendu par la cour d'appel de la cour militaire dans l'affaire Lauzon. Le tribunal s'est notamment penché sur la composition du comité qui examine le renouvellement du mandat des juges militaires. C'est peut-être quelque chose qui n'est pas traité à fond dans le projet de loi, mais qui le sera, je suppose, dans le règlement constituant ce comité.

Dans l'affaire Lauzon, le tribunal s'inquiétait du fait que le comité était dominé par les gens nommés par la direction du MDN, qui pouvaient donc influencer le renouvellement du mandat des juges. Là encore, le projet de loi constitue un comité de révision, mais il ne mentionne aucun critère pour la nomination de ses membres. Je suppose que cela sera traité dans le règlement.

Bgén Simpson: Je ne sais pas si un règlement a ou non été rédigé. Toutefois, étant donné les arrêts récemment rendus au niveau international et dans notre pays, je suppose que ce règlement cherchera à garantir l'indépendance administrative des juges militaires et de leurs tribunaux.

Pour ce qui est du mandat de cinq ans, la loi britannique de 1996 stipule que le juge-avocat général est nommé pour quatre ou cinq ans par la reine sur recommandation du lord chancelier.

Le sénateur Beaudoin: Sur recommandation du lord chancelier?

Bgén Simpson: Oui. Il y a ce qu'on appelle des juges-avocats, qui correspondent à nos juges militaires et qui siègent dans les cours martiales. Ils sont nommés pour un mandat de même durée, mais par le lord Chancelier.

Le sénateur Beaudoin: En lui-même, ce mandat n'est pas mauvais, parce que cinq ans n'est pas une période très longue. Toutefois, je suis plus préoccupé par le renouvellement. On nous a dit hier qu'il y aurait deux comités, dont un serait chargé de révoquer les juges dans certains cas et l'autre, de leur nomination, du renouvellement de leur mandat et de la détermination de sa durée.

Au premier abord, j'ai des doutes au sujet du renouvellement du mandat, parce qu'un juge peut être très bon mais ne pas plaire aux autorités et ne pas être reconduit dans ses fonctions, alors qu'un autre peut être moins extraordinaire et être néanmoins reconduit. Je me demande pourquoi on décide de renouveler le mandat de certains.

Dans différents pays démocratiques, il y a des juges qui sont nommés pour neuf ou dix ans, mais dont le mandat n'est pas renouvelable. On considère cela comme un manque de transparence.

Au cours de la dernière année de son mandat, le juge peut être moins indépendant s'il souhaite être reconduit dans ses fonctions. Je n'en conclus pas qu'il est impossible de renouveler le mandat des juges, mais, de prime abord, je ne suis guère en faveur de cela.

Y a-t-il une raison qui fait que vous avez choisi cette méthode dans le projet de loi C-25?

Et le juge Dickson, pour lequel j'ai la plus grande admiration, que dit-il?

M. McCann: J'ai un exemplaire de son rapport. Je crois que c'est ce qu'il a recommandé. Il était d'accord avec le mandat de cinq ans.

Le sénateur Beaudoin: Il accepte le mandat de cinq ans.

Le sénateur Joyal: Est-il en faveur d'un mandat renouvelable?

M. McCann: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il l'accepte.

Bgén Simpson: Le comité Dickson a recommandé que la nomination des juges et le renouvellement de leur mandat relèvent du ministre.

Le sénateur Beaudoin: Cela relève maintenant du gouverneur en conseil.

Bgén Simpson: On a constaté que cela posait un problème dans l'affaire Lauzon. Le projet de loi confie à juste titre les nominations au gouverneur en conseil plutôt qu'au ministre, puisque le ministre est, dans un certain sens, associé aux poursuites, et cetera.

Le sénateur Beaudoin: Les juges de la Cour supérieure d'appel sont choisis par le ministre de la Justice, mais ils sont nommés par le gouvernement. En pratique, ils sont nommés par le ministre de la Justice. En ce qui concerne la Cour suprême, on considère que c'est le premier ministre qui appelle la personne pressentie pour lui demander si elle est intéressée par un tel poste.

Ce qui m'inquiète est le mécanisme lui-même, parce que ce renouvellement n'existe pas dans le droit civil et le droit criminel. Le juge est nommé jusqu'à l'âge de 75 ans. Ce n'est peut-être pas possible dans l'armée, je n'en sais rien; je ne suis pas expert en la matière. À cet égard, appliquez-vous une recommandation du rapport de Brian Dickson?

M. McCann: Je n'ai jamais réfléchi à cela. J'ai toujours supposé qu'il y avait des raisons légitimes à imposer une limite de cinq ans. Peut-être le général pourrait-il répondre à cela. Y a-t-il une raison quelconque pour laquelle les juges ne pourraient pas être nommés à vie ou jusqu'à la fin de leur carrière?

Bgén Simpson: Je ne sais pas. Cela me rappelle que, dans son récent arrêt sur la référence de l'Île-du-Prince-Édouard, la Cour suprême du Canada a mentionné les trois critères permettant d'établir l'indépendance judiciaire du tribunal. Le premier était la sécurité d'emploi, le deuxième, la sécurité financière, et le troisième, l'indépendance administrative.

Le sénateur Beaudoin: Quand les juges font leur travail de juges.

Bgén Simpson: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il n'y aurait donc aucune interférence?

Bgén Simpson: Non. Le projet de loi aborde directement la question de la sécurité financière en stipulant que le niveau et les conditions de rémunération des juges militaires seront fixés par le Conseil du Trésor. Leur indépendance administrative est bien assurée par les conditions prévues dans le projet de loi.

J'étais préoccupé par la question de la sécurité d'emploi. Les Ordonnances et Règlements royaux actuels prévoient un mandat de deux à quatre ans. Le projet de loi le prolonge en le fixant à cinq ans. Je continue néanmoins de me demander si on devrait limiter le mandat d'un juge et si cela a une incidence négative sur les critères présidant à la sécurité d'emploi.

La présidente: J'ai demandé au colonel Weatherston de s'asseoir avec nous au cas où les sénateurs auraient des questions auxquelles il serait le seul à pouvoir répondre.

Le sénateur Rompkey: La première question que je poserai à nos deux témoins concerne l'indépendance de la police d'après les dispositions du projet de loi.

Je voudrais appliquer cela à l'affaire de la Somalie que M. McCann connaît certainement bien. Ma question découle de certaines des explications qu'il vient de donner. La décision de faire enquête et de porter des accusations continue à relever principalement du commandant. La police, quand elle fait partie de l'unité, est sous les ordres du commandant.

Si un incident mineur se produit, il n'y a aucun problème. Si vous n'avez pas ciré vos chaussures, si vous arrivez en retard à votre poste ou si vous faites un pied de nez à l'officier marinier, vous êtes mis en accusation et vous subissez une sanction. Il n'y a aucun problème à cet égard. C'est bien différent s'il s'agit d'un meurtre.

En Somalie, nous avons constaté en premier lieu qu'il n'y avait pas beaucoup de policiers. Il y avait très peu de policiers militaires avec le régiment. Il y avait seulement deux policiers militaires qui accompagnaient le Régiment aéroporté du Canada, et les commandants hésitaient à leur demander de faire enquête sur certains incidents et n'ont même pas du tout attiré leur intention sur d'autres.

Sommes-nous convaincus qu'avec le nouveau système de justice militaire, les problèmes qui se sont produits en Somalie ne peuvent pas se reproduire? Je me rends compte que les commandants vont maintenant signaler toutes les infractions graves et délicates au Service national d'enquête parce qu'ils sont tenus de le faire; toutefois, que se passera-t-il s'ils ne le font pas? Je suppose qu'il y a une série de mesures qui seront prises. Ils ne pourront plus prononcer un non-lieu, et l'accusation deviendra un document public. Cela exercera une pression considérable.

Je n'ai rien contre le Service national d'enquête. Je comprends qu'il est censé être indépendant et pouvoir faire enquête à sa guise. Toutefois, sur le terrain, dans l'armée, le policier reste sous les ordres du commandant.

Pensez-vous que ce projet de loi accroît l'indépendance de la police, ou bien y aura-t-il encore des entraves au travail de la police, pas à celui du Service national d'enquête, en tant que telle? Je ne fais peut-être pas bien la distinction entre les deux, mais, sur le terrain, les agents de la police militaire auront-ils une certaine indépendance ou le fait qu'ils sont sous les ordres du commandant constituera-t-il une entrave pour eux?

M. McCann: Il me semble qu'avec le nouveau projet de loi, le rôle de la police militaire dans son ensemble sera modifié. Il sera, en gros, divisé en deux groupes. Je me trompe peut-être complètement sur l'application pratique de cela; toutefois, à la lecture du projet de loi, c'est ce qui me paraît devoir se passer.

Certains secteurs de la police militaire resteront dans les unités sous les ordres du commandant et s'acquitteront des tâches traditionnelles de la police militaire comme la circulation, le contrôle des prisonniers et les activités quotidiennes de maintien de l'ordre au sein de l'unité. Ce sera dans une large mesure la même chose que les policiers qui patrouillent dans les rues d'une ville.

Le sénateur Rompkey: C'est également ce que fait la GRC.

M. McCann: Oui. Les policiers militaires feront le travail normal de maintien de l'ordre et resteront sous les ordres du commandant, qui sera maintenant tenu de faire appel au Service national d'enquête en cas d'incident grave. Le SNE sera le service chargé des principales infractions. Il interviendra et fera l'enquête appropriée indépendamment du commandant en se conformant aux instructions de celui qu'on appelle, je crois, maintenant le chef de la prévôté. On pourra peut-être me corriger à ce sujet.

Voilà comment je vois les choses. Si cela fonctionne ainsi, je ne crois pas qu'il y aura de grosses de difficultés, si les commandants font ce qu'ils sont censés faire et signalent les incidents graves.

Ce n'est certainement pas ce qui s'est passé en Somalie. Les policiers placés sous les ordres du commandant ne se sont que vaguement occupés de l'affaire, et il a fallu dix semaines avant qu'elle remonte au SNE; ou, tout au moins, plusieurs jours se sont écoulés avant qu'il intervienne et commence à effectuer une enquête appropriée et complète.

Le sénateur Rompkey: Je trouve cette réponse encourageante. Y a-t-il alors des sanctions contre les commandants -- je suppose que oui -- s'ils ne font pas appel au Service national d'enquête aussi rapidement qu'ils le devraient?

M. McCann: Je ne peux pas citer un article précis, mais je suis sûr que c'est prévu.

Lcol Weatherston: À l'heure actuelle, il y a, et il y aura toujours, des sanctions contre les officiers et les sous-officiers qui ne signalent pas les infractions. C'est aussi une infraction. Dans l'armée, nous portons des accusations dans ce cas.

Le juge en chef Dickson a recommandé de donner une formation à nos commandants qui doivent présider un procès sommaire. Jusqu'à présent, on n'a jamais exigé qu'ils reçoivent une formation dans ce domaine. Cela devrait commencer quand le règlement entrera en vigueur après l'adoption du projet de loi C-25. Nous accréditerons tous les commandants capables de mener des procès, et c'est le juge-avocat général qui assumera cette fonction.

Cela réglera-t-il tous les problèmes? Il y en aura toujours, mais cela contribuerait dans une large mesure à répondre à vos préoccupations.

Le sénateur Rompkey: La Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire est habilitée à entendre des plaintes. Le projet de loi prévoit une procédure pour chaque type de plainte, mais il stipule que le rapport préparé par cette commission doit être envoyé au ministre, au chef d'état-major de la Défense ou au sous-ministre, au juge-avocat général et au commandant de la prévôté, qui l'examinent avant que la commission n'y mette le point final puis le communique au plaignant ainsi qu'à la personne qui faisait l'objet de la plainte.

Ma question fait suite à ce qu'a dit le sénateur Beaudoin, c'est-à-dire qu'il doit être manifeste que la justice a été rendue. Ma question est la suivante: y a-t-il une chance que cette procédure donne l'impression de constituer une ingérence dans ce qui devrait être un rapport impartial?

D'après le projet de loi, l'examen a pour objet de permettre au ministre et à la commission d'être informés de la mesure qui a été ou va être prise. Pourquoi faut-il que tous ces gens examinent un rapport intérimaire avant sa mise au point finale? Je crois que cela nous ramène à la question de l'indépendance et de l'autonomie. Si la commission prépare un rapport intérimaire et le montre à toutes les autorités avant d'en publier la version finale, cela donne l'apparence d'un manque d'autonomie ou d'indépendance.

M. McCann: C'est une bonne remarque. Si cette disposition a simplement pour objet d'informer à l'avance les gens qui sont au sommet de la hiérarchie de ce qui va se passer, cela ne me pose aucun problème. Toutefois, comme vous l'avez signalé, si on semble exiger que cela se fasse avant la préparation de la version finale du rapport, il faudrait que le commissaire tienne compte de tout commentaire du ministre et des diverses autres personnes qu'il doit consulter avant d'en faire la version finale.

Là encore, je ne sais pas exactement pourquoi on procède ainsi. Je peux comprendre que le commissaire est nommé de façon indépendante et qu'il semblerait être fonctionnellement et institutionnellement tout à fait indépendant du ministre. Il ne serait certainement aucunement tenu de modifier son rapport en fonction des commentaires du ministre ou de quelqu'un d'autre. C'est néanmoins certainement l'impression que cela donne. Si on veut simplement informer le ministre avant de remettre le rapport à la presse ou je ne sais quoi, il y aurait certainement d'autres moyens de le faire.

Le sénateur Rompkey: Le brigadier général Simpson a-t-il des commentaires à ce sujet?

Bgén Simpson: Je ne connais pas la raison d'être de cette disposition. J'ai également trouvé que cela empiétait peut-être un peu sur l'indépendance du commissaire quant à la préparation de son rapport.

J'ai d'abord lu cela en pensant que le juge-avocat général pourrait ensuite participer à une procédure judiciaire quelconque. Cela m'a effrayé. Toutefois, étant donné qu'aux termes du projet de loi, il se contentera de conseiller le ministre en matière juridique et de superviser le directeur des poursuites, et cetera, cela a atténué quelque peu mon inquiétude.

Je peux comprendre qu'il soit bon que le commissaire souhaite connaître l'avis de toutes les parties intéressées, comme le commandant de la prévôté, le juge-avocat général, le bureau du ministre, et cetera, et puisqu'il n'est pas du tout obligé d'en tenir compte quand il prépare son rapport, il ne faut peut-être voir là aucune forme d'ingérence dans son indépendance.

Le sénateur Rompkey: C'est peut-être une question que nous devrons examiner plus attentivement avec les rédacteurs du projet de loi et ceux qui l'appliqueront une fois qu'il sera entré en vigueur. Il me semble que des éclaircissements supplémentaires sont nécessaires.

La présidente: En guise d'éclaircissement, si le comité est d'accord, je demanderai à M. Goetz, notre recherchiste, de répéter ce qu'il vient de me dire au sujet de ce qu'il pense de cette partie du projet de loi.

M. David Goetz, recherchiste, Bibliothèque du Parlement: L'examen sert à dire aux autorités quelles sont les conclusions et les recommandations de la commission, qui présente ensuite ses propres conclusions. Le rapport final concerne la validité de ces réactions.

LCol Weatherston: Je crois que M. Goetz a raison. Nous avons un chef de l'état-major de la Défense qui est responsable des Forces canadiennes, et le personnel militaire pourrait être mis en cause. Il appartient au sous-ministre, qui reste responsable des civils qui pourraient faire l'objet de ces plaintes, d'examiner ce rapport initial et de prendre promptement des mesures. Il doit ensuite s'adresser au président de la Commission des plaintes pour lui dire quelles mesures il a prises en vertu de ces responsabilités.

Le sénateur Beaudoin: Le ministère de la Justice va-t-il comparaître devant le comité au sujet du projet de loi C-25?

La présidente: Nous ne l'avons pas prévu.

Le sénateur Beaudoin: Nous entendons maintenant les explications du ministère de la Défense. Je suis d'accord pour dire que nous devons commencer avec ses représentants. Je me demande s'il ne conviendrait pas d'entendre un ou deux experts du ministère de la Justice pour déterminer si, à leur avis, ce projet de loi est conforme à l'article 11 de la Charte, c'est-à-dire au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire. Cela pourrait être utile.

La présidente: Je pense qu'on vérifie la conformité de tous les projets de loi avec la Charte avant de les présenter à la Chambre des communes.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais examiner cela de plus près. Je pense à quelqu'un comme Mme Dawson. Une heure suffirait peut-être. C'est une sécurité supplémentaire pour nous.

La présidente: Le comité directeur étudiera cette question.

Le sénateur Rompkey: Si je comprends bien ces explications, il y a, en réalité, deux rapports. Le rapport intérimaire porte, en réalité, sur ce que vous devriez faire. Le rapport final porte sur la validité de ce que vous avez fait. En fait, il y a deux rapports. Or, le projet de loi ne le spécifie pas. Tel qu'il est libellé, il dit qu'il y a un rapport. Toutefois, d'après les explications que j'ai entendues, il y en a deux -- un rapport intérimaire sur les fautes commises et ce qu'il faudrait faire pour y remédier, et un rapport final sur la validité des mesures prises.

Il me semble qu'il y a une différence entre ce que dit réellement le projet de loi et les explications que nous avons entendues. C'est un domaine que j'aimerais examiner davantage.

Le sénateur Moore: J'aimerais examiner davantage les remarques du sénateur Beaudoin au sujet du mandat de cinq ans proposé dans le projet de loi pour les juges. Ceci est également relié à l'arrêt Lauzon et à la préoccupation relative à l'indépendance des juges militaires.

D'après votre curriculum vitae, vous pouvez vous appuyer sur une expérience considérable. Vous avez dit que ce mandat de cinq ans vous gêne. Vous qui avez connu cela directement et avez lu le projet de loi, pour combien de temps pensez-vous que les juges devraient être nommés? Pouvez-vous nous proposer quelque chose qui vous paraîtrait plus satisfaisant, vu votre expérience du travail dans ce système, pour assurer l'indépendance de la justice militaire?

Bgén Simpson: Mon opinion repose sur le fait connu de tous que les juges ne sont normalement pas nommés pour un mandat limité. À ma connaissance, ils sont généralement nommés pour une durée indéterminée tant que leur comportement est inattaquable. Étant donné qu'il est clairement établi que l'inamovibilité est un critère essentiel de l'indépendance d'un tribunal judiciaire, une nomination pour une période indéterminée constitue implicitement une garantie d'inamovibilité. Alors que, si on limite le mandat à une durée déterminée et qu'il est renouvelable -- même si l'exécutif ne se prononce pas lui-même sur ce renouvellement mais s'appuie sur la recommandation d'un organisme indépendant ou d'une commission --, il semble qu'on puisse se demander si cette garantie est totalement assurée.

Le sénateur Moore: Souhaiteriez-vous que le mandat soit illimité?

Bgén Simpson: Si le projet de loi entrait en vigueur, certains seraient probablement juges militaires pendant toute leur carrière au lieu de commencer par être avocats militaires, puis juges militaires pendant un certain temps avant d'être à nouveau avocats militaires.

Si c'est une des prémisses sur lesquelles reposent les dispositions du projet de loi concernant les juges militaires, pourquoi ne pas les nommer sans limitation de leur mandat?

J'ai été le dernier juge-avocat nommé pour une durée illimitée. J'ai occupé ce poste pendant environ cinq ans et j'aurais pu rester six ou sept ans de plus. Certains de mes prédécesseurs ont été juge-avocat général pendant 20 ou 25 ans.

Le sénateur Moore: En ce qui concerne le renouvellement de la nomination des juges, la Cour suprême, dans l'affaire Lauzon, a exprimé ses préoccupations au sujet de l'absence de normes à ce sujet et du fait que la loi n'offre pas des garanties suffisantes d'indépendance. À ma connaissance, le projet de loi C-25 ne propose aucune norme pour le renouvellement du mandat. Qu'en pensez-vous, compte tenu des préoccupations exprimées dans l'arrêt Lauzon?

Bgén Simpson: C'est quelque chose qu'il serait difficile de faire figurer dans un projet de loi parlementaire.

Le sénateur Moore: Indiquer des normes?

Bgén Simpson: Oui, les normes proprement dites. Je pense toutefois que le règlement devrait énoncer les normes que le comité prendrait en considération avant de présenter ses recommandations.

Le sénateur Moore: Si les juges étaient nommés pour une durée illimitée, nous n'aurions théoriquement pas à nous inquiéter à ce sujet. Leur cas continuerait de devoir être examiné à l'échéance de leur mandat, mais vous n'auriez pas à vous en occuper.

Bgén Simpson: Non.

Le sénateur Joyal: Je peux imaginer comment les choses changeraient au Sénat si les sénateurs étaient nommés pour cinq ans. Je laisserai mes collègues y réfléchir. Si cela se produisait, ce serait un mandat renouvelable après évaluation et révision. Quand nous parlons de ce genre de chose, nous savons tous que cela aura de grosses répercussions sur le système.

Je voudrais poser ma question à M. Simpson. Je suis impressionné par le fait que vous avez passé votre carrière en partie dans les Forces armées canadiennes et en partie à étudier les différents systèmes et les conventions internationales concernant l'exercice de la fonction judiciaire dans l'armée.

Je résumerai ce que je pense de la philosophie juridique sur laquelle repose le système judiciaire militaire en disant que, pendant longtemps, l'armée, comme toute corporation professionnelle, avait un système de réglementation interne et d'autodiscipline. Des présomptions se sont développées au sujet du rôle de l'armée ainsi que celui des autres professions, comme les médecins, les avocats, les architectes, les ingénieurs, et cetera. Chacune de ces corporations a mis au point elle-même une série de principes déontologiques et certains mécanismes pour régir les normes de la profession concernée. C'est très nécessaire dans l'armée vu le rôle fondamental qu'elle joue dans notre système démocratique.

Au cours des 30 dernières années, ces systèmes et ces procédures ont suscité de nombreuses préoccupations -- non seulement dans l'armée, mais également dans les autres professions. Il a fallu les modifier en fonction des préoccupations relatives aux droits juridiques de la défense et à ceux des accusés. Il fallait se fonder sur de meilleurs principes et garantir les droits et les libertés de chacun, qu'il s'agisse des soldats, des médecins, des avocats, et cetera.

J'essaie encore de concilier ce principe avec la nécessité pour l'armée d'avoir son propre système. Il y a aussi la nécessité de maintenir le principe de la justice dans le contexte actuel d'une trentaine d'années de débats dans notre pays au sujet de la définition contemporaine des «droits et libertés de la personne». Ceux d'entre nous qui s'intéressent à ces domaines savent qu'il y a, en matière de droits et de libertés, de nombreuses notions nouvelles que personne n'aurait imaginées il y a 30 ans. Peut-être, dans 20 ans, y aura-t-il des choses que nous ne prévoyons pas aujourd'hui.

Je voudrais que vous me parliez de la philosophie juridique qui est à la base du système de justice interne de l'armée. On ne peut pas répondre à cette question en 30 secondes, mais il s'agit de principes fondamentaux. Nous essayons d'améliorer ce système en nous inspirant des principes que nous appliquons dans la société civile. Nous pensons qu'il y a certaines différences, par exemple la question du mandat de cinq ans. Nous savons tous ce qui se passerait si les juges du système judiciaire civil étaient nommés pour cinq ans. Imaginez cela pendant une seconde. Ce que j'ai dit à propos des sénateurs est banal, mais faites cela dans notre système judiciaire. Nous parlons du droit criminel, pas du droit civil. Il ne s'agit pas d'une plainte portant sur 2 000 $ parce que quelqu'un a heurté votre voiture. Nous parlons de la liberté des personnes et de la détermination de la peine, ce qui est très grave. Imaginez une seconde que les juges du système civil puissent être nommés pour un mandat renouvelable de cinq ans. Je ne peux même pas essayer d'imaginer quelles répercussions cela aurait sur la détermination des peines, le militantisme des juges, et cetera.

Il existe, dans le système, une tendance naturelle à plaire. Quand je dis «plaire», je ne le dis pas de façon négative, mais on a le désir de s'adapter au comportement qui est la règle dans le système. C'est inévitable, même si c'est le système qui réévalue le travail du candidat. Pour aussi compétente que soit cette personne, il y a un facteur humain qui est en jeu. Nous savons tous qu'il existe.

Qu'y a-t-il d'aussi essentiel à l'intégrité du système judiciaire militaire qu'il nous faille dévier d'un principe aussi fondamental et rendre le mandat des juges renouvelable? Cela existe-t-il dans d'autres systèmes? Si c'est le cas, comment fait-on pour préserver ces principes fondamentaux de respect des droits et des libertés?

La présidente: J'attends avec intérêt la réponse. À ma connaissance, ce projet de loi n'introduit pas un nouveau principe, mais prolonge le mandat d'un juge militaire de deux à quatre ans jusqu'à présent à cinq ans, ce qui est la norme dans d'autres pays dans le monde entier.

Bgén Simpson: Je ne suis pas sûr que ce soit la norme dans le monde entier. C'est maintenant la norme pour la nomination du juge-avocat général britannique, dans l'armée de terre et l'Aviation royale, ainsi que pour les juges-avocats civils dans l'armée de terre et l'aviation britanniques.

Malheureusement, il y a de longues années que je ne suis plus dans l'armée. Je ne peux pas prétendre savoir pour quelle raison fondamentale on conserve un système de justice militaire distinct. La Cour suprême du Canada s'est prononcée sur cette question dans l'affaire Généreux, qu'elle a entendue dans les années 80. La Cour d'appel de la cour martiale a déclaré à cette occasion qu'il est bien connu et communément accepté qu'une force militaire -- qui, de par sa nature même, fonctionne de façon isolée et indépendante par rapport à la structure normale du gouvernement -- a besoin de son propre système de justice.

Ce sont des affirmations judiciaires et non pas philosophiques, si vous voulez. Il me semble qu'elles sont valides. Étant donné la nature d'une force militaire, il est essentiel d'avoir certains moyens de maintenir la discipline. La discipline est le fondement même de la capacité d'une force militaire à fonctionner, en particulier lors d'un conflit armé. Je ne connais aucune force armée qui ne possède pas son propre droit militaire.

En fait, je m'en souviens, il y a un principe général du droit international selon lequel une force militaire qui se trouve dans un pays avec le consentement du pays hôte applique son propre droit militaire. Les accords internationaux comme la Convention sur le statut des forces de l'OTAN reconnaissent que, quand une force d'un État de l'OTAN est présente dans un autre État de l'OTAN, elle applique son propre droit militaire.

En outre, elle est habilitée à organiser des procès dans ses propres tribunaux et à exercer une juridiction criminelle dans l'État hôte pour différents types d'affaires -- par exemple toute infraction commise envers un membre de cette force, un élément civil de celle-ci, les personnes à la charge de ses membres et sa sécurité. En droit international, il y a un principe bien établi -- et accepté par les États -- selon lequel une force militaire doit avoir son propre code de discipline militaire et son propre système de justice militaire.

Pour ce qui est plus particulièrement de la question du mandat des juges, que vous avez mentionnée, je ne vois aucune raison d'ordre philosophique ou découlant du droit militaire de limiter la durée des mandats des juges militaires. Toutefois, il y a peut-être des raisons pratiques en vertu desquelles on a décidé d'adopter un mandat limité et renouvelable. Peut-être a-t-on pensé que les juges militaires devraient avoir une autre expérience militaire qui puisse leur servir quand ils jugent une affaire militaire. De ce point de vue, il est peut-être souhaitable qu'un juge militaire soit nommé pour cinq ans, puis ait une affectation à l'étranger auprès des Nations Unies ou de l'OTAN, ou quelque chose de ce genre, ou travaille même dans un autre département du Bureau du juge-avocat général à Ottawa.

J'ai l'impression que la majorité du travail qui se fait au Bureau du juge-avocat général concerne autre chose que la justice militaire. La Défense nationale est un des plus gros propriétaires fonciers. Il faut s'occuper de choses comme les servitudes et les baux, ainsi que les conventions internationales sur le statut des Forces que nous avons conclues avec différents pays. Il y a un service des pensions, et on s'occupe des domaines fonciers, de la propriété intellectuelle et de toutes sortes d'autres choses. La justice militaire n'est qu'une des divisions de ce bureau. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles les juges militaires devraient acquérir une certaine expérience dans d'autres départements du Bureau du juge-avocat général avant de siéger à nouveau comme juges militaires.

La présidente: Le colonel Weatherston voudrait-il également répondre à cette question? Je pense que le colonel Fenske nous a donné une idée de la raison d'être de cela.

LCol Weatherston: Sénateur Joyal, je compléterai ce que le général Pitzul a dit hier. Il a expliqué qu'il avait été juge militaire pendant cinq ans dans les Forces canadiennes. Je n'ai pas été juge militaire, mais j'ai comparu devant des juges militaires à titre d'avocat de la défense. Les juges militaires -- il y en a actuellement trois -- ont un travail difficile. Ils sont tous basés ici à Ottawa. Nous traitons certaines affaires à Ottawa, mais, dans l'ensemble, ces trois juges se déplacent constamment pendant toute l'année. Nous avons tenu des cours martiales dans des tentes dans des endroits comme la Bosnie. Ce n'est pas toujours agréable. Ils travaillent de longues heures.

Le mandat de cinq ans est un compromis. Il serait peut-être plus sûr d'avoir un mandat plus long, mais, pour être juste envers ces gens et leurs familles, c'est une durée qui est acceptable pour eux. J'hésite à dire qu'il faudrait un mandat plus long, ce qui les forcerait à se déplacer constamment pendant cette période.

Le sénateur Joyal: Brigadier général Simpson, connaissez-vous d'autres pays -- comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou l'Australie -- qui ont adopté ce principe d'un mandat fixe et renouvelable de cinq ans pour les juges militaires?

Bgén Simpson: Le seul que je connaisse est le Royaume-Uni. Suite à la réorganisation de ses forces armées après la Deuxième Guerre mondiale, l'Allemagne a adopté un système de justice militaire dans lequel les affaires militaires sont presque toutes jugées par des tribunaux civils plutôt que par des tribunaux militaires, sauf pour les problèmes disciplinaires mineurs.

Il y a trois ou quatre ans, la France a profondément modifié sa législation juridique militaire pour que les membres des forces françaises soient jugés par des magistrats civils. Je crois que les Allemands continuent de tenir des procès militaires en dehors de l'Allemagne, mais que les Français envoient des magistrats civils à l'étranger pour continuer de juger les membres de l'armée ou rapatrient l'accusé en France pour le juger.

LCol Weatherston: Nous pouvons nous engager à donner ces renseignements plus tard au comité.

Le sénateur Joyal: À ce sujet, notre témoin pourrait peut-être examiner le système d'autres pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne. S'ils ont un mandat de cinq ans renouvelable, quel est le principe que suivent la Commission de révision et la Commission d'évaluation? Quel type de règlement y a-t-il dans ces pays? J'aimerais avoir un exemple de la façon dont est protégée l'indépendance de la justice.

Nous dévions de la procédure normale. Si nous faisons cela, il faudrait que nous sachions très clairement pourquoi nous agissons ainsi. Quels sont les principes de justice qui sont protégés dans ce système? Pour moi, c'est une question fondamentale pour ce qui est de ce projet de loi.

La présidente: Sénateurs, le colonel Weatherston nous fournira une comparaison entre l'arrêt Lauzon et celui concernant l'Île-du-Prince-Édouard. Je l'encouragerai à examiner aussi la durée du mandat et les conditions de renouvellement de la nomination dans les pays de l'OTAN.

Le sénateur Beaudoin: La meilleure solution n'est peut-être pas le mandat renouvelable de cinq ans, mais peut-être de faire juger ces gens-là par des juges civils. Je suis très impressionné par cette formule. Vous avez dit que c'est ce qui se fait en France et en Allemagne. Qu'en est-il des États-Unis?

Hier, le brigadier général a dit que cinq ans suffisaient. Ce n'est pas ce que disent les juges dans les tribunaux civils et criminels. J'aimerais savoir pourquoi il en est ainsi dans les Forces armées canadiennes. Pourquoi n'envisagent-ils pas une longue carrière comme magistrats? Il doit y avoir une raison.

La présidente: Étant donné que la France et l'Allemagne font toutes deux parties de l'OTAN, leur cas sera inclus dans les données et chiffres concernant les pays de l'OTAN. Les juges civils ne se déplacent généralement pas pour juger une affaire, on la présente à leur tribunal. Il y a une petite différence à cet égard.

Le sénateur Joyal: J'aimerais savoir comment le système britannique fonctionne pour l'évaluation et le renouvellement du mandat. Si nous devons adopter cette disposition du projet de loi, je ne pourrais pas dire que ces tribunaux prennent pour modèle le système britannique.

Puisque vous avez l'expérience de l'interprétation de ces systèmes, je pense qu'il serait important pour nous de savoir exactement comment fonctionne le système britannique et comment ce principe est appliqué dans le règlement.

Hier, le général Pitzul a dit qu'un règlement allait être publié. Les parlements modernes ont tendance à adopter des lois générales en s'en remettant aux règlements pour toutes les modalités pratiques. Alors, nous oublions ces règlements.

S'il s'agit d'une question délicate et fondamentale, j'aimerais savoir comment les Britanniques gèrent le système de réglementation pour assurer le fonctionnement de la procédure de révision et de renouvellement des nominations.

Bgén Simpson: Je suis sûr qu'on peut se procurer facilement ce règlement auprès de la Haute-Commission britannique.

Le sénateur Fraser: J'ai également été frappée hier quand le juge-avocat général actuel a donné l'impression de penser que, pour un juge militaire, un mandat de cinq ans était plutôt une sanction qu'un privilège et qu'aucune personne saine d'esprit ne voudrait être reconduite dans ses fonctions.

J'ai eu l'impression qu'on n'a pas beaucoup réfléchi au problème que pose la procédure de renouvellement du mandat, non seulement pour les juges, mais également pour les directeurs du service des poursuites et surtout celui du service de la défense. Peut-être supposait-on tacitement qu'aucune personne saine d'esprit ne voudrait occuper ces fonctions pendant le temps requis.

J'essaie de déterminer comment se déroulait généralement la carrière d'un juge militaire dans le passé. Est-ce qu'ensuite il s'occupe simplement des transactions foncières dont vous avez parlées, monsieur Simpson? Sont-ils envoyés en mission diplomatique? Que veulent-ils faire ensuite? Quel serait le cheminement de leur carrière?

Bgén Simpson: De mon temps, il n'y avait pas de juges militaires.

Le sénateur Fraser: Il n'y avait pas du tout de juges militaires?

Bgén Simpson: Il n'y en avait pas du tout. Prenez, par exemple, mon propre cas. J'étais avocat militaire auprès de la Division aérienne canadienne en France de 1953 à 1956. Nous avions des bases en France, en Allemagne et en Angleterre.

De temps à autre, j'étais nommé comme procureur à une cour martiale pour une affaire de meurtre, d'homicide involontaire, de vol ou je ne sais quoi. J'étais parfois nommé comme avocat de la défense. Je me rappelle être allé à la brigade de l'armée de terre pour défendre quelqu'un qui était accusé de viol.

Ensuite, quand je suis devenu lieutenant-colonel dans l'aviation, j'ai été nommé juge-avocat dans des cours martiales. C'était toutefois seulement en complément de mes tâches normales d'avocat militaire qui consistaient à conseiller les commandants militaires à propos de question juridique concernant des problèmes de la vie de tous les jours, à participer à des commissions d'enquête et à faire toutes sortes de choses.

Je ne peux pas vous dire en quoi consiste la carrière d'un juge militaire. Ils existent depuis au moins 10 ou 15 ans.

LCol Weatherston: Sénateur, il y a des variations. L'âge de la retraite est de 55 ou 58 ans. Certains officiers ont fait carrière comme juge militaire jusqu'à leur retraite.

Le sénateur Fraser: En quoi consisterait la carrière d'un juge militaire qui déciderait de rester juge?

LCol Weatherston: Il resterait juge pendant peut-être 15 ou 20 ans. Il y a quelques exemples de gens qui ont été juges pendant aussi longtemps. Toutefois, il n'y en a que trois ou quatre. J'hésiterais à avancer qu'il y a de nombreux précédents d'une carrière de ce genre, mais il y a des variations.

Le sénateur Fraser: Même s'il y a des gens qui sont restés juges pendant longtemps, on ne semble pas s'être beaucoup soucié du renouvellement de leur mandat. Vous attendez-vous à un changement? Vous attendez-vous à ce que ce travail devienne tellement désagréable que plus personne ne voudra être reconduit dans ses fonctions?

LCol Weatherston: Nous nous attendons à de gros changements. Le projet de loi a maintenant créé un comité pour examiner ces questions. Les arrêts rendus dans l'affaire Lauzon et dans celle de l'Île-du-Prince-Édouard nous ont appris qu'il doit y avoir un comité indépendant. Je suppose qu'il ne comportera aucun membre de l'exécutif. C'est une supposition facile à faire pour moi. Des avocats du ministère de la Justice ou des juges de la Cour d'appel de la cour martiale en feront peut-être partie. Il y a aura des gens qui connaissent la pensée juridique, et peut-être des profanes pour que leur point de vue soit représenté au sein du comité. Ce sera un gros changement par rapport à la façon actuelle de s'en remettre au choix du ministre. Nous savons que nous devons constituer ces comités en tenant compte des arrêts rendus dans l'affaire Lauzon et celle de l'Île-du-Prince-Édouard ainsi que de ceux qui viendront ultérieurement.

La marche à suivre sera déterminée dans les Ordonnances et Règlements royaux.

Le sénateur Fraser: Vous ne savez pas ce que cela donnera en pratique.

LCol Weatherston: Nous savons qu'il y a des droits garantis par la Charte et que les accusés bénéficieront des services professionnels d'un avocat compétent. S'il y a moyen de trouver un argument pour le défendre ou de présenter un plaidoyer spécial, je peux vous assurer que cette défense ou ce plaidoyer seront présentés et qu'un tribunal rendra sa décision.

Le sénateur Fraser: Bien entendu.

Le sénateur Beaudoin: Plus j'entends ces réponses, plus je pense que nous ne pouvons peut-être pas atteindre la perfection en un jour ou deux. Je laisserai de côté la question des juges civils, parce que c'est très différent. On n'exige pas les mêmes preuves. Toutefois, les tribunaux criminels et les tribunaux militaires se ressemblent beaucoup.

Peut-être notre système est-il construit sur le modèle du système britannique, et peut-être celui-ci fonctionne-t-il très bien en Grande-Bretagne. Toutefois, le fait est que nous avons une Charte des droits et libertés depuis 1982. La mentalité des Canadiens est telle que nous nous référons beaucoup à la Charte. Je ne vois pas comment la justice militaire pourra rester très différente de la justice criminelle et civile comme elle l'est actuellement. Nous instituons un système de tribunaux militaires. Il y aura de plus en plus d'affaires. Je suis sûr que les soldats s'intéressent aussi beaucoup à la Charte des droits et libertés.

La question soulevée par le sénateur Joyal me laisse un peu perplexe. Comment se fait-il que les juges militaires n'insistent pas fortement pour occuper leur poste plus longtemps? Hier, le brigadier général a dit: «Eh bien, au bout de cinq ans, nous voulons faire autre chose.» Il doit y avoir une raison à cela. Dans les tribunaux criminels et les tribunaux civils, c'est exactement le contraire. Les juges veulent rester jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 65 ou 75 ans. Pourquoi en va-t-il autrement dans le système militaire? Il doit y avoir une raison.

M. McCann: Pour moi, la carrière d'un juge civil diffère grandement de celle d'un juge militaire. Les juges civils travaillent dans des conditions confortables. Ils sollicitent généralement un tel poste vers la fin de leur carrière et ils finissent celle-ci dans la magistrature. On leur accorde toutes sortes d'avantages sociaux et d'autres à-côtés.

Comme on l'a dit, la situation des juges militaires est bien différente. Ils se déplacent beaucoup et tiennent une cour martiale chaque fois qu'ils peuvent en réunir une. Ils vont dans tout le pays et dans le monde entier. C'est différent. Ce n'est pas la même chose que siéger dans un tribunal, aller aujourd'hui entendre une affaire dans la salle d'audience, puis remonter à son bureau en réservant sa décision pour rendre un jugement le lendemain.

D'après ce que j'ai constaté et ce qu'on m'a dit, le travail d'un juge militaire est tout à fait différent de celui d'un juge civil.

Le sénateur Beaudoin: Quelqu'un qui a une formation juridique, un avocat professionnel, pourrait dire: «Je veux être avocat toute ma vie.» Quelqu'un d'autre dira: «Je veux être avocat pendant 10 ou 15 ans, puis devenir juge.» Ils pourraient dire: «Je veux être avocat puis me lancer dans la politique.»

Dans l'armée, y a-t-il des jeunes avocats qui disent: «Je veux être avocat pendant toute ma carrière» ou «Je veux devenir un juge dans l'armée»? J'ai l'impression que ce n'est pas si tranché.

LCol Weatherston: Au Bureau du juge-avocat général, nous avons approximativement 100 avocats militaires. Pendant la période où j'ai travaillé dans les services du juge-avocat général, il y avait en général trois ou quatre juges militaires. Nous étudions moins d'affaires maintenant, en partie parce qu'il n'y a plus que 60 000 membres de la force régulière. Nous ne jugeons plus les personnes qui sont à leur charge pour conduite en état d'ivresse ou vol à l'étalage dans nos bases européennes. Nous traitons moins d'affaires, nous avons donc seulement trois juges à l'heure actuelle. Il y a un quatrième poste.

Tout avocat militaire peut indiquer à ses supérieurs qu'il aimerait faire carrière dans la justice militaire. Aux termes du projet de loi, il faut être membre du Barreau depuis au moins dix ans pour pouvoir être nommé juge.

Le sénateur Beaudoin: C'est la même chose dans la vie civile. C'est dix ans.

LCol Weatherston: Si un nouvel avocat entre au Bureau du juge-avocat général à l'âge de 25 ans, il ne pourra pas être juge avant au moins l'âge de 35 ans. Pendant ce temps-là, si c'est ce à quoi il aspire, il cherchera à travailler dans le secteur de la justice militaire. Il cherchera à travailler comme procureur ou avocat de la défense ou à l'élaboration de la politique en matière de justice militaire. Il cherchera à acquérir cette expérience et à faire preuve de sa compétence pour devenir juge militaire.

D'autres gens pourraient dire: «Je n'ai pas l'intention de plaider toute ma vie. Je veux m'occuper de transactions foncières, de contrats, de la passation de marchés et être conseiller juridique auprès du ministre.» Ils peuvent choisir.

Je pense qu'une fois qu'ils sont inscrits au Barreau, beaucoup de juristes commencent à travailler sans savoir quel domaine ils préfèrent. Ils se retrouvent alors d'un côté ou de l'autre.

L'armée offre manifestement certaines possibilités. Nous vous dirons quelle sera votre prochaine affectation, mais vous avez certainement votre mot à dire. Le Bureau du juge-avocat général examinera le cas des gens qui ont fait du bon travail dans des procès et continuera de les orienter sur cette voie pour qu'ils renforcent leurs compétences.

Le sénateur Beaudoin: J'ai travaillé au ministère de la Justice pendant quelques années avant de faire carrière à l'université. Certains disaient: «Je veux rester toute ma vie au ministère de la Justice.» D'autres disaient: «Je veux rester ici seulement un moment. Ensuite, je veux être nommé juge» ou «Je vais passer un certain nombre d'années ici, puis je passerai à la pratique privée.» Ils ont un plan de carrière. Qu'en est-il à la Défense nationale? Y a-t-il un plan de carrière? Par exemple, est-ce qu'un jeune homme ou une jeune femme dira: «Je veux être juge militaire. C'est ma vie.» Y a-t-il des gens qui pensent ainsi? Je suis sûr qu'il doit y en avoir.

LCol Weatherston: Il y a certainement des gens qui entrent au Bureau du juge-avocat général pour faire carrière dans la justice militaire. Ils le diraient en arrivant. Je pense qu'on leur donnera toutes les possibilités d'acquérir les compétences nécessaires pour devenir juges militaires.

Par ailleurs, les Forces canadiennes exécutent des missions pour le gouvernement du Canada partout dans le monde. Le JAG veut que les gens acquièrent une expérience générale, ils sont donc formés au droit international, à la justice militaire et à d'autres activités. Dans mon cas, si le JAG siégeait quelque part et me disait qu'on avait besoin de moi en Bosnie le lendemain, je pourrais le faire parce que j'ai une formation générale me permettant de m'occuper de la justice militaire, de la discipline militaire, du droit des conflits ou de questions touchant le droit international. J'aurais la compétence pour le faire. Nous sommes généralistes à cause de notre nombre et à cause des missions que le Canada s'attend à ce que nous accomplissions.

Le sénateur Beaudoin: Si vous voulez élaborer un plan de carrière, il faut avoir, d'un côté, quelqu'un qui est prêt à passer 20 ou 25 ans dans la division juridique de l'armée. Il faut avoir un plan de carrière pour les juges, à moins que, pour une raison que je ne connais pas, cela soit impossible dans les forces armées. En d'autres termes, la carrière de magistrat est quelque chose de séculier. C'est le cas depuis des siècles. Dans les forces armées, il y en outre un système que nous avons hérité de la Grande-Bretagne. Il fonctionne présumément très bien. Toutefois, les gens qui ne connaissent pas la Défense nationale ont un peu de mal à comprendre pourquoi le ministère veut nommer les juges seulement pour cinq ans. J'aimerais en connaître la raison.

La présidente: Nous avons déjà examiné cette question et nous avons obtenu toutes les réponses que les témoins actuels peuvent nous donner.

Le sénateur Rompkey: Je voudrais continuer dans le même sens parce que je suis fasciné par ce que le sénateur Joyal et le sénateur Beaudoin ont fait ressortir.

J'aborderai cela à partir d'un contexte différent, le même que celui que j'ai soulevé hier; il s'agit de savoir qui sont les membres des Forces canadiennes et à quel titre ils en font partie. Je fais à nouveau référence au rapport du comité parlementaire que j'ai eu l'honneur de présider et qui, si je peux me permettre de le dire, a été bien accueilli. Le Livre blanc a repris environ 80 p. 100 de nos recommandations. C'était inhabituel pour un comité parlementaire.

Il y en a toutefois une qui, je crois, n'a pas été reprise dans le Livre blanc; il s'agissait d'affecter moins d'employés militaires à des tâches considérées normalement comme civiles. Nous avions fait la recommandation suivante: pour obtenir le meilleur rendement militaire du budget de la défense, nous recommandions qu'on procède à un examen rigoureux pour déterminer quels postes militaires pouvaient être occupés par des employés civils ou des sous-traitants. Il faudrait le faire non seulement pour économiser de l'argent, mais également pour que les Forces canadiennes comptent le plus grand nombre possible de combattants. C'est ce qu'on appelle le ratio dents-queue. Cela veut simplement dire que la dent est, bien entendu, la partie acérée qui participe au combat. La queue est l'élément logistique, qu'il s'agisse de l'alimentation, des services dentaires ou même peut-être des services juridiques.

C'est dans ce contexte que je voudrais examiner la même question, parce que, je crois, le brigadier général Simpson a dit tout à l'heure que même les juges-avocats généraux pouvaient venir du système civil. M. McCann serait bien placé pour commenter cela, puisqu'il a été dans l'armée et travaille maintenant dans le système civil. Je voudrais savoir, conformément à ce que nous examinons, quelle différence il y a entre le système de justice militaire et le système civil. Est-il spécialisé?

Le lieutenant-colonel Weatherston nous a dit qu'il faut être un expert des questions militaires et bien connaître le système pour travailler efficacement. Si on veut envoyer quelqu'un en Bosnie, il faut qu'il ait une idée de la façon dont fonctionne le système militaire. J'aimerais savoir combien de gens comme cela sont nécessaires et si on ne pourrait pas confier plus de fonctions militaires à des civils.

Juste la semaine dernière, j'ai entendu parler d'une assistante dentaire qui a été renvoyée et remplacée par une personne appartenant aux forces régulières. On m'a dit que si on devait l'envoyer en Bosnie, il fallait qu'elle connaisse les procédures militaires. J'ai du mal à comprendre cela parce que je sais que nous avons de nombreux réservistes en Bosnie. Vingt pour cent de tous les pelotons faisant partie des Forces canadiennes en Bosnie étaient composés de réservistes. Il y avait, en quelque sorte, moitié-moitié de civils et de membres des forces régulières.

Il me semble que nous devrions davantage mettre l'accent sur les possibilités d'utiliser des spécialistes civils dans l'armée. Le système juridique est un bon exemple. Je viens de découvrir qu'en Allemagne et en France, on utilise les tribunaux normaux.

Le sénateur Beaudoin: Il doit également y avoir une raison à cela.

Le sénateur Rompkey: C'est une question que je souhaite étudier dans le contexte de l'examen parlementaire, du Livre blanc et de ce que je crois devrait être la politique actuelle du gouvernement.

M. McCann: Ces commentaires, ainsi que ceux du sénateur Beaudoin tout à l'heure, me réconfortent, mais je me suis peut-être avoué vaincu trop tôt pour ce qui est de mon principal sujet de plainte.

Le sénateur Joyal: Vous n'étiez pas dans le forum approprié.

M. McCann: Peut-être.

C'est ce que j'ai toujours dit. Il n'y a pas besoin de faire juger les délits graves commis dans l'armée par le système de justice militaire, sauf si c'est dans le théâtre d'opérations en temps de guerre. Nous avons un système de justice civil parfaitement satisfaisant qui fonctionne de façon lente, réfléchie et prudente. Il comporte toutes sortes de mesures de protection garantissant que les personnes accusées de crimes graves bénéficient de tous les avantages de la loi, de la Charte, et cetera.

On peut se demander s'il est économiquement viable d'avoir un système de justice distinct au sein de l'armée pour s'occuper des délits de ce genre. On peut examiner cela du point de vue des droits des accusés. D'une façon comme de l'autre, il est, en fin de compte, censé ne pas confier ses affaires au système de justice militaire. Jusqu'à aujourd'hui, je ne savais pas que l'Allemagne a apparemment fait cela et que la France a peut-être un système intermédiaire avec des magistrats civils affectés à des unités militaires.

Je suis certainement très intéressé par les recommandations auxquelles le sénateur Rompkey vient de faire référence ainsi que par les commentaires que le sénateur Beaudoin a faits tout à l'heure.

Le sénateur Rompkey: Avant de donner la parole au brigadier général Simpson, permettez-moi de dire que j'ai des renseignements montrant qu'en fait, le Livre blanc a traité cette question. Il dit que les Forces canadiennes réduiront le personnel militaire dans certains secteurs professionnels en sous-traitant certaines fonctions ou en les confiant à des employés civils.

Il parle ensuite de la réduction de la structure de commandement, et cetera. Je suppose que c'est la politique gouvernementale. C'est la politique globale. Comment cette politique globale s'applique-t-elle dans ce cas précis?

M. McCann: C'est plus une question économique qu'une question de justice. Ce que vous venez de mentionner concerne la sous-traitance de tâches pouvant être effectuées par des civils.

Le sénateur Rompkey: Pas nécessairement. Ce n'est pas seulement une question économique. J'ai parlé du ratio dents-queue.

M. McCann: Oui, mais le Livre blanc semble aborder cela d'un point de vue économique.

Le sénateur Rompkey: Vous dites que le Livre blanc n'est pas allé assez loin. Je suis d'accord.

Le sénateur Moore: Lieutenant-colonel Weatherston, je veux vous interroger au sujet du directeur des poursuites militaires et du directeur du Service d'avocats de la défense en ce qui concerne la durée de leur mandat et leur révocation. Le projet de loi C-25 stipule:

165.1(2) Le directeur des poursuites militaires est nommé à titre inamovible pour un mandat maximal de quatre ans, sous réserve de révocation motivée que prononce le ministre sur recommandation d'un comité d'enquête établi par règlement du Gouverneur en conseil.

Pour sa part, «le directeur du Service d'avocats de la Défense est nommé à titre inamovible pour un mandat maximal de quatre ans». Il n'est aucunement fait mention d'une révocation éventuelle comme dans le cas du directeur des poursuites. Pourquoi les traite-t-on différemment?

LCol Weatherston: Pour nous, ce directeur est comme un agent de la Couronne, un procureur général qui décide des accusations à porter, de la façon de les présenter en cour martiale et du type de cour martiale. Ce poste est différent de celui du directeur du Service d'avocats de la défense, qui ressemble plus à un directeur de l'aide juridique et est chargé de fournir l'aide d'un avocat aux militaires qui comparaissent devant une cour martiale.

Quand nous avons fait nos recherches -- et quand nous avons examiné les régimes d'aide juridique dans notre pays --, nous n'avons trouvé aucun comité d'enquête protégeant les présidents des comités d'aide juridique. Nous n'avons pas jugé qu'il était nécessaire de créer un comité d'enquête pour protéger le responsable de la défense alors que nous voulions donner cette protection au représentant de la Couronne qui est chargé des poursuites.

Le sénateur Moore: On dirait que vous avez regardé ce qui se passe dans les tribunaux civils.

LCol Weatherston: Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne comparaison, mais nous avons examiné les différents régimes de chaque province et le mode de nomination des directeurs de l'aide juridique. Nous avons regardé leur mandat et nous n'avons trouvé aucun comité comme ce comité d'enquête qui existe pour protéger le titulaire d'un poste.

Le sénateur Moore: Qu'avez-vous trouvé au sujet des procureurs de la Couronne? Quand vous avez fait vos recherches et regardé de quelle façon les directeurs de l'aide juridique sont traités dans les provinces, qu'avez-vous trouvé au sujet de la façon dont les procureurs de la Couronne ou leurs directeurs sont traités? Sont-ils traités différemment?

LCol Weatherston: Pour le procureur militaire, la meilleure comparaison est de dire qu'il est un peu comme un sous-procureur général.

Le sénateur Moore: Qu'avez-vous trouvé quand vous avez examiné cela? Vous vous intéressiez aux gens de l'aide juridique. Qu'avez-vous trouvé au sujet des procureurs?

LCol Weatherston: Je vous fournirai ces renseignements plus tard.

Le sénateur Moore: Tous deux sont des directeurs. Leur rémunération est-elle semblable?

LCol Weatherston: Leur place dans l'échelle salariale dépendra du rang des personnes concernées.

Le sénateur Moore: Ils ont tous les deux des responsabilités très lourdes.

LCol Weatherston: En dehors des distinctions, la façon dont ces gens sont traités ne soulève aucun problème par rapport à la Charte en matière d'indépendance judiciaire.

Le sénateur Moore: Ce n'est pas à cela que je pense. Ce qui me préoccupe est qu'un directeur est traité de façon nettement différente par rapport à l'autre. Je n'en comprends pas la raison. Ce qui m'inquiète est qu'on crée un citoyen de deuxième classe pour un poste à haute responsabilité, ce qui peut ramener à certaines des préoccupations que M. McCann exprimait dans son intervention liminaire. Cela me préoccupe. Je ne sais pas pourquoi, dans la pratique, il serait mauvais pour les forces armées que ce directeur ne bénéficie pas au même titre que le directeur des poursuites de la possibilité de voir son cas examiné par un comité d'enquête. Pouvez-vous nous donner ultérieurement des renseignements là-dessus?

LCol Weatherston: Oui.

Le sénateur Joyal: Au lieu d'un mandat de cinq ans renouvelable, on pourrait aussi nommer les juges militaires pour un mandat fixe, non renouvelable, de dix ans. Nous éliminerions ainsi la révision, la réévaluation, et cetera. Cela ne serait-il pas mieux pour protéger le principe de la sécurité d'emploi conformément à l'arrêt rendu à propos de l'Île-du-Prince-Édouard? J'aimerais savoir ce qu'en pense le brigadier général Simpson.

Bgén Simpson: Cela renforcerait à coup sûr la sécurité d'emploi. Cela éliminerait la possibilité que le renouvellement ou non du mandat de cinq ans par le pouvoir exécutif puisse avoir un effet sur l'indépendance judiciaire.

Le sénateur Joyal: Voyez-vous des raisons pratiques en vertu desquelles on devrait écarter cette option pour lui préférer un mandat de cinq ans renouvelable?

Bgén Simpson: Non, d'autant plus que les juges militaires passent actuellement plus de cinq ans dans ces postes et qu'ils peuvent encore être nommés à d'autres postes ensuite.

Le sénateur Joyal: Dans votre déclaration liminaire, brigadier général Simpson, vous avez soulevé une question qui m'intrigue. Vous avez dit que nous sommes en train de créer deux fonctions de juges -- l'avocat général et un autre. Cela pourrait soulever une question constitutionnelle, ce qui intéresse les membres de ce comité. Si nous adoptons ce projet de loi, nous devons éliminer tous les doutes que nous pouvons avoir sur le plan constitutionnel. Pourriez-vous expliciter cela à mon intention?

Bgén Simpson: Je pense que cela pourrait soulever une question constitutionnelle à cause de l'impression créée. Comme l'a dit le sénateur Beaudoin, il faut non seulement rendre la justice, il faut aussi que cela soit manifeste.

La Commission européenne des droits de l'homme a étudié longuement cette question, de même qu'ultérieurement, le Tribunal européen des droits de l'homme il y a quelques années dans le cas d'un membre de l'armée britannique qui avait été condamné par une cour martiale pour avoir utilisé illégalement des armes à feu et avoir mis la vie d'autres personnes en danger; il avait cherché à faire renverser cette décision en suivant la procédure normale de révision et d'appel prévue dans le système britannique. Il avait été débouté à chaque étape.

Il s'était adressé à la Commission européenne des droits de l'homme en arguant que la cour martiale de l'armée britannique qui l'avait jugé n'était pas judiciairement indépendante. La Commission avait jugé la demande fondée et recommandé au tribunal de se saisir de l'affaire. Le tribunal l'a fait et a rendu sa décision en 1996 ou 1995 en statuant que le procès n'avait pas eu lieu devant un tribunal indépendant et impartial constitué conformément aux dispositions concernant la cour martiale de la British Army Act et des Règlements royaux.

Le Tribunal des droits de l'homme fonde principalement sa décision sur le fait que l'autorité convocatrice, le général qui avait convoqué la cour martiale, avait également nommé les juges et le procureur et joué un rôle important dans la création du tribunal et les poursuites.

Le Tribunal des droits de l'homme a également examiné le rôle joué par le juge-avocat général britannique, qui chargeait et charge encore des juges-avocats de donner des conseils ou de se prononcer sur les questions juridiques traitées dans les cours martiales de l'armée britannique. Il concluait que le fait que le juge-avocat général était conseiller juridique auprès du ministre et de l'armée britannique et nommait également les juges devant siéger dans les cours martiales influençait indûment l'indépendance du tribunal et détruisait l'indépendance administrative sans laquelle un tribunal ne peut être indépendant et impartial.

Le tribunal européen a donc déclaré que c'était contraire aux normes des droits de l'homme. Le gouvernement britannique a dû verser des dommages-intérêts au soldat pour le préjudice qu'il avait subi.

En partie à cause de cette affaire, les Britanniques ont fortement modifié leur loi. Le général qui commande une cour martiale ne peut plus nommer les membres de la cour, le procureur, et cetera. À ma connaissance, les dispositions de la loi britannique sont semblables à celles que ce projet de loi instituera pour le Canada.

Les fonctions du juge-avocat général telles que prévues dans le projet de loi C-25 n'incluront aucune fonction judiciaire. La personne détenant le poste de juge principal sera apparemment d'un grade plus élevé que le juge militaire en chef. Le fait que, en vertu d'une loi du Parlement, le juge-avocat général relève du ministre de la Défense nationale pourrait donner lieu à une objection parce que cela donne une certaine impression négative du système de justice militaire.

Le sénateur Joyal: De qui le juge-avocat général relève-t-il dans le système britannique?

Bgén Simpson: En 1996, le système britannique a changé, et le juge-avocat général ne relève plus du Secrétaire d'État à la défense, l'homologue de notre ministère de la Défense; il ne lui donne même pas conseil en matière juridique.

En outre, le juge-avocat général britannique est un civil; il ne fait pas partie de l'armée. Dans le système britannique, aucun juge militaire n'est officier dans l'armée. Le lord chancelier les nomme tous, et ils se déplacent dans le monde entier et siègent dans des cours martiales.

Le sénateur Joyal: Ils sont nommés pour cinq ans?

Bgén Simpson: Je crois que oui. Je sais que le juge-avocat général est nommé pour cinq ans. Pour les autres juges militaires, je ne m'en souviens plus.

Le sénateur Buchanan: Hier, j'ai demandé si un avocat civil pouvait être nommé pour représenter un accusé devant une cour martiale. Je crois me souvenir que la réponse était «non»; le directeur du service de la défense devrait nommer un avocat militaire pour représenter un accusé devant une cour martiale.

Toutefois, M. McCann a représenté le soldat Brown à titre d'avocat civil. Quelle est la réponse?

LCol Weatherston: La réponse se situe entre les deux. J'ai parlé hier au juge-avocat général, et il n'était pas au courant. Il y a une disposition, le paragraphe 249.21(2), qui autorise le directeur du service d'avocats de la défense à engager temporairement les services d'un avocat -- c'est-à-dire un «avocat civil» -- pour lui prêter assistance.

Si nous manquions d'avocats militaires ou peut-être s'il y avait des conflits entre différents accusés dans une affaire, nous pourrions nous adresser à un avocat civil et le rémunérer pour représenter un militaire accusé.

Le rôle de M. McCann était quelque peu différent parce que, chaque fois que nous avons une cour martiale, nous accordons au militaire accusé le droit d'avoir un avocat militaire. Il peut choisir, pour quelque raison que ce soit, son propre avocat en dehors de l'armée. Avec le système actuel, il continuera d'en être ainsi.

Les accusés auront toujours le droit d'engager leur propre avocat civil. C'est différent de l'article 249.21, aux termes duquel l'accusé dit: «Je veux un avocat», et nous disons simplement: «Nous manquons actuellement d'avocats militaires, mais nous vous procurerons un avocat civil.»

Le sénateur Buchanan: J'ai lu cela hier soir après avoir reçu la réponse, et j'ai eu l'impression qu'il y avait apparemment une différence d'opinion.

LCol Weatherston: Il n'était pas au courant de cette disposition.

La présidente: Je vous remercie beaucoup d'avoir comparu devant nous, messieurs.

Je proposerai au comité directeur que nous demandions à un juge militaire de comparaître devant nous. En fait, le ministère de la Défense l'a proposé. Cela permettra peut-être de répondre à certaines des questions de la sénatrice Fraser et également des vôtres, sénateur Beaudoin.

La séance est levée.


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