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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 36 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 21 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 38 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous accueillons aujourd'hui des représentants du ministère de la Justice. Avant de les entendre, toutefois, permettez-moi de faire une mise au point sur ce qui s'est passé.

On m'a dit que ce n'est peut-être pas la bonne façon de procéder, mais certains d'entre nous ont eu des discussions très longues et très détaillées avec la ministre au sujet des préoccupations que le projet de loi C-37 soulève pour les membres de notre comité. La ministre nous a écoutés. Elle nous a prêté une oreille encore plus attentive après que nous ayons exercé certaines pressions. L'un des sénateurs libéraux du comité présentera des amendements au projet de loi lorsque nous en serons à l'étude article par article.

Pour que nous sachions tous de quoi il est question, je vais demander au sénateur Joyal de nous expliquer les amendements qu'il a l'intention de présenter.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, le premier groupe d'amendements aurait pour effet d'éliminer les articles 1, 9, 10 et 11 du projet de loi. Ces articles portent sur des questions relatives aux pensions et, dans le cas de l'article 1, à la définition du conjoint survivant. Les articles 9, 10 et 11 traitent de la réorganisation du régime de pension des juges.

Comme vous le savez, madame la présidente, on a posé bon nombre de questions pour savoir si ces dispositions empiètent sur la compétence provinciale en matière de pension, de mariage, de la condition des deux conjoints, et cetera. Nous avons proposé que ces sujets soient traités par la commission, lorsque celle-ci sera constituée. La commission pourrait présenter un rapport et une recommandation, qui ne figureraient pas dans la loi. La question serait tout simplement traitée comme une forme de rémunération. La mesure législative ne contiendrait pas de dispositions périodiques à cet égard, mais rien n'empêcherait la commission, dans ses rapports à venir, de traiter de la réforme des pensions des juges.

Ces amendements résoudraient les problèmes que le projet de loi posait aux membres du comité, de tous les partis. Ces amendements portent d'abord sur la définition du conjoint survivant. Ensuite, ils règlent le problème constitutionnel que pose l'intervention du gouvernement fédéral dans des lois relatives aux prestations aux conjoints. Plusieurs témoins nous ont mentionné ce problème. On peut dire, je crois, que les membres du comité estiment que ce n'est pas clair.

Au lieu d'adopter des mesures qui peuvent poser des problèmes, il vaut mieux s'abstenir de légiférer sur ces questions et laisser la Commission apporter des solutions administratives plutôt que législatives.

Le deuxième groupe d'amendements porte sur la Commission d'examen de la rémunération et sur la portée de son mandat. Nos collègues du comité savent que nous avons posé bon nombre de questions sur la portée des enquêtes que peut réaliser la Commission, portée qui est définie sous forme de critères. M. Scott a témoigné devant nous à ce sujet. Certains d'entre nous craignent que le mandat de la Commission, en matière d'examen de la rémunération étant si général, il n'existerait aucune limite aux propositions qu'elle pourrait présenter. Puisque le ministre et le Parlement du Canada doivent répondre au rapport de la Commission, il me semblerait logique de limiter, au moyen de certains critères, la portée du mandat de la Commission, en ce qui a trait aux propositions qu'elle peut faire.

Le sénateur Bryden a déposé un sommaire des critères qui existent dans diverses provinces. Nous savons qu'il existe également d'autres critères dans certains pays. Les critères que nous entendons présenter n'ont peut-être rien de neuf, mais ils pourraient guider la Commission quant aux principes qu'elle devrait appliquer pour déterminer ce qui constitue une juste rémunération.

Même les juges de la Cour suprême, dans son arrêt sur le renvoi relatif à l'Île-du-Prince-Édouard, ont mentionné qu'il pourrait y avoir des critères. Les juges ont même mentionné le coût de la vie et d'autres critères semblables. Autrement dit, dans son arrêt sur le renvoi relatif à l'Île-du-Prince-Édouard, la Cour suprême du Canada a reconnu que ce serait une bonne chose d'établir des critères que la Commission appliquerait pour décider du régime de rémunération.

Un autre amendement portera sur le délai dont dispose le ministre de la Justice pour répondre au rapport de la Commission. Il s'agit surtout d'un amendement technique.

Voilà donc quels sont pour l'instant les amendements que je proposerai aux membres du comité.

Le sénateur Nolin: Madame la présidente, j'appuie tout à fait ce que propose mon collègue, le sénateur Joyal. Je dois toutefois ajouter qu'on peut déjà demander aux tribunaux de déterminer ce qu'est un conjoint survivant. Cela se trouve déjà dans la loi. Les tribunaux peuvent donc s'aligner sur la décision de la Cour d'appel de l'Ontario et inclure dans cette catégorie les conjoints de même sexe. Ils en ont déjà le pouvoir. La mesure législative ne limite pas le pouvoir des tribunaux de prendre cette décision. Tout ce que nous disons, c'est que nous ne voulons pas nous attaquer à cette question maintenant. Nous avons encore des doutes dans certains domaines. Je suis entièrement d'accord avec l'idée d'éliminer certaines de ces dispositions.

Le sénateur Beaudoin: Sénateur Joyal, ces amendements sont-ils proposés par un membre du comité ou sont-ils des amendements du parti ministériel?

Le sénateur Joyal: Le sénateur Beaudoin se rappelle sans doute que les amendements proposés découlent de questions qui ont été soulevées dans nos délibérations, lorsque nous avons interrogé les experts qui sont venus témoigner devant nous. À l'heure actuelle, les membres du parti ministériel estiment que ces amendements traduisent les préoccupations exprimées par tous les membres du comité. J'ai consulté nos collèges. Nous pensons que ces amendements seraient acceptables, si le comité juge bon de les adopter.

Le sénateur Beaudoin: Si je pose cette question, c'est que j'ai mentionné ce problème dès le début. À mon avis, nous avons le pouvoir de légiférer en ce qui concerne le conjoint survivant. Je conviens toutefois que bon nombre de gens se sont interrogés sur la constitutionnalité d'une telle mesure. Si nous acceptons ces amendements, et je le ferai sans doute s'ils ne me posent pas vraiment de problème, cela signifie que nous appliquerons les dispositions du droit de la famille qui existent dans bon nombre de provinces. Ces dispositions peuvent varier d'une province à l'autre. Cela ne me pose pas de problème. C'est dans la nature même du fédéralisme.

Je croyais que ce projet de loi visait à harmoniser les choses. Si nous acceptons ces amendements, il n'y aura pas d'harmonisation. C'est la première question que je poserai au sous-ministre.

Je veux savoir exactement ce qui est visé. Je suis bien prêt à adopter les amendements, si cela peut résoudre le problème. Certains témoins nous ont dit que le projet de l'on empiétait sur le paragraphe 92(13), ainsi que sur le droit de la famille; c'est un argument dont on pourrait débattre.

Le sénateur Joyal estime qu'il vaudrait mieux adopter ces amendements plutôt que de laisser des problèmes non résolus du point de vue constitutionnel. Et comme je l'ai dit, puisque nous avons déjà le pouvoir sous le régime de l'article 100, nous pouvons tout aussi bien le régler. Si nous choisissons de ne pas le faire, les provinces s'en occuperont bien sûr.

Du point de vue constitutionnel, les deux solutions me semblent très acceptables.

Le sénateur Nolin: C'est davantage une question de constitutionnalité. On nous a demandé d'uniformiser les divers régimes de pension régis par des lois fédérales dont certaines dispositions diffèrent de ce qui se fait déjà dans les provinces ou le régime du droit de la famille. À mon avis, c'est ce qui posait le problème. Ce que vous proposez, c'est de conserver le statu quo. Vous dites qu'il faut laisser la Commission étudier cette question de façon plus approfondie.

Le sénateur Beaudoin: J'ajouterai une seule autre chose. Comme nous le dira le sous-ministre, ce ne sont pas les juges qui ont mentionné le problème que pose la définition du conjoint survivant, mais plutôt le ministère de la Justice qui souhaite harmoniser la situation.

[Français]

On a déblayé le terrain, on s'entend, il s'agit de savoir ce qu'on fait après.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Il est tout à fait juste que nous examinions ces propositions sans demander aux témoins et aux experts du ministère de la Justice d'évaluer ces amendements. Ils peuvent bien sûr se prononcer sur leurs aspects juridiques. C'est une bonne chose que nous en discutions maintenant, pendant qu'ils sont là, mais le privilège de voter pour ou contre ces amendements nous revient. En notre qualité de membres du comité, c'est notre mandat et notre responsabilité.

Le sénateur Cools: J'aimerais exprimer ma perception de la chose. Notre façon de procéder me semble un peu inhabituelle. Je comprends qu'il y a des changements et que de nouveaux précédents sont créés, mais il me semble que la discussion que nous avons jusqu'à présent ne devrait pas se dérouler en présence des fonctionnaires du ministère.

Ce dont nous discutons, ce n'est pas d'une proposition de présentation d'amendements. Le sénateur Joyal nous indique ce qu'il a l'intention de le faire, ce que je trouve assez inhabituel. Si le sénateur Joyal a de telles intentions, il devrait peut-être les réaliser et présenter immédiatement ces motions.

La présidente: C'est au sénateur Joyal d'en décider, bien sûr. Normalement, notre comité ne vote que lorsque nous faisons l'examen article par article. Notre comité a toujours attendu de faire l'examen article par article pour mettre toutes les dispositions aux voix.

Le sénateur Cools: Les motions peuvent être présentées n'importe quand durant les délibérations du comité. Je voulais simplement savoir quelle formule nous appliquons maintenant, car je ne comprends pas trop bien. J'ai l'impression que nous discutons d'un avis d'intention de faire quelque chose.

Cela dit, il est très difficile de discuter de quelque chose que nous n'avons pas. Le sénateur Joyal n'a pas présenté sa motion, il nous a simplement signalé son intention et c'est donc de cette intention que je discuterai. Comme vous le savez, je ne suis pas membre de ce comité, mais je considère néanmoins que le consensus qui s'est formé quant au fond de certains amendements me semble assez douteux. Je tiens à répéter que ce qu'on nous propose, c'est l'intention du sénateur Joyal de proposer certains amendements, mais le consensus n'est pas encore obtenu. Cela se fera, je le reconnais, lorsqu'il proposera ses amendements officiellement.

Je tiens également à dire que je suis prête à appuyer les intentions du sénateur Joyal -- et c'est une nouveauté -- en ce qui a trait à la volonté du gouvernement d'accepter l'élimination de la disposition sur le double conjoint, pour reprendre ce qu'en ont dit les médias. Je suis certaine qu'il y a des journalistes dans la salle. Ce qui est inhabituel, dans cette façon de procéder, c'est que nos propos seront repris par les médias, j'en suis tout à fait certaine. C'est pourquoi je crois que nous devrions nous conduire en conséquence et indiquer si, dans les faits, le sénateur Joyal prend un engagement au nom du gouvernement.

La présidente: Le sénateur Joyal ne prend pas d'engagement au nom du gouvernement. Ce ne sont pas des amendements présentés par le parti ministériel.

Le sénateur Cools: Il a dit que ces amendements seraient appuyés.

La présidente: Il y a des négociations avec le parti ministériel au sujet de ces amendements, mais ce sont les amendements du sénateur.

Le sénateur Cools: Cependant, il déclare que le gouvernement s'est engagé à appuyer ces amendements.

Le sénateur Nolin: Non, nous demanderons l'appui du parti ministériel.

Le sénateur Cools: Mais ils ne peuvent pas engager le parti ministériel à approuver les amendements que présentent les sénateurs. Ils ne peuvent que commenter la politique gouvernementale.

Le sénateur Beaudoin: Nous comprenons, ce n'est pas un problème. Nous avons déjà répondu à une question. Si ces amendements sont adoptés, il n'y aura pas de mention du conjoint survivant dans la loi, si cela pose un problème. En l'absence d'une telle mention, on continuera d'appliquer la loi telle qu'elle est. Nous en avons le droit. Voilà ce qui se produira si nous adoptons ces amendements, à mon avis.

Le sénateur Cools: Enfin, j'appuierai volontiers l'élimination des articles sur le double conjoint, mais je me réserve le droit d'exprimer mon avis sur les autres initiatives du sénateur Joyal.

Je crois savoir que le sénateur Joyal a fait beaucoup de travail dans ce domaine. Je suis curieuse. Le gouvernement proposera-t-il des amendements? Le sénateur Moore proposera-t-il également des amendements, puisque c'est généralement au parrain de la mesure législative, pour le parti ministériel, qu'il incombe de présenter des amendements? Peut-on prévoir que le sénateur Moore présentera des amendements équivalents, puisque c'est lui qui parraine ce projet de loi pour le parti ministériel, ou le sénateur Joyal remplace-t-il le sénateur Moore à ce titre?

La présidente: C'est le sénateur Moore qui parraine ce projet de loi pour le parti ministériel. Il proposera les articles du projet de loi lorsque nous ferons l'étude article par article, et le sénateur Joyal proposera les amendements du Sénat.

Le sénateur Cools: Il présentera des motions. Je comprends.

La présidente: Pour répondre à votre observation sur le caractère inhabituel de cette discussion, sur le fait qu'elle se déroule en présence des représentants du ministère, je dirais que toutes nos délibérations sont publiques. Par conséquent, les fonctionnaires du ministère peuvent prendre connaissance de tout ce que nous avons dit.

Les membres du comité ont reçu, je crois, les renseignements qu'ils avaient demandés sur la rémunération des juges en Australie et sur la nécessité d'avoir des commissions d'examen de la rémunération des juges.

Nous accueillons aujourd'hui M. Morris Rosenberg, Mme Judith Bellis et M. Ian Mackenzie. Bienvenue à notre comité. Je vous cède la parole.

M. Morris Rosenberg, sous-ministre et sous-procureur général, ministère de la Justice: Nous n'avons pas de déclaration officielle à faire, mais j'aimerais toutefois répondre à certaines des remarques qui ont été faites au cours de la discussion.

Premièrement, j'aimerais préciser que le gouvernement fédéral a, de par la Constitution, tous les pouvoirs nécessaires en ce qui a trait à l'établissement de régimes de pension. Nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui disent qu'il s'agit d'un domaine de compétence provinciale.

Deuxièmement, le sénateur Beaudoin a raison lorsqu'il dit que l'incitatif premier de la mesure législative était d'harmoniser les régimes de pension des juges avec certains autres régimes fédéraux, dont ceux des députés à la Chambre des communes et des sénateurs. Je signalerai toutefois que la ministre est au courant des divers problèmes qui ont été mentionnés quant aux prestations versées au conjoint de droit commun survivant. Nous savons que pour résoudre ces problèmes, on pourrait entre autres éliminer ces dispositions et laisser la prochaine commission d'examen de la rémunération s'occuper de cette question.

Lorsque la ministre a comparu devant vous, elle a dit que la politique énoncée dans le projet de loi et dans les dispositions actuelles visait à harmoniser cette loi avec les autres lois fédérales sur les régimes de pension. Nous estimons que c'est un choix raisonnable et éclairé. Toutefois, elle a soulevé un certain nombre de questions de fond, non seulement sur le partage des pouvoirs et les questions constitutionnelles, mais aussi sur l'équité. Par exemple, il faut voir si la période de cohabitation d'un an qui se trouve dans la législation fédérale est plus acceptable que les périodes plus longues que l'on trouve dans certaines lois provinciales. On a soulevé suffisamment de questions de fond pour que le gouvernement étudie sérieusement les amendements proposés au sujet des conjoints de droit commun et pour qu'il demande peut-être à la Commission d'étudier la question plus à fond.

Le deuxième amendement proposé inclurait des critères législatifs visant à renforcer l'objectivité du mandat de la nouvelle commission.

[Français]

Le sénateur Nolin: Est-ce que vous avez examiné les témoignages qui ont été entendus au comité?

M. Rosenberg: Mes fonctionnaires ont examiné les témoignages.

Le sénateur Nolin: Plus précisément celui de Mme Thompson, avocate de la région d'Ottawa, lorsqu'elle a témoigné il y a deux semaines. Elle pratique en droit matrimonial. Elle nous a déclaré avoir quelquefois représenté des juges ou des conjoints de juges dans des causes qui avaient pour conséquence le divorce de ces conjoints. Elle nous a présenté une méthode de calcul par laquelle la future pension du juge était considérée dans le calcul du patrimoine familial de l'union en cause. Ma question est de savoir si vous avez lu ce témoignage et si vous d'accord avec ce dernier.

M. Rosenberg: Je n'ai pas lu ce témoignage mais je vais demander à M. Mackenzie de répondre à votre question.

[Traduction]

M. Mackenzie: D'après son témoignage, la rente gagne en valeur au cours de la vie du juge.

Le sénateur Nolin: Oui, elle a dit que si le juge était âgé de 50 ans, on faisait une estimation de son espérance de vie. Un actuaire calculerait la valeur future de cette pension. La valeur des immobilisations serait également calculée, y compris les biens familiaux. Êtes-vous d'accord avec ce témoignage?

M. Mackenzie: Oui. Cela reflète les principes du droit de la famille de la province. On tient compte des actifs de tout citoyen, y compris les pensions.

Le sénateur Nolin: Après avoir entendu ce témoignage, j'ai étudié cette question dans la perspective du Québec. Il existe deux exemples pertinents. L'un à la cour d'appel et l'autre à la cour supérieure du Québec. Dans chacun des arrêts en cause, il est précisé que le régime de pension des juges fédéraux ne constitue pas un régime de pensions. Les pensions des juges ne peuvent être annualisées. Un juge a seulement le droit de toucher un chèque une fois par mois au cours de sa vie. À sa mort, le conjoint survivant recevra un chèque fondé sur la formule de calcul prévue dans la loi.

M. Mackenzie: Une pension, ce n'est pas la même chose qu'une rente. Il n'y a pas de pension partielle pour un juge. Voilà le genre de questions que la commission voudra examiner. En effet, elle devra déterminer de quelle façon la loi provinciale s'applique aux rentes.

Le sénateur Beaudoin: Je m'inquiète de l'harmonisation. L'article 100 confère au Parlement le pouvoir d'harmoniser tout cela. L'idée d'englober le conjoint survivant n'émane pas des juges, mais du ministère ou du ministre de la Justice. Si nous approuvons les amendements proposés, cela signifie que nous nous fondons sur la loi sous sa forme actuelle, sans harmonisation. Ce choix comporte des conséquences juridiques. Les parlementaires et les juges relèveraient de régimes de pensions différents. Y a-t-il une raison qui justifie cette différence?

M. Rosenberg: Une certaine comparabilité entre les régimes de rémunération, y compris les pensions, est sans doute souhaitable pour des personnes occupant des charges publiques analogues. Cela a été un incitatif pour apporter ces changements. Nous pourrions toujours accepter le projet de loi tel qu'il a été présenté par le gouvernement et accepter le fait qu'aucune mesure législative n'est parfaite.

L'autre option consiste à prendre davantage de temps et à renvoyer la question à la première commission de la rémunération et des avantages sociaux dans le but d'obtenir des recommandations de changement plus détaillées.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais si nous n'allons pas dans le sens de l'harmonisation et que nous acceptons l'amendement proposé, nous devrons dépendre de la loi provinciale existante. Les juges offriraient une interprétation qui serait différente d'une province à l'autre. Si la population estime que le Parlement devrait aller de l'avant et se fonder sur la loi sous sa forme actuelle, ce pourrait être une bonne raison d'accepter ces amendements. Quelle serait l'ampleur des variations d'une province à l'autre en l'absence d'harmonisation?

M. Mackenzie: Il serait facile de vous répondre que seul le temps nous le dira. Cependant, je pense que le statu quo sera maintenu pour le moment, ce qui signifie que dans l'ensemble du Canada les conjoints auront droit à la rente de conjoint survivant. Jusqu'à maintenant, la législation provinciale n'a pas empiété sur ce droit. Je ne vois pas comment l'abandon du statu quo changerait les choses dans un proche avenir.

Le sénateur Beaudoin: Cela ne causera-t-il pas des variations? Le Québec est régi par le Code civil et les autres provinces ont une législation fondée sur la common law. Il peut survenir des différences d'une province à l'autre. Je ne prétends pas être un expert en droit de la famille, mais puisque les juges n'ont pas exigé l'harmonisation, peut-être que ce n'est pas nécessaire.

J'en reviens encore une fois à ma question fondamentale. Le sous-ministre a résumé la situation très clairement: les législateurs, les parlementaires et les fonctionnaires sont assujettis à un régime harmonisé. Quant aux juges, ils pourraient ou non relever d'un régime harmonisé. Qu'est-ce qui est préférable? C'est une question strictement politique, mais sur le plan juridique, la loi sera interprétée en fonction de son libellé. Les juges n'ont rien demandé. Cela m'étonne. Ils n'ont pas exigé l'harmonisation, n'est-ce pas?

Mme Judith Bellis, avocate-conseil, chef du Service des affaires judiciaires, ministère de la Justice: On n'a pas expliqué en détail comment on donnerait suite à la recommandation Scott. C'est pourquoi nous en avons beaucoup discuté. M. Scott lui-même a admis que l'expression «dans des circonstances légalement appropriées» n'était pas absolument claire pour lui en ce qui a trait à l'admissibilité des conjoints et conjointes de fait.

Le sénateur Joyal a fait allusion au fait qu'à l'heure actuelle, même en l'absence de telle disposition, le conjoint ou la conjointe de fait d'un juge pourrait prétendre être admissible en vertu de la Charte. Dans ce cas, la variation dont vous parlez risque d'être soulevée -- du moins pendant la période intérimaire -- non pas parce que certains conjoints ou conjointes de fait dans certaines provinces ne seraient pas admissibles tandis que d'autres le seraient, mais plutôt parce que la période d'admissibilité de trois ans en Ontario pourrait être utilisée par le tribunal pour interpréter ce qui constitue un conjoint ou une conjointe de fait aux fins de cette application en particulier. Cependant, dans une province où la période n'est que d'un an, le tribunal pourrait utiliser la norme provinciale comme barème pour interpréter l'admissibilité en vertu de la Charte. Il pourrait y avoir une variation du fait du manque d'harmonisation. D'autres diraient que cela pourrait être voulu, car il y a des différences d'admissibilité pour d'autres citoyens d'une province à l'autre.

Comme vous l'avez dit, le sous-ministre a indiqué qu'il s'agit là de choix politiques. Ce serait le genre de variation qui pourrait exister. Cela pourrait être une question importante sur laquelle une commission pourrait se pencher -- c'est-à-dire qu'elle est la bonne option de principe dans ce contexte? Par ailleurs, est-il plus important de refléter les circonstances locales lorsqu'on fait ces choix ou veut-on l'harmonisation avec d'autres régimes de pension du fédéral?

Le sénateur Beaudoin: Je tente de m'en assurer. Certaines personnes disent: «C'est très difficile. Le Parlement n'est pas assez courageux. Laissons les tribunaux trancher. Les tribunaux sont de forts législateurs.» Les tribunaux sont très forts, mais nous n'avons pas de problème avec cela parce qu'ils interprètent la Constitution. Ils sont les gardiens de la Constitution. Le Parlement a cependant lui aussi un rôle à jouer. Nous devons prendre nos responsabilités au sérieux. S'il est préférable d'harmoniser, je voterai pour l'harmonisation. Si cela n'est pas important, j'accepterai peut-être alors l'autre option.

M. Rosenberg: Si vous me le permettez, je voudrais souligner qu'à mon avis il ne s'agit pas d'un choix entre harmoniser et ne pas harmoniser. En ce qui concerne la proposition d'amendement et l'idée de demander à la commission de se pencher sur la question, la commission a le mandat d'examiner la question. Elle fera une recommandation au gouvernement concernant un régime en ce qui a trait aux prestations de retraite et de toutes les questions dont nous avons parlé. Le gouvernement n'est pas obligé de mettre en oeuvre le régime au pied de la lettre, mais on pourrait s'attendre normalement tout au moins à ce qu'il donne une réponse ou mette quelque chose en oeuvre ou qu'il donne une raison pour ne pas le faire.

C'est un choix entre l'harmonisation maintenant et la probabilité d'harmonisation après avoir étudié la question plus amplement. Lorsqu'on parle d'étudier la question plus amplement, on a pensé qu'à la suite de certaines questions qui ont été soulevées à votre comité -- et je ne voudrais pas faire dire au sénateur Joyal ce qu'il n'a pas dit -- cela justifiait qu'on se penche davantage sur la question. Cependant, en fin de compte, nous chercherons toujours à mettre en place un régime harmonisé. On ne choisit pas entre un régime harmonisé et un régime non harmonisé. Il y aura une période temporaire au cours de laquelle cette étude se fera et pendant laquelle il y aura nécessairement des différences d'interprétation à mesure que les litiges qui pourraient survenir -- et nous ne savons pas s'il y en aura -- seront tranchés par les tribunaux provinciaux. L'intention est d'avoir un régime harmonisé d'ici quelques années.

Le sénateur Beaudoin: Je vous remercie de votre réponse. Elle m'est utile.

Le sénateur Cools: Je tiens à remercier les témoins pour leurs éclaircissements. Je remercie tout particulièrement Mme Bellis de nous avoir rappelé le libellé exact de la commission Scott. M. Scott a parlé de faire une recommandation sur la question des conjoints et des conjointes de fait dans des circonstances légalement appropriées.

J'ai été frappée par les déclarations qu'a faites ici le sénateur Joyal lorsqu'il a dit que l'on ne pouvait renvoyer quoi que ce soit à la commission mais qu'on devrait permettre à celle-ci de revenir à la case de départ pour étudier la question des pensions. Je trouve cela très intéressant car la recommandation venait de la commission pour commencer.

La commission Scott, qui a coûté des centaines de milliers de dollars, a fait une recommandation. Pourtant, nous nous retrouvons néanmoins là où nous sommes aujourd'hui. La commission n'a pas été assez claire sur les mesures législatives qui pourraient être prises. Qu'est-ce qui vous laisse croire que si l'on pose la même question à la nouvelle commission elle saura trouver une meilleure réponse?

Je pose la question parce qu'on nous a dit à maintes reprises qu'on avait besoin de cette nouvelle commission d'examen de la rémunération des juges fédéraux parce que la commission triennale ne fonctionnait pas. Nous venons juste de démontrer que la commission triennale n'a pas fonctionné à cet égard. Pourquoi croyons-nous que si l'on renvoie exactement la même question à la nouvelle commission nous aurons de meilleurs résultats? En d'autres termes, quelle formule magique les nouveaux commissaires utiliseront-ils pour en arriver à une meilleure recommandation, une recommandation plus claire que celle qui a créé le gâchis dans lequel nous nous retrouvons à l'heure actuelle et qui nous oblige essentiellement à biffer les articles? Pouvez-vous tirer au clair cette énigme?

Mme Bellis: Il y a cet aspect de l'admissibilité des conjoints de fait qui doit être éclairci -- c'est-à-dire, la situation où il y aurait deux conjoints survivants. C'est un détail important, mais un détail sur lequel la commission Scott ne s'est pas penchée et je ne peux pas vous dire pourquoi elle ne l'a pas fait.

Je peux vous assurer que les discussions et les débats vigoureux qui ont eu lieu autour de cette table, et la participation des nombreux témoins qui nous ont aidé à comprendre la complexité de ces questions et de ces préoccupations -- seront certainement clairement prises en compte lorsque le gouvernement présentera ses arguments à la prochaine commission.

Nous avons l'avantage du fait que votre comité se soit penché sur ces questions, sur les options, les préoccupations, la façon dont il faut réfléchir à ces questions un peu plus en détail. J'ose dire que cette expérience sera salutaire pour la prochaine commission, ainsi que pour le ministère de la Justice lorsque nous préparerons -- comme je m'attends à ce que mon collègue Iain Mackenzie et moi-même le fassions -- les arguments du ministère qui seront présentés à la prochaine commission ou à la prochaine commission triennale.

Le sénateur Cools: Pour appuyer les sénateurs qui ont fait beaucoup de travail dans ce dossier en particulier, je dirais que les intérêts des juges sont mieux servis par l'étude des sénateurs pour ce qui est d'étoffer les difficultés, que par le travail de la commission en question.

Comme vous le dites, le projet de loi a été présenté. Nous avons entendu à plusieurs reprises que le gouvernement ne tenait pas compte des commissions triennales et que c'est pour cette raison que nous avons besoin d'une nouvelle commission. Pourtant, la commission Scott a présenté son rapport dont nous sommes maintenant saisis. Le gouvernement a présenté un projet de loi. Franchement, ces deux initiatives ont été un échec.

Je suis loin d'être convaincue que la nouvelle commission d'examen de la rémunération des juges fédéraux soit un meilleur choix. De nombreux témoignages nous ont été présentés comme quoi l'ancienne commission triennale fonctionnait très bien et n'avait pas besoin d'être changée. Les témoins étaient d'avis que puisque tout allait bien il n'était pas nécessaire de changer quoi que ce soit.

Ce n'est pas ce que je dis, mais c'est ce que nous entendons souvent. Je suis curieuse de savoir pourquoi tout à coup nous avons tellement confiance dans un processus tout à fait identique. Aurons-nous de meilleurs résultats?

En fait, le meilleur résultat qui ait été suggéré jusqu'à présent est l'étude faite autour de cette table. Je dirais que les intérêts des juges, des conjoints et conjointes et de toutes ces personnes intéressées auraient été mieux servis si le Parlement avait effectué une étude comme celle-ci lorsque le projet de loi a été présenté. C'est ce que je vous dis car je ne suis pas convaincue que le deuxième essai permettra d'obtenir une série de recommandations meilleures ou plus claires.

Le président: Sénateur Cools, merci. Je ne suis pas sûr s'il s'agit d'un compliment ou non, mais en vérité voilà un autre exemple du Sénat qui fait le genre de travail qu'il est censé faire.

Le sénateur Cools: Alors, que le Sénat s'en charge. Peut-être devrions-nous aller de l'avant et je serais heureuse de proposer une motion au comité si je le puis. Si vous vous rappelez bien, lorsque nous sommes retournés au projet de loi C-16, nous n'avons pas réussi à insérer cette petite phrase dans le rapport, mais peut-être notre rapport pourrait-il être présenté avec une mention émanant du Sénat en vue d'une étude plus approfondie de ces questions juridiques très importantes. De toute évidence, si notre expérience nous apprend quelque chose, c'est que ces questions attirent l'attention du Parlement.

La présidente: Merci pour ces bonnes paroles, sénateur Cools. Point n'est besoin de motion encore parce que nous ferons tout cela en abordant l'étude article par article demain matin.

Y a-t-il d'autres questions pour nos témoins?

Le sénateur Cools: J'ai d'autres questions à poser. On parle tellement de ces commissions et de ces conseils juridiques et des conférences canadiennes. Il y a tant de documentation. Nombre des membres du comité ne savent pas combien il est difficile de mettre la main sur ce genre d'information.

Par exemple, le professeur Peter Hogg, dans un avis juridique donné au comité mixte sur les avantages sociaux du Conseil canadien de la magistrature et de la Conférence canadienne des juges déclare:

[...] l'inaction du Parlement ne suffit pas pour prétendre que les salaires ont été fixés par le Parlement. Il semble plus juste de dire que les salaires ont été fixés par le tribunal et que le Parlement n'y a rien changé.

Peut-être les témoins pourraient-ils m'aider. J'essaye de mettre la main sur cet avis juridique. Ma secrétaire a téléphoné à la conférence et au conseil. On lui a dit que ces avis sont privés et donc non disponibles. Avez-vous un exemplaire de cet avis ou pourriez-vous nous dire comment, en notre qualité de membres du Parlement, mettre la main sur un exemplaire de ces avis sans avoir à recourir à des moyens draconiens?

La présidente: Sénateur Cools, notre recherchiste vient de se porter volontaire pour en trouver un exemplaire.

Le sénateur Cools: Je m'attends à ce qu'on lui fasse la même réponse qu'à moi: qu'il s'agit d'un avis privé entre avocats et que le privilège avocat-client s'applique.

La question de commissions sur la rémunération des juges existe depuis bon nombre d'années. Nous ne l'avons pas abordée ici, mais beaucoup des débats au sein des commissions ont aussi été accompagnés de discussions entourant une résolution négative. Beaucoup croient que non seulement devrait-il y avoir des commissions, mais que les recommandations des dites commissions devraient lier le Parlement. Tout cela fait l'objet de vifs débats dans notre pays.

Le sénateur Beaudoin: Nous le savons.

Le sénateur Cools: Bon, tant mieux. M. David Scott est un personnage éminent et intelligent. Il parle à quelques reprises du concept de la résolution négative. J'avais espéré que l'on convoque le professeur Peter Hogg comme témoin parce que lui aussi est une sommité lorsqu'il s'agit de ces questions.

Comment le Parlement peut-il bien faire son travail si nous ne pouvons mettre la main sur ces avis et ces documents? Nous devrions pouvoir étudier ces documents dans le cadre de nos travaux. On m'a dit que pour obtenir le document il faudrait présenter une demande auprès du juge en chef et de l'exécutif du Conseil canadien de la magistrature. Ma demande leur est parvenue et j'ai essuyé un refus. Cependant, ce document est cité, en partie, dans le livre de Martin Friedland A Place Apart: Judicial Independence and Accountability in Canada.

Quelles conditions préalables ou critères valent dans ces échanges pour que les sénateurs ou députés puissent voir ces documents? Une bonne partie du dialogue semble se dérouler en secret.

M. Rosenberg: Tout d'abord, nous n'avons pas d'exemplaire de l'avis du professeur Hogg. Quant à l'extrait de l'avis cité dans un document remis par le Conseil canadien de la magistrature à la Commission triennale, cette partie-là de l'avis serait public, à mon avis. Il est tout à fait légitime pour les divers groupes d'intérêt de se prévaloir des services d'avocats lorsqu'ils comparaissent devant un comité parlementaire ou une commission d'enquête. Que je sache, la règle de privilège avocat-client s'applique à moins qu'une dispense n'ait été accordée.

Vous-même et le grand public devriez avoir accès aux documents publics de ces groupes. Vous posez une question plus fondamentale et je ne puis vous répondre. Vous dites que non seulement vous devriez avoir accès aux documents publics mais aussi aux avis juridiques fournis à ces groupes.

La présidente: Sénateur Cools, s'il s'agit du secret entre l'avocat et son client, il n'y a personne qui puisse vous obtenir un exemplaire de ce document. Notre recherchiste s'est portée volontaire pour essayer de mettre la main dessus.

Le sénateur Cools: Je suis d'accord avec cela. J'aimerais que notre recherchiste aille se procurer un exemplaire de cet avis juridique au nom de notre comité.

Le sénateur Bryden: Je ne crois pas que le comité en fasse la demande. Elle peut faire cette demande en votre nom.

Le sénateur Cools: Habituellement, elle fait ses demandes au nom du comité et non pas au nom d'un sénateur quelconque.

La présidente: Je viens de lui donner instruction de le faire. Si le document est disponible, vous en aurez un exemplaire. S'il s'agit d'une question du secret liant l'avocat et le client, vous n'aurez rien.

Le sénateur Cools: J'ai beaucoup d'autres questions, y compris certaines à propos de la règle de 80, mais je crois que nous devons lever la séance à 16 h 30. J'ai beaucoup d'autres questions très pressantes que je devrai tout simplement soulever lorsque j'en aurai l'occasion.

Je veux en savoir plus à propos de l'origine de la règle de 80 proposée dans le projet de loi C-37. Elle est différente de la règle de 80 proposée dans le document de Martin Friedland préparé pour le Conseil canadien de la magistrature. Il semble y avoir beaucoup de versions différentes de la règle de 80.

La présidente: Puisqu'il n'y a plus d'autres questions à poser, je remercie nos témoins.

La séance est levée jusqu'à 10 h 45 demain matin quand nous passerons à l'étude article par article du projet de loi.

La séance est levée.


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