Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 39 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 29 octobre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour étudier le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui comme témoins le lieutenant-général Charles H. Belzile, qui est membre du groupe consultatif spécial Dickson, et Mme Lise Maisonneuve, conseillère juridique spéciale du même groupe.
Avant d'aller plus loin, je tiens à préciser qu'on tiendra cette après-midi un service commémoratif pour feu le très honorable juge en chef Dickson.
J'ai déjà expliqué à nos témoins que nous allons leur donner l'occasion de présenter une déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
La parole est à vous.
Le lieutenant-général Charles H. Belzile, (retraité), C.M.M., C.D., membre du Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et sur les services d'enquête de la police militaire (mars 1997): Je vous remercie beaucoup, madame la présidente. Avant de passer à la déclaration préliminaire que nous avons préparée, j'aimerais, avec votre permission, faire part du chagrin tout particulier qu'a inspiré aux membres du groupe la perte du juge en chef Dickson. C'était un homme remarquable. Je n'ai aucune hésitation à le dire publiquement au nom de ceux qui ont eu le plaisir de travailler avec lui.
Lorsque, madame la présidente, vous avez mentionné au profit des sénateurs qu'un service commémoratif sera organisé pour lui, vous m'avez également précisé qu'il serait approprié d'annoncer qu'un service commémoratif sera également tenu cet après-midi pour le général Thériault; la cérémonie aura lieu à 14 heures, à la Cathédrale catholique romaine de la promenade Sussex. Le général Thériault, comme certains d'entre vous le savent, a été chef d'état-major de la Défense. Il est mort d'un cancer à Victoria, il y a dix jours.
Je crois comprendre, madame la présidente, que les travaux que nous effectuons actuellement suscitent certaines questions. En réalité, il s'agit d'un examen du rapport antérieur du groupe consultatif spécial, qui est à l'origine de certaines des modifications apportées à la Loi sur la défense nationale et aux services de police. Je vous informe officiellement que le ministre de la Défense nationale, dans une lettre du 23 octobre que j'ai reçue aujourd'hui, m'a demandé de poursuivre les travaux du groupe Dickson, ainsi que nous l'avons baptisé. Ce matin, j'ai également indiqué par écrit que j'acceptais avec fierté. Je suis heureux de mentionner que le groupe chargé de l'examen de la police militaire qui s'occupe d'une partie de l'examen entrepris, en ce qui concerne tout au moins l'aspect touchant la police de l'examen que nous avons réalisé, est maintenant officiellement reconstitué, sous ma présidence.
La présidente: Toutes nos félicitations.
M. Belzile: Mesdames et messieurs, bonjour. En janvier de l'année dernière, l'ex-juge en chef Brian Dickson a, à la demande du ministre de la Défense nationale, accepté de présider un groupe consultatif spécial chargé d'examiner la justice militaire et les services d'enquête de la police militaire. Plus tard dans le courant de l'année, le ministre a demandé aux groupes consultatifs de se pencher sur les problèmes liés aux responsabilités quasi-judiciaires rattachées à sa fonction, afin de supprimer tous les conflits possibles entre ses responsabilités à titre de ministre responsable des Forces canadiennes et l'obligation qui lui est faite de répondre de façon exhaustive et efficace aux questions que lui posent ses collègues parlementaires. Nous en sommes venus à la conclusion que les pouvoirs, là où il n'est pas absolument nécessaire qu'il les exerce, devraient lui être retirés pour être confiés à quelqu'un d'autre.
Dans sa tâche, le juge en chef Dickson s'est vu adjoindre deux autres membres, dont moi. En ma qualité d'ex-commandant de l'armée canadienne, je vais faire profiter le groupe de mon expérience de la vie militaire, en particulier des fonctions de commandement opérationnel au Canada et à l'étranger. M. Bud Bird, politicien réputé et respecté doublé d'un homme d'affaires néo-brunswickois actif, a pour sa part fait bénéficier l'équipe de sa vaste expérience parlementaire et des vues pratiques du citoyen canadien moyen.
Notre groupe comprenait également trois très bons conseillers dont la contribution mérite d'être soulignée. Je mentionne d'abord M. Thomas, commissaire adjoint (retraité) de la Gendarmerie royale du Canada, qui est ici présent. Sa participation s'est révélée particulièrement utile dans le dossier des services d'enquête de la police militaire. Mme Lise Maisonneuve, qui est à mes côtés à titre de témoin, spécialiste du droit pénal, a acquis une expérience considérable auprès de l'unité des enquêtes spéciales de la province de l'Ontario. M. Guy Pratte, qui a acquis une expérience exhaustive du monde militaire en agissant, en 1995, comme conseiller de la Commission spéciale de la restructuration de la Réserve, également présidée par le juge en chef Dickson, comptait également parmi nos conseillers. Malheureusement, il n'est pas avec nous aujourd'hui.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons pris grand soin d'écouter tous les points de vue et, en particulier, de consulter les représentants de tous les grades des Forces canadiennes. L'ouverture et la franchise dont ont fait preuve les membres du personnel des Forces canadiennes et l'empressement qu'ils ont mis à nous aider dans notre tâche nous ont été des plus utiles. Au contraire de l'image négative présentée en public ces derniers temps, ils nous sont souvent apparus comme voués tout entier à leur cause et éloquents dans la présentation de leurs points de vue. De nombreux citoyens ordinaires du Canada nous ont également écrit pour nous faire part de leurs opinions, et nous en avons tenu compte dans notre rapport.
Dans nos rapports, qui rendent compte des véritables préoccupations exprimées, nous recommandons d'importants rajustements du système de justice militaire, des services d'enquête de la police militaire et des pouvoirs quasi-judiciaires du ministre. La plupart de ces recommandations se retrouvent, comme il se doit, dans le projet de loi C-25, que votre comité étudie actuellement.
Il importe de rappeler que les Forces canadiennes ont la responsabilité unique et comme finalité ultime de défendre la nation. Même en temps de paix, les membres des forces doivent exécuter leurs tâches dans des circonstances extrêmement exigeantes et parfois inhabituelles, où leur vie est parfois même mise en danger. Dans de tels cas, on ne pourra préserver l'intégrité de la chaîne de commandement militaire que si chaque échelon de la hiérarchie militaire respecte la discipline et s'il existe un système de justice expressément conçu pour répondre à ces besoins uniques. Le Code de discipline militaire est l'incarnation de cet objectif.
Le système de justice militaire, aussi important soit-il, doit de toute évidence être compatible avec notre Constitution et les lois du pays, particulièrement la Charte canadienne des droits et libertés.
Le juge-avocat général assume les rôles liés à la justice militaire dans les Forces canadiennes, lesquels doivent être définis dans la réglementation. Il est possible que certains de ces rôles, par exemple fournir des conseils juridiques à des membres inculpés tout en menant la poursuite pour le compte des forces, soient contradictoires. Nous pensons que chacune de ces tâches devrait être distincte sur le plan institutionnel, de façon qu'elle puisse être exercée avec le degré d'indépendance voulu.
En ce qui concerne le règlement proprement dit des questions disciplinaires et des infractions plus graves dans les Forces canadiennes, plus de 90 p. 100 des infractions au Code de discipline militaire font l'objet d'un procès sommaire plutôt que d'une instruction par une cour martiale. Les procès sommaires constituent des procédures relativement officieuses conçues pour régler les problèmes disciplinaires à caractère plus mineur qui ont une incidence directe sur l'unité militaire. Habituellement, ils sont présidés par un officier à qui de tels pouvoirs ont été délégués -- habituellement, il s'agit d'un officier des services hiérarchiques. Les procès sommaires demeurent un instrument essentiel au maintien de la discipline au sein des Forces canadiennes. On doit donc dissiper toute préoccupation concernant leur validité sur le plan constitutionnel. Pour y parvenir, nous pensons qu'il suffit de réduire la portée et la sévérité des sanctions, de renforcer le droit à un conseiller juridique et de perfectionner les connaissances et la formation des officiers qui président.
Au contraire des procès sommaires, les cours martiales constituent les procédures officielles réservées aux violations les plus graves du Code de discipline militaire. Un certain nombre de modifications apportées récemment aux travaux des cours martiales ont renforcé, par exemple, l'indépendance des juges militaires. Néanmoins, on doit consolider davantage l'indépendance institutionnelle du bureau du juge militaire en chef. Il importe également de veiller à ce que les cours martiales et les juges qui y président s'acquittent comme il se doit de leurs rôles respectifs. En particulier, c'est le juge qui préside qui, une fois qu'un prévenu a été déclaré coupable, devrait se charger du prononcé de la peine, à condition qu'il possède l'expérience voulue. Lorsqu'un militaire du rang est jugé, nous pensons également qu'on devrait permettre à des sous-officiers supérieurs d'un grade approprié de prendre part aux travaux des cours martiales.
La police militaire joue une multitude de rôles, qui, pour la plupart, ont trait au soutien des opérations militaires et devraient être assujettis au contrôle de la chaîne de commandement. Toutefois, nous craignons que ces dispositions axées sur le commandement et le contrôle n'entrent en conflit avec le rôle que doit jouer la police militaire au chapitre des enquêtes. Nous avons donc recommandé, pour les enquêteurs de la police militaire, l'établissement d'une structure indépendante de la chaîne de commandement et placée sous la supervision de services d'enquête nationaux améliorés.
Le service devrait relever du titulaire d'un nouveau poste, le Grand Prévôt des Forces canadiennes, qui, je crois, a comparu devant vous hier, et qui relève lui-même du vice-chef d'état-major de la défense. Comme vous le savez très bien, le projet de loi C-25 prévoit la création d'une Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire chargée d'enquêter à la suite d'allégations d'inconduite de la part de la police militaire ou d'allégations d'ingérence dans la procédure d'enquête par la chaîne de commandement.
En résumé, madame la présidente, mesdames et messieurs, nous pensons que les recommandations qui figurent dans nos rapports de mars et de juillet 1997 favoriseront l'indépendance, l'équité, la transparence et l'efficacité de la justice militaire dans les Forces canadiennes. Nous sommes convaincus que ces recommandations se retrouvent, pour la plupart, dans le projet de loi qui vous a été soumis. L'adoption du projet de loi aidera grandement les Forces canadiennes à faire preuve de leadership, à maintenir la discipline et à s'acquitter des tâches qu'elles exécutent au nom du Canada.
Madame la présidente, nous serons maintenant heureux de répondre à vos questions.
La présidente: Je vous remercie beaucoup. Madame Maisonneuve, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Lise Maisonneuve, conseillère juridique spéciale: Non, madame la présidente, je fais miens les propos du général Belzile.
La présidente: Dans ce cas, nous allons passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Je voudrais au départ vous remercier de tout ce que vous avez fait avec le juge Dickson et les autres membre de ce comité. C'est extrêmement utile. Je suis très heureux de constater qu'avec ce document, nous pouvons voir si l'on a donné suite au rapport Dickson. J'aurais deux questions à vous poser.
[Traduction]
Ma première question porte sur le premier rapport Dickson. Le deuxième rapport a trait à l'opinion qu'il a donnée par la suite, n'est-ce pas?
M. Belzile: Le deuxième rapport est un suivi sur les pouvoirs quasi-judiciaires du ministre de la Défense nationale, qui, vous vous en souviendrez peut-être, avait trait aux conventions, à la nomination des juges et à un grand nombre d'annulations et d'éliminations des conclusions et des peines, et des choses de ce genre.
Le sénateur Beaudoin: En un sens, le deuxième rapport est aussi important, sinon plus, que le premier.
M. Belzile: Sénateur Beaudoin, laissez-moi vous expliquer pourquoi on a procédé en deux temps. En fait, on l'a fait par souci de gagner du temps. Le juge en chef Dickson ne plaisantait pas avec le travail. On nous a confié une tâche, et on nous a astreint au respect d'un calendrier; la question des pouvoirs quasi judiciaires du ministre s'est posée alors que le premier rapport était terminé à peu près aux trois quarts. Le juge en chef a accepté cette nouvelle tâche, mais il a indiqué au ministre que nous allions d'abord terminer le premier rapport, à temps et sans avoir dépensé tout l'argent qui nous avait été alloué. Nous allions ensuite préparer l'autre. Le ministre a accepté ce point de vue, et on a exactement procédé ainsi. Voilà donc ce qui explique l'existence des deux rapports.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais en savoir un peu plus au sujet de la dernière colonne. Selon le premier rapport, il semble qu'une recommandation soit toujours en cours; selon le deuxième rapport, une recommandation est toujours en cours. Que faut-il en conclure?
M. Belzile: Je n'en suis pas certain, mais, d'après ce qu'a dit le colonel Fenske du bureau du JAG, ces mentions ont trait à certains travaux en cours, par exemple la question de la formation et de l'accréditation des officiers chargés d'instruire les procès; ces mesures sont toujours en voie de mise en oeuvre parce que, dans de nombreux cas, la préparation de règlements pour la Défense nationale est assujettie à l'entrée en vigueur de la loi. On accuse donc certains retards qui, dans les faits, traduisent des processus en cours. Les mesures seront mises en oeuvre dès que possible, mais la réglementation que supposent certaines d'entre elles n'a pas été adoptée, et elle ne le sera que lorsque la loi sera en vigueur. Avec la permission de la présidente, je demanderai au colonel Fenske d'intervenir.
Le sénateur Beaudoin: Pourquoi pas? J'en fais la suggestion à la présidente.
La présidente: Bien sûr, c'est d'accord, à condition que les membres du comité y consentent.
Des voix: D'accord.
M. Belzile: Avant que le colonel Fenske ne prenne la parole, je tiens également à mentionner que le groupe chargé de l'examen, que je préside depuis ce matin, se préoccupe de la mise en oeuvre des éléments qui ont trait à la police militaire. Inévitablement, nous débordons et, une fois de plus, nous nous intéressons au système de justice militaire au sens plus large, mais nous ne sommes pas au courant, au jour le jour, de l'état d'avancement de la mise en application, sauf en ce qui a trait aux questions touchant la police militaire que nous sommes à étudier.
La présidente: Colonel Fenske, pourriez-vous fournir au sénateur Beaudoin des explications additionnelles?
Le colonel Allan Fenske, juge-avocat général adjoint, Consultation et lois, Forces canadiennes, équipe chargée de la modification de la Loi sur la défense nationale: Je vous remercie, madame la présidente. Sénateur Beaudoin, je me ferai un plaisir de vous fournir des renseignements additionnels. Il s'agit du tableau qui présente les travaux accomplis de la façon la plus abstraite. En dessous, on retrouve une série de tableaux beaucoup plus détaillés qui rendent compte du plan de travail réel. Ici, nous avons ventilé les quatre rapports qui sont au coeur de la réforme.
Dans le premier rapport Dickson, l'élément en suspens a trait à la recommandation du juge en chef Dickson selon laquelle les commandants chargés d'instruire les procès sommaires devraient suivre un programme de formation pour obtenir une accréditation. Je puis vous assurer que la mise en oeuvre de cette recommandation représente un défi de taille. Nous y avons consacré beaucoup d'efforts et de ressources humaines. Nous sommes satisfaits des progrès accomplis. Selon nos estimations -- et j'insiste sur le fait qu'il s'agit d'estimations --, le programme d'accréditation des commandants chargés de l'instruction des procès sommaires sera fonctionnel au printemps. Nous espérons, à condition que le comité adopte le projet de loi, que le règlement d'exécution nécessaire entrera en vigueur à peu près à la même époque.
L'autre point que je tiens à soulever, sénateur Beaudoin, c'est que le règlement d'exécution du projet de loi comprendra des prescriptions claires concernant la formation préalable à l'accréditation.
La deuxième recommandation du juge en chef Dickson, qui n'est pas complète à ce stade-ci, a trait à l'établissement d'un groupe de contrôle chargé de superviser la mise en oeuvre des recommandations. Je pense que bon nombre d'entre vous savent que l'honorable Joan Fraser préside ce groupe de travail. Le groupe a jusqu'ici publié un rapport et, si les informations dont je dispose sont justes, un autre est prévu pour décembre. Voilà les deux questions en suspens.
Je fais une mise en garde. Afin de simplifier le tableau, nous avons considéré que les recommandations contenues dans le projet de loi ont été mises en application, même si ce dernier n'a pas été adopté. Il s'agit d'un document public vis-à-vis duquel nous nous sommes engagés, et nous avons l'intention d'aller de l'avant. Il s'agit de la seule autre nuance. J'espère que cela vous sera utile.
Le sénateur Beaudoin: Je veux poser une question générale, que j'adresserai au général Belzile en raison de sa vaste expérience. On nous a beaucoup parlé du juge-avocat général. Il ne s'agit pas d'un juge. Il s'agit en fait du procureur en chef, et cetera. Je crois comprendre qu'il s'agit d'une institution venue de Grande-Bretagne. Elle se retrouve au Canada. Elle se retrouve en Australie. Dans une certaine mesure, elle se retrouve probablement aux États-Unis. Je ne sais pas.
Dans certains autres pays, par exemple l'Allemagne et la France, on a établi un autre système en vertu duquel la justice n'est pas rendue de la même manière. J'ignore si la situation est meilleure ou pire. Pouvez-vous me dire si on a mis de côté l'idée de faire que la justice militaire soit rendue par les juges habituels parce que cette façon de faire ne fait pas partie de notre système et que nous ne souhaitons pas qu'elle en fasse partie? Il s'agit d'une question très générale.
M. Belzile: Je vais tenter de donner une réponse qui n'est pas tout à fait aussi générale, mais qui pourra se révéler quelque peu utile. Vous avez déjà fait certaines comparaisons entre les nations. Il est vrai que, dans une large mesure, nos traditions, en matière de justice militaire, sont issues de la Grande-Bretagne, au même titre qu'un certain nombre d'autres lois et accords constitutionnels de même que notre type de gouvernement. Certains pays s'en sont éloignés, mais, dans une large mesure, le monde anglo-saxon, y compris les États-Unis, l'Australie, la Grande-Bretagne et le Canada, a conservé le même système.
Le titre lui-même fait ressortir la possibilité de conflits éventuels. Le titulaire agit à la fois comme juge et avocat. Nous avons maintenu le titre dans l'intérêt de la tradition parce que, à notre avis, tous les intervenants du système comprennent de quoi il s'agit et qu'il s'agit d'un bon système. Nous y sommes habitués, je suppose. Nous pensons que les changements évolutifs sont préférables aux changements révolutionnaires, et c'est ce que nous privilégions.
Dans le cadre de l'étude Dickson, nous nous sommes, oui, penchés sur le fait que les juges militaires proviennent du système militaire, sans oublier que certaines nations nomment des juges civils. Nous n'avons pas recommandé de changement. Nos principaux motifs ont trait au contexte militaire, à la compréhension des opérations. Même si, de toute évidence, nous devons obéir aux lois du pays comme tout le monde, nous devons, au nom de la primauté des opérations, avoir un système de justice militaire. À supposer que nous devions un jour faire face au genre de confrontation qui, espérons-nous, ne se matérialisera jamais, les forces armées ont comme mission première de gagner. Ce contexte assujettit la chaîne de commandement à de nombreuses obligations, y compris une approche de la formation et de la discipline par nature très militaire. Voilà le choix que nous avons toujours fait, et j'ai recommandé qu'on ne modifie en rien la situation.
Je n'ai aucun doute quant à la qualité des décisions judiciaires rendues par les juges civils. Telle n'est pas la question que nous soulevons. Ce que nous disons, c'est que les militaires présentent une communauté particulière et, à certains égards, unique, dont les besoins sont uniques. Nous espérons être en mesure, sur le plan institutionnel, de dissiper tout au moins certaines des préoccupations concernant l'indépendance des différentes fonctions.
Le sénateur Grafstein: Je suis intéressé par l'une des recommandations contenues dans le premier rapport Dickson, à savoir l'adoption d'une loi distincte pour le Code de discipline militaire. Où en est-on sur ce plan?
Incidemment, madame la présidente, je voulais également dire quelques mots à propos du juge Dickson. Je le connaissais et j'avais pour lui le plus grand respect. On m'a demandé de lui rendre hommage au Sénat. Il va nous manquer en raison de ses talents et de sa sagesse. Comme je l'ai indiqué au Sénat, les décisions judiciaires actuelles sont malheureusement si prolixes et complexes que, dans de nombreux cas, elles échappent à l'entendement. D'une façon ou d'une autre, on a demandé aux juges de faire preuve d'une plus grande retenue. Le regretté juge Dickson était un modèle de retenue judiciaire. Je tiens à vous dire, monsieur, que nous saluons sa sagesse et l'importante contribution qu'il a apportée au Canada. Sa contribution nous manque, notamment dans le cadre des présentes audiences du Sénat.
Le Code de discipline militaire semble être le premier principe qui régit les recommandations. Il en est presque la clé de voûte. Qu'en est-il?
M. Belzile: Nous avons recommandé d'en faire une loi distincte. En fait, le juge en chef Dickson était catégorique sur ce point. S'il en va ainsi, c'est notamment parce que le Code de discipline militaire est le document qui, à maints égards, enchâsse le fonctionnement de notre système de justice militaire. Au besoin, il sera plus facile de modifier une loi distincte que de rouvrir l'ensemble de la Loi sur la défense nationale. Voilà qui me paraît tout à fait sensé. Normalement, les modifications ont trait à bien plus qu'au Code de discipline militaire, par exemple des rajustements des pouvoirs disciplinaires sur la foi de pourcentages plutôt que sur celle de montants et une pléthore d'éléments qui supposeraient, à chaque fois, la réouverture de la loi. Vous connaissez les systèmes parlementaires beaucoup mieux que moi. C'est la recommandation que nous avons faite pour des motifs que le ministère, bien entendu, est bien mieux en mesure d'expliquer que moi. Comme, depuis 1950 environ, on n'a pas apporté de modification majeure à la Loi sur la défense nationale, peut-être le moment n'est-il pas venu de tenter de séparer les deux. Dans l'espoir de gagner du temps, nous avons pensé que la Loi sur la défense nationale pourrait peut-être être actualisée -- elle doit l'être depuis longtemps, au même titre que le Code de discipline militaire qui en fait partie.
La recommandation s'explique peut-être par des motifs constitutionnels ou institutionnels dont je ne suis pas au courant, mais on a pris la décision d'agir de la sorte. Si, à l'avenir, cela était toujours souhaitable, on pourrait en faire un enjeu distinct. Voilà comment je comprends les choses.
Le sénateur Grafstein: Quel est le point de vue du ministère? Avant que vous ne répondiez, je précise que je suis d'accord avec le regretté juge Dickson pour dire que le code devrait faire l'objet d'une loi distincte. C'est un préjugé que j'ai pour de nombreuses raisons différentes et plus générales que celles qu'on retrouve dans le rapport, et nous pourrons peut-être nous y intéresser. Franchement, je suis mécontent de la position adoptée par le ministère ou le gouvernement en ce qui concerne l'opportunité. Nous avons du temps. Je serai ici jusqu'à l'âge de 75 ans. J'ai du temps.
Le sénateur Joyal: Ne tentez pas le sort.
Le sénateur Grafstein: Je me sens très bien. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
Col Fenske: Je suis heureux de vous faire part de mes commentaires. J'ajoute que si vous ouvrez votre exemplaire du premier rapport Dickson, vous constaterez que je suis l'un des conseillers du JAG au sein du groupe consultatif spécial, de sorte que vous pouvez probablement en induire mon point de vue personnel.
Il s'agit d'une recommandation importante, mais on pourrait soutenir que, dans une certaine mesure, il s'agit d'une recommandation de forme. Peut-être serait-il plus juste de dire qu'il s'agit d'une question d'architecture. Dans une certaine mesure, sénateur Grafstein, je m'exprime en mon nom personnel. Je dirais que l'objectif idéal à poursuivre pour le système de justice militaire consisterait à adopter des lois distinctes pour la Cour d'appel de la cour martiale et pour le Code de discipline militaire.
J'ai un transparent que je trimbale un peu partout, même si je ne l'ai pas avec moi aujourd'hui. Il s'agit d'un diagramme à secteurs de la Loi sur la défense nationale qui montre que le Code de discipline militaire occupe environ 75 p. 100 du texte. Pour établir une architecture que nous considérerions comme idéale, nous devrions adopter une loi distincte pour la Cour d'appel de la cour martiale et une loi distincte pour le code. Voilà qui rendrait compte de la hiérarchie du système. Cela demeure un objectif. Le ministère a convenu ouvertement qu'il s'agit d'un objectif que nous souhaitons atteindre, mais, comme dans toutes choses, des considérations pragmatiques entrent en ligne de compte. Il y a trop de choses à accomplir dans le temps qui nous est imparti. Si vous vous reportez au témoignage présenté par le général Belzile et le juge en chef Dickson devant le comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, vous constaterez que cette question y a également été soulevée, et qu'on y a convenu qu'il s'agit d'un très gros morceau à avaler d'un coup. Nous avons pris la première bouchée.
Si vous examinez avec soin le projet de loi, vous constaterez que le Code de discipline militaire a été réuni à un seul endroit, dans une seule section, et que la plupart des liens qui parcouraient tout le texte à la manière d'un spaghetti ont été supprimés. Il y a une autre étape à franchir, madame la présidente, et le ministère a tardé à la franchir, mais il n'a tout simplement pas pu le faire d'un seul coup.
Le sénateur Grafstein: Telle était la première recommandation concrète du juge Dickson. Étant donné la démarche structurée qui caractérisait son travail, je tiens pour acquis qu'il s'agissait pour lui d'un principe fondamental. J'ai noté les motifs invoqués dans le rapport pour justifier la mesure, mais je pense qu'il existe pour nous un motif plus profond, à savoir qu'il importe d'établir l'équilibre entre deux principes contraires. D'une part, il y a le principe de l'indépendance de la compétence législative qui influe sur les droits des citoyens, y compris les militaires; d'autre part, il y a l'imputabilité et la responsabilité du ministre face au Parlement. Je ne veux pas faire dire au juge Dickson ce qu'il n'a pas dit, mais je tiens pour acquis qu'il était d'avis que l'adoption d'une loi distincte répondait au critère de l'indépendance. Nous avons ici affaire à un code indépendant. Il s'agit d'un code séparé et distinct du monde militaire. On y retrouve certaines valeurs qui correspondent aux valeurs générales, modifiées bien entendu en fonction de la mission des militaires, mais j'y vois malgré tout un premier principe relativement important.
La notion de temps ne m'est pas étrangère. Vous avez dit ne pas avoir eu assez de temps ou avoir éprouvé des difficultés. Je ne veux pas laisser entendre que vous n'avez pas franchi un grand pas dans la bonne direction, mais j'ignore pourquoi il serait beaucoup plus difficile de franchir l'étape suivante, d'extraire cette section et d'en faire une loi distincte. Je vous laisse sur cette question. S'il y a quelque chose à ajouter, nous y reviendrons: en effet, j'y vois un enjeu important, relativement fondamental.
Col Fenske: Sénateur Grafstein, je vous remercie de ce commentaire. Je pense que vous avez fait preuve d'une grande clairvoyance en constatant que l'architecture peut rendre compte de l'indépendance et des liens fondamentaux entre le code et le fonctionnement du gouvernement. Ce sont des objectifs. Je vous assure que beaucoup de pièces du casse-tête restent à être mises en place. Je pense qu'il est juste de dire que notre institution juge qu'il est crucial d'adopter ce projet de loi, qui contient de nombreuses améliorations concrètes, tangibles et immédiates. Nous sommes d'accord pour dire qu'il s'agit d'un volet important de la question. Cependant, le morceau est trop gros pour qu'on puisse l'avaler d'un coup au moment où on se parle.
Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je passe maintenant à la question suivante. J'en suis heureux, car il s'agit de l'autre volet du principe, c'est-à-dire la reddition de compte. Voilà où je m'oppose au deuxième rapport de M. Dickson. Je m'intéresse maintenant à la recommandation no 10 et, dans une moindre mesure, à la recommandation no 11. La recommandation no 10 se lit comme suit:
Nous recommandons que soit abolie l'obligation, prévue au paragraphe 206(2) de la Loi sur la défense nationale, selon laquelle le ministre doit approuver l'exécution d'une peine de révocation -- ignominieuse ou non.
L'argument sur lequel repose le rapport, c'est que la très honorable Kim Campbell, ex-première ministre, a indiqué que, à titre de ministre de la Défense, elle avait été confrontée aux difficultés inhérentes à cette notion particulière. En lisant entre les lignes, je tiens pour acquis qu'on a un jour exercé des pressions sur elle pour qu'elle prenne une décision donnée. Par conséquent, il vaudrait mieux supprimer cette étape de façon que le principe soit alors soumis au Gouverneur général -- dans les faits, au Cabinet. Le solliciteur général et le ministre de la Justice pourraient alors s'en occuper.
À première vue, la mesure peut sembler valable, mais, une fois de plus, elle me paraît incompatible avec la nature particulière de la discipline militaire. Pour ma part, je tiens à ce que le ministre, qui a pour tâche de faire contrepoids à l'establishment militaire, soit saisi de cette question, de façon que la responsabilité n'en soit pas dispersée, comme c'est le cas lorsqu'elle est confiée au Gouverneur général plutôt qu'à un ministre. Sur le plan de la responsabilité ministérielle, je suis de la vieille école: qu'elle soit étroite, qu'elle soit serrée et qu'elle s'applique aux sanctions. Par ailleurs, j'y vois une forme de dérobade, mais j'utilise ce mot avec beaucoup de prudence. Si, en d'autres termes, le ministre n'est pas en mesure de régler le dossier, il suffit de le rejeter sur les épaules du Cabinet, et plus personne n'est responsable. Général, je vous invite à faire vos commentaires.
M. Belzile: D'abord, sénateur Grafstein, nous ne voulions pas, en faisant certaines de ces propositions, laisser entendre que le ministre n'aurait pas de comptes à rendre ni de responsabilités à assumer. Dans de nombreux cas, nous pensons que c'est le juge militaire qui instruit le procès qui est le mieux en mesure de faire ce genre de chose. Si, en même temps, on se rend à l'autre extrémité du spectre et que la question est soumise au gouverneur en conseil, le ministre doit malgré tout se justifier auprès du Cabinet -- c'est du moins ce que je crois comprendre. Sa responsabilité est peut-être un peu plus diffuse, mais, à ma connaissance, elle ne disparaît pas totalement.
Après avoir consulté de nombreuses personnes, le juge en chef Dickson et les autres membres du groupe de travail ont acquis la ferme conviction qu'il convient de dissocier le plus possible le ministre du fonctionnement au jour le jour du système de justice militaire. Par conséquent, nous avons affirmé d'entrée de jeu qu'il convient de lui retirer tous les pouvoirs qu'il n'a pas absolument besoin d'exercer: ainsi, il pourra répondre devant ses collègues de la Chambre des communes ou devant la nation de ce qui se passe dans certains dossiers.
Vous vous rappellerez que l'ex-première ministre Campbell, à l'époque où elle était ministre de la Défense, a été placée, à la Chambre des communes, dans une situation qui lui a paru très inconfortable, durant la période de questions. Toute tentative d'obtenir du système les réponses nécessaires serait immédiatement interprétée comme une ingérence dans la procédure d'enquête et la procédure judiciaire du ministère. Sur ce point, le juge en chef Dickson a fait preuve d'une très grande fermeté.
Quant à savoir si les pouvoirs sont conférés ou non à la bonne personne, je pense qu'il s'agit en réalité du juge militaire en chef ou du juge militaire qui préside. Dans la mesure où la raison d'être d'une autorité approbatrice a trait aux besoins en personnel du service, ce qui constitue l'autre enjeu, rien ne semble empêcher que tel facteur puisse être porté à l'attention du juge qui prononce la peine.
L'un des principes qui sous-tend le système de justice militaire dans son entier s'apparente à celui qui est à la base de nos services médicaux. Je sais qu'il s'agit de deux domaines très différents, mais, chez les militaires, lorsque quelqu'un commet un écart de conduite, on se demande, dans le cadre de l'une des premières analyses effectuées, si on a encore besoin de l'intéressé. De toute évidence, les mesures administratives sont nombreuses. Lorsque, cependant, on se retrouve dans une situation opérationnelle précaire, il est tout à fait possible que certaines personnes soient pratiquement indispensables. Comme les services médicaux le font en tout temps, nous érigeons en principe le fait que la primauté des opérations nous oblige à rappeler l'intéressé le plus rapidement possible. Si les choses vont plus loin, c'est que, de toute évidence, nous avons décidé que nous pouvions nous passer de lui. La révocation -- ignominieuse ou non -- est une peine dont l'imposition, à notre avis, revient de droit au juge qui prononce la peine. Si mes souvenirs sont bons, voilà l'analyse qu'a faite le groupe consultatif spécial de la situation.
Le sénateur Balfour: Général Belzile, vous avez, si j'ai bien compris, divisé le traitement des infractions en deux groupes, à savoir que 90 p. 100 font l'objet d'un procès sommaire, et 10 p. 100, d'une procédure plus officielle. J'espère que les membres du comité feront preuve d'indulgence à mon endroit. Je me suis associé au présent examen sur le tard. J'espère ne pas revenir sur des questions qui ont été touchées par ailleurs. Parmi les infractions à caractère moins grave qui font partie de la catégorie des 90 p. 100, la condamnation est-elle versée dans les états de service permanents de l'intéressé?
M. Belzile: La réponse brève à votre question est oui. La réponse longue, c'est que la catégorie des infractions mineures fait l'objet de révisions constantes. À mon époque, les condamnations étaient effacées après trois ans. Quant aux infractions pénales, elles font l'objet d'un procès instruit par un tribunal militaire aux termes du Code de discipline militaire, et la procédure sera versée aux états de service de l'intéressé.
Le sénateur Balfour: Certaines catégories d'infraction sont donc radiées des états de service.
M. Belzile: C'est juste.
Le sénateur Balfour: S'agit-il d'une procédure officielle ou encore d'une coutume ou d'une pratique?
M. Belzile: Un peu des deux. On procède probablement de manière relativement routinière, mais, de temps en temps, la fiche de conduite de tous les membres des forces fait l'objet d'une révision. On radie toutes les infractions mineures qui datent de plus de trois ans. Je ne suis pas certain de ce qui arrive aux infractions de moins de trois ans. La prochaine fois que les états de service de la personne seront imprimés, la mention de la condamnation sera supprimée.
Le sénateur Balfour: Quelqu'un souhaite-t-il étoffer cette réponse?
Col Fenske: Nos ordres administratifs prévoient l'annulation automatique, après un an, des condamnations à une peine mineure, ou à une amende de 200 $ ou moins, pour des raisons qui, je pense, paraîtront relativement évidentes. Bien entendu, on peut obtenir une réhabilitation à la suite de toutes sortes d'autres condamnations, comme c'est le cas pour toutes les infractions à une loi fédérale.
Le sénateur Balfour: La réhabilitation est-elle automatique ou accordée sur demande?
Col Fenske: Il n'y a pas de réhabilitation automatique. On doit en faire la demande.
[Français]
Le sénateur Joyal: Vous avez mentionné que le poste de juge-avocat général était issu de la tradition britannique et qu'il avait inspiré des législations dans d'autres pays, que ce soit les États-Unis ou l'Australie.
Quel est le statut du juge-avocat général en Grande-Bretagne actuellement par rapport à celui qui est défini dans la loi? En d'autres mots, quel type d'indépendance est-il assuré en Grande-Bretagne par rapport au projet de loi C-25?
M. Belzile: Je vais demander au colonel Fenske de répondre pendant que je revois mes notes. À la base, les fonctions sont semblables.
Le sénateur Joyal: Je ne fais pas référence à la question des fonctions, mais plutôt à la question du statut d'indépendance. Ce sont deux choses différentes dans les circonstances.
Col Fenske: Premièrement, le juge-avocat général en Angleterre exerce une fonction qui est différente de celle du juge-avocat général au Canada. Les racines dans la tradition anglo-américaine légale sont un petit peu mêlées sur ce point.
[Traduction]
Col Fenske: Si vous examinez la pratique et l'organisation, vous constaterez que les systèmes de juge-avocat général en vigueur au Canada et aux États-Unis diffèrent de ceux qu'on retrouve ailleurs. Au Canada et aux États-Unis, le titre de «juge-avocat général» se rapporte au conseiller juridique supérieur en droit militaire. Les responsabilités sont celles qu'on peut imaginer.
Aux termes du projet de loi, les responsabilités qui nous incomberont au Canada seront dans les faits moindres que celles qu'assume le juge-avocat général dans le système américain. Aux États-Unis, le juge-avocat général supervise en réalité le système des cours martiales. Ce n'est pas le modèle que nous avons retenu. Dans notre modèle, les juges sont entièrement séparés de sorte qu'ils sont totalement indépendants du pouvoir exécutif. C'était là l'intention.
Dans le système anglais, le juge-avocat général est un juge qui préside à vie jusque, si je ne m'abuse, à l'âge de 70 ans. Il exerce des fonctions analogues à celles qu'assume le juge militaire en chef en vertu du projet de loi. Il n'est pas le conseiller juridique titulaire des Forces armées. Au cours des dernières années, on a apporté un certain nombre de modifications en Angleterre, et je dois faire preuve de prudence en vous communiquant ces renseignements parce que je ne me souviens pas de tous les détails.
Les systèmes qui font appel à un juge-avocat général sont dotés d'une procédure d'examen administratif des plus poussées en vertu de laquelle la chaîne de commandement passe en revue les conclusions des cours martiales et les peines qu'elles prononcent. En Angleterre, le juge-avocat général joue également un rôle consultatif auprès des commandants à cet égard. Il désigne les juges, et il assume également la responsabilité de ce dernier aspect. En vertu du système proposé, les décisions des cours martiales ne seront pratiquement assujetties à aucun examen de la part de la chaîne de commandement. Ce sera plutôt une forme d'appel, sauf dans les circonstances les plus extraordinaires. Je pense qu'il vaut mieux en rester là.
Il est très difficile d'établir une analogie entre le juge-avocat général du Canada ou des États-Unis et celui de l'Angleterre. Ils ont le même titre. Ils trouvent tous leur origine au XIVe siècle, époque à laquelle le fait d'être à la fois juge et avocat était considéré comme acceptable dans le cadre d'un système inquisitoire. Dans le monde anglo-américain, les racines ont essaimé de façon parfois subtile -- et de façon parfois pas aussi subtile -- dans des directions fort diverses.
[Français]
Le sénateur Joyal: Si je comprends bien la distinction que vous faites entre le système britannique et le système nord-américain, on donne au juge-avocat général britannique une fonction essentiellement judiciaire dans le sens du tribunal. C'est un peu comme le juge en chef. Il a une fonction de l'administration de la cour et une fonction de gestion de la cour elle-même. Le juge-avocat général que nous avons serait plutôt le sous-ministre de la Justice, d'une certaine façon, du système. Il choisit les procureurs, est responsable du directeur des poursuites militaires, c'est à lui que le directeur du service des avocats de la défense se rapporte. Il gère l'ensemble de l'appareil judiciaire plutôt que de rendre la justice proprement dite. Est-ce que j'ai une compréhension exacte du système ou s'il me manque un détail essentiel?
Col Fenske: J'ai manqué le début de votre commentaire.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Les enjeux sont complexes, et je vais tenter de les présenter de la façon la plus simple possible. Aurait-on raison de dire que, en vertu du système britannique, le juge-avocat général joue plus ou moins le rôle d'un juge en chef qui a pour tâche de présider les cours martiales et qui assume la responsabilité de la désignation des juges et du bon déroulement des activités, tandis que, en vertu du système nord-américain -- en particulier dans le contexte du projet de loi --, le rôle du JAG s'apparente davantage à celui de sous-ministre de la Justice? Le directeur du service des avocats de la défense relève de lui, tout comme le directeur des poursuites militaires. En d'autres termes, il a davantage pour mandat de s'occuper de l'autre niveau du fonctionnement du système que de rendre des décisions judiciaires proprement dites. Ai-je une compréhension claire de la situation, ou suis-je plongé en pleine confusion?
Col Fenske: Si je ne vous ai pas répondu immédiatement, sénateur Joyal, c'est parce que je n'ai pas compris quel acteur vous placiez dans quelle case. Oui, vous êtes près de la vérité. Je dirais que, en Angleterre, le juge-avocat général s'occupe des services judiciaires. Le seul élément additionnel qu'il y avait par le passé et qui, si je comprends bien, est toujours présent, à quelques nuances près, a trait aux conseils qu'il prodigue au commandant relativement aux examens administratifs des décisions rendues par les cours martiales. Voilà une fonction que nous ne souhaitons plus exercer de façon régulière.
Dans le texte de loi proposé, nous pensons que le juge-avocat général devrait s'apparenter -- et qu'il s'apparente effectivement -- à une sorte de sous-procureur général militaire responsable non pas des services judiciaires, mais plutôt des autres services. Parce que rien n'est jamais simple, le juge-avocat général des États-Unis assume toutes ces fonctions. Nous croyons simplement que ce n'est pas la voie à suivre. Cela ne fait pas partie de la tradition canadienne, et le fait de dissocier les divers éléments architecturaux de notre système judiciaire est nettement plus compatible avec notre jurisprudence en matière d'indépendance.
Le sénateur Joyal: Si on nous demande de reconnaître et de confirmer l'existence d'un système judiciaire totalement distinct du système normal de notre pays, il sera très important, à mon avis, qu'on nous donne l'assurance que l'administration de la justice sera clairement assujettie aux principes des droits de la défense aussi bien qu'à ceux de la Couronne. On devra dissocier totalement cet aspect de la fonction des juges. À mes yeux, il s'agit d'un principe des plus fondamentaux pour l'établissement d'un système judiciaire sain. Selon la compréhension que j'ai du projet de loi...
[Français]
-- le directeur du service des avocats de la défense répond au juge-avocat général et que le directeur des poursuites militaires répond également à la même personne.
[Traduction]
Dans la société civile, il serait incongru que le prévenu soit obligé de s'adresser au ministre de la Justice, au Procureur général, qui est à l'origine de la poursuite intentée contre lui, pour obtenir un avocat de la défense. Comment peut-on s'assurer que la personne qui est assise au sommet de la pyramide et qui dit: «D'accord, vous allez défendre cette personne, vous allez poursuivre cette autre, et je vais désigner le juge» ne se trouve pas en conflit d'intérêts. À ce stade-ci, une confusion totale règne parmi toutes les fonctions. Voilà qui n'est certainement pas favorable aux principes de la justice fondamentale, soit le système qui nous régit.
Comme tout relève du monde militaire, comment peut-on avoir l'assurance que le projet de loi respecte bien ces principes? Il s'agit d'un enjeu des plus fondamentaux.
Col Fenske: Je suis d'accord avec vous.
La présidente: Si je puis me permettre d'intervenir brièvement, je rappelle au sénateur Joyal que la question a été explorée relativement en détail au moment de la première comparution du ministère.
Peut-être aimeriez-vous ajouter quelques mots à ce sujet, monsieur Fenske.
Col Fenske: Je suis heureux de revenir sur ce point en détail. Il s'agit d'un enjeu très important. Toutefois, vous avez devant vous le lieutenant-général Belzile et Mme Maisonneuve. Assurément, cette idée a fait l'objet d'analyses approfondies ici et encore plus dans le rapport Dickson. Je fais référence à l'établissement d'une séparation institutionnelle non seulement entre la poursuite, la défense et les juges, mais aussi entre la poursuite, la défense, les juges et les enquêteurs. Voilà comment nous faisons les choses au Canada. On en a débattu. Cependant, je veux à tout prix éviter de monopoliser la discussion en présence de deux spécialistes.
La présidente: Vous aurez une autre occasion d'interroger le ministère. Aimeriez-vous ajouter quelque chose, général Belzile?
[Français]
M. Belzile: Je comprends très bien l'analyse faite par le sénateur Joyal. Je fais surtout référence à la pratique des choses avec la séparation institutionnelle que nous avons recommandée dans le rapport. Nous croyons que ces soucis sont effectivement contrecarrés. Notre système est peut-être un petit peu différent du système civil, mais il faut reconnaître qu'on essaie de le bâtir tout en le gardant conforme à la loi du pays. Advenant le pire des cas où on opère à l'extérieur du pays où la juridiction canadienne pourrait être douteuse, et que la seule cour existante serait une cour militaire, en République centrafricaine par exemple, cela devient complètement incommode de rencontrer les normes de besoin, de rapidité, d'équité, en même temps qu'on ramène un avion au Canada avec des témoins à son bord pour essayer de conduire le système au Canada.
Alors à l'étranger, avec un ou deux avocats qui représentent les deux côtés, la chaîne de commandement a encore intérêt à maintenir une discipline formelle qui remplit ses fonctions ou qui l'aide à remplir ses fonctions tout en s'assurant que ces deux personnes sont institutionnellement séparées. Il est vrai que le juge-avocat général nomme les deux, qu'il fait des recommandations, mais au jour le jour, il ne travaille pas d'un côté ou de l'autre. Sa responsabilité est celle de surintendant. Il n'applique que ce qui va compter pour la défense ou pour la poursuite. Nous sommes satisfaits, et le juge en chef est satisfait également, du fait que cela rencontre les besoins.
Le sénateur Joyal: Quand vous dites qu'il y a séparation institutionnelle, pouvez-vous la préciser dans la pyramide? Où se séparent-ils et où se retrouvent-ils?
M. Belzile: La séparation institutionnelle, c'est simplement que le directeur des poursuites et le directeur des services de la défense ne travaillent pas dans le même bureau comme par le passé. Leurs bureaux sont probablement situés dans différents édifices.
Quant à l'aspect administratif, en toute honnêteté, le colonel Fenske pourrait y répondre mieux que moi. Le juge-avocat général demeure purement et simplement une personne qui administre le système et qui ne dicte d'aucune façon à la poursuite ou à la défense comment faire leur travail. C'est un principe qu'on a toujours suivi. On a fait une séparation car autrefois, ces personnes travaillaient, bien souvent, dans le même bureau.
[Traduction]
C'était la même société d'avocats. On a opéré une séparation. On a tout au moins fortement tenté de le faire, ce qui nous paraît satisfaisant.
[Français]
Où se retrouvent-ils? Ils se retrouvent du côté administratif. Éventuellement, il y a quelqu'un qui va s'assurer qu'ils ont une librairie, qu'ils ont des endroits pour travailler, que les édifices existent pour les cours. Cela vient du côté administratif. En pratique, la supervision du juge-avocat général envers ces personnes n'est qu'administrative.
Mme Maisonneuve: Par exemple, ici en Ontario, si je représente un accusé, mon client est évidemment l'accusé. La même chose se produit avec le service d'avocats de la défense que vous retrouvez dans le projet de loi. Le client est l'accusé et non pas la Couronne. Celle-ci a son propre mandat et son propre rôle tel que décrits dans le projet de loi et les deux sont très bien séparés.
Lorsque je représente un client pour lequel les honoraires sont payés par l'aide juridique de la province, c'est le gouvernement qui paie ma facture. Par contre, je suis avocate et je représente ce client. Je ne prends pas mes ordres de la province. La Couronne provinciale en Ontario est nommée par le même gouvernement, donc on tombe vraiment sous le même parapluie. Par contre, nous avons des rôles très distincts. Évidemment, le gouvernement ne pourrait pas me dire comment travailler et moi, je ne pourrais pas dire à la Couronne comment travailler. Cela est un peu similaire au système civil.
[Traduction]
La présidente: Avant de continuer, je veux souligner que le projet de loi permet bel et bien aux militaires accusés dans une affaire de recourir à l'avocat qui leur est fourni ou encore de le choisir eux-mêmes, tout comme les civils ont l'occasion d'engager leurs propres avocats.
Le sénateur Beaudoin: Qui paie alors?
La présidente: Dans un tel cas, ce sont eux qui paient, je crois.
Le sénateur Fraser: Monsieur Belzile, comme vous n'êtes peut-être pas sans le savoir, le comité s'intéresse beaucoup à la question de la durée du mandat des juges militaires aussi bien qu'à la notion du mandat renouvelé. Nous sommes conscients du fait que la culture n'est pas la même dans le monde militaire. De toute manière, jusqu'à maintenant, le métier de juge militaire ne s'est pas révélé un choix de carrière intéressant. C'est un métier qu'on exerçait pendant un certain temps pour revenir ensuite à autre chose. Néanmoins, comme le système évolue et qu'il y aura toute une division de juges militaires d'instance, il paraît possible que certains juges souhaitent renouveler leur mandat, plutôt que de se remettre sur la voie professionnelle classique. Bien sûr, cela soulève des questions concernant les pressions qui s'exercent sur eux devant l'imminence du renouvellement envisagé. Selon quels critères les juges qui demandent le renouvellement d'un mandat pourraient-ils essuyer un refus?
M. Belzile: Dans le projet de loi C-25, l'article en cause prévoit que le mandat du juge militaire peut être renouvelé au moment où son premier mandat ou un mandat ultérieur prend fin, mais sur la recommandation d'un comité d'examen établi par le gouverneur en conseil conformément à la réglementation. Je ne dirai pas que cela est comparable au conseil d'examen judiciaire qui est censé exister pour l'ensemble des juges au Canada. Le renouvellement ne se fait pas selon les caprices d'une seule personne, par exemple le JAG. Il est question ici d'un comité d'examen du renouvellement établi par le gouverneur en conseil dont la réglementation prévoit la composition et les travaux. La composition et les travaux en question devront être conformes aux prescriptions du paragraphe 11d) de la Charte et, en particulier, aux principes applicables exposés, si je ne m'abuse, dans le renvoi P.E.I. et dans l'arrêt Lauzon. Dans ce secteur en évolution du droit, nous souhaitons avoir la possibilité de préciser les travaux du comité dans la réglementation.
La réponse peut paraître un peu formelle. Je répéterais que j'ai exercé mon métier partout dans le monde, là où il nous faut souvent appliquer notre système à d'autres instances, celle où nous travaillons -- par exemple, à l'OTAN, dans le cas du SOFAS, ou dans celui où les Allemands ont compétence pour les affaires criminelles, à moins de renoncer à cela en notre faveur. Ils y renoncent en notre faveur dans la plupart des cas -- du moins ils l'ont fait -- parce qu'ils considèrent comme satisfaisante la façon dont nous administrons le travail de nos juges. C'est qu'ils ne tiennent pas à surcharger leurs propres tribunaux, présume-t-on. Ils laissent donc aux Canadiens le soin de laver leur linge sale en famille, pour reprendre l'expression populaire.
Il faut aussi des juges très mobiles. Nos juges peuvent en fait aller entendre une cause à bien des endroits, et parfois dans des circonstances très difficiles. De par la nature même du travail de militaire, nous devons déménager tous les deux ou trois ans. Nous travaillons à bien des endroits, et la situation peut devenir particulièrement stressante, de sorte qu'une période de cinq ans paraît logique. Je crois que nous sommes rendus à dix ans aujourd'hui, mais c'est dix ans de services judiciaires avec un mandat renouvelable de cinq ans.
Le juge en chef Dickson n'y a rien vu de mal. Bien sûr, ma propre expérience judiciaire est malheureusement très limitée. Je ne vois vraiment pas pourquoi on s'inquiète. Du point de vue institutionnel, avec le comité d'examen des demandes de renouvellement approuvé par le gouverneur en conseil et avec le règlement approuvé, l'examen qui est fait est probablement aussi valable que celui qui s'applique aux autres juges.
Le sénateur Fraser: Mais il n'y a pas de renouvellement du mandat des autres juges.
M. Belzile: Non, mais ils peuvent être révoqués, censément.
Le sénateur Fraser: Il y a tout de même une différence. Il y a bel et bien une différence entre le fait d'être révoqué de la magistrature pour des motifs valables et le seul fait de demander qu'un mandat soit renouvelé. Il est beaucoup plus facile de se voir refuser le renouvellement d'un mandat que de subir toute la procédure qui accompagne la révocation d'un juge.
Col Fenske: J'aimerais apporter quelques commentaires ici. Pour dire les choses directement, j'ai l'impression que, de l'avis général des gens, le processus de renouvellement nuirait forcément à l'indépendance du juge.
Le sénateur Fraser: Je crois qu'on s'inquiète non pas du fait que ce soit forcément le cas, mais plutôt de ce qu'il est tout à fait possible que cela survienne, particulièrement si le juge en question entend une cause politiquement délicate vers la fin de son mandat.
Col Fenske: Il y a plusieurs éléments que vous jugerez peut-être utiles dans votre examen de la question -- si j'allais dire que le renouvellement ne nuit pas à l'indépendance du juge ou, tout au moins, que le renouvellement en tant que processus ne réduit pas l'indépendance du juge. Après tout, le paragraphe 11d) de la Charte nous dit que le tribunal doit être suffisamment indépendant. Le droit jurisprudentiel relatif à cette question établit que le tribunal doit être suffisamment indépendant.
Le sénateur Beaudoin: C'est ma première réaction.
Col Fenske: Ensuite, le droit jurisprudentiel relatif au paragraphe 11d) de la Charte nous révèle clairement qu'il existe diverses formules pour faire en sorte que le tribunal soit suffisamment indépendant -- et que si on étudie tous ses précédents et tous les tribunaux qu'il y a dans le pays en entier, on voit qu'il n'y a pas de ligne de démarcation tout à fait nette ni de formule unique; de fait, le droit jurisprudentiel porte qu'il n'est pas nécessaire qu'il existe une formule unique, que cela, de fait, nous empêcherait d'atteindre notre objectif, compte tenu de la diversité de nos tribunaux.
Si je devais défendre cela, je dirais qu'on présume, d'abord, que le renouvellement diminue bel et bien l'indépendance du juge et que l'exécutif peut s'immiscer de façon arbitraire dans le processus de renouvellement. Je ne parle pas d'un veto direct pour ainsi dire. Je crois que vous faites allusion à quelque chose de beaucoup plus subtil.
Le sénateur Fraser: Effectivement.
Col Fenske: C'est beaucoup plus subtil que cela. Premièrement, sénatrice Fraser, je crois que je dirais que, si nous étudions les faits, les deux raisonnements en question sont erronés. Deuxièmement, ils ne concordent pas avec le droit jurisprudentiel établi à ce jour, particulièrement à la Cour suprême du Canada et à la Cour d'appel de la cour martiale.
C'est le juge Létourneau qui signe l'arrêt Lauzon. Je n'entends pas user ici de sarcasmes. Je félicite le juge Létourneau de la rigueur et du courage dont il a fait preuve, mais je crois qu'on ne se trompe pas en disant que c'est un critique du secteur militaire. À la façon dont nous avons traité la commission présidée par le juge Létourneau et son rapport, et à la façon dont nous avons traité ses décisions, je crois que cela laisse voir que nous le tenons pour un critique constructif.
Le juge Létourneau dit carrément dans l'arrêt Lauzon que le seul fait qu'il existe un processus de renouvellement ne fait pas forcément conclure que l'indépendance du juge pose des difficultés, dans la mesure où -- je fais allusion à une note que j'ai à propos du paragraphe 27 de sa décision -- dans la mesure où il existe parallèlement des garanties substantielles et suffisantes que le tribunal et le juge militaire d'instance sont à l'abri de pressions de l'exécutif susceptibles d'influer sur la décision qu'ils ont à rendre. Je vous dirais à vous, en termes encore plus simples, que c'est dans la mesure où ils sont à l'abri de toute ingérence arbitraire de la part de l'exécutif.
Si vous m'aviez demandé cela il y a cinq ans, j'aurais probablement eu beaucoup de questions sans réponse, mais le renvoi P.E.I. nous a donné depuis bon nombre d'indications sur la façon d'établir un processus qui nous protège contre l'ingérence arbitraire de l'exécutif. Selon ce que le tribunal a dit à cet égard, le processus d'examen de la rémunération, car il était question de rémunération, aurait en quelque sorte l'effet d'un tamis. Autrement dit, les comités doivent se composer de représentants des divers organes de l'État et non pas être dominés par l'exécutif. Il s'agit alors pour eux de formuler leurs recommandations et de les défendre. Si la décision rendue va à l'encontre de la recommandation, le gouvernement doit alors s'expliquer. Bien sûr, les tribunaux peuvent aussi se pencher sur la question. Cela suffit. Nous ne vous avons pas encore mis le règlement devant les yeux, mais nous disposons d'un excellent plan à partir duquel travailler. Tout processus de renouvellement que nous mettrons au point devra être conforme au paragraphe 11d). Je sais que vous ne le voyez pas ici aujourd'hui, et que peut-être vous trouvez cela frustrant, mais n'importe quel tribunal compétent au pays peut se pencher là-dessus. La question peut être examinée en rapport avec la Charte, et nous devons nous conformer aux dispositions de celle-ci.
Permettez-moi d'aborder un instant un autre aspect de la question. La jurisprudence entourant la Charte nous dit, entre autres, qu'étant donné le fait qu'on peut révoquer un juge militaire pour des motifs valables, notre comité d'examen doit être à prédominance judiciaire. Nous savons que le comité doit être d'abord et avant tout composé de juges. Les juges doivent décider si la conduite en question justifie la révocation. C'est là une réponse compliquée, mais il s'agit probablement ici de la partie du projet de loi où la dépendance à l'égard du règlement est la plus grande.
J'espère que les interventions auxquelles vous avez eu droit durant plusieurs séances ont servi à vous montrer que nous suivons de très, très près la jurisprudence concernant l'indépendance de la magistrature. Ce n'est pas seulement en rapport avec les juges militaires et les tribunaux militaires que la jurisprudence à cet égard a évolué rapidement, subtilement, et pris parfois des tournants que nous n'avions pas prévus. Cela se produit ici. Nous avons maintenant le renvoi P.E.I. et l'arrêt Lauzon.
Compte tenu de l'orientation que prenait la jurisprudence selon nos constatations, nous avons décidé l'an dernier de prévoir ce processus de renouvellement dans le règlement. C'est si subtil que nous voulions nous assurer de ne pas manquer notre coup; s'il fallait que nous ne visions pas parfaitement juste la première fois, il nous faudrait rajuster le tir rapidement la deuxième fois.
La présidente: Colonel Fenske, je vais vous interrompre, car nous avons devant nous aujourd'hui les témoins, comme vous l'avez vous-même souligné. Vous pourrez sûrement aborder la même question lorsque le ministère viendra nous voir à nouveau.
Nos témoins peuvent-ils proposer ce que ce processus d'examen devrait prendre en considération, dans le cas d'une demande de renouvellement, provenant d'un juge militaire qui fait l'objet d'un examen, qui le confirmera peut-être dans ses fonctions pendant cinq autres années?
Le sénateur Joyal: Peut-on trouver la formulation exacte de ce que lisait le témoin? Il y avait deux réserves associées à l'affirmation.
Col Fenske: Je cite cela à partir de mes notes, que je crois avoir prises correctement, paragraphe 27 de l'arrêt:
Le fait qu'il existe un processus de renouvellement ne fait pas forcément conclure que l'indépendance du juge fait défaut, dans la mesure où il existe parallèlement des garanties substantielles et suffisantes que le tribunal et le juge militaire d'instance sont à l'abri de pressions de l'exécutif susceptibles d'influer sur la décision qu'ils ont à rendre.
C'est là une des nombreuses formulations possibles pour qui veut éviter l'ingérence arbitraire.
Le sénateur Joyal: Avez-vous parlé de «garanties substantielles et suffisantes»?
Col Fenske: C'est avec plaisir que nous vous fournirons un exemplaire de l'arrêt, si vous ne l'avez pas déjà, monsieur.
La présidente: Dans l'intervalle, le groupe de témoins pourrait peut-être nous indiquer ce qu'il propose.
M. Belzile: Madame la présidente, nous n'avons pas vraiment réfléchi à tout cela. Je préférerais revenir plus tard en parler au comité pour proposer des suggestions, ou peut-être arriver avec quelque chose d'écrit. Nous avons lu aussi l'arrêt Lauzon, mais c'est après avoir siégé avec notre propre groupe consultatif avec le juge en chef Dickson. Nous avons rédigé ce rapport en mars, et nous sommes manifestement très heureux de la façon dont cette chose a été établie. Malheureusement, l'évolution de ce processus n'est pas vraiment de notre ressort depuis, sauf pour le cas où nous avons témoigné devant le CPDNAC, lorsque nous l'avons examiné à nouveau. Nous nous engageons sur un chemin auquel nous n'avons pas vraiment réfléchi.
En bref, si je comprends bien le fonctionnement de ce comité d'examen des demandes de renouvellement, une fois le règlement élaboré et approuvé par le gouverneur en conseil, on pourrait prendre des mesures adéquates pour veiller à ce qu'il existe des garanties substantielles et suffisantes, comme il en est question au paragraphe 27 de l'arrêt Lauzon. Je crains que nous ne puissions vous aider davantage là-dessus.
Mme Maisonneuve: J'ajouterais que nous procéderions manifestement à un examen approfondi de toute la jurisprudence dans le domaine, et il y a là beaucoup d'indications. Il nous faudrait faire cela avant de pouvoir faire des propositions constructives.
Le sénateur Moore: J'ai deux questions à poser. Général Belzile, j'ai à l'esprit les questions du sénateur Joyal à propos de la séparation institutionnelle des diverses fonctions dans l'appareil judiciaire militaire. Dans le rapport Dickson I, vous recommandez la nomination d'un directeur des poursuites indépendant, responsable devant le juge-avocat général. C'est la recommandation no 8, qui se trouve à l'article 165 du projet de loi. J'ai été étonné de constater qu'il n'existe pas de recommandation semblable pour la création d'un poste de directeur des services aux défendeurs. Pourquoi est-ce le cas?
M. Belzile: Sénateur, il n'y a pas de raison qui me vienne à l'esprit en ce moment, sauf tout le contexte du changement institutionnel dont il est question ici. Si un était séparé de l'autre, on présumerait que l'autre est séparé du premier. Je sais que la réponse paraît enfantine, mais autant que je me souvienne, nous n'avons pas recommandé précisément que le poste soit établi; nous avons recommandé que les deux soient toujours séparés du point de vue institutionnel.
Le sénateur Moore: Je crois qu'il s'agit d'une fonction très importante. Je crois qu'elle mérite d'être envisagée et d'être valorisée tout autant celle du directeur des poursuites. Peut-être avez-vous cru que tout découlerait du no 7, où vous dites que le JAG peut fournir des conseils d'une manière qui soit indépendante. Peut-être que c'est là; je n'en sais rien. Je crois que cela aurait peut-être dû être séparé. C'est votre recommandation, mais ce sont les législateurs qui ont préparé le projet de loi.
Je veux aborder la question de la révocation. Les deux directeurs en question -- celui qui est responsable des poursuites et celui qui est responsable de la défense -- doivent être officiers et avocats depuis au moins dix ans, et doivent être nommés à titre inamovible pendant une période maximale de quatre ans. Quant au directeur des poursuites militaires, le paragraphe 165.1(2) précise encore:
... [le directeur des poursuites est nommé] sous réserve de révocation motivée que prononce le ministre sur recommandation d'un comité d'enquête établi par règlement du gouverneur en conseil.
La même intervention du comité n'est pas prévue dans le cas du directeur des services à la défense. Qu'en pensez-vous?
M. Belzile: Je regrette, sénateur Moore, de devoir m'en remettre encore une fois à mon spécialiste du droit, qui expliquera pourquoi cet aspect du projet de loi C-25 semble aller à l'encontre des recommandations que nous avons formulées directement nous-mêmes.
Col Fenske: Madame la présidente, je ne veux pas donner l'impression que le fait de prendre le temps de parole des autres me réjouit.
Nous avons noté votre préoccupation à ce sujet durant les séances précédentes. Nous avons fourni un document d'information tout récemment, mais vous n'avez peut-être pas encore eu le temps de le regarder. Je crois que les positions, en fait, sont très différentes. Ce document approfondit la question et la présente pour la plus grande part en abrégé. La nature et l'envergure des fonctions du directeur des poursuites militaires sont différentes. Les relations entre les éléments ne sont pas les mêmes. Les différences en question, selon nous, étaient telles qu'il fallait que le directeur des poursuites militaires ait quelque chose de plus. Il ne s'agissait pas d'établir que le directeur des services à la défense ait une moins grande importance. Permettez-moi de relever quelques points saillants du document.
D'abord, les fonctions du directeur des poursuites militaires ont une portée nettement plus grande que celles du directeur des services à la défense. Le directeur est responsable de toutes les affaires dont est saisie la cour martiale, des mises en accusation, du choix de la cour martiale dans les affaires en question et du conseiller juridique dans le cas des appels devant le ministre. Il conseille la police militaire en rapport avec toute enquête et détermine en dernier lieu les accusations dans les cas où les enquêteurs et les commandants n'arrivent pas à s'entendre.
Le sénateur Moore: Sauf dans le cas où il conseille le ministre, je crois que le directeur des services à la défense donne les mêmes conseils au personnel de l'autre côté de la table.
Col Fenske: Sénateur Moore, je ne dénigre pas son travail.
Le sénateur Moore: Je ne laisse pas entendre que vous le dénigrez; plutôt, je crois que ces rôles sont égaux. Pour que justice soit faite et qu'il apparaisse qu'elle a été faite, les dispositions législatives ne sont pas établies également. Je crois tout simplement que cela serait important.
Col Fenske: Sénateur Moore, il faut souligner aussi que les gens qui traitent d'ordinaire avec les poursuites connaissent bien la jurisprudence et que, de tradition, comme c'est le cas pour les avocats de la Couronne, ils exercent une fonction quasi judiciaire.
Le sénateur Moore: Qu'entendez-vous par là? Tous les avocats qui ont prêté serment sont des officiers de justice. Nous prêtons tous le même serment.
Col Fenske: Nous prêtons tous le même serment, du moins en ce qui concerne le barreau provincial, mais nous n'exerçons pas tous les mêmes fonctions. Par exemple, le directeur des poursuites militaires doit représenter la société. Par conséquent, les décisions qu'il prend le place inévitablement dans une situation où il doit régler des différends. Tous les procureurs qui ont fait ce travail le savent. On n'attend pas du tout de l'avocat chargé de la défense d'un prévenu qu'il règle ce genre de choses. Nous nous attendons à une défense très, très partielle de sa part, à ce qu'il n'ait qu'un but en tête, c'est-à-dire veiller aux intérêts du prévenu.
Le sénateur Moore: Mais le prévenu fait partie de cette même société dont vous avez parlé. Nous n'allons pas nous entendre là-dessus.
Col Fenske: J'espère que nous allons nous entendre sur les principes au moins, si ce n'est sur l'application. Le devoir de l'avocat de la défense n'est pas envers la société. Le devoir de l'avocat de la défense est envers le client et seulement le client -- c'est un rôle beaucoup plus restreint.
Le sénateur Moore: Oui, j'en conviens. Toutefois, vous nommez la personne en question au poste et vous établissez les règles régissant son travail. La séparation institutionnelle dont mon collègue a parlé plus tôt m'inquiète beaucoup, et en voilà un exemple.
Le sénateur Grafstein: Ma première observation sera très brève. Il me semble qu'il y a une différence fondamentale entre la recommandation 17b), la dernière recommandation du rapport Dickson II, et l'article 96 du projet de loi. Je vais lire la recommandation 17b):
Nous recommandons qu'une révision indépendante de la législation régissant le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes soient effectuée tous les cinq ans après l'entrée en vigueur des modifications législatives...
Le critère prend la forme d'un examen indépendant qui doit être réalisé tous les cinq ans.
Selon l'article 96, le ministre procède à l'examen prévu et fait déposer un rapport devant le Parlement dans les cinq ans. La notion d'indépendance du juge n'y figure pas, ni encore n'y trouve-t-on la sempiternelle disposition de temporarisation. Qu'en pensez-vous, lieutenant-général? Lisez la recommandation 17b), votre dernière recommandation, et lisez l'article 96. À mes yeux, il y a là une différence importante.
Encore une fois, pour avoir connu M. le juge Dickson, je sais que chaque mot avait de l'importance -- de sorte que lorsqu'il a parlé d'indépendance, il voulait parler d'indépendance. Je ne crois pas que l'on puisse présumer qu'il entendait par là l'examen du ministre. Voilà mon premier argument.
Le deuxième est le suivant: selon la recommandation, l'examen devait avoir lieu tous les cinq ans, plutôt qu'une seule fois. La différence est de taille. Qu'en pensez-vous, lieutenant-général? Est-ce que cela vous convient?
M. Belzile: Nous avons inscrit la recommandation 17b) dans notre rapport pour essayer d'éviter le même genre de bouleversements. À nos yeux, il s'agissait d'un examen d'office effectué tous les cinq ans, comme on le faisait récemment au Royaume-Uni. Nous envisageons d'étudier l'ensemble des modifications touchant la Loi sur la défense nationale et le Code de discipline militaire, qui régit l'application de la justice militaire, tous les cinq ans. De fait, il s'agissait simplement d'instaurer un mécanisme de rattrapage.
Le sénateur Grafstein: Je comprends cela.
M. Belzile: Mais l'article 96 ne se lit pas tout à fait de la même façon.
Le sénateur Grafstein: Selon votre rapport, on procède à un examen quinquennal au Royaume-Uni.
M. Belzile: Tout à fait.
Le sénateur Grafstein: Vos recommandations prévoient un examen tous les cinq ans, comme cela se fait au Royaume-Uni. Toutefois, le projet de loi ne parle d'examen qu'une fois, et il ne parle pas d'indépendance. Il me semble qu'il y a une différence vraiment importante entre le projet de loi et les recommandations. Cette différence vous paraît-elle acceptable? Nous allons entendre le ministère là-dessus plus tard.
M. Belzile: Oui, cela me paraît acceptable.
Le sénateur Grafstein: Je n'insisterai donc pas. J'ai une dernière question à poser.
La présidente: Vous n'irez donc pas à la pêche pour obtenir la réponse que vous souhaitez avoir.
Le sénateur Grafstein: Non, je n'irai pas à la pêche. Je devrai témoigner moi-même.
Au sujet de l'article 250.29, il me semble que le plaignant peut provenir de l'intérieur du service ou pas. Ai-je raison? Il y est question d'une commission quasi indépendante où le prévôt peut diriger une enquête à la suite d'une plainte.
La présidente: Cela se trouve à la page 68 du projet de loi.
Le sénateur Grafstein: C'est la page 68 du projet de loi. Je vous demande simplement ce que vous en pensez. Ce n'est pas une enquête indépendante. Cela relève du prévôt, avec tous ces freins et contrepoids dont nous avons parlé. Je présume qu'étant donné que le terme «plainte» est utilisé, le plaignant peut être quelqu'un qui se trouve à l'intérieur du service ou encore quelqu'un de l'extérieur.
Mme Maisonneuve: Tout à fait.
Le sénateur Grafstein: Songez aux inquiétudes articulées par l'opposition, à l'autre endroit, concernant la Commission des plaintes de la GRC. Évidemment, c'est une commission qui est saisie des plaintes des citoyens, de sorte que c'est quelque peu différent. Sommes-nous convaincus d'avoir prévu ici une protection suffisante du plaignant ou encore une indépendance suffisante pour que le plaignant puisse obtenir justice? Je ne parle pas de la question de l'indépendance, car c'est une autre question. C'est une question très délicate qui se trouve devant nous.
Cela m'a frappé de constater que l'opposition se plaignait moins des événements que de la loi, car il me semble que la loi est claire en ce qui concerne la GRC. Nous voici sur le point d'élaborer une nouvelle loi. Je voudrais savoir si les questions soulevées en rapport avec la marche à suivre concernant les plaintes ont été prises en considération et intégrées à cette disposition.
Mme Maisonneuve: Je ne suis pas au courant, sénateur, de toutes les plaintes qui ont été formulées à propos de la Commission des plaintes de la GRC. Évidemment, si vous faites allusion à une cause qui se trouve actuellement devant la commission, je ne peux me prononcer. La commission étudie la cause et finira par formuler des recommandations.
Si je ne m'abuse, la Commission des plaintes de la police militaire fonctionnera de telle façon que tout citoyen, y compris évidemment tout membre des Forces canadiennes, pourra déposer une plainte à propos de la conduite de la police militaire. La première intervention est interne, à l'exemple de ce qui se fait dans le cas de la GRC. Si je ne m'abuse, la logique qui explique cela, c'est que le ministère peut être considéré comme s'occupant de ces éléments propres. Toutefois, si le plaignant n'est pas heureux des recommandations formulées ou des mesures adoptées par le ministère, il peut alors s'adresser à la commission. Les membres de la commission indépendante peuvent alors examiner la plainte et formuler des recommandations s'ils jugent indiqué de procéder ainsi. Je ne sais pas très bien si je réponds à votre question, mais voilà la façon dont les choses fonctionneront. Il y a donc en place un mécanisme qui permet au plaignant de demander qu'un organe indépendant se penche sur la suite donnée à la plainte, dans la mesure où il n'est pas heureux du résultat du travail du Grand Prévôt des forces canadiennes. Évidemment, mes observations concernent les plaintes relatives à la conduite de la police militaire et non pas les plaintes relatives aux cas d'ingérence.
La présidente: Sénateur Grafstein, au moment où le Grand Prévôt est venu témoigner devant nous hier, elle a discouru longuement sur cette question particulière. Je suis en train de faire photocopier les épreuves d'hier, qui renferment sa déclaration préliminaire, pour vous les donner.
Le sénateur Grafstein: Je vais attendre que le ministère vienne témoigner et je lui signalerai aussi la situation. J'examinerai les épreuves en question, puis nous pourrons y revenir. Il convenait de soulever la question dès aujourd'hui, pour qu'ils puissent y répondre avec toute la rigueur voulue.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons mentionné certaines causes, notamment l'affaire du renvoi P.E.I., l'affaire Généreux et l'affaire Lauzon, mais il y a encore une cause qui date, mais qui demeure très légitime. C'est l'affaire Sussex. J'apporterai l'arrêt au comité la prochaine fois que j'y serai. Il faut non seulement que justice soit rendue. Il faut encore qu'il apparaisse clairement qu'elle est rendue. Autrement dit:
[Français]
Il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut qu'il apparaisse clairement qu'elle est rendue. Cela est un de nos problèmes, à mon avis.
[Traduction]
Voilà qui laisse beaucoup de questions à régler. Au moment d'étudier la loi, il est très important pour nous de nous assurer qu'il apparaît clairement que justice a été faite. Ce n'est pas seulement une question de structure; la rédaction des dispositions elles-mêmes entre en ligne de compte. On se reporte au règlement. Cela fait bien quelques années que je travaille au ministère de la Justice. Je sais ce qu'il en est. J'ai beaucoup d'admiration pour le ministère de la Justice, mais lorsqu'il est question de l'indépendance de la magistrature, il ne me semble pas suffisant de s'en remettre au règlement. Il faut dire les choses dans la loi elle-même. Le règlement est pris par le gouverneur en conseil. La loi est adoptée par le Parlement. Ce n'est pas la même chose. À mon avis, nous devrions déployer des efforts désespérés pour intégrer tous les principes importants à la loi elle-même et non seulement aux 1 000 pages du règlement.
Vous avez signalé que nous ne disposons pas du règlement mais, pour reprendre la formule utilisée dans l'affaire Sussex, il devrait ressortir clairement de la loi elle-même que justice est faite. Cela me paraît insuffisant de dire: «Ah oui, nous verrons une fois le règlement en main.» Voilà pour le compte rendu.
Le travail du juge en chef Dickson m'impressionne beaucoup, et le fait que vous essayez de mettre en application les suggestions qu'il a formulées m'impressionne aussi. Nous sommes ici pour déterminer si cela est bien mis en application, et voilà pourquoi nous posons tant de questions.
Le sénateur Joyal: J'aimerais poursuivre la discussion que nous avions auparavant sur la séparation institutionnelle des fonctions. L'article 165.24 du projet de loi, page 38, se lit comme suit:
Le gouverneur en conseil peut nommer, parmi les juges militaires, un juge militaire en chef.
Le législateur n'assortit pas de période d'application à la nomination dans le projet de loi.
À mon avis, le juge militaire en chef exerce certaines fonctions importantes. C'est au juge militaire en chef ou au juge en chef que revient la plus grande responsabilité quant au maintien de l'indépendance de l'appareil. Le projet de loi ne précise pas -- du moins, je ne vois pas où il le ferait -- qui est à la tête de la hiérarchie. À qui rend-il des comptes? De plus, le JAG est nommé pour un mandat de quatre ans. Le directeur des poursuites militaires est nommé pour une période de quatre ans. Le directeur des avocats de la défense sera aussi nommé pour une période de quatre ans. Pourquoi est-ce que les gens qui sont responsables de l'administration du système sont nommés pour une période de quatre ans, alors que, selon le projet de loi que nous avons devant les yeux, les juges sont nommés pour une période de cinq ans?
Le sénateur Beaudoin: C'est un mandat très court.
Le sénateur Joyal: La stabilité est une question très importante. Je ne comprends pas pourquoi tous ces postes au haut de la pyramide comportent un mandat de quatre ans, sauf pour celui du juge militaire en chef, pour lequel la durée du mandat n'est pas précisée, si on lit les articles 165.24, 165.25 et 165.26. Peut-être trouve-t-on cela ailleurs dans le projet de loi, mais je ne le vois pas moi-même. J'ai essayé de concilier les mandats en question avec la notion de stabilité. Nous avons jonglé avec le principe de la sécurité du mandat des juges en tant qu'élément fondamental de l'indépendance de la magistrature.
L'idée que je m'en suis fait, et j'ai peut-être tout à fait tort, c'est qu'il s'agit en quelque sorte d'un système flottant. Tout change de place au bout de quatre ans, et l'effet domino recommence. Il me semble que les nominations valables pour quatre ans dans la partie supérieure créent de l'instabilité et que rien ne garantit que la continuité du système à elle seule permettra de maintenir les principes que nous essayons de maintenir. Dans ce système militaire, tout le monde dans la partie supérieure y est pour quatre ans et peut, au bout de quatre ans, s'il le souhaite, s'en aller. Il peut aussi être nommé à nouveau, mais le processus à cet égard soulève des questions parce que tout le système est interne. Il n'y a pas de contrôle externe là-dessus, si ce n'est la publication du rapport du JAG qui existe maintenant et le fait que JAG est aussi nommé pour une période de quatre ans. Je ne peux trouver de parallèle du côté civil.
Qu'en est-il encore de la durée des mandats? Je souhaite aussi savoir à qui le juge militaire en chef rend des comptes. Qui en est le patron?
Vous faites signe que non, qu'il n'a pas de patron. Il est tout à fait seul? Il est tout à fait séparé, une fois nommé? Pouvez-vous expliquer cela?
Col Fenske: Il n'a pas de patron. Voilà l'explication. C'est un juge militaire qui n'a pas de patron parce qu'il est censé être indépendant. Du point de vue administratif, nous avons fait du bureau un service, pour qu'on puisse compter sur diverses personnes comme employés de soutien. Il nous fallait faire cela du point de vue administratif. La façon de procéder ici est quelque peu différente de celle qui est utilisée dans le cas d'autres tribunaux. Par exemple, vous verrez que le système ici comprend un administrateur de la cour martiale. C'est à peu près semblable à la façon dont les tribunaux sont gérés aujourd'hui au Canada. Il existe diverses méthodes, mais l'idée consiste à mettre en place un administrateur capable de s'occuper des budgets et de divers autres aspects de l'administration, outre la convocation de la cour martiale.
L'autre fait que je veux souligner, sénateur Joyal, c'est que le juge militaire en chef est nommé pour une période de cinq ans. C'est un juge militaire. Les juges militaires sont nommés pour cinq ans.
Le sénateur Joyal: On déduit qu'il est là pour cinq ans.
Le sénateur Beaudoin: Est-ce bien le titre: «juge militaire en chef»?
Le sénateur Joyal: Oui. On trouve cela à la page 38. Il a lui aussi un mandat de cinq ans qui est renouvelable. Les mandats sont de quatre ans et de cinq ans.
M. Belzile: Je ne sais pas pourquoi le législateur a prévu des périodes de quatre ans et de cinq ans pour les nominations dans le projet de loi. Je soupçonne que cela est attribuable, dans une certaine mesure, à l'attitude militaire qui consiste à former les gens et à les exposer à diverses tâches pour favoriser la progression d'une carrière. Il est dans l'ordre des choses que nous déplacions des gens tout le temps, pour ce qui touche pratiquement n'importe quelle fonction. Quant à la justice militaire, nous ne disons rien de plus: les mandats de quatre et de cinq ans représentent le temps minimal pour la personne qui occupe un tel poste. Je ne suis conscient d'aucun facteur qui empêcherait les mêmes personnes d'être nommées à nouveau pour une autre période de quatre ans.
Le sénateur Joyal: Ce qui soulève justement la question que le sénateur Fraser a fait valoir. Qui dit nouvelle nomination dit évaluation. Cela ne se fait pas d'office. Ce n'est pas comme envoyer un carton pour se réabonner à une revue.
M. Belzile: Nous ne parlons pas forcément de juge. Nous parlons de l'administrateur en chef du système d'avocats de la défense ou de l'administrateur en chef des poursuites.
Le sénateur Joyal: Oui, mais c'est ce que je voulais dire. Les gens en question occupent une responsabilité primaire dans le système. Je ne vois vraiment pas comment vous pouvez maintenir la même compréhension des subtilités de tout ce système-là où il y a un facteur d'instabilité intrinsèque, car, au bout de quatre ans, le mandat se termine, et il faut présenter une demande pour être nommé à nouveau au poste. Bien sûr, si vous êtes nommé à nouveau au même poste, il y a certainement quelqu'un qui lit votre dossier. Comme je l'ai dit, ce n'est pas comparable à l'abonnement à une revue, où il suffit d'envoyer un carton pour que l'éditeur continue de vous envoyer la revue. Vous savez que, dans le système militaire, personne ne voit sa nomination reconfirmée à moins que son dossier ne soit étudié. Il doit y avoir quelqu'un dans le système qui exerce cette fonction, à moins que je ne sois tout à fait dans l'erreur. Je ne veux pas exagérer, mais il me semble que c'est pour cela que les quatre années prévues pour ces postes de responsabilités primaires me semblent représenter un facteur d'instabilité intrinsèque, intégré à l'échelon supérieur de la pyramide de l'administration de la justice dans le système militaire.
Col Fenske: Sénateur Joyal, le sous-ministre de la Défense nationale n'est pas nommé pour une période précise. Une comparaison des divers officiers chargés des poursuites partout au pays démontre que c'est aussi leur cas. En prévoyant un mandat, nous avons, quant à nous, garanti que ces gens seront en poste pour un certain temps. Nous n'avons pas limité les gens. Cela ne veut pas dire que leur mandat ne sera pas renouvelé. Cela veut dire qu'ils sont protégés. La plupart des gens qui exercent des fonctions semblables n'ont pas cette forme de protection. On pourrait les révoquer du côté civil en moins de temps. Cet exercice visait à tracer une ligne de base à partir de laquelle travailler. Je suis étonné de constater que vous considérez comme une difficulté la protection supplémentaire que nous avons prévue. Quant aux mandats, je ne saurais le dire par coeur, mais je crois que le vérificateur général a un mandat, que le commissaire aux langues officielles a un mandat, que le président de la Commission des droits de la personne a un mandat. Un mandat, ce n'est rien de neuf pour nous.
Le sénateur Moore: Pas dans le système de justice.
Le sénateur Joyal: Pas dans le système de justice.
La présidente: Pas dans le système de justice civil, si vous me permettez d'ajouter cela. Je reviens aux seuls états de service dont je suis consciente, et c'était au sujet de l'homme qui est venu témoigner devant nous hier. Il me semble qu'il a exercé les fonctions de juge la première fois pendant quatre ans, et la deuxième, pendant deux ans. Je ne sais pas si c'est là une indication, un chiffre normal, une moyenne.
Le sénateur Joyal: C'était un juge militaire. Nous parlons ici du directeur des poursuites militaires et du directeur des avocats de la défense. Nous parlons des gens qui administrent le système. Hier, le témoin nous a dit que, sur 114 cas, un tiers étaient à l'étranger, et que c'est parfois difficile. Nous avons sympathisé. Toutefois, le directeur des poursuites n'est pas sur le terrain. Si je ne m'abuse, il travaille au quartier général. Il n'a pas toujours la valise à la main. C'est quelqu'un qui est assis et qui administre la justice.
La présidente: Sénateur Joyal, comme il s'agit assurément d'une question à laquelle le ministère devrait répondre, peut-être qu'au moment où le ministère reviendra, nous pourrons lui demander de préparer une réponse et aussi de nous donner une évaluation statistique des états de service des gens qui occupent un poste comparable à l'heure actuelle. Est-ce que cela vous paraît acceptable?
Le sénateur Joyal: Oui, bien sûr.
La présidente: Nous avons devant nous aujourd'hui le groupe de témoins qui représente la Commission Dickson, et je crois que la plupart de nos questions s'adressent en fait au ministère, qui viendra comparaître plus tard.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais qu'il songe à l'affaire Valenti. Il nous faut trois conditions pour assurer l'indépendance judiciaire: premièrement, la durée du mandat doit être établie. Cinq ans, ça ne me paraît pas très long, et j'aimerais que vous y réfléchissiez encore. Ensuite, il faut une sécurité, une sécurité financière. Enfin, il faut de l'autonomie pour ceux qui font la justice. Si une de ces conditions est absente, cela ne va plus. Je sais que la vie militaire est très différente de la vie civile. C'est un fait que j'accepte et que je ne conteste pas, mais le fait est que les carrières judiciaires et les carrières juridiques ne sont pas très longues, et j'aimerais savoir pourquoi. Je voulais simplement soulever la question.
La présidente: Nous en avisons le ministère.
Le sénateur Grafstein: Je crois que le sénateur Joyal a soulevé une question intéressante à laquelle je n'avais pas songé moi-même, c'est-à-dire que les administrateurs doivent s'occuper de dossiers. Pour les avocats locaux de la Couronne, un mandat de quatre ans ne donne pas beaucoup de temps pour mener à bien les enquêtes courantes. Il suffit d'étudier certains des exemples récents dans le domaine militaire pour voir le temps que peuvent prendre ces enquêtes. La nécessité de toujours passer le flambeau à un autre ici n'est peut-être pas bénéfique.
Il serait utile de savoir ce que représente la charge de travail du point de vue statistique. Autrement dit, quelle est la durée moyenne d'une cause, du début à la fin? Connaissant moi-même les tribunaux civils, je présume qu'une période de quatre ans n'est pas très longue compte tenu des grandes causes.
La présidente: Je présume que le ministère en prend dûment note.
Le sénateur Fraser: J'ajouterais un élément à l'avis qui sera donné au ministère. Au paragraphe 27 de l'arrêt Lauzon, auquel vous faites allusion, colonel, et sur lequel le sénateur Joyal a eu la bienveillance d'attirer mon attention, on dit précisément que l'absence de normes pour les nouvelles nominations ne constitue pas une garantie objective d'indépendance.
[Français]
L'absence de normes pour le renouvellement des mandats n'offre pas de garanties objectives suffisantes d'indépendance.
[Traduction]
Je suis votre raisonnement quand vous dites qu'il est beaucoup plus efficace, plus efficient, plus facile, plus rapide de prévoir ces normes dans le règlement, mais il me semble que cet extrait confirme l'importance de telles normes. J'aimerais avoir une idée de la réflexion que vous menez à propos de ces normes, comment on pourrait y arriver, sur quoi elles seraient fondées.
La présidente: Merci, sénateur Fraser. Je remercie les témoins qui sont venus nous voir aujourd'hui de la très grande patience dont ils ont fait preuve, pendant que nous cherchions à cuisiner à nouveau le ministère.
La séance est levée.